© Peuples Noirs Peuples Africains no. 9 (1979) 189-190



NOTES DE LECTURE

Laurent GOBLOT

Des femmes sur l'Afrique des femmes. Cahier d'études africaines, no 65, 1977, 1er cahier, revue du C.N.R.S., 15, quai Anatole-France, 75700 Paris, prix : 35 F. (Mouton)

Ce cahier important contient : une étude de Francine Kane sur les ouvrières de la B.U.D. (industrie agro-alimentaire hollandaise) au Sénégal; des travaux : sur les femmes libres rwandaises et la politique du gouvernement à leur égard; sur la guerre des sexes à Abidjan, de Caudine Vidal; sur l'humour aux dépens des ethnologues, par une de leurs épouses; « Femmes invisibles et femmes muettes », de Michèle Fieloux; plusieurs articles en langue anglaise : J.-M. Bujka, « Production, propriété, prostitution : la politique du sexe » (Kenya); M. Étienne, « Femmes et hommes, pagnes et colonisation » (modification des divisions sexuelles du travail); C. Dinan, « Pragmatistes ou féministes, femmes célibataires cadres à Accra ».

De plus cette brochure contient un article de Nicole Sindzingre, qui concerne les pratiques rituelles et sexuelles; cette lecture devrait empêcher certaines simplifications lors des campagnes d'opinion entreprises, périodiquement, sur ce thème. Déjà, en 1951, Marie Bonaparte, dans un ouvrage Sexualité de la femme avait consacré un chapitre aux [PAGE 189] « mutilations physiques des femmes africaines, et leur parallèle psychique chez nous », montrant que ces pratiques avaient, en Europe, des correspondances. Dans cet ouvrage réédité récemment à 10/18 (U.G.E.), Marie Bonaparte conteste Freud, qui tend à placer la circoncision et la clitoridectomie rituelles sur un même plan; elle affirme déjà que, dans ces pratiques, il s'agit ici et là-bas, en Europe et en Afrique, d'intimider la sexualité féminine par la mutilation et la souffrance. Lorsque les médecins européens refusent d'anesthésier leur cliente pour un curetage, ils n'ont pas d'autre dessein que ces pratiques rituelles africaines. L'une des utilités de l'étude de Nicole Sindzingre (et du livre de Marie Bonaparte) est d'empêcher que ces campagnes d'opinion ne se fassent aux dépens de l'Afrique.

On a tendance à placer sur un même plan la circoncision des hommes d'une part, l'excision et l'infibulation des femmes d'autre part, alors qu'elles ont des effets très différents pour les deux sexes d'un point de vue médical; ce ravalement a pour but de voiler, aux yeux de l'homme, mais surtout aux yeux de la femme, l'inégalité aux dépens de celle-ci.

« D'un point de vue strictement biologique, l'expérience montre que la circoncision accentue la sensibilité sexuelle de l'homme, alors que l'excision limite fortement celle de la femme. C'est déjà là le signe d'un contradiction par rapport à l'explication mythique qui tend à attribuer à ces deux pratiques une même fonction positive pour les deux sujets. »

Nicole Sindzingre, qui cite une communication au colloque d'Abidjan (juillet 1972) de B. Zadi Zaourou et S. Ebouman, ajoute : « Il est en outre à peine besoin de souligner que les enjeux sont socialement inégaux. »

L'auteur observe que la douleur joue un rôle dans la perpétuation de la coutume – et cette observation pourrait être prolongée au sujet de nombreux domaines, dans l'éducation par exemple.

« Il arrive que la douleur, lorsqu'elle n'est pas considérée comme inévitable, soit recherchée sciemment comme dressage de la bonne mémoire : « C'était terrible, je m'en souviendrai toute ma vie », revient régulièrement dans les témoignages. Mais si les femmes se souviennent, c'est aussi pour guetter et réprimer toute manifestation de couardise : « Ce qui fut bon pour moi doit l'être assez pour toi ». (S.-P. Barber). » [PAGE 190]

L'esprit européen, qui tire de la description de ces rites des « preuves de sauvagerie » oublie qu'on pourrait relever en Europe des pratiques analogues, sinon identiques. Le résultat est que, voulant extirper le mal chez les autres, ils aboutissent à des fins contraires à celles qu'ils prétendent chercher.

Laurent GOBLOT