© Peuples Noirs Peuples Africains no. 7-8 (1979) 7-89



Interview de M.-J. Protais à « Sud-Ouest-Dimanche »

MARIE-JOSE PROTAIS :
« CHACUN PEUT ETRE UN JOUR UN TORTURE OU UN TORTIONNAIRE »

Marie-José Protais, présidente depuis huit mois de la section française Amnesty International, abandonne, cette semaine, ses fonctions à la tête de cette organisation de défense des droits de l'homme. Elève d'une école dominicaine et d'un collège jésuite, elle a fréquenté l'Institut des sciences politiques, l'Ecole pratique des hautes études et la Faculté des sciences économiques.

Vous abandonnez donc, cette semaine, votre poste à la tête de la section française Amnesty International. Pourquoi ? S'agit-il d'une démission ?

– Pas du tout. Mon mandat arrivait naturellement à expiration. Je ne me représente simplement pas. Je pense que j'ai pris trop de place dans l'organisation. Il faut savoir retourner à la base.

Quelles étaient vos fonctions exactes ?

– Le rôle du président – ou de la présidente – est très varié. Il participe à des réunions, à des débats; il organise, assure les relations extérieures... Tout cela demande à la fois une connaissance parfaite des rouages de l'organisation et une grande disponibilité. Il faut également être parisien.
[PAGE 8]

Comment avez-vous été amenée à militer au sein Amnesty ?

– Je voudrais d'abord préciser que nous n'aimons guère le mot « militant ». Parlons plutôt d'une personne qui s'engage moralement à faire certaines activités demandées par une organisation. Personnellement, je me suis toujours sentie internationaliste. La guerre, comme les frontières, me semblaient absurdes. J'ai d'ailleurs commencé par collaborer à une organisation proche de I'O.N.U. avant de me tourner vers Amnesty, dont j'ai fondé la section française.

Si vous aviez été femme d'ouvrier, élevant difficilement trois enfants, auriez-vous eu la même démarche ?

– J'aurais peut-être eu la même démarche, mais pas la possibilité de le faire. Amnesty n'est qu'un outil dans la trousse à outils, et pas du tout la pince universelle. On peut militer pour Amnesty dans son foyer. En ayant une approche non raciste, internationaliste de l'individu pour l'individu. En enseignant la liberté par la liberté.

Vos motivations sont-elles représentatives de l'ensemble des adhérents ?

– Non. La section française, qui compte dix mille membres, répartis en cent quarante sections, est d'une composition très hétérogène. On y rencontre d'abord ce que j'appellerai des « dames tricoteuses », qui écrivent des lettres, envoient des colis aux prisonniers. Il y a également quelques jeunes intellectuels gauchistes, qui en ont eu assez de sculpter de la fumée. Il existe enfin une troisième catégorie, majoritaire et finalement plus dangereuse pour Amnesty, composée de libéraux occidentaux pour qui l'humanisme devient un combat politique. J'en fait d'ailleurs partie, bien que j'essaie de m'en défendre.

Comment des gens si différents peuvent-ils travailler ensemble ?

– C'est précisément le miracle permanent qu'accomplit Amnesty International. Voyez la différence qui existe entre la section de Besançon, constituée de gauchistes, et celle de Nice, qui se réunissait à l'hôtel Sofitel. Pourtant, tous ces gens réussissent à s'entendre lorsqu'il s'agit de travailler sur une plate-forme étroite et pratique.

La défense des droits de l'homme n'est donc pas, en France, l'apanage de la gauche ?

– Non, pourquoi le serait-elle ? C'était vrai au début du [PAGE 9] siècle. Plus aujourd'hui. Il est cependant exact que nous ne touchons pas les gens d'extrême-droite.

Vous n'avez également pas bonne presse à l'étranger !

– Nous réussissons à faire l'unanimité contre nous. Nous sommes attaqués par tout le monde et de tous les bords. On ne nous aime guère parce que nous essayons un peu d'être la morale des autres.

Défendre la liberté de l'homme, n'est-ce pas une manière de justifier la sienne, de se donner bonne conscience ?

– Evidemment. Mais il ne faut jamais se satisfaire de la situation dans son propre pays. Tout peut arriver. Il faut faire prendre conscience aux gens qu'ils peuvent devenir un jour, soit des torturés, soit des tortionnaires.

(Propos recueillis par P. V. D.)

(« Sud-Ouest-Dimanche », 27 novembre 1977.)

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2

Bayonne, le 6-11-78

Renée Destribats
Membre A.I. Gr. 76
21, place des Gascons
64100 Bayonne

              A Edith Trochard,
              62, rue Thomas-Dubosc 7
              6000 Rouen

Chère amie,

Nous avons bien reçu votre rapport sur l'affaire Mongo Beti. Ces faits sont inquiétants et pourraient paraître incroyables. Mais à la lumière de nos propres expériences, je ne peux pas douter de leur authenticité. Je reconnais le procédé qui consiste à « consulter » une personne tout en la mettant d'emblée dans une posture d'accusée, ce qui lui donne un sentiment de culpabilité (voir Kafka).

Ce qui est éminemment regrettable, est la difficulté des échanges « horizontaux » : chacun vit ses propres problèmes sans pouvoir profiter de l'expérience des autres, et ce n'est que lorsqu'ils atteignent le stade du conflit aigu qu'on peut, et encore très difficilement, en débattre en commun.
[PAGE 10]

Je dois, moi aussi, préciser que je n'appartiens à aucun mouvement politique ni confessionnel. J'ajoute que, à la suite d'interventions inqualifiables de la part du S.R. Aquitaine, et de la Commission « Vie des Groupes », le groupe 76 est presque anéanti. En tout cas, ses membres ont perdu confiance en A.I.S.F... J'ai écrit pour exposer cette situation à Aimé Léaud, en août dernier. Cette lettre est restée sans réponse.

En raison de ces circonstances, nous ne pouvons pas étudier en commun des problèmes tels que ceux de l'affaire Mongo Beti. Nous parvenons difficilement, pour le moment, à faire face à toutes nos tâches. Cette lettre est donc seulement mon point de vue en tant que membre d'A.I., bien que je sois aussi actuellement secrétaire du groupe 76 et responsable de la Coordination des Philippines.

En ce qui concerne l'affaire Mongo, Béti, je n'ai pas pu m'empêcher de faire le rapprochement avec des articles du journal « Sud-Ouest » dont je vous envoie une photocopie.

– une interview de M.-J. Protais. Je l'avais envoyé au Secrétariat de Paris en demandant s'il en avait eu connaissance. J'ajoutais que ce n'était pas ce genre d'articles qui allait accroître notre renommée ni inspirer confiance. M.-J. Protais, en personne, m'a écrit : elle pensait que le journaliste (qui n'a signé qu'avec ses initiales) avait voulu lui nuire. Ces propos n'étaient pas destinés à la publication. Mais elle ne nie pas les avoir tenus, et le moins qu'on puisse dire est que son comportement est désinvolte de la part d'une Présidente, et à la limite du mépris à l'égard des militants. C'est ce que toutes les « tricoteuses » de la région... et les autres, ont ressenti...

– ci-joint aussi, un article de Jean Lacouture à propos de l'Afrique. Jean Lacouture a des attaches dans la région. Il nous avait promis de faire une conférence pour nous. Puis, il s'est excusé, invoquant son état de santé, – ce qui ne l'a pas empêché de venir à Dax pour des corridas, et à Bayonne pour des matchs de rugby. Essayant de comprendre son attitude, je me demande s'il n'aurait pas, lui aussi, des doutes à propos de l'impartialité de A.I.-S.F. Peut-être, même, en sait-il plus long que nous sur ce point.

Car c'est ce qui risque d'arriver : si nous ne mettons pas nous-mêmes en cause certains comportements au sein d'A.I.S.F., d'autres, de l'extérieur, se chargeront de le faire, avec beaucoup plus de dégâts.
[PAGE 11]

De toutes façons, dans une organisation comme A.I., il faut être très lucide, sinon on court le risque d'être utilisé en vue de desseins qui nous échappent. Et, dans ce cas, nous serions complices involontaires.

Dans cette optique, j'ai relu les circulaires qui nous ont été envoyées en Octobre, et mon inquiétude n'a fait que grandir. Voici ce que je relève; et nous pourrions tous nous interroger sur ces points

Circulaire SF 78 N 508 :

A propos des adhésions :la nouvelle méthode (qui consiste à ne transmettre que les adresses d'éventuels adhérents, sans prendre les adhésions), a peut-être du bon, encore que cela complique les choses. Mais il faudrait que Paris nous notifie ensuite qui a réellement adhéré, Cette année, notre groupe n'a pas reçu un seul avis d'adhésion (ni de listes d'adhérents).

Audience à l'Elysée : Je lis « Il était entendu qu'elle serait confidentielle. » Qu'est-ce que ces « confidences » que nos responsables ont à faire au Président de la République ? N'est-il pas évident qu'A.I. n'est crédible que si les échanges avec les chefs d'Etat sont clairs et limpides ?

Election du C.E. : Quels étaient les candidats que la S.F. aurait pu choisir ? Qui a proposé celui-là ? Quel est son profil ? Sur quels critères précis a-t-il été choisi ? Est-ce « parce qu'il a été chercheur au S.I. et qu'il a organisé la Campagne Uruguay » ? On ne peut pas dire que cette campagne ait été un succès. Et une des raisons de l'échec est peut-être qu'il n'était fait nulle mention du rôle, pourtant déterminant, des U.S.A. en Amérique Latine... Voir aussi l'exposé de R. Lestienne sur le Moyen Orient (Cir. ST. 78 G 422).

Les problèmes des groupes : Les lettres de J. Heller, nous « invitant » à deux reprises (en Juin et en Octobre), à recommencer nos élections, alors que celles auxquelles nous avons procédé en Janvier sont tout à fait régulières, sont en opposition avec ces dispositions. Il est vrai que, si les S.R. ont fait préciser ces points, c'est qu'il y avait sans doute eu des problèmes similaires dans d'autres groupes.

A propos des S.R. : Sont-ils élus pour donner des ordres aux groupes ? Ne doivent-ils pas les consulter et leur donner un compte-rendu de leurs prises de position au sein du C.N. ?
[PAGE 12]

Circulaire SF 78 N 494 ter :

Inclinons-nous, tout d'abord, devant la belle déclaration de la p. 2... « Ceci n'empêche pas l'amitié et la chaude atmosphère d'un lieu de travail qui est aussi un lieu où l'histoire du monde se transforme grâce à l'action militante de notre association... » Dommage que l'auteur de cette belle littérature soit resté anonyme !

... Un peu plus loin, les termes sont, hélas ! plus prosaïques, en ce qui concerne les salaires. Et on peut noter la différence de traitement, dans tous les sens de ce ternie, entre les cadres et les employés. Alors que les salaires (modestes) des employés sont fixés avec précision, ceux des cadres sont compris dans la large « fourchette » de 2 000 F (de 4000 à 6000 F), ce qui met l'heure de bénévolat (à condition qu'on soit compétent, évidemment), à un tarif appréciable. Comme la « fourchette » est laissée à l'appréciation du Président sur ce critère très vague de « compétence », les cadres n'ont pas intérêt à le mécontenter...

Il se trouve que je connais Gloria Arbey, qui a des attaches dans la région. Bien que, lors de la création du groupe 76, nous ayons eu des entretiens chaleureux, elle n'en a pas moins, par la suite, en l'absence d'Edith Villain, et contre notre avis, créé le groupe de Biarritz. Dans ce secteur, peu ouvert aux problèmes dont nous nous occupons, Bayonne et Biarritz sont trop proches (6 km). De plus, il y a un problème de discrimination. Biarritz étant une ville nettement plus bourgeoise.

Lors de cette création de groupe, j'ai envoyé de vigoureuses protestations à Paris. C'était trop tard, et cela a été aussi une prise de conscience de problèmes plus vastes. J'ai pensé que ce ne serait peut-être qu'une « bavure ». Mais, quand les bavures se multiplient, comment faut-il les appeler ?

Si j'expose tout ceci – et je ne prétends pas parler de tous les problèmes, c'est que je crois qu'il est grand temps de considérer attentivement la situation. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour :

– Demander l'annulation de l'éviction de Mongo Béti.
– Définir la liberté d'expression.
– Exiger le droit à l'information.
– Procéder à un contrôle de toutes les décisions qui pourraient paraître suspectes ou arbitraires.
[PAGE 13]

Mais tout ceci resterait au stade des vœux Pieux si on n'instituait une sorte de Commission des Litiges, dont les membres ne seraient pas les mêmes que ceux du C.N.

Ce « contrôle » accepté et normalisé serait dépourvu de tout caractère agressif et injurieux. Il éclairerait bien des doutes et assainirait l'atmosphère... Si le B.E. doit veiller à « rectifier le tir » du Secrétariat (Cir. SF 78 N 494 ter), p. 1, une Commission des Litiges permettrait, le cas échéant, de « rectifier le tir » du C.N., afin qu'il ne puisse plus mettre en cause l'impartialité de l'Association.

Je serais heureuse de savoir ce que vous pensez de ces suggestions, et aussi de savoir si les autres groupes ont réagi...

Meilleurs vœux et amitiés.

Renée Destribats,
Groupe 76.

P.S. : J'avais déjà écrit à Janine Ertaud.

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3

Bayonne, le 19 décembre 1978

Groupe 76 - France
21, place des Gascons
64100 Bayonne

              Aux membres du Conseil National
              d'Amnesty International S.F.

Mesdames, Messieurs,

La plupart des membres du groupe 76 n'ont pas participé à la réunion organisée par vos soins le 16 décembre à Bayonne. En voici les raisons :

– Plusieurs membres du groupe ont écrit à A. Marabout, votre « représentant ». Ils n'ont pas obtenu de réponse.
– Des membres du groupe (dont vous avez la liste), n'ont pas été convoqués : M.-G. Béthular, Hélène et Roger Poussel.
– Enfin, et surtout, cette affaire nous parait complètement faussée dès ses débuts, et, malgré toutes nos lettres, vous n'avez jamais voulu écouter notre point de vue. Aussi croyons-nous urgent et nécessaire de poser quelques questions de fond, valables pour tous les groupes :
[PAGE 14]

1o Lorsque les élections au sein d'un groupe ont été organisées avec le plus grand soin, que le compte rendu en a été fait sur un bulletin envoyé à tous les membres du groupe (vous en avez eu une copie), et que nulle contestation n'en a été faite dans les semaines qui ont suivi, peuvent-elles ou non être considérées comme régulières ? Le B.E., le C.N. ou une quelconque commission nationale peuvent-ils légitimement demander que ces élections soient recommencées comme vous l'avez fait ? (lettre de J. Heller et E. Villain en date du 12-6-78) ? N'est-ce pas, par là-même désavouer sans motif les responsables du dit groupe, accentuant ainsi les tensions et « difficultés psychologiques » ?

2o Les attributions des S.R. ont-elles été clairement définies ? N'a-t-il pas été dit qu'ils ne devaient pas faire « écran » entre les groupes et Paris ? S'ils le font, que se passe-t-il ? Est-il légitime qu'ils soutiennent constamment, au mépris de toute impartialité, des membres démissionnaires ou opposants d'un groupe, allant jusqu'à transmettre des plaintes sans en informer les responsables du groupe, ou en refusant de les leur communiquer ? Ont-ils le droit d'organiser dans une localité, des réunions, sans en informer le groupe du lieu ?

3o Le C.N. peut-il « juger » un groupe, et faire paraître les résultats des débats dans les circulaires nationales, sans en informer ledit groupe ? (S.F. 78 N 566 p. 5).

4o Quand un groupe a rempli ses tâches, et au-delà, puisque nous assurons la Coordination des Philippines, sans aucun avantage, peut-on retenir contre ce groupe le fait qu'il n'est pas à jour de sa cotisation – alors même qu'une partie de cette cotisation est entre les mains de démissionnaires, et que c'est à cause d'une d'elles que la conférence que nous avions organisée avec un écrivain a été annulée ? (lettre du 7-12-78 à la Commission « vie des groupes »). Ce sont les incessantes tracasseries qui ne nous ont pas permis de réunir cet argent.

Quels que soient les malheurs auxquels nous devons faire face, après des années d'engagement total, ils ne seront pas inutiles, si les questions que nous posons obtiennent une réponse. Tôt ou tard, il faudra la donner et ne pas se contenter de bulletins d'auto-satisfaction tels que ceux qui paraissent dans la « Chronique », qui pourraient donner à penser que tout va pour le mieux dans la S.F. Mieux vaudrait établir avec les groupes un dialogue avant que la [PAGE 15] situation locale ou nationale se dégrade tout à fait. C'est le vœu que nous formons. Serons-nous, enfin, entendus ?

Veuillez agréer nos sincères salutations.
(Lettre signée par neuf membres du groupe.)

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3 bis

Bayonne, le 27 décembre 1978


Groupe 76 - France
21, place des Gascons
64100 Bayonne

              Aux membres du Conseil National
              d'Amnesty International S.F.

Chers amis,

Nous avons bien reçu la lettre d'Alain Marabout qui aurait dû être adressée au groupe 76. Car, comme il a dû s'en rendre compte (et il avait été prévenu par des lettres de plusieurs d'entre nous), la plupart des membres actifs du groupe se sont volontairement abstenus d'aller à la réunion du 16 décembre. Nous constatons aussi que la lettre d'Alain Marabout n'est pas accompagnée d'un compte rendu de séance.

Mais, avant qu'elle ne nous parvienne, nous avions eu des rapports de ce qui y avait eu lieu. Il nous a été dit, entre autres choses, que si nous refusions de donner satisfaction aux membres « opposants », qui n'ont pas participé à notre action depuis des mois, nous pourrions courir le risque de voir la dissolution du groupe 76.

Or la situation actuelle est la conséquence d'erreurs très graves commises par le C.N. Si ces erreurs n'étaient pas réparées, ou si elles se reproduisaient, elles porteraient un préjudice, peut-être irréparable, à A.I. dans son ensemble. Comme, de toutes façons, la dissolution d'un groupe peut avoir des conséquences extrêmement fâcheuses, nous avons informé le C.E.I. des principaux points de cette affaire.

Nous pensons aussi qu'il y a de déplorables lacunes dans le règlement intérieur de la S.F. Il faut en prendre conscience avant la prochaine A.G. Nous en informons donc [PAGE 16] les groupes de la S.F. en leur envoyant une copie de la déclaration ci-jointe.

Veuillez agréer nos meilleures salutations.

Pour le groupe 76
La Secrétaire,
R. Destribats.

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4

A nos instances nationales
AMNESTY INTERNATIONAL
Section Française
Groupe de Perpignan

CE QUI NE PEUT PLUS DURER A A.I.S.F.

L'auteur de l'éditorial de la très substantielle chronique d'octobre, rédigé à Cambridge, s'interroge très pertinemment – et, sans doute, non moins opportunément – sur les problèmes que pose l'organisation d'A.I. au niveau international, en particulier sur le risque d'établissement, à la hauteur du S.I., d'une « technostructure », et sur la nécessité d'un contrôle politique permanent des militants : « Pourquoi, s'interroge-t-il, n'inventerions-nous pas maintenant un système de contrôle et d'orientation... pour redonner la parole aux membres des sections nationales ? »

Autrement dit, c'est poser la question – fondamentale pour une organisation comme A.I. – de la liaison de nature démocratique qui doit exister, sous peine de nous disqualifier dans notre combat pour la défense des droits de l'homme, entre nos instances internationales et nos instances nationales.

Nous ne saurions trop nous réjouir, au niveau des groupes, de ce que les représentants d'A.I.S.F. à Cambridge aient été sensibles à ce problème essentiel, surtout dans l'espoir qu'ils ne manqueront pas, de retour à Paris, de l'être aussi à celui non moins important des relations qui doivent exister entre eux et nous, groupes d'adoption.

L'aveu (méritoire) que les structures d'A.I.S.F. « sont loin de fonctionner de façon parfaite », nous laisse en effet [PAGE 17] espérer que la prise de conscience sur « ce qui ne peut plus durer à A.I.S.F. » est enfin en train de se faire.

Ce qui ne peut plus durer à A.I.S.F. c'est, en premier lieu et en première urgence, de l'avis des membres soussignés du groupe 46 de Perpignan, l'impossibilité pour les groupes d'exprimer éventuellement dans la Chronique, interrogations, réserves, désaccords, protestations, critiques, inquiétudes, etc. sur ce qui se dit, se décide et se fait au niveau du B.E. et du C.N. De même que nos instances nationales souhaitent qu'au niveau international la parole leur soit donnée, de même nous espérons désormais qu'au niveau national elles seront d'accord pour la donner aux groupes.

L'affaire Mongo Beti – sur laquelle, en raison du salubre vent de fronde qu'elle soulève partout au sein de la section française, nous tenons nous aussi à vous faire part ci-dessous de quelques réflexions particulières –, est loin d'être la seule qui suscite nos interrogations, critiques ou inquiétudes; elle n'est peut-être même pas la plus grave, car dans de nombreuses autres circonstances tout aussi caractéristiques d'un état d'esprit qui nous préoccupe, nous aurions déjà souhaité pouvoir, par le canal d'une tribune libre dans la Chronique, soumettre amicalement nos soucis aux autres groupes et connaître les leurs.

Nous aurions, par exemple, souhaité pouvoir dire :

– Que la publication en son temps par A.I.S.F. d'une carte faisant du Vietnam du Nord un pays sans torture était peut-être pour le moins une imprudence.
– Que l'affirmation dans un C.N. de cette année selon laquelle « il n'y a contestation que s'il y a pouvoir, or il n'y a pas de pouvoir à AJ. », était peut-être une affirmation pour le moins hardie.
– Que ce n'était peut-être pas faire de l'« angélisme » comme on nous l'a savoureusement reproché (par téléphone), que dénoncer comme antidémocratiques certaines dispositions de notre règlement intérieur, du genre de : « Le B.E. statue sans avoir à motiver publiquement un éventuel refus d'agrément. »
– Qu'avoir dû nous battre pendant plusieurs mois pour arracher une mise au point (peu satisfaisante, à nos yeux) au sujet du prix Lénine de Sean Mac Bride, (affaire dont on prétendait au surplus nous contester le droit de discuter au sein du groupe !) ne nous paraissait pas digne d'A.I.
– Que la conception de la Chronique « outil de [PAGE 18] formation » et non d'information, – lieu du consensus » et non lieu d'échange, nous paraissait discutable sinon même, du point de vue de Voltaire, injustifiable, et que l'ouverture d'une tribune libre s'imposait.
– Que la question des « cas nationaux » nous posait également problème : Comment, en effet, concilier la regrettable résolution générale adoptée à Mulhouse quant au « caractère exceptionnel » de la transmission des informations concernant lesdits cas, et la position inverse – qui nous satisfait pleinement – adoptée particulièrement à l'occasion des cas nationaux d'objection de conscience (Chronique d'octobre) selon laquelle connaître et faire connaître ces cas constitue un devoir pour tout membre d'A.I.
– Que l'exclusion, parmi nos sources de financement, des subventions des pouvoirs publics, nous semblait une disposition excellente, mais que la double exception explicitement et effrontément prévue, nationalement pour l'organisation d'un congrès et localement au bénéfice d'un groupe, nous paraissait une disposition exécrable.
– Que les dispositions récemment instituées pour les nouvelles adhésions, nous paraissaient encore plus ubuesques que celles que vous avez été obligés d'abandonner quant à la tutelle financière des groupes. Si je veux, catholique, faire baptiser mon dernier-né, mon curé devra-t-il d'abord demander la permission au Pape ?
– Que... que... que... Etc. etc. etc.

Et nous en arrivons à l'affaire Mongo Beti.

A l'affaire Mongo Beti, sur laquelle il y aurait beaucoup plus à dire que ce qui va suivre (Aimé Léaud ne l'ignore d'ailleurs pas), mais nous avons été déjà très longs et il faut nous limiter.

Pour vous, cette affaire est terminée. Pour nous, elle ne l'est pas.

Elle ne l'est pas sur deux plans celui des accusations portées par Mongo Beti, celui de la liberté d'expression au sein d'A.I.S.F.

Sur le plan des accusations portées par Mongo Beti.

A) Quant au peu d'activité d'A.I.S.F. en direction de l'ex-Afrique Noire française en général et du Cameroun en particulier (pour lequel Mongo Beti fait d'ailleurs état d'un cas précis de carence), il parait difficile de donner tort à l'intéressé. Apportons un élément d'appréciation chiffré [PAGE 19] sur 161 interventions du groupe de Perpignan depuis sa création, dans le cadre des « prisonniers du mois », nous n'en avons relevé que 5 en direction de ladite Afrique. C'est manifestement peu. Pourquoi ne pas le reconnaître ?

B) Quant au cas – précis lui aussi – de l'appartenance d'un de nos militants les plus en vue à un poste rédactionnel important à une publication financée par les Affaires Etrangères, cette appartenance, qui risque, à nos yeux, d'être dommageable à l'image de marque d'A.I.S.F., n'est-elle pas confirmée par la note Heller-Maréchal qui figure au dossier de recours ? Par contre, n'est pas confirmé l'exercice, dénoncé par Mongo Beti, de cette activité journalistique à la même adresse qu'A.I.S.F., 18, rue de Varenne. Qu'en est-il en vérité ? Si ce voisinage a bien existé, s'agit-il, comme nous l'espérons, d'un pur hasard ?

Sur le plan de la liberté d'expression au sein d'A.I.S.F.

Nous n'exigeons pas de nos instances nationales qu'elles adressent à Mongo Beti l'admirable interpellation de feu Mgr Riobé à Mgr Lefèbvre : « Je ne peux que vous aimer. » Mais nous demandons que cette liberté d'expression pour la défense de laquelle nous nous battons tous les jours, nous la respections d'abord entre nous, sous peine de perdre la face. Quand on condamne les juridictions d'exception, on ne se fait pas justice soi-même par le truchement d'une instance dont on a le « contrôle », pour employer votre vocabulaire. Si vous vous estimez diffamés par Mongo Beti, vous n'avez qu'à le citer devant le tribunal correctionnel, comme vous l'a suggéré le groupe de Lons-le-Saunier.

Dans sa réponse audit groupe, Aimé Léaud s'exprime ainsi : « Il est bien évident que le droit le plus légitime de toute association est de choisir ses membres et qu'il lui appartient de juger si leur comportement est compatible avec ses objectifs. » Est-ce si évident que çà ? Et si A.I. n'était pas, en raison de son engagement très particulier, une association comme les autres ? ainsi que le voyait très bien Aimé Léaud lui-même dans son remarquable éditorial de la Chronique de juin 1976 ? Nous opposerons également à Aimé Léaud ce qu'il a écrit – excellemment – dans sa note sur la position abolitionniste d'A.I. : « Accepter qu'il puisse être permis de décider qui mérite de vivre et qui ne le mérite pas, serait détruire la base de notre engagement. » S'il ne s'agit pas là d'une simple « parole verbale », [PAGE 20] comme disait Marcel Pagnol, est-ce que la question de décider qui mérite ou non d'être membre d'A.I.S.F. ne pose pas un problème du même ordre ? Le chemin où vous vous êtes engagés bien légèrement en excluant ou faisant exclure Mongo Beti, ne risque-t-il pas de vous faire tourner le dos à l'engagement fondamental d'A.I. de tolérance et de respect actif de la liberté d'expression ? Vous êtes-vous posé la question : Qu'en aurait pensé Voltaire ?

Aimé Léaud répond encore au groupe de Lons-le-Saunier

« Vous avec le droit d'estimer que les agissements reprochés à Mongo Beti ne constituent pas un motif suffisant d'exclusion. Mais puisque cet avis est en contradiction avec la décision de l'A.G., vous ne pouvez prétendre le faire prévaloir. » Loin de nous, à Perpignan (comme à Lons-le-Saunier, imaginons-nous) une telle prétention ! Nous demandons simplement, pour ceux d'entre nous qui estiment que l'exclusion de Mongo Beti a été une erreur, la possibilité de le dire dans la Chronique. Et nous le demandons au nom de Voltaire.

Tels sont, succinctement présentés, quelques-uns de nos plus notables griefs, désaccords et inquiétudes. Il y en a eu d'autres. Il y en a d'autres. Il y en aura d'autres. Ce n'est pas ce qui nous trouble. C'est conforme à ce que nous attendons d'une organisations démocratique.

Ce qui ne l'est pas, ce que nous ne pouvons admettre c'est que, à l'intérieur d'une association vouée en particulier à la défense de la liberté d'expression, ces griefs, désaccords et inquiétudes ne puissent jamais s'exprimer librement dans la Chronique.

Si cette situation persiste, il est certain que, très vite, ils s'exprimeront autrement, ils s'exprimeront ailleurs. (Mongo Beti aurait-il employé le ton qui lui est justement reproché, si les colonnes d'une tribune libre lui avaient été ouvertes ?)

Qui, alors, portera la responsabilité du préjudice pouvant en résulter pour A.I. et, par suite, pour les prisonniers qu'elle prend en charge ?

Nous attendons une réponse, une vraie réponse, cette dernière précision s'adressant particulièrement à Aimé Léaud qui doit savoir pourquoi.

Bernanos rappelle quelque part que les peuples sont libres par leurs mœurs, non par leurs lois. A Perpignan, les [PAGE 21] soussignés pensent que les mœurs en train de s'instaurer au sein d'A.I.S.F. ne sont pas propices à la liberté. Et ils l'écrivent comme ils le pensent.

Perpignan, le 24 novembre 1978.
(Ce document a été signé par 22 membres du groupe.)

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5

28 juillet 1978

André DEVILLE
Sauzon, 56360 Le Palais

              A AMNESTY INTERNATIONAL
              Section Française
              18, rue de Varenne, 75007 Paris

Dans Le Monde du 15 juillet dernier, j'ai lu avec intérêt l'article intitulé « En Chine – Les autorités n'ont pas répondu à des « demandes d'éclaircissements » d'AMNESTY INTERNATIONAL ».

Au-dessous de cet article, dans un encadré « publicité », j'ai lu avec surprise « QUAND LA SECTION FRANÇAISE D'AMNESTY INTERNATIONAL DECLARE, ELLE AUSSI, SES PROPRES OPPOSANTS INDESIRABLES ».

Je ne suis sans doute pas le premier, ni le seul, à vous signaler cela ? J'ai eu beau ratisser Le Monde, je n'ai jusqu'à ce jour trouvé aucune réponse ni mise au point par AMNESTY.

Bien entendu l'imagination me fournit un éventail d'hypothèses. J'aurais pu m'adresser à l'émetteur de cet encadré (Peuples noirs, Peuples africains : 341, rue des Pyrénées, 75020 Paris) mais je préfère, pour commencer, vous présenter à vous ma « demande d'éclaircissements ».

En attendant je continue, en solitaire ici, mon travail régulier avec AMNESTY.

Bien cordialement.

A. Deville.

Ci-joint : un timbre à 1,20 F pour votre réponse, les passages en question (Le Monde, 15-7-78).
[PAGE 22]

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6

Le 2 août 1978

M. André Deville
Sauzon, 56360 Le Palais

              AMNESTY INTERNATIONAL
              Section Française

Cher Monsieur,

Je réponds à votre lettre du 28 juillet.

L'auteur de la publicité parue dans Le Monde a déjà, en plusieurs occasions lancé publiquement des propos diffamatoires contre notre mouvement. Il en a été exclu par décision du Conseil national de la Section française en novembre 1977, décision qui a été confirmée par l'A.G. de Mulhouse.

La ligne de conduite suivie par A.I. consiste à ne publier des réponses ou des mises au point que lorsque des faits précis sont articulés à son encontre. Je pense que cette manière d'agir est bonne car elle nous évite de tomber dans les pièges de la provocation et de perdre notre temps dans des polémiques inutiles.

Recevez, cher Monsieur, mes cordiales salutations.

Président d'A.I.S.F.
Aimé Léaud,


[PAGE 23]

II

1

Article paru dans « S.O.S. - Cameroun » (bulletin du C.D.A.P.P.C.) mars 1977.
AMNESTY INTERNATIONAL
organisation humanitaire
par Mongo Beti

Les militants africains, les patriotes camerounais notamment, ne connaissent pas ou connaissent très mal Amnesty International : c'est là une situation regrettable. Car, s'il est vrai que les dirigeants de certaines sections nationales et particulièrement ceux de la section d'A.I. de France, sont soumis à de fortes pressions de leurs gouvernements, qui les transforment finalement en alibis de la guerre froide en les paralysant dans certains cas, une connaissance exacte des structures de cette organisation permet de faire circuler une information utile auprès d'un certain publie occidental dont la sincérité militante et démocratique n'est plus à démontrer.

Créée à Londres au début des années soixante, Amnesty International est en réalité une jeune organisation. On la doit à la brusque prise de conscience, dans certaines sphères de la gauche britannique, de l'importance de la répression politique à travers le monde, répression qui se concrétisait alors, comme aujourd'hui, particulièrement par un très [PAGE 24] grand nombre de prisonniers d'opinion, le plus souvent détenus sans procès, maltraités et même torturés dans le secret, au mépris des Droits de l'Homme proclamés par la charte de l'O.N.U. dont sont pourtant membres tous les Etats coupables de ces abus. Pour soulager les souffrances d'hommes et de femmes dont la dignité la plus élémentaire était ainsi bafouée, il s'agissait donc surtout de faire la publicité sur les cas les plus flagrants, dans l'espoir d'amener les gouvernements responsables à organiser des procès publics où les droits de la défense seraient respectés. La tâche que s'assigne Amnesty est donc surtout de dénonciation objective, autant dire d'information. C'est cette particularité qui devrait persuader les militants africains, les patriotes camerounais particulièrement, de s'intéresser aux activités d'A.I., et notamment à sa base présente dans toutes les grandes villes d'Europe Occidentale.

Car en moins de deux décennies, A.I., débordant le territoire britannique, a implanté des sections nationales à peu près dans tous les pays occidentaux, et notamment en France dont la section nationale a pour adresse : 20, rue de la Michodière, 75002 Paris (Tél. : 742-38-76 et 073-18-27).

Il n'y a pas grand-chose à espérer de la direction d'Amnesty International-France dont, comme je viens de le dire, l'inertie est flagrante dès que les intérêts de la France capitaliste sont en jeu - donc il n'y a rien à en attendre à propos de l'Afrique sous domination française. Mais, finalement, ce n'est là qu'un détail, car le mode d'activité d'Amnesty International est extrêmement souple, à l'image de toute institution marquée par le pragmatisme britannique. Par exemple, si les campagnes relatives à un pays particulièrement répressif sont impulsées d'en haut, c'est-à-dire, à l'initiative de la direction nationale, celle-ci, en cas de défaillance, peut subir de la part de sa base, des pressions telles qu'elle soit moralement contrainte de prendre à sa charge des victimes de gouvernements répressifs sur lesquels la France officielle aimerait jeter le voile du silence, C'est que la cheville ouvrière de la structure d'A.I. n'est pas la direction nationale de chaque section, mais les groupes de base qui se constituent spontanément dans les villes, grandes ou petites, et qui sont animées par des bénévoles. Ceux-ci sont toujours des hommes et des femmes de cœur, d'une très grande sincérité, à l'exception de quelques agents infiltrés par le pouvoir capitaliste.
[PAGE 25]

L'initiative vient donc aussi souvent d'en bas que d'en haut.

Chaque groupe de base adopte plusieurs prisonniers dont il se charge de suivre et de faire connaître le plus largement possible la tragédie, quitte à soutenir les victimes moralement et matériellement, tout en harcelant le gouvernement coupable par des lettres ou des télégrammes jusqu'à ce qu'il se résigne à juger le détenu politique au cours d'un procès équitable. Dans la perspective que s'est tracée, A.I., c'est-à-dire contraindre les gouvernements à respecter réellement les Droits de l'Homme auxquels ils proclament, du bout des lèvres, leur attachement, ces méthodes sont d'une efficacité redoutable, comme en témoignent de nombreux cas de relaxe, d'acquittement, de libération de prisonniers d'opinion à travers le monde, grâce à A.I. Cette efficacité est accrue par le fait que A.I., si du moins on ne considère que sa base, est, à l'évidence, totalement indépendant, c'est-à-dire libre de toute inféodation idéologique.

Les Africains qui ont la chance de se trouver en Europe, et particulièrement, les Camerounais, étudiants, travailleurs, militants exilés, doivent donc se mettre en rapport avec le groupe A.I. de leur ville ou de la ville la plus proche de leur résidence. Ils trouveront là des Européens sensibles et ouverts, des militants désintéressés et dévoués, avec lesquels ils ne manqueront pas de nouer des liens fructueux sur tous les plans, et auxquels, en tout cas, ils devront exposer patiemment les tenants et les aboutissants de la répression dans leur pays d'origine, et notamment l'hypocrisie et la barbarie du néo-colonialisme français, malheureusement trop méconnu en Europe occidentale.

De la sorte, il n'y a aucun doute que les Africains, et notamment les patriotes camerounais en exil, parviendront à une large popularisation de leur combat dans l'opinion européenne, à l'instar des Chiliens et de tant d'autres exilés sud-américains, pour ne citer qu'eux. Ce serait déjà, sans aucun doute, un grand pas dans la voie de la libération des pays africains victimes du néo-colonialisme français, l'un des plus cruels qui soient. Car, le système vit surtout du silence qu'il s'impose et impose.
[PAGE 26]

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2

Sorel, le 11 août 1977

Lettre envoyée par M.-J. Protais.

Marie-José Protais
28520 Sorel Moussel
Présidente d'A.I.S.F.
18, rue de Varenne

              Madame Privat
              Rouen

Madame,

Je vous serais reconnaissante de bien vouloir m'adresser copie d'un courrier que vous auriez envoyé à une amie d'un membre Varois d'A.I. que je ne connais pas mais qui, paraît-il, aurait été mis au courant par vous du fait que je servirais certains intérêts franco-africains dans A.I.

Etant donné qu'il vous est impossible d'avoir des preuves d'une si révoltante contrevérité, je pense qu'il est de mon droit de vous demander quels sont les faits qui vous ont amenée à porter une telle accusation.

En effet, le travail effectué par A.I. en Afrique n'est pas satisfaisant car les moyens mis à disposition sont bien trop limités. Croyez bien que je suis mieux informée que vous, Madame, sur ce point. Mais ce que vous ne savez pas non plus, c'est que je suis connue au Secrétariat International, au Comité Exécutif International et à celui de la Section française pour être le porte-parole et souvent l'initiatrice des protestations les plus violentes contre ce qui est fait, et surtout ce qui n'est pas fait, autant que des résolutions réclamant les moyens d'améliorer la situation. Ce que vous ne pouvez pas faire, c'est-à-dire apporter les preuves de ce que vous avancez, je le peux : j'ai les procès-verbaux des Conseils internationaux, des Comités exécutifs et des témoins tout prêts dans les diverses instances pour corroborer ce que j'écris.

Vous avez, Madame, été victime :

– soit de l'imagination trop féconde de quelqu'un qui aurait par ailleurs quelque chose à me reprocher, encore que je ne me connaisse pas d'ennemis personnels dans A.I., ni de raisons pour en avoir, mais peut-être suis-je naïve. [PAGE 27]

– soit d'un machiavélisme plus complexe. Et ici deux possibilités se présentent :

1o Il y a un an, la Revue dont j'étais rédacteur en chef fusionnait avec une publication du Ministère de la Coopération. Certains groupes de pression proches de ce Ministère, c'est-à-dire des intérêts français en Afrique, ont vu d'un très mauvais œil le fait de se voir imposer une rédactrice en chef qui n'était pas « à leurs bottes », mais connue pour son indépendance d'esprit, son refus de toute compromission et surtout pour ses activités à A.I. Aussi dès que mon patron, ami et tuteur dont la droiture, le dégoût des « mics-macs » et le dévouement aux droits de l'homme avaient la réputation, je veux parler de Pierre Juvigny, est mort, il n'a fallu que quelques mois pour que ces personnes se débarrassent de moi. Il leur a suffi de couper les crédits pour obtenir immédiatement mon licenciement « pour cause de restrictions budgétaires ». Mais comme je suis journaliste et que je peux donc faire connaître certaines causes de mon licenciement, il se peut que l'on cherche à me discréditer pour ôter tout poids à ce que je raconte ou écris.

2o Autre possibilité : Certains gouvernements ont toujours chercher à discréditer A.I. : notamment actuellement l'Iran qui mise la carte de la division interne dans A.I., et l'URSS qui, par exemple, par Ethiopiens interposés, tente de dénigrer le travail d'A.I. en Afrique pour détourner l'attention de l'opinion publique sur le rapport « conditions de détention en URSS ».

Il se trouve que j'ai eu à m'occuper en priorité de l'Iran au soin du Comité International, ou encore que j'ai été personnellement accusée dans un journal soviétique d'avoir la parole au meeting Pliouchtch et au meeting Gluzman (et altri). Il se pourrait donc que quelqu'un ait reçu instruction, ou simplement en ait pris l'initiative, de faire d'une pierre deux coups.

Voyez-vous, Madame, vous vous êtes laissée influencer et vous avez porté préjudice à quelqu'un qui, précisément en ce moment, n'en a pas besoin professionnellement (je cherche en effet du travail désormais et ma spécialité est le développement du Tiers-monde), ou peut-être êtes-vous l'instrument involontaire d'une mauvaise machination. Mais surtout, et ceci est beaucoup plus grave à mes yeux, vous avez commis une faute impardonnable contre A.I. : car si [PAGE 28] vous êtes convaincue de ce que vous avancez, il eût été de votre devoir d'immédiatement informer les autres membres du Comité Exécutif ou mieux encore l'instance suprême d'A.I.S.F., l'Assemblée Générale. Mais vous ne deviez pas tolérer que cette organisation, que vous respectez puisque vous y militez, soit présidée par une personne que vous soupçonnez de ce que vous me reprochez.

C'est pour cela que, puisque vous avez touché à mon honneur dans ce qu'il a de plus sensible, j'exige que vous me donniez copie de votre correspondance avec les membres Varois d'A.I. Ensuite que vous adressiez photocopie de cette lettre à ces personnes ainsi qu'à toute autre de la Section française, suédoise ou autre à qui vous auriez écrit de semblables diffamations. Faute de quoi je vous demanderais de venir témoigner devant le prochain Conseil National d'A.I.S.F.

Je vous informe ici que je demanderai par courrier à M. Mongo Beti, qui habite également Rouen, de prendre rendez-vous avec moi. Lorsqu'en mars dernier il avait signé un article critiquant le travail d'A.I. en Afrique, j'avais considéré ceci assez justifié pour « oublier » les accusations, d'ailleurs non personnalisées, qu'il portait contre « des dirigeants de la Section française ». Mais les vôtres sont précises. Il semble donc qu'à Rouen courent des accusations intolérables. Je saurai en découvrir la cause afin de les arrêter immédiatement. Vous savez que la raison première pour laquelle je milite dans A.I. est mon horreur de l'injustice et, puisque vous y militez aussi, j'espère que vous aurez à cœur la recherche de la vérité. Je vous remercie de me faire connaître les mesures que vous avez prises sans délai comme je vous le demande ci-dessus et je vous prie de recevoir, Madame, mes salutations.

Marie-José PROTAIS, Présidente A.I.S.F.


[PAGE 29]
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3

Lettre de M.-J. Protais à Mongo Beti.

Monsieur,

J'avais entendu dire que vous étiez membre d'A.I. et que vous aviez assisté à la dernière assemblée générale; or, je ne trouve pas votre nom à nos fichiers. J'espère cependant que cette lettre vous touchera par un canal ou un autre.

Je souhaiterais vivement pouvoir vous rencontrer personnellement dans les plus brefs délais au sujet des problèmes soulevés par un article que vous avez rédigé dans le Courrier des étudiants camerounais (numéro de mai dernier, je crois) concernant Amnesty.

Je vous serais reconnaissante de me téléphoner, soit chez moi 533-88-73 le matin, soit encore à A.I. 22-91-32 où l'on pourra prendre votre message proposant un rendez-vous ou mieux encore me donnant votre numéro de téléphone, car je suis difficile à toucher.

Dans l'attente de votre très prompte réponse, je vous prie de recevoir mes sentiments les meilleurs.

Marie-José PROTAIS,
Présidente A.I.S.F.

Quelques observations :

Mongo Beti était inscrit à Amnesty International sous son véritable nom : Alexandre Biyidi-Awala.

Mongo Beti n'a rien publié dans le « Courrier des étudiants camerounais », pour cette raison extrêmement simple, c'est que cette publication n'a jamais existé. Il faut d'ailleurs croire que Marie-José Protais, qui est incapable de fournir la référence de l'article qu'elle m'attribue, ne l'a pas lu. On voit mal dans ces conditions pourquoi Marie-José Protais, si mal informée et, en vérité, si peu soucieuse de connaître les problèmes africains, désire me rencontrer personnellement. Est-ce pour m'entretenir de ragots ?
[PAGE 30]

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4

Lettre de Mongo Beti à M.-J. Protais.
Alexandre Biyidi-Awala (Mongo Beti)
Président du C.D.A.P.P.C.
6, rue d'Harcourt
76000 Rouen

Madame,

C'est aujourd'hui seulement que, revenant de vacances, je reçois votre lettre qui, malheureusement, n'est pas datée.

Il est exact que je suis membre d'A.I., mais sous mon vrai nom indiqué ci-dessus à gauche,

Je lis dans votre lettre que vous souhaitez vivement me rencontrer personnellement dans les plus brefs délais. Permettez-moi de vous confier que je n'en vois guère la nécessité en ce qui me concerne. Je n'ai pas publié un article dans le Courrier des Etudiants Camerounais (au demeurant inconnu de moi) pour la raison qu'à mon âge il serait anormal que j'écrive dans le Courrier des Etudiants Camerounais, s'il existe.

En revanche, j'ai publié en mai de cette année dans S.O.S. Cameroun, le bulletin du C.D.A.P.P.C. (Comité pour Défendre et Assister les Prisonniers Politiques au Cameroun) dont je suis le modeste président, une brève étude sur Amnesty International, section France. Il est tout à fait exact que j'ai écrit dans cette brève étude que les dirigeants d'Amnesty France sont asservis aux intérêts de l'impérialisme français en Afrique noire et plus précisément au système, qui a remplacé la colonisation tout en prolongeant le maintien des intérêts de la France, et qui est appelé Coopération.

Il est dit quelque part dans la Constitution française que tout citoyen est libre d'exprimer ses opinions, étant entendu qu'il en assume l'entière responsabilité. J'ai donc exprimé librement mon opinion et j'accepte d'en assumer la pleine responsabilité, de quelque façon que cela doive se faire.

Je ne vois donc aucun inconvénient à ce que vous m'assigniez devant un tribunal compétent, si vous vous estimez diffamée, ou que vous me convoquiez devant une instance d'Amnesty International Section France où je répéterai ce [PAGE 31] que j'ai déjà dit, et dont je suis plus que jamais persuadé, à savoir que les dirigeants d'Amnesty-France ont partie liée avec la Coopération franco-africaine et que, de ce fait, ils ne sauraient être qualifiés, comme ils l'ont toujours montré d'ailleurs, pour dénoncer les crimes commis, contre les droits de l'homme dans les dictatures sanguinaires installées et protégées par la France en Afrique Noire, et notamment dans un pays que je connais bien, puisque c'est celui où je suis né, le Cameroun. Je tiens à la disposition du tribunal qu'il vous plaira de désigner une longue liste des carences les plus flagrantes d'Amnesty-France en ce domaine, carences dont je serais bien étonné qu'elles soient toutes le fait d'un hasard, sans compter d'autres preuves,

En attendant de connaître votre décision, je vous prie d'agréer, Madame, l'assurance de mes sentiments distingués.

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5

Toulon, le 2 novembre 1977

AMNESTY-INTERNATIONAL
Section Française
Aimé Leaud
Chemin de la rivière
Bd Jean-Baptiste-Abel
83000 Toulon

              M. Alexandre Biyidi-Awala
              6, rue dHarcourt
              76000 Rouen

Monsieur,

A la suite de la lettre que vous avez adressée le 15 septembre dernier à Maris-José Protais, présidente de la Section française D'AMNESTY INTERNATIONAL, le Comité Exécutif a décidé d'entendre vos explications au sujet de certaines de vos prises de position à l'égard de notre mouvement et de ses dirigeants.

Vous êtes donc prié de vous présenter devant le Comité Exécutif lors de sa réunion du 10 novembre 1977, 18, rue de Varenne, à 21 heures.
[PAGE 32]

Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

Vice-Président du Comité Exécutif.
Aimé LEAUD,

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6

Toulon, le 8 novembre 1977

AMNESTY INTERNATIONAL

Section Française
Aimé Leaud
Chemin de la rivière
Bd Jean-Baptiste-Abel
83000 Toulon

              M. Alexandre Biyidi-Awala
              6, rue d'Harcourt
              76000 Rouen

Monsieur,

Je réponds à votre lettre par laquelle vous me faites savoir qu'il ne vous est pas possible de vous libérer le 10 novembre pour venir fournir au C.E. les explications qu'il vous a demandées.

Les dates de réunion du Comité Exécutif sont fixées en fonction des possibilités de déplacement de ses membres de province, dont certains résident très loin de Paris. C'est pourquoi nous sommes obligés d'établir notre calendrier sans tenir compte de vos préférences, ce que nous regrettons.

La date du 17 novembre que vous proposez ne pouvant être retenue, nous sommes obligés de renvoyer notre rencontre à la plus prochaine réunion du C.E. qui aura lieu le samedi 26 novembre. Nous vous demandons donc de venir à cette date, rue de Varenne, à 20 h 30. Nous avons noté que vous serez accompagné d'un avocat dont vous souhaitez que le témoignage soit entendu par le C.E. Ce témoignage aura toute notre attention.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

vice-Président du Comité Exécutif.
Aimé LEAUD,

[PAGE 33]

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7

Le Conseil national de la Section française d'Amnesty International réuni le 26 novembre 1977 à Paris,

Considérant que dans un article intitulé « Amnesty International, organisme humanitaire » paru dans la revue « S.O.S. Cameroun » de mars 1977, M. Mongo Beti, membre d'Amnesty International et affilié au groupe France 15 s'est exprimé dans les termes suivants :

« Car s'il est vrai que les dirigeants de certaines sections nationales d'A.I. de France, sont soumis à de fortes pressions de leurs gouvernements qui les transforment finalement en alibis de la guerre froide en les paralysant dans certains cas, une connaissance exacte des structures de cette organisation permet de faire circuler une information utile auprès d'un certain public occidental dont la sincérité militante et démocratique n'est plus à démontrer »,

et plus loin :

« il n'y a pas grand-chose à espérer de la direction d'A.I. France dont, comme je viens de le dire, l'inertie est flagrante dès que les intérêts de la France capitaliste sont en jeu »,

et plus loin :

« Ceux-ci (des bénévoles) sont toujours des hommes et des femmes de cœur, d'une très grande sincérité, à l'exception de quelques agents filtrés par le pouvoir capitaliste »;

Considérant que ces textes ont été publiés sans que M. Mongo Beti ait au préalable averti la Section française des accusations qu'il formulait contre elle; qu'après plusieurs demandes et tentatives amiables du bureau exécutif Pour que de telles allégations fussent précisées, le Conseil national a décidé d'entendre M. Mongo Beti; que pressé de justifier les faits qu'il avançait, M. Mongo Beti n'a pu en apporter la preuve; qu'il a cependant maintenu ses accusations à l'encontre des autorités élues de la Section française et manifesté son intention de les formuler à nouveau;

Considérant qu'une telle attitude prive l'intéressé de toute [PAGE 34] possibilité d'action efficace et impartiale au sein de l'organisation pour la défense des prisonniers d'opinion; que de reste, les propos calomnieux de M. Mongo Beti sont incompatibles avec son appartenance à Amnesty International,

décide :

M. Alexandre Biyidi Awala, dit Mongo Beti, est exclu d'Amnesty International.

Copie certifiée conforme à l'original déposé aux Archives de l'organisation :

Aimé LEAUD,
Président du B.F.
d'Amnesty International
Section française.

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8

              Mme Janine Ertaud, g. 15
              22, rue Brisout-de-Barneville
              76100 Rouen

N/Réf. 77975 JH/CC

Chers Amis,

Après avoir très longuement entendu M. Mongo Beti, le Conseil National a pris le samedi 26 novembre dernier la décision ci-jointe, qui exclut l'intéressé d'Amnesty International. Vous imaginerez qu'une telle position n'a pas été prise sans de longues discussions, au cours de laquelle toutes les réponses de Mongo Beti ont été examinées et pesées : c'est pourtant à l'unanimité que le Conseil National s'est prononcé. Il vous appartient donc, en exécution de cette décision, de vous faire remettre tout document intéressant vos prisonniers qui pourraient être entre les mains de Mongo Beti et de lui refuser désormais de travailler avec vous.

Au cas où Mongo Beti vous annoncerait son intention de faire usage de la décision prise à son encontre, peut-être pourriez-vous lui préciser qu'aucun élément de ce texte, qui est constitué par une seule phrase, ne saurait être séparé de son contexte.
[PAGE 35]

Croyez, je vous prie, Chers Amis, à tous mes meilleurs sentiments.

Aimé LEAUD,
d'Amnesty International
Président du B.E.
Section française.


[PAGE 36]

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III

1

Rouen, le 25 février 1978

Alexandre Biyidi-Awala
(dit Mongo Beti)
6, rue d'Harcourt
76000 Rouen

              Monsieur le Président
              d'AMNESTY INTERNATIONAL
              Section française

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous informer que je fais appel auprès de l'Assemblée Générale qui se tiendra au mois de mai à Mulhouse du verdict d'exclusion, prononcé contre moi, dans des conditions de totale illégalité, à la suite de mon audition par le Comité Exécutif le 26 novembre 1977.

Croyez, Monsieur le Président, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

Alexandre BIYIDI-AWALA.


[PAGE 37]
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2

Rouen, le 6 avril 1978

Alexandre Biyidi (Mongo Beti)
6, rue d'Harcourt
76000 Rouen

              à Me Aimé Leaud,
              Président d'Amnesty International
              Section française
              18, rue de Varenne, 75007 Paris

Monsieur le Président,

Je voudrais vous entretenir de mon appel auprès de l'Assemblée Générale au mois de mai prochain et des conditions techniques de sa réalisation.

Je ne vois que deux méthodes possibles

1o A l'ouverture de l'Assemblée Générale, chacune des deux parties propose à l'assistance la procédure qui lui semble la meilleure. Et l'Assemblée Générale se prononce souverainement. Cette procédure me paraît d'autant plus souhaitable qu'elle pourrait ensuite faire jurisprudence, étant donné, semble-t-il, que les statuts de l'organisation n'ont pas prévu de procédure d'exclusion, et que la situation créée par mon exclusion est sans précédent.

2o Avant l'ouverture de l'Assemblée Générale, les deux parties se mettent d'accord sur une procédure.

De toute façon, il ne saurait être question de renouveler la tactique grossière dont j'ai été victime en novembre 1977, et qui a consisté, pour les dirigeants d'Amnesty, à la fais juge et partie, à m'entraîner, à mon corps défendant, dans un engrenage de bonne volonté dont le résultat fut de me livrer à une souricière, en m'obligeant, moi seul confronté à plusieurs individus hostiles, ignorant les sanctions que j'encourais face à des gens qui avaient déjà décidé de m'exclure, à jouer la parodie d'un procès démocratique, bien conforme à la tradition de certains totalitarismes, nouvelle occasion pour moi, si j'en avais besoin, d'apprendre qu'il est difficile, sinon impossible de s'exprimer librement dans le cadre d'Amnesty Section française.

Veuillez croire, M. le Président, à l'expression renouvelée de mes sentiments les meilleurs.
[PAGE 38]

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3

Toulon, le 5 mai 1978

M. Biyidi-Awala
6, rue d'Harcourt
76000 Rouen

Monsieur,

J'ai donné connaissance au Conseil National de votre lettre du 6 avril.

Comme vous le remarquez, ni les statuts, ni l'actuel règlement intérieur ne prévoient de procédure particulière en matière d'exclusion.

Il appartiendra à l'Assemblée Générale de prendre toute décision utile en ce qui concerne les modalités d'examen de votre recours.

Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

Président du Bureau Exécutif.
Aimé LEAUD,

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4

SF 77584

AMNESTY INTERNATIONAL
Section française
18, rue de Varenne
75007 Paris
Tél. : 222-91-32
C.C.P. : 30.160.16 U La Source

INTERNE

EXTRAIT DU COMPTE RENDU
DE L'ASSEMBLÉE GENERALE
DE L'ASSEMBLEE REGIONALE DE NORMANDIE

... Il résulte de cet échange de vues... qu'un certain [PAGE 39] nombre de faits étaient méconnus respectivement du groupe 15 et du C.B. de la S.F. Ainsi :

– La lettre d'Odette Privat, du 4 juin 1977, à un groupe suédois avec adresse à en-tête du groupe 15, et mettant en cause le passé colonialiste de la France et de la Grande-Bretagne en Afrique, pour expliquer une main-mise du Quai d'Orsay sur le C.E. d'A.I.S.F. Cette lettre était inconnue du groupe 15 et encore plus le fait qu'elle était écrite en leur nom.
– La réponse de Mongo Beti, écrivain camerounais et membre du groupe 15, à Marie-José Protais, en date du 15 septembre 1977 et les termes insultants qu'elle contient à son égard ont aussi été une découverte pour le groupe 15,, sans parler du fait que Mongo Beti ait signé en tant que Président du C.D.A.P.P.C. et non en tant que membre d'A.I. (alors qu'il s'adressait à la Présidente de l'association à laquelle il appartient, sur un sujet ne concernant que cette association).
– Le groupe 15 a d'autre part appris avec étonnement l'existence de 3 courriers envoyés par le chercheur Afrique de Londres (Austin) à Mongo Beti en octobre et décembre 1976 lui demandant des informations sur des prisonniers camerounais et sur lui-même et auxquelles Mongo Beti n'a jamais répondu alors qu'il s'est contradictoirement toujours plaint de l'insuffisance des informations produites par A.I. sur son pays.
– Enfin, le groupe 15 ne connaissait pas l'existence du virulent article de Mongo Beti sur le Cameroun, paru (en 1977) dans la revue « Croissance des Jeunes Nations », et dont la présentation ambiguë a pu faire croire à l'Evêque de Yaoundé qu'il s'agissait d'informations extraites d'un rapport d'A.I., rapport dont il a violemment contesté le bien-fondé. Cet évêque ayant semblé jusqu'alors peu critique vis-à-vis d'A.I., cet article met ainsi en péril notre crédibilité, à un niveau qui peut avoir de graves conséquences sur notre action en Afrique. (Le groupe demande d'ailleurs a recevoir copie de cet article.)

Réciproquement, le C.E. pouvait penser que

– Odette Privat parlait au nom de tout le groupe 15.
– Le groupe 15 connaissait la teneur des articles et des réponses de Mongo Beti.
– Le groupe 15 était, en conséquence, partie prenante dans les accusations d'Odette Privat et Mongo, Beti.
[PAGE 40]
– Mongo Beti était membre actif d'A.I., ce qui s'est révélé très relatif aux dires des membres présents du groupe 15.

Or, la lettre du 27 septembre du groupe 15 à Marie-José Protais et la demande d'entrevue qu'elle contenait n'avait d'autre but que de susciter des explications par qui de droit, à la place d'une réponse écrite par Odette Privat et que celle-ci demandait au groupe d'envoyer au nom de tous. Cette réponse avait été jugée fort déplacée par le groupe, d'où sa décision d'envoyer un autre texte. Enfin, le groupe 15 a, en la personne des deux membres cités plus haut, nettement précisé qu'il se démarquait des déclarations d'Odette Privat et de Mongo Beti au vu des éléments nouveaux que nous leur avons apporté.

Il semble donc :

– que cette controverse n'engage plus que deux personnes seulement, Odette Privat et Mongo Beti;
– qu'Odette Privat n'ait pour l'instant lancé ses accusations que sur un plan interne;
– que Mongo Beti, par contre, leur ait donné un retentissement public fort regrettable.

RECOMMANDATIONS

– L'attitude du groupe 15 semble ne résulter que d'un manque d'information et d'une certaine maladresse : le Conseil National devrait en prendre acte, quitte à lui demander (éventuellement) une confirmation écrite de sa position actuelle.
– Etant donné d'une part le désir du groupe 15 de rappeler ses membres au sens de la discipline et de la procédure à suivre en cas de problème grave au sein d'A.I.; et étant donné d'autre part la personnalité tourmentée d'Odette Privat, qui peut expliquer son inflation verbale (alors que son action, en tant que membre d'A.I. est efficace à bien des égards), je pencherais pour que le C.N., solidaire de Marie-José Protais, manifeste par une lettre commune à Odette Privat sa réprobation devant un tel manque de rigueur de sa part, informe les personnes par elle contactées (groupe suédois, membres du groupe Saint-Raphaël), mais ne prenne pas de sanction à son égard.
– Par contre, je souhaiterais que l'actuel C.N., toujours en pleine solidarité avec Marie-José Protais, interpelle sans [PAGE 41] tarder M. Mongo Beti (devant le C.E. de novembre, par exemple, en exigeant de lui :


* qu'il justifie les accusations portées contre A.I., et particulièrement contre le C.E. d'A.I.S.F. et Marie-José Protais;


* qu'il se justifie d'avoir porté le débat sur la place publique sans avoir fait usage auparavant de procédures internes à A.I., alors qu'il est membre de notre mouvement;

et que l'exclusion de Mongo Beti soit envisagée en cas de refus.

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5

ASSEMBLEE REGIONALE CONSTITUTIVE
22 octobre 1977

Cette assemblée réunissait deux régions : Haute et Basse Normandie, la Basse Normandie n'ayant ni le nombre de groupes ni le nombre de membres individuels suffisants pour se constituer elle-même en région.

Etaient présents :

Teddy FolIenfant et Josette Bos représentant le bureau de Paris,

28 membres A.I. de Haute Normandie, 21 membres A.I. de Basse Normandie.

Il a d'abord été voté la constitution de la Haute Normandie en région, puis le rattachement de la Basse Normandie, ceci à titre provisoire, jusqu'à ce qu'elle puisse se constituer elle-même en région.

Ces deux votes ont été acquis à l'unanimité des présents.

Nous avons ensuite abordé l'élection du Secrétaire Régional. Sa fonction a été ainsi définie :

– Il doit être courroie de transmission entre Paris et Province, donc en relations régulières avec les groupes Paris (il fait partie du C.N.), mais il ne fait pas écran, et un groupe désirant entrer en [PAGE 42] contact directement avec l'un ou l'autre des responsables peut toujours le faire.

– Il assure la coordination entre les adhérents de sa région (groupes et individuels).

Il y avait une seule candidature, celle de J.-M. Couronne, membre du groupe 15. Il n'avait pas pu être présent pour raison familiale, Et il n'y avait aucune candidature pour le poste de remplaçant.

Malgré son absence, il a été élu Secrétaire Régional par les présents (moins 4 bulletins blancs et 4 NON).

Son mandat prendra fin à la prochaine A.R. Cette période courte devra permettre de mieux définir cette nouvelle fonction et de régler par l'expérience les problèmes qui se présenteront (problème financier en particulier).

La prochaine A.R. devra obligatoirement avoir lieu avant l'Assemblée Générale fixée au mois de mai.

Jean-Marie Couronne, 33 ans, professeur d'Allemand à l'Institut National Supérieur de Chimie Industrielle de Rouen. Domicile : 4, Parc de la Touques, 76130 Mont-Saint-Aignan. Tél. : (35) 74-08-06.

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6

Paris, le 10 juin 1978

AMNESTY INTERNATIONAL
Section française
Commission des recours

La Commission désignée par l'Assemblée Générale d'Amnesty International – Section française, le 28 mai 1978, réunie le 10 juin 1978 à Paris pour statuer sur le recours de M. Alexandre Biyidi-Awala (Mongo Beti) contre la décision d'exclusion prise à son égard par le Conseil National le 26 novembre 1977,

Considérant que dans un article intitulé « Amnesty International, organisation humanitaire » paru dans la revue « S.O.S. Cameroun » de mars 1977, M. Alexandre Biyidi Awala, membre d'Amnesty International, a écrit :

« Car, s'il est vrai que les dirigeants de certaines sections [PAGE 43] nationales d'A.I., et particulièrement ceux de la Section d'A.I. de France, sont soumis à de fortes pressions de leurs gouvernements, qui les transforment finalement en alibis de la guerre froide en les paralysant dans certains cas, une connaissance exacte des structures de cette organisation permet de faire circuler une information utile auprès d'un certain public occidental dont la sincérité militante et démocratique n'est plus à démontrer. »

Et plus loin :

« il n'y a pas grand-chose à espérer de la direction d'Amnesty International France dont, comme je viens de le dire, l'inertie est flagrante dès que les intérêts de la France capitaliste sont en jeu – donc il n'y a rien à en attendre à propos de l'Afrique sous domination française. »

Considérant que ces textes ont été publiés sans que M. Mongo Beti ait au préalable averti la Section française des accusations qu'il formulait contre elle,

Considérant que ces affirmations, qui n'ont pas été déniées par l'intéressé, bien qu'il ait pu contester à juste titre d'autres éléments du dossier présenté à l'Assemblée Générale du 28 mai 1978, sont particulièrement graves : en effet elles portent incontestablement préjudice à Amnesty International et par suite aux prisonniers qu'elle prend en charge,

Considérant en outre que M. Mongo Beti n'a nullement apporté la preuve de ses assertions en établissement des cas précis « d'inertie » due à des pressions gouvernementales exercées sur les dirigeants de la Section française d'Amnesty International,

Considérant que ces affirmations sont peut-être dues au fait que M. Mongo Beti n'a pas cherché à connaître les modalités spécifiques du travail d'Amnesty International,

Mais considérant que cette ignorance révèle une méconnaissance grave du devoir qui s'impose à tout membre d'Amnesty International d'avoir le souci de ne porter préjudice ni aux prisonniers ni à Amnesty International, décide à la majorité :

Le recours de M. Mongo Beti est rejeté.

    A. Huet groupe 9
    J.-Luc Gibelin groupe 44
    C. Caron groupe 4
    Georges Collet groupe 42
    [PAGE 44]

    A.-M. Lallemant groupe 27
    Monique B. Thévenet groupe 50
    Cl. Dufour groupe 8 Nancy
    Ambroise Laurent groupe 92
    Christian Bois groupe 36 Rueil-Malmaison

[PAGE 45]

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IV

1

Le 7 juin 1978

Groupe 159 Le Puy A.I.
5, rue du Riou
43000 Le Puy

              (à Mongo Beti)

Monsieur,

Nous avons été très inquiétés par les accusations que vous lancez contre le Bureau Exécutif d'A.I., Section française. Si elles étaient vérifiées, le crédit que nous accordons à notre organisation serait très entamé.

Nous pensons d'autre part que les méthodes employées par le B.E. pour tenter de vous exclure d'A.I. ne sont pas dignes d'un mouvement qui se veut attaché à la liberté d'expression.

Dans un but d'information et d'honnêteté, nous aimerions que vous apportiez de manière interne à A.I., des précisions sur vos accusations.

Nous espérons qu'un effort de compréhension et d'explication des deux points de vue, permettra aux membres de notre groupe de voir un aboutissement clair à cette affaire.

Les membres du groupe 159 présents à la réunion du 7-6-78 :
[PAGE 46]

Gérôme, A. Markussa, C. Ellenberger, Marguerite Prénimey, J.-F. Perrier, M. Amat, C. Ruat, Marie-Claude Roux, P. Barry, P. Présumey, 0. Laoste, Hélène Dauga, Delille, Ph. Héry, G. Leblanc.

P.S. : Veuillez trouver ci-dessous la copie du message

que nous adressons ce même jour au Bureau Exécutif, signé par les mêmes personnes.

« Emus et inquiets à la fois par la gravité des accusations lancées par Mongo Beti et par les méthodes utilisées par le Bureau Exécutif pour procéder à son exclusion, nous vous demandons de suspendre[1] immédiatement cette procédure d'exclusion et de faire, avec toute I'honnêteté et le respect de la liberté d'expression à laquelle nous sommes attachés, toute la lumière sur cette affaire « afin que la confiance que nous avons toujours accordée à A.I. ne soit pas entamée.

Nous pensons qu'il est du devoir d'A.I. de montrerqu'en son sein même, la clarté, la justice, le sens du dialogue pour lesquels nous nous battons partout ailleurs, sont appliqués et présents.

Les membres du groupe 158 Le Puy présents à la réunions du 7-6-78 »

*
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2

1er septembre 1978

Francis Meyer
10, rue Daniel-Hirtz
67000 Strasbourg

              Monsieur Aimé Léaud
              Président d'A.LS.F.

Ma première rencontre avec Mongo Beti date de [PAGE 47] l'Assemblée Générale de Dijon où nous avons échangé nos points de vue sur les Droits de l'Homme en Afrique Noire et sur les carences d'A.I. et surtout d'A.I.S.F. dans ce domaine. Autant vous dire que la convergence de vues fut totale.

C'est pourquoi, dans un but d'information et de sensibilisation, j'ai décidé, en accord avec mon groupe, de le faire venir à Strasbourg pour parler au publie alsacien des prisonniers d'opinion au Cameroun, son pays d'origine. La conférence de presse et surtout la réunion-débat connurent un franc succès. Lorsque les propos de notre invité dépassaient le cadre spécifique d'A.I., j'ai toujours attiré l'attention des auditeurs sur le fait que ses analyses n'engageaient que lui, ceci dans un souci de clarté.

D'ailleurs, nous avons enregistré avec satisfaction pendant cette période que le taux d'adoption en Afrique Noire francophone était nettement en hausse, preuve que les démarches et les propos de Mongo Beti étaient justifiés et utiles.

Là-dessus, en 1977, la Section française a cru bon d'exclure l'intéressé du mouvement à cause de ses prises de position; opération parfaitement injustifiée d'une part et nuisible pour A.I. d'autre part car la crédibilité du mouvement est sérieusement entamée par cette exclusion arbitraire et non pas par les propos et les écrits engagés de l'exilé africain.

J'ai personnellement tout essayé – notamment à Mulhouse – pour éviter son exclusion définitive d'ailleurs entachée de graves irrégularités. Ce n'est pas le rectificatif publié bien tardivement d'ailleurs (et sur la demande expresse du Secrétaire de la Région de Normandie) qui gommera le faux et l'usage de faux qui a servi à exclure Mongo Beti (cf. Editorial du no 3 de Peuples noirs-Peuples africains).

Ne pouvant supporter plus longtemps l'injustice qui frappe un militant, je me résous donc à quitter la Section française. C'est pourquoi j'adresse par la présente ma démission du groupe 77 dont j'étais le secrétaire depuis 2 ans. Cette décision ne concerne que moi et n'exclut nullement le fait que le groupe 77 et d'autres peut-être puissent déposer un nouveau recours à l'A.G. de Nantes.

P.S. : J'espère que vous aurez l'honnêteté de publier ma lettre de démission dans la Chronique.[2]
[PAGE 48]

3

SF 78 G 505
DISTR. : C

27 juillet 1978

de : Le Président de la Section française
à : Groupes

RECTIFICATIF

L'Assemblée Générale de Mulhouse ayant demandé une information sur le cas de Mongo Beti, tous les documents se rapportant directement ou indirectement à ce cas ont été photocopiés et distribués aux participants de l'A.G.

La pièce No 5 de ce dossier est improprement intitulée :

« Extrait du compte rendu de l'Assemblée Régionale de Normandie ».

Il s'agit en effet du compte rendu d'une conversation qui eut lieu le 22 octobre 1977, à l'occasion de cette assemblée régionale, entre deux membres du Comité Exécutif et trois membres du groupe 15 de Rouen.

La lecture du document ne permet d'ailleurs pas de confusion puisque son auteur s'exprime à la première personne dans les « recommandations » qui en constituent la dernière partie.

Le Secrétaire Régional de Haute Normandie précise qu'à aucun moment, il n'a été question du cas de Mongo Beti au cours de l'Assemblée Régionale elle-même.

*
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4

Rouen, le 15 septembre 1978

Edith Trochard
62, rue Thomas-Dubose
76000 Rouen
Tél. : 71-09-90

              J.-M. Couronne,
              Secrétaire régional A.I. [PAGE 49]
              4, Parc de la Touques
              Mont-Saint-Aignan

Ami,

Suite à notre réunion de groupe, du 12 septembre, et plus particulièrement au sujet de notre protestation concernant l'exclusion de Mongo Beti, je tiens à vous faire connaître que je n'accepte pas les termes de cette protestation qui sont, je crois « le groupe 15 s'incline devant la décision de la commission ».

Je ne m'incline jamais devant une injustice.

Pour ma part il ne m'est pas possible de m'incliner devant la décision d'une commission dont les membres ont été conditionnés, je ne trouve pas d'autre explication à leur attitude hostile.

Comme vous le savez, j'ai assisté à cette commission aux côtés de Mongo Beti, et l'ai enregistrée, il est donc possible de savoir comment les choses se sont déroulées.

Tout d'abord nous avons attendu, convoqués pour 14 heures, nous avons été reçus vers 15 heures, le temps nécessaire à la mise en condition de la commission. L'audition de chaque partie a été réalisée séparément, elle aurait dû être contradictoire.

Au cours de la séance deux choses ont retenu mon attention, d'une part un membre de la commission a dit : « M-J. Protais a reconnu que l'action de Mongo Beti au sein d'A.I. pour l'Afrique avait été bénéfique. » D'autre part, Mongo Beti a déclaré : les choses ont évolué à A.I. en ce qui concerne l'Afrique, depuis un an environ; ces deux points positifs, étaient suffisants pour arriver à une solution convenable et ne pas se laisser aller à cette extrémité qu'a été l'exclusion.

En ce qui concerne le dossier utilisé par la commission, et qui a été diffusé à l'A.G. de Mulhouse, vous savez qu'il comporte un document erroné, vous avez du reste essayé d'apporter une rectification au cours de l'A.G. de Mulhouse, mais Marc Schveyer animateur de l'Assemblée vous a refusé la parole...

Ce document, présenté comme un compte rendu d'une Assemblée Régionale de Normandie, est en réalité un amalgame de « on dit » de couloir; ceux qui ont pris l'initiative de diffuser et d'utiliser un tel document sont inconséquents, et portent une grande responsabilité dans les difficultés que nous allons rencontrer. [PAGE 50]

Enfin, je vous demanderai de me communiquer aussitôt que possible les adresses des groupes de France. Je connais cette affaire depuis son début et l'ai suivie, il est normal que je communique mes informations à ce sujet, bien entendu je le ferai à titre personnel.

Il serait souhaitable que les groupes suscitent une Assemblée Générale extraordinaire, il faut terminer cette affaire, dans l'intérêt même de notre travail au sein d'A.I. Vous savez bien que, même dans un groupe comme le nôtre dans lequel tous nous sommes contre l'exclusion de Mongo Beti, nous nous laissons aller à des discussions qui, à la longue, risquent d'être préjudiciables aux prisonniers pour lesquels nous devons mobiliser notre énergie. Les équipes réalisant un travail effectif sont trop restreintes pour les distraire à des problèmes internes. Pour nous sortir de ce malaise qui va croissant, je ne vois donc qu'une Assemblée Générale extraordinaire, qui seule pourra régler ce problème en toute équité.

Bien amicalement.

*
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5

Edith TROCHARD.
Le 16 octobre 1978

Mme Privat
62, rue Thomas-Dubose
76000 Rouen

              CONSEIL NATIONAL
              A.I. Section française
              18, rue de Varenne
              Paris

Messieurs,

Mesdames,

Mon groupe m'a informée, il y a quelques mois, qu'une pièce officielle étonnante, SF 77 584, avait été diffusée à l'Assemblée Générale de Mulhouse.

Il a été convenu, au cours de la réunion de groupe de juin, que j'y répondrai, mais seulement après les vacances, afin d'être assurée que cette lettre puisse bien atteindre chacun.

Avant que je ne rédige celle-ci, un examen de nos archives [PAGE 51] a été fait en séance de travail le 29 septembre 1978, en présence de Jean-Marie Couronne, secrétaire régional de Haute-Normandie, et de Alain Rivet, secrétaire régional adjoint.

Ces dernières étant en contradiction permanente avec le texte en question, je désirais absolument qu'ils les voient.

La pièce SF 77 584 est un rapport officiel fabriqué à l'aide de moyens que nous analyserons successivement au cours de cette étude. Diffusé en mai 1978, il aurait été mis au point à mon insu six mois auparavant. Il me concerne en partie : et pourtant il ne m'en a jamais été transmis de copie pour information ni pour vérification qui eût été indispensable à partir de la matière de nos dossiers.

Cette pièce est incontestablement l'œuvre d'une personne importante, car celle-ci se permet d'influer sur les décisions à prendre : « je pencherais.., », « je souhaiterais... ».

Cette personne n'a pas signé, se retranchant derrière l'anonymat.

Cet écrit anonyme a reçu caution de la Section française : immatriculée SF 77584, il ne porte pour référence, à défaut d'une signature privée qui eût été indispensable, que l'adresse du siège social d'Amnesty-France, 18, rue de Varenne, Paris.

La Section française a donc pris la responsabilité collective de couvrir ce texte intitulé : « Extrait du compte rendu de l'Assemblée régionale de Normandie » : ce qui y est dit, les participants l'attestent, ne l'a jamais été en séance d'Assemblée régionale.

Le compte rendu SF 77 584 est donc un faux.

Un rectificatif très tardif a été apporté au titre de cette pièce, mais après qu'ait été publié, me signale-t-on, un article intitulé « Faux et usage de faux à Amnesty International » : alors seulement s'est-on décidé à contre-cœur et par nécessité à changer brusquement un titre après coup.

Il était trop tard : le compte rendu SF 77584 distribué à Mulhouse est bien un faux.

Ce faux, si on le lit attentivement, aurait été fait à l'aide du rapport prétendu de deux personnes mystérieuses, dont les noms, nationalité et fonctions au sein de notre mouvement sont aussi très soigneusement cachés : la Section française a donc cautionné un faux reposant sur un triple anonymat, celui du rédacteur, et celui de deux agents supposés de renseignements.

[PAGE 52]

Quant au contenu même du faux, il est à son tour entièrement faux, se heurtant à chaque pas à la réalité restituée par nos dossiers.

Examinons donc ce contenu à la lumière de ces dossiers

I. – Le « compte rendu » SF 77 584 dit que le 4 juin 1977 j'ai écrit à un groupe suédois.

Cela est faux.

Le 4 juin 77, j'ai écrit à une seule personne, Madame Gun Karlsson.

Il n'y a pas à s'y tromper : ma lettre débute par « Chère Amie ». (En exergue, son nom et l'adresse à laquelle elle se fait écrire : Madame Gun Karlsson, Swedish Sektion, groupe 164, Vâstra Banvfigon, S 19400 Akersberga, Suède.)

Qui est Madame Karlsson ?

Une personne de la Section suédoise, initiatrice et chef de file d'une Campagne Maroc 77 à laquelle j'ai participé officiellement.

Madame Karlsson est bien connue du Secrétariat International : celui-ci l'a mise en contact pour cette Campagne avec Madame Trochard, 62, rue Thomas-Dubose, Rouen. Un peu plus tard, Madame Celia Fisher (Secrétariat International, Département Maroc) écrit à notre équipe à ce sujet :

« I am glad Mrs Karlsson bas contacted you about this campaign. I think it is an excellent ides and I know you will be able to make a valuable contribution to it » (10 mars 1977).

Madame Karlsson est également bien connue de la Section française : dès octobre 1976, Madame Heller (Coordination Maroc) me donne de son côté directement l'adresse de cette personne (plus tard, me parlant d'elle, elle l'appelle par son petit nom, Gun, tout court, dans sa lettre du 5 mai 1977, SF 77 287).

Madame Karlsson est aussi connue du groupe 15

– 12 mai 1977 : il est fait longuement état de cette Campagne qui débute sous ses ordres. A cette réunion, des informations sont données sur plusieurs cas graves de prisonniers Marocains, dont celui de Anis Balafre dont je parle dans ma lettre du 4 juin 1977 à Madame Karlsson. L'autorisation m'est donnée de m'adresser à Madame Gajdos-Torok, médecin de la Commission médicale collaborant avec la Section française et qui a pris contact avec moi dans les jours précédents.

Par la suite, des lettres sont également adressées sur [PAGE 53] ce sujet au Secrétariat International et, tout normalement, au chef d'équipe de cette Campagne, Madame Karlsson.

– Notre Bulletin intérieur (numéro de mai-juin 1977) diffusé à tous les adhérents du groupe 15 fait clairement état de cette Campagne dirigée par une Suédoise.

– Dans le même temps, le groupe est depuis des mois informé du très gros retard de notre mouvement concernant plusieurs zones du globe oubliées. Au sujet de l'Afrique notamment, les 3 groupes de Rouen se réunissent le 13 juin 1977.

Le passage de ma lettre à Mme Karlsson qui évoque le problème africain n'est qu'un très pâle reflet de ce que j'entendais au sein du groupe depuis des mois et qui a par la suite été redit à la réunion intergroupes du 13 juin 1977.

II. – Le « compte rendu » SF 77 584 dit que j'ai écrit avec en-tète du groupe 15

Cela est faux.

Je n'ai pas écrit avec en-tète du groupe 15 : celui-ci est 22, rue Brisout-de-Barneville.

J'ai fait une lettre personnelle, j'ai donné comme convenu au sein de notre équipe l'adresse du 62, rue Thomas Dubosc. J'ai bien indiqué mon appartenance à A.I. France groupe 15, tout comme Mme Karlsson a toujours indiqué son appartenance à A.I. Suède groupe 164. Elle nous a toujours écrit sur papier à en-tête d'Amnesty, j'ai fait de même.

A la fin de cette lettre, je n'ai pas du tout indiqué « Pour le groupe 15 de Rouen », ce qui aurait été indispensable si ce courrier avait été fait au nom du groupe.

Et j'ai bien signé personnellement : contrairement au rédacteur anonyme de la pièce SF 77 584, j'ai le courage de signer ce que j'écris.

En dernière phrase, j'associe comme à l'habitude mon chef d'équipe Français et les membres de cette petite équipe par le « nous » qui est utilisé, car je ne connais que trop bien leur point de vue.

Si toutefois une lettre personnelle dans laquelle on indique son appartenance à un groupe risque de laisser flotter un doute sur le caractère personnel de cet écrit, pourquoi ne pas s'enquérir directement auprès de l'intéressé et lui demander des précisions, au lieu de rédiger un Faux à son insu ?
[PAGE 54]

III. – Le « compte rendu » SF 77 584 dit que cette lettre était inconnue, du groupe 15.

Que raconte-t-on par là ?

J'en ai remis un double à mon Chef d'équipe Français Mme Trochard.

Puis le dossier de la Campagne MAROC 77 a été remis en mains propres au Secrétariat le 6 juillet, 77, sur la demande d'Edith Trochard elle-même, pour tout le temps qui serait nécessaire. Tous ceux qui le désiraient ont eu toute latitude pour le consulter dans l'été, puis en septembre et en octobre avant l'Assemblée Régionale de Normandie, et au-delà, puisqu'en définitive il y resta huit mois.

A aucun moment, ni en réunion de groupe, ni à part, il ne m'a jamais été reproché par qui que ce soit ma lettre à Mme Karlsson.

IV. – Le « compte rendu » SF 77 584 prétend que ma lettre parle d'une « main mise du Quai d'Orsay sur le C.E. »

Qui a été chercher cette expression qui n'est pas de moi et qui ne correspond pas à ma vision des choses ?

Pourquoi me fait-on porter les opinions précises d'autres personnes ?

A la réunion de travail du 29 septembre, on a pu constater toute la différence entre les tenants de cette thèse et moi-même.

V. – Le « compte rendu » SF 77 584 dit que j'aurais demandé à mon groupe d'écrire une lettre en mon nom.

Présenté sous ce jour, cela est faux.

Un fait est très grave : deux pièces capitales, constitutives de nos dossiers, n'apparaissent pas dans le rapport SF 77 584;

– d'une part, la visite d'une instance officielle de mon groupe, François Rovil, trésorier, le 8 août 77, en présence d'un tiers. Directives précises; ne pas répondre personnellement à la lettre reçue le 18 août de Mme MJ. Protais, le groupe s'en chargerait.

Celle-ci, en effet, alertée par des rumeurs étonnantes, croyait que je répandais (sans doute partout sur elle, qui sait ?) des choses que j'aurais moi-même inventées.

Mais le groupe savait que j'avais seulement rendu compte de la fameuse séance Inter-groupes de Rouen du 13 juin 77 à un seul membre de A.I. domicilié désormais loin de nous, mais resté rattaché à nous, et demandant régulièrement des nouvelles.
[PAGE 55]

Je n'avais rien transmis moi-même à un groupe du Var, comme il est dit dans la pièce SF 77 584.

Alors, en raison des directives reçues, j'ai quand même pressé le Secrétariat du groupe à agir. Etant absente, j'ai bien écrit :

« Il est extrêmement urgent que notre réponse de groupe parte incessamment, sinon nous allons être extrêmement en tort » (Lettre du 2 septembre 77).

Ne pas confondre par conséquent le passage de cette lettre avec le fait que j'aurais fait appel par incapacité au groupe, afin qu'il écrive à ma place.

Bien au contraire, connaissant à fond les dossiers dont je parle ici, j'ai joint à ma lettre un projet de réponse pour faciliter le travail du groupe.

Celui-ci réuni le 9 septembre a opté pour une entrevue directe avec Mme Protais car il désirait lui poser des questions de vive voix.

autre pièce qui disparaît du rapport SF 77584 : ma lettre personnelle à Mme Protais (car il y eut une lettre personnelle). A la seconde réunion de septembre, étant présente, j'ai désiré lire à tous cette lettre avant qu'elle ne parte : le groupe a préféré rester sur sa décision première, parler de l'Afrique, et d'elle-même, directement, de vive voix, à Mme Protais.

Par discipline, j'ai retiré ma lettre personnelle du circuit, bien contre mon gré.

Pourquoi, dans un rapport qui se veut officiel, la disparition de deux pièces capitales d'un dossier ?

Est-ce habituel au sein de la Section française ?

Est-ce considéré comme normal, et comme moral ?

Quelle peut-être désormais la crédibilité à accorder aux rapports de A.I. ?

VI. – Le « compte rendu » SF 77 584 dit que le groupe a, « en la personne de deux membres cités plus haut » précisé qu'il se démarquait de mes « déclarations ».

Des déclarations sont quelque chose de public par définition; je n'ai que des opinions, je n'ai jamais fait de déclarations. Il semble, pour me faire un procès d'opinion, et d'opinion fabriquée, que l'on assimile ces « déclarations » à celles de Monsieur Mongo Beti.

Je n'ai que des opinions : celles-ci sont très personnelles et ne copient celles de quiconque.

Elles reposent, quant à elles, non sur une connaissance [PAGE 56] affinée de la réalité politique africaine, comme c'est le cas très logiquement pour Monsieur Mongo Beti, connaissance affinée à laquelle je ne prétends pas du tout, mais sur une terrible exigence de la raison et de la morale. Pour moi, l'impartialité de notre mouvement doit être réelle : elle est trompeuse si elle n'a pas un caractère d'universalité. Tout simple membre de A.I. est gravement responsable s'il ne veille pas à cette nécessaire universalité, à plus forte raison ceux qui peuvent avoir pouvoir de décision ou de refus.

Quels seraient par ailleurs ces 2 membres anonymes qui me prêteraient des « déclarations » ?

On sous-entend là un appel à d'éventuels faux témoignages.

Cette méthode est-elle usuelle dans A.I. ?

VII. – Le « compte rendu » SF 77 584 dit que j'ai une « personnalité tourmentée ».

Ce « diagnostic » est une trouvaille.

Ecoutons plutôt notre Vice-présidente Mme Heller, dans les lettres personnelles qu'elle m'a adressées l'an dernier, lorsqu'elle était encore à la Coordination Maroc :

– Il mars 77 : « ... Je compte bien faire appel à vous, quand ces imprécisions seront levées, pour être la cheville ouvrière d'une telle action. Vous connaissez, par votre travail pour J. très parfaitement la question... »

– 29 mars 77 « ... donc, en ce qui vous concerne, feu vert et carte blanche. Je sais que vous faîtes plus que du mieux... »

– 1er avril 77 : « D'accord pour votre participation à la Campagne « Suédoise »... »

– 5 mai 77 : « ... Félicitations pour tout ce que vous avez pu faire pour lui... » (à propos d'un prisonnier).

– 25 mai 77 : « Merci de vos différents courriers, merci surtout à Edith Trochard pour la communication du dossier Guiringaud pour lequel vous avez l'entière approbation des instances supérieures.

« Par ailleurs j'ai photocopié les pages de votre lettre donnant des conseils pour la correspondance aux prisonniers marocains, et je les ai envoyées à tous les groupes ayant un tel prisonnier pour qu'ils en fassent leur profit. Merci pour eux. Bravo pour l'affaire N.S... »

Ecoutons aussi Madame Celia Fisher (Secrétariat International) :
[PAGE 57]

– 7 avril 77 : « 1 think you are the best people to decide if anything extra can be done » – ceci à propos de la Campagne Maroc 77.

Madame Celia Fisher aurait-elle pu qualifier une petite équipe de « best people » avec pouvoir de décision, si l'une d'elle eût été anormale ?

Quant à la Section française qui tient tant à sa notoriété, à sa bonne renommée, aurait-elle engagé la Commission de médecins collaborant avec elle, à prendre contact avec moi si je n'avais été présentable ni intellectuellement ni moralement ?

Et pourquoi mon groupe me confierait-il des charges nécessitant ordre, clarté, organisation et capacité à fournir du travail effectif, si j'étais ce que le « compte rendu » SF 77 584 fait de moi ?

A coup sûr, on ne comprend plus.

En conclusion, voilà où l'on en est dans la Section française :

Faux reposant sur un anonymat, usage de Faux, détournement de courrier personnel, appel à de faux témoignages, un dossier à tout instant tronqué, faussé, mutilé, un procès d'opinion, et d'opinion fabriquée, accusation d'anomalie aux fins de diffamation.

J'apprends en outre ces jours-ci qu'il y a eu également manipulation : Madame Trochard a reconnu avec une honnêteté intellectuelle remarquable lors de notre séance de travail du 29 septembre, en présence de nos deux secrétaires régionaux, qu'elle avait finalement été manipulée. Un jour, quelqu'un lui aurait parlé d'une prétendue lettre que j'aurais envoyée à un groupe, de la part du nôtre. Elle s'était demandé dans son for intérieur ce qu'avait pu être cette lettre. Elle n'avait pas réalisé sur le moment qu'il s'agissait de ma lettre du 4 juin 77 à Madame Karlsson. Elle a confirmé devant nos secrétaires régionaux qu'elle appuyait le contenu de cette lettre.

Je laisse chacun libre de porter sur le « compte rendu » SF 77 584, et sur les méthodes utilisées pour le fabriquer, le jugement de son choix.

Je désirerais légitimement que me soit donné par écrit le nom du rédacteur anonyme de cette pièce.

Je désirerais savoir qui a mandaté ce rédacteur aux fins de confectionner un pareil « compte rendu ».

Je désirerais connaître quelles sont les deux personnes [PAGE 58] mystérieuses qui auraient fait office d'agents d'inquisition, si jamais elles ont existé en dehors d'une imagination forcenée.

Qu'il leur soit clairement demandé quelles « déclarations » elles me prêteraient.

J'interroge tout spécialement nos braves et honnêtes Secrétaires régionaux :

– quel rôle leur demande-t-on de jouer à leur insu ?

A peine l'institution du Secrétariat Régional est-elle créée que les voilà manipulés : on leur fait croire ce que l'on veut. J.M. Couronne, au cours de notre séance de travail du 29 septembre, a demandé que je lui fournisse copie de ma lettre à Madame Carlsson. Cela est inouï, elle lui avait donc été cachée. Savez-vous pourquoi ?

Parce qu'il y a cette phrase que l'on n'aurait jamais voulu voir : « Nous avons constitué à Rouen tout un dossier sur les cas de torture et d'emprisonnements politiques... dont les dirigeants d'Amnesty International ne veulent pas s'occuper... »

J'interroge nos Secrétaires régionaux et ceux qui ne seraient pas responsables de la rédaction, de la caution et de l'ordre de diffusion du « compte rendu » SF 77 584 :

– les méthodes utilisées à ce propos sont-elles habituelles ? Vont-elles se réitérer ? Sont-elles considérées comme acceptables ?

L'interdiction implicite qui m'est faite de confier mes opinions à mon Chef de Campagne est-elle conforme aux principes de la Déclaration Universelle des DROITS DE L'HOMME ?

Si jamais il a pu y avoir un doute sur le caractère personnel de ma lettre, pourquoi ne pas s'être adressé à moi directement ?

J'ai sous les yeux en écrivant cette lettre, cette image qui est sur la couverture du livret de présentation d'Amnesty : cet HOMME à qui l'on brise la mâchoire à coups de marteau, afin qu'il ne parle pas.

Je vous prie, Messieurs et Mesdames, de vouloir bien agréer l'expression de mes sentiments très respectueux.
[PAGE 59]

*
*  *

6

26 octobre 1978

Edith Trochard
62, rue Thomas-Dubosc
76 000 Rouen
(membre du groupe 15, Rouen)

Amis,

Il me semble utile de m'adresser à tous les militants d'Amnesty International, par l'intermédiaire de leur secrétaire de groupe, pour leur parler de l'impartialité d'Amnesty, en Afrique et de l'exclusion de Mongo Beti.

Adhérente au mouvement A.I. depuis 1970, j'ai participé à la création du groupe 15 de Rouen, et en ai assuré le secrétariat jusqu'en octobre 1976, c'est en cette qualité que j'ai enregistré l'adhésion de Mongo Beti.

Il n'est peut-être pas inutile de préciser que je n'adhère, ni n'ai adhéré a aucun parti politique, ni mouvement autre que Amnesty.

Dès 1975, je me suis aperçue, et je n'étais pas la seule du groupe, que le travail sur l'Afrique était souvent freiné, pour vous expliquer comment la curiosité nous est venue le mieux est de prendre l'ordre chronologique du problème.

JUILLET 1975 : Une grande campagne d'information et d'action sur le Maroc est annoncée par Londres, sans préciser les modalités du déroulement de celle-ci. Le groupe coordination Maroc de la Section française n'organise aucun plan de travail pour guider les groupes, notre groupe se bornera à éditer une carte photo du prisonnier adopté, celle-ci sera envoyée au Roi du Maroc, ce sera le seul acte en France pour cette « Big Campagne »; nous savons que faute de directives les groupes n'ont rien pu faire.

16 JANVIER 1976 : Mme Privat adresse une lettre au chercheur pour l'Afrique qui était à ce moment-là Gerson Konu. Dans cette lettre émanant du sous groupe Maroc, elle écrit « suite à de graves événements, grève de la faim, etc... Une campagne de masse pour le Maroc, est-elle envisagée ? dans le cours de l'année en particulier, le Roi du Maroc doit venir en voyage officiel en France au mois d'Avril; une action d'envergure est-elle envisagée à cette occasion ? »
[PAGE 60]

16 JANVIER 1976 La même lettre est adressée au Secrétariat International.

30 JANVIER 1976 Réponse du Chercheur pour l'Afrique Gerson Konu : « En ce qui concerne l'action à mener, nous pensons qu'une action sous la forme d'une campagne ne serait pas indiquée vu les tensions qui prévalent dans cette région en ce moment... Pour le moment, il est trop tôt pour déterminer si oui ou non les groupes A.I. devraient entreprendre une action spéciale en faveur des prisonniers marocains. »

Il n'est pas répondu à la demande concernant une action à entreprendre ou une démarche éventuelle à l'occasion de la venue à Paris du Roi du Maroc.

10 MARS 1976 : Lettre de Londres répondant au courrier du 16 janvier 1976 : « Il n'y aura pas de campagne Maroc. »

AVRIL 1976 : Le Comité Diocésain d'Information (C.D.I.) de Rouen nous propose d'animer une soirée et présenter A.I. à l'issue de la projection du film « La Dernière Tombe à Dimbaza »; chaque soir de cette semaine de projection, un mouvement animait le débat. Bien entendu nous avons accepté pensant qu'il ne fallait pas manquer une occasion pour nous faire connaître, ce film tourné en Afrique du Sud; dénonce la monstrueuse injustice dans cette partie du monde où 4 millions de blancs ont le niveau de vie le plus élevé du monde, tandis que 18 millions de non blancs ont le niveau de vie le plus bas du monde; seulement pour animer cette soirée, il nous manquait de la documentation sérieuse sur l'Apartheid, nous avons demandé à la Section française de nous aider, cela n'a pas été possible; dans le même temps, j'apprenais au cours d'une conversation téléphonique avec Teddy FolIenfant que M. Médecin, maire de Nice, qui, rappelons-le, a jumelé sa ville avec la ville du Cap en Afrique du Sud, était adhérent à A.I. A ce sujet voir notre compte rendu de réunion du 15-5-1976, qui avait été adressé à tous les groupes.

Toujours à cause de l'animation que nous devions assurer pour cette soirée, je cherchais dans les papiers de la documentation, quand mon attention a été attirée par un projet de compte rendu du C.E. du 31-1-76 (ce document est dans les archives des groupes) à la rubrique :

Relations extérieures nous lisons : « de l'Apartheid A.I.S.F. ne s'engage pas pour le moment »...
[PAGE 61]

FIN AVRIL 1976 :

Pour la première fois je rencontre Mongo Beti, à l'occasion de la projection d'un film que je ne connaissais pas « contre-censure » réalisé par Amnesty Canada; j'ai ainsi découvert qu'il existait au Cameroun une répression aussi terrible que dans d'autres parties du monde, et par la même je découvrais que notre mouvement était extrêmement discret sur ces faits (voir rapport A.I. de 1975-1976). Une phrase qui jusqu'à présent n'avait pas attiré mon attention m'a semblé tout à coup très claire, je veux parler encore une fois du compte rendu du C.E. du 31 janvier 1976, dans lequel on peut lire à la rubrique : Informations et décisions sur les films.

« Il est décidé d'acheter à Nathalie Barton (A.I. Québec) pour 1000 francs une copie du film « Main basse sur le Cameroun » de Mongo Beti mais ne le passer que si, préalablement à la séance, en explique qui est Mongo Beti de façon à préserver l'impartialité d'A.I. »

J'ai vu ce film, c'est pourquoi je me suis rendue compte que cette mise en garde était tout à fait anormale.

Tout d'abord le film n'est pas de Mongo Beti, il a été réalisé par Amnesty Canada; si, pour une part, le réalisateur s'est inspiré du livre, il n'a pas conservé le titre du livre, puisque le film s'intitule « Contre Censure ».

D'autre part il y a dans ce film des témoignages bouleversants de personnes dignes de foi.

1o Un instituteur canadien exerçant au Cameroun, explique comment un matin avec ses élèves, il a vécu l'exécution sur la place publique, d'hommes opposés au régime en place.

2o Une infirmière a une expression douloureuse quand elle nous dit comment elle entendait les cris des torturés, comment elle a été témoin des regroupements des populations au bord des villes afin de mieux les contrôler et les intimider, etc...

3o Un collaborateur de Monseigneur Albert Ndongrno explique comment celui-ci avait édifié une petite industrie, pour donner du travail à ses compatriotes, et leur donner l'espoir d'une véritable indépendance, et comment cette démonstration lui coûta la liberté.

4o Enfin c'est un journaliste du journal « La Croix » qui à son tour apportera son témoignage.

Mongo Beti n'a pas dans ce film une place de Vedette.
[PAGE 62]

Pourquoi dire « Ne le passer que si préalablement à la séance on explique qui est Mongo Beti » ? La réponse est facile, 98 % des groupes ne connaissaient pas Mongo Beti; dans l'impossibilité de dire qui il était, il était certain qu'ils n'allaient pas prendre le « risque » de demander le film « Contre-Censure ». Une fois de plus, on évitait d'éveiller la curiosité sur l'Afrique, sur les emprisonnés et les torturés du continent Africain et en particulier d'une région d'Afrique Francophone.

Aujourd'hui, je pose la question qui, parmi les personnes présentes au C.E. du 31 janvier 1976, a jeté la suspicion sur l'objectivité du film « Contre Censure », en faisant des sous-entendus sur la personne de Mongo Beti ? Etaient présents à ce C.E. : G. Arbey, 0 Bah, P. Chevallier, J. Enlart, T. Follenfant, F. Louis, J.-P. Martel, J. Menault, M. Odier, C. Pallandre, E. Ruffi de Pontèves, M.J. Protais, C. Robin, H. Thierry, S. Verneuil, L. Veil.

Il convient d'observer qu'il n'existe aucune mention restrictive pour d'autres films proposés dans les circulaires A.I.

Je suis obligée de revenir un peu en arrière pour dire comment nous avons entendu parler de Mongo Beti au groupe 15 pour la première fois. Au cours d'une réunion de groupe en février 1976, un membre, Lucienne Voreux, nous a demandé si nous étions au courant des difficultés rencontrées par ce professeur du Lycée Corneille à Rouen, qui, nous dit-elle, est menacé d'expulsion par le gouvernement français; écrivain d'origine camerounaise, il avait en son temps dénoncé le colonialisme, et à présent dénonce le néo-colonialisme; son livre « Main basse sur le Cameroun », nous dit-elle encore, a été saisi et est interdit, et en 1975 son passeport français lui avait été réclamé par le ministère de l'intérieur. Après cet exposé nous avons décidé de transmettre au plus tôt ces informations au Secrétariat International à Londres.

11 MARS 1976 : John Humphreys du département recherches nous fait la réponse suivante : « C'est une coutume usuelle pour les Sections Nationales de prendre en main les cas d'individus qui ont trouvé refuge dans leur pays et qui sont confrontés à la rapatriation vers leur pays d'origine, où ils risquent l'emprisonnement ou autre persécution. De fait la plupart des grandes sections nationales ont un membre de leur comité exécutif dont la tâche [PAGE 63] particulière est de s'occuper de tels problèmes. Je suis sûr que la Section française sera par conséquent en mesure de s'occuper de cette affaire en liaison avec M. Konu en tant que chercheur de l'Afrique Francophone. »

Cette réponse est en contradiction avec les statuts internationaux du mouvement.

Mongo Beti possède des papiers lui reconnaissant la nationalité française, il est professeur titulaire depuis 1959, vous savez bien qu'il faut être français pour accéder à un emploi dans la fonction publique, il est marié à une Française depuis 1963, donc il n'est pas possible de douter de sa nationalité française.

Selon les statuts d'Amnesty, une section nationale ne peut intervenir pour ses propres ressortissants lorsqu'ils rencontrent des difficultés avec le gouvernement du pays de la section. Pourquoi M. Humphreys dans sa réponse, fait comme si Mongo Beti était un exilé politique ?

Suite à la réponse de John Humphreys, nous avons adressé une lettre à Gerson Konu à Paris; ni Gerson Konu ni la Section française ne se sont intéressés à ce problème d'expulsion qui pesait sur Mongo Beti, nous savons pourtant ce qu'une telle mesure pouvait avoir de dramatique, n'oublions pas qu'il est marié et père de 3 enfants.

Est-il possible de s'intéresser à ceux qui souffrent à des milliers de kilomètres et d'oublier celui qui est votre voisin de palier, et qui a besoin d'aide ?

Il faut noter que certaines Sections Nationales ont adressé des messages de sympathie à Mongo Beti au moment de cette affaire.

A.I. Suisse - A.I. Canada - A.I. R.F.A. - A.I. Suède.

SEPTEMBRE 1976 : Des informations alarmantes sur la répression en République Centrafricaine nous parviennent; pendant cette même période, Mongo Beti qui venait d'adhérer à A.I., me transmet une liste de personnes arrêtées au Cameroun pendant les mois de juillet et août. Un voyageur nous a rapporté une scène d'arrestation dans la rue « il avait vu qu'un homme avait eu les yeux crevés ».

J'ai adressé une copie de la liste des personnes arrêtées au SI., il n'a pas été accusé réception de ce courrier.

8 OCTOBRE 1976 : Réunion de groupe, nous constatons au cours de celle-ci qu'il n'est pas fait réponse à l'envoi de septembre. nous constatons également qu'il n'est pas donné Suite aux informations sur la République Centrafricaine, [PAGE 64] nous adressons le compte rendu de cette réunion au S.I. (vous le trouverez ci-joint).

Il est accusé réception de l'envoi du compte rendu, nous ne savons toujours pas si la liste est parvenue à Londres, dans ce même courrier nous apprenons que le nouveau chercheur pour l'Afrique remplaçant Gerson Konu assistera à l'Assemblée Générale de Dijon, et qu'ainsi il nous sera possible de le rencontrer.

DIJON, 20 ET 21 NOVEMBRE 1976, ASSEMBLEE GENERALE.

Dès mon arrivée au Centre culturel à Dijon, j'ai pris contact avec Austin Chegwé, le nouveau chercheur pour l'Afrique Francophone, et lui ai demandé si la liste des prisonniers camerounais que j'avais envoyée en septembre lui avait été émise. Il m'a répondu affirmativement; en effet il avait celle- ci dans son dossier. Je lui ai dit que ces renseignements nous avaient été communiqués par Mongo Beti, qui, du reste, allait nous rejoindre à cette assemblée générale, Austin a manifesté son intention de le rencontrer. Au cours de ma conversation avec Austin, je lui ai fait remarquer que la partie centrale du continent africain était complètement « oubliée » pour notre mouvement, alors qu'il n'est pas plus difficile d'obtenir des renseignements sur cette partie du monde que sur l'Amérique Latine ou l'U.R.S.S. Austin m'a répondu qu'il était nouveau dans ce poste de chercheur et de ce fait n'était pas encore très au courant, mais qu'il était prêt à travailler sur ce problème, et avant de nous quitter, il m'a demandé de venir avec Mongo Beti, le lendemain matin à 8 H 30, dans le Hall de la Cafétéria, car, me dit-il, nous avons une réunion sur l'Afrique.

DIJON, 21 NOVEMBRE 1976 : A 8 H 30, Mongo Beti, son épouse et moi arrivions au rendez-vous fixé la veille par Austin.

Dans le Hall de la cafétéria située au sous-sol, un groupe de personnes se trouvait déjà installé; assis sur des banquettes disposées autour d'une table basse, j'ai reconnu : Martin Ennal, Gerson Konu (Fancien chercheur pour l'Afrique) Austin Chegwé, Daniel Marchand du groupe coordination Afrique, et quelques autres personnes. Après un regard circulaire, je me suis aperçue qu'il n'y avait pas de siège pour nous, j'allais donc en chercher quand d'un brusque geste de la main Daniel Marchand m'arrête et me dit « vous [PAGE 65] n'avez rien à faire ici, vous devez être présents dans les commissions réunies dans les salles à l'étage ». Je lui ai répondu qu'un membre des groupes de Rouen se trouvait dans chaque commission, ma présence n'était donc pas nécessaire, par contre j'étais ici non pas de ma propre initiative, mais parce que Austin m'avait invité ainsi que Mongo Beti. Daniel Marchand a alors rétorqué que cette réunion sur l'Afrique était purement technique, et était sans intérêt pour nous. Je lui ai dit que nous allions nous retirer dans une partie du Hall et attendre le moment venu pour parler de l'Afrique.

Nous avons attendu très longtemps. La réunion technique qui se tenait à quelques pas de nous n'était pas une réunion de travail, mais un échange de banalités; Mongo Beti était impatienté en constatant cela, et par le fait que nous devions attendre ainsi sans raison, après, un long moment, il est allé vers le groupe et a fait remarquer qu'il était anormal de nous donner rendez-vous et de ne pas nous recevoir, puis il a quitté le hall, son épouse et moi sommes restées pensant qu'il était nécessaire d'obtenir cette rencontre; nous avons encore attendu, puis Mongo Beti est revenu vers nous. Les personnes de la « réunion technique Afrique » se sont alors levées et dispersées; Austin seul, très gêné, s'est dirigé vers nous.

Il n'est pas besoin de dire combien nous étions irrités par l'attitude des personnes du groupe coordination Afrique, qui n'avaient même pas daigné rester; Mongo Beti est tout de suite allé à la recherche de Daniel Marchand, pensant très justement qu'il n'était pas normal de parler de l'action d'A.I. en Afrique sans la présence d'une personne du groupe coordination Afrique; Daniel Marchand ne voulait pas venir, et trouvait de multiples prétextes pour ne pas se joindre a nous, mais devant l'insistance pressante de Mongo Beti, il est venu. Dans le même temps, je suis allée chercher quelques personnes qui par la suite pourraient rendre compte de cette réunion improvisée. Francis Meyer que je ne connaissais pas a répondu favorablement à ma demande, il se trouvait dans une commission animée par Mme Heller, A peine étions-nous descendus dans le hall de la Cafétéria que Mme Heller était sur nos talons, s'adressant à moi d'un ton péremptoire : « Rouen, que faites-vous ici ? vous devriez être dans les commissions ! » puis se tournant toute souriante vers Austin : « Venez, nous devons [PAGE 66] maintenant rejoindre la commission Maghreb. » Mue par un ressort, j'ai alors frappé sur une table avec une force que je ne me connaissais pas et ai dit : « NON, nous sommes ici pour parler de l'Afrique, on nous a donné rendez-vous et on se moque de nous depuis plus d'une heure, nous allons parler de l'Afrique.» A ce moment est arrivée une dame de Besançon, et s'adressant à nous tous elle dit : « Vous parlez de l'Afrique, très bien, cela m'intéresse, je ne suis pas contente, il y a quelque temps j'ai adressé à la Section française des renseignements concernant la répression en Guinée, et il m'a été répondu que ce que j'avançais là était faux, la réponse était rédigée à la main sur papier sans en-tête, et sans signature. Il me semble intéressant à propos de la Guinée de préciser que le 22 octobre 1976, c'est-à-dire un mois avant cette rencontre, Michel Poniatowski alors ministre de l'Intérieur avait fait saisir à sa sortie de presse le livre de Jean-Paul Alata « Prison d'Afrique ».

Si je rapporte les détails de cette rencontre, ce n'est pas pour le plaisir de l'anecdote, mais pour vous faire comprendre comment on essayait de nous décourager.

Je suis revenue de cette réunion extrêmement déçue, aucune réponse à nos préoccupations.

– A nos informations sur la répression en Afrique, Daniel Marchand nous répondait : « La situation est bien plus grave en Chine... » Nous apprenions aussi que Gerson Konu avait laissé son poste depuis 6 mois; ainsi depuis ce temps, ce poste à mi-temps de chercheur pour l'Afrique Francophone était vacant, ce qui était un motif suffisant pour justifier l'inaction dans ce domaine. A ma question : pourquoi Gerson avait-il été renvoyé ? Mme Heller m'a répondu que cela ne me regardait pas, quand nous savons ce qu'il en coûte à un groupe pour trouver sa cotisation, persuadés que celle-ci contribuera à la recherche, vous pensez bien que j'ai trouvé la réponse de Mme Heller pour le moins inconvenante.

– A notre question : pourquoi l'absence de Campagnes, d'actions urgentes pour les prisonniers africains, alors que heureusement nous n'avons pas constaté une telle carence pour les pays d'Amérique Latine, et l'U.R.S.S., où il n'est pas plus facile de faire de la recherche qu'en Afrique ? pas de réponse.
[PAGE 67]

Pas de réponse non plus en ce qui concernait la mise en garde pour le film « Contre Censure ».

En conclusion de cette Assemblée Générale de Dijon, j'ai compris et retenu, que le dialogue nous était refusé.

20 JANVIER 1977 : J'ai reçu une lettre de Jean-Paul Alata; il est étonné que son cas n'ait pas été porté à la connaissance des militants A.I., étant donné qu'il était en correspondance avec A.I. Paris et A.I. Londres depuis 1976; je ne savais pas, écrit-il, que les groupes A.I. étaient autonomes...

23-24 JANVIER 1977 : Parution dans le journal « Le Monde », d'une publicité payée par les signataires et intitulée : « MAROC le Soleil s'arrête aux murs des prisons ».

Mahié D. Voogd, responsable des actions urgentes téléphone à Mme Heller, responsable de la coordination Maroc, pour lui demander ce qu'il fallait faire étant donné que cet article annonçait :

4 CONDAMNES A MORT ATTENDENT D'ETRE EXECUTES Mme Heller a répondu qu'à sa connaissance, il n'y avait pas de condamnés à mort au Maroc; ayant eu confirmation par ailleurs qu'il y avait des condamnés à mort au Maroc, le 6 mars 1977, nous avons adressé une lettre à Londres pour exprimer notre inquiétude et notre étonnement qu'une action n'ait pas été demandée pour sauver ces condamnés de la peine capitale.

26 MARS 1977 : N'ayant pas reçu de réponse à notre courrier du 6-3-77, nous adressons une nouvelle lettre. Fin mars, nous recevons alors une lettre d'Austin datée du 10 mars, en provenance de Londres, il nous écrivait : « Je voudrais vous assurer que les 4 condamnés à mort dont vous avez parlé ne relèvent pas de procès récents. En fait, il y a 8 personnes condamnées à mort, 7 en 1973 et 1 le 3 juillet 1976.

Soyez donc tranquilles et assurés que toute condamnation à mort connaîtra notre intervention. »

A cette époque sévissait une vague de répression au Maroc, nous avions tout lieu de penser qu'une exécution était possible. Nous ne pouvions donc nous tranquilliser avec une telle réponse, et accepter de ne pas se préoccuper de ces condamnés à mort, même si cette condamnation remontait pour certains à 1973, mais qui pouvait être exécutoire à chaque instant. D'autre part je me suis rendue compte que depuis janvier 1973 aucune action au niveau des groupes [PAGE 68] n'a été demandée en faveur des condamnés à mort du Maroc.

MARS 1977 : Mongo Beti ne constatant pas d'amélioration sur le travail en faveur des prisonniers Africains, dénonce dans un journal « S.O.S. Cameroun » l'inertie des dirigeants de notre mouvement pour tout ce qui concerne la répression en Afrique.

TRES IMPORTANT : La Section française a connaissance de cet article dès sa parution en mars 1977, et ne manifeste pas sa désapprobation.

PARIS, 3 ET 4 JUIN, ASSEMBLEE GENERALE

Le samedi 3 juin, à 20 heures, se tient une commission appelée « Commission de politique internationale » cette commission était animée par Teddy Follenfant et M.-J.. Protais.

L'ordre du jour porté sur le document SF 77257, se présente ainsi :

« 5 points sont envisagés

« 1o Modifications aux statuts internationaux.

« 2o Une priorité à la recherche sur l'Afrique.

« 3o Nomination d'un responsable régional du développement en Afrique.

« 4o Homosexuel.

« 5o L'unité francophone de publication.

Mongo Beti et moi étions présents dans cette commission, persuadés que le travail sur l'Afrique allait être abordé d'une manière enfin sérieuse. Cette commission a tout simplement été torpillée. Comment ? Il fallait y penser, en passant le numéro 4 « Homosexuels » de l'ordre du jour aux lieu et place des Nos 2 et 3 sur l'Afrique. A 23 h 15, nous n'avions pas encore abordé les points 2 et 3; pendant plus de trois heures, il n'a été parlé que du problème des Homosexuels, arrêtés sous ce prétexte en URSS, mais qui, en réalité, sont opposés au régime. Certes cette question était sérieuse, mais ne devait pas occuper trois heures de discussion. Enfin, toujours est-il que Mongo, Beti a quitté la Commission pour regagner Rouen, n'ayant pas trouvé de chambre, sans avoir entendu un mot sur l'Afrique. Il a pensé qu'il ne s'agissait pas là d'une simple coïncidence, et c'est ainsi que le doute s'est affirmé en lui au sujet de la personnalité des responsables du mouvement A.I. en France.

Je suis restée jusqu'à la fin de cette commission; trois [PAGE 69] résolutions ont été adoptées à la hâte, et sans réelle discussion.

13 JUIN 1977 : Au cours de la réunion des groupes de Rouen, il a été décidé d'adresser une circulaire à tous les groupes; celle-ci apporte des précisions sur l'action A.I. en Afrique :

« Les recherches faites sur un échantillon de 33 bulletins mensuels justifient cette urgence; nous avons relevé

34 actions pour les pays de l'Est;

36 actions pour les pays du continent sud-américain;

21 actions pour le continent africain se répartissant sur le Maroc et l'Afrique du Sud;

2 actions seulement pour le reste des pays africains.

« Ainsi apparaît un grand déséquilibre au détriment de l'Afrique francophone. »

Une copie de cette circulaire au groupe coordination Afrique, accompagnée d'une lettre dans laquelle il était dit : « Nous vous proposons notre aide; certains parmi nous seraient disposés à une collaboration efficace avec les groupes de coordination Afrique. » Dans cette lettre, le groupe de coordination Afrique est invité à venir à Rouen afin de mettre en œuvre cette collaboration. Dans le même temps, Mongo Beti écrit à M. Degrassat de la coordination Afrique pour lui proposer de travailler avec lui.

Il ne sera pas donné suite à ces propositions. JUIN 1977

Au cours de la réunion des groupes de Rouen, Mongo Beti nous fait part qu'il venait d'apprendre la présence au journal « Actuel-Développement » de M. J. Protais en qualité de rédacteur en chef; cette revue luxueuse et non commercialisée, nous dit-il, ne peut tenir qu'avec l'aide de subventions... il répond à nos questions sur le contenu de cette revue, qui fait l'éloge de la coopération franco-africaine c'est-à-dire de ce qui est la cause des dictatures africaines, donc de la torture, du camp de concentration, telle a été sa réponse.

AOUT 1977

Mme Privat adresse à une amie, membre d'A.I., militante du groupe 15, partie de Rouen, une lettre dans laquelle elle lui donne un compte rendu de la réunion intergroupes de Rouen en juin; cette personne ayant elle-même une amie dans un groupe Varois qui a aussi fait partie du groupe 15, lui adresse photocopie de la lettre de Mme Privat; cette [PAGE 70] dernière personne infomera Aimé Léaud du contenu de ladite lettre, qui à son tour en parlera à M. J. Protais.

A noter que Mme Privat a été mise en cause dans le faux document no 5 du Recours de Mongo Beti, et vient d'adresser une mise au point à tous les secrétaires régionaux, vous pourrez vous en informer auprès d'eux.

Suite à cette révélation contenue dans la lettre de Mme Privat, M.J. Protais adresse une lettre à Mongo Beti dans laquelle elle lui demande de le rencontrer personnellement, Mongo Beti n'a pas cru bon la rencontrer en tête à tête, et lui a répondu qu'il préférait s'expliquer devant une instance du mouvement.

Vous trouverez la réponse de Mongo Béti à M. J. Protais dans le dossier recours. La lettre de M. J. Protais à Mongo Béti, ne figure pas dans le dossier.

OCTOBRE 1977

Mme Heller, D. Marchand, et d'autres personnes de la coordination Afrique, sont venus à Rouen. Là encore le dialogue était impossible; aux « récalcitrants », Mme Heller dit « si vous n'êtes pas satisfaits vous n'avez qu'à vous en aller », quelqu'un parmi nous a répondu : « Oh là mais il s'agit d'excommunication. » En effet Mme Heller a persisté à nous démontrer que porter des critiques sur les actions ou plutôt sur l'absence d'action des dirigeants du mouvement, c'était critiquer le mouvement. Ensuite il nous a été dit qu'il était difficile de trouver des personnes motivées pour travailler dans la coordination Afrique, nous avons proposé notre aide, elle a été tout simplement refusée, nous avons été considérés comme « suspects ». Cette visite qui devait être une rencontre de travail pour l'action à mener en faveur des prisonniers africains, était en réalité une « Commission d'enquête » nous n'en savions rien, nous l'avons appris par le dossier du recours de Mongo Béti.

26 NOVEMBRE 1977

Mongo Béti se présente devant le CE, celui-là même qu'il accuse d'inertie, l'exclusion sera prononcée. Le lendemain un nouveau CE est élu, M. J. Protais démissionne de la présidence d'Amnesty.

Après la notification d'exclusion, J.-M. Couronne SR, J. Ertaud, secrétaire du groupe 15, et moi avons rencontré Mongo Béti, nous lui avons dit qu'il pouvait faire appel devant la prochaine Assemblée Générale. Personnellement je lui ai demandé de ne plus faire d'article critique sur [PAGE 71] les dirigeants A-I, tant que l'Assemblée Générale n'aurait pas statué sur son cas. Il a accepté, et n'a pas écrit un seul article jusqu'à l'exclusion prononcée par la Commission des Neuf.

AVRIL 1978

Mongo, Béait adresse une lettre à Aimé Léo, disant : « Je voudrais à propos de mon recours devant l'Assemblée Générale, que l'on se concerte. »

5 MAI 1978

Réponse de Aimé Léaud : « Il appartiendra à l'Assemblée Générale de prendre toute décision utile, en ce qui concerne les modalités d'examen de votre recours. »

MAI 1978

ASSEMBLEE GENERALE, MULHOUSE

Dix exemplaires du dossier « du recours de Mongo Béti » avaient été tirés bien avant l'Assemblée Générale; ce dossier constitué à l'insu de Mongo Béti devait être utilisé par quelques initiés, mais devant la demande pressante des participants à l'Assemblée Générale, qui découvraient cette exclusion et voulaient être informés, un tirage de 400 exemplaires de ce dossier a été fait sur le champ, et distribué le samedi soir.

Un membre du groupe 15 s'étant aperçu que la pièce no 5 n'était pas le compte rendu de l'Assemblée régionale de Normandie en a avisé la Section française, qui n'a pas cru devoir faire un rectificatif.

Au cours de cette Assemblée Générale, une commission de 9 membres a été désignée par tirage au sort, cette commission avait pour mission d'examiner le cas d'exclusion prononcée par le CE de novembre 1977 et prendre une décision, confirmer, ou casser la précédente.

10 JUIN 1978

PARIS, COMMISSION DES 9

Mongo Béti, son épouse, un ami (Africain) de Mongo Béti, et moi sommes arrivés à 14 heures, heure à laquelle nous étions convoqués. Nous avons été reçus à 15 heures.

Le Président de la commission s'est adressé à Mongo Béti en lui disant qu'il disposait de 15 minutes pour faire son exposé, et qu'ensuite on lui poserait des questions; devant notre étonnement, il a dit que les membres de la commission étaient bien au courant « ils ne débarquaient pas » étant donné qu'ils étaient présents à l'Assemblée Générale de Mulhouse, et que d'autre part, ils avaient étudié le dossier [PAGE 72] qui leur avait été remis lors de cette Assemblée Générale. Mongo Béti a protesté disant que ce dossier avait été constitué à son insu, et qu'il contenait un faux, la pièce no 5.

Dans cette pièce no 5 qui, comme nous le savons, n'est pas un extrait de compte rendu de l'Assemblée régionale de Normandie, mais un papier anonyme, sans date, rédigé à la première personne, par quelqu'un qui peut donner des conseils au CN. (Nous savons que lors de cette Assemblée régionale de Normandie, deux personnes sont venues de Paris : Teddy Follenfant et Josette Bost, l'une ou l'autre de ces deux personnes est donc l'auteur de ce papier, espérons qu'elle aura le courage de se faire connaître).

Dans ce document no 5, il est dit « Le groupe 15 ne connaissait pas l'article de Mongo Béti sur le Cameroun, paru en 1977, dans la revue « Croissance des Jeunes Nations » et dont la présentation ambiguë a pu faire croire à l'évêque de Yaoundé qu'il s'agissait d'informations extraites d'un rapport A.I. Or, cela est faux; Mongo Béti le dit à la commission.

La réponse de Mongo Béti est un extrait de la bande sonore enregistrée lors de la commission, et qui est toujours en ma possession.

Mongo Béti : «Je n'ai jamais écrit, donc jamais fait d'article virulent pour le journal « Croissance des Jeunes Nations ». En 1974, lors de la parution de l'un de mes livres, j'ai répondu aux questions d'un jeune journaliste, c'est tout. »

En 1974, Mongo Béti n'était pas adhérent à Amnesty, on ne voit pas comment il aurait pu engager le mouvement; pourquoi dans cette pièce no 5 parler d'un article paru en 1977 ?

Toujours dans le document no 5 il est dit : « Mongo Béti a répondu à M. J. Protais en termes insultants, à sa demande de la rencontrer personnellement, il lui dit tout simplement qu'il ne veut pas la rencontrer en tête à tête, mais qu'il accepte de s'expliquer devant une instance du mouvement. En quoi cela est-il insultant ? Mongo Béti pose la question à la commission.

Le point no 3 du document 5 fait mention de trois courriers envoyés par le chercheur Afrique, Austin Chegwé, à Mongo Béti; ce dernier n'aurait pas répondu. Mongo Béti affirme devant la commission qu'il n'a jamais reçu ces trois lettres, et demande à voir les copies, il est répondu qu'il [PAGE 73] n'y a pas les copies de ces courriers. N'est-il pas étrange d'adresser des courriers aussi importants, sans en conserver un double ?

Le Président de la commission avise Mongo Béti, qu'il lui reste cinq minutes pour terminer son exposé, des considérations d'ordre pratique interviennent, un membre de la commission venant de Strasbourg manifeste son intention de regagner son domicile le soir même faisant par là même remarquer que le temps était limité.

Mongo Béti : « Je ne peux pas accepter d'être jugé par des personnes qui ont été conditionnées longuement; par des dossiers ou par des rumeurs, par un tas de choses auxquelles je n'ai pas participé et par des choses qui sont fausses. Je refuse de croire qu'on puisse lire ce dossier et ensuite juger quelqu'un objectivement. Je refuse de le croire. Si vous n'avez pas été frappés par l'irrégularité du document que l'on vous soumettait, je le regrette pour vous. »

Le Président de la commission fait remarquer à Mongo Béti qu'il aurait dû constituer son dossier avec des preuves et l'envoyer à la commission. Mongo Béti a répondu : « La remarque est judicieuse mais vous oubliez qu'il m'a seulement été donné dix jours, pour constituer celui-ci alors que le dossier fait contre moi l'a été en six mois. »

Mongo Béti est invité à montrer ses preuves, il met sur la table neuf revues « Actuel Développement ». Un membre de la commission dit « En quoi le fait que M.J. Protais, soit rédacteur en chef d' « Actuel Développement » justifie l'accusation que vous avez portée ? »

Mongo Béti : « Vous accepteriez qu'un Président Américain d'Amnesty International, travaille dans un magazine de propagande pour le Chili ? Ceci est un magazine de propagande sur la coopération en Afrique, il y a tout un esprit de flagornerie à l'égard de la coopération. Ce magazine n'est pas commercialisé, il n'équilibre pas ses comptes, du reste M. J. Protais reconnaît que celui-ci est subventionné en totalité par le gouvernement. »

Puis ensuite intervention de M. Laurent du groupe 92, il nous informe qu'il y a huit mois une commission Amnesty sur l'Europe a fait des recherches sur le centre d'internement des immigrés Arenc à Marseille, et dit qu'à présent les conclusions de ce travail doivent être tirées. Puis s'adressant à Mongo Béti il lui dit : « Visiblement, votre action a été bénéfique, il est certain, M. J. Protais le dit dans sa [PAGE 74] lettre, qu'il y avait un manque d'information et une insuffisance dans le travail d'Amnesty sur l'Afrique francophone. Votre intervention à l'intérieur dAmnesty a été bénéfique, puisque visiblement selon le dernier rapport annuel il y a beaucoup plus de prisonniers adoptés au Cameroun. Pourquoi avez-vous formulé ces accusations ? » (Extrait de la bande sonore.)

Mongo Béti : « Mais non, ça ne va pas, vous ne tenez pas compte de l'ordre chronologique, quand mon article a été rédigé en mars 1977, rien n'avait été fait. » Mongo Béti dit ensuite que les choses ont évolué, il ne réitère pas présentement ses critiques, et déclare être toujours prêt au dialogue pour autant qu'il ne lui soit pas refusé.

Ensuite Mongo Béti rappelle que le 3 février 1977 (c'est-à-dire un mois avant qu'il rédige son article dans SOS Cameroun) à Paris se tenait une séance d'information organisée par le Comité de défense des prisonniers au Cameroun; au cours de cette séance, des avocats de retour de ce pays, venaient témoigner sur ce qu'ils avaient vu, toutes les organisations humanitaires avaient été invitées à assister à cette séance d'information; seul Amnesty n'a pas répondu...

Un membre de la commission répond qu'il n'est pas dans les habitudes d'A.I. d'assister à des meetings, or il ne s'agissait pas d'un meeting, et par ailleurs nous savons qu'à deux reprises A.I. a appelé sur un tract rassemblant diverses organisations à venir nombreux au meeting en faveur de Léonid Plioutch, et l'année suivante à un meeting en faveur de trois prisonniers de pays de l'Est, et trois autres d'Amérique Latine.

Réflexions sur le travail de la commission des neuf

1) A la fin de la séance de la commission, Alain Rivet secrétaire adjoint régional est venu confirmer que la pièce no 5 du dossier de recours de Mongo Béti n'était pas un extrait du compte rendu de l'Assemblée régionale de Normandie, mais un compte rendu d'une conversation entre Teddy Follenfant, Josette Bos, et quelques membres du groupe 15 pendant le déjeuner.

Malgré cette déclaration, la commission n'a pas cru bon suspendre sa décision d'exclusion.

2) L'Audition des deux parties n'a pas été contradictoire, mais réalisée séparément.

3) La démonstration n'a pas été faite que Mongo, Béti [PAGE 75] s'était trompé; c'est même le contraire, puisqu'il a été reconnu qu'il y avait un manque d'information et une insuffisance dans le travail d'Amnesty sur l'Afrique Francophone.

4) Laurent membre de la commission, reconnaît que le travail de Mongo Béti sur l'Afrique a été bénéfique.

5) Mongo Béti de son côté reconnaît une amélioration, et ne réitère pas ses critiques pour le moment, prenant en compte ce qui a été fait.

Malgré ces motifs et les deux derniers points positifs, la Commission des 9 a décidé l'exclusion définitive, celle-ci aurait été votée à la majorité, le nombre de voix pour et contre n'a pas été mentionné.

Mongo Béti n'est pas en contradiction avec les statuts d'Amnesty, il a répondu aux questions posées par un membre de la commission.

– Il trouve naturel de travailler pour tous les prisonniers dans le monde.

– Il est contre la peine de mort.

Pourquoi cette exclusion ? contrairement à ce qu'a dit Mongo Béti à la commission, il n'y a pas d'amélioration sur le travail d'A.I. en Afrique, ce n'est pas l'adoption de quelques prisonniers au Cameroun, et la prévision d'une campagne Ethiopie qui nous fait oublier le Royaume Centrafricain, le Tchad, etc.

L'exclusion de Mongo, Beti est la démonstration que l'on ne veut pas entendre parler de l'Afrique. Il a formulé de vives critiques à l'égard de certaines personnes, c'est un droit reconnu par toute société démocratique, une telle exclusion ne pourrait se faire que dans un parti totalitaire.

Si nous ne sommes pas tous d'accord avec Mongo Beti quant à la forme de ses critiques, nous sommes certaine ment très nombreux à refuser ses exclusions.

Nous ne devons jamais nous incliner devant une injustice.

Le pouvoir de débattre de cette affaire nous a été confisqué à Mulhouse, au profit d'un petit groupe de personnes que l'on savait pouvoir manipuler aisément.

Nous devons demander l'annulation de la décision d'exclusion de Mongo Beti, vous trouverez ci-joint une pétition; peut-être avez-vous une autre formule, elle sera bonne du moment qu'elle combat l'injustice.

D'autre part, nous devons demander l'ouverture d'une Assemblée Générale extraordinaire qui enfin pourra régler [PAGE 76] ce problème en toute équité, et aussi pour définir la liberté d'expression au sein d'A.I., et en dehors du mouvement, le droit à l'information pour les militants de la base, et une véritable séance de travail sur les pays « oubliés ».

Bien amicalement.

E. TROCHARD.

P.S. : Pourquoi tous les membres d'Amnesty n'ont-ils pas été informés de cette exclusion, soit par la Chronique ou autre moyen ?

Ci-joint vous trouverez une copie de lettre de Francis Meyer à Aimé Léaud.

Tous les documents cités en références sont en ma possession et je les tiens à la disposition des personnes qui souhaiteraient en prendre connaissance.

Rouen, le 26 octobre 1978.

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*  *

7

AMNESTY INTERNATIONAL
Bordeaux 28
Secrétaire : Marie-Françoise Colomes
41, rue Roborel-de-Climens, Bordeaux

              Au groupe 15 de Rouen

Chers amis,

Nous avons récemment reçu la lettre du groupe de Rouen nous exposant ses sentiments après l'exclusion de la Section française d'A.I. de l'un de ses membres : Mongo Beti.

Nous avons également entre les mains le document concernant cette affaire qui a été remis par la Section Nationale lors de l'Assemblée Générale de Mulhouse à l'un des membres qui nous représentait.

Notre but n'est pas de jouer les arbitres; nous pouvons déjà dire que, quelle que soit l'issue de ce conflit, il nous arrivera à tous, en tant que membres d'une organisation en pleine expansion, d'être exposés à d'autres situations conflictuelles, qui ne doivent en aucun cas nuire à la tâche qu'A.I. s'est assignée. Bien au contraire, de ces situations, peut être tiré un enseignement positif sur la façon d'aborder les conflits et de les régler avec sérénité et dynamisme.
[PAGE 77]

Notre groupe, à la suite d'une discussion à son tour... conflictuelle, s'est finalement mis d'accord pour étudier sans passion les données du différend. Nous nous sommes alors aperçus qu'il nous manquait des informations précises pour avoir une représentation claire de la situation. Notre lettre exprime donc ce désir.

En bref, nous aimerions avoir une réponse à ces différentes questions :

– Auriez-vous un exemplaire de l'un ou des articles de M.J. Protais dans la revue « Actuel Développement », qui est, semble-t-il, à la base des prises de position de Mongo Beti ?

– Auriez-vous le double de la première lettre de M.-J. Protais à Mongo Beti, dont nous n'avons que la réponse et qui paraissait proposer une entrevue entre eux deux ?

– Auriez-vous le double de la correspondance entre Londres (Chercheur Afrique) et Mongo Beti ?

– Soit le double des lettres de Londres demandant des informations sur l'Afrique à Mongo Beti et qu'il n'aurait pas reçues.

– Soit le double de la lettre établissant qu'il n'y aurait pas de doubles de cette correspondance à Londres.

– Auriez-vous le double de la lettre du groupe 15 à M.J. Protais, datée du 27 septembre 1977, lui demandant, a-t-on cru comprendre, de venir à l'Assemblée régionale ?

– Quelle est la personne qui endosse la responsabilité du « je » rédigeant la lettre compte-rendu à la suite de cette Assemblée régionale (document no 5). Cela se réfère-t-il strictement à ce qui s'est dit dans le cadre de l'Assemblée Régionale ou également à ce qui s'est dit dans des conversations privées ? Dans ce dernier cas, a-t-il été présenté comme tel ?

– Enfin, pourrions-nous savoir si le Conseil National qui a procédé à l'exclusion de Mongo Beti comprenait des Conseillers régionaux et combien ?

Voilà ce que nous attendons de vous, confiant dans le fait que la convergence de nos objectifs à tous doit nous faire dépasser toutes difficultés.

Bien amicalement.

Le 10 décembre 1978.
Pour le groupe 28

P.S. : Nous envoyons cette lettre aux amis du groupe 15 de Rouen et du Secrétariat National.
[PAGE 78]

8

SF 79 No 002
Paris, le 12 janvier 1979

AMNESTY INTERNATIONAL
Section française
18, rue de Varenne
75007 Paris
Tél. : 222-91-32
C.C.P. 30160 U La Source

              A : Groupes d'adoption

NOTE SUR L'EXCLUSION DE MONGO BETI

Par Michel Odier, l'un des fondateurs de la Section française et ancien président du Comité Exécutif de cette Section.

Mongo Beti, écrivain et enseignant d'origine camerounaise, dirigeant d'un mouvement d'opposition au régime de son pays, a été exclu en novembre 1977 par la Section française d'Amnesty International, pour avoir porté publiquement des accusations graves sans aucune preuve contre les dirigeants de la Section.

Cette exclusion a été confirmée le 10 juin 1979 par une commission de 9 membres, tirés au sort par l'Assemblée Générale des 26-27 mai 1978, devant laquelle Mongo Beti avait fait appel.

On trouvera ci-dessous, successivement

1o Un rappel des faits et écrits ayant abouti à l'exclusion de Mongo Beti, y compris les deux textes de décision d'exclusion;

2o Des éléments d'information sur le travail d'Amnesty International sur l'Afrique;

3o Une liste d'écrits publiés par Mongo Beti, contenant des accusations contre la S.F.

4o Des réponses aux arguments des membres de la Section française qui ont critiqué l'exclusion, tant pour des raisons de fond que pour des raisons de forme.

La présente mise au point est adressée à ceux des membres de la Section française qui ont écrit, posé des questions, ou contesté la décision.

Aucune publicité n'a été faite autour de cette exclusion [PAGE 79] par le fait d'A.I., uniquement par égards pour Mongo Beti, et pour ne pas nuire à son action de militant du TiersMonde; Amnesty n'a pas à juger son combat.

L'examen complet du dossier permet d'affirmer que tous les principes de la vie démocratique de l'Association ont été respectés, et même largement au-delà de ce que prévoient les statuts, nationaux ou internationaux, du mouvement.

Il peut y avoir eu des maladresses au cours de cette affaire et nul ne le niera, surtout pas les dirigeants d'A.I. dont aucun n'est familier des méandres du combat politique. Mais les faits essentiels sont là, qui ont fait agir chacun en conscience.

1o LES FAITS

Au cours de l'été 1977, le Comité Exécutif de la Section française d'A.I. apprenait qu'un article signé de Mongo Beti (membre de la Section française)[3] avait paru dans la revue « S.O.S. Cameroun »[4] sous le titre « Amnesty International, organisation humanitaire », au mois de mai 1977.

Cet article mettait en cause les dirigeants de la Section française, notamment dans les deux paragraphe cités ci-dessous :

« ... Car s'il est vrai que les dirigeants de certaines sections nationales d'A.I. et particulièrement ceux de la Section d'A.I. de France, sont soumis à de fortes pressions de leurs gouvernements, qui les transforment finalement en alibis de la guerre froide en les paralysant dans certains cas...

« ... Il n'y a pas grand-chose à espérer de la direction d'Amnesty International-France dont, comme je viens de le dire, l'inertie est flagrante dès que les intérêts de la France capitaliste sont en jeu... donc il n'y a rien à en attendre à propos de l'Afrique sous domination française... »

La présidente de la Section française d'A.I., Marie-José [PAGE 80] Protais en outre membre du Comité Exécutif International, écrit alors à Mongo Beti pour lui demander des explications sur ses allégations, et souhaite le rencontrer personnellement.

Mongo Beti répond le 15 septembre 1977, refusant de rencontrer M.J. Protais, et maintient ses accusations contre les dirigeants de la Section française, alléguant qu' « ils sont asservis aux intérêts de l'impérialisme français en Afrique Noire »... et,... « qu'ils ont partie liée avec la coopération franco-africaine et que de ce fait, ils ne sauraient être qualifiés, comme ils l'ont toujours montré d'ailleurs, pour dénoncer les crimes commis contre les Droits de l'Homme dans les dictatures sanguinaires installées et protégées par la France en Afrique Noire ».

Dans cette même lettre, Mongo Beti se dit prêt à redire ses accusations devant les instances de la Section française, et éventuellement à être assigné devant un tribunal pour diffamation.

Le Comité Exécutif décidait alors d'inviter Mongo Beti à donner ses explications, lors de la réunion du 26 novembre 1977 du Conseil National de la Section française, selon les nouveaux Statuts.

Mongo Beti se présente devant le Conseil National, accompagné d'un avocat qui se contente d'exposer ce qu'il savait de la situation au Cameroun. Lui-même reprit ses accusations sans les appuyer sur le moindre élément de preuve, et annonça qu'il entendait renouveler à l'extérieur du mouvement ses déclarations sur les dirigeants de la Section française.

Le Conseil National décidait alors à la quasi unanimité d'exclure Mongo Beti, selon la décision ci-dessous :

– Le Conseil National de la Section française d'Amnesty International, réuni le 26 novembre 1977 à Paris,

Considérant que dans un article intitulé « Amnesty International, organisation humanitaire » paru dans la revue « S.O.S. Cameroun » de mars 1977, M. Mongo Beti, membre d'Amnesty International et affilié au groupe France 15 s'est exprimé dans les ternies suivants :

« Car s'il est vrai que les dirigeants de certaines sections nationales d'A.I., et particulièrement ceux de la section d'A.I. de France, sont soumis à de fortes pressions de leurs gouvernements qui les transforment finalement en alibis de la guerre froide en les paralysant dans certains cas, une [PAGE 81] connaissance exacte des structures de cette organisation. permet de faire circuler une information utile auprès d'un certain public occidental dont la sincérité militante et démocratique n'est plus à démontrer »,

et plus loin :

« il n'y a pas grand-chose à espérer de la direction d'A.I. France dont, comme je viens de le dire, l'inertie est flagrante dès que les intérêts de la France capitaliste sont en jeu ».

et plus loin

« ceux-ci (des bénévoles) sont toujours des hommes et des femmes de cœur, d'une très grande sincérité, à l'exception de quelques agents infiltrés par le pouvoir capitaliste »;

Considérant que ces textes ont été publiés sans que M. Mongo Beti ait au préalable averti la Section française des accusations qu'il formulait contre elle; qu'après plusieurs demandes et tentatives amiables du bureau exécutif pour que de telles allégations fussent précisées, le Conseil National a décidé d'entendre M. Mongo Beti; que pressé de justifier les faits qu'il avançait, M. Mongo Beti n'a pu en apporter la preuve; qu'il a cependant maintenu ses accusations à l'encontre des autorités élues de la Section française et manifesté son intention de -les formuler à nouveau :

Considérant qu'une telle attitude prive l'intéressé de toute possibilité d'action efficace et impartiale au sein de l'organisation pour la défense des prisonniers d'opinion; que du reste les propos calomnieux de M. Mongo Beti sont incompatibles avec son appartenance à Amnesty International,

Décide :

M. Alexandre Biyidi-Awala, dit Mongo Beti, est exclu d'Amnesty International.

Le 25 février 1978, Mongo Beti faisait appel de cette décision devant l'Assemblée Générale de la Section française.

L'Assemblée Générale, tenue les 27 et 28 mai 1978 à Mulhouse, après avoir entendu Mongo Beti et le président de la Section française, ainsi que des membres d'A.I. opposés à son exclusion, décidait de nommer une commission de 9 membres, choisis par tirage au sort, pour réexaminer complètement l'affaire. L.A.G. donnait expressément pouvoir à cette commission pour décider en son nom. La Commission, après avoir entendu les différentes personnes impliquées, devait confirmer l'exclusion le 10 juin 1978, selon la décision ci-dessous :
[PAGE 82]

La Commission désignée par l'Assemblée Générale d'Amnesty International – Section française – le 28 mai 1978, réunie le 10 juin 1978 à Paris pour statuer sur le recours de M. Alexandre Biyidi-Awala (Mongo Beti) contre la décision d'exclusion prise à son égard par le Conseil National le 26 novembre 1977.

Considérant que dans un article intitulé « Amnesty International, organisation humanitaire » paru dans la revue « S.O.S. Cameroun » de mars 1977, M. Alexandre Biyidi Awala, membre d'Amnesty International, a écrit :

« car, s'il est vrai que les dirigeants de certaines Sections Nationales d'Amnesty International, et particulièrement ceux de la Section d'Amnesty International-France, sont soumis à de fortes pressions de leurs gouvernements, qui les transforment finalement en alibis de la guerre froide en les paralysant dans certains cas, une connaissance exacte des structures de cette organisation permet de faire circuler une information utile auprès d'un certain public occidental dont la sincérité militante et démocratique n'est plus à démontrer »

et plus loin,

« il n'y a pas grand-chose à espérer de la direction d'Amnesty International-France dont, comme je viens de le dire, l'inertie est flagrante dès que les intérêts de la France capitaliste sont en jeu, donc il n'y a rien à en attendre à propos de l'Afrique sous domination française ».

Considérant que ces textes ont été publiés sans que M. Mongo Beti ait au préalable averti la Section française des accusations qu'il formulait contre elle,

Considérant que ces affirmations, qui n'ont pas été déniées par l'intéressé, bien qu'il ait pu contester à juste titre d'autres éléments du dossier présenté à l'Assemblée Générale du 28 mai 1978, sont particulièrement graves : en effet elles portent incontestablement préjudice à Amnesty International et par suite aux prisonniers qu'elle prend en charge.

Considérant en outre que M. Mongo Beti n'a nullement apporté la preuve de ses assertions en établissant des cas précis « d'inertie » due à des pressions gouvernementales exercées sur les dirigeants de la Section française d'Amnesty International,

Considérant que ces affirmations sont peut-être dues au fait que M. Mongo Beti n'a pas cherché à connaître les modalités spécifiques du travail d'Amnesty International,
[PAGE 83]

Mais considérant que cette ignorance révèle une méconnaissance grave du devoir qui s'impose à tout membre d'Amnesty International d'avoir le souci de ne porter préjudice ni aux prisonniers ni à Amnesty International, Décide à la majorité : Le recours de M. Mongo Beti est rejeté.

Signatures de

    A. HUET Groupe 9 Strasbourg II
    J. GIBELIN Groupe 44 Sarcelles
    C. CARON Groupe 4 Strasbourg 1
    Georges COLLET Groupe 42 La Rochelle
    A.-M. LALLEMANT Groupe 27 Dôle
    Monique B. THEVENET Groupe 50 St-Etienne
    CI. DUFOUR Groupe 8 Nancy
    Ambroise LAURENT Groupe 92 Jouy-en-Josas
    Christian BOIS Groupe 36 Rueil-Malmaison

2o ELEMENTS SUR LE TRAVAIL D'AMNESTY INTERNATIONAL EN AFRIQUE, ET NOTAMMENT DE LA SECTION FRANÇAISE :

– Il faut d'abord rappeler que, dès les origines de la Section française en 1971, l'Afrique, en particulier l'Afrique francophone, a été au premier rang des préoccupations des membres et des dirigeants de la Section, ne serait-ce que parce que la position d'ancienne puissance coloniale faisait de la France l'un des lieux où la recherche sur des cas de prisonniers pouvait s'effectuer.

Dès 1972, le groupe d'adoption no 5 d'Amnesty Section française était choisi par le Comité Exécutif pour être l'un des premiers groupes de coordination créés par la Section, le groupe de coordination sur l'Afrique francophone. Dès cette époque, le groupe travaillait en étroite liaison avec le chercheur du Secrétariat International qui s'occupait de l'Afrique.

Par la suite, ce fut l'une des constantes préoccupations du Comité Exécutif de rappeler au Secrétariat International que l'Afrique constituait l'un des continents très exposés aux atteintes aux Droits de l'Homme. Plusieurs résolutions furent Proposées successivement aux différents Conseils Internationaux par la Section française, pour réclamer que les moyens du Département de la Recherche du Secrétariat International, soient renforcés, puis pour réclamer la nomination [PAGE 84] d'un délégué d'A.I. pour l'Afrique (En anglais, « Field Officer »), comme il y en avait déjà en Amérique Latine.

Fin 74, A.I. lançait une campagne concernant cinq pays d'Afrique Noire francophone, le Tchad, le Mali, le Gabon, le Cameroun et la Côte d'Ivoire, campagne suivie en 1975 par la mission du Secrétaire Général Adjoint du Secrétariat International, Hans Ehrenstrale; cette mission avait non seulement pour but de demander la libération des prisonniers politiques dans ces pays, mais aussi d'expliquer l'action d'A.I. en faveur du respect des Droits de l'Homme.

La Section française avait activement participé à cette campagne, en collaboration notamment avec le chercheur du Secrétariat International et le groupe de coordination de la Section Allemande (édition de cartes postales, publication de plusieurs communiqués de presse, participation des groupes d'adoption ayant des prisonniers dans ces pays, etc).

Enfin, la Section française avait proposé, en complément des résolutions aux Conseils Internationaux, de fournir au Secrétariat International un local à Paris, local destiné à recevoir alternativement des chercheurs du S.I. notamment les chercheurs sur l'Afrique. En fait, le chercheur africain Gerson Konu travailla à Paris dans un local loué par la SF, de 1973 à 1976.

Des informations spécifiques sur le travail d'A.I. en Afrique sont contenues dans les Rapports Annuels successifs. En outre, un article sur ce sujet est paru dans la chronique no 22 du 20 novembre 77, page 12. Enfin, un bref compte rendu d'activités du groupe de coordination sur l'Afrique Noire francophone, mentionne, du 1er janvier au 30 septembre 77, de nombreux contacts. Ces contacts ont presque tous abouti à des informations sur des prisonniers politiques dans ces pays, y compris le Cameroun. Aucune de ces informations ne provenait de Mongo Beti, ni du C.D.A.P.P.C., en particulier lors de la conférence de presse qu'il a donnée au cours de cette période.

3o BIBLIOGRAPHIE DES ARTICLES DIFFAMATOIRES DE MONGO BETI

– Revue « S.O.S. Cameroun » - no de mai 1977.

Bulletin du C.D.A.P.P.C., chez Me Didner-Sergent, 3, rue [PAGE 85] Thimonier, 75009 Paris - p. 2, Article « Amnesty International, organisation humanitaire », par Mongo Beti.

– Mongo Beti : Main basse sur le Cameroun - Petite Collection Maspéro (1977) voir p. 41.

– Revue : « Peuples noirs - Peuples africains » 341, rue des Pyrénées, Paris 200.

No 3 mai-juin 78 - Article p. 1 « Faux et usage de faux à la Section française d'A.I. ».

– Des publicités pour ce même numéro, contenant le titre de l'article incriminé, ont paru dans Le Monde du 14-7-78 et dans Témoignage Chrétien du 20-7-78.

4o REPONSES A QUELQUES QUESTIONS

1o D'abord à propos de la pièce no 5 du dossier de Mulhouse : cette pièce n'est nullement un faux comme l'ont dit certains. Seul son titre, à la suite d'une erreur commise au moment de la constitution du dossier, est inexact. Cette pièce est un extrait d'un rapport de conversation entre les délégués de la Section française et des membres du groupe 15 de Rouen, à l'occasion de l'Assemblée régionale. Ce compte rendu n'a été joint au dossier initialement destiné aux membres de la commission de recours, que parce qu'il contenait des informations sur les démarches faites par le C.E. d'alors pour mieux connaître la situation sur le plan local.

Cette pièce a été remise à toutes les personnes présentes à l'A.G., y compris Mongo Beti. Toute rectification utile pouvait donc y être apportée sur le champ.

2o Il faut ensuite rappeler que tous les principes démocratiques ainsi que les statuts nationaux et internationaux d'A.I. ont absolument été respectés dans cette affaire, et même au-delà. On consultera les statuts en cas d'interrogation à ce sujet : le Conseil National de novembre 1977 était habilité à prononcer une exclusion. La nomination d'une commission de recours après l'A.G. de Mulhouse était une garantie supplémentaire que les membres chargés d'examiner ce cas ne soient pas « juges et parties ».

3o La question de forme : La plus importante est celle de l'information : Pourquoi les groupes n'ont-ils pas été informés après novembre 77 de l'exclusion de Mongo Beti ? Puis, lorsque Mongo Beti a fait appel de cette décision devant l'A.G., pourquoi tous les délégués à l'A.G. n'ont-ils pas reçu le dossier parmi les documents avant l'A.G. ?
[PAGE 86]

Certains pensent qu'une large information aurait due être diffusée au sujet de cette exclusion. Le C.N. a été d'un avis contraire, pour des raisons d'opportunité et des raisons de principe.

a) raison d'opportunité

– le fait de donner de la publicité à la décision d'exclusion aurait pu être interprétée par l'intéressé comme une mesure de malveillance à son égard.

b) raison de principe :

– il n'est pas conforme à la démocratie que les instances élues se sentent tenues de s'expliquer sur tous les actes qu'elles accomplissent dans le cadre de leurs responsabilités statutaires.

Dans le cas qui nous occupe, il y a eu deux décisions :

– La décision du C.N.

Les statuts donnent pouvoir à l'instance exécutive de prononcer des exclusions pour motifs graves. Le C.E. qui était en fonction en novembre 77 a préféré ne pas examiner seul le cas dont il était saisi. Il s'est adjoint les S.R., en sorte que c'est le C.N. tout entier qui a examiné l'affaire et a statué. Il y a donc eu pour Mongo Beti plus de garanties que n'en prévoient les Statuts.

– La décision de l'A.G.

Aucune préparation particulière n'était nécessaire pour initier les délégués à une affaire d'une extrême simplicité. Les faits reprochés à Mongo Beti étaient clairs. Ils ne faisaient l'objet d'aucune contestation. Leur présentation contradictoire à la tribune de l'A.C. constituait une information suffisante.

Le C.N. a estimé que les membres de la S.F. avaient suffisamment de maturité pour faire confiance aux responsables élus de l'Association et accepter le fonctionnement démocratique des instances.

4o La question de fond, outre le point no 2 (éléments du travail d'A.I. sur l'Afrique), il faut souligner :

– que, quoi qu'on en dise, Mongo Beti n'a jamais fait beaucoup d'efforts pour faire connaître à la Section française les faits qui concernaient le Cameroun;

– que si le nombre de prisonniers adoptés en Afrique Noire francophone a pu augmenter ces dernières années, cela est dû au moins en partie aux interrogations formulées aux Conseils Internationaux par les dirigeants de la S.F.

– que jamais aucune pression n'a été prise en compte, [PAGE 87] d'où qu'elle vienne, par le Comité Exécutif de la Section française;

– que l'accusation portée contre M.-J. Protais de faire partie de la rédaction d'Actuel Développement et d'avoir ainsi partie liée avec l'impérialisme français en Afrique est à ce point grotesque, que M.-J. Protais a été licenciée de cette revue en juin 1977 justement parce que sa liberté d'expression n'y était plus admise.

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9

Le 16 février 1979

Mme Privat
62, rue Thomas-Dubosc
76000 Rouen

              A Mesdames et Messieurs
              les Secrétaires Régionaux
              de la Section française d'A.I.

Mesdames,
Messieurs,

Je me permets de vous rappeler que je vous ai adressé une lettre le 16 octobre 1978 : celle-ci a trait au « compte-rendu » SF 77 584 (Document no 5).

Vous savez que titre et contenu sont entièrement faux et que ce texte constitue une violation très grave des Droits de l'Homme.

Quatre mois se sont écoulés : aucune réponse ne m'a été envoyée.

J'ai signalé ce fait, en réunion de groupe, à notre secrétaire régional, je le lui ai confirmé par lettre recommandée le 23 janvier 1979.

Sa réponse, postée le 30 janvier, se réfugiant derrière le paravent usé des malentendus et des quiproquos (cette fois-ci, ce serait entre les secrétaires régionaux et Aimé Léaud), ne peut être d'aucune manière tenue crédible par personne.

C'est pourquoi il apparaît nécessaire de vous en informer.
[PAGE 88]

Je demande donc à chacun d'entre vous, personnellement, de me dire si, au cours de l'une des trois précédentes réunions de Conseil National (21 octobre, 9 décembre, 27 janvier) ou lors de tout autre rencontre, l'objet de ma lettre du 16 octobre a été porté ou non à l'ordre du jour et ce qui s'en est suivi : rien ? compte-rendu de séance ? simulacre de rédaction d'une réponse, mais qui ne serait jamais envoyée ? refus de réponse ? etc. et les raisons de ce choix.

Vous savez que ma lettre du 16 octobre pose à chacun d'entre vous plusieurs questions, notamment :

– quel est le nom du rédacteur anonyme de la pièce officielle incriminée ?

– qui a mandaté ce rédacteur aux fins de confectionner un pareil « compte rendu » ?

Toute absence de réponse individuelle de votre part, toute réponse creuse ou incomplète, toute non-communication de document que vous détiendriez sur ce sujet, révéleraient à chaque fois un choix personnel pour un silence continu de complaisance des plus suspects. Votre honneur est engagé.

il est, bien entendu, inutile d'avancer comme arguments à une absence de réponse longue de quatre mois, l'insuffisance d'information, les erreurs involontaires, les oublis, les maladresses et les traditionnels malentendus et quiproquos.

Je vous prie donc de vouloir bien me répondre chacun individuellement par retour et d'agréer, Mesdames et Messieurs, l'expression de mes sentiments respectueux.

Mme PRIVAT

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10

DEMISSION ET EXCLUSION[5]

40. Il sera possible à tout moment de cesser d'être membre d'AMNESTY INTERNATIONAL ou d'y être affilié en donnant par écrit sa démission.

41. Le Conseil International pourra, sur proposition du Comité Exécutif International ou d'une section nationale, par un vote à la majorité des trois quarts des suffrages exprimés, exclure d'AMNESTY INTERNATIONAL, [PAGE 89] une section nationale, un groupe affilié ou un membre si, à son avis, elle ou il n'agit pas dans l'esprit qui se dégage des buts et des moyens tels qu'ils sont définis aux articles 1 et 2 ci-dessus ou n'observe pas les dispositions des présents statuts. Avant qu'une telle mesure ne soit prise, toutes les sections nationales en seront informées et le Secrétaire Général communiquera à la section nationale, au groupe affilié ou au membre en cause, les motifs sur la base desquels son exclusion sera proposée donnant la possibilité de présenter sa défense devant le Conseil International.

42. Une section nationale, un groupe affilié ou un membre qui n'aura pas versé sa cotisation annuelle telle qu'elle est fixée par les présents statuts, dans les six mois qui suivent la fin de l'année financière, cessera d'être affilié à AMNESTY INTERNATIONAL à moins que le Comité Exécutif International n'en décide autrement.


[1] Observation : Loin de suspendre la procédure d'exclusion, Aimé Léaud faisait confirmer le 10 juin le verdict d'exclusion par une Commission spéciale vraiment introuvable, dans laquelle siégeait, par exemple, un individu revenu récemment du Cameroun et qui ne cachait pas sa sympathie pour le dictateur francophile Ahidjo. Ainsi va Amnesty International Section Française.

[2] Lettre non publiée dans la Chronique.

[3] Mongo Beti, de son vrai nom Alexandre Biyidi-Awala, est président du « Comité pour Défendre et Assister les Prisonniers Politiques au Cameroun (C.D.A.P.P.C.), dont « S.O.S. Cameroun » est la revue. Mongo Beti était membre du groupe 15 de Rouen.

[4] Une première information mentionnait un « Courrier des Etudiants Camerounais ». Mongo Beti devait rectifier cette erreur et donner les références de son article dans « S.O.S. Cameroun ».

[5] C'est in extremis que le document ci-dessus nous est parvenu, grâce à l'obligeance de deux membres d'A.I.S.F., qui ne s'étaient pas concertés, ne se connaissant d'ailleurs pas. Jusqu'ici, les dirigeants d'A.I.S.F. avaient réussi à nous faire croire que la procédure d'exclusion n'était pas prévue dans les statuts; ils ont menti, encore une fois, comme en témoigne ce document. Ils ont menti afin de pouvoir bafouer impunément les statuts qu'ils avaient mission d'appliquer.