© Peuples Noirs Peuples Africains no. 5 (1978), 96-98.



CRI INSULAIRE

Georges Antoine LABONTE

et tu te feras eau
et puis île jaillie du volcan
baiser intense nommé de ta soif
fruit de pierre né de ton sexe vidé de ses tonnes d'os et de chairs
comme un qui devait surprendre
choquer         bouleverser
puisque frapper à la moëlle par la blessure unique

la multiplication du sang

et je fume l'heure pour retenir l'image
mille fois encensée par la parole surprise en flagrant délit
infraction du silence

    qui veut que la liberté ne soit pas qu'un mot
    mais une armée de lumières
    un jeu pluriel où tu livreras ton jésus et ton barrabas

ce corps devenu un matin fabriqué où j'emprisonne le feu pour te faire un bouquet d'espace libre         libre qui frappe mes solstices comme ces cheveux indexés au vif de ma tête cette main fera les gestes de la nuit dansante de mes reins [PAGE 97]
prendre tes yeux en otage et en faire le mystère du poème ton cou se transforme en d'inévitables apocalypses à violenter des forteresses immondes

je te forgerai un collier de poussière
m'esquinterai-je parmi leur néon et leur laser pour te chercher la flamme et je t'en ferai une robe à mettre en échec tous les miracles
tous les incendies
à laver la souillure de nos mensonges         je m'humilierai dans la brûlure de tes seins et ils en pousseront des équinoxes et des fontaines où iront boire les fantômes de nos exilés

sang exorcisé
sang battu         écrasé
croisé         semence abimée pour que survivent d'autres
nérons

arrête         arrête
l'heure s'en va
lourde de sa croix atomique
à changer le monde en sommeil de la mort

silence
la seconde est clouée
à des pôles fascistes
crevée
boxée

K.O.
[PAGE 98]



VISCERAL

Georges Antoine LABONTE

avant
c'était les raisins saignés
à l'incendie des visages sacrifiés

les roues lâchées
au vif des chemins voraces

les étoiles égarées
aux profondeurs des ombres

partout et nulle part
comme la mort
des cascades débordent de remords
des soleils s'interrogent

écrasé comme l'algue
sous le poids du fleuve
un espoir
viscéral
au centre du cri.

Georges Antoine LABONTE
[PAGE 99]



PAYS PLUS FORT QUE LA MORT

Jean-Blaise BILOMBO-SAMBA

Jean-Blaise BILOMBO-SAMBA est étudiant en Pharmacie à l'Université de Dakar. Auteur déjà de deux recueils de poèmes, Témoignages (Editions J.-P. Oswald, 1976) et La Fraternité Différentielle (Editions Saint-Germain-Des-Près), il prépare un troisième recueil, A Fleur de Feu. Dans ses prochaines livraisons, Peuples noirs-Peuples africains publiera d'autres poèmes de Jean-Blaise BILOMBO-SAMBA ainsi qu'une nouvelle qui mettra en évidence le talent de cet écrivain.



***

Toi pays de ce peuple découvreur de vie
Dépuceleur de morale et veuf de mort
Qui en appelle aux jours arables contre
Les malédictions         les dictions de l'oiseau gris
Des funérailles         ail et feraille de larmes [PAGE 100]

Toi pays         jeunesse verte de cette foule
D'espoir fou aux chants de sang au sang en chansons
Qui disent l'histoire de ta blessure et ta romance
Qui disent l'histoire des étoiles de feu

Lieu politique où sonne le tocsin pour les
Sergents sombres d'une saison d'une leçon
Lieu politique d'aujourd'hui puis d'aujourd'hui
Et encore d'aujourd'hui où le vent pâture

Les nègres-tampons         mélange étroit de thé
Et d'artichauts désertent ton désert d'égoïsme
Viol des torticolis d'infamies infinie
Rebellion des jours aux foudres fabuleuses !
Ton souffle porte un feu de soif inassouvie

Pays         mosaïque des résurgences         science de
L'espoir comme une aube dernière aux
Roses insoumises inscrites au futur
Rire         rire d'explosion d'un coït d'arc-en-ciel

Phrase du flux des sables Pas graves des grèves
Pétales des naissances plus loin que le froid
Gris des peurs/ des ports d'amertume/ des terrains
Vagues ainsi le vague à l'âme à l'âge

Demain est un orgasme qui mutile la
Raison la maison d'un baiser bistrot de corps
Aux colères exotiques léopards de
Pacotilles qui s'effraient des marées montantes
Comme un demain appelé demain-des-différences

Devoir devenir un devoir partout pour tous
Matin qui rêve sans dormir         sans venir de
Plus loin que la nuit issue du cri du sel des sèves
Itinéraire d'une flore tropicale/ tropismes

Vents rouges         vertes vallées         rives de rires de riz
A foison         à bouche-que-veux-tu         pari où
Se cherchent des villes         des vies vraies         des envies
Investies d'hosties aquatiques/ terres d'eau

Le cœur d'un futur socialiste apparaît [PAGE 101]
Dans le chœur des présences paysannes qui
Pratiquent verticalement les vertus d'orge
Et d'ombres précieuses aux empreintes lumineuses
Sur le parvis de la vie comme un dimanche

Ah pays         refus de soleils mis au sommeil
Refus des verrues dans ton corps de gingembre
De janvier         engrais des labours initiatiques
Sueur questionnée jusqu'au fruit d'espérance

Pays! il te reste encore le domaine fraternel
A contre-mort sur les bras ouverts des semences
L'immense pouvoir des grains et du pain sur la faim

Et l'encens d'un avenir intraduisible qui
Déjà envahit la respiration sociale.

(A Fleur de Feu.)

Jean-Blaise BILOMBO-SAMBA