© Peuples Noirs Peuples Africains no. 5 (1978), 70-75.



TRIBUNE LIBRE

STRATEGIE NOIRE

Christian-Jacques PARACLET

Suite à la récente parution de l'ouvrage de IBRAHIMA BABA KAKE, il semble qu'une critique s'impose.

« Les Noirs de la DIASPORA » : titre très évocateur et problème de prime importance dans tout ce qui gravite autour du thème de l'existence passée, présente et prospective du Noir dans notre monde tel qu'il est.

Deux problématiques me semblent peu explicitées par l'auteur dans son ouvrage. Tout d'abord celle de l'Egypte pharaonique où CHEICK ANTA DIOP démontre avec preuves à l'appui l'essense nègre de la civilisation pharaonique.

A mon sens cet aspect du problème mériterait un plus ample développement à l'intention des lecteurs qui n'auraient pas lu CHEICK-ANTA DIOP.

Deuxième problématique, fondamentale : celle de la situation économique des Noirs.

Je cite IBK à la page 183 de son ouvrage : « Les communistes ont certes raison d'appuyer sur la situation économique des Noirs dans la société américaine. Mais les Noirs ont besoin d'avoir autre chose qu'une situation économique décente. Ils ont besoin d'amour, de respect de leur personnalité. » [PAGE 71] En prenant des distances vis-à-vis de toute chapelle idéologique, je dirai que point n'est besoin d'être communiste pour voir en l'économie le moteur de la dynamique du pouvoir.

Il me semble que ce ne sera qu'à partir d'une position de force sur le plan économique que le respect de la personnalité du Noir sera chose acquise. Tout le problème de la domination du Noir réside dans cet aspect fondamental. Qui est l'ECONOMIQUE et ses prolongements qui sont : le FINANCIER, le SCIENTIFIQUE, le TECHNOLOGIQUE. Mon propos est précisément de cerner cette problématique quadripolaire.

Il n'est plus à démontrer que la diaspora Noire et sa matrice l'Afrique sont consubstantiellement liées; donc à partir de cela, une idée force doit émerger qui est que : le développement industriel de l'Afrique qui aura pour corollaire son émergence sur la scène internationale dans le domaine financier, scientifique et technologique est la condition permissive de la libération des Noirs.

De la même façon, l'émergence aux Etats-Unis d'un lobby noir influent pourrait peser dans la politique américaine à l'égard de l'Afrique.

En matière de lobby noir, les afro-américains possédant le sens des affaires et qui sont des managers conséquents devraient saisir l'opportunité de contrôler le commerce international entre les Etats-Unis et l'Afrique de façon à pouvoir ainsi jeter des ponts commerciaux, industriels et financiers entre eux et leurs homologues africains.

Certes une telle entreprise n'est pas aisée eu égard à l'histoire, mais le sens de l'organisation et l'esprit d'entreprise dans la diaspora noire et en Afrique devrait permettre de surmonter les obstacles d'ordre organisationnel et structurel.

Il est bon d'insister sur le fait que le catalyseur du démarrage du processus de l'accumulation du capital dans le monde Noir sera la présence de chefs d'entreprise doués de l'esprit d'initiative et de l'ambition nécessaires pour prendre des risques et employer leur talent au lancement et au développement d'industries nouvelles.

Il s'agira donc d'encourager chez les jeunes Noirs l'esprit d'entreprise et le sens des affaires car, mettons-nous à l'évidence, n'en déplaise aux idéalistes, dans notre monde [PAGE 72] tel qu'il est, il n'y a pas d'indépendance, pas de puissance sans argent.

L'argent est le passage que doit nécessairement emprunter le développement industriel.

Il n'y a pas de développement industriel qui ne soit en même temps développement financier. L'éducation du Noir dans le sens de l'acquisition de l'esprit d'entreprise et de l'esprit scientifique présuppose donc une infrastructure éducationnelle importante.

Il nous faudrait par conséquent des collèges techniques, des universités, des écoles d'ingénieurs qui dispenseraient une formation poussée dans les domaines de la science et de la technologie, ainsi que des écoles d'Administration des Affaires qui assureraient la formation des jeunes Noirs dans la gestion des entreprises.

Il va sans dire que la contribution financière des hommes d'affaires africains et de la diaspora est capitale pour mener à bien cette entreprise, c'est la raison pour laquelle il me semble que la création d'une Organisation Noire Mondiale qui aurait un statut supranational et qui aurait pour objectif de gérer les affaires des Noirs par des Noirs sur le plan international, s'impose de toute urgence.

De plus cette organisation serait un instrument de réunification des Noirs d'Afrique et de la diaspora, en ce sens qu'elle se fixerait entre autres, pour tâche, celle d'organiser les Communautés Noires dispersées dans le monde, car il serait d'un grand secours pour nos communautés qu'elles soient structurées et organisées au niveau de chaque pays, par exemple en France, en Grande-Bretagne, au Brésil, au Vénézuela, en Colombie, au Pérou, à Panama, etc.

Pour en revenir aux questions financières, il me semble que les chefs d'Etat, les industriels africains, les artistes et les industriels Noirs américains se devraient de donner l'exemple en pratiquant ce que l'on pourrait appeler la fusion financière, car il ne fait aucun doute que tous les capitaux en leur possession seraient judicieusement employés : au financement d'Institutions et de Fondations Noires à vocation d'enseignement et de recherche, mais également investis dans des entreprises Noires à caractère industriel et commercial qui seraient génératrices de capitaux nouveaux.

Nous nous devons donc d'accomplir une tâche qui est [PAGE 73] celle d'investir dans l'homme Noir, car la course au pouvoir des civilisations a pour arène l'espace planétaire de la science, de la technologie et de la gestion.

Certes les armées, les matières premières et les capitaux sont les témoins et les instruments de la puissance, mais l'énergie moderne réside dans la capacité d'inventer; donc dans la recherche et la capacité d'appliquer ces recherches.

Donc notre véritable richesse à nous Noirs se trouve dans notre esprit, notre aptitude à créer et à réfléchir.

Nous nous trouvons en présence d'une binarité parfaite AFRIQUE/DIASPORA NOIRE.

Si nous prenons pour axiome que le Pouvoir à une économicité, une scientificité, une technicité, nous devons nous consacrer à une tâche essentielle qui est celle de notre développement économique et industriel ainsi qu'à l'acquisition du savoir scientifique et technologique. Nous avons donc quatre impératifs : Industriel, Educationnel, Scientifique et Technologique.

Cependant l'Afrique reste la pièce maîtresse de la dynamique de notre libération.

N'KRUMAH écrivait dans « Africa must unit » : « En face des forces qui s'unissent pour imposer à l'Afrique le néocolonialisme, il est capital que les chefs d'Etats cherchent dès maintenant les moyens les meilleurs et les plus rapides de mettre en commun leurs ressources économiques et mettre sur pied un plan commun pour les exploiter judicieusement pour notre profit à tous. Si nous y parvenons, nous créerons en Afrique une puissance industrielle, économique et financière comparable à n'importe laquelle que connaît notre temps.

« Toutefois les liens économiques effectifs ne peuvent être créés sans une saine direction politique, qui leur donne force et raison d'être. Nous devons donc conquérir d'abord cet objectif de base qui est l'Unité Africaine, et qui seule nous ouvrira les portes de la création en commun d'une industrie et d'une économie puissantes, grâce auxquelles se réalisera notre rêve d'un continent fort, entièrement libéré du colonialisme économique et politique ».

L'allusion ici au thème cher à N'KRUMAH : celui des Etats-Unis d'Afrique est évident, il est très dommage qu'à l'heure actuelle ce thème ne soit pas du tout propagé par les mass media. Aux sommets de l'O.U.A., on parle [PAGE 74] beaucoup d'Unité Africaine mais pas des Etats-Unis d'Afrique qui est un concept d'une plus grande précision; pourtant nul n'ignore le rôle de la propagande, de la mobilisation et de la motivation dans toute dynamique sociale.

A mon sens, il serait positif pour l'Afrique, à fortiori en cette période de troubles désintégrateurs qui agitent le continent Noir, d'exhumer le mot d'ordre d'Etats-Unis d'Afrique et qui pourquoi pas devrait être une devise affichée sur tous les édifices publics des Etats Africains.

Bien sûr il ne suffira pas d'afficher cette devise mais il faudrait surtout que les comportements des chefs d'Etat soient empreints de réalisme et de pragmatisme pour qu'ils restent en parfait accord avec la logique de leur ambition car la grandeur de notre peuple passe nécessairement par le dépassement des structures nationales traditionnelles et par la création des Etats-Unis d'Afrique.

Il n'est plus à démontrer que la viabilité industrielle de l'Afrique ne peut être atteinte que par son intégration économique à l'échelle continentale.

De cette puissance industrielle découlera un potentiel financier qui permettra le financement de programmes d'éducation, par là même, la formation de cerveaux qui pourrait concevoir des programmes scientifiques et technologiques, ceci bien entendu dans le but de ne plus dépendre de l'Occident en matière de science et de technologie, car prenons garde, même si un jour nous parvenons à l'indépendance économique et financière, il n'est pas évident que notre libération sera acquise, un pas important aura certes été franchi, mais il restera encore deux domaines à acquérir ou conquérir : la science et la technologie qui représentent pour les pays de centre des instruments de domination sur les pays du tiers-monde en général et sur l'Afrique en l'occurrence.

Partis de l'économique et du financier, nous voilà donc rendus au scientifique et au technologique; cependant la démarche aurait pu être inversée, c'est-à-dire partir du SCIENTIFIQUE/TECHNOLOGIQUE et en arriver à l'ECONOMIQUE/FINANCIER car ces quatres entités couplées sont consubstantiellement liées. [PAGE 75]

J'entends par là que l'ECO/FIN détermine le SCIENTIFIQUE/TECHNO qui va à son tour déterminer l'ECO/FIN. C'est la raison pour laquelle nous nous devons de ne pas perdre de vue la science et la technologie.

Nous savons que la science est un instrument parmi d'autres de l'éventail des moyens auxquels a recours le pouvoir qui nous domine pour atteindre ses objectifs, il nous appartient donc et par nécessité de mettre toutes nos forces en œuvre en vue de l'acquisition de ces instruments de pouvoir que sont la science et la technologie qui seront subordonnés encore une fois à notre puissance industrielle et financière. Hélas, force est de constater que nous ne sommes pas encore rendus à ce stade mais que seule notre détermination et surtout notre sens du pragmatisme, du réalisme, du rationalisme et de la dialectique doivent être les 4 éléments qui doivent éclairer notre pensée, guider notre action et qui puissent nous permettre de mettre en œuvre une véritable stratégie de développement industriel, scientifique et technologique au service de notre libération.

Christian-Jacques PARACLET