© Peuples Noirs Peuples Africains no. 4 (1978), 131-134.



ON N'ENTERRE PAS LES CHIENS

Comme la chair pourrie attire les mouches,
Et les hyènes, et les vautours,
Les richesses immenses de Kolwézi
Attirent les convoitises de l'Occident chrétien.
Les rues de Kolwézi sont jonchées de cadavres,
De cadavres noirs qui pourrissent au soleil.
A Libreville les chiens morts pourrissent aussi au soleil;
Jusqu'à ce que la voiture d'un chauffard ivre
Fasse exploser ca ballon nauséabond.
On n'enterre pas les chiens.
Qui enterrerait les cadavres de mes frères ?
Les cadavres peuvent-ils enterrer d'autres cadavres ?
Les cadavres de mes frères noirs pourrissent au soleil
De Kolwézi
D'autres s'entassent par centaines
Dans les charniers de Kassinga.
L'Occident chrétien se tait;
Parce qu'on n'enterre pas les chiens !
Les peuples bien pensants, civilisateurs de l'Occident
Ne s'émeuvent pas pour les cadavres de nègres
Qui pourrissent au soleil,
Au soleil de Kolwézi !
Le charnier de Kassinga n'en est pas un.
Les corps nus, déchiquetés par les bombes de Vorster
S'entassent par dizaines, par centaines dans les fosses communes.
Les « humanistes » ferment les yeux,
Bouchent les oreilles
Puisqu'il s'agit des noirs.
Les actions humanitaires ne peuvent profiter
Aux « hordes sauvages » noires [PAGE 132]
L'« Afrique aux Africains », lance-t-on avec ironie
Mais la vraie devise du monde occidental est:
« Chacun pour soi, l'Afrique pour tous ».
Sans les Africains qu'il faut naturellement exterminer.
Les « suicides » des enfants de Sowéto
N'appellent pas non plus des actions humanitaires,
Puisque les « suicidés » sont noirs.
Deux balances deux mesures !
Mais combien de noirs faut-il exterminer
Pour sauver un blanc ?

Békate MEYONG
Paris, le 14-7-1978.
[PAGE 133]

LIVREZ-MOI
                                                      à Edouard Maunick

      naissance distribuée
      je m'ouvre tel canif
      plaie d'acier mortel
      en présence d'épars
      copeaux cosmique de
      l'iode solaire

(arbre déjà veuf dépouillé des violents sangs-sues de l'été je mâche la chlorophylle des citronniers-suçeurs-d'ammoniac je brise les vitres du poème albinos)

      naissance dérobée
      j'offre mon sang tatoué
      j 'écris l'envoûtement
      piments-secs bouille-anis
      prisme d'amidon rouge jeté à la face
      de la chaux égarée
      au fond du sourire nègre

(index ensorcelé de camphre lavé de son eau rouillée je vise le rire-safran du mépris insulaire la claque fétiche du sang noué tel racines de tamarinier)

      naissance fêtée
      je suis la foule
      le complot invincible
      l'Homme-Métis-Porteur-De-Soleil
      fragments de chair rapiécés
      sillage livré à l'odeur aigre
      des colonies-quinines [PAGE 134]

livrez-moi vos semences         j'en ferai le talc de la malédiction
livrez-moi vos mains         j'en ferai des claques
livrez-moi vos cœurs         je les brûlerai de ma salive
livrez-moi vos amours         j'en ferai un mariage de vipères
livrez-moi vos filles         j'en ferai des promesses brisées

      serments de bouteilles

livrez-moi
livrez-moi vos morts         j'en ferai des cadavres de chiens
                                          errant à l'assaut de vos trahisons

      naissance sans étiquette
      j'appelle les feux mêlés
      à cette noce océane

      je crie Mozambique ce
      nom-drapeau
      de mes rires

      je vous attends au détour
      des mascareignes
      livrés au bain nocturne des cyclones

Georges-Antoine Labonté