© Peuples Noirs Peuples Africains no. 3 (1978), 113-122.



AU CONGRES DE L'INTERNATIONAL P.E.N. DE STOCKHOLM

Mongo BETI

Le 43e congrès de l'International P.E.N. s'est tenu à Stockholm, en Suède, du 21 au 26 mai 1978. Dans le thème de réflexion et de débat proposé aux participants, la littérature comme déguisement, les écrivains ressortissants de pays de dictature étaient encouragés à chercher un prétexte à méditation sur les diverses stratégies offertes par la création littéraire pour déjouer la persécution politique ou religieuse.

A l'invitation du comité suédois de l'International P.E.N., Mongo Beti a pris part aux travaux de ce 43e congrès de l'International P.E.N., ainsi que d'autres écrivains africains, de langue anglaise principalement, tels le nigérian Wole Soyinka.

Voici, reproduite in-extenso, la communication faite par Mongo Beti devant plusieurs dizaines d'écrivains de diverses nationalités et de réputation internationale. [PAGE 114]

UN VISAGE EXEMPLAIRE DE LA CREATION LITTERAIRE PERSECUTEE :
L'ECRIVAIN FRANCOPHONE D'AFRIQUE NOIRE

Mesdames, messieurs,

Encore que le sujet ne soit pas précisément académique, et qu'il soit même de nature à provoquer quelque incident diplomatique[1], vous ne serez certainement pas surpris de m'entendre évoquer un phénomène à la fois insolite et cependant constant à travers l'histoire; c'est celui représenté par la situation de peuples en général faibles et démunis, décolonisés plus ou moins réellement, au sein desquels apparaissent des écrivains obligés, pour des raisons diverses qu'il n'y a pas lieu d'exposer ici, mais toujours indépendantes de leur volonté, de continuer à créer dans la langue de l'ancien colonisateur, devenu associé, protecteur, mais conservant jalousement tous les privilèges de la domination.

C'est un phénomène important à notre époque, puisqu'il concerne, par exemple, les Indiens, dont, autant que je sache, les poètes, les romanciers, les essayistes continuent à s'exprimer en anglais, bien que l'Inde, depuis plusieurs décennies, ne soit plus colonie anglaise. Les Arabes et les Berbères du Maghreb aussi, autre exemple, s'enorgueillissent de grands créateurs qui se trouvent dans une position similaire à l'égard du français.

Pourtant, dans l'opinion internationale à laquelle les grandes puissances imposent facilement leurs mythes et leurs fantasmes, ce phénomène semble surtout concerner les peuples du continent noir, et particulièrement les peuples africains hier colonisés par la France, aujourd'hui très théoriquement [PAGE 115] décolonisés. Non seulement les écrivains représentatifs de ces peuples produisent aujourd'hui une littérature quasi exclusivement de langue française, mais ils se trouvent enserrés dans le carcan d'un système inconnu partout ailleurs, à la fois linguistique, culturel, économique et politique, auquel un homme que vous connaissez bien n'a pas hésisté à lier sa réputation – un poète célèbre, chef d'Etat de surcroît, vous savez bien, celui-là même qui prête ses bases militaires aux Jaguars allant mitrailler les patriotes sahraouis, tchadiens et zaïrois, et dont les actes ne vont jamais, je l'affirme, dans le sens des intérêts des populations africaines.

Vous avez compris, mesdames et messieurs, que je suis en train de parler de la francophonie. Idéologie de plusieurs Pouvoirs associés, et, en définitive, d'un unique Pouvoir, celui du capitalisme nationaliste français, la francophonie a sécrété et secrète une rhétorique enthousiaste, des rites plus triomphalistes les uns que les autres, des institutions spectaculaires. Vous en avez sans doute entendu parler comme source miraculeuse où viennent communier des peuples de toutes les races; c'est là, en tout cas, le lieu commun obligé de maints discours d'apparat en France et surtout en Afrique francophile.

Je vais évoquer le phénomène, et ce sera d'ailleurs là sans doute votre seul étonnement, sous un jour plutôt sombre, je n'ose dire ... noir ! Dans l'arc-en-ciel des systèmes ayant pour effet direct ou indirect d'asservir les créateurs, la francophonie offre la double originalité d'être à la fois mal connue, et cependant exemplaire en ce sens que le créateur indépendant, l'écrivain dissident y subit une persécution sans doute spécifique dans la forme, mais finalement classique dans sa nature.

Loin d'être un creuset fraternel des cultures, la francophonie pèche en ce qu'elle s'appuie sur le fait accompli de la prééminence d'une culture, sur la sacralisation arbitraire d'une échelle des valeurs ayant pour axe unique une idéologie dominante, celle de la classe détenant le vrai pouvoir. Je laisse de côté la symbolique tyrannique véhiculée nécessairement par une langue, reflet, ici, d'une histoire nationale indissociable de l'esclavage et de l'oppression des Noirs. (Il y aurait pourtant beaucoup à dire à ce sujet, ne serait-ce que l'amère surprise de l'intellectuel africain découvrant que le mot noir symbolise, en français, la turpitude, l'impureté, le [PAGE 116] deuil, la barbarie; mais là, nous débordons sur les problèmes de l'aliénation, de l'atteinte à l'intégrité de l'identité, en somme sur un problème de psychologie et de morale).

Je veux parler de quelque chose de plus matériel, de physique en somme. Je veux parler de la répression insidieuse, de la violence souvent voilée que subit l'écrivain réfractaire, de l'incapacité où il peut être délibérément placé de faire entendre son cri de révolte, son imprécation, son refus, son aspiration originale et authentique.

En apparence, la démarche de la France est d'une générosité au-dessus de tout soupçon. Cette grande nation libérale, capitaliste et européenne dit tantôt explicitement, tantôt implicitement aux peuples africains qui lui sont toujours assujettis : « A quoi bon des maisons d'édition qui vous appartiennent en propre ? Quel gaspillage quand il existe déjà à Paris de grandes maisons d'édition francophones telles Gallimard, Nathan, Le Seuil, Laffont ?... A quoi bon de grandes publications qui vous appartiennent en propre ? Quel gaspillage alors qu'il existe déjà à Paris de grands journaux humanistes et universalistes, tels Le Monde, Le Figaro, LExpress, Le Nouvel-Observateur..., que nous ne demandons pas mieux que de partager avec vous ? A quoi bon des producteurs de radio et de télévision qui soient des Africains authentiques ? Quel gaspillage quand il suffirait que ceux de Paris confectionnent des émissions que vous n'auriez plus qu'à programmer dans vos pays respectifs ? A quoi bon de grandes universités qui vous appartiennent en propre ?... » Etc. Et les dirigeants des républiques africaines « francophones » d'acquiescer, eux qui se sont toujours montrés empressés à complaire à leur tuteur français.

Or, si le complexe idéologico-cuIturel de la francophonie, expression de la prééminence de la culture française, pouvait être comparé à une ville étrangère, la nuit, à la fois énigmatique et constellée de signaux lumineux, de panneaux indicateurs, d'inscriptions comminatoires qui canalisent la circulation automobile vers les sens uniques, les sens giratoires, les tunnels, les voies de garage, toutes directions fixées d'avance, connues des autochtones, mais où ne peut manquer de s'égarer le voyageur allogène, le poète négro-africain, le romancier négro-africain, l'essayiste négro-africain, représenteraient justement ce voyageur venu d'ailleurs, condamné à se faire broyer dans les contraintes mystérieuses et labyrinthiques d'une ville hostile. [PAGE 117]

Comment les institutions prépondérantes de la francophonie, c'est-à-dire les académies françaises, les publications françaises, les universités françaises, les grandes maisons d'édition françaises, toutes liées à l'histoire de la France et donc à l'esclavage et à l'oppression des Noirs, pourraient-elles s'interdire de persécuter un écrivain noir qui les défie ? Car la Charte de l'O.N.U. ne fait pas encore un devoir à chaque nation sous-développée d'avoir des publications uniquement dirigées par ses nationaux, des maisons d'édition uniquement gérées par ses nationaux, etc.

L'écrivain noir ne collabore donc à aucune grande publication francophone, mais il doit en subir les critiques. Il n'est professeur dans aucune grande université francophone, mais il doit ou a dû en subir l'enseignement. Loin de sa machine à écrire, il est presque toujours objet, à peu près jamais sujet.

La forme la plus révoltante de cette répression qui, bien entendu, ne dit pas son nom, c'est la récupération d'un auteur, de son vivant et contre sa volonté. Le processus en serait assez pittoresque et même plaisant, s'il ne s'agissait d'intérêts vitaux de peuples déshérités.

Examinons, par exemple, le cas des romanciers négro-africains de la francophonie. Nos œuvres sont livrées à la dictature exclusive des critiques, commentateurs, exégètes, chroniqueurs non-africains de la francophonie. Même si la bonne foi de ces derniers était totale, comment pourraient-ils s'empêcher d'attirer nos œuvres, inconsciemment, dans les sens obligatoires, les tunnels, les impasses, les voies de garage que la culture française a installés dans leur conscience et où nous autres nous ne pouvons être acculés que pour y être dénaturés ?

Ainsi, au début, c'est-à-dire au cours des années cinquante, les critiques non-africains de la francophonie s'ingénièrent à dénoncer dans mes romans, il est vrai très engagés, la haine prétendue viscérale de l'homme blanc. C'était sans doute là une position indéfendable : à ce compte, il leur aurait fallu dénoncer chez bien des romanciers juifs la haine viscérale de l'Allemand.

Alors, ils rectifièrent leur tir et, depuis les indépendances de l'Afrique, ils préfèrent choisir dans mes œuvres, dont l'engagement contre l'oppression ne s'est pas démenti, les thèmes les plus rassurants pour le Pouvoir : l'amour maternel, le désarroi de l'adolescence, la nostalgie du terroir, etc. [PAGE 118]

En somme, ils s'acharnent à évacuer ma protestation politique, thème constant, obsédant, permanent de ma création. J'ai appris que tel docte professeur faisait, à propos de mes romans, des cours très savants dans lesquels, niant péremptoirement mon engagement politique pourtant évident, il privilégiait une prétendue filiation de mon inspiration avec « l'Iliade » et «l'Odyssée » d'Homère. Je vous laisse imaginer quelle mystification peut dissimuler un tel formalisme. Autrement dit, après avoir tenté de me combattre, on s'est avisé qu'il était préférable de me récupérer. Mais il y a là violence et répression, puisque de telles entreprises ne peuvent réussir que dans la mesure où l'auteur est impuissant à désavouer les critiques omnipotents opérant par les media et les mandarins intouchables de l'Université.

En ce qui me concerne, par exemple, jamais je n'ai été invité, depuis vingt ans, à aucun débat, à aucune table ronde sur la littérature négro-africaine de la francophonie, par aucune télévision francophone, ni par aucune radio francophone (sauf la Radio Suisse-Romande à Genève, qui m'a donné une heure en 1975 pour m'exprimer), ni par aucune grande publication, ni par aucune autre institution. Mis en quarantaine, je ne peux donc contribuer à l'éclairage de mes propres œuvres. En somme, je suis spolié de ma propre création.

Des traditions d'interprétation et d'exégèse s'installent donc, reprises d'année en année par des critiques complaisants, des étudiants uniquement préoccupés de l'acquisition d'un diplôme ou de jeunes assistants qui, pour rien au monde, ne se hasarderaient à contredire leur patron. Mais très vite, on s'aperçoit en haut lieu que la sauvegarde de cette routine lénifiante exige que l'auteur soit réduit peu à peu à un silence total, qu'il soit de plus en plus marginalisé, sous peine de démenti, et, à la limite, qu'il soit mis dans l'impossibilité de publier -en somme, qu'il soit éventuellement interdit. C'est ce qui m'est arrivé avec « Main basse sur le Cameroun », ouvrage pourtant édité par un petit éditeur non-africain, mais réfractaire lui-même dans un système à qui des principes pluralistes affichés interdisent un contrôle totalitaire de la dissidence. De l'interdiction de s'exprimer au bannissement physique, il n'y a pas très loin, et c'est ainsi que je me suis trouvé à deux doigts d'être expulsé de France, où je vis faute de pouvoir vivre dans mon pays ; et c'est seulement à mon syndicat que je dois d'avoir échappé à cette extrémité. [PAGE 119]

Pour terminer cette description d'ailleurs trop brève, volontairement succincte, de mécanismes de répression avec lesquels vous êtes trop peu familiarisés, mais dont la singularité exotique recouvre en réalité une volonté classique de réprimer des créateurs, je dois attirer votre attention sur la situation d'une extrême gravité à laquelle nous sommes ainsi conduits, les uns et les autres, je veux dire vous comme nous. En effet, nous nous retrouvons, vous et nous, face au phénomène de division des tâches, tel qu'on peut l'observer dans d'autres domaines. D'une part, les Africains da le francophonie créent une véritable matière première; car, au moins en poésie et dans la fiction, personne ne peut vraiment empêcher un peuple de créer. Mais, d'autre part, des critiques, des commentateurs, des professeurs non-africains de la francophonie se réservent l'exorbitant privilège de transformer cette production en produit de consommation - devenu brusquement méconnaissable pour le producteur africain lui-même, de même qu'il n'y a rien de plus méconnaissable qu'une tablette de chocolat fabriquée dans une usine de Hambourg ou de Marseille pour le paysan africain qui cultive le cacao. Ainsi, de même que le labeur du petit paysan africain finit par se retourner contre lui et par servir à son exploitation, de même notre littérature est récupérée au profit d'un ordre colonialiste et oppresseur que nous récusons. Nous reproduisons ainsi, malgré nous, dans le système de la francophonie, un processus fondamental, un antagonisme politique qu'il est impossible d'éluder.

Quel rapport a tout ceci avec le thème que ce congrès a proposé à notre méditation ? J'ai voulu dire ceci : j'ai l'impression, en ce qui me concerne, que les problèmes soulevés par le conflit du créateur et d'un pouvoir oppresseur quel qu'il soit, ne sauraient se réduire au simple fait littéraire, je veux dire à la seule problématique de choix se référant à la forme. De nos jours, il n'y a plus de pouvoir assez naïf pour ignorer qu'aucune littérature n'est vraiment innocente n'utilisât-elle que des symboles, des mythes, des paraboles, ou toute autre forme allusive. Bien sûr, une dictature prétorienne, fruste et brutale, interdira purement et simplement l'entrée des œuvres de Kafka sur son territoire; mais combien de gouvernements soi-disant démocratiques et libéraux peuvent-ils se vanter honnêtement d'encourager l'étude de Kafka par leurs étudiants et leurs collégiens ? Existe-t-il vraiment des pays de démocratie totale où les écrivains réfractaires [PAGE 120] auraient toute liberté de créer et ne rencontreraient aucun obstacle, aucune espèce de persécution ? N'est-il pas dans la logique naturelle d'un ordre social de persécuter, plus ou moins insidieusement, comme nous l'apprennent les démêlés récents de Henrich Boll avec le gouvernement de son pays, tout créateur qui lui semble menacer les intérêts cruciaux dont il est le garant ? Arrêter un écrivain, pour l'envoyer dans un hôpital psychiatrique ou bien réduire peu à peu un créateur à la misère en l'empêchant de se faire connaître du grand public, en lui interdisant l'accès des media, n'est-ce pas, en définitive, la même chose ? Quand de vieux et respectables professeurs, abusant de leur toute-puissance mandarinale, se concertent pour détourner les étudiants d'étudier mon œuvre, ou celle d'un autre écrivain africain francophone, en vue d'une maîtrise ou d'un doctorat, que font-ils sinon participer, en tant qu'organes du Pouvoir bourgeois capitaliste, à la persécution de créateurs dissidents ?

Je pense donc que le recours aux mythes, aux symboles, aux formes allusives de la dénonciation d'un ordre (ou de son approbation) ne saurait suffire à garantir l'écrivain contre la persécution (ou l'approbation) du Pouvoir.

S'il existe une chance pour la littérature nègre de la francophonie de décourager la persécution du Pouvoir, c'est, à mon humble avis, dans la mesure où elle se refuse à masquer la dimension proprement politique de son essence, puisque l'on ne saurait imaginer une littérature qui ne soit pas politique, c'est-à-dire une littérature qui, en définitive, n'inquiète pas (ou ne conforte pas) le Pouvoir garant d'un ordre social.

Cela signifie, selon moi, qu'il est impératif que l'écrivain manifeste, en dehors même de la littérature proprement dite, et, au besoin, scandaleusement et avec fracas sinon avec exhibitionnisme, son appartenance à l'un des deux camps en présence, celui des dominants et celui des dominés.

Les écrivains conservateurs l'ont d'ailleurs fort bien compris, eux qui peuplent les académies, les universités, les publications riches et puissantes, et jusqu'aux ministères de leurs Etats respectifs. Quant aux écrivains opposés aux Pouvoirs, l'actualité la plus récente nous a prouvé abondamment que c'est quand ils osent enfin déborder la littérature et sortir de leur tour d'ivoire, qu'ils réussissent à intimider le Pouvoir, quel qu'il soit (capitaliste, socialiste ... ), en l'enfermant [PAGE 121] dans l'engrenage aux soubresauts aléatoires de la dynamique d'un rapport de forces.

En tout cas, là est la seule chance pour les écrivains africains de la francophonie de déjouer le piège diabolique de la marginalisation et de la récupération. Un poème sur les camps de concentration dans lesquels le néocolonialisme extermine les forces vives de nos peuples, c'est sans doute très beau, mais une protestation contre le système inhumain et avilissant des mascarades de souveraineté imposées aux peuples de l'Afrique hier colonisée par la France, et cela devant un aréopage de talents littéraires de la planète, voilà qui, à mon avis a encore plus d'effet. Un roman ou un film traitant de la cruelle condition des travailleurs africains immigrés en France, exposés constamment aux arrestations et aux emprisonnements arbitraires, voilà qui, certes, peut être beau; mais participer concrètement, de quelque façon, à la longue grève des travailleurs immigrés parqués comme du bétail dans le ghetto de leurs foyers réservés, sans hygiène, dans la promiscuité et la frustration sociale et sexuelle, n'est-ce pas le complément naturel du roman qu'on vient d'écrire ou du film qu'on vient de réaliser ?

Car, s'il est vrai qu'un critique habile, un commentateur machiavélique peuvent toujours récupérer un roman, un poème et même les images d'un film, personne ne peut déformer la longue succession des actes d'une vie publique, connue d'un chacun, publiée partout.

Dans le système que subissent actuellement les écrivains noirs soumis à la francophonie, il me semble évident que la création littéraire manquerait à sa véritable mission si elle se contentait d'être une activité purement contemplative. La distinction entre l'artiste et l'homme, le militant et l'écrivain, cesse nécessairement d'avoir cours.

Pour l'écrivain négro-africain de la francophonie, la seule chance d'échapper à la persécution, et surtout à sa forme la plus sournoise qui est la récupération et la marginalisation, c'est d'être, en même temps qu'un créateur, un partisan. C'est là, en tout cas, la leçon de ma propre expérience.

Mongo BETI

[PAGE 122] Page blanche


[1] Il y en eut un, en effet. Abandonnant un instant mon sujet, je m'étais lancé dans une digression que m'imposait l'actualité et avais déclaré que l'intervention des parachutistes français à Kolwezi était un acte de gangstérisme international, quel que pût en être le prétexte. Un certain Georges-Emmanuel Clancier, tout à fait inconnu de moi mais affirmant parler au nom du comité français de l'International P.E.N., crut devoir prendre en termes chauvins et cassants d'une rare débilité la défense de « son » pays, allant jusqu'à affirmer qu'on n'avait pas le droit de dire du mal d'un pays dont on recevait l'hospitalité. Il me semble que c'est là une leçon qu'il faudrait préalablement faire aux nombreux Français qui, hôtes coûteux de l'Afrique et des Africains,parfois depuis des décennies, n'arrêtent pas de dénigrer les Noirs et notre continent.