© Peuples Noirs Peuples Africains no. 3 (1978), 63-82.
A PROPOS DE L'AFRICANISME FRANÇAIS
Cher artiste,
Cher cadre,
Cher militant,
Chers amis,
C'est aujourd'hui le cas pour les nègres « francophonisés » que nous sommes.
Jamais nous ne devons oublier que la morale française est d'assimiler donc de « bouffer culturellement » les peuples conquis, au nom de la prétendue supériorité latine.
Jamais nous ne devons oublier que la morale anglaise est de rejeter, donc de maintenir le statu-quo culturel du peuple conquis, au nom de la prétendue supériorité des peuples Germains Anglo-saxons.
Mais tous les peuples sont considérables comme disait le chanteur Gabonais Akendengue.
La démarche gréco-latine : « Soyez Français et perdez votre identité culturelle et linguistique pour la mienne, la seule légitime » ainsi que l'attitude anglo-saxonne qui reconnaît aux autres langues et cultures une différence d'identité puisque « You can't be British » (Vous ne pouvez pas être Britannique) procèdent, quant au fond, du même racisme qui caractérise les valeurs morales Européennes depuis le IIIe siècle après Jésus Christ. Au niveau du résultat, le « nègreanglophone » fut plus préservé culturellement (ils écrivent couramment leur langue maternelle et se sentent mieux dans leur peau et leur vêtement de Nègres que nous) tandis que le « Nègre-francophone » fut politisé compte tenu du développement des luttes sociales en France. Même si le maître a toujours raison et que l'esclave a toujours tort, il n'en demeure pas moins que ce dernier apprend toujours du premier, s'autonomise et entre en dissidence créatrice, c'est le dépassement historique.
Chers amis,
Au contact de l'Afrique et grâce aux institutions administratives coloniales (l'armée de conquête) et néocoloniales (la [PAGE 65] coopération-mercenariat) certains intellectuels français se reconvertissent en chercheurs-sacs-à-dos et se préparent au mandarinat parisien de l'africanisme. Ces mandarins parisiens qui, du haut de leur chaire, prétendent nous connaître, en nous mettant en fiche, sont à combattre uniquement par nos propres créations intellectuelles et artistiques.
Chère amie,
Chercheur africaniste français, où étiez-vous quand ces lignes furent publiées pendant la seconde guerre mondiale ?
L'I.F.A.N. (l'Institut Français d'Afrique Noire) qui, pourtant, couvrait tous nos territoires coloniaux, a toujours accordé [PAGE 66] peu de place aux langues africaines en regard des cultures et sociétés africaines comme si l'on pouvait dissocier celles-ci des langues qui les expriment. Cette tradition universitaire et scientifique, bien française, est celle qui prédomine de nos jours, Combien de Français, africanistes de cabinet (linguiste, ethnologue, sociologue, économiste, géologue, géographe, archéologue, historien et autres prospecteurs de marchés néocoloniaux) parlent-ils la langue des peuples qu'ils sont supposés étudier ou acheter ? Si vous rencontrez un professeur d'anglais qui ne parle pas anglais, écrivez-moi!!!
Quand on pense à la linguistique africaine de ces dernières années et en particulier aux études mandingophones, il est courant de rencontrer un nom français, celui de Maurice Delafosse[4] dont la contribution scientifique est très considérable. Toutefois l'intérêt de l'élite française pour telle ou telle étude africaine disparaît avec la mort d'un illustre auteur. Ce qui témoigne du caractère privé de l'africanisme français et de l'absence d'une politique de l'Elysée en matière d'étude des civilisations orientales et en particulier africaines. C'est par mépris qu'en 1977, la seule école française qui s'intéresse tant soit peu aux langues africaines se nomme ainsi « Institut National des Langues et Civilisations Orientales » et que tes seuls enseignants qui maîtrisent le parler de ces langues soient appelés répétiteurs. L'Afrique n'est ni l'Extrême, Orient, ni le Moyen Orient, elle est, à part entière, une donnée culturelle et linguistique propre, de même que les dits répétiteurs, sans aucun statut et révocables à tout instant [PAGE 67] comme un domestique, ne sont pas des interprètes coloniaux. C'est une honte. Pour la science humaniste française qu'en 1977 des Africanistes français très honnêtes, je pense à M. Pierre Alexandre, se battent depuis plus de 20 ans à pour qu'on ne supprime pas le « Département Afrique », le seul foyer académique qui peut favoriser une Connaissance véritable de notre continent. A l'égard des études africanistes, l'I.N.L.C.O. demeure en fait, dans sa tradition royaliste et fasciste depuis le décret-loi de fondation de l'Ecole du 10 Germinal An III (soit le 30 mars 1795) promulgué par la Convention et présenté par l'Assemblée Lakanal (lui-même inspiré de Langlès). Dans un proche avenir, je publierai avec un de mes amis français une étude détaillée de cette institution universitaire dite orientaliste, mais fondamentalement raciste, cela à partir de l'origine sociale de son public, enseignants et étudiants, et du statut de ghetto linguistique réservé aux langues africaines.
Pour dévoiler le mépris des institutions universitaires françaises à l'égard de l'Afrique, il nous faudra ficher et ethnologiser chaque ethnologue français qui vit luxueusement de sa masturbation intellectuelle sur nos peuples volés et en diffusant dans la mentalité populaire française une image de nègre-mineur.
Ces africanistes, de droite ou de gauche, sont incapables de percevoir que derrière chaque africain ethnologisé, il y a un être humain, que derrière chaque travailleur immigré africain, il y a un autre être humain pour lequel il faut s'engager, clans la pratique. Toute théorie africaniste de gauche sans une pratique africaniste de gauche ne peut aboutir qu'à un mandarinat de gauche, avec sa clientèle noire, comme le veut la néocolonisation actuelle de l'Afrique.
Aujourd'hui, le seul relais idéologique qui existe entre les peuples d'Europe et les peuples d'Afrique, ce sont ces africanistes dits de gauche, qui disposent de crédits de recherche importants du C.N.R.S., de légitimité de gauche à coups de publications chez Maspéro et d'une couverture démocratique en France. Eux seuls doivent à l'Afrique une méthodologie d'enquête., une écriture et une pratique qui restituent à nos peuples la considération du peuple français. Au-delà d'une pétition bonne-conscience sur la prétendue famine au Sahel, qu'ils prennent leur véritable responsabilité. Sinon, nous les combattrons sans relâche comme des hommes de droite ou de gauche. Pour ma part, je ne croirai aux [PAGE 68] Africanistes français, mandarins de gauche, que le jour où ils auront mouillé leur cul de coopérant-mercenaire reconverti, dans la merde de l'africanisme français. Dans tous les cas, et très prochainement, aucun de ces zombis de cabinet ne posera plus son cul, blanc ou noir, de droite ou de gauche, s'il ne parle pas une de nos langues africaines.
L'Université française n'a jamais été pour moi qu'un jeu dont il faut maîtriser le code et les chercheurs africanistes français des rigolos de luxe qui vivent de la misère de nos peuples. Ne parlant pas la langue de nos peuples, tous ces zombis de cabinet universitaire sont obligés de fonder leur école, avec sa clientèle noire et blanche, de droite ou de gauche, ainsi que leur carrière prétendument scientifique, sur des vérités éternelles et passe-partout, sur des catégories définitives ou des mots-fétiches, mille fois répétés. Une fois sur le terrain de recherche en Afrique, ces zombis de gauche se flanquent d'un guide-interprète-n'importe quoi et parcourent tous nos pays en agressant les informateurs, les seules personnes qui possèdent le savoir qui font l'objet de leur étude. Méprisant nos valeurs culturelles traditionnelles, ils remontent à Paris avec des textes en français, construits dans une perspective de marxisme-marchandise, destinés aux consommateurs de la Gauche française et européenne tandis que les textes en langues nationales donnés par les dits informateurs n'ont aucune légitimité dans leur publication parisienne. Ils fondent leur savoir sur l'absence de savoir africaniste en France. A mon sens, ces zombis de gauche de la recherche africaniste française sont pires que les zombis de droite qui nous déclarent ouvertement leur conception gallienne du nègre à la peau malodorante. Pour ma part, je ne permettrai plus jamais à aucun zombi universitaire, blanc ou noir, de droite ou de gauche, d'avoir sa vérité éternelle sur le Mali, l'Afrique et toute la Diaspora Noire.
Je prendrai au sérieux les chercheurs africanistes français, de droite ou de gauche, le jour où l'Elysée adoptera une autre politique de coopération en matière d'étude des sociétés africaines, en accordant aux étudiants français en africanisme la possibilité réelle d'apprendre d'abord une langue africaine et ensuite de rester sur le terrain d'étude, de 6 mois à 1 an avec un crédit de recherche d'au moins 1000 FF [5]. Les orientalistes français apprennent le chinois, l'arabe et [PAGE 69] les langues asiatiques pour fonder leur crédibilité scientifique, les Américanistes français apprennent l'espagnol et les langues indiennes (sauf le clan « Mythe du Sauvage »). Les africanistes français doivent apprendre les langues africaines[6]. Comme Manding, je n'irai jamais faire le voyeur-flic chez les Peuls avant d'apprendre le Peul. C'est aussi simple que ça, mais on en est là, en 1977, avec le prétentieux et arrogant africanisme français de droite ou de gauche.
En 1977, la conjoncture internationale n'est pas du tout favorable pour les études africanistes, même du côté anglophone. L'oppression linguistique des francophones canadiens par les anglophones américains et le nouvel intérêt pour les langues africaines au Canada sont de nos jours le seul espoir en Occident-Babylone. Contrairement aux théories-bidons des experts-touristiques, blancs ou noirs, de droite ou de gauche, je proclame bel et bien qu'en Afrique dite francophone, la question du développement n'est pas économique mais linguistique et culturelle, car il faut d'abord libérer la créativité des forces productives pour que s'exprime tout leur génie. Et à ce niveau linguistique et culturel, c'est la France qui domine toujours le Mali et l'Afrique. Le capital d'estime de la France en Afrique est mort, vive le capital d'estime de la France.
Chère amie,
A partir d'une boîte à lettres, j'ai écrit au journal français « le Canard Enchaîné » du 29 juin 1977 que : « A Bamako, Paris ou Moscou, les bureaucrates ont le cul dans la même culotte ». En effet, dans le système bureaucratique français, qu'il soit de Paris ou de Bamako, il faut une relation économique ou sociale, à un niveau ministériel, pour débloquer, au niveau subalterne, le moindre acte administratif. A Moscou, la solution soviétique contre les anti-bureaucrates, c'est de les envoyer à l'asile psychiatrique. Depuis la Révolution Culturelle, il faut dire que la Chine s'achemine vers le même processus en ouvrant largement la porte de ses prisons et en mettant ses bourreaux au travail. Décidément, on n'est pas gâté dans ce monde de fous au pouvoir !
Lorsque dans un état, les pouvoirs publics n'arrivent plus à assumer leurs responsabilités modernes (socio-économiques) vis-à-vis de toute la communauté nationale, alors les individus se replient sur les circuits traditionnels de solidarité linguistique, culturelle et économique. Contrairement aux bonnes relations de voisinage et de tolérance de nos peuples maliens, la tendance administrative actuelle favorise le développement des rapports conflictuels inter-ethniques et sape les bases de l'unité et de la solidarité nationale. La correction de cette tendance dépend uniquement du préalable démocratique pour les populations et du sens de la mesure pour les pouvoirs publics. En d'autres termes, la circulation et la distribution du pouvoir administratif, économique, sanitaire et éducationnel au Mali doit avoir pour principe fondamental, la reconnaissance pour chaque être culturel Malien, de son droit à recevoir l'administratif, l'économique, le sanitaire et l'éducatif par la courroie de transmission de sa langue maternelle. Au niveau pratique, un étudiant de l'Ecole de Médecine ou de L'E.N.A., s'il est d'origine culturelle Manding et qu'il se propose d'aller servir à Gao ou Tombouctou les populations Sonrhaï ou Tamasheq, doit nécessairement apprendre durant ses dernières années de scolarité l'une de ces langues majoritaires du Nord.
De même qu'à Paris, tout le personnel de l'Ambassade du Mali en France doit être bilingue-soninké ou mandinguesoninké. A l'heure technocratique du fétichisme « coopérativiste et politicienne des cultes de l'autogestion », voilà, à mon humble avis, la seule et unique possibilité de réconcilier l'administrateur et l'administré, de lutter contre le chauvinisme linguistique et culturel et de ne pas reproduire, bêtement [PAGE 71] l'administration coloniale française qui est une des plus tarées du monde.
Cher ami,
Ce n'est pas un hasard si en Tanzanie, depuis le 10 décembre 1962, Nyéréré au sein du T.A.N.U.[9] faisait son discours parlementaire en Swahili et déclarait cette langue bantoue, langue officielle, au même titre que l'anglais. En 1967, Nyéréré, l'un des plus honnêtes de nos chefs, déclarait : « Of all the crimes of colonialism, there is none worse than the attempt to make us believe we had no indigenous culture of our own; or that we did have as worthless, someting of which we should be ashamed, instead of a source of pride »[10].
Aujourd'hui le Swahili est la langue africaine la plus enseignée dans les universités du Monde, de Pékin à Washington, de Londres à Paris. Aucun cadre, africain ou européen, ne peut prétendre à une fonction dans ce pays s'il n'a pas fait ses épreuves écrites en Swahili.
Ce n'est pas un hasard si le fascisme britannique a produit Vorster, Ian Smith, Idi Amin, mais pas des sous-produits culturels totalement sénégallicisés, de type Senghor. En tant que création des institutions coloniales et néocoloniales françaises, il y a en nous tous un peu de Modiba Keïta, un peu de Léopold Senghor et un peu d'Idi Amin Dada, qu'il nous faudra vaincre au risque de périr.
Ce n'est pas un hasard si, constatant l'absence de chercheurs anti-apartheid français, le Comité Europe Tiers-Monde, le C.E.T.I.M., a fait les critiques suivantes à la gauche française en introduction au livre « White Migration to Southern [PAGE 72] Africa »[11] : « but the case of France is more disturbing as they seem. to be increasingly strong pro-south african lobbies in that country. We therefore hope that one of the results of this study will be to stimulate sympathizers in France to undertake the same research in their country and subsequently, to take the necessary steps to prevent their compatriots from going to South Africa. »
Chers amis,
Les peuples africains et les Manding pensent que la seule connaissance, c'est celle de la pratique « dùnlço de ye kèko ye » et non celle de la suffisance technocratique des diplômés bamakois et parisiens. Les Manding pensent qu'il y a un artiste en chacun de nous, ils refusent la mégalomanie de la vedette et enseignent à leurs enfants que « tulon tè sèbè sa » (la fête n'empêche pas le travail). [PAGE 73]
Tous les peuples du monde ayant leurs qualités et leurs défauts, nous devons lutter contre nos préjugés ethniques et raciaux. Par exemple, l'histoire actuelle du Mali est étroitement liée, depuis le XVIe siècle, à celle de la pénétration européenne et française au SénégaL A ce titre, nous devons apprendre, dans notre liaison affective et quotidienne, de nos cousins Sénégalais, même si les Manding pensent que les Wolof sont des truands et les Peuls-Toucouleurs des traîtres quand ces derniers considèrent les Manding comme des cultivateurs sauvages. Et compte tenu des différences ethniques de contrôle familial et social, un travailleur immigré Manding a moins tendance à retourner clans le Mali actuel qu'un Soninké ou un Peul. Pourquoi est-ce que ce sont les Asiatiques, les Arabes et les Européens qui font le commerce à la place des Nègres dans toute l'Afrique, du Nord au Sud ?
Chers amis,
Et toi, que fais-tu avec tes caractères de l'alphabet latin ? D'un point de vue purement idéologique, il faut désacraliser, démythifier l'écriture en tant que technique qui traumatise le paysan africain, le fétichisme maraboutique s'appuyant sur l'écrit en arabe et l'omnipotence technocratique sur celui du français, afin que les peuples africains s'emparent de la plume tout comme ils maîtrisent l'oralité. La question, c'est de produire dans toutes nos langues africaines pour imposer leur légitimité aux bureaucrates de l'Administration et de l'Université léguée par la France. Les créateurs africains vivront [PAGE 74] ou seront les « Harkis » de la pensée africaniste française.
Chère amie,
La voisine République Algérienne, qui n'est pourtant pas particulièrement Démocratique et Populaire, lutte ainsi contre la désertification en utilisant ses technocrates pendant la durée de leur service obligatoire de deux ans dans l'armée nationale. Aujourd'hui, compte tenu de son salaire de misère, il est impossible de trouver un cadre malien qui veuille se faire hara-kiri, en arrêtant de voler les sous de l'Etat et ceux des paysans mais, au lieu d'espérer son suicide, il est possible de le tuer, en tant que pouvoir technocratique, de cette manière.
Cher ami,
Mais tant pis pour Paris-la-France si les pouvoirs publics et d'opposition ne comprennent pas qu'ils vivent dans une société multiraciale, donc multiculturelle, après plusieurs siècles de conquête des autres peuples.
En effet, depuis la Révolution de 1789, l'Etat centralisateur français est profondément anti-culturel et anti-minoritaire si bien que la gauche française porte lourdement les empreintes de ce trait totalitaire dans ses traditions de lutte sociale et politique. On a toujours les défauts de son ennemi et le goulag n'est pas seulement soviétique !
Le mouvement de mai 1968 a révélé beaucoup de ces traits totalitaires ainsi que la lutte sourde des 7 langues et cultures minoritaires de France (Alsace-Lorraine, Occitanie, Flandre, [PAGE 76] Bretagne, Corse, Pays-Basque, Catalogne) qui participent au même combat linguistique et culturel des peuples africains contre l'hégémonisme étatique de l'élite parisienne.
Je vous ferais un superbe cadeau d'anniversaire 1977 si vous me présentiez un auteur français de la chanson politique, style « Programme Commun » et qui ait la qualité du Chilien Victorio JARA abattu par Pinochet. Les émissions de Radio-France[13] ou les colonnes des journaux « Le Monde » ou « l'Humanité » n'apportent rien aux Africains et aux Français, sur une connaissance actuelle de ce continent, malgré tous les moyens financiers et techniques dont ils disposent. Ce n'est pas un hasard, s'il existe dans tous les pays européens des mouvements nationaux contre l'Apartheid mais pas en France, malgré les intérêts industriels; et le M.R.A.P. (Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et pour la Paix) et le Comité Outspan tentent de combler cette absence historique de la gauche française.
Au niveau des appareils de l'opposition française, le messianisme idéologique de la confortable gauche parisienne est aussi aliénant que son marxisme académique et réductionniste en économie (production -reproduction) ou en sciences politiques (lutte de classes). En marge de ces théoriciens de salon et de bibliothèque et au-delà du culturalisme et de l'empirisme américain, Pierre Bourdieu et son équipe de recherche du Centre de Sociologie Européenne (bd Raspail) abordent une réflexion des plus intéressantes sur l'élite française, donc sur l'élite africaine. Toutefois, la dimension linguistique est faible dans la revue de ce centre « Actes de la Recherche en Sciences Sociales ».
Chère amie,
Cher ami,
Chère amie,
En outre, débarquer en Afrique avec des projets politiques élaborés et financés par la Gauche Européenne est aussi une attitude suicidaire de nègre-chair-à-canon de la Gauche Occidentale.
Cher ami,
Chère amie,
Entre la mémoire du pouvoir et la mémoire du peuple, nous devons choisir et avec humour et qualité artistique, restituer aux travailleurs africains tous les crimes dont ils sont l'objet et que les oppresseurs, blancs et noirs, de Droite ou de Gauche, œuvrent à effacer. Oublier, c'est mourir pour nous et comme disait le chanteur nigérien, Fela, « If a man wants to enslave you forever, he will never tell you the truth about your forefathers ». En 1945, les « Tirailleurs Sénégalais » ont été fusillés à Thieroye pour avoir réclamé leur pension militaire après qu'ils aient fait le sacrifice de leur vie pour protéger le corps français contre les Nazis Allemands. En 1977, les travailleurs immigrés de la région du fleuve Sénégal risquent le même sort pour « l'aide au retour » que Giscard leur propose. Les soldats et les travailleurs africains ne sont pas une peau d'orange dont on se débarrasse après l'avoir sucée et la France nous rendra compte un jour très prochain de « l'impôt de sang » et de l'« impôt de sueur » qu'elle perçoit sur nos peuples.
Cher artiste,
La chanson latino-américaine ainsi que certains thèmes poliliques de Fela et du Reggae sont une bonne orientation si l'on considère l'impact de la musique sur les peuples noirs. Comme disent les Manding « tulon tè sèbè ga » (la fête n'empêche pas le travail) et avouez qu'avant de prendre le fusil, c'est beau d'abattre son oppresseur en dansant et en chantant. Puisque ce sont les racines fortes (roots) qui donnent de belles feuilles (black-leaves), la question théorique qui est posée, c'est celle de maîtriser la liaison pratique entre lutte culturelle (passé) et lutte politique (présent), entre la position de race et la position de classe.
Cher militant,
Et il faut en finir avec tous nos complexes de francophonisé, d'intellectuel, de citadin, de nègre-baiseur car il n'y a aucune incompatibilité entre le fait d'être un soldat de la culture nationale et d'être un francophone, de se lier aux travailleurs comme intellectuel, de réfléchir aux questions rurales et d'être un citadin, de vivre son corps noir et d'avoir des amis et des amies blancs. Il faut s'assumer en [PAGE 81] tant que donnée historique néocoloniale et petite bourgeoise et non le nier, comme ces « militants honteux » de « Parisla-France ».
Cher ami,
Chère amie,
Florence, le 28 octobre 1977
P.S. « Pour l'aspect subjectif de la question, je viens du Mali, le pays le plus pauvre du monde selon les statistiques de l'O.C.D.E. mais certainement l'un des plus exploités. Ma langue maternelle et paternelle est le Manding (bamanan) car mes parents ne parlent pas français et j'ai eu le bonheur de têter les seins de ma mère jusqu'à l'âge de 10 ans. Avant sa mort, c'est elle qui fut mon professeur de Manding. En conséquence, je ne permets à aucun linguiste français, ne parlant pas Manding, colonialiste et unijambiste, fût-il expert consultant de tous les gouvernements africains francophones, de cracher sans avoir lu, sur mes pages de Doctorat de 3e cycle intitulé « La créativité lexicale du Manding », au vu du nom de Chomsky, éminent linguiste et démocrate américain. Je refuse toute légitimité de droite ou de gauche, à vos querelles d'école. Comme célibataire de 29 ans, je vis bien ma tête et mon corps en écrivant des livres en français et en manding et en baisant avec les bonnes femmes de Dakar à Paris, de Londres à Florence, et bientôt de New-York à Los-Angeles avant de traverser le Sahara, en bonne compagnie, et d'aller reposer mon cul fatigué à Bamako, s'il n'est pas en prison quelque part. » [PAGE 82]
Je ne suis pas un nègre-esclave, mendiant de diplôme ou d'aide à l'Occident-Babylone et aux Cheickh-Petro-Dollar Arabes; et toutes mes études universitaires et mes recherches actuelles se sont faites sans un sou d'aucune institution familiale, nationale ou internationale, de ce monde des médiocres Bamakois et Parisiens. Contre la morosité du temps et du fric de tous ces pouvoirs technocrates, je veux le temps et la liberté de vivre pour moi et tous mes frères ».
« Le chemin de la vie est toujours dangereux Mais vivre sa vie est moins
que jamais facile »[16] . Amidu MAGASA
[1] Rejetés par la culture raciste Anglo-Saxonne, les Noirs dAmérique et des Caraïbes ont élaboré, à partir de leur background africain et de l'anglais, une langue d'autodéfense spécifique, si bien qu'en 1977 aucun Lord de la City de Londres ne peut comprendre « l'Anglais » des Jamaïcains. [2] L'émotion est nègre et la raison est hellène, n'est-ce pas Senghor le Normand ! [3] H. Baumann et D. Westerrinann « Les peuples et civilisations de l'Afrique », suivie de « Les Langues et l'Education » 1948, Payot, Paris, p. 484 et 485. [4] Selon Amadu Hampate Bâ, « Galien traça le chemin en faisant du Nègre un portrait des plus hideux, que voici -. « cheveux crépus, narines dilatées, lèvres lippues, barbe rare, orteils et doigts en fourchette, membre viril longuet, peau malodorante, teint sombre, appétit dépravé, amour des réjouissances... ». Le mythe de l'Afrique sauvage prévalut à telle enseigne qu'un savant contemporain comme Maurice Delafosse donnera tête baissée dans le panneau. Il souscrira aux idées de Galien, bien qu'il fùt mieux placé que le médecin grec pour connaître et faire connaître les Nègres : il les commanda longtemps et cohabita même avec une de leurs femmes. « Maurice Delafosse a sous-estimé la culture traditionnelle beaucoup plus par raison politique que par probité scientifique. Il était colonial, par conséquent agent chargé de faire aimer la France et d'implanter en Afrique la culture française », in « la jeunesse et les valeurs culturelles africaines ». Dossier documentaire 4, U.N.E.S.O., Document de la Réunion régionale d'Abomo-Dahoniey. 2-7 décembre 1974 « la jeunesse et les valeurs culturelles africaines », p. 35. [5] Au Mali, le S.M.I.G. officiel est de 120 FF. [6] Mon enseignement du Manding se fait uniquement en Manding. J'ai formé durant l'année universitaire 1976-1977, un jeune Corse, Guy Baccelli qui, en 1 an de cours et 2 mois de séjour au Mali, est à même de vous parler pendant 1 heure ou plus des propositions du Programme Commun ou de la vie rurale des Bamanan. Ma seule pédagogie, c'est d'éduquer en m'amusant d'abord et en amusant les étudiants ensuite. [7] Personne d'origine ou de culture européenne. [8] Union Soudanaise, section du Rassemblement Démocratique Africain. [9] Tanganyka African National Union. [10] Julius Nyéréré, « Uhuru na Umoja » (Freedom and Unity) oup, Dar-es-Salam, p. 186. [11] Comité Europe Tiers-Monde, 37, quai Wilson, CH 1201 Genève, fév. 75, p. 1. [12] Ntonso : la chauve-souris est un animal étrange qui ne vole qu'au crépuscule puisqu'il ne voit pas le jour; qui se pose sur les arbres un s'y accrochant la tète en bas; qui a des poils, les dents et la face d'un chien; qui se nourrit de fruits au contraire de celui-ci. Pour leur repas en dehors de la maison, les « bilakoro » (jeunes garçons incirconcis) ont coutume de la chasser lorsque le soleil est au zénith, D'un point de vue mythique, le ntonso serait le fils d'une vieille dame qui, après avoir accouché des « bonèden » (avortons) l'aurait mis au monde à la suite de relations sexuelles avec un « dosokoro » (gros chien). Malgré le concours des bilakoro, la municipalité de Segu n'a jamais réussi, depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours, à se débarrasser des ntonso, qui peuplent les « jala » (cailcédrats) situés sur les bords des chaussées du quartier administratif et qui troublent ainsi la quiétude des résidents Tubabu par leur agitation sonore du crépuscule et leurs excréments multicolores. [13] En octobre 1976, j'ai refusé de participer à une émission de RadioFrance relative à la célébration de la « Tabaski », la fête musulmane, qui serait préparée à Paris et destinée aux auditeurs africains alors qu'il y a tant d'autres choses à dire, par exemple le statut des langues et cultures en Afrique dite francophone. [14] Si vous portez vos vêtements multicolores de nègre joyeux, demandez votre dresse à un « Parisien-la-France », il y a une chance sur deux qu'il prenne peur avant de vous répondre avec un sourire de commerçant. [15] Galliéni, Voyage au Soudan Français 1880-81, Paris, p. 58.
[16] Ho Chi Minh, Carnet de Prison, Hanoï,
1973, p. 20. |