© Peuples Noirs Peuples Africains no. 3 (1978), 11-50.



DE LA « PHILOSOPHIE SENGHORIENNE » OU DU CHARLATANISME PHILOSOPHIQUE
à l'usage des Peuples africains

Yenoukoumé ENAGNON

        « Le marxisme doit être, non pas révisé, mais repensé par
        des têtes noires et selon les valeurs de la négritude. »

        L.S. SENGHOR, Dakar, 1971.

INTRODUCTION

On ne compte plus aujourd'hui, et Engels le signalait déjà peu après la mort de Marx, le nombre de ceux, épigones transis ou philosophes condescendants, qui ont « adapté », « dépassé », « complété », « réfuté » le marxisme, au nom de « l'humanisme », de la « liberté », et, depuis que la « négritude » a vu le jour, au nom de « nos valeurs traditionnelles ». Cela ne serait rien, car le marxisme ne s'en porte pas plus mal, si toutes ces « adaptations » et « réfutations » restaient cantonnées à quelques cénacles d'intellectuels bourgeois ou petits-bourgeois; mais nous assistons à une entreprise systématique et de grande envergure, particulièrement en Afrique à l'heure actuelle, qui consiste à « expliquer » Marx, Lénine, et pourquoi pas Mao Tsé Toung, pour mieux vider leur doctrine de son contenu révolutionnaire. Qui veut-on ainsi mystifier, en allant chercher dans le spiritualisme philosophico-religieux d'un Teilhard de Chardin, dont la verbosité a pu être qualifiée par J.F. Revel de « folle gigue métaphorique »[1], l'antidote au marxisme ? [PAGE 12]

On embaume ce qu'on appelle la civilisation négro-africaine, et de ce cadavre aseptisé, on fait la pierre de touche de l'anti-marxisme. Ecoutons M. Senghor déclarer : « Pierre Teilhard de Chardin nous a sortis de l'impasse en conciliant la nécessité de vivre dans notre temps et celle de demeurer fidèles aux exigences spirituelles de la civilisation négro-africaine. C'est le Père Teilhard de Chardin qui nous a permis de transcender l'antinomie du matérialisme et du spiritualisme... Si Marx avait été jusqu'au bout du mouvement historique, nul doute qu'il eût répondu à notre espoir. Mais il n'y répondit pas... Nous avons du socialisme scientifique, rejeté l'athéisme et la violence foncièrement contraires à notre génie »[2]. Ainsi Marx a « déçu l'attente » de M. Senghor ! Ce qui est visé ici à l'évidence, c'est bien sûr le matérialisme dialectique et historique, et la conception politique qui fait de la dictature du prolétariat, à l'époque du capitalisme, l'aboutissement normal de la lutte des classes, Autant de concepts qui échappent à M. Senghor, parce qu'ils impliquent, il est vrai, la nécessité de la violence révolutionnaire, comme arme des exploités contre les exploiteurs. Ce n'est plus là langage épuré de « chantre de la négritude », et l'on comprend que M. Senghor exprime sa désillusion et ses regrets vis-à-vis du marxisme. Si seulement le marxisme n'était qu'une doctrine en chambre, accommodable, et uniquement, comme il se permettait de le dire en 1949, « une théorie commode pour expliquer la civilisation de l'Europe Occidentale »[3], peut-être eût-on pu pactiser avec elle, comme il l'a tenté du temps où il appartenait encore à la SFIO[4] ! Mais le marxisme, comme l'on sait, n'est pas seulement une théorie révolutionnaire, il implique une pratique révolutionnaire. En particulier, en étudiant les causes profondes du phénomène colonial, excroissance nécessaire du capitalisme, il stigmatise et rejette sa perpétuation sous d'autres formes, c'est-à-dire le néo-colonialisme; il aide le prolétariat, la paysannerie pauvre et les couches les plus exploitées des pays colonisés et néo-colonisés à prendre conscience de leur force et à [PAGE 13] s'organiser dans la lutte contre l'impérialisme et ses alliés locaux. Or, c'est là que le bât blesse : depuis le temps où la presse française applaudissait « notre sympathique député noir »[5], ce dernier n'a cessé de multiplier les déclarations, les professions de foi qui pourraient constituer un véritable « manifeste de l'idéologie néo-colonialiste ». Qu'il fasse référence à la « complémentarité des deux continents » (Afrique et Europe)[6], qu'il appelle à « travailler ensemble à la Défense et Expansion de la langue française »[7], qu'il invoque, est-ce franchise ou simplicité d'esprit, « l'harmonie dans les relations franco-sénégalaises qu'aucun litige n'est jamais venu ternir »[8], qu'il se fasse l'apôtre de la doctrine éculée et hitlérienne de l'Eurafrique, ou plus récemment de la Francophonie qui, éprouve-t-il le besoin d'assurer, n'est pas « une machine de guerre montée par l'impérialisme français », dans tous les cas nous voyons se dessiner la permanence d'une attitude, celle de soutien actif à l'impérialisme français. Beaucoup de ceux qui ont écrit sur, ou plutôt contre la négritude ont, il est vrai, dénoncé cette complicité continue entre M. Senghor et la bourgeoisie française; ils ont montré quelle utilisation politique a été faite de ce concept qui, vague, lâche à ses débuts, sera systématisé en une idéologie au sens marxiste du terme [9].

Mais cette « négritude » n'a été qu'un appendice extérieur d'un phénomène beaucoup plus profond, d'une construction poursuivie avec ténacité, reflétant la position de classe de M. Senghor lui-même et de ses alliés : la mise sur pied d'une [PAGE 14] philosophie de rechange à opposer au marxisme[10]. Ce fut, et c'est ce que nous voudrions prouver, la fonction pratique du teilhardisme, lui-même replâtrage grossier du bergsonisme.

Quel fut et quel est l'intérêt de l'impérialisme français en cette affaire et de M. Senghor lui-même ? En nous proposant dans un premier temps une refonte de la vieille position agnostique à l'égard des sciences, et dans un deuxième temps un mysticisme qui trouverait ses fondements, non dans des particularités individuelles, mais dans toute une race, n'assiste-t-on pas à une des plus grandes mystifications philosophiques ? Celle-ci n'est-elle pas destinée bien sûr à semer la confusion au niveau des intellectuels, mais surtout à entretenir, au niveau des peuples africains en général, le mythe de l'inéluctabilité de la présence économique, politique et culturelle française dans ses anciennes colonies, au nom de la raison « discursive » et « technicienne » ?

1. – UNE ICONE INOFFENSIVE[11]

Au cours d'un entretien paru dans Le Monde du 14-10-1976, M. Senghor cite Mobutu qui aurait dit : « L'Europe a des Marx, l'Asie des Mao, l'Afrique peut être fière d'avoir des [PAGE 15] Senghor ». Cette remarque, anodine en apparence, pourrait bien refléter une attitude foncière de suffisance toute mandarinale propre à l'intellectuel Senghor, toutes les fois qu'il se réfère au marxisme. Si nous abordons certains textes de plus près, en particulier ceux rassemblés dans Nation et Voie Africaine du Socialisme (1961), Négritude et Marxisme (1961) et Pourquoi une idéologie négro-africaine, allocution prononcée à Abidjan en décembre 1971, nous constatons que, comme l'avaient fait en d'autres temps Marx et Engels à la vieille philosophie allemande, M. Senghor entend « régler leurs comptes » à Marx lui-même, puis à Mao Tsé Toung. De ce que nous pouvons présumer avoir été une lecture superficielle de Mao Tsé Toung cependant, il a retenu qu'il faut « embrasser l'ennemi pour mieux l'étouffer », et il nous semble que c'est ce qu'il a tenté.

a) La « lecture négro-africaine de Marx et Engels »

Les positions de M. Senghor à l'égard du marxisme sont résumées en une dizaine de pages lors de sa conférence Négritude et Marxisme envoyée à Vézelay aux Amis de P. Teilhard de Chardin en 1961. « Le Marxisme allait être notre premier instrument de libération » nous dit-il. Et plus loin : « Dès notre arrivée en Europe, nous avions subi la propagande du Marxisme ».

Chacun sait que la caractéristique fondamentale des mouvements intellectuels en France de 1919 à 1939, ce fut leur origine et leur caractère petit-bourgeois. Ces groupes d'intellectuels adoptaient une attitude de désengagement vis-à-vis de la politique de la grande bourgeoisie française, tout en restant emprisonnés le plus souvent dans le système de valeurs propre à la pensée bourgeoise (exaltation de la liberté individuelle, méfiance à l'égard de la société, valorisation de l'intuition et de l'imaginaire, etc.). Ces mouvements étaient donc condamnés à rester spéculatifs et théoriques. L'étude n'est plus à faire des liens organiques et personnels de M. Senghor avec ces intellectuels qui n'avaient souvent du marxisme qu'une idée très vague, et édulcorée par la propagande anti-communiste.

Comment donc M. Senghor a-t-il « lu » Marx ?

Il insiste tout d'abord sur l'appartenance « ethnique » de ce dernier : « Marx était Juif allemand »... C'était un cerveau judéo-rhénan ». C'est la fameuse thèse du mental déterminé par le biologique : on retrouve l'idée chère à la « Négritude [PAGE 16] que c'est l'environnement, le climat, la race qui décident en dernière analyse des idées et des comportements des hommes; on mesure, en plus du caractère raciste que l'épithète « juif » accolée à la nationalité a conservé depuis Hitler, la déformation systématique du marxisme qui ne peut qu'en découler. Comment le marxisme pourrait-il se présenter comme une méthode générale d'analyse et une science des rapports des hommes en société, alors que l'appartenance de son fondateur à une ethnie et à une « race » réduit singulièrement la portée de ses conclusions ? Et M. Senghor de triompher : je vous l'avais bien dit, Marx lui-même a reconnu que son système n'était valable que pour l'Europe Occidentale. Curieuse amputation de la pensée de Marx et d'Engels ! S'il est vrai que les fondateurs du marxisme ont toujours insisté sur le fait qu'ils n'avaient pas de théorie toute prête sur l'évolution historique de tous les pays, que leurs écrits ne constituaient pas un recueil de prophéties, ils ont cependant mis l'accent sur ce qui fait l'originalité et la force de leur doctrine : son caractère matérialiste, donc scientifique, donc universel. Lénine par ailleurs, dira aussi que ce qui compte fondamentalement chez Marx et Engels, ce n'est pas ce qu'ils étaient en tant qu'individus, mais qu'ils ont été toujours et avant tout des hommes de parti, car pour eux la philosophie, comme l'économie ou toute autre forme idéologique reflètent finalement des positions de classe : « les professeurs d'économie politique ne sont, de façon générale, que de savants commis de la classe capitaliste, les professeurs de philosophie ne sont que de savants commis des théologiens »[12]. On constate aisément qu'il s'agit là d'une toute autre perspective que celle où se situe M. Senghor.

Bien sûr, pour lui, les classes n'existent plus ou n'existent pas (cette opinion varie selon les périodes !), en tout cas pas dans ce microcosme de la « société africaine » que serait le Sénégal :

« En vérité, il n'y a plus de classes sociales; à peine des castes. Plus exactement 99 % des Négro-Africains, sinon tous, sont de la classe des exploités »

ou encore :

« Il n'y a pas chez nous, une « classe bourgeoise », détenant [PAGE 17] le pouvoir économique, les principaux moyens de production et aspirant à s'emparer du pouvoir politique »[13].

M. Senghor se situe donc en-deçà même des économistes et penseurs bourgeois européens du XIXe siècle qui reconnaissaient l'existence de classes antagonistes, donc de la lutte des classes, tout en refusant l'analyse marxiste de l'Etat en tant que « produit et manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables »[14]. Comme le notait un Jésuite congolais, Stéphane Kachama Nkoy, au Colloque de Louvain de 1963 sur Les Voies Africaines du Socialisme :

« Senghor et Mamadou Dia préconisent, entre autres choses, le rejet de la lutte de classes. Car, écrit Senghor, « replacée dans le mouvement général de socialisation, elle est dépassée ». Il faut, estime-t-il, promouvoir de pair le bien-être et le plus-être (épanouissement des virtualités du cœur et de l'intelligence). De plus, remarque-t-il, aux classes se substituent peu à peu les groupes technico-professionnels. Et de souligner l'importance croissante des chercheurs et des techniciens ».

Si classes et luttes de classes il y a eu donc, ce sont des phénomènes du passé, et qui plus est en Europe seulement. Il en découle une théorie qui se veut originale de l'Etat « chez nous » qui « ne correspond pas à l'idée qu'on peut s'en faire à l'Ouest ou à l'Est... A l'Est, l'Etat se définit comme l'instrument de domination d'une classe sur une autre, Chez nous, il s'agit de tout autre chose »[15]. Suit une longue description du rôle et des fonctions de l'Etat, mais rien sur sa nature. [PAGE 18]

Il n'est même pas la « personnification juridique de la nation », définition bourgeoise de l'Etat que Senghor accrédite sans la critiquer comme étant celle de « L'Ouest » et qui implique, selon lui, au grand dam de toute l'histoire de France par exemple, qu'« aussi longtemps qu'il n'y a pas de nation, il ne saurait être question d'Etat »[16]. Mais ces structures, le gouvernement, les assemblées, la justice sont bien animées par des hommes; qui sont-ils ? Quelle est leur place dans les sociétés africaines, dans la société sénégalaise ? Ces hommes d'un parti (ceux de l'ancien U.P.S. devenu récemment le P.S.S.) servent donc les intérêts des paysans, des ouvriers ? Il est vrai qu'il n'y a pas de classes au Sénégal, seulement 99 % d'exploités... Là encore, M. Senghor se situe en-deçà de la théorie petite-bourgeoise de l'Etat qui fait de celui-ci un organe de conciliation au-dessus des classes. M. Senghor, en substituant à un terme non défini un autre terme non défini, s'en tire par des platitudes du genre : « une des tâches essentielles de l'Etat est la construction de la Nation, et la mise en œuvre comme la définition d'une politique de développement économique et social, bénéficiant d'un large soutien populaire ». Qu'est-ce en effet que la nation ? Le rejet ou plutôt le mépris de toute analyse historique conduira, dans d'autres textes, M. Senghor à se rallier à la définition idéaliste de Renan, la nation c'est « une âme, un principe spirituel ».

Jusqu'ici nous voyons donc que le marxisme « repensé » se traduit par : son caractère strictement européen, et même allemand, le rejet de la lutte de classes et l'absence de toute définition de la nature de l'Etat. Ce marxisme, réduit à sa plus simple expression, peut-il même être encore « adapté », quoi qu'en dise M. Senghor : « Car qu'était-ce que le « Marxisme-Léninisme », sinon le marxisme adapté à la situation russe ? Et le marxisme – le « socialisme scientifique » – sinon le rationalisme gréco-latin repensé par un cerveau juif-allemand et adapté à la situation de l'Europe Occidentale [PAGE 19] au milieu du XIXe siècle ? « Le marxisme, vidé de son contenu, est ramené à des catégories inoffensives, le « rationalisme gréco-latin » par exemple (« la raison hellène » !); on a exorcisé le démon !

b) De la « sinitude » au marxisme « sinisé »

A partir des années 70, le rôle joué par la République Populaire de Chine dans les affaires internationales et l'attrait qu'exercent sur les peuples africains, et sur la jeunesse en particulier, les réalisations du socialisme en Chine, invitent M. Senghor à « se pencher » sur l'œuvre de Mao Tsé Toung; bien entendu, à aucun moment, il ne sera fait référence à l'existence du parti communiste chinois, à l'organisation d'avant-garde indispensable grâce à laquelle le peuple chinois a pu se débarrasser des impérialistes. Car comme toujours, ce qui intéresse M. Senghor, c'est de trouver dans les écrits de Mao Tsé Toung la confirmation de sa thèse du caractère éminemment relatif du marxisme. Tout au plus le marxisme ou le marxisme-léninisme sera-t-il une façon de vivre comme « l'American way of life », un de ces « microbes idéologiques », que « les étudiants attrapent », comme « le Maoïsme, le Guévarisme, voire l'Arabisme ou le Sionisme »[17]. On est à bon droit surpris : en 1966, à l'Université de Laval, M. Senghor annonçait fièrement : « tout ce que j'ai appris en France, c'est la méthode » si on suppose qu'il s'agit là « des valeurs latines, françaises, cartésiennes » comme il le disait en 1958, et dans la mesure où en 1964 il prônait le retour à Descartes, « à la rigueur dans la méthode, à la lucidité dans l'analyse, à la clarté dans le discours, l'efficacité dans l'action... », on éprouve le besoin de renvoyer M. Senghor à la lecture du Discoursde la Méthode. S'il y a, en effet, dans ces déclarations une absence, c'est celle de « clarté » et de « distinction » : comment assimiler ou comparer ce qui ne relève pas du même ordre d'idées, comment inclure des réalités différentes sous le même vocable « d'idéologie », si ce n'est en donnant à ce mot une extension suffisamment large et vague qui permette d'y enfermer à peu près tout : « L'idéologie c'est, en vue de l'action, un ensemble [PAGE 20] cohérent d'idées, c'est-à-dire de principes intellectuels et de valeurs spirituelles »[18].

Pour en revenir à Mao Tsé Toung, Senghor nous apprend qu'il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il se soit « si vite et si profondément converti au marxisme-léninisme »[19] : le marxisme-léninisme correspondait à « l'esprit chinois », aux « Vieilles notions et pratiques que la Sinitude avait cultivé pendant 4 000 ans ». Que faudra-t-il entendre par le terme « Sinitude » ? Ne serait-elle pas, si nous adoptons la méthode « assimilationniste » propre à M. Senghor, « l'ensemble des valeurs du monde sino-asiatique » ou plutôt « jaune-asiatique »[20] ? Selon M. Senghor, citant Marcel Granet, le Yin, le Yang et le Tao sont des catégories de base de la pensée chinoise. Mao Tsé Toung aurait retrouvé dans le marxisme l'expression de ces catégories, et c'est pourquoi, en mettant l'accent sur l'évolution dialectique de tout ce qui est, en particulier sur l'idée de contradiction, il a adopté le marxisme. En résumé, il n'y a rien dans le marxisme qui ne soit déjà dans la pensée millénaire chinoise, et en d'autres termes, ce sont des idées, des « notions », comme les qualifie M. Senghor, qui sont à la base de la civilisation chinoise. A ce compte, le marxisme « sinisé » est devenu un idéalisme, au sens philosophique du terme. Les sophismes de M. Senghor reposent en fait sur ses connaissances limitées et son interprétation incorrecte de l'histoire de la philosophie chinoise. On trouve des traces de matérialisme en Chine entre le IXe et le VIIe siècles avant notre ère, en particulier dans l'idée que toutes les choses sont en perpétuel changement et que deux principes, le Yan et le Ying, sont à la source de ce mouvement; [PAGE 21] tout ce qui est naît à la fois de l'action réciproque et de la lutte de ces deux principes. Quant au Tao, il représente la nature et ses lois objectives, sans intervention divine. Rien ne demeure immobile dans le monde, toute chose se transforme en son contraire, la contradiction c'est l'action du Tao « l'action de la nature même des choses », selon Lao Tseu. Ainsi, il y a eu dans la philosophie antique chinoise l'expression d'un matérialisme encore naïf, de même que dans la philosophie grecque antique : Démocrite et Héraclite mettront l'accent eux aussi sur le mouvement qui est le mode d'existence même de la matière. Ce que Mao Tsé Toung a donc repris de la tradition philosophique chinoise, c'est son matérialisme, et dans une certaine mesure, une vue dialectique de la nature, de même que Marx a médité les apports du matérialisme grec. Tout cela n'a rien à voir avec un prétendu « esprit chinois », ou « esprit grec » ou « occidental » originel et transcendant...

Il ne s'agissait là cependant que d'une introduction. La pierre de touche de la démonstration de M. Senghor, c'est la position de Mao Tsé Toung sur la question nationale, plus particulièrement sur la culture nationale. Marx avait été accusé par M. Senghor en 1961, d'avoir « minimisé le fait national » « les jeunes nationalismes de couleur », ajoutait-il, « lui infligent un démenti »[21]. Mao Tsé Toung, au contraire, toujours selon M. Senghor, en exprimant son attachement à l'histoire de la société chinoise, manifesterait sa « fierté d'appartenir au peuple chinois » et exalterait la civilisation chinoise : « c'est dire que Mao Tsé Toung l'a compris, s'agissant des militants communistes, comme des militants des autres idéologies, l'orgueil national n'est pas seulement légitime, il est nécessaire au développement de la révolution comme à l'accomplissement de la culture »[22]. La position des marxistes sur la question nationale a été précisément définie, sans aucune ambiguïté, en particulier par Lénine. L'émergence des nations en Europe a correspondu à la montée des bourgeoisies, c'est-à-dire au capitalisme, faisant disparaître le morcellement féodal antérieur. De là la lutte souvent aiguë pour la délimitation territoriale et l'oppression [PAGE 22] de certaines nations par d'autres. Pour les marxistes, dans les conditions du capitalisme montant, la lutte nationale est une lutte des classes dominantes, c'est-à-dire bourgeoises entre elles. Bien sûr, il arrive que la bourgeoisie rallie à elle l'ensemble du peuple, plus particulièrement le prolétariat qui pense se battre pour l'intérêt national. Partant de cette analyse, les marxistes ont toujours dénoncé le nationalisme bourgeois, fauteur de guerres, au nom de l'internationalisme prolétarien. Marx n'a donc pas « minimisé » la question nationale comme le soutient catégoriquement M. Senghor; il a traité la constitution des nations comme une réalité historique, liée à la lutte des classes, qui n'est donc ni figée, ni éternelle. Se représenter la formation des nations, en particulier dans les anciennes colonies, comme une fin en soi, ne peut relever que d'une conception anachronique de l'histoire. C'est le propre de toute bourgeoisie de ne pas pouvoir imaginer son « règne » comme passager; elle projette dans ses institutions, dans sa culture, l'illusion de son éternité. C'est pourquoi aussi toute bourgeoisie voit dans la dialectique, qui est à la base même du marxisme, un ennemi, car, comme le stigmatisait K. Marx dans la Préface à la 2e édition du Capital : « Sous son aspect rationnel, elle (la dialectique) est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes, elle inclut du même coup l'intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire, parce que saisissant le mouvement même dont toute forme faite n'est qu'une configuration transitoire, rien ne saurait lui imposer : parce qu'elle est essentiellement critique et révolutionnaire ».

Pour ce qui est de la culture qualifiée de « nationale » à une époque et dans une société où la bourgeoisie est la classe dominante, elle ne saurait être que celle de la classe bourgeoise, celle des grands propriétaires fonciers, du clergé. Par conséquent, quand Mao Tsé Toung insiste sur la nécessité d'une culture nationale, il ne s'agit évidemment pas, à l'étape de la démocratie nouvelle, de la culture de la bourgeoisie, des grands propriétaires fonciers et du clergé sa position vis-à-vis de la culture, résulte d'une analyse politique et économique de la société chinoise et des classes en présence. Les textes sur La Démocratie Nouvelle ont été écrits en 1940 à une période où le peuple chinois avait à lutter à la fois contre l'impérialisme, japonais en particulier, et contre les éléments réactionnaires féodaux et bourgeois liés aux impérialistes. Mao Tsé Toung, considérant que la Chine est devenue [PAGE 23] « progressivement un pays colonial, semi-colonial et semi-féodal », propose une révolution en deux phases permettant au peuple chinois, d'abord de se débarrasser de l'emprise impérialiste et féodale, ensuite de construire les bases d'un Etat socialiste prolétarien; ces deux phases sont : la phase démocratique et la phase socialiste. La phase démocratique qui nous intéresse ici, correspond à la révolution démocratique bourgeoise de type nouveau où s'exerce « la dictature conjointe de toutes les classes révolutionnaires chinoises, avec à la tête le prolétariat » ces éléments révolutionnaires sont essentiellement constitués par le prolétariat, la paysannerie et de larges fractions de la petite-bourgeoisie. La culture de cette période correspond donc à la lutte anti-impérialiste et antiféodale : « la culture de démocratie nouvelle, c'est la culture anti-impérialiste et antiféodale, appartenant aux masses populaires et dirigée par le prolétariat ». Pour Mao Tsé Toung, la culture de démocratie nouvelle « ne peut être dirigée que par la culture et l'idéologie du prolétariat, c'est-à-dire par l'idéologie communiste; la culture et l'idéologie d'aucune autre classe ne peuvent assurer ce rôle »[23]. Ce sont ces « omissions » qui vicient toute la « démonstration » senghorienne. M. Senghor en effet, en s'appuyant sur des citations fournies, mais souvent incomplètes[24] et mal interprétées de Mao Tsé Toung, veut « prouver » deux choses : [PAGE 24]

D'une part Mao Tsé Toung s'oppose à Marx; contrairement à ce qu'aurait dit Marx, la culture nationale a une importance décisive. En fait, il n'y a pas d'opposition ici entre Marx, Lénine et Mao Tsé Toung : ils insistent les uns et les autres sur le contenu de classe de ce qu'il faut appeler « culture nationale » à une époque et dans une société données. C'est ainsi qu'il est normal que le peuple chinois, qui s'est battu pendant des décennies contre l'impérialisme, et qui a subi les insultes, le mépris des occupants étrangers, soit fier de ses traditions de lutte et les exalte dans des poèmes, dans des chants : elles font partie de la culture nationale anti-impérialiste et antiféodale du peuple chinois, comme nous l'avons vu, à l'étape de la démocratie nouvelle. Il n'est évidemment pas question « d'orgueil », comme le dit M. Senghor, attitude qui impliquerait l'idée d'une supériorité définitive et absolue d'une « culture » sur une autre, d'un peuple sur un autre, attitude chauvine par excellence.

D'autre part, Mao Tsé Toung « s'entend » avec Senghor (sous-entendu : contre Marx) : M. Senghor compare les positions de Mao Tsé Toung aux siennes. « Sans avoir, alors, lu Mao Tsé Toung, j'avais dans ma conférence de 1937, sur Le Problème culturel en A.O.F. dit la même chose »[25]. Qu'y a-t-il de fondé dans cette affirmation ? La conférence en question est restée célèbre pour deux raisons essentielles : d'abord, M. Senghor y défendait le point de vue selon lequel il serait vain pour les Africains (entendez : les Nègres) de vouloir égaler les Européens, particulièrement dans les disciplines scientifiques; ensuite, il y célébrait « l'humanisme colonial : l'œuvre d'un Faidherbe, l'esprit d'un Van Vollenhoven » au nom des « Afro-français »[26]. Il est vrai que, [PAGE 25] argument péremptoire vis-à-vis de ceux qui, après d'aussi bonnes paroles, auraient pu douter de son identité, il disait aussi parler en « paysan du Siné ». M. Senghor aime faire référence à ses « racines paysannes » s'agissant de ses origines, chacun sait qu'il est issu d'un milieu de notables et de chefs, et que son expérience paysanne s'est limitée à quelques visions idylliques des travaux des champs : c'est l'exotisme senghorien. Cette note « populiste » ne suffit pas pour « laver » M. Senghor, contrairement à ce qu'il semble croire, du péché de collaborationnisme avec le colonialisme français. M. Senghor serait-il cependant le porte-parole des paysans ? Il peut s'en flatter, si les paysans sont muets, comme les Bantous du Révérend Père Tempels; on peut tout prêter au mutisme, y compris l'apologie de l'oppresseur. Ce sont pourtant ces mêmes paysans que Sembene Ousmane montrera, dans Emitaï, se dressant contre « l'ordre colonial », luttant contre les mesures vichystes de réquisition qui signifient la famine et la mort pour eux !

Sur le fond de la question, il nous semble particulièrement abusif de sa part de prétendre assimiler sa pensée et son action à celle de Mao Tsé Toung. L'histoire heureusement ne se prête pas aussi aisément aux manipulations qu'on peut faire subir à des textes en les amputant ou en leur faisant dire ce qu'on souhaite qu'ils disent. 1937, c'est l'époque de la victoire de La Longue Marche, celle où, pour lutter à la fois contre l'impérialisme étranger, contre l'invasion et l'occupation japonaise et contre leurs alliés de l'intérieur, pour sauver aussi les forces communistes de l'anéantissement, les révolutionnaires chinois entreprennent ce repli stratégique, véritable épopée, qui les a menés à Yenan. Est-il encore utile de rappeler que 1937 c'est par contre pour M. Senghor l'année où, professeur au Lycée de Tours, il est bien loin de songer à mener la lutte contre le colonialisme français, pas plus en paroles qu'en actes... Cette position n'est pas due, comme certains de ses défenseurs pourraient l'invoquer, à une absence de maturité politique, il la « justifiera » en 1956 sur le plan théorique, toujours en fonction des a priori ou postulats qui ont fait les beaux jours de la « négritude » : comment une race, dont toute la métaphysique, la vie sociale, les comportements individuels dépendent de sa psycho-physiologie, éminemment « émotive », « sensuelle », pourrait-elle entreprendre de lutter ? Ne fera-t-il pas allusion ultérieurement à la « répugnance (de la race noire) au progrès, à sa stagnation [PAGE 26] dans un univers intemporel » ? [27]. Et ne chantera-t-il pas les vertus de la « décolonisation » conçue comme « l'abolition de tout préjugé, de tout complexe de supériorité dans l'esprit du colonisateur, et aussi de tout complexe d'infériorité dans l'esprit du colonisé » ? [28].

Nous voyons donc que, loin d'être proche de Mao Tsé Toung, M. Senghor n'en a jamais été aussi éloigné. En parlant de « culture nationale », Mao Tsé Toung se plaçait dans une perspective d'analyse de classe et se référait à un peuple, le peuple chinois. En évoquant les « réalités nationales », expression beaucoup plus floue et qui, quoi qu'il en dise, ne date pas de 1937, mais n'apparaît vraiment dans ses textes qu'à partir de 1960, M. Senghor associe nation et race. Il appelle à « la réalisation de la nation négro-africaine » qui reposera, on s'en doute, sur « l'esprit de communion », « d'amour », le « sens du dialogue » ou plutôt sur tous les caractères biologiques, innés, non modifiables, qu'il a prêtés arbitrairement et au mépris des sciences, à la « race noire ». Le national-socialisme allemand, est-il besoin de le rappeler, assimilait effectivement la « nation allemande » à la « race allemande » ou encore « aryenne » ! C'est une constante qui tourne à l'obsession chez M. Senghor parlant devant les Jeunes du P.F.A. en mai 1960, il insiste « Les Russes et les Chinois eux-mêmes, pour être communistes, n'en sont pas moins russes et chinois... A preuve qu'ils ont exhumé et exalté, avec leurs grandes figures historiques, les valeurs permanentes de leur civilisation nationale, je dis : de leur race ». Le sophisme résulte encore ici dans l'amalgame sans fondement des termes, du refus de toute analyse historique ou de classe qui aboutit à un aveuglement tenace à l'égard de la situation concrète des pays et des peuples africains, dont on n'hésite pas pourtant à se présenter comme le champion; la modestie n'étant pas une vertu chez M. Senghor, il en vient même à se considérer comme un « chef historique » : « J'ai été un historique – oh ! pas par mes mérites, mais par des considérations de fait. J'ai été le premier agrégé on m'a élu président à cause de cela ! »[29]. M. Senghor ne serait-il pas, comme ironisait Lénine, « un de [PAGE 27] ces bourgeois myopes, étroits, bornés, c'est-à-dire un philistin » ?

En définitive, l'opération qui a consisté à « expliquer » Marx et à fraterniser avec Mao Tsé Toung paraît avoir fait long feu. S'il s'agissait de « prouver » en effet que le marxisme est une « méthode de pensée et d'action » qui doit, selon les circonstances historiques et les situations géographiques, tenir compte des conditions concrètes de chaque pays, c'était enfoncer des portes ouvertes : tous les théoriciens marxistes n'ont cessé de le répéter et de le mettre en pratique[30]. Le truisme ne peut faire figure de démonstration que si l'on croit s'adresser à un auditoire de catéchisme, c'est-à-dire à un public ou à un lecteur à qui un résumé schématique, expurgé, tendancieux a déjà été fourni du marxisme. Autrement c'est une guerre contre des moulins à vent ! Et c'est ce qui ressort, nous semble-t-il, des multiples tentatives de M. Senghor pour faire croire qu'il y a eu la zizanie entre Marx, Lénine et Mao Tsé Toung... L'Allemand, le Russe et le Chinois, chacun aurait édifié et pratiqué « son » marxisme; le résultat ne serait-il pas alors que le Marxisme s'est « évanoui » ? Dans ces conditions, il est évidemment aisé à M. Senghor de se proposer comme le substitut ou l'héritier que l'Afrique ou plutôt la « race noire » attend; ce n'est là après tout que l'illustration de la conception messianique du rôle des « élites » que M. Senghor a toujours défendue. Il n'y a qu'un seul problème : c'est que jamais ni Marx, ni Lénine, ni Mao Tsé Toung ne se sont présentés comme les hommes d'une « race » donnée, n'ont « déduit » de leur appartenance à cette « race » la formation de leurs idées, n'ont subordonné leur pratique politique à des « valeurs culturelles » déterminées elles-mêmes par le biologique [31], [PAGE 28] qu'enfin ils n'ont jamais fait dépendre le politique du culturel. C'est toute l'analyse du rôle historique et de la signification des idéologies qui est ici en cause et en premier lieu la théorie matérialiste du « reflet ». Il nous faut montrer comment ce n'est pas seulement sur quelques points que M. Senghor s'oppose au marxisme, mais dans toute sa philosophie, sous-jacente à la « négritude », même s'il peut apparaître quelquefois, à des observateurs superficiels et par un abus de mots, que la « négritude » est la « philosophie senghorienne »[32].

II. – DES « IMPASSES » DE MARX AUX « RECTIFICATIONS » TEILHARDIENNES

Il est arrivé à M. Senghor de flirter avec le marxisme, jusqu'à très sérieusement en faire un exposé qui se veut philosophique et exhaustif en juillet 1959, au Congrès Constitutif du Parti de la Fédération Africaine. L'événement en soi n'est pas sans signification : la Fédération du Mali avait été créée le 17 janvier 1959 (constituée initialement du Soudan, du Sénégal, de la Haute-Volta et du Dahomey, des pressions françaises devaient peu après en faire sortir les deux derniers territoires). L'acceptation par les dirigeants du Soudan et du Sénégal d'entrer dans une Communauté Franco-Africaine reportait d'autant l'échéance de l'indépendance politique réelle, cette indépendance qui pour M. Senghor n'était quelque temps auparavant « qu'illusions »[33]. L'ensemble des partis, organisations de masse et syndicats qui avaient fait campagne pour le « NON » au référendum gaulliste de 1958 et appelé à l'indépendance immédiate et souveraine, se réclamaient, à des degrés divers, du socialisme scientifique, donc du marxisme. [PAGE 29] N'est-il pas apparu nécessaire alors, nous dirions indispensable à sa survie politique, à M. Senghor, « ce politicien qui se débrouille » comme le qualifie Stanislas Adotevi, de jouer en quelque sorte la carte de la surenchère, de parader avec le marxisme ? De surcroît, les antifédéralistes avaient-ils pas accusé M. Senghor et ses amis d'être « des athées », des « marxistes » ? Il fallait donc prendre Marx au sérieux, et analyser la philosophie marxiste, se prononcer sur ses différentes composantes, pour puiser dans leur rejet ou dans leur « dépassement » des arguments renouvelés pour mieux combattre le socialisme scientifique. On peut penser que M. Senghor a déjà entrevu à l'époque la carte de rechange philosophique qui, sur le plan politique, pourrait bien justifier la Communauté Franco-Africaine, en fait le maintien de la tutelle française [34]. Entre 1948 où il écrivait Marxisme et Humanisme et 1959, M. Senghor a lu Teilhard de Chardin... L'adhésion à cette « philosophie teilhardienne » que M. Senghor va nous présenter en symbiose avec la « négritude », n'aura pas seulement des conséquences politiques, elle a donc eu tout d'abord des racines politiques. Elle sera sur le plan philosophique la forme achevée de l'idéalisme de M. Senghor.

a) La caricature du matérialisme dialectique

La matière est, nous dit M. Senghor, un concept mal défini chez Marx, mais Lénine a été plus précis : « L'unique propriété de la matière dont l'admission définit le matérialisme philosophique, c'est d'être une réalité objective, d'exister en dehors de notre conscience »[35]. Il n'y avait pourtant pas de doute que pour Marx et Engels, tout comme pour Lénine plus tard, la matière existait en tant que réalité indépendante de la conscience. Dès 1844, Marx ridiculisait ainsi, dans La Sainte Famille, l'idéalisme hégélien :

« Quand, opérant sur des réalités (pommes, poires, fraises, amandes), je me forme la représentation générale « fruit » quand ensuite je m'imagine que ce concept asbtrait, tiré des fruits réels -c'est-à-dire le Fruit – est une essence qui [PAGE 30] existe hors de moi et constitue la vérité de la pomme, de la poire, alors je déclare spéculativement que le Fruit est la « substance » de la poire, de la pomme, etc. Les fruits réels et particuliers ne sont que des apparences de fruit, dont l'essence véritable et la substance se trouvent dans le Fruit. »

La caractéristique essentielle de l'idéalisme, c'est de faire dépendre la réalité matérielle de concepts abstraits, il renverse l'ordre réel et prétend produire le concret à partir de l'abstrait. Au problème gnoséologique fondamental qui permet de départager, sur le plan philosophique l'idéalisme du matérialisme, c'est-à-dire qu'est-ce qui de la matière ou de l'esprit est premier, les marxistes ont toujours répondu sans équivoque. Par contre, s'il est un point sur lequel Marx, Engels aussi bien que Lénine ont été aussi catégoriques, c'est que, en ce qui concerne la structure de la matière et ses propriétés, celles-ci sont approximatives et relatives aux connaissances scientifiques de chaque époque. Ces « propriétés » (les guillemets sont mis à dessein chez Lénine, mais omis par M. Senghor) de la matière, ce n'est pas à la philosophie, mais à la science de nous en informer.

De la non-distinction donc de M. Senghor entre la matière, notion philosophique, et la matière physique, vont découler ses interprétations bornées du matérialisme. Il écrit : « Ce qui nous gênait dans le Marxisme, c'était, avec son athéisme, un certain mépris des valeurs spirituelles : cette raison discursive poussée à ses dernières limites qui se muait en matérialisme sans chaleur, en déterminisme aveugle »[36]. Il part d'un a priori : marxisme = mépris des valeurs spirituelles. Qu'est-ce que cela signifie en clair ? Que le matérialisme (remarquons qu'il « omet » ici d'ajouter : « dialectique et historique ») néglige, sinon rejette, en se révélant incapable de l'expliquer, tout ce qui relève, selon M. Senghor, du domaine de l'Esprit. Ce matérialisme manque « de chaleur », entendons « d'âme », au sens où Bergson parlera de « supplément d'âme ». M. Senghor n'innove pas : c'est l'argument constant que les idéalistes ont, en particulier depuis le XVIIIe siècle, objecté au matérialisme. Or ce qui apparaissait au XVIIIe siècle comme une difficulté épistémologique, étant donné la conception mécaniste résultant de la connaissance limitée de la matière physique, s'est trouvé résolu avec le [PAGE 31] matérialisme dialectique et les confirmations apportées par la physique contemporaine. En fait, ce qu'expose M. Senghor, et qui fait encore problème à son niveau, c'est la conception que les spiritualistes se font du matérialisme, en fonction d'une représentation mécaniste et étriquée de la matière. Selon cette conception, toute la nature est régie par des lois rigides, immuables, par un déterminisme qu'on peut en effet appeler « aveugle » (assimilable à une fatalité : « c'était écrit » dit Jacques le Fataliste de Diderot) et l'activité psychique apparaît comme un épiphénomène. L'idéaliste a alors beau jeu de se moquer des explications « matérialistes » qui projettent les lois du monde physique dans le domaine psychique, par un processus de « réduction du supérieur à l'inférieur ».

Partant de cette conception dépassée, M. Senghor s'attaque au matérialisme, négligeant délibérément l'importance décisive pourtant de la dialectique : « Il s'agit de faire la critique moins de la dialectique que du matérialisme de Marx, fût-il dialectique »[37]. On pourrait lui faire remarquer que Marx, loin de sous-estimer l'importance des idées, de la conscience et d'une façon générale, de ce que M. Senghor appelle « les valeurs spirituelles », a donné de ces phénomènes une analyse précise, en montrant que la pensée est l'émanation du monde matériel, une forme d'évolution très poussée et très complexe de la matière et qu'elle influence la matière selon des lois propres qui sont celles de l'activité psychique. Mais M. Senghor semble ne lire dans Marx que ce qui est utile à sa démonstration; il affirme que Marx est revenu à l'ancienne conception du matérialisme mécaniste et « semble nier le rôle actif du sujet dans la connaissance » pour prouver la vérité de son assertion, il nous renvoie à « la phrase de Marx citée par Sartre » : « la conception matérialiste du monde signifie simplement la conception de la nature telle qu'elle est, sans aucune addition étrangère »[38]. L'autorité de Sartre est-elle appelée à couvrir les contresens senghoriens ? Cette phrase est en fait la réplique de celle de Lénine reproduite plus haut; Marx expulse de la nature, c'est-à-dire du monde physique, les éléments « étrangers » dans lesquels les hommes selon les [PAGE 32] époques, et les idéalistes en particulier, ont voulu voir la « cause, première » des phénomènes physiques : dieux, dieu créateur, esprit, souffle aussi bien que principe vital, force vitale, etc. Le propre de l'idéalisme est de surajouter aux explications naturelles des « explications » surnaturelles que la science ne peut cautionner[39]. Marx montrera que ces différentes représentations, idées, religieuses ou autres, font partie des « formes » idéologiques; celles-ci sont la résultante des conditions matérielles objectives dans lesquelles vivent les hommes; on peut se référer à ce passage célèbre : « le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience »[40]. Et pour répondre au reproche que M. Senghor fait à Marx de négliger l'activité des hommes en faisant dépendre celle-ci uniquement des facteurs économiques, ce qui expliquerait pourquoi les œuvres économiques et politiques de celui-ci sont des « prophéties », de « véritables poèmes de la Fatalité »[41], n'est-il pas bon de rappeler cet extrait d'une lettre d'Engels :

« D'après la conception matérialiste de l'histoire, le facteur déterminant dans l'histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi n'avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu'un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde... Nous faisons notre histoire nous-mêmes, mais tout d'abord, avec des prémisses et dans des [PAGE 33] conditions très déterminées. Entre toutes, ce sont les conditions économiques qui sont finalement déterminantes. Mais les conditions politiques, etc., voire même la tradition qui hante les cerveaux des hommes, jouent également un rôle bien que non décisif »[42].

M. Senghor semble ignorer cette mise au point très nette. Toute son argumentation est donc basée sur le raisonnement suivant : La théorie de la connaissance matérialiste est trop pauvre, trop étroite pour expliquer de façon satisfaisante les phénomènes spirituels; ceux-ci dans leur spécificité « débordent » la matière. Il est donc nécessaire de contester la gnoséologie matérialiste, au nom d'une autre forme de connaissance, plus complète, qui permette en particulier, selon M. Senghor, d'échapper aux « questions angoissantes », aux « impasses » auxquelles sa confrontation avec le marxisme l'ont mené. Ces « impasses » ont résulté de « l'escamotage » par Marx « des problèmes vitaux – je dis vitaux comme ceux de Dieu et de la Liberté »[43]. Pourtant, en ce qui concerne la religion, l'analyse marxiste montre qu'elle est un phénomène social, un reflet déformé, illusoire du monde réel dans la conscience des hommes, ayant pour origine les contradictions de la société : elle est, écrit Marx, « le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple »[44]; la conséquence pratique de cette analyse, c'est que la lutte contre la religion devra tendre à faire disparaître les racines sociales de celle-ci, elle est donc subordonnée à la lutte révolutionnaire du prolétariat. Au lieu d'exposer et de critiquer, puisqu'il ne la partage pas, cette conception, M. Senghor préfère déclarer que Marx a « escamoté » le problème; cette mauvaise foi intellectuelle nous semble la conséquence de cet « esprit dévot » qui, selon J.F. Revel, ne prend en considération que le caractère désirable ou indésirable des conclusions, et non les preuves.

Bien entendu, les instruments de pensée utilisés par Marx sont eux aussi inadéquats pour saisir une réalité trop riche : « Je l'avoue, Marx n'avait pas réussi à nous enlever, à nous, Elites nègres, notre défiance de l'intelligence. C'est qu'il nous [PAGE 34] la présentait trop souvent comme seulement discursive, « statique et abstraite » »[45]. Ce procès de l'intelligence, M. Senghor ne nous le présente pas comme le résultat de doutes personnels, mais comme un constat des intellectuels « nègres », sans doute pour donner plus de poids à une affirmation qui est un défi à tout raisonnement scientifique. En effet, si l'on prend cette déclaration à la lettre, elle signifie que Marx a une idée de l'intelligence qui lui serait propre, et aussi bornée que l'est sa conception de la matière. Pourtant, les raisonnements intellectuels, l'analyse et la compréhension des phénomènes physiques et sociaux qui ont donné naissance à l'œuvre de Marx, sont ceux de la science elle-même. Ce n'est donc plus l'intelligence qui est insuffisante, c'est la science elle-même !

Là encore, les a priori de M. Senghor : puisque la science et les outils mentaux qu'elle utilise sont insatisfaisants, inadéquats, c'est donc qu'il y a un ou d'autres outils qui les dépassent. Le tout est maintenant de mettre à jour ce ou ces outils; et si possible de les « découvrir » existant déjà et privilégiés dans la « race noire ». La théorie de la connaissance et la philosophie qui les intégreront, qui insisteront sur ce ou ces modes « supérieurs » d'approche de la réalité « matérielle et spirituelle », constitueront nécessairement la philosophie qu'attendaient les « Négro-Africains ». C'est Teilhard de Chardin qui va être appelé à « rectifier la théorie de Marx en la complétant, en en bouchant les trous »[46]. L'adhésion non pas de M. Senghor seulement, mais de l'ensemble des Négro-Africains, à cette vision du monde, nous paraît relever de ce que Marcien Towa appelle la « théorie des pierres d'attente »[47], déjà illustrée dans La Philosophie bantoue [PAGE 35] de Placide Tempels. De même que le christianisme pour Tempels est le message qu'attendaient les bantous, car leur ontologie et leur religion recèlent déjà « des éléments pré-chrétiens », le « teilhardisme » viendra combler les exigences profondes, vécues, mais informulées jusqu'alors des Négro-Africains.

M. Senghor a abordé en fait la philosophie marxiste en idéaliste ; mais en « idéaliste honteux » pour reprendre une formule célèbre d'Engels; sa démarche est idéaliste, antiscientifique, mystique, sans qu'il l'admette. Car il entend au contraire trouver chez Teilhard de Chardin le dépassement de l'antinomie entre matérialisme et idéalisme. En ce sens, il ira, sur les pas de Teilhard de Chardin, à la recherche d'une « troisième voie » philosophique, que les marxistes ont toujours identifiée à l'agnosticisme dans ses multiples nuances. C'est loin d'être une démarche originale : ce fut, dans l'histoire de la philosophie européenne, le propre de Kant, puis d'Auguste Comte pour déboucher chez Teilhard de Chardin, en passant par Bergson, sur la « réconciliation » de la Science et de la Religion [48].

b) De Bergson à Teilhard de Chardin

– La « révolution de 1889 »

En s'attaquant à l'intelligence, Senghor vise en fait la raison scientifique. Les textes abondent d'ailleurs où il part en guerre tantôt, comme nous l'avons vu, contre « l'intelligence discursive », tantôt contre « la raison discursive ». Bergson a été son illustre précurseur dans ce domaine : « C'est Bergson qui en 1899, dans son Essai sur les Données immédiates de la conscience, opposait à la raison discursive, l'intuition. C'est seulement par l'intuition qu'on peut couler, dans le réel, une vision en profondeur, en en dépassant l'écorce superficielle, objet de la raison discursive »[49].

La philosophie bergsonienne s'est en effet caractérisée pendant plus de quarante ans comme une lutte menée contre la science et l'esprit scientifique. A la science s'opposent la [PAGE 36] philosophie et la spiritualité : « la science a le pouvoir d'approfondir la matière par la seule force de l'intelligence », tandis que la philosophie « se réserve l'esprit ». Partant du postulat, à l'époque pourtant scientifiquement dépassé, que « la matière c'est l'inerte » et affirmant qu'au contraire la philosophie « c'est le vivant, le spirituel », Bergson en « déduit » que seule l'intuition, méthode par excellence de la philosophie, est capable « de pénétrer au cœur des choses ». Cette « attention que l'esprit se porte à lui-même » est la fonction propre de l'esprit, l'intelligence n'est que « l'attention que l'esprit porte à la matière », elle est « l'acte de comprendre qui suppose toujours une analyse, des procédés discursifs »[50]. Bergson dit que « la vie désigne la conscience même », elle se manifeste par « l'élan vital » qu'il définit ainsi : « un élan créateur qui fait surgir des formes vivantes de plus en plus complexes dont chacune apparaît comme une solution originale à un problème posé par les nécessités vitales ». La matière ou « l'étendue matérielle » est comme « la retombée de l'élan vital... c'est un produit dévitalisé de l'élan vital, c'est de l'esprit éteint » c'est-à-dire que la matière est esprit, mais se distingue de la conscience par une différence de « tension ». D'où la fameuse distinction entre le statique et le dynamique, à quoi fait référence M. Senghor et qui a donné naissance à ce qu'il appelle la « révolution de 1889 ». M. Senghor, en fonction de sa conception de la matière et du déterminisme, reprend à son compte la critique du scientisme faite par Bergson et en déduit que ce dernier a pressenti, en quelque sorte, les « bouleversements profonds » intervenus dans les sciences au début du XXe siècle, bouleversements résultant, selon lui, de ce qu'on a nommé « la crise du déterminisme » : « Bergson, avec une subtilité toute dialectique, allait combler l'attente d'un public lassé de scientisme et de naturalisme »[51]. Il apparaît évident que Bergson lui aussi ignorait la dialectique au sens marxiste du terme[52], il se représente les découvertes de la physique du début du siècle [PAGE 37]comme un constat de faillite des sciences. Bien sûr, Bergson dira qu'il ne critique pas la science, mais qu'il pense que son domaine étant l'espace, et non la durée, elle ne peut atteindre à la « vérité absolue » c'est là en fait la démarche positiviste, une des formes de l'agnosticisme, qui laisse à l'irrationnel la possibilité de « s'engouffrer » dans les vides laissés par les insuffisances, considérées alors comme définitives, des sciences[53]. De ce que les découvertes de la physique du début du siècle impliquaient une remise en question de l'idée de vérité, on en déduisait que la science avait échoué à atteindre le réel, et on réintroduisait la métaphysique. Lucien Sève montrera en particulier que la philosophie bergsonienne servira ce but précis, maintenir la métaphysique contre la raison scientifique, et que l'intuition fut le cheval de bataille destiné à gagner cette cause :

« L'intuition bergsonienne n'a donc pas été découverte par une intuition créatrice, elle a été fabriquée comme un outil pour les besoins de la cause. Son apparition n'est pas le fruit d'un progrès réel de la pensée, comme l'apparition du concept dans la philosophie grecque ou de la contradiction dialectique dans la philosophie allemande, mais un stratagème de la spéculation métaphysique aux abois »[54].

C'est donc cette opération régressive que Senghor qualifie de « révolutionnaire » ! En fait, comme l'indiquera Georges Politzer, au mot d'ordre de lutte contre les « étroitesses du scientisme », on va opposer « l'idéalisme irrationaliste de Bergson et d'une manière générale l'idéalisme »... d'où aussi l'alternative construite par Bergson : « ou le « rationalisme statique » ou l'irrationalisme de l'instinct et de la mystique »[55]. Il est aisé de montrer qu'à l'époque où écrivait Bergson, ce rationalisme lié au mécanisme était lui aussi, comme le mécanisme, déjà dépassé ! Curieuse actualité de cette philosophie, qui prétend bâtir du nouveau, en s'appuyant sur une alternative fausse : [PAGE 38]

« L'alternative de M. Bergson se révèle telle qu'elle est : un artifice. Ce philosophe proclame que la-science ignore le devenir à l'époque même où elle le découvrait partout ; qu'elle méconnaît le temps, alors qu'elle le reconnaissait au sein même de la matière; qu'elle est mécaniste, alors qu'elle a cessé de l'être; que les concepts de la raison sont figés, alors que la raison refait tous ses concepts; que le rationalisme est « statique », alors que le « rationalisme statique » était dépassé depuis longtemps »[56].

C'est pourtant cette même « alternative » que nous avons vu M. Senghor utiliser pour « critiquer » et « dépasser » Marx. En réalité, M. Senghor n'emprunte pas seulement à Bergson son vocabulaire, cette « véritable scolastique » dont parlait Politzer, « avec des formules codifiées, des métaphores à déclenchement automatique », mais aussi son goût de la fausse profondeur, et surtout sa vision du monde, sa manière bornée et anachronique de poser les problèmes et son souci constant de « parader avec la science quand dans la réalité il lui tourne le dos, de repeindre aux couleurs du concret et du dynamique la vieille enseigne défraîchie de la métaphysique abstraite et figée »[57].

Il s'agit d'établir que le Nègre est métaphysicien, c'est-à-dire au sens marxiste, idéaliste; non pas qu'il y a des nègres idéalistes comme il peut y en avoir des matérialistes, mais que c'est « l'essence » même de la « race noire ». Ainsi, aucune contestation ne sera possible, et on pourra montrer à ceux qui prétendent diffuser le marxisme et prônent le socialisme scientifique, que ce sont des « idéologies étrangères importées » et en contradiction avec la « philosophie même du Négro-Africain » ! Là Senghor va plus loin que Bergson; il eût été difficile à Bergson, étant donné l'existence d'une vieille tradition philosophique européenne où le matérialisme et l'idéalisme n'avaient cessé de s'affronter, de prétendre par exemple que son idéalisme ou spiritualisme était la « philosophie de la race blanche » (encore que les idéologues nazis n'hésiteront pas à le faire à sa place) ! Mais M. Senghor peut avoir l'illusion de bâtir sur un terrain vierge; pas de philosophies africaines écrites, formulées, absence de débats dans le passé, pas de systèmes constitués; par contre des témoignages [PAGE 39] ethnologiques qui font état de « philosophies infuses » en quelque sorte qui, chose curieuse (cf. La Philosophie bantoue), se moulent sur les postulats idéalistes. Concluons : le Nègre a été, est et sera idéaliste.

Le schéma bien connu est le suivant : le Nègre est un être de la nature, il n'analyse pas avec la « raison discursive », mais il saisit le réel, la vie grâce à la « raison intuitive ». La vie, comme chez Bergson, est création, évolution, durée, tandis que la matière est le contraire de la vie; création signifie avant tout émotion, cette émotion qui chez le Nègre « se définit comme la projection dans le monde mystico-magique », et qui, chez Bergson, culminait dans L'Energie spirituelle dans la « démonstration » de la possibilité de phénomènes « métapsychiques » comme la télépathie, les pressentiments, etc., sans parler des « tables tournantes » ! Tous ces phénomènes manifestent la présence de l'Esprit au sein de la Matière et sa prééminence sur la Matière; la vie est l'expression privilégiée de cet Esprit, elle est, dit M. Senghor, « l'expression de la force vitale » : on croit être entraîné dans cette « cave fort obscure » dont parlait Descartes et où l'on expliquait les effets de l'opium par sa « vertu dormitive » cette force vitale pas plus que l'élan vital n'explique rien, et en tout cas, pour le biologiste, elle signifie la réhabilitation de l'animisme dans les sciences – « Expliquer les processus vitaux par l'intervention chez les êtres vivants d'une vis vitalis, d'une force vitale particulière, quelque nom qu'on lui donne, est une conception typiquement métaphysique. Elle présente en commun avec toute conception métaphysique la triple tare qui en explique la stérilité : elle ne repose sur rien de concret, elle se suffit à elle-même, elle ne débouche sur aucun progrès »[58]. Bien sûr, M. Senghor, pas plus que Bergson, n'est concerné par l'explication scientifique de la vie. Et c'est là que l'on voit combien tout son exposé consiste à jouer avec des mots : la vie, ce ne sont pas les phénomènes vitaux; la « Vie » existe donc en dehors du vivant; nous sommes très proches maintenant des postulats théologiques !

Bergson débouche sur une sorte d'expérience mystique « Dieu, écrira-t-il en 1932, est le centre de toute mon œuvre » l'univers « converge » vers Dieu, « Dieu est amour et objet [PAGE 40] d'amour : tel est le pourquoi de l'Univers. La matière pour la vie – La vie pour l'esprit – l'esprit pour Dieu »[59].

Gabriel d'Arboussier disait en 1963 que Senghor est « inspiré par l'Evangile » et que sa « doctrine » correspond à une mystique qui anime toute la promotion authentique de l'homme »[60]. Là encore, M. Senghor pense trouver la confirmation de cet « élan mystique » dans la race noire : le « mysticisme religieux » n'est-il pas répertorié au nombre des « qualités du Noir »[61] ? Qu'est donc cette mystique : elle est « essentiellement, l'élan qui nous unit à l'invisible par le visible », un élan d'union « avec les forces cosmiques et, par-delà, avec la Force des forces qui est Dieu »[62].

M. Senghor nous dit qu'il a été influencé par Tempels, qu'il nous recommande d'ailleurs de lire. Mais qu'est-ce que Tempels sinon un bergsonien, doublé d'un théologien ? Ce qui revient à dire que la fameuse Philosophie bantoue, présentée comme témoignage authentique de la pensée bantoue, n'est que la projection des catégories bergsoniennes, auxquelles s'ajoute l'apologétique chrétienne. N'est-ce pas le même procédé qui apparaît chez M. Senghor, à « un degré supérieur » si l'on veut ? Bergson en effet, et il en était probablement de même pour Tempels, n'avait pas lu Marx, était passé à côté du marxisme dans l'ignorance la plus totale, ce qui ne l'empêcha pas, nous le verrons, d'être anti-communiste, sur le plan politique. M. Senghor, par contre, est un « homme d'Etat », un « politicien », il ne peut ignorer Marx. Or, il se trouve que, dans la lignée de Bergson, un homme, un théologien, mais aussi un savant paléontologiste, a tenté d'intégrer le marxisme; à la vision limitée et repliée sur soi de Bergson, il substitue une vision « planétaire » celle-ci ne va-t-elle pas servir les buts politiques de M. Senghor : prouver démagogiquement que, de par leurs qualités intrinsèques, les nègres participent à l'évolution du monde actuel, mais aussi, par sa théorie de la convergence et du métissage, justifier, sans le dire, c'est tout l'art du camouflage, sa politique néocoloniale ? Ce dernier pourrait alors se présenter à la fois comme l'homme des Africains, des Noirs en général, car il [PAGE 41] les réhabilite, leur donne une place dans la « civilisation de l'Universel », et comme l'homme du « Dialogue », l'homme ouvert à tous les courants de pensée.

– Le « retournement dialectique » de Teilhard de Chardin.

J.R. Revel dit qu'il n'y a aucune idée fondamentale chez Teilhard de Chardin qui ne soit chez Bergson, en particulier « la nature primitivement psychique de la matière, et bien entendu, de la Vie, dont le rôle est d'élaborer la conscience »[63].

Selon Jacques Chevalier, Bergson a eu Teilhard de Chardin comme élève à Clermont-Ferrand en 1888; Madeleine Bathélémy-Madaule, au contraire, insiste sur le fait qu'ils ne se sont pas connus, mais que Teilhard a écrit dans une lettre du 3 avril 1930 : « Ce que vous me dites de Bergson m'a profondément ému. Je prie pour cet homme admirable que je vénère comme une espèce de saint »[64]. Quoi qu'il en soit, Teilhard de Chardin a reconnu avoir lu « avidement » L'Evolution créatrice paru en 1907, l'avoir mal compris, mais avoir été ébranlé par ces « pages ardentes ».

On sait que Teilhard de Chardin dans les années 50 est devenu un écrivain « à la mode » et que les réticences du Vatican à l'égard de ce père jésuite à la fois savant et théologien, furent pour beaucoup dans cet engouement. En son temps, Bergson avait aussi fait courir les foules, un public mondain se pressait à ses cours et la bourgeoisie, inquiète de l'essoufflement de la philosophie française en ce début du XXe siècle, se pâmait devant les audaces verbales de ce « philosophe de la mobilité » comme l'appelle Julien Benda.

La conjonction entre les deux hommes ne s'arrête évidemment pas à l'accueil fait à leurs œuvres et à leurs idées. M. Barthélémy-Madaule, qui se place d'un point de vue « interne », affirme que l'expérience originelle de Teilhard rejoint l'intuition bergsonienne : « Nous ne pouvons douter que nous sommes en présence de deux génies profondément intuitifs qui ont eu le don du contact avec l'immédiat, avec l'Absolu, et su que ce dernier est inexprimable ». Nous ne discuterons pas ici l'appellation de « génies », G. Politzer et J.F. Revel s'en [PAGE 42] sont déjà chargés; retenons simplement qu'à l'origine de leurs écrits, il y a la même démarche spiritualiste. Au lieu de parler « d'élan vital », Teilhard de Chardin aura recours à « l'Energie psychique et radiale » c'est cette « découverte » que M, Senghor qualifiera de « retournement dialectique » aussi important que le « matérialisme dialectique » de Marx. Avec cette différence que, la théorie ici est solide de cohérence et de fécondité »[65]. Il va de soi évidemment que, et M. Senghor nous l'avait déjà laissé entendre, la théorie marxiste est incohérente et stérile ! En « complétant » Marx donc, Teilhard de Chardin y apportera « la cohérence et la fécondité » !

Revenons à la Matière, que Teilhard de Chardin, euphémisme instructif, appelle « l'Etoffe Universelle » : elle est Energie. Il a pris soin toutefois de définir ainsi l'Energie : « Essentiellement, nous l'admettons, toute énergie est de nature psychique »[66]. Par conséquent, la matière qui est énergie, est psychique, ou si l'on préfère elle est Esprit, C'est ce « tour de passe-passe », selon l'expression de Lucien Sève, qui enthousiasme M. Senghor : « En partant donc de nouvelles découvertes scientifiques, Teilhard de Chardin dépasse le vieux dualisme des philosophes et des savants, auquel Marx et Engels n'ont pas mis fin en donnant à la matière l'antériorité sur l'esprit ». En d'autres termes, Teilhard de Chardin « transcende les dichotomies classiques », « il rejette la distinction entre la matière et l'esprit. Il n'y a plus que l'Energie qui est un réseau de forces »[67].

Il s'agit en fait d'une démarche typiquement spiritualiste, qui consiste à manipuler la science en y réintroduisant les postulats théologiques. Dieu n'est-il pas au point de départ et à l'arrivée de l'Evolution ? Le langage quelque peu hermétique de Teilhard de Chardin appelle ce point de convergence le point Oméga; il représente en particulier la réconciliation de la Science et de la Religion.

Nous abordons par ce biais la question de la signification de l'apparente mutation de la Négritude intervenue aux Assises de Dakar en 1971. Certains, se référant en particulier à [PAGE 43] l'affirmation senghorienne de l'inaptitude des négro-africains aux spéculations abstraites, se sont étonnés de voir la Négritude et la Science faire bon ménage. En fait, c'est le décalque ou la projection de la démarche teilhardienne : on peut laisser à la science sa place, à condition de donner aux mots le sens qui convient. Par exemple, il pouvait sembler que l'intuition, telle qu'elle est définie par Senghor, s'opposait à la démarche scientifique. Pas du tout; les savants eux-mêmes, dit M. Senghor, utilisent l'intuition qui est désormais « la méthode du XXe siècle ». Evidemment, à condition de ne pas préciser que cette intuition du savant n'est en rien contradictoire avec l'intelligence, qu'elle s'allie à elle et n'a rien d'irrationnel, M. Senghor a raison ! On voit sur quelles faiblesses ou même sur quelles absences de raisonnement repose toute l'argumentation senghorienne -le Nègre est désormais à la fois scientifique et intuitif (puisque c'est la même chose !).

Les a priori spiritualistes qui sous-tendent la Négritude n'en persistent pas moins, comme chez Teilhard. N'admet-on pas que la Négritude « se développe et se diversifie tout en gardant son caractère unitaire. Elle ne peut le faire que si, outre ses valeurs traditionnelles, elle assimile et très vite, les mathématiques, les sciences et les techniques pour contribuer de façon décisive, grâce à un réel pouvoir de créativité, à l'édification d'une civilisation planétaire qui s'annonce déjà et poursuit inexorablement son ascension »[68].

Cette « civilisation planétaire », c'est bien sûr l'idée chère à Teilhard de Chardin de la « convergence pan-humaine », vers laquelle marche l'humanité. Nous avons déjà vu en quoi cette projection qui couronne l'évolution générale de la matière est de nature spirituelle et divine. La « dialectique » du Phénomème Humain, dira Claude Cuénot, c'est : matière, vie, socialisation, Christ cosmique. La Négritude n'a donc rien perdu de son caractère foncièrement idéaliste; les modifications de détail ou de présentation qui y sont apportées, n'impliquent pas des contradictions nouvelles dans la doctrine elle-même. Il s'agit simplement de « badigeonner » celle-ci avec le langage de l'actualité scientifique : la négritude reste un appendice négrifié de la philosophie idéaliste de Bergson, aménagée par Teilhard de Chardin. [PAGE 44]

c) Un bref aperçu de quelques conséquences politiques d'un « mariage philosophique ».

Ni Bergson, ni Teilhard de Chardin n'ont caché leur anticommunisme. Bergson en 1932, selon Jacques Chevalier, s'avouait inquiet de la « menace bolchevique » : « Si elle se dissipait, le monde se reprendrait à vivre. Le bolchevisme n'est autre chose qu'un athéisme en action. Je ne crois pas d'ailleurs qu'il réussisse. Nul peuple ne peut vivre sans religion ». Teilhard de Chardin, dans le même esprit, dénonce « l'Evangile de Lénine » et ajoute :

« La matière a voilé l'esprit. Un pseudo-déterminisme a tué l'amour. Absence de personnalisme, entraînant une limitation ou même une perversion de l'avenir, et minant par voie de conséquence, la possibilité et la notion même d'universalisme; tels sont beaucoup plus que tous les renversements économiques, les dangers du bolchevisme »[69].

De toutes façons, la lutte de classes est dépassée, elle reflétait des « tensions dans la Biosphère ». Il écrit dans L'Avenir de l'Homme que « la vieille opposition marxiste entre producteurs et profiteurs a fait son temps ». L'idée de convergence implique au contraire la conciliation des classes , sur le plan politique, la conciliation des idéologies :

« Que le démocrate, que le communiste, que le fasciste aillent au bout et à la plénitude des aspirations positives qui animent leur élan et alors, tout naturellement, les routes convergeront »[70].

Il est difficile de ne pas être stupéfait devant l'aveuglement que ces vues expriment sur le plan historique et social. Teilhard de Chardin, apparemment emporté dans son rêve mystique, ne se place jamais par rapport aux problèmes historiques concrets et actuels. Sinon, comment appeler, en 1937, à la convergence du communisme et du fascisme ? Toutefois, Teilhard de Chardin n'est pas simplement un illuminé. Il n'a jamais condamné le fascisme : « le fascisme, dit-il, est ouvert au futur », dans l'organisation de l'avenir il fait une large place à « l'idéal fasciste des élites organisées »[71]. Il y a là comme l'exaltation bergsonienne du héros et du saint, qui s'élèvent au-dessus de la masse, qui sont « des initiateurs [PAGE 45] qui rompent avec les habitudes du groupe et qui dans une « émotion créatrice » inventent des valeurs nouvelles »[72]. Par contre, et en dépit de ses idées de « convergence », il reprendra en 1952 sa violente condamnation du communisme; c'est le christianisme qui est chargé de mener cette « guerre sainte » :

« Le seul moyen de vaincre le communisme est de présenter le Christ tel qu'il doit être : non pas opium ou dérivatif, mais moteur essentiel d'une hominisation qui ne peut s'achever énergétiquement que dans un monde ouvert »[73].

Toute la philosophie teilhardienne s'oppose au marxisme, et c'était une erreur de Roger Garaudy en 1961 que de voir en Teilhard un interlocuteur ouvert au marxisme, prêt au dialogue. On ne peut pas dissocier le marxisme du socialisme scientifique. Teilhard de Chardin, jusqu'à sa mort, aura du socialisme scientifique la conception sectaire, intolérante qui caractérise les encycliques pontificales. C'est Pie XI qui écrivait dans son Encyclique sur le communisme athée du 19 mars 1937 : « le communisme est intrinsèquement mauvais et l'on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui, de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne ».

C'est aussi en croyant que M. Senghor, ce « croisé mystique », selon l'expression d'Armand Guibert, se place vis-à-vis du marxisme. Il s'est efforcé, en s'appuyant sur Teilhard de Chardin, de bâtir un « socialisme africain », dont le contenu a peu varié au cours des années, même si de nouvelles étiquettes s'y sont ajoutées : socialisme « rectifié », « démocratique »... De même qu'en philosophie devait émerger une « 3e voie », de même en politique il s'est agi de trouver une « voie moyenne » qui réconcilie en somme le socialisme et le capitalisme : « Nous (le « nous » de modestie !) ne sommes pas communistes » dit M. Senghor, « mais nous ne sommes pas non plus anti-communistes » ! Si M. Senghor ménage la chèvre et le chou, ses commentateurs seront cependant plus explicites : « La construction du socialisme africain, les leaders africains la veulent placée dans un contexte mondial. Ils sont convaincus que l'Afrique peut et doit apporter une contribution décisive à la solution des problèmes du [PAGE 46] monde d'aujourd'hui, tout en rejetant l'héritage colonial du capitalisme exploitant, et en se gardant également d'une idéologie étrangère à l'Afrique, en particulier le communisme », dira le jésuite René de Haes aux Journées Africaines de Louvain en 1963. Bien sûr, on rejette « l'héritage colonial du capitalisme exploitant », mais pas le capitalisme ! On laisse sous-entendre donc qu'il doit y avoir plusieurs sortes de « capitalisme » pourquoi pas en effet un capitalisme « à visage humain », comme si la nature même du capitalisme n'était pas d'être « exploitant », d'être, pour reprendre l'image de Marx, venu au monde en suant le sang par tous ses pores ! Il s'agit là d'une loi historique, et toutes les bonnes paroles, les vœux pieux n'y peuvent rien changer. Nous retrouvons par ailleurs dans cette déclaration la technique de l'amalgame : le communisme est « une idéologie étrangère », donc l'Afrique ne peut l'adopter; mais écarter l'idéologie « communiste », c'est du même coup écarter le mode de production socialiste sur le plan économique et l'Etat socialiste sur le plan politique. Le capitalisme lui n'est sans doute pas une idéologie, a fortiori étrangère ! On a donc établi une fausse égalité qui recouvre en fait un choix clairement idéologique : celui du capitalisme, quels que soient les qualificatifs éthiques qu'on lui adjoigne. On ne peut qu'être frappé encore une fois entre la concordance de cette prise de position et celle exprimée dans les encycliques pontificales sur le capitalisme : le capitalisme n'y est jamais condamné « la propriété privée est un droit naturel » dit Léon XIII sur cette base, il est normal qu'il y ait dans la société des riches et des pauvres, la charité chrétienne impose seulement aux riches de soulager les pauvres; « le capitalisme n'est pas à condamner en lui-même. Ce n'est pas sa constitution qui est mauvaise », ce qu'il faut donc dénoncer ce sont les « abus » du capitalisme. Cette « moralisation » de l'économie et de la politique est la caractéristique essentielle du « socialisme de M. Senghor », qui est aussi peu « africain » que l'est sa « philosophie » :

1) il « intègre les valeurs spirituelles » : en clair cela veut dire que la philosophie dont il s'inspire est idéaliste;

2) il rejette l'athéisme, ce qui prouve bien que « les valeurs spirituelles » auxquelles on s'est référé précédemment sont éminemment religieuses;

3) il bannit « la violence » c'est la conception hypocrite typiquement bourgeoise, qui consiste à s'apitoyer et à dénoncer [PAGE 47] la violence en général, la « violence abstraite », l'Idée de violence en somme, mais à s'accommoder fort bien des actes de violence « légitimes », comme par exemple ceux de l'Etat néo-colonial : la violence qu'exerce une classe sur une autre...;

4) il sera coopération et amour. A. Guibert, pourtant peu suspect d'être « anti-senghorien », écrit que Senghor a fait « avec la France un mariage d'amour, par lui présenté par esprit de précaution comme un mariage de raison » et il poursuit : « on ne renie pas facilement un tiers de siècle de concubinage mental »[74]; ces réflexions sont significatives. L'amour dont il est question ici ne saurait voiler, comme d'autres l'ont montré, les étapes d'une vie politique toute de compromissions, d'assujettissement vis-à-vis de l'impérialisme, français en particulier.

Pas plus que Teilhard de Chardin, Senghor n'a jamais admis la possibilité politique d'un Etat socialiste; son ignorance, doublée de mépris (n'est-il pas poète avant tout !), de toute analyse scientifique de la vie économique, fait de ses considérations sur le socialisme un tissu d'élucubrations. Ce « socialisme distant », comme dit Stanislas Adotevi, est en fait une véritable imposture .

« Pour ma part, je ne tiens pas le socialisme africain en très grande estime. Il est l'expression idéologique d'une catégorie sociale qui installe dans un pays arriéré le capitalisme avec une économie arriérée. Il ne peut rien nous apporter »[75].

CONCLUSION

Nous avons parlé tout du long de « philosophie senghorienne ». Le moment est venu de nous demander s'il n'est pas abusif de prêter à M. Senghor une « philosophie » au sens propre du terme.

En effet, on peut encore concéder à Bergson la tentative réussie pour faire passer dans un langage nouveau de vieilles idées; et de toutes façons, il le faisait « en philosophe », c'est-à-dire en se plaçant dans le courant des philosophes spiritualistes français du XIXe siècle. Teilhard de Chardin, [PAGE 48] pour qui la philosophie ne se sépare pas de la théologie, elle en est effectivement la servante, représentera, par ses efforts pour réconcilier la Science et la Religion, la plaque tournante de l'éclectisme contemporain, selon l'expression de J.F. Revel. Il prolonge, en y intégrant un certain langage scientifique, limité puisqu'essentiellement biologique, la philosophie bergsonienne. Lui aussi reste dans le courant de l'évolution de la philosophie française contemporaine, même si certaines de ses vues apparaissent déjà comme anachroniques. La philosophie bergsonienne, avec son aménagement teilhardien ne représente pas un produit contingent de l'histoire des idées; son émergence a correspondu aux tentatives de la bourgeoisie française de « s'adapter » à un monde dans lequel, sur le plan historique et selon l'analyse marxiste, elle représente une force déjà condamnée, mais surtout de trouver et de forger s'il le faut une philosophie de rechange, face au marxisme. La philosophie de Teilhard de Chardin représente un essai de résolution des contradictions de la bourgeoisie elle-même : elle est tenue de cautionner les sciences, qui ont à l'origine permis et impulsé son propre développement; mais, en même temps, la logique de l'analyse scientifique de l'histoire et de l'économie l'amènerait à reconnaître qu'elle doit disparaître en tant que classe. D'où le refus d'aller jusqu'au bout dans l'application de la réflexion scientifique à l'histoire, et la nécessité sur le plan philosophique de réintroduire la religion. Sur le plan historique toutefois, elle ne peut ignorer le socialisme ; d'où l'adoption d'un certain vocabulaire « socialisant » qui peut faire illusion.

Qu'en est-il de M. Senghor ?

M. Senghor a pratiquement emprunté toute sa terminologie à Bergson et à Teilhard de Chardin. Quant à ses connaissances philosophiques, nous avons vu qu'elles sont très fragmentaires et généralement erronées. En tant qu'africain cependant, a-t-il fait l'effort de dégager une conception du monde qui pourrait valablement porter le nom de philosophie « senghorienne » et qui, dans l'avenir, pourrait figurer parmi les philosophies africaines, au sens par exemple où l'on parle de la « philosophie sartrienne » dans le contexte des philosophies européennes ?

Nous ne le pensons pas. M. Senghor, philosophiquement parlant, est un idéaliste, c'est tout. Mais il n'y a pas « d'idéalisme senghorien ».

Quant à la négritude, aussi paradoxal que cela puisse paraître, [PAGE 49] elle n'est pas un discours africain. Son absence de rigueur conceptuelle, les erreurs scientifiques grossières sur lesquelles elle repose, le racisme qu'elle secrète, en font actuellement tout au plus « la manière noire d'être blanc », comme le dit Stanislas Adotevi. Cet appendice de la philosophie spiritualiste de Bergson et Teilhard de Chardin à l'usage de l'Afrique constitue un exemple choisi de charlatanisme que le dictionnaire Larousse définit comme « l'exploitation de la crédulité publique ». Elle est l'expression d'une philosophie historiquement condamnée; ses simplifications, son schématisme que ne masque pas une certaine logomachie, traduisent « l'aristocratisme » de ses défenseurs à l'égard des peuples africains. Pendant que ceux-ci travaillent en effet, souffrent et luttent, qu'il est urgent pour eux de prendre conscience des causes réelles de leurs souffrances, les « philosophes bavardent », comme l'exprimait avec colère Paul Nizan en 1932. Ce mépris du peuple est bien caractéristique de cette bourgeoisie bureaucratique africaine, haussée par la puissance coloniale, et sans trop y croire d'abord, aux postes politiques les plus élevés, et qui entend s'y maintenir envers et contre tout. En ce sens, contrairement à ce qu'on a pu dire, la négritude n'est pas morte, elle reste la parade philosophique de la classe dominante, au Sénégal en particulier, face au marxisme. Elle puise aux courants les plus conservateurs de la philosophie française; sous son enveloppe idéaliste, elle apparaît bien, comme le disait Lénine, comme « une histoire de revenants dissimulée et travestie ».

Yenoukoumé ENAGNON


[1] J.F. Revel : La cabale des dévôts, éd. J.J. Pauvert, 1962.

[2] Souligné par moi; extrait de La Philosophie française contemporaine et sa genèse de 1789 à nos jours, éd. Sociales, 1962; Lucien Sève reprend cette citation d'un article de L.S. Senghor paru dans Le Monde du 21-9-1961.

[3] Souligné par moi, extrait de L.S. Senghor : A propos de l'Union Française, dans Liberté 2, Le Seuil, 1971.

[4] L.S. Senghor, Marxisme et Humanisme, dans Liberté 2, 1971.

[5] Interview de L.S. Senghor dans Gavroche du 8-8-1946. A cette époque, M. Senghor concevait la colonisation comme un « contact de civilisations ».

[6] L.S. Senghor, L'Afrique et l'Europe, deux mondes complémentaires, Marchés coloniaux 14-5-1955, op. cité.

[7] L.S. Senghor, La Francophonie comme culture, discours à l'Université Laval, 22-9-1966, dans Négritude, Arabisme et Francité, Beyrouth 1967.

[8] Une diplomatie en mouvement, Le Monde, 8-6-1965.

[9] Les marxistes distinguent :
1. La sphère de l'idéologie c'est-à-dire de la réalité intellectuelle qui est seconde par rapport à la réalité matérielle et qui comprend les religions, les systèmes philosophiques, la science, etc.
2. Les grands systèmes de pensée qui se sont succédé historiquement.
3. Un système de connaissance mystifié et mystifiant, où les idées sont considérées « comme des entités autonomes, se développant d'une façon indépendante et uniquement soumises à leurs propres lois (Engels)

[10] On pourrait nous objecter que nous ne faisons que prêter des intentions à un auteur, qu'il n'a jamais dit cela, etc. Rappelons seulement pour mémoire cette réflexion de Lénine à propos des philosophes : « On juge un homme, non sur ce qu'il dit ou pense de lui-même, mais sur ses actes. Les philosophes doivent être jugés, non sur les étiquettes qu'ils arborent... mais sur la manière dont ils résolvent les questions théoriques fondamentales, sur les gens avec qui ils marchent la main dans la main, sur ce qu'ils enseignent et ont appris à leurs élèves et disciples».

[11] W.I. Lénine, L'Etat et la Révolution, Oeuvres choisies, éd. de Moscou, T. 2, p. 333 : « Il arrive aujourd'hui à la doctrine de Marx ce qui est arrivé plus d'une fois dans l'histoire aux doctrines des penseurs révolutionnaires et des chefs des classes opprimées en lutte pour leur affranchissement. Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d'oppresseurs les récompensent par d'incessantes persécutions; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de « consoler » les classes opprimées et les mystifier... ».

[12] Lénine, Matérialisme et Empiriocriticisme, (Oeuvres complètes, éd. de Moscou, T. 14, p.357.

[13] Respectivement extrait de Socialisme et Culture, 81 congrès du BDS, mai 1956, dans Liberté 2, et Problèmes du développement dans les pays sous-développés, op. cité, Beyrouth 1967. Cf. aussi, Conférence des Jeunes du PFA, 1960 : « Dans notre société négro-berbère – nous l'avons vu et on ne saurait trop le répéter – il n'y a pas de classes en guerre, mais des groupes sociaux en lutte d'influence ».

[14] Lénine, L'Etat et la Révolution, p. 360. Citant une lettre de Marx à Weydemeyer du 5 mars 1852, il rappelle que « la doctrine de la lutte des classes a été créée non par Marx, mais par la bourgeoisie avant Marx; et elle est d'une façon générale acceptable pour la bourgeoisie... Limiter le marxisme à la doctrine de la lutte des classes, c'est le tronquer, le déformer, le réduire à ce qui est acceptable pour la bourgeoisie. Celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu'à la reconnaissance de la dictature du prolétariat ».

[15] L.S. Senghor, Problèmes de développement dans les pays sous-développés, p. 144.

[16] L.S. Senghor, op. cité, p. 149.
M. Senghor, qui n'est plus à une pirouette près avait dit en 1959 que « l'Etat c'est l'expression de la Nation, c'est surtout le moyen de réaliser la Nation » – Rapport sur la doctrine et le programme du Parti (PFA), Présence Africaine, 1961, p. 41.
A ce même congrès, il reprenait la définition du Littré : « l'Etat, c'est le gouvernement, l'administration suprême d'un pays ». Convenons que cela ne nous en apprend pas plus sur la nature de l'Etat.

[17] L.S. Senghor, Pourquoi une idéologie négro-africaine, Université d'Abidjan, déc. 1971, Présence Africaine, no 82, p. 14. Nous ne ferons que relever en passant la mise sur le même plan du sionisme et du marxisme; pourquoi pas le panislamisme, le panturkisme, etc. ?

[18] Op. cité, p. 15.

[19] Souligné par moi, on ne s'étonnera pas que pour L.S. Senghor l'adhésion au marxisme soit conçue comme une « conversion », terme généralement réservé à la religion : « des communistes, déclare-t-il à Abidjan en 1971, ont souligné le fait que toute idéologie, même le communisme, ne peut vivre que sous-tendue par un enthousiasme, une foi de nature religieuse », et argument péremptoire : « Teilhard de Chardin note que la foi marxiste n'est pas un athéisme absolu » (1962).

[20] Cette alliance peu harmonieuse d'épithètes peut paraître exagérée et relever du niveau de la polémique; pourtant nous reprenons l'expression à M. Senghor lui-même; stigmatisant les oppositions à la négritude exprimées au Festival d'Alger de 1969, il écrit : « Sans parler des réactions du monde jaune qui, pour être plus discrètes, n'en furent pas moins attentives » (Problématique de la Négritude, Dakar, 1971; c'est moi qui souligne).

[21] L.S. Senghor, P.T. de Chardin et la Politique Africaine, Le Seuil, 1962, p. 49.

[22] Pourquoi une idéologie négro-africaine, p. 20-21 (souligné par moi).

[23] Mao Tsé Toung, La Démocratie nouvelle, (Oeuvres choisies, T. 2, p. 366-395, éd. de Pékin, 1967.

[24] En voici une preuve, op. cité, p. 22. M. Senghor cite ce passage de Mao Tsé Toung; « la culture de la nouvelle démocratie (le texte dit en fait : de la démocratie nouvelle) est une culture nationale. Elle combat l'oppression impérialiste et défend la dignité nationale, l'indépendance du peuple chinois. Elle appartient à notre peuple et porte nos caractéristiques nationales... ». M. Senghor laisse de côté ce qui, à notre avis devrait importer le plus à sa démonstration : « Mais étant une culture nationale révolutionnaire, écrit Mao Tsé Toung, elle ne peut absolument pas s'allier avec la culture réactionnaire impérialiste d'aucune nation » (souligné par moi). Il nous semble que M. Senghor est aux antipodes de cette position, quand il se réfère par exemple aux « valeurs » de la colonisation : « La colonisation est un événement historique. Elle ne comporte pas que des erreurs et destructions. C'est une Révolution. Comme toute révolution, elle apporte des valeurs positives de remplacement, elle détruit pour reconstruire. Il nous appartient d'intégrer, d'assimiler les valeurs complémentaires aux nôtres pour en faire un sang nouveau » (souligné par moi), extrait de La voie africaine du socialisme, 1959.

[25] Op. cité p. 23. Pathé N'Diaye note : « Les thèses de Senghor visaient en 1936, à faire des cultures négro-africaines des éléments d'appoint à la civilisation française. Elles ramenaient le nègre à la vision française du monde et aux intérêts français. Elles aboutissaient à acclimater en Afrique une sphère d'influence française ». Vérités sur la « négritude », Partisans, n, 65, mai-juin 1972, p. 39.

[26] Qu'on se rappelle ce passage Il ne faut pas méconnaître et forcer son génie, même, surtout dans les domaines de l'âme et de l'esprit. Croyez-vous que nous puissions jamais battre les Européens dans la mathématique, les hommes singuliers exceptés, qui confirmeraient que nous ne sommes pas une race abstraite ? ... J'ai l'impression que les indigènes d'AOF, exceptis excipiendis, sont plus doués pour les Lettres que pour les Sciences ».

[27] L.S. Senghor, L'Afrique et l'Europe, deux mondes complémentaires, op. cité.

[28] La décolonisation, condition de la communauté franco-africaine, Le Monde, 4-9-1957.

[29] Jeune Afrique, n, 885, 23 déc. 1977, p. 37.

[30] Mao Tsé Toung, s'élevant contre le dogmatisme, insistait de nouveau en 1937 sur le fait que « le marxisme n'est pas un dogme, mais un guide pour l'action » – De la pratique, Oeuvres choisies, T. 1, p. 329. Il ne s'agit pas bien évidemment de privilégier pour autant l'aspect empirique au détriment de la théorie, ce que dénonçait aussi Mao Tsé Toung. Il semble que ce soit justement sur cette préférence exclusive donnée tantôt à la théorie, tantôt à la pratique qu'achoppent les détracteurs contemporains, et africains en particulier du marxisme.

[31] Marcien Towa, analysant la négritude, constate : « Nous avons affaire à une théorie rigoureusement raciste; le fascisme en tant que théorie consiste en effet à considérer le culturel comme une conséquence du patrimoine biologiquement héréditaire d'une race, d'une population donnée ». Négritude ou Servitude, éd. CLE, 1971, p. 104.

[32] M. Senghor lui-même entretient cette idée : « Notre philosophie est fondée sur la négritude qui repose sur une vision unitaire du monde », interview à Révolution Africaine, 27-2-1966.

[33] Déclaration faite en 1950 à Strasbourg, rapportée par le D. Aujoulat dans son ouvrage Aujourd'hui l'Afrique, p. 304, cité par Amady Aly Dieng, L'Etudiant d'Afrique Noire, no 30, juin-juillet 1960.
Alioune Sène dans Négritude et Politique, cite cette phrase de M. Senghor : « La négritude comme civilisation objective est une idée, je veux dire une philosophie ». Colloque sur la négritude, Le Soleil, Dakar, 8 mai 1971.

[34] Nous ne faisons aucun procès d'intention à M. Senghor. Nous nous bornons à constater que les accords franco-maliens à la même période étaient fondés sur l'inégalité entre les partenaires, l'absence de souveraineté (sinon nominale) et partant la dépendance.

[35] Souligné par moi. L.S. Senghor. Nation et Voie africaine du socialisme, op. cité, p. 59.

[36] P.T. de Chardin et la Politique africaine, op. cité, p. 22.

[37] Souligné par moi. L.S. Senghor, Nation et Voie africaine du socialisme, op. cité, p. 63.

[38] Cette citation est en fait de F. Engels, que M. Senghor a la plupart du temps « négligé ».

[39] Lucien Sève, analysant cette définition, ajoute : « tout progrès réel de la science, donc de l'explication naturelle du monde, est par conséquent une victoire du matérialisme, une défaite du spiritualisme », op. cité, p. 273.
Cf. aussi Lénine : « L'essence de l'idéalisme est que le psychique est pris comme point de départ; on en déduit la nature, et ensuite seulement, on déduit de la nature la conscience humaine ordinaire. Ce« psychique » primitif apparaît donc toujours comme une abstraction morte dissimulant une théologie déliquescente. Chacun sait, par exemple, ce que c'est que l'idée humaine, mais l'idée sans l'homme ou antérieure à l'homme, l'idée dans l'abstrait, l'idée absolue est une invention théologique de l'idéaliste Hegel ». Matérialisme et Empiriocriticisme, op. cité, p. 235.

[40] K. Marx, Préface à La Contribution à la critique de l'économie politique, dans Marx-Engels, Etudes Philosophiques, éditions sociales, p. 72.

[41] L.S. Senghor, op. cité, p. 64.

[42] Lettre d'Engels à Joseph Bloch, 21 septembre 1890, dans Etudes Philosophiques, op. cité, p. 128.

[43] L.S. Senghor, P.T. de Chardin et la politique africaine, p. 50.

[44] K. Marx, Critique de la Philosophie du Droit de Hegel.

[45] L.S. Senghor, op. cité, P. 55.

[46] L.S. Senghor, op. cité, P. 59.

[47] Marcien Towa, Négritude ou Servitude, op. cité, p. 70. On a déjà montré l'influence que Tempels a eu sur Senghor, ce « dévot catholique », dit M. Towa; la démarche de pensée fidéiste qui leur est commune, reprise par le jésuite S. Kachama-Nkoy, confirme l'analyse de Towa : « Si Senghor et Mamadou Dia ont été tellement frappés par Teilhard, c'est fondamentalement, croyons-nous, parce que Teilhard exprime en un langage du XXe siècle certaines valeurs essentielles que l'Afrique Noire cultive depuis des millénaires : solidarité, sens communautaire, amour de la Terre et de la Vie, foi en Dieu et respect de l'homme-, vision unitaire du Réel total » (souligné par moi), De K. Marx à T. de Chardin dans la pensée de L.S. Senghor, Journées Africaines de Louvain, Léopoldville, 1963.

[48] Teilhard de Chardin écrivait en 1918 : « Science (c'est-à-dire toutes formes d'activité humaine) et Religion n'ont jamais fait à mes yeux qu'une seule et même chose », cité par C. Cuénot : Teilhard de Chardin, éd. du Seuil, 1963.

[49] L.S. Senghor, Qu'est-ce que la négritude ? dans Négritude, Arabisme et Francité, op. cité, p. 16.

[50] H. Bergson, La pensée et le mouvant, 1934.

[51] La négritude est un humanisme du XX, siècle, op. cité, p. 28.

[52] Lénine, dans Matérialisme et Empiriocriticisme, constatait que « la nouvelle physique a dévié vers l'idéalisme principalement parce que les physiciens ignoraient la dialectique » il poursuivait : « seule la dialectique matérialiste de Marx et d'Engels résout, en une théorie juste, la question du relativisme, et celui qui ignore la dialectique est voué à passer du relativisme à l'idéalisme philosophique »

[53] L. Sève « Cette crise des sciences n'est nullement une crise de la science au contraire c'est une preuve éclatante de sa vitalité, puisqu'elle fait la preuve de son aptitude à résoudre des problèmes qualitativement nouveaux... C'est précisément ce point que des savants positivistes n'ont pas su et que des philosophes spiritualistes n'ont pas voulu voir ».

[54] L. Sève, op. cité, p. 231.

[55] Georges Politzer, La philosophie et les mythes, dans Ecrits 1, éditions sociales, p. 147 et 149.

[56] G. Politzer, op. cité, P. 153.

[57] L. Sève, op. cité, p. 232 (résume Politzer).

[58] E. Kahane, La vie n'existe pas! éd. de l'Union rationaliste, 1962, p. 47.

[59] Cité par J. Chevalier dans Entretiens avec Bergson, Plon, 1959

[60] G. d'Arboussier, Journées de Louvain, op. cité, p. 82.

[61] L.S. Senghor, Liberté 1.; 1964, p. 45.

[62] L.S. Senghor, La négritude est un humanisme du XXe siècle, op. cité, p. 80,

[63] J.F. Revel, op. cité, p. 87.

[64] M. Barthélémy-Madaule, Bergson et Teilhard de Chardin, éd. du Seuil, 1963.

[65] L.S. Senghor, T. de Chardin et la politique africaine, op. cité, p. 39.

[66] Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, p. 62.

[67] L.S. Senghor, Qu'est-ce que la négritude ? op. cité, p. 17. L.S. Senghor, La négritude est un humanisme du XXe, siècle, p. 29.

[68] Souligné par moi. S. Niang, Négritude et Mathématique, Dakar, 1971.

[69] T. de Chardin, Sauvons l'humanité (1937), éd. du Seuil, 1962.

[70] T. de Chardin, op. cité, p. 89.

[71] T. de Chardin, op. cité, p. 87.

[72] Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion.

[73] Cité par R. Garaudy, Perspectives de l'Homme, PUF, 1961, p. 198.

[74] A. Guibert, L.S. Senghor, éd. Seghers.

[75] S. Adotevi, Négritude et Mélanisme, discours au Festival d'Alger, juillet 1969.