© Peuples Noirs Peuples Africains no. 3 (1978), 1-10.



FAUX ET USAGE DE FAUX

à la section française d'Amnesty International

L'éditorial de ce numéro devait traiter de l'intervention des parachutistes français à Kolwezi, initiative que nous considérons à « Peuples noirs-Peuples africains » comme un acte de gangstérisme international. Ce sujet attendra notre prochaine livraison.

Au moment d'envoyer les derniers articles à la fabrication, s'est produit un événement dont la portée réelle dépasse l'apparence anecdotique et personnelle : Mongo Beti a appris que le recours qu'il avait formé contre son exclusion de la Section Française d'Amnesty International venait d'être rejeté, le verdict prononcé à son encontre au mois de novembre 1977 par le Comité Exécutif étant de ce fait confirmé par la commission des « sages » tirée au sort par l'assemblée générale du congrès de Mulhouse (26-27 mai 1978). Comme on le devine déjà, les deux sujets n'en forment, au fond, qu'un seul : les Africains jouiront-ils, un jour, des mêmes droits que les autres peuples ?

De quoi s'agit-il donc, plus précisément ?

A plusieurs reprises, et plus particulièrement dans une livraison datée de mars 1977 de « S.O.S. Cameroun » (bulletin tiré à quelques centaines d'exemplaires du Comité pour Défendre et Assister les Prisonniers Politiques au Cameroun, plus connu sous le sigle C.D.A.P.P.C.) et dans une note de la préface à la réédition de « Main basse sur le Cameroun », Mongo Beti s'était interrogé avec amertume sur la fonction exacte d'Amnesty International dont, en tant que membre [PAGE 2] actif de la Section Française, il avait pu mesurer l'inertie face aux dictatures d'Afrique noire protégées par la France : défense des prisonniers d'opinion à travers le monde, s'était-il souvent demandé, ou plutôt alibi d'une guerre froide new-look ? Respect des droits de l'homme ou, mieux, contestation vengeresse des impérialismes déchus contre le duopole des Super-Grands ? Un coup à l'Est (contre l'Union Soviétique et ses satellites), un coup à l'Ouest (contre l'Amérique latine, chasse gardée des Etats-Unis), telle lui semblait être la stratégie constante au moins de la Section Française d'Amnesty International. Le champ des violations des droits de l'homme se limitait-il donc à ce balancement un peu trop symétrique ? Pourquoi n'était-il jamais question du Tchad, du Zaïre, du Cameroun, du Gabon, du Togo, de « l'Empire Centrafricain ». etc., tous pays où la France protège des dictatures dont chaque observateur sérieux sait qu'elles sont parmi les plus sanguinaires, les plus féroces du monde[1]?

Les doutes du romancier s'étaient cristallisés à l'occasion des arrestations massives de travailleurs, d'étudiants, d'intellectuels, de cadres, de lycéens des deux sexes, opérées par le dictateur francophile camerounais Ahmadou Ahidjo au cours de l'été 1976 et envers lesquelles la Section Française d'A.I., dûment informée et la mieux placée pour prendre les initiatives humanitaires les plus crédibles, manifesta pourtant un désintérêt scandaleux, qui ne s'est nuancé, et encore si [PAGE 3] peu ! que lorsque certains militants, notamment dans le groupe 15 (Rouen) auquel appartenait Mongo Beti, ont paru sur le point d'entrer ouvertement en rébellion.

Qui veut juger exactement l'attentisme étrange de la Section Française d'A.I. sur l'Afrique dite francophone, doit considérer l'activité « africaine » d'autres sections nationales ouest-européennes dont les gouvernements, il est vrai, ne sont impliqués dans aucune intervention africaine ni dans le soutien direct d'aucune dictature noire – et notamment le courage des sections nationales des pays de l'Europe du nord, en particulier de la Section Allemande, parfaitement fidèle à la tradition d'A.I. lorsque, dans « Le Monde » du 9 juin, elle fait ce que son homologue française n'a jamais osé, bien que les visites et passages à Paris de dictateurs africains ou de leurs serviteurs en vue relèvent de la vie quotidienne : à l'occasion de la visite à Bonn, du Premier Ministre du dictateur camerounais, la Section Allemande a organisé une campagne de presse pour obtenir des nouvelles de trois prisonniers politiques camerounais, victimes bien connues de la fameuse vague d'arrestations de l'été 1976, dont, apparemment, seule la Section Française, obstinément muette à ce jour, n'a jamais entendu parler.

Il est vrai que les accusations formulées à plusieurs reprises par Mongo Beti contre les dirigeants de la Section Française d'Amnesty International étaient d'une extrême gravité, puisqu'il n'a pas hésité à déclarer qu'ils étaient, au moins pour certains d'entre eux, asservis aux intérêts colonialistes français en Afrique. Mais il a toujours assumé ses responsabilités, en assurant qu'il ne demandait pas mieux que d'apporter les preuves de ses accusations devant des juges neutres. Il a maintes fois cité le cas, jamais démenti d'ailleurs, d'un dirigeant de la Section Française d'A.I., employé longtemps (démissionnaire depuis un an, affirme l'intéressé) comme journaliste contractuel, autant dire journaliste d'Etat, dans un magazine de propagande du ministère dit de la coopération, la plus grande entreprise de violence d'Afrique noire, après le pouvoir raciste d'Afrique du Sud. C'est un peu comme si un diplomate américain appartenant à la Section Chili du Département d'Etat, était dirigeant de la Section Américaine d'Amnesty International et prétendait lutter en faveur des miristes livrés depuis cinq ans aux tortionnaires de la C.I.A. à Santiago. Qui le prendrait au sérieux ? Que dirait la bonne presse française de « gauche » si un tel lièvre était levé [PAGE 4] à Washington ? Imaginez un peu les ricanements entendus. Ne parlerait-on pas d'une sorte de petit Watergate ?

En tout cas, les dirigeants de la Section Française d'Amnesty International ont dû jurer secrètement la perte du militant de base Mongo Beti coupable d'avoir eu des états d'âme, privilège dont seuls sont dignes les dissidents de l'Est ou les hommes de gauche d'Argentine et du Chili. Ils ont décidé de l'exclure à tout prix de l'organisation. Ils n'ont pas lésiné, dès lors, sur la tricherie de procédure : ainsi, n'est-ce pas le Comité Exécutif, composé de ceux-là mêmes dont il mettait l'intégrité en doute qui, en novembre 1977, s'est érigé en tribunal pour le condamner, oubliant seulement, bien qu'il fût présidé par un avocat chevronné (ô souplesse inépuisable des hommes de loi sous tous les régimes !), qu'on ne saurait être à la fois juge et partie.

Plus grave et même criminel, ils n'ont hésité devant aucune forfaiture, puisqu'ils ont purement et simplement fabriqué un faux qu'ils ont ensuite sciemment utilisé à plusieurs reprises pour arracher à des instances sans doute réticentes l'exclusion de Mongo Beti[2]. C'est cet incroyable document que nous reproduisons ici.

Précisons que Mongo Beti ignorait jusqu'au congrès de Mulhouse l'existence de ce document, et pour cause. Jamais le dossier de son propre procès n'avait été communiqué à l'accusé. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Les dirigeants ne se sont résignés à en donner connaissance qu'au cours d'une assemblée générale du Congrès de Mulhouse, le 26 mai 1978, [PAGE 5] Lorsque la salle, rejetant une proposition tortueuse du Bureau, décida de connaître au moins succinctement de l'affaire et réclama d'être informée des tenants et aboutissants du recours formé par Mongo Beti auprès de l'assemblée générale.

Voici le fameux document reproduit in-extenso (dans le dossier soumis aux congressistes, c'est la pièce no 5) :

EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE L'ASSEMBLEE REGIONALE DE NORMANDIE[3]

... Il résulte de cet échange de vues... qu'un certain nombre de faits étaient méconnus respectivement du groupe 15 et du C.E. de la S.F. Ainsi :

– La lettre d'O. P., du 4 juin 1977, à un groupe suédois avec adresse à entête du groupe 15, et mettant en cause le passé colonialiste de la France et de la Grande-Bretagne en Afrique, pour expliquer une main-mise du Quai d'Orsay sur le CE d'AISF. Cette lettre était inconnue du groupe 15 et encore plus le fait qu'elle était écrite en leur nom.

– La réponse de Mongo Beti, écrivain camerounais et membre du groupe 15, à Marie-José Protais, en date du 15 septembre 1977 et les termes insultants qu'elle contient à son égard[4] ont aussi été une découverte pour le groupe 15, sans parler du fait que Mongo Beti ait signé en tant que Président du C.D.A.P.P.C. et non en tant que membre d'A.I. (alors qu'il s'adressait à la Présidente de l'association à laquelle il [PAGE 6] appartient, sur un sujet ne concernant que cette association)[5].

– Le groupe 15 a d'autre part appris avec étonnement l'existence de 3 courriers envoyés par le chercheur Afrique de Londres (Austin) à Mongo Beti en octobre et décembre 1976 lui demandant des informations sur des prisonniers camerounais et sur lui-même et auxquelles Mongo Beti n'a jamais répondu alors qu'il s'est contradictoirement toujours plaint de l'insuffisance des informations produites par A.I. sur son pays[6].

– Enfin, le groupe 15 ne connaissait pas l'existence du virulent article de Mongo Beti sur le Cameroun, paru (en 1977 ? ) dans la revue « Croissance des Jeunes Nations », et dont la présentation ambiguë a pu faire croire à l'Evêque de Yaoundé[7] qu'il s'agissait d'informations extraites d'un rapport [PAGE 7] d'A.I., rapport dont il a violemment contesté le, bien-fondé. Cet évêque ayant semblé jusqu'alors peu critique vis-à-vis d'A.I., cet article met ainsi en péril notre crédibilité, à un niveau qui peut avoir de graves conséquences sur notre action en Afrique (Le groupe demande d'ailleurs à recevoir copie de cet article).

Réciproquement, le C.E. pouvait penser que

– O. P. parlait au nom de tout le groupe 15.

– Le groupe 15 connaissait la teneur des articles et des réponses de Mongo Beti[8].

– Le groupe 15 était, en conséquence, partie prenante dans les accusations d'O. P. et Mongo Beti.

– Mongo Beti était membre actif d'A.I., ce qui s'est révélé très relatif aux dires des membres présents du groupe 15.

Or, la lettre du 27 septembre du groupe 15 à Marie-José Protais et la demande d'entrevue qu'elle contenait n'avait d'autre but que de susciter des explications par qui-de-droit, à la place d'une réponse écrite par 0. P. et que celle-ci demandait au groupe d'envoyer au nom de tous. Cette réponse avait été jugée fort déplacée par le groupe, d'où sa décision d'envoyer un autre texte. Enfin, le groupe 15 a, en la personne des deux membres cités plus haut[9] nettement précisé qu'il se démarquait des déclarations d'O. P. et de Mongo Beti au vu des éléments nouveaux que nous leur avons apporté[10].

Il semble donc :

– que cette controverse n'engage plus que deux personnes seulement, Odette Privat et Mongo Beti; [PAGE 8]

– qu'O. P. n'ait pour l'instant lancé ses accusations que sur un plan interne;

– que Mongo Beti, par contre, leur ait donné un retentissement public fort regrettable.

RECOMMANDATIONS

– L'attitude du groupe 15 semble ne résulter que d'un manque d'information et d'une certaine maladresse : le Conseil National devrait en prendre acte, quitte à lui demander (éventuellement) une confirmation écrite de sa position actuelle.

– Etant donné d'une part le désir du groupe 15 de rappeler ses membres au sens de la discipline et de la procédure à suivre en cas de problème grave au sein d'A.I.; et étant donné d'autre part la personnalité tourmentée[11] d'O. P., qui peut expliquer son inflation verbale (alors que son action, en tant que membre d'A.I. est efficace à bien des égards), je[12] pencherais pour que le C.N., solidaire de Marie-José Protais, manifeste par une lettre commune à 0. P. sa réprobation devant un tel manque de rigueur de sa part, informe les personnes par elle contactées (groupe suédois, membres du groupe Saint-Raphaël), mais ne prenne pas de sanction à son égard.

– Par contre, je souhaiterais que l'actuel C.N.[13], toujours en pleine solidarité avec Marie-José Protais, interpelle sans tarder M. Mongo Beti (devant le C.E. de novembre, par exemple), en exigeant de lui : [PAGE 9]

– qu'il justifie les accusations portées contre A.I., et particulièrement contre le C.E. d'AISF et Marie-José Protais,

– qu'il se justifie d'avoir porté le débat sur la place publique sans avoir fait usage auparavant de procédures internes[14] à A.I., alors qu'il est membre de notre mouvement et que l'exclusion de Mongo Beti soit envisagée clairement en cas de refus[15].

Quelle leçon tirer, au moins provisoirement ?

Certes, le problème des droits de l'homme en Afrique noire sous influence française n'a donc pas pu être posée au sein de la Section Française d'Amnesty International, il n'y sera pas posé dans un avenir prévisible, l'opposition qui avait commencé à s'organiser en s'appuyant surtout sur ce thème ayant été étouffée dans l'œuf par une excommunication à peine digne du Moyen Age; du moins, l'opinion aura bientôt achevé de découvrir le vrai visage des dirigeants d'A.I.S.F., grâce, entre autres, à « Peuples noirs-Peuples africains », qui publiera, comme il a déjà été annoncé, tout le dossier de l'affaire dans une prochaine livraison.

Quoi qu'il en soit, il est désormais vérifié que, en France, l'attitude des organisations et des individus à l'égard de l'Afrique et des Africains est bien la vraie et même la seule pierre de touche de leur sincérité démocratique, tout le reste n'étant que littérature et bla-bla-bla.

P.N.-P.A.

[PAGE 10]

Voici le communiqué que la Section Française d'Amnesty International, qui en avait pourtant le devoir en priorité, n'a jamais osé adresser à la presse quand un dictateur tortionnaire d'Afrique « francophone » vient parader à Paris.


« Le Monde » vendredi 9 juin 1978

PNPA


[1] Quant aux innombrables violences policières dont les ouvriers et les étudiants immigrés de couleur sont perpétuellement victimes sur l'hexagone même - arrestations arbitraires, agressions mortelles, passages à tabac dans les commissariats, emprisonnements sans jugement, expulsions de militants syndicalistes à la demande des roitelets nègres, refus de carte de séjour, contrôles sélectifs dans le métro - silence total, là aussi, de la Section Française d'Amnesty International. Dans d'autres pays européens, il y aurait eu, de la part de l'organisation, des conférences de presse, des campagnes d'opinion, des meetings de solidarité. En présence d'interlocuteurs étonnés de cette passivité, la commission des « sages » crut, samedi 10 juin, leur clouer le bec en révélant que A.I.S.F. avait entamé sur la prison d'Arenc des recherches dont le résultat serait bientôt connu. Une enquête au sujet d'Arenc ? Pourquoi ne pas inventer un théorème pour démontrer que deux et deux font bien quatre ? Tout militant d'une organisation populaire en France sait bien que la prison d'Arenc, à Marseille, réservée aux immigrés de couleur, qui sont parqués là avant d'être expulsés vers leurs pays d'origine, appartient depuis longtemps au domaine des évidences quotidiennes. C'est vraiment se moquer du monde. La fiction d'une recherche en cours n'a, en fait, d'autre objet que de faire gagner du temps au Pouvoir, l'unique préoccupation des dirigeants d'A.I.S.F. en la matière étant d'éviter le plus longtemps possible au gouvernement français de faire figure d'accusé devant l'opinion internationale.

[2] Bien évidemment, les Français ne répudient pas leur famille politique en entrant dans Amnesty International. Malgré l'apolitisme (ou, depuis peu, l'impartialité) proclamé, les clivages classiques, intacts sous les apparences, se devinent sans mal. Dans sa majorité, la base semble imprégnée d'une sensibilité de « gauche ». Les conservateurs se rattacheraient plutôt à la droite pompidolo-giscardienne, d'un colonialisme présomptueux, très certainement favorable, in petto, à la politique de chasse gardée et de safaris militaires de Giscard sur le continent noir. Dès la naissance d'A.I.S.F., cette droite s'est emparée de la direction à laquelle elle se cramponne agressivement, trop consciente d'être devenue un point d'appui de la diplomatie giscardienne. Saisie de panique au moindre signe d'émergence d'une réelle opposition, elle recourt, pour y couper court, à une sorte de terreur doucereuse, avançant, par exemple, cette théorie ahurissante, tellement typique des totalitarismes, que l'on ne peut s'en prendre à un dirigeant sans entamer la crédibilité de l'institution. Le dirigeant est donc tabou, quoi qu'il fasse, et même s'il sert effrontément le capitalisme colonial, comme naguère Marie-José Protais, journaliste chargée de défendre la politique du ministère de la Coopération, dans un magazine luxueux, mais sans lecteurs, intitulé « Actuel-Développement » (même adresse que A.I.S.F., tue de Varenne).

[3] Ce document, qui n'est pas daté, ne porte pas non plus de signature. Merveilleuse coïncidence, il s'est trouvé que, au moment même où Mongo Beti était entendu par la commission dite des « sages », les deux délégués de la Région de Normandie participaient, rue de Varenne aussi, à une réunion du Bureau National. Mongo Beti insistant avec énergie, mais avec un succès significativement mitigé, pour que la commission prenne en considération le fait que ce document était un faux, quelqu'un suggéra de solliciter le témoignage des deux délégués de Normandie. Ils déclarèrent que le conflit opposant Mongo Beti aux dirigeants d'A.I.S.F. n'avait jamais été évoqué à l'Assemblée Régionale de Normandie. Sous-entendu : le document qui se présentait comme l'extrait du compte rendu de l'Assemblée Régionale de Normandie ne pouvait être un reflet du procès- verbal authentique de cette Assemblée. Le contenu du document leur parut un échafaudage obtenu à partir de vagues ragots de couloir.

[4] Après la forfaiture, voici tout naturellement le mensonge délibéré. La lettre de Mongo Beti à M.-J. Protais sera publiée dans une prochaine livraison de cette revue, en même temps que tout le dossier de l'affaire. Le lecteur Y cherchera vainement l'insulte alléguée ici.

[5] Et voici l'acharnement sordide et mesquin. Si vous écrivez au président du comité Théodule, n'allez surtout pas signer avec vos titres du comité Hypolite, surtout si vous étiez déjà vous-même membre du comité Théodule. Et l'on prétend que le ridicule tue !

[6] Cette histoire de trois courriers de Londres restés sans réponse relève de l'affabulation puérile et montre que, contre Mongo Beti, rien n'a paru trop méprisable aux dirigeants d'A.I.S.F. Aucune photocopie des fameuses lettres n'a été produite. C'eût été bien difficile, Mongo Beti étant le président du C.D.A.P.P.C. (Comité pour Défendre et Assister les Prisonniers Politiques au Cameroun) qui a toujours travaillé en bonne entente avec le chercheur Afrique Austin Chegwé, et auquel s'adressent régulièrement les dirigeants des sections A.I. de nombreux pays européens.

[7] Mongo Beti n'a jamais écrit d'article dans « Croissance des Jeunes Nations », qui n'est d'ailleurs pas une publication progressiste mais une revue chauvine, ignorant obstinément les responsabilités de la France dans la misère des Africains. La frivolité de l'accusation est visible dans l'incapacité de l'accusateur à dater le numéro concerné du magazine. Il y a cependant plus grave. La Section Française d'Amnesty International aurait pu s'inquiéter de sa crédibilité en Afrique auprès des travailleurs, de la jeunesse scolaire et universitaire, des militants des syndicats clandestins et autres organisations populaires, toutes sphères dans lesquelles, elle est tenue, apparemment à juste raison, dans un profond mépris, qui ne peut désormais que croître. Elle préfère rechercher l'alliance de personnages douteux, pourvu qu'ils soient mitrés. Quelle imprudence dans cet ultra-cléricalisme ! Quel manque de chance aussi : le personnage évoqué ici, Jean Zoa, archevêque de Yaoundé, est l'exemple même du dirigeant africain avec lequel on ne se commet point sans se perdre en même temps aux yeux des populations que la Section Française a bien tort de mépriser. Déjà notoirement corrompu, ce Jean Zoa a, de plus, très mauvaise presse dans l'opinion camerounaise pour avoir été la cheville ouvrière de la machination policière qui, en 1971, ainsi qu'il est longuement raconté dans « Main basse sur le Cameroun », conduit Mgr Albert Ndongmo, un autre évêque catholique, donc le confrère de Jean Zoa, dans un camp de concentration du nord, tout simplement parce que Albert Ndongmo avait eu l'audace de s'opposer ouvertement à la dictature francophile d'Ahmadou Ahidjo, à laquelle, pour sa part, Jean Zoa apporte un soutien très intéressé. Tel est l'individu dont A.I.S.F. fait dépendre sa crédibilité au Cameroun. Grand bien lui fasse.

[8] Et si vous oubliez d'aller à confesse, devez-vous en informer votre groupe ? Vaste problème ! L'auteur de ce document prend manifestement les militants pour des demeurés. Quel respect de l'être humain!

[9] Le document se présentait d'abord comme le compte rendu d'une assemblée régionale; bientôt, il n'a plus été question que du groupe 15, sans nous expliquer comment deux structures si différentes peuvent se trouver confondues ainsi. Maintenant, il ne s'agit plus que de deux membres du groupe 15; au nom de qui parlent-ils et passent-ils des conventions avec l'auteur inconnu de ce texte ? Mystère. Dans un moment, tout cela va se réduire à « je » – rétrécissement bien caractéristique des organisations qui n'acceptent pas réellement la démocratie, c'est-à-dire l'opposition et où les dirigeants ne se gênent pas pour manipuler les militants.

[10] Nous avons respecté l'orthographe primitive (ô combien!)

[11] Et voici l'allusion pestilentielle ! Décidément, aucune ignominie n'est dédaignée par les dirigeants d'A.I.S.F. pourvu qu'elle serve à la destruction des opposants, comme dans la plus vile dictature. Qui l'eût cru ?

[12] Tiens, voilà Fantômas, mais le mystère de ce personnage n'a pas résisté à une brève enquête. Il s'agit d'une certaine Josette Bost, résidant à Besançon et, à l'époque, membre du Comité Exécutif, donc appartenant à la sphère suprême des dirigeants. Dépêchée par le C.E. comme observateur à l'Assemblée Régionale de Normandie, elle en est revenue porteuse d'un résumé de débats qui ne s'y déroulèrent point, suivant les techniques les plus éprouvées du stalinisme. Les dirigeants d'A.I.S.F. ne pouvaient, collectivement, ignorer la nature frauduleuse du document. Cela ne les a pas empêchés de l'utiliser à plusieurs reprises.

[13] Pourquoi l'actuel ? Parce que le nouveau, qui allait être élu juste le lendemain de la comparution de Mongo Beti, n'était pas sûr.

[14] C'est faux, et d'ailleurs en contradiction avec ceci, qu'on a pu lire plus haut : « ... il (Mongo Beli) s'est contradictoirement toujours plaint de l'insuffisance des informations produites par A.J.. sur son pays ». C'est clair : Mongo Beti s'est toujours plaint... Peu importe au niveau de quelle instance, le fait est là. Le fait est aussi qu'on était dûment informé en haut lieu.

[15] Ainsi donc, au moment où l'accusé allait se présenter devant ses juges (qui étaient aussi ses adversaires), leur religion était déjà faite, et le verdict arrêté. La commission des « sages », elle aussi, a donné cette impression de faux juges et de vrais adversaires, qui n'écoutent l'accusé que pour sauver les formes. Qu'il s'agisse des dissidents soviétiques ou des militants sud-américains, c'est pourtant en luttant contre cette justice du Goulag dans laquelle vient de sombrer la Section Française que l'organisation internationale a mérité le Prix Nobel de la Paix. Les instances internationales vont-elles laisser les dirigeants d'A.I.S.F., par leur sectarisme et leur irresponsabilité, dépouiller l'institution de l'autorité morale qui lui permettait d'admonester un Brejnev sans provoquer le ricanement ?