© Peuples Noirs Peuples Africains no 2 (1978), 167-172.



RÉPRESSION CONTRE LE MOUVEMENT ÉTUDIANT CAMEROUNAIS :
L'interdiction de l'Union Nationale des Etudiants du Kamerun (UNEK) en France

J.-B. NDI

Depuis le mois d'août dernier, le Camp patriotique camerounais a été frappé d'une décision inique du gouvernement giscardien, à la demande de son « protégé » du Cameroun, monsieur Ahidjo, d'interdire l'UNEK sur le sol français.

Syndicat d'étudiants, l'UNEK se cantonnait depuis trente ans à défendre les intérêts matériels de ses membres et à mener une action d'information sur tous les problèmes concernant le Cameroun et l'Afrique. C'est en son sein que des générations d'étudiants camerounais apprirent les notions de patriotisme et de dévouement au service du Peuple.

Mise sur pied dès la Libération de la France à laquelle les peuples africains avaient contribué en versant leur sang, l'Union Nationale des Etudiants du Kamerun – (UNEK) – est très tôt devenue un cadre de mobilisation et de sensibilisation des étudiants aux idées patriotiques et d'indépendance du Cameroun et de l'Afrique. Jamais l'histoire d'un mouvement étudiant n'a été aussi intimement liée à celle d'un peuple et à sa lutte pour l'indépendance, la réunification et le progrès social au profit des masses laborieuses.

Des luttes pour l'indépendance à la lutte contre le néocolonialisme, l'UNEK sera toujours présente à tous les rendez-vous importants de l'histoire de libération de notre pays. Consciente de l'importance de l'unité d'action des couches exploitées face à l'ennemi, l'UNEK adhérera au Front des [PAGE 168] forces populaires et matérialisera sa fidélité à la lutte du peuple camerounais dans une charte qui guidera désormais l'action de milliers d'étudiants militants ou non de l'UNEK. Des prises de position claires sur tous les problèmes concernant le Cameroun et l'incarnation des aspirations légitimes des étudiants et de la jeunesse de notre pays caractérisent la longue vie de l'Union.

Organisation de masse, la stratégie d'action de l'UNEK sera axée sur la mobilisation des étudiants sur la base de leurs revendications. Aussi, les problèmes de bourses, de logements, de passeports, de rapatriement des corps, etc., problèmes que rencontrent les étudiants au cours de leurs études, bien que trouvant parfois des solutions auprès de l'UNEK, étaient souvent replacés dans leur contexte: à savoir que leurs solutions durables ne peuvent se trouver que lorsque les revendications légitimes de notre peuple seront satisfaites dans le cadre d'un Cameroun réellement indépendant, c'est-à-dire débarrassé du régime néo-colonial qui organise le pillage des richesses nationales et contraint les masses travailleuses à la misère.

Ainsi, les positions de l'UNEK ne souffraient aucune ambiguïté. Elle se plaçait résolument aux côtés des opprimés et proclamait clairement qu'elle ne saurait se placer « en arbitre entre le peuple camerounais et ses ennemis » et que, bien que syndicat des étudiant ouvert au dialogue, elle « se réserve le droit de prendre position sur tout problème concernant le Cameroun et l'Afrique ». Cette position montre la maturité d'un syndicat d'étudiants instruit par plus d'un quart de siècle d'expériences, de luttes et d'épreuves. Elle décourage toute tentative de récupération dans le cadre de son action revendicative.

Consciente des énormes difficultés que rencontrent les étudiants tant à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur, l'UNEK a toujours cherché – et récemment encore – à nouer le dialogue avec les autorités du Cameroun pour tenter de trouver des solutions aux problèmes pressants des étudiants : foyer des étudiants à Paris, revalorisation et multiplication des bourses d'études sur les seuls critères socio-universitaires, encouragement de la recherche, réforme et démocratisation de l'enseignement au profit des couches défavorisées, à Yaoundé, construction des logements pour les étudiants et autres équipements sociaux, respect des franchises universitaires, etc. Toutes ces questions avaient fait l'objet d'études [PAGE 169] sérieuses de l'UNEK, qui ne se contentait pas de critiquer, mais proposait des solutions dans des mémorandums qu'elle adressait au gouvernement camerounais.

Toutes ces revendications reflétaient les aspirations de la masse des étudiants et formaient la plate-forme revendicative de l'UNEK. Aussi, les autorités de Yaoundé, bien qu'hostiles à l'UNEK, accepteront cette situation en admettant l'UNEK à la Commission des Bourses pour défendre les intérêts des étudiants. Peut-être y avait-il une arrière pensée de récupération. Mais, contrairement à l'attente du régime, l'UNEK ne renonçait pas à sa ligne; bien au contraire, l'efficacité avec laquelle elle s'est acquittée de son mandat dans cette Commission et les résultats obtenus, valurent à l'Union l'estime des Organisations de Parents d'Elèves et la confiance des étudiants. Et c'est la rupture du dialogue, de l'impossible dialogue entre les parties qui défendent des intérêts contradictoires.

C'est évidemment le gouvernement qui prend l'initiative de la rupture l'été 1970. Le Délégué de l'UNEK à la Commission des Bourses est arrêté et emprisonné, il le restera plus d'un an sans inculpation, sans jugement. D'autres militants partis en vacances cet été-là seront aussi arrêtés, interrogés, intimidés puis relâchés. C'est l'escalade de la répression qui sera désormais la réponse du gouvernement aux revendications des étudiants. L'UNEK est exclue de fait de la Commission des Bourses, ce qui marque la fin d'un dialogue difficile avec le gouvernement Ahidjo sur les problèmes concernant les étudiants et la jeunesse de notre pays. Pour les étudiants, la « condition de boursier sera désormais l'exception, celle de non-boursier, la règle ». Aussi, l'attribution des bourses obéira aux critères politiques et de classe et sera dorénavant l'instrument de corruption des étudiants. On se rappelle qu'en décembre 1973, une revendication des étudiants de l'Université de Yaoundé, pour l'application des critères objectifs d'attribution des bourses avait tourné au massacre sanglant des étudiants.

Pour les jeunes, la situation est dramatique. Un jeune sur trois en âge scolaire ne va pas à l'école. Un élève sur 100 seulement termine le cycle secondaire. Ainsi des centaines de jeunes sont rejetés chaque année du système scolaire sans possibilité d'insertion dans la vie sociale. Pour résoudre à sa façon les problèmes de ces jeunes « désœuvrés », le gouvernement n'a pas trouvé d'autre solution que de les [PAGE 170] faire « encadrer » par l'armée dans la Corvée Indigène rebaptisée Service Civique National.

Le régime fantoche d'Ahidjo n'arrête pas là son mépris pour la jeunesse. Une vaste opération d'arrestations est lancée l'été 1976 parmi les jeunes travailleurs et chômeurs, les élèves et les étudiants, ils sont accusés de sympathie pour l'UPC, parti clandestin interdit au Cameroun et en France et qui incarne les aspirations du peuple kamerunais. La plupart de ces jeunes sont encore incarcérés jusqu'aujourdlui.

Replacée dans le contexte politique du Cameroun, on saisit mieux la mesure récente de l'interdiction en France du syndicat des étudiants du Cameroun. La répression exercée sur l'UNEK et sur ses militants ne parvient pas infléchir les positions de l'UNEK. Les autorités de Yaoundé sont décidées à faire disparaître l'Union. Elles l'assimilent à l'UPC, parti interdit en France. La presse bourgeoise fera écho à ces accusations en renchérissant même que PUPC est un mouvement terroriste (et donc aussi l'UNEK). Le but visé est évident : préparer l'opinion à l'idée d'une interdiction de l'UNEK en France.

Dans le même sens, le régime lancera sans succès son parti unique en France avec mission d'« encadrer les étudiants » et de faire disparaître l'UNEK. L'UNC[1] essuiera un tel échec que le voyage touristique d'Ahidjo en France et les changements de direction du Bureau de l'UNC de France, n'y changeront rien.

L'UNEK est solidement implantée, et ses militants sont mieux armés que jamais pour le débat démocratique, mieux imprégnés des grands problèmes de notre pays; l'UNEK tiendra tête à l'UNC-de-France, qui ne réussira à s'implanter qu'à l'Ambassade du Cameroun. La mission avait échoué. C'est donc après ces échecs successifs que monsieur Ahidjo fait appel à son maître Giscard, pour mettre fin à l'existence légale de l'UNEK en France. Ce qui fut fait dans le silence de l'été 1977.

Le sens de cette mesure d'interdiction apparaît clairement. Ne souffrant aucune contradiction dans un pays qu'il dirige sans partage pour ses maîtres, Ahidjo n'acceptait pas que l'UNEK tienne l'opinion internationale au courant des pratiques [PAGE 171] fascistes qui sont érigées en méthode de gouvernement dans le Cameroun d'aujourd'hui, pays où il n'existe aucune liberté élémentaire du citoyen, où les jeunes n'ont d'autre horizon que le chômage, où les jeunes filles, pour survivre, n'ont d'autre choix que la prostitution. Le Cameroun est un pays où les délits d'opinion sont des délits de droit commun, passibles des camps de concentration. Fermer la bouche à l'UNEK pour qu'elle cesse de dénoncer ces pratiques fascistes et de réclamer que les Droits de l'Homme soient enfin respectés au Cameroun... tel est le sens de la décision du gouvernement français, à la demande dAhidjo, d'interdire l'UNEK en France. Ici apparaît la connivence des intérêts français et de ceux des régimes africains satellites pour maintenir la jeunesse africaine dans le silence.

Les étudiants camerounais sauront déjouer cette tentative d'étouffer la jeunesse de notre pays; car, comme proclamait un numéro de l'Etudiant du Kamerun, si l'UNEK n'existait pas, les étudiants l'inventeraient. Sans aucun doute, l'interdiction de l'UNEK ne sera qu'un épisode de la répression qui a forgé l'expérience de notre syndicat depuis trente ans. VIVE L'UNEK ! !

NDI J.-B.


[1] Union Nationale Camerounaise, parti unique du dictateur Ahmadou Ahidjo.