© Peuples Noirs Peuples Africains no 2 (1978), 31-82.



OU EN SONT LES DROITS DE L'HOMME ET DE LA FEMME EN CENTRAFRIQUE ?

NGUINZA AKAMGBI KODRO

Le peuple centrafricain vit aujourd'hui sous un régime sanguinaire. Derrière la façade grotesque et caricaturale qu'il vient de montrer au monde avec la mascarade du « couronnement », le régime de Bangui tente de dissimuler sa vraie nature.

La mascarade organisée dernièrement à Bangui a certes beaucoup amusé les blancs, mais son but était de faire marcher les affaires de ceux qui, comme Giscard, le « cher parent » de Bokassa, dirigent les pays impérialistes.

Alors qu'ils organisent le règne de la terreur en Afrique et en Centrafrique, en particulier, ces mêmes dirigeants ne cessent de proclamer le respect des droits de l'homme. Ils poussent l'audace jusqu'à donner des leçons de liberté, de justice et de démocratie aux Africains.

A l'heure où les conférences sur le respect des droits de l'homme se multiplient, et où les dirigeants occidentaux s'y font les champions de la liberté, qu'en est-il du respect des droits de l'homme et de la femme en Afrique ?

Quelles répercussions peuvent bien avoir, en Afrique, l'année internationale de la femme, l'année internationale de la lutte contre l'apartheid... etc. etc. ?

A quel peuple, à quelle femme, à quel homme d'Afrique Profitent les déclarations des chefs d'Etats occidentaux tel Giscard, « le cher ami de Vorster », qui proclame tout haut « L'Afrique aux Africains » mais qui en même temps, soutient [PAGE 32] le régime raciste et fasciste de Vorster, et envoie ses troupes envahir et massacrer les Africains ?

Quelle est la signification profonde de la Déclaration Universelle des droits de l'homme et quelle est sa signification particulière pour les peuples Africains ? Est-il possible enfin de considérer les droits de l'homme et de la femme en faisant abstraction de la domination de classe et de la domination impérialiste ?

Telles sont parmi tant d'autres les quelques questions que l'on peut se poser en général lorsqu'on entend parler des droits de l'homme, de la civilisation, de la liberté, de la démocratie en Afrique, par les représentants des sociétés multinationales, les chefs d'Etats des pays impérialistes de toute sorte, et leurs valets Africains.

Où en sont aujourd'hui les droits du peuple, des femmes et des hommes centrafricains au regard des pratiques des pays impérialistes de toute sorte et de leurs valets locaux ?

Pour répondre à ces questions et plus particulièrement à celles concernant la situation des droits du peuple, des hommes et des femmes centrafricains aujourd'hui, il nous faut faire un bref retour sur cette situation pendant la colonisation directe.

La déclaration des droits de l'homme à Paris et la colonisation de l'Oubangui-Chari

Si la déclaration bourgeoise des droits de l'homme, pendant la Révolution Française, exprimait les progrès réalisés contre les forces féodales et les pratiques féodales, qui limitaient les droits fondamentaux des hommes et des femmes travailleurs en Europe et en particulier en France, cette déclaration signifiait aussi la liberté d'entreprendre, c'est-à-dire la liberté pour ceux qui ont les pouvoirs et les moyens de production d'exploiter les travailleurs.

Aussi, dans les colonies françaises, comme celle de l'Oubangui-Chari, aujourd'hui République Centrafricaine, c'est le droit à l'exploitation de l'homme par l'homme, qui fut imposé au peuples et aux travailleurs. L'entrée, par la force des baïonnettes, de ce pays, comme de tous les autres pays d'Afrique, dans « la civilisation occidentale », c'est-à-dire sous la domination coloniale et impérialiste, avait transformé les hommes et les femmes de ce pays en de simples moyens de [PAGE 33] production au même titre que les bêtes de somme, pour l'Occident. Même les bêtes de somme étaient mieux soignées en Europe que les hommes et les femmes noirs, « machines à bananes », justes bons pour la cueillette de l'hévéa, la culture du coton et du café, l'extraction des mines, etc. Ce pays étant soumis, les droits de son peuple, de ses hommes et de ses femmes devaient nécessairement l'être aussi. Le travail forcé et une juridiction sanguinaire allaient mettre les populations de l'Oubangui-Chari au pas et les conduire dans l'enfer de la « liberté occidentale ».

Ce fut le système de « l'indigénat » qui était une sorte de système disciplinaire colonial destiné à réprimer les populations.

– Il était interdit aux Oubanguiens et Oubanguiennes de changer de résidence sans avis préalable des autorités coloniales françaises.

– Il était interdit de se réunir.

– Il était interdit de se déplacer d'un village à un autre sans avis préalable des autorités coloniales françaises.

– Il était interdit de refuser la monnaie française comme moyen d'échange.

– Il était interdit de refuser une offre d'emploi de la part d'un colon.

– Il était interdit aux noirs « d'entreprendre » quoi que ce soit alors qu'à Paris on parlait de la « liberté d'entreprendre »... etc. pour ne citer que quelques exemples.

Bref les noirs étaient considérés du point de vue juridique comme incapables, ils étaient non-citoyens et sujets des colons. Leur incapacité ne se limitait pas l'exclusion du droit de vote. Il était toujours reconnu aux autorités administratives coloniales le droit de frapper les sujets de sanctions pénales, sans avoir à en justifier devant aucune autorité judiciaire.

Les pénalités étaient fixées au début à un maximum de quinze jours de prison et 100 F d'amende, elles devaient varier selon la région et l'autorité administrative. Pratiquement tous les blancs étaient autorisés à infliger des amendes collectives. Chacun s'en donnait à cœur joie.

Ici les droits de l'homme n'existaient pas pour les noirs. L'emprisonnement administratif était généreusement utilisé en cas de besoin de main-dœuvre. On ne marquait jamais la décision d'emprisonnement sur le registre, ni le nom du prisonnier sur le registre d'écrou.[PAGE 34] En cas de rare inspection, on pouvait régulariser alors la situation du prisonnier, et c'est à partir de ce jour seulement qu'il commençait officiellement à purger sa peine.

Cette méthode a toujours été utilisée par les colons et est toujours utilisée aujourd'hui sous le régime fasciste de Bokassa. Pour les colons, « les sanctions disciplinaires étaient un stimulant incomparable pour les indigènes ».

Le travail forcé ou la violence organisée était devenu la base de tous les rapports entre blancs et noirs, mais aussi entre les noirs vendus aux colons et leurs frères.

Le travail forcé et la terreur étaient donc institués et érigés en règle de gouvernement. Aussi, ce fut l'occasion ouverte à tous les abus. En l'absence de recensement régulier, les gardes, les milices armées qui sillonnaient les villages, exigeaient l'impôt à deux ou trois reprises des villageois.

Le système des prises d'otages et des châtiments corporels était monnaie courante. Les femmes et les enfants en bas âge étaient généralement pris en otage et souvent brûlés afin d'obtenir le paiement de l'impôt et la fourniture de la main-d'œuvre pour le portage, la construction des bâtiments administratifs, des routes, mais surtout du chemin de fer Congo-Océan qui entraîna le génocide des populations de l'Afrique Centrale.

Le portage forcé non payé ou payé à vil prix permettait d'écouler les marchandises occidentales à l'intérieur du continent africain.

La culture du coton, du café et la cueillette du caoutchouc étaient obligatoires pour tout homme et toute femme à partir de 10 ans.

Pendant ce temps, à Paris, ou en Europe en général, on bavardait pour tromper les peuples de ce continent sur la liberté, la démocratie, les droits de l'homme, la civilisation à apporter « aux sauvages d'Afrique », comme la grande publicité faite aujourd'hui sur « La Démocratie Française » d'un Giscard, dont on connaît bien les actes en Afrique.

Comment expliquer les contradictions entre les termes de la Constitution Française adoptée en 1946 et les droits de l'Homme en Oubangui-Chari si ce n'est par les rapports de domination, les Intérêts égoïstes des colonisateurs, des impérialistes français et leurs valets.

En effet, alors que la terreur régnait dans ce pays, au dire des colons eux-même « ... des nombreux villages, il n'existait plus que les ruines, les plantations n'existaient plus, les [PAGE 35] populations étaient réduites à la plus noire misère et plongées dans le désespoir. Jamais elles n'avaient vécu de pareilles heures, même aux plus mauvais jours des invasions arabes... »[1]), car soumises à un pillage systématique, la constitution française adoptée en 1946 précisait que « tous les hommes naissent et demeurent égaux et libres en droit », que « toute personne a le droit de circuler, de choisir sa résidence, de quitter son pays », que nul ne fera l'objet d'intrusion dans sa vie privée.

On voit bien que ce qui est liberté, égalité en deçà des mers, est servitude, inégalité, injustice au-delà. Ce qui est justice, liberté, égalité, droit pour les colonisateurs, les impérialistes, ne l'est pas pour les colonisés, les dominés. Ce qui est droit, justice, liberté, etc. pour les classes dominantes et exploiteuses, ne l'est pas pour les classes dominées et exploitées.

Le peuple centrafricain serait-il naïf aujourd'hui de croire aux belles paroles sur la liberté, la démocratie, etc. des représentants de son ennemi principal, l'impérialisme français et de ses alliés de tous bords ?

On sait que le peuple centrafricain refusait, quand il le fallait, la terreur et la misère imposées par la « liberté et la démocratie occidentale » des colons, comme en témoignent les révoltes populaires qui éclataient tous les deux ans sous la domination coloniale, et en particulier la grande révolte paysanne : la guerre de Kongo-Wara (guerre de la houe), dirigée par Karinou, qui avait ébranlé pendant plus de trois ans (1928-1931) tout le régime colonial français en Afrique Centrale : Oubangui-Chari, Cameroun, Congo, Tchad, Gabon.

Le peuple centrafricain se souvient encore de la dernière grande révolte de 1954 où les colons furent obligés d'utiliser la popularité du premier député noir, Boganda, pour calmer les esprits.

Il se souvient de tout cela et de son espoir pour l'indépendance réelle, brisé par le néocolonialisme.

En effet avec les vagues de luttes de libération nationale et les révoltes, au Vietnam, en Algérie, au Cameroun, à Madagascar, etc. et l'avènement de l'Indépendance formelle partout en Afrique, on avait cru que les droits de l'homme dans ce pays allaient enfin renaître. [PAGE 36] Bien au contraire ! Les agents de la répression, de l'exploitation, les responsables de la misère, de l'humiliation, de la honte en République Centrafricaine ont seulement changé de couleur, et érigeant comme naguère la terreur en règle de gouvernement, faisant de la corruption leur salaire, ces agents ont enterré les droits du peuple centrafricain, les droits de l'homme et de la femme, dans les mines de diamant, dans la culture obligatoire du coton, du café, dans les gisements de l'uranium, etc.

Comment s'y prennent-ils concrètement ?

Les droits de l'homme, de la femme, et le régime fasciste de Bokassa et de « son parent » Giscard.

On avait pu mesurer vers les années 55 l'enthousiasme des masses populaires (paysans, ouvriers, artisans et petits fonctionnaires centrafricains) pour la création de leur propre organisation afin de revendiquer davantage leurs droits, lorsque le droit de se syndiquer fut timidement admis par le colonialisme français, après tant de luttes populaires dans les colonies.

Mais la loi cadre de Defferre en 1956, permettant à la couche supérieure de la petite bourgeoisie intellectuelle centrafricaine, l'accès au pouvoir local, mit fin à cet enthousiasme populaire, qui devenait de plus en plus dangereux pour les intérêts des colons. En effet, avec les vagues de luttes révolutionnaires dans les colonies, il fallait mettre sur pied des gouvernements africains pro-occidentaux, plus efficaces que les agents coloniaux blancs, afin d'endiguer et de briser cet élan révolutionnaire des masses africaines. C'est de cette politique, qui avait été particulièrement celle de De Gaulle, que le colonialisme détient sa force aujourd'hui contre les masses africaines.

C'est ainsi que le premier geste du premier gouvernement centrafricain, celui de Boganda aidé par les colons de Bangui, en particulier le sinistre français Guérillot, fut de limiter les libertés syndicales et politiques. En effet, en réponse au mécontentement des masses qui subissaient toujours la terreur coloniale, et au développement des luttes syndicales ouvrières, Boganda devait déclarer « ... les éIections étant terminées, l'assemblée constituée, le gouvernement mis en place, le peuple au travail, toute politique doit être considérée [PAGE 37] comme une provocation aux désordres et devrait être sévèrement punie par l'autorité établie, s'il en existe une ... » « ... nous serons sans pitié pour les politiciens agitateurs et colporteurs d'idées étrangères à l'intérêt oubanguien. Nous risquerons de nous servir de coupes-coupes en attendant mieux (sic) pour chasser de chez nous les propagateurs de toute politique étrangère à l'intérêt du pays »[2]

Il poussa l'horrible geste jusqu'à décapiter la J.T.O. (jeunesse travailleuse oubanguienne), l'organisation syndicale anti-impérialistes des jeunes ouvriers et salariés, en emprisonnant les responsables traités « d'agents et éléments traîtres de gauche ou communistes ».

Ici, commencèrent la « dépolitisation des masses », la spoliation des masses des libertés démocratiques les plus élémentaires gagnées au prix du sang, le retour à la terreur coloniale dont Bokassa et sa clique sont devenus aujourd'hui les agents les plus efficaces aux mains des néo-nazis européens, dont Giscard qui se cache derrière la « Démocratie Française ».

Comme beaucoup de centrafricains le savent, le deuxième horrible geste contre les droits du peuple, des femmes et des hommes centrafricains, fut celui du gouvernement corrompu de Dacko, inféodé aux colons de la Chambre de Commerce de Bangui, conseillé par le sinistre haut commissaire français Barberot et le bourreau itinérant des peuples africains, Foccart. En effet, David Dacko devenu le premier Président de la R.C.A., réalisa les désirs de ses maîtres français, à l'encontre des droits des masses centrafricaines, par les lois du 2 octobre 1961, un an après l'Indépendance formelle : une des lois réprimait les actes de résistance, de désobéissance aux autorités publiques; une autre visait les écrits « subversifs », une autre encore donnait la possibilité au gouvernement de dissoudre partis politiques, syndicats, association ou organisation « troublant l'ordre public ». Cette dernière loi visait surtout les syndicalistes et les partis dits d'opposition, surtout le M.E.D.A.C. (Mouvement d'Evolution d'Afrique Centrale) dont le créateur le Dr Goumba, se trouve aujourd'hui en exil. Le M.E.S.A.N. (Mouvement d'Evolution Sociale d'Afrique Noire) de Boganda devint ainsi le parti unique Pour l'embrigadement des masses. Ces lois [PAGE 38] ou ces décrets n'étaient pas nouveaux. Dacko et le Haut Commissaire Barberot n'avaient fait que dépoussiérer les lois et les décrets sanguinaires coloniaux. On y retrouve d'ailleurs les mêmes termes.

Dacko et ses conseillers français tentèrent par la suite la réorganisation de la classe ouvrière et des salariés dont ils avaient supprimé les organisations, en créant en 1964 l'U.G.T.C. (Union Générale des Travailleurs Centrafricains). Malgré ces tentatives, et la soumission de la direction de l'U.G.T.C. au gouvernement corrompu et néocolonial de Dacko, des grèves se multiplièrent en 1965, notamment dans les services publics (P.T.T., Travaux Publics, Education Nationale) et dans certaines entreprises privées d'exploitation forestière (SEFI -MBATA, etc.). Dans les villages, les paysans refusaient de payer l'impôt et les cotisations du parti unique à un gouvernement corrompu, à la solde des blancs. La seule solution pour les impérialistes français et leurs valets locaux, afin de mettre fin à ces luttes, fut le coup d'Etat militaire de Bokassa le 1er janvier 1966.

Quelles constitutions ?

Depuis ce coup d'Etat pro-occidental, le peuple centrafricain a retrouvé la terreur blanche coloniale de l'époque des fameuses sociétés concessionnaires installés en Oubangui Chari.

Aujourd'hui, dans le monde et en Europe en particulier, seuls ceux qui ont vécu dans la terreur, les horreurs, la sauvagerie bestiale des nazis en Allemagne, en Italie et ailleurs, peuvent imaginer le sort des centrafricains sous les bottes de Bokassa et ses maîtres Giscard et les autres. Seuls aussi, ceux qui avaient fait semblant de combattre les horreurs, la sauvagerie, l'humiliation imposés aux peuples européens et aux juifs par le nazisme, le fascisme d'Hitler, de Mussolini, de Franco, de Salazar, etc., peuvent aujourd'hui soutenir les régimes fascistes d'Afrique, comme celui de Bokassa. Que ceux-là ne nous chantent pas au son de l'accordéon sur la démocratie, la liberté, « l'Afrique aux Africains » et n'attribuent pas le fascisme à la soi-disant sauvagerie innée des peuples noirs. Le fascisme aujourd'hui en Afrique du Sud, en Argentine, en Iran n'est-il pas blanc comme blanc était le fascisme hitlérien ?

Et jaune n'est-il pas en Corée du Sud ? En vérité le fascisme [PAGE 39] n'a pas de couleur ni de frontière. La lutte contre le fascisme ne saurait avoir de frontière, ni de couleur. Que ceux qui avaient cru combattre le fascisme hier, et qui croient le combattre aujourd'hui dans leur propre pays alors qu'ils se taisent ou soutiennent le fascisme dans les pays africains dits francophones le sachent ! Le fascisme que l'on fait subir aux noirs d'Afrique aujourd'hui aura nécessairement un retour sur les peuples de ceux-là qui l'entretiennent, comme les bombardements au Vietnam avaient provoqué la répression aux Etats-Unis même.

Quelle est donc la situation aujourd'hui sous les bottes de Giscard, Vorster, Schmidt, etc. portées par le zélé et sanguinaire valet Bokassa en Centrafrique ?

Depuis le coup d'Etat militaire le régime de Bokassa et de ses maîtres se caractérise par une répression hystérique des masses populaires centrafricaines et par la confiscation des libertés démocratiques les plus élémentaires. Comme il est de coutume chez les néo-nazis, mis en place dans les pays dominés pour préserver les intérêts des impérialistes, on avait commencé par supprimer dans le domaine des institutions ce qui peut représenter ne serait-ce qu'un symbole de démocratie, même celui « d'une démocratie bourgeoise néocoloniale » derrière laquelle se cachaient déjà l'exploitation et la répression des masses : ouvriers, paysans pauvres, artisans, petits et moyens fonctionnaires, pendant le régime corrompu de Dacko.

En effet, l'assemblée nationale coloniale, le conseil économique avaient été dissous ainsi que toute autre institution « représentative », à l'exception du parti de Boganda, le M.E.S.A.N., qui a atteint aujourd'hui son meilleur niveau, celui d'une organisation fasciste d'embrigadement de la jeunesse et d'enregistrement des exigences des bourreaux centrafricains auprès des masses. Notons que seule l'Union Nationale des Etudiants Centrafricains en France (U.N.E.C.A.) avait pu échapper et échappe encore aujourd'hui à cette dissolution générale, mais Bokassa tente toujours d'y infiltrer ses agents sans parler des intimidations par les arrestations de certains étudiants.

Les nouveaux actes constitutionnels avaient été dressés par les fameux « coopérants » français qui, en raison du manque de cadres centrafricains, occupaient tous les postes clés dans l'appareil d'Etat centrafricain (ils étaient dans l'armée, la police, les ministères, les ambassades et certains y [PAGE 40] sont encore aujourd'hui). Ces actes constitutionnels, par lesquels l'assassin Bokassa dirige le pays aujourd'hui sont une copie des actes constitutionnels dressés à l'époque de la deuxième guerre mondiale par Pétain, dont les Français et les colonisés avaient connu le régime favorable aux nazis allemands. En effet, l'acte constitutionnel No 1 dit : « Le président de la république est habilité à gouverner par ordonnances – la constitution est abolie et sera remplacée par une autre soumise au peuple ». Le peuple centrafricain attend toujours cette nouvelle constitution depuis douze ans. La première ordonnance, toujours en vigueur fut prise pour réprimer « l'oisiveté » : « tout centrafricain devra désormais prouver qu'il travaille sinon il sera mobilisé d'office à des activités d'intérêt général et sera passible de 3 mois à un an de prison et de 50.000 à 100.000 F CFA d'amende. » Quand on sait ce que représente le chômage dans les pays dominés comme la R.C.A., on peut s'imaginer le ravage que peut causer une telle ordonnance.

Une troisième ordonnance interdit jusqu'à présent « les associations ou mouvements de nature à troubler l'ordre public » etc., etc. Arrêtons-nous un peu ici. Y a-t-il une différence entre cette première ordonnance et les lois scélérates de Vorster en Afrique du Sud qui punissent les noirs qui restent plus de trois mois au chômage ? Non seulement ces derniers n'ont pas le droit de travailler car le travail est réservé d'abord aux blancs mais ils n'ont pas le choix non plus de rester au chômage plus de trois mois; les seuls droits qu'ils ont et les seuls choix qu'ils peuvent faire sont : la prison, la misère, et le travail forcé « pour l'intérêt public ». Il n'y a pas du tout de différence entre les ordonnances d'un Bokassa et celle du raciste Vorster. Les ordonnances avaient permis à Bokassa et sa clique du pouvoir néo-colonial et fasciste, d'envoyer pêle-mêle, des chômeurs, des handicapés physiques, des « voleurs », des « mendiants », des personnes hostiles au régime, femmes et hommes..., dont certains avaient commis le seul crime d'être au chômage, d'être handicapés physiques, malades, dans le goulag centrafricain de Obo, à la frontière soudano-zaïroise. Quant à la deuxième ordonnance, elle est sortie mot pour mot de l'ensemble des lois et décrets datant de 1925, qui ont été mentionnés plus haut. Cette ordonnance avait toujours été appliquée par tous les gouvernements qui s'étaient succédé dans le pays afin de briser l'élan révolutionnaire des masses. Elle avait été appliquée [PAGE 41] aussi sous le régime corrompu de Dacko. Il est à noter, que cela n'avait pas empêché les masses de se révolter quand il le fallait sous la colonisation et sous le gouvernement corrompu de Dacko. Cela ne les empêchera pas non plus de se révolter contre le régime fasciste du petit soldat de Bangui, rejeton de l'armée française qui se prend pour un Général, un Président à vie et un Empereur pour amuser la galerie. Un jeu d'enfants comme le pensent certains journalistes français ou une pièce de théâtre mise en scène par les impérialistes français jouée par cet ancien boy cuisinier de l'armée française coloniale, qui coûte très cher au peuple centrafricain et à tous ceux qui sont épris de liberté.

Pour terminer avec le maigre domaine de la constitution dans ce pays, notons que sous les conseil de l'ambassadeur de France à Bangui Robert Picquet et du ministre français des affaires étrangères Robert Galley, Bokassa fit élaborer une constitution afin de « légaliser » son fameux couronnement qui eut lieu le 4 décembre 1977.

Tout le monde sait à Bangui que cette constitution avait été élaborée à grands frais par un des grands professeurs de droit des universités parisiennes et ses anciens étudiants centrafricains, docteurs en droit de la répression, et qui sont passés maîtres en matière de platitudes, et de courbettes devant Bokassa.

La République est ainsi érigée en « empire ». Pour justifier cette mascarade constitutionnelle il est dit par le rapporteur que « le pays a évolué et les mœurs ont changé depuis que Bokassa a pris le pouvoir, on peut donc rétrocéder au peuple le pouvoir de décider lui-même, ou par ses représentants quitte à veiller à ce qu'il n'en soit pas dépossédé. » Ceci n'est bien évidemment que pur mensonge comme le montrent les répressions quotidiennes dans ce pays. En outre, le peuple centrafricain n'a jamais connu le pouvoir depuis qu'il a été colonisé, il ne peut donc attendre le pouvoir de ses bourreaux et de ceux qui le lui ont raflé par la force des armes. La vraie raison de la nouvelle « constitution » se trouve ailleurs comme en témoigne ce que révèle le texte qui suit : « La monarchie constitutionnelle absolument dénuée de tout autoristarisme et de tout despotisme comme tout régime à l'avant garde du progrès, est la consécraiion d'une part du Processus de libéralisation et de démocratisation des institutions... pour cela la couronne impériale, qui n'est plus qu'un symbole, puise sa raison d'être dans l'ultime dignité [PAGE 42] que le peuple centrafricain veut conférer à celui qui a subi avec brio toutes les épreuves d'une longue carrière militaire et politique »[3]. On peut lire encore que « l'empereur... n'est lié que par sa conscience ou plutôt par le seul serment qu'il prête lors de son entrée en fonction sur la constitution. »[4]

Il est clair ici que la nouvelle constitution avait pour but de faire jouer au bourreau Bokassa un nouveau rôle, celui d'aider une fraction de l'économie française par ces temps de crise. Ce rôle ne peut être rempli sans la répression des masses centrafricaines.

Dans cette fameuse constitution, on se réfère à la charte des Nations Unies et à la déclaration des droits de l'homme. Il est question de « garanties dont peuvent se prévaloir les nationaux sans exclusion vis-à-vis de toute autorité agissante de l'Etat, ... de la protection dont peuvent se réclamer tous les citoyens sans réserve pour l'exercice des libertés publiques ».

En outre, l'ensemble des textes de la fameuse constitution a été présenté par les valets de Bangui, comme un « bouquet de libertés publiques », offert au peuple centrafricain. D'après ces valets, « ce bouquet de libertés publiques ne souffre plus que d'une limite : la loi ». Alors qu'ils n'avaient pas fini de présenter leur « bouquet de libertés publiques » au peuple et au monde, des arrestations des personnes innocentes étaient signalées à travers le pays. Ainsi fidèles aux pratiques fascistes de leurs maîtres impérialistes, les valets de Bangui avaient voulu faire aussi la politique de la carotte et du bâton ou plus exactement la politique du « bouquet de libertés publiques » et de la bastonnade très répandue dans ce pays. C'est ainsi qu'à la même période (mois d'août et de septembre 1977) où les ministres griots de Bokassa ne cessaient de chanter « la nouvelle constitution » sur les ondes et dans les rares journaux (qui sont d'ailleurs ceux du régime), trois étudiants centrafricains, militants de l'U.N.E.C.A., rentrés de France, et le Proviseur du Lycée Boganda, ancien militant de l'U.N.E.C.A., étaient arrêtés, maltraités et mis en prison, pour avoir sous-estimé les limites de ce régime criminel. Ils avaient commis le seul crime, qui devait ébranler le fameux « bouquet de libertés publiques », d'avoir [PAGE 43] parlé de République Centrafricaine au lieu d'« Empire Centrafricain ».

De nombreux cas d'emprisonnement de travailleurs qui ne pouvaient faire parler d'eux, avaient été enregistrés à la même période. C'est sur l'intervention du ministère de la coopération Robert Galley, autrement dit le nouveau bourreau itinérant des peuples d'Afrique francophones, que les étudiants et le proviseur ont été sortis de prison.

Ce geste explique le rôle que joue la France dans ce pays. Il a permis aussi à Bokassa de parler de « libéralisation du régime » et de voiler de nombreux cas d'emprisonnement arbitraire dans le pays. Il convient de noter aussi, que par ce geste spectaculaire, – cela se produit pour la première fois, Galley veut tenter de gagner la confiance de certains intellectuels centrafricains hostiles au régime de Bokassa mais qui peuvent voir dans l'impérialisme français, malgré sa domination, un impérialisme avec lequel le peuple centrafricain peut composer pour lutter contre les deux super-puissances en Afrique et dans le monde. Si tel est le cas, les impérialistes français, leurs valets et autres intellectuels se trompent. Le peuple centrafricain comme les autres peuples d'Afrique et d'ailleurs ne peuvent s'accommoder d'un impérialisme, surtout lorsque cet impérialisme est l'ennemi principal pour combattre un autre, fût-il moyen, super, premier ou second.

Les intérêts du peuple centrafricain ne sont nullement liés aux intérêts impérialistes ou des grandes puissances du soi-disant second-monde, même s'il s'agit de combattre l'hégémonisme des deux super-puissances, l'impérialisme américain et le social impérialisme soviétique.

En tous cas, il est temps pour les peuples noirs et le prolétariat noir d'Afrique en général, et le peuple et le prolétariat centrafricain en particulier, qui avaient connu une situation spécifique dans le développement du capitalisme dans le monde et dans le mouvement prolétarien dans le monde, de tirer leçon de cette situation historique spécifique, qui est la leur : ni maître impérialiste, ni « maître révolutionnaire ».

Humiliations quotidiennes, bastonnades, oreilles coupées, viols assassinats

Les domaines constitutionnels ne peuvent jamais rendre compte de la réalité dans un pays, surtout dans un pays comme [PAGE 44] celui-ci où l'humiliation est quotidienne pour les femmes, les hommes, les enfants sans parler de la bastonnade érigée en règle de gouvernement depuis la colonisation, l'assassinat devenu le seul moyen d'imposer le silence au peuple. Mais le silence d'un peuple n'est-il pas toujours trompeur ?

Depuis douze ans les crimes du régime fasciste mis en place par les impérialistes français sont innombrables; seule l'histoire de ce peuple pourra un jour nous révéler à peu près le nombre des victimes. Si ce sont essentiellement les masses qui subissent les crimes de ce régime, celui-ci n'épargne personne, sauf ceux-là qui détiennent le pouvoir parce qu'ils sont les garde-chiourmes des intérêts impérialistes français, américains, allemands et de ceux des roumains, des soviétiques, des yougoslaves et d'autres qui développent leur influence dans le pays.

a) Le pouvoir et le massacre de ses propres agents

Est-il besoin de rappeler les nombreuses victimes du putsch militaire de 1966 ? Au lendemain du coup d'Etat militaire, de nombreuses personnes essentiellement des travailleurs, qui n'avaient rien à voir avec le régime corrompu de Dacko, avaient disparu. Jusqu'à présent, il est interdit aux parents de ces personnes de parler de la disparition des leurs avec leurs voisins, surtout dans les lieux publics.

La tête de l'une des victimes, Mounombaye, le bras droit du valet Dacko, avait été exposée pendant longtemps afin de servir d'exemple.

Le régime de Bangui doté des principes fascistes n'épargne même pas certains de ses agents, car le fascisme est toujours organisé de telle sorte qu'il puisse permettre à ceux qui détiennent réellement le pouvoir – ici l'impérialisme français principalement et sa horde – de tirer les ficelles tout en dissimulant leur propre responsabilité. C'est ainsi que Bokassa avait tué lui-même en 1969 le principal artisan du coup d'Etat militaire, le Colonel Banza soupçonné d'intelligence avec l'impérialisme américain, en le dépeçant avec un rasoir.

Il tortura jusqu'à la mort son commissaire de police Kallot à qui il sectionna les poignets. Puis ce fut le tour de Kolignako, Mandé, Mbongo (1973), Lingoupou (1974), tous militaires et ministres, soupçonnés d'intelligence avec les impérialistes autres que français dans le but de préparer leur propre coup d'Etat militaire.

En 1976, Claude Mandaba, autre militaire et « homme de [PAGE 45] confiance » de Bokassa revenu de son exil en Roumanie comme ambassadeur, a disparu, accusé d'avoir reçu « des personnalités d'opposition ».

En décembre 1974 et août 1975, Bokassa annonça au monde la découverte des complots fomentés par des officiers de gendarmerie, et sans aucune preuve, il fit exécuter ces officiers, pourtant fidèles compagnons de Bokassa, dont Lingoupou. Les tortures et les disparitions qui s'ensuivirent, touchèrent surtout les soldats pauvres appartenant aux ethnies autres que celle de Bokassa. Il s'agissait d'éliminer au maximum ces derniers afin de gonfler la troupe avec de nouveaux soldats recrutés dans la région de Bokassa, car en R.C.A., le régime, sous les conseils des officiers français et russes, n'a rien à envier aux régimes fascistes d'un Hitler ou d'un Vorster : le tribalisme remplace ici le racisme contre les juifs et les autres races sous Hitler, et le racisme contre les noirs, les métis et les indiens sous le régime de Vorster, ardent disciple de Hitler, ce qui lui valut d'être emprisonné par les Anglais pendant la dernière guerre mondiale.

L'utilisation de la torture du massacre, du racisme sous toutes ses formes, est la meilleure façon pour tous les fascistes, les néo-nazis de toutes les couleurs, de diviser les masses, de leur faire peur, de leur enlever toute confiance en elles-mêmes.

En 1969, 41 « coopérants français furent expulsés, puis 70 en 1970. En 1971, le français Rémy Hussenot, autre agent impérialiste, Directeur de la Cie Shell en Centrafrique, fut interné à la fameuse prison de Ngaragba pendant quinze jours, pour avoir réclamé des dettes à Bokassa. En 1974, une religieuse française de la « mission catholique, pourtant rempart idéologique de l'impérialisme dans ce pays, fut arrêtée à l'aéroport parce qu'elle était porteuse d'une lettre faisant allusion au régime de Bangui.

Le 3 février 1976, Bokassa échappait à un attentat dont l'instigateur était son propre gendre Obrou, chef de bataillon, soutenu par quelques officiers.

L'attentat, qui fit deux victimes fut suivi rapidement d'un simulacre de procès public, où les ambassadeurs en poste à Bangui furent conviés. Huit personnes jugées coupables furent rapidement condamnées et exécutées (officiers, soldats, civils dont Maléombo, un rescapé du coup d'Etat de Bokassa, et ancien présent de l'assemblée nationale néocoloniale, membre du M.E.D.A.C. qui fut dissous par Dacbro et le sinistre [PAGE 46] haut-commissaire français Barberot. Le courage de Zatao, un des militaires exécutés, qui connaissait bien le régime, et qui l'avait dénoncé devant les ambassadeurs et la foule, tous présents pour la forme au procès simulé, avait provoqué une colère dans la foule quadrillée par les militaires mais surtout une colère féroce chez les conseillers français de Bokassa qui ne voulaient pas d'un procès public, fût-il un simulacre. Depuis il est interdit de faire un procès public même lorsqu'il s'agit d'un procès des propres agents du régime, car cela peut déclencher une colère chez les masses, que le régime ne pourra dompter. Rappelons que quelques années avant ce procès public, le régime avait organisé un grand meeting sur le plus grand stade de Bangui, afin de justifier les salaires non payés depuis six mois. La foule forcée par les milices des quartiers de Bangui y était nombreuse mais le meeting tourna court, car Bokassa fut hué tout le long du discours. On n'a plus recommencé ce genre de meeting. La manifestation organisée contre l'ambassade de France par les valets locaux afin de détourner l'attention des masses, connut le même sort. Les manifestants avaient profité de l'occasion pour s'attaquer à tout le régime et à ses valets; pour les manifestants, c'était un entraînement pour une nouvelle et réelle manifestation contre le régime. Beaucoup furent emprisonné ce jour-là, pour avoir débordé le service d'ordre officiel qui les avait conduits à l'Ambassade. Le régime ne peut plus utiliser ce moyen.

En 1973, le pouvoir, sous la pression les luttes syndicales populaires, avait dissous le comité directeur fantoche de l'Union Générale des travailleurs Centrafricains (U.G.T.C.). Il interna le Secrétaire Général Sandos, pourtant acquis au régime et ordonna la tenue à huis clos, les 13 et 14 janvier, d'un simulacre de congrès qui porta Zemoniako, autre fantoche, directeur du programme de la radio, à la direction de l'U.G.T.C. Ce même Zemoniako fut arrêté et mis en prison pour avoir demandé, sous la pression des luttes des travailleurs, un relèvement du S.M.I.G., à la veille du « sacre de Bokassa ».

Nzilavo, le président de la DéIégation Spéciale de la ville de Bangui qui dirigea ces commandos destructeurs des quartiers populaires au bord du fleuve Oubangui, en vue « d'embellir Bangui pour la conférence de l'O.C.A.M. et en vue de hâter la construction des villas pour ambassadeurs et gens riches, fut destitué en 1973, après avoir été molesté par [PAGE 47] les masses de ces quartiers. Bokassa voulait ainsi calmer les esprits car la révolte dans ces quartiers avait failli gagner tous les quartiers de Bangui. Les quartiers furent tout de même détruits quelques mois après, par l'armée.

Jourdan, le cerveau du secteur de la domination culturelle française, directeur du centre culturel français de Bangui, fut expulsé son secteur commençant à échapper à l'Ambassadeur de France qui doit tout contrôler dans ce pays.

Le 14 juillet 1977, Michel Goldschmidt, de l'Associated Press, venu pourtant faire le portrait de l'assassin de Bangui, pour la bonne presse occidentale, fut mis en prison pendant quatre semaines et eut le front ouvert d'un coup de sceptre, par l'assassin Bokassa. Jonathan Randal, du Washington Post, lui aussi journaliste, venu comme tous ces journalistes européens, agents d'information de l'impérialisme, qui viennent en Afrique pour décrire les comportements des valets noirs néo-nazis mis en place afin de montrer la « sauvagerie des noirs », « sans leurs maîtres blancs », connut lui aussi huit jours de détention.

Le régime n'épargne donc pas certains de ses propres agents locaux ou étrangers. Le boomerang du régime qui atteint certains agents du système de domination impérialiste, s'explique par les luttes entre les puissances étrangères : les deux super-puissances, les grandes et les moyennes. Il s'explique par les luttes des clans entre les agents de l'impérialisme dominant ici, l'impérialisme français. Il s'explique par les complots réels ou inventés par Bokassa pour éliminer des rivaux réels ou supposés. Les bastonnades et les insultes dont sont victimes certains membres de la Bourgeoisie politico-bureaucratique au pouvoir, en particulier les universitaires, tels Zanifei, Patassé, Yagongo Nzapakomanda etc., pour ne citer que ceux-là, sont les reflets de ce mécanisme de domination qui révèle fondamentalement des règles fascistes connues sous tous les cieux. Ces universitaires, anciens militants anti-impérialistes avaient retourné leur veste pour devenir les bourreaux zélés du peuple centrafricain. Ils connaissent mieux que quiconque les intellectuels anti-impérialistes conséquents qu'il faut abattre ou entraîner dans leur sillage. En dehors des cas des agents du système, emprisonnés, torturés ou tués, qui sont rapportés parfois par les presses impérialistes, et pour cause, la répression touche toutes les couches sociales dominées. Des arrestations arbitraires, des enlèvements, des assassinats de prisonniers innocents [PAGE 48] sont monnaie courante. De nombreuses personnes se trouvent en prison pour des délits les plus futiles, sinon imaginaires, accusés soit d'avoir dit du mal de Bokassa, des ministres, ou de la France de Giscard.

Ce fut le cas des fonctionnaires tels que Gotilogué, directeur de la Caisse de la Sécurité Sociale, Loba Ifeina, professeur Nomfei, condamné à 4 ans de travaux forcés, etc., soit pour avoir refusé de porter l'insigne du M.E.S.A.N., ce fut le cas de Sonny Mpokomandji, ingénieur, condamné à sept ans de prison et à 300.000 F CFA d'amende, soit pour avoir eu des contacts par tous les moyens avec les étudiants anti-impérialistes qui sont à 1'étranger. Ce fut le cas d'un des rares ingénieurs centrafricains en télécommunication, Manga, dans le courant de l'été 1976, etc., etc. Alors que la R.C.A. est l'un des pays où le manque de cadres et de techniciens est le plus criant, les quelques rares cadres centrafricains sont mis en prison et sont obligés de s'exiler. C'est le cas de beaucoup d'entre eux, qui après avoir bénéficié de « l'amnistie décrétée » pour le « sacre » de Bokassa, se sont vus interdire de travailler dans la fonction publique et dans les entreprises capitalistes privées. Certains ont été obligés, malgré l'interdiction de quitter Bangui, de fuir vers les pays voisins. Cependant, des agents impérialistes recrutés en France, au titre de la « coopération technique », afin de résorber le chômage chronique qui sévit en France, sont déversés dans le pays afin d'accomplir leur sale besogne.

Notons que, le manque de cadres et de techniciens dans les pays africains est un produit de la domination impérialiste : plus les rapports capitalistes de production se développent dans ces pays, plus l'impérialisme développe le manque de cadres, en situant chaque pays dans un rapport donné et à une place donnée de la division internationale capitaliste du travail...

Ces arrestations arbitraires et l'opportunisme propre à la petite bourgeoisie surtout intellectuelle amènent beaucoup d'intellectuels, anciens militants de l'U.N.E.C.A. à entrer dans le gouvernement de Bokassa, tels Gbezera, Ngoagoni, Mpamadou... et tous les autres qui fréquentent la fameuse « cour » de Berengo, comme conseillers économiques, politiques etc., de Bokassa.

Le régime fasciste de Bangui amène souvent les intellectuels centrafricains anti-impérialistes à l'étranger à devenir [PAGE 49] une fois rentrés à Bangui des apprentis valets de l'impériaiisme.

b) Les nombreuses et réelles victimes du régime sont les masses

Ce sont surtout les masses qui sont les grandes victimes du régime de Bangui. Elles sont chaque jour terrorisées et, horrifiées par l'enlèvement des maris, les viols des mères et des filles, les bastonnades des enfants et l'interdiction aux enfants dont les parents sont accusés d'opposition au régime de s'inscrire dans une école dans toute la Centrafrique.

Le gonflement de l'appareil répressif d'Etat traduit le degré de la répression auquel le pays est arrivé. En effet, depuis 1971, le recrutement des policiers, des mouchards en particulier, est devenu le seul moyen de quadriller les masses, mais aussi de freiner le chômage galopant dans le pays. Rien qu'au mois d'août 1974, 500 nouveaux policiers sans compter les mouchards avaient été embauchés; depuis cette année-là, on en recrute plus de 500 par mois afin de faire face au mécontentement des masses dans tout le pays et dans toutes les ambassades, pour les centrafricains vivant à 1'étranger. Des dépenses considérables ont été réalisées pour équiper la police en matériel ultra moderne. Le pays offre surtout dans la capitale le visage d'une ville sous occupation militaire étrangère, malgré les consignes officielles de discrétion données aux militaires et aux policier. On rencontre à tout bout de chemin des militaires et des policiers armés, ils sont dissimulés grossièrement dans les carrefours, devant les bâtiments publics et les endroits stratégiques de la ville. La police et l'armée sont quotidiennement sur le pied de guerre contre les populations. Tout centrafricain ne peut faire quelques pas hors de sa maison sans être plusieurs fois contrôlé, il est contrôlé sur son lieu de travail, il est contrôlé sur son chemin de retour, et souvent chez lui, car les perquisitions effectuées pour n'importe quelle raison sont fréquentes.

A l'approche du week-end des policiers et militaires racketteurs arrêtent tout centrafricain qui roule sur un vélo, une motocyclette ou dans une voiture et, pour une raison ou une autre, ils demandent au propriétaire de l'engin de payer une amende ou de revenir le chercher après le week-end, au commissariat central. Les amendes payées et les véhicules envoyés permettent aux racketteurs de passer leur week-end hors de la capitale. Il leur arrive d'exiger le plein d'essence, [PAGE 50] car pour ces bandits une voiture ou une motocyclette ne doit pas arriver au commissariat sans essence. Quand on pense que l'essence coûte cher à Bangui comme tout produit importé dans ce pays, on ne peut qu'être indigné par ceux qui font des économies sur les autres, en utilisant chaque week-end leurs véhicules. Les propriétaires des véhicules sont souvent étonnés de voir leur engin rouler pendant les week-ends alors que ces mêmes engins ont été retirés de la circulation à cause d'une roue qui serait usée ou autre chose.

On connaît désormais l'itinéraire de chaque citoyen, les personnes qu'il fréquente, car les mouchards sont partout et particulièrement actifs dans les provocations parce que chaque renseignement même anodin rapporte gros. Le contrôle policier et militaire est donc systématique dans les villes, dans les villages, comme dans la capitale. Il est systématique à l'aéroport pour les centrafricains. La censure sur le courrier est quotidienne, ce qui retarde énormément et bloque toute information et toute activité. Les écoutes des téléphones publics et des téléphones privés sont aussi développées que dans les pays capitalistes avancés.

A l'approche des fins de mois, il y a un filtrage systématique et quotidien, par les forces armées, de tous les fonctionnaires se dirigeant vers le bâtiment du Trésor pour leur paye. Le gouvernement veut éviter ainsi le regroupement de ces derniers pour manifester, car il leur arrive de rester pendant des mois sans être payés : souvent six mois. Il est interdit, sous peine de prison, de dire en publie que les salaires des fonctionnaires petits et moyens ne sont pas régulièrement payés. De nombreuses arrestations ont lieu souvent parmi les petits fonctionnaires à cause de ce « délit ». Mais la police est encore plus sévère pour une catégorie de centrafricains victimes du régime anti-national. A ce propos voici le témoignage de Pierre Péan : « impossible de se promener dans la capitale sans rencontrer de nombreux mendiants – jeunes et vieux, impotents et valides – qui vous lancent un dramatique; « patron, j'ai faim », ou » patron, un peu d'argent... ». Malheur à eux quand ils quémandent devant des policiers mal lunés ou le portier d'un hôtel. La matraque leur tombe alors rapidement sur le dos ou la figure. J'ai vu trois policiers, en plein centre de la ville, faire tomber de sa chaise roulante un invalide aux jambes toutes atrophiées, le laisser au milieu de la rue et jouer avec la chaise. A quelques centaines de mètres de cette scène, des prisonniers sont rassemblés [PAGE 51] à coups de trique par des militaires. Ils viennent de travailler au nettoiement de la place située devant la cathédrale où aura lieu la cérémonie religieuse du sacre, le 4 décembre 1977. Triques et chicotes sont des objets courants dans l'Empire. Tous ceux qui détiennent une parcelle d'autorité s'arrogent le droit de distribuer des sévices physiques, c'est vrai pour le préfet en province, le policier, le percepteur... l'exemple vient d'en haut. »[5].

Le régime frappe par tous les moyens la jeunesse et les intellectuels progressistes

Les grèves des lycéens à Bambari, à Bangui, à Berbérati, à Sibut, en 1971 et 1972, pour protester contre les mauvaises conditions matérielles de vie et de travail furent sévèrement réprimées : intervention de l'armée, suppression des bourses, bastonnades, prison. Au mois de mars 1976, la gendarmerie locale de Bria arrêta Zanga Achille, professeur au collège d'enseignement général de Bria, accusé injustement de « faire de la politique » pendant ses cours, par l'un de ses élèves, en l'occurrence le fils du Chef de la gendarmerie de Bria. Les mauvaises notes récoltées par cet élève furent à l'origine de cette accusation. La majorité des élèves se rendirent à la gendarmerie par solidarité avec leur professeur. Cette présence massive des élèves fut interprétée comme un acte de rébellion par les gardes chiourmes locaux. Le gouvernement central, appelé au secours, n'hésita pas à dépêcher une brigade spéciale de répression. Les élèves et leurs parents furent bastonnés par les éléments de la brigade spéciale. Ceux qui étaient accusés d'être des « meneurs », furent arrêtés et transférés à Bangui en même temps que leur professeur bastonné, lui aussi. Ils ont été tous, élèves et professeur, condamnés à dix ans de prison. Ils n'ont pas bénéficié de la fameuse amnistie du « sacre ». Le collège reste fermé depuis cette date là et il est interdit à tout le reste des élèves de prendre une inscription dans les établissements publics et privés de toute la R.C.A. Mais on a pu inscrire naturellement le fils du chef de la gendarmerie dans un autre collège. Deux textes furent publiés à la suite de cette affaire le premier texte interdit à « tout enseignant centrafricain ou expatrié exerçant en R.C.A., d'enseigner la politique et de critiquer [PAGE 52] les décisions du gouvernement, actes de nature à semer des troubles dans la nation ». « Les contrevenants seront passibles de peines allant de un an de prison aux travaux forcés à perpétuité ». Cette même ordonnance stipule que « les résultats des examens de l'année scolaire dans tous les cycles de l'enseignement ne devront pas être inférieurs à une proportion à déterminer par décret compte tenu de la densité de la population et du nombre d'élèves ». (!!!) Les infractions à cette règle seront considérées « comme action à caractère politique visant à fomenter des troubles dans le pays ». Le second texte fait obligation au ministre de l'éducation nationale de faire un rapport sur la moralité de chaque enseignant en R.C.A. Ces deux textes ne font que traduire l'échec du régime dans l'enseignement, car de plus en plus, les élèves et les professeurs prennent conscience de leurs conditions de travail et de vie et situent mieux les responsabilités. Ils savent désormais que le manque de bourses d'études, de locaux, de professeurs, n'est pas le fait du hasard. Le régime est bien le responsable et c'est pourquoi ils se révoltent souvent contre lui. Le niveau de l'enseignement ne cesse de baisser et ces nouvelles lois ne font qu'aggraver cette situation. Seuls les fils des éléments de la bourgeoisie bureaucratique peuvent poursuivre leurs études dans le secondaire et avoir une bourse d'études. Le reste, plus de 95 %, sont déversés chaque année dans la rue. En effet, sur plus de 30.000 candidats à l'entrée en sixième, qui se présentent chaque année au concours, seulement moins de 3.000 sont chaque fois déclarés admis, ils sont généralement les fils des ministres, des chefs de cabinet des ministères, des officiers et autres chefs d'agents de la répression. Cette pratique facilite le chômage des jeunes et bien sûr la délinquance. Plus de 80 % de ces jeunes jetés dans la rue ne trouvent pas de travail et n'ont pas non plus les moyens du retour à la terre que le régime leur impose. Ici, le régime préfère dépenser plus d'argent pour s'armer jusqu'aux dents contre les masses, dépenser des milliards pour un soi-disant « empire», acheter des villas, des châteaux à travers l'Europe occidentale et l'Afrique pour ses propres agents, que dépenser de l'argent pour construire des écoles, former des professeurs, etc. Un régime qui prive les citoyens du droit élémentaire à l'information, du droit de circulation, d'opinion, ne peut leur donner le droit d'instruction. L'ignorance a toujours été l'alliée des oppresseurs. C'est pourquoi le [PAGE 53] colonialisme français, effrayé par les luttes incessantes des populations, avait freiné aussi longtemps la formation des cadres politiques et techniques dans ce pays. Le régime de Bokassa ne fait que continuer cette politique. M'baye, un étudiant centrafricain, rentrant du Canada, où il avait fait ses études fut arrêté à l'aéroport. Ses parents ne l'ont plus revu depuis plus de trois ans. Ils ne peuvent aller à la police pour demander à voir leur fils et savoir les raisons de son arrestation. Un tel acte serait un crime de leur part contre le régime. Dans « l'empire de Bakassa » et son maître Giscard, on ne doit pas pleurer ses morts, on ne doit pas s'informer sur les siens, on ne doit pas voir les siens en prison, on ne doit rien dire. En 1974, au mois de février, les étudiants de l'Université de Bangui menaient une grève d'une semaine pour protester contre le renvoi d'un de leurs professeurs accusé lui aussi, de « faire de la politique ». La répression fut brutale, plusieurs étudiants, en particulier responsables de l'A.N.E.C.A. (Association Nationale des Etudiants Centrafricains) de l'Université de Bangui, furent arrêtés, maltraités et ne furent relâchés que quelques jours après.

En Octobre 1975, à la suite des légitimes revendications de ces mêmes étudiants de l'Université de Bangui, pour exiger le paiement non seulement de leurs bourses mais aussi de celles des lycéens et collégiens, le pouvoir eut comme seule réponse la décision de les incorporer dans l'armée néo-coloniale. Beaucoup d'étudiants furent ainsi appelés au service militaire en octobre 1976. Ces étudiants incorporés avaient été l'objet d'attentions particulières dans l'armée. Il est facile de tuer ces jeunes gens, en faisant croire qu'ils sont morts au combat et pour la patrie. La menace permanente sur les étudiants et les professeurs de l'Université, contraints de supprimer certains cours comme ceux de sociologie politique ou de les vider de leur substance, a abouti finalement à la dissolution de l'A.N.E.C.A. en mars 1977. Il faut dire, que l'université mise en place répondait davantage à un souci de prestige qu'à une volonté réelle de former, des cadres politiquement et techniquement conscients. On comprend qu'elle soit devenue le lieu de la reproduction idéologique des couches sociales au pouvoir et que les étudiants conscients s'y opposent. Les étudiants ont refusé à juste titre de se laisser embrigader dans le prétendu Mouvement de « la jeunesse révolutionnaire » du MESAN que [PAGE 54] dirige le sinistre ancien militant de l'U.N.E.C.A. Nzapakomanda. En effet, depuis la création de cette organisation fantoche qui devait préparer la jeunesse à la « proclamation de l'empire », le pouvoir cherche à mettre au pas toutes les organisations d'étudiants centrafricains. C'est ainsi que les fiches d'inscription au MESAN avaient été envoyées en 1977 aux étudiants centrafricains en Suisse. Ces fiches devaient obligatoirement être remplies et renvoyées signées à l'ambassade centrafricaine dans ce pays. Il va sans dire que ces fiches avaient été accompagnées d'une menace de suppression de bourse pour ceux qui oseraient refuser l'adhésion au MESAN. La tentative de créer une section du MESAN à Paris, au début de l'année scolaire 1977, afin de torpiller l'U.N.E.C.A., avait échoué. Le pouvoir de Bangui avait sous-estimé l'expérience de quelque 24 années de cette organisation malgré sa faiblesse actuelle due à la crise que connaissent aujourd'hui toutes les organisations d'étudiants anti-impérialistes.

Mais dans l'ensemble les étudiants centrafricains en France ont brisé cette tentative du pouvoir. L'arrestation de trois étudiants et d'un proviseur condamnés à 10 ans de prison, puis relâchés sur l'intervention de Robert Galley, le ministre français de la « coopération », s'inscrit totalement dans le processus de la chasse aux jeunes et aux intellectuels centrafricains anti-impérialistes, déclenchée depuis quelques années par le pouvoir sanguinaire de la clique de Bokassa et de ses maîtres. Le régime de Bangui devient de plus en plus féroce pour les intellectuels car le nombre de ceux qui ne lui accordent aucun crédit, et à quelque niveau que ce soit, augmente de plus en plus. Seuls les universitaires opportunistes, apprentis valets de l'impérialisme, du social-impérialisme, et les adeptes des nouvelles théories, comme « la théorie des trois mondes », qui servent de béquilles à l'impérialisme aujourd'hui dans son ensemble, peuvent s'accommoder de ce régime, en devenant ses technocrates, ses conseillers béni oui oui, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Depuis quelques mois, le régime de Bokassa qui avait fait supprimer les bourses de six étudiants centrafricains en U.R.S.S., menace de rompre les relations diplomatiques avec l'U.R.S.S. si Brejnev ne lui livre pas les six étudiants centrafricains, responsables de l'U.N.E.C.U.S.S. (Union Nationale des Etudiants Centrafricains en U.R.S.S.). Ces étudiants avaient, selon le pouvoir sanguinaire de Bangui, commis le [PAGE 55] crime de proposer à leurs camarades, au cours de leur congrès, de discuter de la situation politique en R.C.A., de la répression dans ce pays et des formes de lutte à développer dans leur pays. Un agent de Bokassa, étudiant lui aussi, infiltré dans l'U.N.E.C.U.S.S., avait fait son rapport sur les discussions tenues au congrès à l'ambassade de la R.C.A. en U.R.S.S. Au moment où j'écris cet article j'apprends que les Soviétiques, qui avaient préféré donner des bourses à ces étudiants afin de continuer leurs études, ont finalement cédé au chantage de Bokassa. Obligés par leurs intérêts en Centrafrique, les soviétiques ont demandé aux six étudiants de quitter le territoire soviétique. A l'heure actuelle les six étudiants ne savent pas où aller. Ils ne peuvent bien évidemment pas rentrer au pays car ils risquent leur tête.

Les ambassades de « l'Empire de la terreur » sont truffées de mouchards afin de suivre les ressortissants centrafricains. Il est rare de voir un ressortissant posséder un passeport. Il n'est délivré aux centrafricains vivant à l'étranger qu'un laisser-passer renouvelable tous les trois mois, ce qui crée des situations tout à fait incommodes. Le régime traque les intellectuels centrafricains dans le pays, à l'étranger, partout où ils se trouvent. Mais la situation des ouvriers et des paysans dans ce pays est encore pire..

Les ouvriers et les paysans ne connaissent aucun droit, ni aucune liberté

Les ouvriers et les paysans sont les grandes victimes du régime, en particulier ceux de la campagne qui n'ont aucun témoin, aucun moyen de faire parler de leur répression. Ici le silence est la règle d'or. Les préfets et les sous préfets, les maires, les chefs de villages nommés par le pouvoir, les représentants du M.E.S.A.N., le parti unique et leurs nombreux auxiliaires, les gardes... font la loi. Les paysans sont quotidiennement terrorisés, car chaque chefaillon impose sa parcelle de pouvoir, afin d'obtenir de chaque paysan ce que les autres ont déjà obtenu au nom du gouvernement. Les gardes ont ainsi chaussé leurs bottes coloniales. Le préfet, surtout le responsable du M.E.S.A.N., qui joue le rôle de commissaire politique dans le village, s'arrogent tous les droits, voire même un droit de cuissage. Une quelconque réflexion anodine sur ce dernier par les paysans, est immédiatement [PAGE 56] sanctionnée. La sanction peut être l'obligation pour les paysans de travailler les champs des chefaillons, ou la prison allant de 1 an à 10 ans de prison, ou encore le viol des filles et des femmes de ces derniers.

Malgré le mécontentement général des paysans, le système des impôts n'a pas changé. Il est toujours fixé par tête sans tenir compte des revenus des paysans et des ouvriers, par rapport au nombre de personnes qui constituent leurs familles. Les brigades d'intervention financière sont envoyées souvent en brousse pour faire payer les paysans. Elles sont généralement envoyées la veille des marchés du coton ou du café, etc. Elles surveillent la pesée du coton ou du café. Après la pesée, l'agent acheteur qui profite aussi de l'ignorance du paysan, ne remet pas directement aux paysans l'argent du coton mais aux brigades d'intervention financière, au titre de l'impôt. Une partie de cet argent est donnée pour rembourser les engrais, aux représentants des sociétés cotonnières, généralement la C.F.D.T. et le B.D.P.A., sociétés à capitaux privés et publics français, qui organisent la culture du coton et imposent les engrais sous forme de crédits aux paysans. Les paysans, dont les prix de vente du coton ou du café sont généralement inférieurs au montant des impôts à payer ajouté aux prix des engrais doivent s'endetter auprès des commerçants, aussi l'usure se développe-t-elle dans les campagnes et avec elle la paupérisation des paysans.

Le 24 avril 1970, Bokassa avait renforcé les mesures de la collecte des impôts : « les préfets assurent seuls, vis-à-vis du Trésor public, la pleine responsabilité du bon recouvrement de l'impôt personnel numérique. » Depuis le fameux « sacre » qui a coûté cher aux travailleurs et a vidé le Trésor Public, le bruit court à Bangui que chaque ministère doit désormais prélever directement l'impôt afin de couvrir ses dépenses[6]. On se croirait dans les principautés du moyen âge européen. Mais cette caricature de l'histoire n'a pas empêché les impôts forfaitaires sur les paysans d'atteindre 1.510 millions de francs C.F.A. en 1977, alors que les impôts [PAGE 57] sur les bénéfices des sociétés capitalistes n'atteignent que 1.203 millions F C.F.A. et ceux sur les revenus ne sont guère que de 885 millions F C.F.A. Dans le cadre du soi-disant programme de développement qui est en réalité un programme de sous-développement, donc de paupérisation, le pouvoir regroupe par les baïonnettes et les bastonnades les paysans.

Le regroupement des masses paysannes se fait exactement de la même façon que sous la domination coloniale directe. Les villageois qui refusent de se déplacer se font attaquer par les militaires généralement très tôt, à quatre heures du matin, comme au temps des colons blancs : on met le feu souvent aux villages afin de déloger les paysans. C'est ainsi qu'en juillet 1977 dans la Basse-Kotto, des agents de la force publique ont cassé et brûlé les cases des paysans pour les obliger à se regrouper. A Mangala, les paysans ayant refusé les ordres du pouvoir central, les sbires locaux n'ont pas hésité à mettre les chefs de villages en prison, tant que les chefs de villages ne se seront pas soumis aux instructions de « l'opération Bokassa » qui est une nouvelle version de « l'opération police » qui organisait le travail forcé sous la domination directe des colons blancs. Il s'agit pour le régime aujourd'hui de regrouper de force les paysans pour les travaux collectifs, pour la culture du coton, de la roselle, etc. Cette « opération Bokassa » rend comme naguère les cultures industrielles obligatoires. Tout centrafricain âgé de 18 ans à 70 ans, qui n'est pas salarié, doit obligatoirement cultiver le coton ou la roselle. A chaque début de la saison des pluies, la chasse à l'homme et à la femme commence dans les brousses, au nom de « l'opération Bokassa » afin de lancer la culture du coton. Cette culture coloniale ne rapporte rien aux paysans car elle est faite surtout pour payer l'impôt à l'Etat néo-colonial, pour payer les engrais et donner du coton aux sociétés de traite qui appartiennent toutes à la France de Giscard. Il s'y ajoute la carte de santé (500 F C.F.A. par personne), la carte du M.E.S.A.N., et les insignes de « l'Empire de la terreur » que les paysans doivent payer chaque année, sans compter les abus des brigades financières. A Bangui, les populations payent en plus de la carte de santé, de la carte du M.E.S.A.N., l'impôt ordinaire, etc. de multiples taxes dont « l'impôt Bangui », dont le régime est incapable de justifier la destination.

A Bangui, les masses qui vivent dans les quartiers pauvres mais convoités par les gens du régime, subissent comme les [PAGE 58] paysans, les regroupements forcés. En 1973, les habitants des quartiers pauvres ont dû faire face aux commandos destructeurs des quartiers populaires en vue de rendre la ville « propre » pour accueillir le grand syndicat des chefs d'Etats d'Afrique dite francophone, à la conférence de l'O.C.A.M. Un décret demandait aux ouvriers et aux travailleurs des quartiers populaires de rénover leurs cases, sous peine d'emprisonnement. Comme les bas salaires et le chômage ne pouvaient pas permettre aux travailleurs de rénover leurs cases, ils sont allés rénover les prisons avec les rats qui y pullulent, pendant que l'armée détruisait leurs cases. Beaucoup ont réussi à quitter le pays et à se réfugier à l'étranger, surtout au Zaïre, pays voisin. Leur nombre qui dépassait des milliers de personnes avait commencé à inquiéter l'O.N.U., qui avait été obligé d'accorder une aide à Mobutu afin de les accueillir.

Le tribunal permanent siège une fois par semaine pour juger les citoyens « récalcitrants » ainsi, chaque semaine, des dizaines de personnes sont envoyées en prison et des dizaines de têtes données à couper, afin de briser les revendications démocratiques des masses. En effet, au courant des mois de juin et juillet 1976, Bangui a vécu une lutte intense des ouvriers; des grèves ont surgi çà et là dans les usines malgré l'interdiction des grèves et la domination de la direction de l'U.G.T.C. inféodée au gouvernement. La réplique du gouvernement a été, comme toujours, les bastonnades, l'emprisonnement de plusieurs dizaines d'ouvriers. Les peines vont de un an à deux ans de prison. Le jugement en Centrafrique est toujours rapide, expéditif comme au temps de la Gestapo en Allemagne.

L'homme n'a pas de prix, on ne lui accorde aucun pardon, son seul prix c'est d'être abattu. Tous les témoins des jugements expéditifs ne restent jamais en vie longtemps.

Le bruit court toujours à Bangui que tous les ouvriers centrafricains qui avaient participé à la construction du Bunker de Bokassa sous son palais de Bérengo, ont tous disparu depuis des années, les familles n'ont aucune nouvelle. On les aurait fait disparaître afin que le secret du fort de Bérengo ne soit pas divulgué. Le bruit court aussi que Bokassa possède un grand bassin avec deux crocodiles dans sa propriété de Bérengo, qui sont nourris parfois de prisonniers vivants, considérés comme ses ennemis personnels, c'est-à-dire ceux qui critiquent ouvertement le régime. Il est difficile à l'heure actuelle de vérifier les faits. Mais le gouvernement [PAGE 59] de Bokassa devra s'expliquer un jour devant le peuple même si c'est un faux bruit que l'on fait courir afin de décourager les éventuels opposants au régime fasciste.

Non seulement les ouvriers sont bastonnés, emprisonnés, tués, mais lorsqu'ils sont encore en vie ils sont mal payés. Leurs salaires varient de 5.000 à 7.000 F C.F.A. Ils n'ont pas bougé depuis dix ans alors que le coût de la vie connaît une hausse sans cesse galopante. La dépréciation du pouvoir d'achat entre 1973 et 1977 est estimée à 200 %. L'augmentation démagogique des salaires à la veille du « sacre », afin de financer cette mascarade n'a rien changé à l'augmentation du coût de la vie. Les licenciements sont devenus monnaie courante : 800 travailleurs des P.T.T. en 1976, 315 travailleurs de l'A.C.C.F. la même année, sous les conseils des Français venus spécialement de Paris « pour mettre de l'ordre dans le personnel public » du 98e département de la France.

La situation est aussi critique pour les petits fonctionnaires qui restent des mois sans être payés. Avec les ouvriers de la fonction publique, ils sont en queue pour le paiement de leurs salaires, car à chaque fin de mois, le pouvoir commence d'abord par payer le Président, les ministres, les hauts fonctionnaires, et naturellement les officiers de l'armée, de la police et de la gendarmerie, enfin les bourses des étudiants et les salaires de certains fonctionnaires moyens. Le reste des salariés, doit se serrer la ceinture et attendre au moins six mois pour toucher le salaire d'un mois. C'est ainsi qu'en 1976, un instituteur venu de la brousse pour réclamer ses salaires, avait eu le courage de demander à rencontrer Bokassa afin de lui montrer ses bons de caisse impayés de puis six mois. Il fut reçu par Bokassa qui lui déchira les bons de caisse et les lui lança à la figure, en lui disant que « ses ancêtres ne connaissaient pas l'argent et qu'il peut bien travailler sans argent pour son pays ». Après, l'ordre fut don né aux sbires de le mettre hors du palais, on n'a plus revu le courageux instituteur... Mais il n'est pas le seul, des petits commerçants centrafricains dont les affaires ploient sous les patentes qui profitent aux commerçants blancs, mais qui en outre voient leurs marchandises raflées par les sbires sans être payées, se retrouvent aussi en prison lorsqu'ils vont se plaindre au commissariat. Dans tous les pays du monde, la police et l'armée assurent les intérêts des classes dominantes. Mais s'il y a un pays au monde où cela est fait ouvertement [PAGE 60] et avec beaucoup d'arrogance et sans aucun respect des droits les plus élémentaires de l'homme et de la femme, c'est bien en Centrafrique, devenue « l'Empire de la terreur ». Ainsi, chaque jour, des personnes disparaissent, chaque jour les prisons se remplissent. Que ceux qui ne manquent jamais de citer « l'Archipel du Goulag » de Soljénitsine pour faire peur aux masses qui combattent pour le socialisme et le communisme, dans les pays capitalistes et les pays dominés, aillent faire un tour dans les prisons d'un Bokassa. Derrière les contrats sur la production de l'uranium gît un Goulag. On tue, on viole, on pille, au nom de la société « libérale ». Dans ce pays même les cadeaux offerts au peuple les jours de fête sont macabres. En 1971, à l'occasion de la fête des mères, plusieurs prisonniers accusés d'avoir tué leur femme, leur mère, leur fille, ont été exécutés. C'était en fait un prétexte pour éliminer certains rivaux emprisonnés, mais aussi pour faire un peu de place dans les prisons pour les nouveaux prisonniers. En 1972, c'est devant toute la population de Bangui réunie : enfants, adultes, vieillards, femmes et hommes, que furent exposés sur la « place de l'Indépendance », des jeunes gens accusés de vol, à qui on avait coupé les oreilles après avoir été bastonnés par Bokassa et sa garde. Trois jeunes parmi les 46 chômeurs sont morts à la suite de ces atrocités. Un médecin français, « coopérant », n'avait pas manqué de coopérer avec Bokassa pour faire tomber les oreilles des voleurs. Bonne coopération que celle que les peuples noirs d'Afrique ont avec la France...

Le décret du 29 juillet 1972 pris à l'encontre de « voleurs », pour légaliser le « bal fasciste néocolonial », qui rappelle celui de Bambio, qui hantait l'esprit d'André Gide dans ses récits des atrocités des blancs dont il a été témoin au cours de son voyage en Oubangui en 1926, stipule :

    I) le voleur aura une oreille coupée dès l'arrestation à la suite du premier vol;
    II) l'autre oreille sera amputée après le deuxième vol;
    III) la main droite sera amputée après le troisième vol
    IV) le coupable qui ne peut par ailleurs bénéficier d'aucune circonstance atténuante subira en outre une peine de 5 ans d'emprisonnement ferme. Et le recours en grâce est refusé.

Le vol, le banditisme, en développement, qui sont le fait du régime néocolonial en général et plus particulièrement [PAGE 61] celui du régime fasciste de Bokassa ne peuvent justifier un tel décret qui relève du moyen âge. Seules, l'expression spécifique du fascisme dans ce pays et la colère des masses qu'elle provoque, peuvent expliquer ce décret moyenâgeux. Il s'agit de donner une couverture légale, fût-elle superflue ou ridicule, aux actes anti-démocratiques afin de nettoyer les villes des jeunes chômeurs, surtout à l'arrivée des grands chasseurs impérialistes, tels Giscard, Michel Droit, Marc Penchenard, le messager personnel de Giscard auprès de Bokassa, et leurs compères Fiorenza, Ballansat, tous Français, qui organisent la chasse dans ce pays.

La loi sur « l'oisiveté » mentionnée plus haut, n'avait pas été jugée suffisante par le régime, car elle jouait finalement contre les autorités elles-mêmes. En effet, on ne peut lutter contre l'oisiveté sans donner du travail à ceux qui veulent travailler. Il fallait donc compléter cette loi par ce décret sur les prétendus voleurs plus efficace, pour emprisonner les chômeurs. Mais depuis que le décret contre les prétendus, voleurs existe, on n'a pas coupé les oreilles des hauts fonctionnaires, à commencer par Bokassa qui se livre au vol des deniers publics et au racket chez les paysans et les ouvriers. On chante au contraire les louanges des bourreaux et leurs maîtres sur toutes les ondes.

En 1974, ce décret fut étendu aux receleurs. Il s'agit ici de « légaliser » les nombreuses arrestations des personnes qu'on peut facilement accuser de recel lorsqu'une affaire éclate.

En 1975, le système pénitencier avait été perfectionné. L'Hôpital Central de Bangui ne peut plus contenir les prisonniers bastonnés que l'on amène mourants, par conséquent le système pénitencier interdit aux prisonniers malades d'être transférés à l'hôpital, sauf autorisation spéciale qui ne pourra être accordée que par le Président lui-même. L'Etat, depuis cette date, ne supporte plus les dépenses des établissements pénitentiaires, dans tout le pays. Les prisonniers doivent eux-mêmes pourvoir à leur entretien. Ce sont donc les parents des prisonniers qui doivent les nourrir. Etant donné que les prisonniers qui sont encore valides sont mobilisés chaque jour pour travailler dans les domaines publics et les domaines privés des ministres et des préfets, ils ne peuvent produire pour eux-mêmes. Il s'ensuit que ceux qui sont rendus invalides par la torture et les bastonnades et ceux qui ont des parents éloignés, ou dont les visites sont [PAGE 62] interdites, meurent de faim selon les témoignages des rares personnes qui sont sorties de prison. Les prisonniers affamés malades sont entassés dans de petites cellules infestées de rats, de cafards géants, de lézards, de moustiques, de mouches que les excréments des prisonniers attirent. Les prisonniers vivent et mangent sur leurs excréments comme des bêtes. Beaucoup sont devenus aveugles et paralysés, à cause de la situation qui leur est réservée.

Les cadavres des prisonniers ne sont enlevés par le service de la morgue qui dépend de l'armée depuis le coup d'Etat militaire, que lorsque l'odeur des cadavres commence à se répandre partout et jusqu'aux gardiens. En attendant, les prisonniers vivent avec les cadavres de leurs camarades.

Les décès des prisonniers bastonnés, torturés n'attirent pas l'attention des populations surtout dans la capitale, car le commandant Ngondo, directeur de la prison centrale de Bangui et son adjoint, ont trouvé un moyen efficace de dissimuler certains cadavres. L'adjoint est un allemand qui serait un ancien de la Gestapo émigré au Congo dit belge, après la deuxième guerre mondiale et qui se cache en Centrafrique depuis des années. Il a apporté le génie de la Gestapo en la matière. Il faut bien que l'Afrique se dote aussi de cette technique macabre qui est celle de la torture et de l'assassinat, moyen efficace d'une certaine coopération euroafricaine. A ce niveau le transfert de la technologie des pays capitalistes vers les pays dominés se fait sans problème.

En effet, comme l'hôpital se trouve à quelques pas de la prison, une communication a été aménagée dans l'enceinte qui les sépare. Les cadavres des détenus, lorsqu'ils ne sont pas jetés directement dans le fleuve, passent par cette enceinte à l'hôpital. Les médecins sont tenus alors de les compter comme malades, morts sur les tables d'opération. Il est par ailleurs interdit aux familles des prisonniers de pleurer leurs morts, et d'avoir des réactions susceptibles d'attirer l'attention des populations dans les quartiers. Un accident, une faute involontaire qui touche un élément du pouvoir sont considérés comme un crime. C'est ainsi que le chauffeur de Bokassa avait été bastonné à mort parce qu'un pneu de la voiture de Bokassa où se trouvait Bokassa avait crevé. C'est aussi le cas de la jeune centrafricaine accusée d'avoir mal coiffé Catherine, une des nombreuses femmes de Bokassa, qui fut bastonnée, violée puis envoyée en prison pendant deux semaines. [PAGE 63]

Quelles informations et quelles organisations en Centrafrique ?

Il est bien entendu qu'il est interdit aux personnes, aux mass-média, aux organisations locales de parler de ces crimes. D'ailleurs, les seuls journaux qui existent sont ceux du pouvoir, qui se contentent de rappeler à l'ordre, et de vanter le « mérite » du sanguinaire Bokassa. Tous les journaux français et d'autres, même les plus réactionnaires, sont interdits. Les seules nouvelles données sont celles qui concernent les déplacements des membres du gouvernement surtout ceux de Bokassa, celles qui concernent aussi les sports en R.C.A., en Afrique et en France. En R.C.A. on connaît aussi les déplacements de Giscard. Quant aux événements politiques dans le monde, les centrafricains les ignorent. Ils n'ont aucun droit à l'information. L'écoute fréquente de certaines radios étrangères est souvent considérée comme un délit, exactement comme en Afrique du Sud. Pour qui les pays dominés revendiquent-ils à l'O.N.U. le droit à l'information ? Dans un pays dominé comme la Centrafrique, même les journaux tels que « Jeune Afrique », « Afrique-Asie », « Le Monde », etc., dont on connaît bien ce qu'ils valent et ce qu'ils défendent, sont souvent interdits. La radio, la télévision installée pour le prestige répètent à longueur de journée et chaque jour les mêmes déclarations du sanguinaire Bokassa. Une déclaration peut être répétée pendant deux ou trois semaines, voire un mois, attendant une prochaine déclaration. Les seules organisations qui existent aujourd'hui sont celles qui permettent au gouvernement de quadriller et d'embrigader les masses. Il s'agit de l'U.G.T.C. dont Bokassa se dit Secrétaire, de l'U.N.I.J.C. (Union de la Jeunesse Centrafricaine, créée récemment afin d'amener les jeunes à soutenir le régime fantoche). Sa création a été à l'origine de la dissolution de l'A.N.E.C.A., et de la menace des organisations des étudiants centrafricains à l'étranger, l'U.N.F.C.A. (Union nationale des femmes centrafricaines) dont le rôle consiste à mobiliser les femmes pour les festivités des néonazis au pouvoir. Beaucoup de femmes ayant pris conscience de ce rôle refusent de se laisser embrigader dans cette organisation à la solde du régime, qui les viole quotidiennement. En effet, dans ce pays, lorsqu'une femme veut voir un parent [PAGE 64] emprisonné, elle doit se faire violer d'abord par les bourreaux de ce parent, elle est constamment violée par ces mêmes bourreaux lorsqu'elle est elle-même emprisonnée. Pour trouver du travail, elle doit être violée par son nouveau patron centrafricain ou expatrié qui refuse parfois de lui donner le travail une fois satisfait. Malgré le holà du sanguinaire en 1971, qui est le premier à traiter les femmes ainsi, la situation demeure infernale pour les femmes. Mais les femmes qui ont souffert davantage de la colonisation et qui portent encore aujourd'hui tout le poids de l'exploitation et de la répression ne manquent jamais de réagir comme elles l'ont souvent fait pendant la colonisation directe. C'est le cas de cette institutrice qui avait demandé à donner son avis sur la politique du gouvernement à la radio et que le régime a fait disparaître. C'est aussi le cas de cette paysanne qui avait eu le courage de prendre la parole dans une réunion où Bokassa était présent et qui avait dénoncé le régime « qui fait couler le sang chaque jour ». Elle a disparu depuis ce jour, et avec elle son mari. Nombreuses sont les paysannes qui refusent de cultiver le coton qui ne leur rapporte rien. Nombreuses étaient les femmes, petites commerçantes, oui avaient déclenché une grève des petits commerçants en 1973, malgré l'interdiction des grèves dans ce pays, afin de protester contre le prix de vente dérisoire fixé par le ministre du commerce qui était alors Lakoué, autre universitaire, qui a retourné aussi sa veste de militant anti-impérialiste.

La liste des crimes du régime de Bangui est très longue. Je ne peux l'épuiser dans le cadre de cet article. Je n'ai fait que relater certains faits plus ou moins connus de tout le monde à Bangui et par certains étrangers. Mais d'autres faits plus graves restent à dévoiler. Il faudra des études et enquêtes poussées au risque de quelques têtes pour les mettre à jour, car un régime de terreur comme celui-ci utilise tous les moyens pour cacher ses forfaits. Il amène les citoyens à ne rien voir, à ne rien entendre, à ne rien dire. Seulement un jour, le peuple dira tout car il avait tout vu et tout entendu. Mais d'ores et déjà, on peut se poser cette question : à qui profitent les forfaits connus ou non connus, ou à qui profite la violation des droits démocratiques les plus élémentaires, des droits élémentaires de l'homme et de la femme centrafricains ? [PAGE 65]

A qui profitent les crimes du régime de Bokassa ?

Les crimes des fascistes d'hier comme d'aujourd'hui, dans tous les pays à régime fasciste, ne sont pas gratuits. Il ne s'agit pas de crimes de folie de tel ou tel individu, qui devient assassin une fois au pouvoir, même s'il arrive que ce soit le cas. Mais il s'agit de tout un système social fondé sur l'exploitation des hommes et des femmes par les hommes et les femmes, qui profite à une minorité d'hommes et de femmes. Les crimes de Hitler et d'autres fascistes en Allemagne profitaient aux grands capitalistes allemands et à d'autres réactionnaires représentés par la société Krupp et d'autres sociétés capitalistes allemandes. Les crimes de Pinochet aujourd'hui au Chili profitent aux capitalistes américains et chiliens qui avaient fomenté le coup d'Etat militaire contre le pouvoir populaire que dirigeait Allendre. Les crimes contre les peuples noirs d'Afrique du Sud, de la Namibie, du Zimbabwe, profitent aux anciens nazis, compagnons de Hitler, réfugiés dans ces pays, et aux capitalistes américains, anglais, allemands, français (au père de Giscard notamment, directeur de la plus puissante banque de Namibie). Les crimes d'Amin Dada profitent aux capitalistes anglais qui l'ont porté au pouvoir et qui veulent faire croire aujourd'hui qu'ils le renient. Les crimes du Chah d'Iran et de Pak Jeung Hi de la Corée du Sud profitent à cette même horde de capitalistes qui cherchent toujours à dominer le monde. Les crimes de Bokassa et de sa clique n'échappent pas à cette règle. La forêt de la personnalité de Bokassa, de ses lubies, de sa mégalomanie, ne saurait cacher l'arbre de la société des criminels qui dominent encore ce monde et qui se cachent derrière la « coopération internationale ou bilatérale », ou derrière des spéculations sur la démocratie et les libertés. C'est à l'impérialisme français en premier lieu que profitent les crimes de Bangui, puis à ceux, qui d'une manière ou d'une autre, soutiennent ces crimes. Le gouvernement français a été et est toujours aujourd'hui avec ses Valets locaux le premier responsable des crimes, en particuliers les présidents et les ministres français et leurs agents qui parcourent les pays d'Afrique dite francophone. Ce sont eux qui plongent chaque jour dans le sang les libertés démocratiques, même les plus élémentaires en Centrafrique comme dans d'autres pays néocolonisés d'Afrique. Pourquoi le [PAGE 66] premier geste de Bokassa, après le coup d'Etat du 31 décembre 1965, fut-il de se présenter dès l'aube du 1er janvier 1966, à l'Ambassade de France pour demander à l'ambassadeur ce qu'il avait maintenant à faire, le coup d'Etat ayant réussi ! Sans les nombreuses victimes qui n'avaient rien à voir avec le gouvernement corrompu de Dacko, on serait tenté de parler d'un simulacre de coup d'Etat, car De Gaulle, les impérialiste français, leurs agents, Foccart et sa suite, malgré leurs contradictions internes, d'ailleurs non antagoniques, ne pouvaient faire un coup d'Etat contre eux-mêmes. Ils voulaient tout simplement mettre un régime militaire à la place du premier. Les bavures de ce changement avaient donné lieu à un coup d'Etat.

En effet, la France avait besoin d'un pouvoir militaire capable de venir à bout du mécontentement des paysans et des luttes syndicales des travailleurs urbains, qui se développaient sous le régime corrompu de Dacko, que la France elle-même avait hissé au pouvoir; et puis, la présence de la Chine Populaire et des pays de l'Est, inquiétaient sérieusement de Gaulle. On comprend qu'il fît envoyer un détachement militaire, en novembre 1967, en renfort au régime de Bokassa qui tombait en lambeaux après un an seulement d'existence. Rappelons quelques termes des accords que Dacko avait signés avec la France à la veille de ce que l'on appelle aujourd'hui par commodité Indépendance.

Les articles 3 et 4 de l'accord de défense entre la France la R.C.A. et le Tchad en août 1960 stipulent « ... en particulier afin de permettre à la République Française d'assumer ses responsabilités dans la défense commune et à l'échelle mondiale (sic), la R.C.A., la République du Tchad, reconnaissent aux forces armées françaises la disposition des bases qui leur sont nécessaires ». Dans l'annexe 3 concernant les matières premières et produits stratégiques, on peut lire ce qui suit : « article 4... les signataires accordent à la République Française une préférence pour l'acquisition du surplus des besoins de leur consommation intérieure de matières premières et de produits stratégiques et s'approvisionnent par priorité auprès d'elle en ces matières et produits ». Concernant l'accord sur l'assistance militaire technique entre la France et la R.C.A., l'article 11 stipule : « La R.C.A. s'engage à ne faire appel qu'à la République française pour l'entretien et les fournitures ultérieurs des matériels et équipements destinés à ses forces armées ». Il faut noter que la délégation [PAGE 67] centrafricaine qui avait signé ces accords était conduite par le gouverneur français de l'Oubangui-Chari qui avait fait éliminer tous les progressistes centrafricains, et qui s'était rapidement métamorphosé avec l'indépendance du territoire, en ambassadeur de France en R.C.A., nouveau nom donné à ce territoire. C'était lui qui avait dicté au jeune valet Dacko, ce qu'il fallait faire. Ainsi, des Français signaient au nom du peuple centrafricain avec la France, « l'indépendance » d'un pays nègre. On s'était moqué du peuple centrafricain car c'était une fraction de la bourgeoisie française installée dans ce pays, qui avait signé des accords sur les nouvelles conditions de la domination du pays, avec la fraction métropolitaine de la bourgeoisie française. En tout cas, seuls ceux qui ignorent les diktats de Hitler aux pays qu'il avait conquis, peuvent imposer de tels accords à d'autres peuples. Et pourtant, en ce qui concerne la France, il y avait eu occupation de la France par les Allemands, il y avait eu de Gaulle, il y avait eu le fameux appel de Londres, il y avait eu les Divisions du Général Leclerc venues du Tchad et qui drainaient les nègres des colonies d'Afrique pour venir libérer la France des bottes des Allemands, il y avait eu les nègres qu'on mettait devant le feu des ennemis nazis allemands, italiens, etc. pour couvrir les soldats blancs. Il y avait eu tout ça, mais on avait vite oublié en France, à droite comme à gauche. Tant pis pour les nègres sauvages!

Après l'envoi du renfort militaire par de Gaulle au régime de Bokassa, on précipita les accords sur l'exploitation de l'uranium. On somma Bokassa de rejoindre l'Union Douanière de l'Afrique Centrale (I'U.D.E.A.C.), officine créée par la France dans le but de contrôler ses anciennes colonies dans cette région, que Bokassa menaçait de quitter au profit d'une nouvelle union avec le Zaïre et le Tchad (Union des États d'Afrique Centrale) créée de toutes pièces par l'impérialisme américain. Le régime de Bokassa s'était ainsi renforcé et pouvait commettre à nouveau ses crimes contre les masses. Bokassa, quoiqu'on en dise, est soutenu mordicus par tous les présidents français qui se sont succédé depuis douze ans sans oublier les tortionnaires itinérants tels Foccart et les autres que les gouvernements français déversent dans les pays d'Afrique dits francophones, afin d'organiser l'intervention militaire de la France comme au Tchad, au Cameroun contre l'U.P.C., au Gabon, au Zaïre et en Mauritanie en ce moment, etc. En 1970, inquiété par son valet [PAGE 68] Bokassa, qui non seulement avait expulsé les « coopérants » français qui sont revenus quelques mois après avec de nouveaux titres, mais multipliait de nouveaux accords avec les pays de l'Est, surtout la Roumanie, Pompidou décida d'envoyer, avec un cadeau personnel pour Bokassa, Yvon Bourges, un ancien de la Coloniale, actuel ministre de la Défense française et le cerveau des bourreaux des peuples africains, Foccart, afin de remettre de l'ordre et de limiter les écarts du valet de Bangui. En effet, la Roumanie était intéressée par les ressources minières de la R.C.A., qui est la chasse gardée de l'impérialisme français. La Roumanie aurait accepté d'étudier les conditions de la construction du chemin de fer Bangui-Douala, ce qui devait inquiéter les sociétés françaises qui ont le monopole des transports routiers et fluviaux et des constructions de routes en R.C.A., mais aussi le gouvernement français qui tient à l'uranium de ce pays. On comprend que le gouvernement de Pompidou ait mis en garde les Roumains.

Mais chaque fois qu'un président français renforce les liens de la France capitaliste avec les valets locaux, après des contradictions entre eux, dues aux manœuvres d'autres grandes puissances impérialistes ou aux revendications de miettes plus substantielles de ses valets, le régime de Bangui devient plus impitoyable pour le peuple. Les vagues d'arrestations des travailleurs et des lycéens pendant cette période qui devaient aboutir aux bastonnades des « voleurs » en 1972, s'inscrivaient dans ce processus.

Bokassa sait bien qu'il est mis au pouvoir pour protéger les intérêts des occidentaux, surtout des Français, contre les intérêts des masses et pour lutter contre le communisme; lui qui avait été envoyé pour combattre le communisme au Vietnam, se rappelle bien des actes impérialistes contre le communisme. Mais ses maîtres se rappellent-ils de leur défaite de Dien Bien Phu, où leurs généraux avaient pris la fuite, leurs fonds de culottes arrachées par les balles des vietcongs ? Se rappellent-ils un peu de la guerre d'Algérie ? Il ne le semble pas. Bokassa dit la vérité lorsqu'il déclare comme en 1972 que « la France et la R.C.A. sont deux Etats qui ne forment qu'un et dont la capitale est Lille qui a vu naître le Général de Gaulle ». Les Centrafricains ne sont pas indépendants et n'ont aucun droit, ils n'ont jamais été indépendants depuis que les capitalistes blancs ont mis les pieds sur leur terre. Ces capitalistes blancs ne repartiront jamais [PAGE 69] d'eux mêmes. Les autorités françaises dirigent toujours de Paris la R.C.A., comme la Bretagne, la Corse, avec la différence que cela entraîne en R.C.A. des massacres dignes d'un Hitler.

Au lendemain du coup d'Etat manqué du trois février 1976, Giscard envoya un conseiller privé à Bokassa, et sur son intervention personnelle, un Français emprisonné à Bangui fut libéré tandis que le système pénitencier se renforça pour les nègres. L'ambassadeur de France à Bangui et l'envoyé personnel de Giscard aidés des barbouzes françaises se mirent au travail. Le résultat de ce travail avait donné le trois décembre 1976, « la Déclaration de l'Empire » qui fut adoptée le 4 décembre par le « Congrès » du M.E.S.A.N. Cette déclaration fut appréciée par tous les milieux d'affaires de Bangui et des sociétés françaises ayant des rapports avec la R.C.A. Le prétendu « Conseil de la Révolution Centrafricaine », autre manœuvre des autres puissances étrangères, créé quelques mois avant et inspiré du régime de Kadhafi, fut immédiatement dissous. Rappelons que Giscard fut le premier Chef d'Etat au monde à envoyer un message pour féliciter Bokassa à l'occasion de la proclamation de « l'Empire ». Et déjà certains journaux français, par des articles complaisants à l'égard de Bokassa, apportaient la preuve que la France était bel et bien le véritable instigateur de cette mascarade. C'est ainsi que le « Parisien Libéré » du 24 décembre écrivait : « A l'heure où d'aucuns croient plaire aux foules en sacrifiant démagogiquement les traditions et le passé de la France, c'est à ces traditions, c'est à son passé que l'Afrique se réfère. Ceux qui ont poussé le continent noir dans une décolonisation hâtive, pour mieux le couper, notamment, de la France, constatent qu'il recherche aujourd'hui, dans le passé de la France, les formes et les moyens d'une stabilité nouvelle... Contrairement aux opinions professées par les tenants du « dépoussiérage d'étiquette », les peuples ont besoin des signes de la grandeur et de la puissance. Les jeunes plus encore peut-être que les autres. Il était naturel que cet ancien sous-officier, puis officier français se tourne vers les grands moments de l'Histoire de France pour créer Cette grandeur et cette puissance en Afrique. N'est-il pas touchant, cependant, qu'il choisisse de porter la couronne de Napoléon, inspirée elle-même de celle de Charlemagne, pour implanter son pouvoir au cœur de l'Afrique ? ».

Quel enfant ne pourrait-il pas rire de cet article ? L'auteur [PAGE 70] de cet article qui a l'air de prendre les Africains pour de grands enfants n'en est-il pas un lui-même ?

Giovanni Léoni, l'organisateur du terrorisme d'Etat en Italie, fut le deuxième Président à féliciter Bokassa. Les autres chefs d'Etat de l'Occident et des pays de l'Est, ayant trouvé un peu grossières les manœuvres de Giscard, se sont abstenus de toute déclaration officielle, mais ceux dont les pays ont des intérêts en R.C.A. ont félicité discrètement et par voie diplomatique le sanguinaire de Bangui. Il faut dire que beaucoup de chefs d'Etats dans le monde, ne peuvent pas prétendre descendre de Louis XV comme Giscard qui semble vouloir refaire l'histoire de la France par les Africains, afin de se rappeler ses origines. Ce qu'il ne peut demander au peuple français, puisque celui-ci a déjà donné sa réponse en faisant couper la tête de Louis XVI. Le sabre napoléonien envoyé à Bokassa n'est là que pour témoigner des désirs et des nostalgies de Giscard. Sinon, il se moque alors du peuple centrafricain et de tous les peuples noirs d'Afrique. Mais il y a mieux que les sentiments qui animent le président français, ou les chasse qu'on organise dans ce pays pour lui. Ce que Giscard défend réellement par les crimes dans ce pays et dans les autres pays africains, ce sont les intérêts des capitalistes français et en particulier les capitaux de la dynastie giscardienne. En effet, le père de Giscard est lui-même le directeur de la plus grande banque de Namibie qui a des filiales en Afrique du Sud. On comprend ainsi les liens étroits du président Giscard avec les racistes et fascistes d'Afrique du Sud. Un des grands amis français du président, Jacques Médecin, le Maire de Nice, qui a jumelé sa ville avec la ville du Cap en Afrique du Sud, a été chargé par ce dernier de promouvoir le tourisme français en Afrique du Sud. Les Giscard sont donc étroitement liés avec les racistes et anciens nazis d'Afrique du Sud, ils sont les ennemis des peuples noirs. Ils ont des capitaux dans les mines de cuivre au Zaïre, les mines de fer en Mauritanie, dans l'uranium en R.C.A., au Niger et dans les autres pays d'Afrique, Gabon, Côte d'Ivoire, Cameroun... La chasse n'est donc pas la seule raison des nombreux voyages des cousins de Valéry en Centrafrique. Il y a des intérêts familiaux, ceux des autres capitalistes français et enfin la défense de l'Occident en général. Jacques Giscard, le cousin, était Secrétaire de la Caisse Centrale de la Coopération Economique, cette caisse noire du gouvernement français qui lui permet d'accomplir ses besognes [PAGE 71] en Afrique; elle lui permet de payer les bourreaux locaux et les agents français, elle lui donne les moyens financiers d'intervention militaire en Afrique sous la couverture de la coopération, enfin elle lui permet de financer les sociétés françaises installées dans les pays africains. Jacques Giscard est aujourd'hui directeur du C.E.A. et à ce titre, dirige personnellement l'extraction de l'uranium de Bakouma en R.C.A. et celle du Niger. C'est depuis bientôt 17 ans que la France extrait l'uranium de Bakouma; un avion militaire français descendait souvent directement et sans autorisation à Bakouma pour apporter de l'uranium en France. Les Français faisaient croire qu'il s'agissait alors d'échantillons pour des essais, des expériences afin de déterminer un procédé propre pour l'extraction de cet uranium. Ainsi des tonnes d'uranium ont été transportées en France durant 17 ans « pour essai ». Aujourd'hui l'uranium centrafricain est officiellement entre les mains de l'U.R.C.A., une société qui n'est centrafricaine que par le nom et qui est dominée par des sociétés françaises (C.E.A. et C.F.M.U.) et une société suisse (Alusuisse).

Un autre cousin, François Giscard, est directeur de la Banque Française du Commerce Extérieur. Il a la main longue aussi dans les économies africaines. Il est le grand ami de Bokassa qui l'avait élevé au grade de commandeur de « l'ordre de l'opération Bokassa », c'est-à-dire commandeur de l'ordre des assassins, section Centrafrique.

En Centrafrique, toute l'économie nationale est ainsi dominée par des Français, car l'impérialisme français contrôle plus de 75 % des entreprises industrielles, commerciales et bancaires du pays.

En effet en 1975-1976, sur 414 entreprises de type capitaliste, employant au moins 5 personnes, 66 % étaient d'origine française; dans le secteur agricole, sur 93 entreprises, 64 appartenaient aux capitaux français soit plus de 70 %. Dans le domaine forestier, sur 11 entreprises, 9 étaient françaises. Dans le secteur commercial, sur 106 sociétés, 67 étaient françaises, soit plus de 63 % du total. 90 % des banques étaient d'origine française, et 100 % des compagnies d'assurances étaient françaises. Dans les secteurs du bâtiment ,et des travaux publics, sur 23 entreprises, 19 étaient françaises, soit plus de 82 % du total. Dans le domaine des échanges extérieurs, 56 % des exportations de la R.C.A. étaient destinées à la France; tandis que 57 à 60 % de ses importations [PAGE 72] provenaient de ce même pays. Cette domination de l'économie Centrafricaine ne manque pas d'exposer le pays aux aléas de la crise économique française. Les aides de la France à ce pays sont données pour aider ses entreprises et payer les sbires locaux, elles ne sont nullement données au peuple Centrafricain. C'est au contraire ce peuple qui aide de capitalisme français par la misère que ce dernier lui impose. Le versement chaque été par la France d'une rallonge budgétaire au Trésor Centrafricain, permet à l'impérialisme français de payer les militaires, les policiers et les gendarmes qui sont chargés de maintenir les paysans, les ouvriers et les autres travailleurs sous la domination impérialiste; il permet aussi de payer quelques fonctionnaires mécontents, mais cela ne va pas loin. On peut dire que la fête organisée par Giscard et Bokassa le 4 décembre 1977, qu'on a appelée « le sacre de Bokassa » relève de ce processus. Elle s'inscrivait dans la politique d'ensemble du gouvernement de Giscard, qui voulait à la veille des élections législatives donner des moyens aux petites et moyennes entreprises françaises à l'intérieur comme à l'extérieur victimes de la crise économique. En effet, le « sacre » avait trois fonctions : économique, politique et idéologique.

La fonction économique s'inscrivait directement dans la politique économique d'ensemble du gouvernement de Giscard, à la veille des élections législatives; en effet plusieurs petites et moyennes entreprises, touchées par la crise ou la concurrence, étaient sur le point de déposer leurs bilans, ce qui aurait eu pour conséquence d'augmenter le nombre des chômeurs. On sait que le gouvernement de Giscard avait offert des subventions à ces sociétés, taxées de subventions électoralistes par la Gauche. La fête macabre de Bangui avait donc le même but sur le plan économique et social, elle avait permis aussi à certaines entreprises françaises d'exporter et à celles qui se trouvent en R.C.A. de lancer des commandes en France. Le voyage de Giscard en Côte d'Ivoire accompagné de plusieurs industriels, fait partie de cette politique d'ensemble. Bokassa n'avait fait que bénéficier tout comme Giscard d'une commission sur les milliards donnés par le peuple Centrafricain, le gouvernement français, les entreprises locales, l'Afrique du Sud et la Corée du Sud. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la liste des commandes occasionnées par cette fête pour se rendre compte du but conscient ou inconscient de l'opération. Cela peut paraître moins important [PAGE 73] par rapport à l'ensemble des entreprises françaises, mais c'est un élément de la politique économique capitaliste de la France, qu'on ne peut écarter, comme l'avaient fait certains journalistes. Rappelons qu'il y avait d'après les journaux français 40 camions Berliet, 200 voitures dont 58 Renault, 55 Mercédès, une Peugeot de luxe, 75 motos BMW, 100 tonnes d'aliments, 140 tonnes d'alcool et de vin dont 40.000 bouteilles de vin et 24.000 bouteilles de Champagne, 1,5 tonnes de petits fours, 300 réfrigérateurs (45 tonnes au total), 200 cuisinières (6 tonnes), 420 tonnes de mobiliers; 5.100 uniformes de parade ont été confectionnés en France, 100 tonnes de fusées pour le feu d'artifice, 25.000 fleurs, 3.000 roses et 100 arbustes dorés, 2.500 mètres de verdure, 200 à 300 pains de glace, 35 chevaux, sans oublier le prix payé aux transporteurs français. En Centrafrique même, tous les citoyens ont été obligés de s'habiller de neuf de la tête aux pieds auprès des entreprises françaises locales. On voit donc que nombreux étaient les entreprises commerciales, les entreprises de production et les artisans français intéressés par cette fête. Des milliers de travailleurs français y ont aussi trouvé leur compte, surtout ceux qui étaient envoyés à un titre ou à un autre en Centrafrique pour organiser et installer le matériel de la fête. Les journaux qui aiment les nouvelles à sensation y ont trouvé leur compte aussi; car tous, de droite ou de gauche, ont parlé chaque jour et pendant deux semaines de cette fête macabre. Les journalistes ont ainsi réveillé les sentiments fascistes des Français qui se sont rués sur les journaux, ce qui a permis de gros tirages. Il suffit de se rappeler aussi la bagarre qui a eu lieu entre Elkabbach, journaliste à Antenne 2, et les journalistes de TF 1, pour avoir le monopole de retransmission du « sacre ». Cela rapporte gros n'est-ce pas ? Le jour où tous les journalistes français se battront ainsi pour informer correctement le peuple français sur les réalités en Afrique, en particulier sur les massacres organisés indirectement par le gouvernement français, ce jour-là, le peuple français et les peuples d'Afrique auront fait un pas positif dans leurs rapports.

La fonction politique de la fête macabre de Bangui : il s'agissait pour l'impérialisme français et ses alliés de la C.E.E. et de l'O.T.A.N. de montrer aux valets africains menacés par les luttes des masses et l'intervention du socialimpérialisme en Afrique en général, qu'ils entendaient rester les seuls maîtres de l'Afrique, qu'il n'était pas question pour [PAGE 74] leurs valets de se laisser tenter par de nouveaux maîtres, après les menaces des masses. La France, voulait montrer aussi par ce moyen, autre que l'intervention militaire, qu'elle demeurait encore maîtresse de ses anciennes colonies, qu'elle peut en faire ce qu'elle veut, quitte à s'entendre avec ses alliés ou à tolérer certaines présences des pays de l'Est. On peut dire aussi que la fête macabre de Bangui a été un rendez-vous manqué des tyrans du monde capitaliste. Si on ne l'avait pas baptisé « Empire », on y aurait vu le Chah d'Iran, le roi Hassan Il du Maroc, Vorster de l'Afrique du Sud, Giscard de la France, Giovanni Léoni d'Italie, Pak Jeung Hi de la Corée du Sud, Pinochet, Amin Dada, Carter, Mobutu, Ahidjo du Cameroun... Ils ont tous été absents à la fête mais beaucoup ont été représentés, et beaucoup aussi ont envoyé leur participation financière ou policière à la fête. Vorster, par exemple, avait envoyé le 17 novembre, quelques jours avant la fête, 3 milliards de francs C.F.A. de participation. C'est dans la cour de Hassan II que fut organisé le stage des futurs membres de « la cour de Bérengo ». Des conseillers marocains furent envoyés à Bangui pour organiser cette cour. De nombreux policiers en civil, des tireurs d'élite, marocains et français (12), d'anciens GI'S venus des U.S.A. étaient au rendez-vous. Les membres de la D.S.T. française, de la C.I.A.... rivalisaient à Bangui pour protéger les agents anti-communistes contres les masses. Il faut dire que le K.G.B. était aussi présent, car c'est un pays de l'Est, la Roumanie, qui entraîne la police de Bokassa.

La fonction idéologique de cette fête a été démontrée par tous les journaux français et par les quatre heures qui ont été accordées par les antennes françaises à Bokassa. Jacques Chancel et Elkabbach étaient aussi à Bangui, le premier pour réaliser son émission « Radioscopie » où il fit le portrait de l'assassin. Mais au-delà de la personnalité de Bokassa qui était déterminante pour les journaux de droite comme de gauche, c'est l'image des noirs, fabriquée de toutes pièces, puisée dans l'histoire de la colonisation, qu'il faut retenir. On avait voulu réveiller les sentiments racistes des blancs et des français en particulier, afin de masquer les besognes de l'impérialisme français en Afrique, mais aussi de détourner les travailleurs français des réalités de la crise économique française.

A travers le matraquage publicitaire sur le « sacre » et sur la personnalité de Bokassa, aucun journal ni de droite ni de [PAGE 75] gauche, n'a parlé du peuple Centrafricain, sinon en deux ou trois mots; aucun journal n'a réellement montré au peuple français, que 75 % de l'économie Centrafricaine est entre les mains des français et que le peuple Centrafricain vit dans la misère et dans la terreur. On a préféré exciter la haine des contribuables français à l'égard des noirs, car depuis la colonisation on a toujours fait croire aux français que « l'aide donnée aux pays africains » était de l'argent perdu. Or tous les journalistes français savent que l'aide ne sert qu'à subventionner les sociétés françaises installées dans les colonies et qu'elle ne va jamais dans les poches des masses africaines. On serait plutôt tenté de dire que ce sont les français qui bénéficient des miettes de « leur » impérialisme, c'est pourquoi même les partis de gauche ont du mal à dire la vérité aux masses françaises. On a voulu par cette fête présenter aux masses noires et africaines une image humiliante d'elles-mêmes afin d'affaiblir la prise de conscience de leur propre identité et de leur exploitation. Il suffit de lire les journaux qui ont parlé du « sacre » pour s'en rendre compte. Toute une armée de journalistes avaient envahi Bangui pour transmettre cette image. Plus de deux cents journalistes français, sans compter les techniciens de la radio et de la télévision, et les autres journalistes européens, étaient présents à Bangui. On n'avait jamais vu ça en Afrique, même pendant les événements aussi graves que les guerres où les masses et leurs dirigeants étaient en cause : les guerres du Congo, l'assassinat de Lumuba, les luttes anti-colonialistes en Guinée Bissau, l'assassinat de Cabral, le procès de Ouandié au Cameroun... etc.

Cette fausse image de l'Afrique qu'on voulait donner est bien résumée par Hélène de Turckheim envoyée spéciale du Figaro : « ... Bien sûr que, vue de France, une telle fête, une telle magnificence, peuvent paraître étonnantes à l'ère de l'uranium, hors du temps comme disent les empêcheurs de couronnement. Mais pour les Centrafricains, c'est avant tout la fête dont même les outrances font partie du plaisir (sic), une fête à la mesure de l'Afrique grandiose, expressive, colorée, enfantine parfois, mais toujours chaleureuse et gentille, une occasion unique de s'en donner à cœur joie[7], Cette image que donne Hélène Turckheim des noirs est si [PAGE 76] ancrée dans l'esprit des Français que même ceux qui se disent de gauche, sont incapables de la détruire chez les masses françaises; au contraire, ils contribuent à la perpétuer par leurs pratiques. Car lorsqu'il s'agit. de descendre dans la rue pour manifester leur soutien aux camarades victimes du régime fasciste de Franco ou d'un autre régime fasciste, ils sont prêts à le faire, mais lorsqu'il s'agit de l'intervention militaire en Afrique, comme au Sahara contre le peuple Sahraoui ou au Zaïre, ils se contentent des petites questions au gouvernement.

Pire ! ceux qui se disent de l'extrême gauche, comme ceux de « l'Humanité rouge », vont jusqu'à soutenir l'intervention militaire de la France au Zaïre, en invoquant la lutte contre le social-impérialisme et la « théorie des trois mondes ».

Ou encore ceux du journal « France nouvelle » qui se contentent de dire aux Français que les Africains attendent beaucoup des luttes démocratiques en France pour appuyer leurs luttes, alors qu'ils n'appellent jamais le peuple français à manifester contre les interventions militaires de l'impérialisme français dans les néocolonies. « France Nouvelle », hebdomadaire du P.C.F. écrivait en effet au moment du « sacre » :

« La grande majorité de Centrafricains est consciente de la nécessité du changement et sait où situer les responsabilités : chez les quelques dizaines de profiteurs nationaux du régime et chez leurs maîtres et complices de l'étranger, de France surtout. Aussi les plus conscients attendent-ils beaucoup des luttes démocratiques en France pour appuyer les leurs. »

Quand on sait que certains dirigeants de la Gauche descendent facilement dans la rue pour soutenir Israël par exemple contre le peuple palestinien, comme l'a fait Gaston Defferre tout dernièrement à Marseille, ou encore quand on sait que les luttes démocratiques en France mènent souvent certains dirigeants de la Gauche à prendre un thé ou un café venu directement des néo-colonies à l'Elysée, les masses africaines et centrafricaines en particulier ne peuvent que sourire en lisant cet article de France Nouvelle. Mais il est tout de même triste de constater que tout le monde s'accorde, à droite comme à gauche, que les africains ont toujours besoin de quelqu'un qui leur montre la voie, qu'ils n'arrivent pas à trouver eux-mêmes. Les peuples africains ont pu d'ailleurs le constater depuis la colonisation, lorsque la Gauche participait [PAGE 77] en France au pouvoir comme en 1936 et en 1946, et lorsqu'elle se montrait alors plus sévère que la droite à l'égard des luttes populaires dans les colonies.

Le peuple centrafricain sait que son pays est encore comme au début de la colonisation, le babel des truands, des brigands et des impérialistes de tout bord qui pillent toutes ses richesses. C'est encore la zone des requins, la forêt des loups, des lions, des tigres, mais aussi des hyènes qui se contentent de charogne.

En effet, si l'impérialisme français est dominant, d'autres grandes puissances sont aussi présentes en R.C.A. avec toute leur racaille – Bokassa n'est pas seulement entouré de truands français, mais aussi de truands israëliens, libano-syriens, etc., qui profitent des diamants du peuple centrafricain. Les Etats-Unis et leur tête de pont Israël, ont le monopole de l'extraction du diamant centrafricain par les sociétés S.C.E.D., P.I.S.U.A.H., etc., qui ne payent jamais d'impôts à l'Etat centrafricain. Les autres impérialistes : allemands, japonais, britanniques, suisses.... non seulement rivalisent avec la France sur le marché centrafricain, mais possèdent des capitaux dans certaines entreprises de production. L'Allemagne a des participations au capital de la S.I.C.P.A.D. et dans certaines sociétés de bois. Elle avait aussi des participations au capital de la banque nationale de développement qui a disparu.

La Suisse exploite avec la France l'uranium. L'Angleterre finance une usine de transformation du calcaire à Fatima.

Les capitaux grecs, portugais sont représentés par les colonies grecques et portugaises installées dans ce pays. Les grecs détiennent 7,7 % des plantations industrielles de café, les portugais 37,7 % et dominent d'autre part le marché de détail. Les capitaux sud-africains et arabes (Egypte, Koweit, Lybie), sont nouvellement arrivés ces dernières années. Mais depuis 1970, la Centrafrique est marquée surtout par l'évolution de la pénétration du social-impérialisme et de ses satellites. C'est la Roumanie qui encadre les forces de répression, surtout la police. Elle fournit tout le matériel nécessaire (camions, talkies-walkies, armes), et forme les policiers sur place ou en Roumanie. Quelle aide socialiste que celle de former les forces de répression pour un sanguinaire cornme Bokassa !

La Roumanie a des capitaux dans le secteur forestier : 2 sociétés mixtes « Lorombois » et « Scorombois ». La Roumanie avait obtenu que ces sociétés soient dispensées d'impôts [PAGE 78] pendant les cinq Premières années d'exploitation; elle a des capitaux aussi dans le secteur agricole. Les paysans avaient été expropriés chassés de leurs terres qui ont été données aux Rournains pour la production du café et du coton destinée directement aux usines Roumanie.

La Yougoslavie est aussi présente dans le domaine forestier avec la société mixte « Sloveniabois » et dans le secteur de l'énergie avec « Energo Projekt ». Elle détient 4,8 % de la production industrielle du café. L'U.R.S.S., qui est intéressée aussi par le sous-sol centrafricain, a signé plusieurs contrats avec Bokassa sur l'exploitation minière. Elle est aussi présente dans l'enseignement par le personnel d'encadrement, à la faculté des sciences de Bangui. Tout comme la Roumanie, elle se charge, dans le cadre de la division du travail et de l'exploitation impérialiste et social-impérialiste, d'encadrer les forces de répression et les commandos de Bokassa. Les méthodes du K.G.B., comme celles de la C.I.A., ont aussi fait leur apparition en R.C.A.

Tous ces pays, qui se partagent l'exploitation éhontée du peuple centrafricain, sont intéressés par le régime de Bangui qu'ils soutiennent directement ou indirectement. Mais chaque pays ou chaque groupe de pays cherche en même temps à placer les valets centrafricains qui leur sont acquis en premier lieu. En tout cas, aucun n'a dénoncé dans sa presse, le « sacre » de Bokassa ou les pratiques fascistes de ce dernier. Mieux, Kim Il Sung, de la Corée du Nord qui n'a encore aucun intérêt en R.C.A., a cru bien faire en adressant une lettre de félicitations à Bokassa à l'occasion du « sacre » dont le contenu ne peut manquer de choquer tout progressiste africain : « ... le peuple coréen suit les grands progrès que le peuple centrafricain réalise sous la direction de votre majesté dans sa lutte pour consolider l'Indépendance Nationale (sic) et édifier une société nouvelle, il se félicite des relations d'amitié et de coopération entre les deux pays qui se développent bien. » « Je saisis cette occasion pour souhaiter sincèrement à votre majesté de plus grands succès dans son œuvre pour la prospérité et le développement du pays (resic). »[8].

Se moque-t-on du peuple centrafricain ou n'est-ce qu'une formule diplomatique, mais alors quel intérêt pour le peuple, ? [PAGE 79] Les règles diplomatiques ne doivent jamais devenir les moyens d'insulter un peuple, quel qu'il soit. Il y a des limites. Malheureusement la liste des pays qui soutiennent directement ou indirectement le régime de Bangui ne s'arrête pas là. La Chine Populaire qui avait longtemps été pour les peuples d'Afrique et pour le prolétariat africain le bastion de la lutte anti-impérialiste, avec sa voie exemplaire de libération nationale et de transformations socialistes, soutient aujourd'hui ouvertement la politique de Giscard et de l'Europe capitaliste en Afrique, en particulier l'intervention de l'impérialisme français au Zaïre et au Sahara contre le peuple Sahraoui. Elle jette la confusion au niveau du prolétariat et des peuples africains, notamment par sa « théorie des trois mondes » dont l'application consiste à demander aux pays dominés de s'associer avec leurs ennemis immédiats et principaux pour combattre les deux super-puissances et en particulier le social-impérialisme. L'application de cette théorie amène la Chine à décerner des « médailles d'anti-impérialistes et de révolutionnaires » aux valets et bourreaux des peuples africains, qui ont aujourd'hui la permission de leurs maîtres pour découvrir le chemin de Pékin, tel Numeiry le bourreau du peuple soudanais et Bokassa qui a reçu tout dernièrement de Pékin une médaille « de révolutionnaire et d'anti-impérialiste » en plus des nombreuses et véritables médailles d'anti-communiste données par ses maîtres. La Chine n'avait pas besoin d'envoyer une délégation officielle au « sacre » de Bokassa alors que son représentant auprès de la R.C.A. pouvait valablement remplir les exigences de la diplomatie.

L'application de cette théorie a amené la Chine encore tout dernièrement à déclarer son soutien au régime de Bourguiba lorsque celui-ci a fait assassiner au mois de janvier 1978 près de 500 travailleurs tunisiens et blesser près d'un millier d'entre eux.

Les conséquences d'une telle politique ne peuvent qu'être graves pour les peuples et le prolétariat africains, comme il en a été pendant la colonisation directe. En effet cette politique avait déjà été celle du P.C.F. pendant la colonisation, qui demandait aux peuples et au prolétariat colonisés par la France de ne lutter que dans le cadre de l'Union Française afin de ne pas tomber dans les mains de l'impérialisme américain ou anglais.

Dans la majorité des pays colonisés par la France, en particulier [PAGE 80] ceux d'Afrique noire, les masses et surtout la classe ouvrière payent encore aujourd'hui la rançon de cette politique du P.C.F.

Le message et l'idéologie du prolétariat international, le marxisme-léninisme, n'ont pas pu se développer comme il fallait au sein des masses et du prolétariat colonisés car il fallait défendre en premier lieu l'Union Française contre les autres impérialismes. Cela explique, entre autres raisons inhérentes à la forme du développement capitaliste dans ces pays, le rôle dominant de la petite bourgeoisie.

Aujourd'hui, ce n'est pas en s'alliant avec la France, leur ennemie principal, qu'ils pourront lutter réellement contre le social-impérialisme. La lutte de chaque pays contre le social-impérialisme et l'hégémonisme en général, passe par la lutte effective contre son ennemi principal. Et aujourd'hui encore, l'ennemi principal du peuple centrafricain est l'impérialisme français dont le Président entretient et soutient le régime fasciste de Bokassa qui tue, emprisonne, humilie et viole tous les jours. Les raisons du soutien de Giscard au régime de Bangui ne résident pas uniquement dans le fait que la R.C.A. se situe sur l'axe qui va de l'Afrique du Sud au Maroc en passant par le Zaïre, avec des ramifications au Gabon et en Côte d'Ivoire comme pensent les journalistes français et en particulier Pierre Péan dans son livre « Bokassa 1er ». C'est cacher encore une fois, la vérité au peuple français, et ce n'est pas comprendre les mécanismes de la reproduction du système capitaliste et impérialiste dans son ensemble. 75 % de l'économie centrafricaine appartiennent à la France, ce qui est loin d'être négligeable. Quel que soit le rapport de cette économie française en Centrafrique avec l'ensemble de l'économie française, la France ne peut se retirer sans problèmes comme pense Pierre Péan. Derrière cette façon de voir les choses, se cache l'idée que la France gaspille de l'argent au profit des nègres en Afrique alors que cela ne rapporte rien aux Français. Cette façon de présenter les choses masque les intérêts impérialistes de la France en Afrique et attise la haine des contribuables français contre les nègres. Qui n'a-t-on pas entendu dire, ceux qui se prétendent de gauche compris : « C'est encore notre argent qui va dans les poches de Bokassa » ! Cette idée ne peut que détériorer les rapports entre les peuples africains et le peuple français, et conduit directement au racisme. Quel que soit donc le rapport de l'économie française en R.C.A. avec l'ensemble [PAGE 81] de l'économie française, la France ne peut qu'y gagner. En effet c'est dans le mouvement d'ensemble de la reproduction des rapports capitalistes et des rapports de domination impérialistes qu'il faut situer les 75 % de l'écomie centrafricaine entre les mains des français. Le système capitaliste et impérialiste ne se reproduit pas seulement par les gros intérêts ou les grosses unités de production ou encore par un pays où il existe une production avancée. C'est l'ensemble des rapports entre tous les éléments du système qu'il faut saisir.

Si la France venait à lâcher la R.C.A., cela aurait des répercussions d'un côté comme de l'autre, non seulement à cause de la situation stratégique de la R.C.A., mais à cause des bénéfices qu'une fraction du capital national français tire de la production du coton, du café, de l'uranium, du bois, du diamant, de l'or... dans ce pays. Giscard et les capitalistes français le savent mieux que quiconque. C'est ainsi que les capitalistes français en Centrafrique envoient souvent Monsieur Chapuis Louis, directeur de la Société Nationale des Travaux et des Transports (S.N.C.T.) et trésorier de la Chambre des Industries et de l'Artisanat de Bangui, négocier avec le gouvernement français l'aide accordée officiellement à la R.C.A. mais qui n'est en fait que l'aide accordée aux entreprises françaises installées dans le pays. On voit bien que l'aide ne va surtout pas dans les poches des masses centrafricaines. Les vrais profiteurs de « l'aide » française et de « l'aide » des autres pays capitalistes, sont ceux qui comme Giscard, Foccart, Bokassa et leur suite, organisent l'assassinat, et le terrorisme d'Etat en Afrique.

S'il est impossible aujourd'hui de parler de droits de l'homme dans les pays d'Afrique sans évoquer leur situation de dépendance politique, économique, idéologique, sans parler de la domination qu'exerce sur eux l'impérialisme, c'est bien parce que cette domination signifie la négation des droits les plus élémentaires de l'homme et de la femme. Les droits de l'homme et de la femme ne signifient-ils pas en effet le droit de chaque homme et de chaque femme au travail, le droit du prisonnier au respect et à la dignité ? Les droits de l'homme et de la femme ne signifient-ils pas pour le peuple, le droit de décider de ses conditions de vie, [PAGE 82] d'être en possession de ses ressources et de ses richesses, d'être maître de l'économie et de la production de son pays ? Les droits de l'homme et de la femme ne signifient-ils pas enfin, le droit de chaque peuple à être maître de son destin ?

Les droits de l'homme et de la femme ne renaîtront en Afrique que le jour où les peuples africains briseront les chaînes de l'exploitation impérialiste et se rendront maîtres de leur destin. Et ces chaînes ne seront certainement pas brisées à l'O.N.U., à l'U.N.E.S.C.O. ou ailleurs; car on aura beau y décréter telle année, l'année de la femme, ou autre année l'année de lutte contre l'Apartheid, ou verser des larmes de crocodile sur les noirs, sur les femmes, sur ceux qui souffrent de la faim dans le monde.... cela n'empêchera pas les impérialistes de tout bord, les fascistes, les sionistes, les racistes de poursuivre leurs actes criminels contre les peuples, en particulier les peuples noirs.

Nguinza Akamgbi Kodro


[1] Révérend Père Daigre : Oubangui-Chari. Témoignage sur son évolution. Issoudun, Dellun et compagnie, 1947, p. 113.

[2] Cité par Pierre KALCK in « Histoire de la RCA », Ed. BergerLevrault, Paris 1974, p. 297.

[3] Souligné par nous. Cité par Pierre Pean in « Bokassa 1er, », p. 115. Ed. Alain Moreau.

[4] idem.

[5] Pierre Pean, op. cité, page 145.

[6] Ce bruit court après l'arrestation de plusieurs membres du personnel du Trésor Public accusés de vol. Mais les raisons sont ailleurs. Bokassa exige que chaque membre de sa famille reçoive une indemnité « impériale » de 1 million CFA. Le Trésor Public est actuellement incapable de répondre à sa demande. Les personnes arrêtées ont été battues et traînées nues devant le tribunal militaire.

[7] Figaro du lundi 5 décembre 1977.

[8] Cité dans Le Monde du 14 décembre 1977.