© Peuples Noirs Peuples Africains no 2 (1978), 1-10.



Notre retard a ses raisons

Un numéro de mars-avril, qui paraît en mai, c'est pour le moins tardif. Au lieu d'en demander simplement pardon à nos déjà nombreux lecteurs ainsi qu'à nos abonnés, malheureusement trop rares encore, nous voulons nous en expliquer, bravement.

Nous avons surtout eu un problème de local. Des amis protestants avaient cru pouvoir nous sous-louer, 8, Villa du Parc Montsouris, Paris 14e, un bureau étroit de surface, mais extrêmement commode pour tout le reste, particulièrement pour la modicité du loyer. Nous en prîmes possession dès novembre 1977 : outre l'adresse qu'il nous fallait dans Paris pour constituer une S.A.R.L., nous désirions annoncer sans délai à nos futurs amis libraires la naissance imminente de notre revue et débattre avec eux, par correspondance, des conditions de notre diffusion. Toutefois, nous nous aperçûmes vite que tant que nous n'aurions pas un produit fini à leur proposer, les libraires ou bien, au mieux, seraient évasifs, ou bien même s'abstiendraient de répondre. C'est pourquoi, bien que payant régulièrement notre loyer, nous n'eûmes guère l'occasion., au cours de novembre et de décembre 1977, et de janvier 1978, de nous servir de notre bureau ni même de venir au 8, Villa du Parc Montsouris, ce qui nous épargna de nous heurter à l'administrateur de l'immeuble et de faire connaissance avec ses méthodes un peu spéciales.

La rencontre n'allait se produire que fin janvier-début février 1978, au cours de péripéties joyeusement pittoresques, mais dont la succession ne pouvait manquer de perturber les prévisions de calendrier et même de budget d'une publication sortant à peine des limbes. Encore ne dûmes-nous qu'au seul hasard la tournure, certes dramatique, mais profondément instructive des événements. Le vendredi 27 janvier, notre directeur s'aperçoit, dans le train qui l'amène de Rouen à Paris, [PAGE 2] qu'il a oublié la clé du bureau du 8, Villa du Parc Montsouris. Il sort du métro au quartier latin pour aviser ses amis protestants de cette fâcheuse circonstance et leur en demander le remède. « Oh, ce n'est rien, lui répond-on, l'administrateur de l'immeuble possède une deuxième clé, qu'il te prêtera. »

Nous n'avions jamais rencontré ni même aperçu ledit administrateur; nous estimions, en bonne gestion, qu'aucune nécessité technique ne nous contraignait à établir des rapports avec lui, ayant traité et conclu avec des gens qui, non seulement n'avaient paru nullement douter de leur droit sur le bureau, mais de plus nous avaient signé un bail en pleine connaissance de cause, sinon en bonne et due forme. C'est donc la conscience tout à fait tranquille et l'âme on ne peut plus sereine que, arrivé 8, Villa du Pare Montsouris, et s'étant fait dire le chemin menant au bureau de l'administrateur, notre directeur y pénètre en faisant montre d'une courtoisie de bon aloi.

Pouvoir des propagandes et des images de marque ! notre directeur s'était figuré, sur ce territoire protestant, un technocrate moderniste, jeune élégant, racé, accueillant le visiteur avec le raffinement typiquement œcuménique d'une exquise affabilité ne dépassant pourtant pas les bornes d'une discrétion de bon ton. Or qui avait-il devant lui ? Un gros vieillard rogue, une sorte de bouledogue adipeux, l'œil enténébré et révulsé d'un miraculé de l'hémorragie cérébrale.

– Bien entendu, articule-t-il d'une voix caverneuse, je ne vous prêterai pas de clé, il n'en est même pas question.

Suit un flot tumultueux et confus de griefs, au cours duquel le responsable de notre publication s'entend annoncer, en passant, des événements d'une certaine gravité, remontant parfois à plusieurs semaines et concernant la revue, mais dont, étrangement, personne n'avait cru devoir nous informer. Par exemple, un inspecteur du Service du Logement de la ville de Paris était passé et avait dit qu'il était douteux que l'immeuble fût juridiquement apte à accueillir une entreprise commerciale (la S.A.R.L. éditrice de la revue en est une). L'administrateur, dont nous apprendrons plus tard qu'il est un colonel à la retraite, avait donc aussitôt décrété que nous n'avions rien à faire dans son immeuble et nous en avait bannis.

Notre directeur répond que ses amis ne lui ont rien annoncé de tel, et cependant il les a rencontrés il y a seulement quelques instants. [PAGE 3]

– Dites-vous une bonne fois, cher monsieur, que je ne connais pas les gens dont vous me parlez, et que je m'en moque ! fait l'administrateur dans un grognement rauque, qui se transforme bientôt en un barrissement aviné, quand on tente d'insister.

Car enfin, quitte à déguerpir comme dit cet homme d'une exquise urbanité, ne pourrait-on obtenir au moins un bref délai et, par exemple, être autorisé à accueillir le livreur de notre imprimeur attendu d'un moment à l'autre ?

– Cher monsieur, aboie l'administrateur, je vous l'ai déjà dit, vous n'avez rien à faire ici et vous devez déguerpir immédiatement.

Au cours de l'échange d'invectives qui suit, le ton ne cesse de monter de part et d'autre, et cela ne résout manifestement rien. Le bouledogue adipeux exhale sans doute une malveillance personnelle, mais, pour faire montre de tant d'arrogance insensée, il faut qu'il sente ses arrières bien assurés. A l'évidence, il y a ici lutte d'influence entre diverses factions, et notre publication subit l'effet indirect et peu charitable d'un règlement de comptes.

Nous nous résignons à quitter l'administrateur et descendons au rez-de-chaussée, désemparé et même désespéré en songeant au livreur qui ne va pas tarder à paraître. C'est Geneviève, une jeune femme locataire elle-même d'un petit bureau dans l'immeuble, qui, sans doute prise de pitié, nous sauve cette première fois, en nous permettant d'entreposer provisoirement dans son local exigu la livraison heureusement peu encombrante de deux mille plaquettes.

Nous nous rendons alors au quartier latin et racontons cet incident extrêmement contrariant; il est environ cinq heures de l'après-midi. Nos amis commentent l'affaire avec un certain amusement, comme s'il s'agissait d'un simple malentendu; nous n'en doutons d'ailleurs nullement nous-même.

– On va téléphoner au colonel, nous disent-ils enfin, tout va s'arranger, allez. Mardi prochain, pour la réception de la grosse livraison de plaquettes, pas de problème, tout sera okey.

Ils en paraissent vraiment persuadés.

Mardi 31 janvier, quand notre directeur arrive 8, Villa du Pare Montsouris, muni, cette fois, de sa clé, non seulement rien n'a été arrangé, mais ça va être le clash avec le colonel retraité. Au moment où se présente la camionnette de l'imprimeur, l'impasse où se trouve l'immeuble est inaccessible, la grille, [PAGE 4] habituellement rabattue, ayant été tirée et verrouillée. On court en vain après le couple de concierges eurasiens, déjà hagards à l'ordinaire, sans doute terrorisés par le colonel; ils viennent de s'éclipser.

Notre responsable monte donc chez le colonel et il n'est pas précisément de bonne humeur quand il le somme de faire ouvrir immédiatement la grille; l'autre réplique en le sommant à son tour de « déguerpir immédiatement » de son bureau, notre responsable pointe la clé sous son nez et lui crie :

– Mais enfin, puisque je vous dis que je suis locataire d'un bureau ici. Regardez donc cette clé !...

– Cette clé ! ricane le colonel, qui me dit que vous ne l'avez pas volée ?

– Moi, voler une clé ? Je ne suis pas un truand comme VOUS.

Le colonel se lève et, tout en ordonnant vaillamment à sa secrétaire d'appeler la police, se jette sur son interlocuteur et tente à plusieurs reprises de le frapper, de préférence sur les yeux. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le bouledogue adipeux manque de prestesse; on voit ses coups partir de si loin que, même sans aucune notion de boxe ou de judo, on dirait qu'on les avait parés une bonne demi-heure avant qu'ils n'arrivent. Il souffle comme un phoque et sa bedaine se déploie avec obscénité. Quelle tentation de crever d'un crochet décoché à distance cette panse à la fois surchargée et flasque. Mais non ! il faut se retenir. Le colonel ne cesse de glapir à sa secrétaire d'appeler les flics. Ils ne vont pas tarder à se montrer. La bonne foi de celui des deux antagonistes qui s'est, au vu des témoins, volontairement abstenu de frapper, sera éclatante. De plus, un accident est si vite arrivé, l'infarctus par exemple. Imaginez les gros titres dans « Minute », dans « l'Aurore », etc. UN PAISIBLE ADMINISTRATEUR D'IMMEUBLE AGRESSE DANS SON BUREAU ET FRAPPE A MORT PAR UN IMMIGRE EXTREMISTE NOIR ! Toutes les tares, quoi ! toutes les circonstances aggravantes ! la guillotine in the pocket. Une secrétaire persuade enfin l'individu de se calmer, ce qu'il n'a pas de mal à faire, ayant épuisé ses munitions. Finalement, la police n'est pas venue, elle n'a sans doute pas été appelée, malgré les folles injonctions du bouledogue. Quelle bouffonnerie !

Notre responsable gagne le bureau de la revue pour tenter de téléphoner au quartier latin. Le colonel a fait couper le téléphone ! Entre temps, le livreur a pu pénétrer dans l'impasse [PAGE 5] à la suite d'un riverain; le brave homme est stupéfait par-le comportement du colonel, descendu de son bureau, un maillet à la main et se précipitant sur la porte vitrée qu'il ferme à clé, pendant que, dans la rue, notre responsable accueille le livreur.

Une large terrasse précède la porte d'entrée, c'est là que les deux hommes déchargent les huit mille plaquettes restantes, aidés d'un camarade africain qu'un hasard heureux a conduit là. De l'intérieur, le colonel, portant maintenant son maillet dans une poche de son veston, hurle les aménités dont il a le secret :

– Je vais f... tout ça à la poubelle, vous allez voir. A la poubelle...

Cet homme avait tenté tout à l'heure de frapper son adversaire sur les yeux, réflexe significatif; le voilà qui se promenait dans l'entrée d'un immeuble, armé d'un maillet, prêt sans doute à fracasser un crâne, si l'occasion s'en présente. C'est à ce tortionnaire plus qu'en puissance peut-être, à cet authentique fasciste que des associations protestantes vouées aux œuvres d'amour et de fraternité (j'avais aperçu des hommes de couleur, parfois, dans les couloirs), telles l'Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture[1], avaient recouru pour assurer l'ordre dans leur siège. C'était hautement symbolique. Autant vaut faire jaillir les hymnes de charité de hauts-parleurs fixés sur le bunker d'un petit dictateur nazi. Voilà la combinaison nouvelle, celle qui fait passer l'autoritarisme forcené en France et le fascisme néo-colonial dans les anciennes colonies africaines. En quelque sorte le poison du nazisme, mais adouci par l'enveloppe de sucrerie de la charité chrétienne. C'est aussi simple que l'œuf de Colomb.

Geneviève, encore elle, accourue, parvint à rappeler au colonel qu'il ne pouvait prétendre tenir la porte fermée, puisque son pouvoir ne s'étendait pas sur toutes les parties de l'immeuble. Ensuite, elle suggéra aux deux pitoyables Africains d'entreposer très provisoirement leurs plaquettes au sous-sol [PAGE 6] de l'immeuble, cette fois, sur lequel elle avait elle-même quelque autorité.

Finalement, nous n'obtînmes jamais le délai auquel notre bonne foi nous eût donné droit partout dans le monde, et les droits très incertains de nos amis se révélèrent de peu de poids à côté de l'autorité de l'ex-baroudeur des deltas et des djebels. Il nous fallut donc nous remettre en chasse pour trouver un nouveau bureau, cela se fit bien entendu en catastrophe. Il nous fallut ensuite perdre à nouveau un temps précieux et beaucoup d'argent à faire enregistrer notre changement d'adresse auprès des administrations intéressées, Tribunal de Commerce de Paris, Chèques Postaux, etc.

Perturbation combien plus grave, nous n'avions pas pu, pendant ces trop longues semaines de mauvaises surprises, garder, comme il l'eût fallu, le contact le plus étroit avec les camarades qui nous avaient promis des textes - jeunes intellectuels africains pour la plupart, d'ailleurs en butte à toute sorte de tracas, et notamment à la difficulté de leurs études, au chômage, à l'hostilité de la police française, aux tortures morales de leurs gouvernements. La seule chance d'arracher un texte au bon moment, ou même tout bêtement de l'obtenir, eût été de relancer sans répit les camarades, de les harceler, de raisonner les timorés, de morigéner les hésitants. Quand nous reprîmes ces efforts début mars, le fossé ne pouvait plus être comblé entre la réalité d'une part, et, d'autre part, notre désir de respecter notre calendrier et surtout l'ambition primitive, sans doute excessive au moins à ce stade de notre entreprise, d'offrir à nos lecteurs un tour d'horizon complet, clans une seule livraison, des dictatures d'Afrique francophone, sujet tabou jusqu'ici dans les publications de langue française, que nous sommes donc les premiers à transgresser.

Le lecteur sera sans doute surpris de ne rien lire sur le Gabon, le Tchad, la Côte-d'Ivoire, le Mali, le Niger, etc., tous pays où chaque observateur sérieux sait pourtant que la répression des masses africaines par les racailles gouvernementales francophiles fait rage. C'est que, nous conformant à notre objectif déjà proclamé de chercher d'abord à libérer la parole négro-africaine, nous nous étions proposé pour ce numéro de faire surtout témoigner, plutôt que des journalistes traditionnels, trop souvent blancs et médiocrement concernés par le martyre de populations noires qui n'attirent toujours que le regard ethnologique, et plutôt que des [PAGE 7] professionnels de l'action humanitaire, trop vulnérables aux pressions de leurs gouvernements chauvins, quoi qu'ils en disent, des témoins noirs ayant vécu, sous une forme ou sous une autre, l'enfer de la décolonisation à la mode gaulliste.

Notre quête a rencontré bien des déboires, bien des dérobades, bien des défections. Ceux qui connaissent la précarité du statut réel de l'intellectuel africain, qu'il séjourne en France, à un titre ou à un autre, ou qu'il vive dans son pays, ne s'éloigneront pas de ces réactions. On craint de s'exprimer de peur de perdre un emploi personnellement, de peur de se faire expulser de France ou embastiller en Afrique, de peur de ne pas pouvoir, études faites, rentrer chez soi sans risquer d'être embarqué par des tontons macoutes dès l'aéroport avant de disparaître sans laisser de traces, de peur de compromettre la modeste situation d'un père, d'un frère, d'une sœur, d'une pauvre mère, braves gens tremblant déjà de terreur dans un bidonville, une bourgade, un village, de peur de déchaîner sur toute une contrée la vengeance sanglante d'un dictateur alcoolique ou drogué.

L'intellectuel africain, en France ou dans son propre pays, c'est avant tout un homme qui a peur – peur pour sa sauvegarde physique, peur pour son avenir, peur pour les siens.

Le vrai miracle, c'est plutôt qu'il s'en trouve tout de même qui aient l'audace de s'exprimer, de témoigner, comme le montre cette livraison, où le lecteur verra donc, comme nous disions tout à l'heure, se réaliser notre souhait de libérer totalement la protestation africaine, de laisser parler les Africains, de ne les assujettir à aucune entrave, à aucune censure. Ce n'est pas sans chagrin ni un sentiment d'injustice certaine que nous avons accueilli des textes où l'on s'en prend, fût-ce incidemment, à tel de nos plus vieux et plus grands amis, Jean Suret-Canale par exemple. Mais c'était la règle du jeu, et nous nous y sommes conformés si scrupuleusement que nous avons évité même d'en faire la remarque au collectif guinéen, auteur de cet article, par ailleurs excellent.

A propos de la Guinée justement, nous ne sommes pas passés avec armes et bagages dans le camp des détracteurs hystériques et viscéraux du nouveau « frère » africain de Giscard, tels Philippe Decraene et Pierre Biarnès, qui, après avoir rendu si longtemps malaisée toute réflexion lucide sur ce personnage, tant les Africains redoutaient tout amalgame avec le chauvinisme réactionnaire français, poursuivent toujours Sékou Touré d'une haine datant de son non retentissant au référendum [PAGE 8] de 1958 : il n'y a pas en France que les généraux qui soient en retard d'une guerre. Nous avons simplement estimé qu'après une longue période de confusionnisme, de démagogie théâtrale et fracassante qui ont pu excuser le doute des militants progressistes du monde entier, Sékou Touré a définitivement jeté le masque; il est désormais clair que, à l'instar d'un Ahidjo, d'un Bongo, d'un Bokassa, d'un Houphouët-Boigny, d'un Malloum, d'un Senghor et tutti quanti, le dictateur guinéen s'est davantage appliqué jusqu'ici à faire couler le sang de ses frères et à les martyriser, qu'à se dévouer pour leur émancipation qu'il disait en 1958 s'être fixée comme un objectif de première urgence. Sékou Touré n'est plus qu'un vulgaire papa doc, à supposer qu'il ait jamais été autre chose.

Passons à un autre ordre d'idées maintenant.

En décidant d'avoir pignon sur rue, nous n'espérions certes pas les félicitations des esclavagistes notoires, ni même les embrassades des boutiques crispées sur leurs clientèles ou des chapelles repliées sur leurs orthodoxies d'autant plus stériles qu'elles sont plus fluctuantes. Nous n'en sommes que plus stupéfaits de certaines attitudes négatives que nous ne saurions passer sous silence, quoi qu'il nous en coûte.

François Maspero, sollicité avec insistance, n'a pas daigné nous prêter son appui moral. Nous lui avions écrit pour lui offrir, dans notre premier numéro qui n'était, certes, qu'un long manifeste, une page entière de publicité gratuite. Il va sans dire qu'une telle offre n'était pas désintéressée : dans la cohue cacophonique des publications africaines francophones, dont le lecteur n'arrive jamais vraiment à identifier les appartenances idéologiques ni les orientations politiques, une publicité bien conçue de F. Maspero nous situait mieux que de longues pages de proclamation d'intentions. Des camarades appartenant à d'autres nuances de l'anti-impérialisme, telles que Comité Anti-Outspan, Polîtique-Hebdo, n'ont pas hésité, eux, à nous consentir cette petite facilité.

Notre lettre étant demeurée sans réponse, nous vînmes à Paris pour rencontrer F. Maspero qui nous donna alors toutes les assurances : il était en train de mettre la dernière main à un projet de page de publicité nous serions mal inspirés d'attendre, au risque de rater le train le plus commode pour nous qui devions travailler au lycée le lendemain; il mettrait lui-même le projet à la poste le soir même et il nous parviendrait le lendemain. [PAGE 9]

Revenus à Rouen' nous ne reçûmes de projet ni lendemain, ni le surlendemain, ni aucun autre jour. Pendant une longue semaine, on nous répondit invariablement au téléphone que F. Maspero était absent.

Faut-il voir dans le mutisme dédaigneux le dernier raffinement de l'élégance « anti-impérialiste » à Paris ? C'est en effet cette même attitude que nous opposa le CHEDDITE auquel, par lettres mises à la poste ou par messages personnels, nous demandantes en vain de nous mettre en relation avec les nombreux amis anti-impérialistes africains que la rumeur publique prête à ce groupe.

L'A.F.A.S.P.A.[2] nous a, de son côté, appliqué exactement le même traitement, véritablement scandaleux cette fois, compte tenu des nombreux liens que nous pouvions nous figurer avoir tissés avec cet organisme. Nous avions participé à ses manifestations, chaque fois que nous y avions été invités (et il nous fallait chaque fois faire le voyage de Rouen à Paris, et revenir le même jour à Rouen pour être au lycée le lendemain à 8 heures !); nous étions trouvés au coude à coude avec ses dirigeants et ses militants en de nombreuses circonstances, notamment dans le cadre de l'ex-U.N.E.K. (Union Nationale des Etudiants du Kamerün, interdite récemment en France par le ministre de l'Intérieur) et du C.D.A.P.P.C. (Comité pour défendre et assister les prisonniers politiques au [PAGE 10] Cameroun). Le fait est pourtant là : les nombreuses lettres, adressées aux militants et aux dirigeants de l'A.F.A.S.P.A., que nous connaissons personnellement, dans lesquelles nous demandions qu'on nous mette en rapport avec des librairies susceptibles de nous diffuser ou avec des camarades pouvant sympathiser avec notre publication, n'ont pas suscité le moindre écho. Personne à l'A.F.A.S.P.A. n'a cru devoir accuser réception d'aucun des nombreux exemplaires du premier numéro de « Peuples noirs - Peuples africains », envoyés à titre gratuit.

Il ne faudrait pourtant pas croire qu'il n'y ait à Paris que de faux-frères soi-disant anti-impérialistes; il y a aussi de vrais internationalistes dans la ville-lumière, nous les avons même rencontrés. Si vous voulez tout savoir, ils sont à « Politique Aujourd'hui - Politique Hebdo » ne nous croyez pas sur parole, allez vérifier sur place.

Nous leur avions aussi écrit, pour leur demander de nous autoriser à venir faire un stage chez eux, afin d'apprendre les rudiments de la gestion d'un périodique. D'abord, ils nous ont immédiatement répondu, sans nous infliger le martyre et la mise en condition d'un silence soigneusement dosé. De plus, ils ne nous ont imposé aucune condition préalable – ni épuisantes négociations préliminaires, ni déclaration d'allégeance, ni traité de coopération technique avec clauses secrètes. Bref, nous n'avons dû subir aucun colonialisme, aucun esprit de domination.

On nous a simplement dit : « Mais comment donc, camarades ! venez quand il vous plaira et, une fois sur place, faites comme chez vous. »

Ce n'était pas là une simple clause de style : aussi bien Nicole Maillard que Bonin, Noirot, Lentin, Gisèle Reboul et d'autres dont j'oublie les noms, tout le monde s'est mis en quatre, comme on dit, pour faciliter notre apprentissage. On n'a pas hésité à étaler sous nos yeux des documents qui, partout ailleurs, seraient classés « top secret ».

Là-bas, on nous a, par exemple, enseigné une vérité, dont, à dire vrai, nous nous doutions déjà : entre hommes et femmes communiant sincèrement dans un idéal de fraternité simplement formulé, l'assistance technique ne soulève aucune véritable difficulté. Il y suffit d'un peu de cœur. Et une pierre dans le jardin de Giscard !

PNPA


[1] L'Action des Chrétiens pour l'abolition de la Torture vient justement d'entamer une polémique « meurtrière » contre Sergio Fleury, le fameux commissaire de police, tueur d'Etat brésilien, mais non contre le fameux Ahmadou Ahidjo, tueur d'Etat camerounais, certes, mais protégé par le vénérable Père Giscard. Ahmadou Ahidjo ? Inconnu 8, Villa du Parc Montsouris, Paris-14e. Vieux refrain que les Allemands, au lendemain de la dernière guerre, entonnaient déjà à qui mieux mieux, Camps de concentration ? Chambres à gaz pour Juifs ? Pas vu, pas pris

[2] Association Française d'Amitié et de Solidarité avec les Peuples Africains; cette association est elle-même éditrice d'un périodique appelé « Aujourd'hui l'Afrique ». A ce propos (ceci est bien entendu sans aucun rapport avec le périodique de l'A.F.A.S.P.A., car il y a à Paris des dizaines sinon des centaines de périodiques parlant de l'Afrique), des publications concurrentes tentent de nous torpiller, en téléguidant auprès des libraires des clients qui prétendent protester en leur propre nom et spontanément. Au quartier latin, ils ont essayé d'influencer, non sans un certain succès, une librairie où notre premier numéro, de l'aveu même d'un des libraires, se vendait comme des petits pains. Ils ont prétendu, à des heures différentes de la même journée, pour mieux impressionner un des libraires, que notre plaquette était trop chère pour ce qu'elle contenait. C'est là une technique de concurrence déloyale qui relève du terrorisme le plus ignoble. Qu'attendent donc ces protestataires spontanés pour aller dire à Gallimard ou à Robert Laffont que leur camelote est trop chère pour ce qu'elle contient ? Depuis quand, en France, pays capitaliste et de libre initiative, l'acheteur conteste-t-il le prix fixé par le fabricant, autrement qu'en s'abstenant d'acheter ?
La comparaison avec des brochures ou des plaquettes vendues dans la même librairie établissait du reste facilement la mauvaise foi des soi-disant contestataires spontanés.
Ce n'est pas notre faute si le public, lassé de la décrépitude d'un discours trop longtemps ressassé, se tourne vers la promesse d'analyses nouvelles, susceptibles de mieux satisfaire sa soif intellectuelle.