© Peuples Noirs Peuples Africains no. 63-66 (1988) 302-309



CONDITIONS DE DETENTION AU CAMEROUN SELON AMNESTY INTERNATIONAL

Plus de 3 000 prisonniers seraient détenus dans des conditions de détention très dures à la prison de Nkondengui, prison centrale de Yaoundé, la capitale. Amnesty International est particulièrement, préoccupée de ce que des prisonniers politiques continuent à être soumis à un régime spécial, ce qui constitue un déni de leurs droits fondamentaux et une menace pour leur santé, voire pour leur vie. Tout au long de l'année passée, Amnesty International a été informée de nombreux cas de prisonniers morts de malnutrition et de maladie à la prison de Nkondengui. Selon un rapport, en 1987 et 1988, à certaines époques de l'année, le taux de mortalité était de l'ordre de quatre ou cinq prisonniers par jour. D'après un autre rapport, 44 prisonniers sont décédés pendant le seul mois de décembre 1987, dont 42 de sous-alimentation. Amnesty International estime donc que les conditions de détention dans cette prison ne respectent pas les normes internationales en matière de traitement des prisonniers. La sévérité des conditions de détention ne semble pas due aux seules pénuries qui existent dans les pays en voie de développement, mais plutôt imposée de propos délibéré ou du moins être la conséquence de négligences graves de la part des autorités camerounaises. Amnesty International demande à ces autorités d'accorder à tous les prisonniers un régime alimentaire et des soins médicaux convenables et de s'assurer de leur bon état de santé. Des conditions sanitaires et d'hygiène décentes devront également être assurées, ainsi que la possibilité pour les prisonniers de prendre, tous les jours, de l'exercice à l'air libre.

Amnesty International demande également que soient inculpés [PAGE 303] ou bien libérés les prisonniers politiques détenus sans inculpation à Nkondengui et dans d'autres prisons depuis 1984 ou que soient à nouveau jugés ou bien libérés ceux qui ont été jugés de façon inéquitable et en secret par des tribunaux militaires.

Au Cameroun, les conditions de détention dans les prisons et les cellules des commissariats sont en général très mauvaises. Dans des postes de police, on a, dans certains cas, enfermé jusqu'à cinquante personnes dans une seule cellule de petite dimension, sans lumière et sans installation sanitaire autre qu'une grande cuvette servant de toilettes. On ne donne pas aux détenus suffisamment d'eau et ils n'ont d'autre nourriture que celle que leur envoie leur famille ou qu'ils peuvent acheter à leurs gardiens s'ils en ont les moyens. Bien que la loi prévoie qu'ils doivent être présentés au Parquet dans les 48 heures qui suivent leur arrestation et placés, selon la procédure normale, en détention provisoire, en pratique bien des personnes soupçonnées d'infractions restent détenues illégalement pendant quelques semaines voire davantage, sans voir avocats ou familles, surtout si elles ne peuvent se faire libérer en soudoyant certains responsables. Les personnes placées en détention provisoire seraient couramment frappées, en particulier sur la plante des pieds et certaines, auxquelles la police voudrait arracher des "aveux", seraient torturées à l'électricité. En outre, elles n'ont aucune possibilité de se faire soigner ou d'obtenir des médicaments. Après avoir été placés en détention provisoire, les suspects sont transférés dans une prison où ils risquent d'être détenus plusieurs années avant que leur affaire soit jugée.

A leur arrivée en prison, certaines personnes auraient été agressées et insultées par des gardiens, des policiers et des militaires. La plupart sont détenues dans des cellules insalubres où nourriture, literie et soins médicaux sont très insuffisants, à moins qu'elles ne paient pour améliorer leur sort. Les cas d'indiscipline seraient punis de passages à tabac, de coups de fouet, de privation de nourriture et parfois de torture. Certains prisonniers auraient été ligotés et suspendus, parfois la tête en bas. La plupart des décès semblent être dus à la sous-alimentation et au manque de soins médicaux. [PAGE 304]

La prison de Nkondengui et celle de New Bell à Douala, capitale économique du Cameroun, sont surpeuplées. La prison New Bell a été le théâtre de trois émeutes en 1987 : la première avait pour motif l'insuffisance du régime alimentaire, la seconde en mai avait éclaté à la suite de la mort d'un détenu et la troisième en septembre protestait contre le fait qu'un détenu n'avait pas reçu les soins que son état nécessitait. Lors de l'émeute de septembre 1987, quatre prisonniers ont été abattus par les forces de sécurité, apparemment alors qu'ils tentaient de s'évader. La prison New Bell, construite dans les années 1940 pour abriter 800 personnes, en hébergeait plus de 4 000 en 1987. En outre, un nouveau gouverneur de cette prison aurait réduit le nombre des prisonniers autorisés à être hospitalisés en dehors de la prison.

Cette surpopulation est due, en grande partie, au nombre important de prévenus en attente de jugement, souvent sur la base de peu ou pas de preuves. Apparemment, un grand nombre d'entre eux attendent leur procès pendant des années, celui-ci étant constamment reporté parce que les tribunaux sont surchargés de travail, que le ministère public n'a pas eu le temps de préparer le dossier ou encore que les prisonniers n'ont pas d'avocat. La plupart des accusés n'ont pas les moyens de payer un avocat et ceux qui sont commis d'office sont, dit-on, si mal payés qu'ils n'ont guère envie de défendre leur client. Plus de la moitié des détenus de la prison de Nkondengui sont des prévenus.

Cette prison, construite dans les années 1960 pour recevoir environ 2 500 détenus, en compterait aujourd'hui plus de 3 500 et peut-être même 5 000. Les prisonniers sont gardés dans des quartiers séparés selon qu'ils sont détenus pour un délit politique ou de droit commun, qu'ils sont des prévenus de droit commun qui peuvent payer pour être détenus dans un quartier moins peuplé ou qu'ils sont condamnés à mort. Ces deux dernières catégories de détenus jouiraient de conditions meilleures que les deux premières. Des mineurs sont détenus avec les prisonniers adultes : on trouve même, parmi les prisonniers accusés d'avoir commis des délits de droit commun, des enfants de dix ans.

Quant à la nourriture fournie par les autorités pénitentiaires, [PAGE 305] elle serait insuffisante à la fois en quantité et en valeur nutritive. Le régime alimentaire est essentiellement composé de riz, de pain ou de maïs, avec très peu de viande, de poisson ou de légumes frais. Une ration journalière peut être composée d'un peu de pain accompagné d'une cuillerée de haricots. Certains prisonniers peuvent compléter l'ordinaire de la prison avec des suppléments apportés par leur famille. Ils peuvent aussi recevoir des suppléments de nourriture apportés par des laïcs, auxiliaires d'église, qui visitent les prisons. La vie de nombreux prisonniers serait menacée par la sous-alimentation – très répandue, semble-t-il, et par l'insalubrité des lieux. Ceux qui souffrent de maladies infectieuses telles que la tuberculose seraient mal soignés, parfois même pas du tout. Ils sont cependant enfermés avec d'autres prisonniers. Des prisonniers malades se sont vu refuser des médicaments, des soins médicaux et hospitaliers, à moins qu'ils ne puissent se les payer eux-mêmes. Le taux de mortalité est très élevé tant parmi les adolescents que parmi les adultes; selon une source d'information, en 1987 et 1988, à certaines époques de l'année, quatre ou cinq personnes mouraient chaque jour. Les décès n'étaient, semble-t-il, jamais notifiés aux familles de façon formelle, mais étaient annoncés quotidiennement à la radio et celles-ci étaient priées de venir chercher le corps de leur défunt. Dans certains cas, des cadavres de prisonniers auraient été enterrés dans une fosse commune dans la prison même.

Le surpeuplement serait particulièrement grave dans certains quartiers de la prison Nkondengui; des cellules conçues pour quinze personnes en contiendraient soixante. Ce surpeuplement est dû en partie à l'arrivée d'environ 300 prisonniers politiques, qui avaient été appréhendés à la suite d'une tentative de coup d'Etat en avril 1984, laquelle avait donné lieu à plus de mille arrestations. Un bon nombre de ces 300 prisonniers auraient été libérés mais beaucoup seraient toujours détenus. Amnesty International connaît l'identité de 13 d'entre eux, détenus à Nkondongui, mais pense qu'il pourrait y en avoir davantage. Les prisonniers politiques ne sont pas détenus avec les prisonniers de droit commun. Un bâtiment spécial leur a été réservé. [PAGE 306]

Certains des prisonniers politiques – pour la plupart des militaires auxquels s'ajoutent quelques civils – ont été condamnés en 1984 par des tribunaux militaires à la suite de procès dont les procédures n'étaient pas conformes aux normes d'équité internationalement reconnues. Ils ont été jugés à huis clos, n'ont pas pu être représentés par un avocat de leur choix ni faire appel de la décision et des peines devant une instance supérieure. On estime que les garanties relatives à l'admissibilité des éléments de preuve obtenus sous la torture ou par toute autre forme de coercition étaient insuffisantes. D'autres sont restés incarcérés après l'expiration de la peine infligée par des tribunaux militaires. Certains sont détenus sans inculpation ni jugement depuis avril 1984 et d'autres, qui avaient été inculpés à la suite de la tentative de coup d'Etat, puis acquittés, ont été néanmoins arrêtés à nouveau par la suite.

A la prison Nkondengui, les prisonniers politiques sont gardés par des militaires armés. Ils sont détenus strictement au secret et ne peuvent voir ni avocats, ni famille, ni prêtres, ni aucun autre visiteur. Leurs familles ne peuvent même pas leur envoyer des denrées alimentaires et les prisonniers n'ont d'autre nourriture que celle – insuffisante – de la prison. Il semble qu'ils passent la plus grande partie de leur temps en cellule et que, dans certains cas, on leur a interdit de prendre de l'exercice à l'air libre. Ce n'est que depuis quelques mois – et surveillés de près par les militaires – qu'ils peuvent recevoir des soins à l'infirmerie de la prison.

Huit prisonniers, condamnés à la suite de la tentative de coup d'Etat, seraient morts de sous-alimentation en 1984. Depuis lors, certains prisonniers politiques seraient tombés gravement malades, en raison de carences alimentaires et de l'absence de suivi médical. Amnesty International a reçu une information signalant que 15 prisonniers politiques étaient morts à Nkondengui au cours de l'année 1987. Mais les prisonniers politiques n'ayant aucun contact avec le monde extérieur, et le gouvernement n'ayant pas précisé l'identité des personnes décédées en prison, il est bien difficile d'avoir des précisions sur de telles informations. [PAGE 307] Un prisonnier politique, Moudio Hildina, un civil, serait maintenant paralysé pour être resté sans soins. Un tribunal militaire l'avait condamné, en 1984, à deux années d'emprisonnement mais il est toujours détenu, bien que sa peine soit arrivée à expiration. Un autre prisonnier civil, Adboulaye Mazou, magistrat et secrétaire général du ministère de l'Education, condamné à cinq années d'emprisonnement en avril 1984, serait gravement malade. Il avait une jambe artificielle qui lui a été enlevée lors de son arrestation ce qui, faute d'un suivi médical régulier, a provoqué blessures ouvertes et permanentes. Le colonel Ngoura Belhadji, gouverneur de la maison militaire de Yaoundé, condamné à 20 ans d'emprisonnement, aurait perdu la vue pendant sa détention faute de soins appropriés.

Une prisonnière, Madame Bello (née Adagaroua), qui semble être la seule femme détenue à Nkondengui à la suite de la tentative de coup d'Etat, serait emprisonnée seule dans une cellule, sans aucun contact avec les autres prisonniers. Elle aurait beaucoup maigri. Elle a été condamnée à trois années d'emprisonnement en 1984 mais elle est toujours détenue alors qu'elle a fini de purger sa peine depuis deux ans environ. Les prisonniers politiques de Nkondengui auraient fait une grève de la faim de cinq jours en décembre 1988 pour protester contre le maintien en détention de prisonniers, notamment de Madame Bello, dont la peine était venue à expiration. La grève aurait été brutalement interrompue par les autorités militaires qui auraient passé les grévistes à tabac et les auraient suspendus au soleil tête en bas pendant plusieurs heures.

Amnesty international a enquêté sur les cas de plus de 30 des prisonniers politiques, détenus à la suite de la tentative de coup d'Etat d'avril 1984 – dont certains sont détenus dans d'autres prisons que Nkondengui – afin de savoir s'il s'agit de prisonniers d'opinion. On pense que plus de dix d'entre eux sont détenus à la prison de "production" de Yoko, ville isolée au centre du Cameroun. Les conditions de détention y seraient moins sévères qu'à Nkondengui, les prisonniers pouvant recevoir des visites et correspondre avec le monde extérieur, privilèges que les autorités de la prison suppriment parfois. Les conditions y sont certes moins pénibles, mais le camp de travail [PAGE 308] est situé dans une partie isolée du Cameroun, ce qui rend les visites des proches et d'amis très difficiles. On a signalé récemment que des prisonniers avaient été enfermés dans leurs cellules pendant de longues périodes et qu'on leur avait interdit de prendre de l'exercice à l'air libre ou d'aller dans les jardins où ils cultivent leur propre nourriture. Certains prisonniers auraient été roués de coups ou enfermés nus dans des cellules infestées de vermine, en guise de punition. Parmi ceux qui sont détenus à Yoko se trouverait Issa Tchiroma, ingénieur, jugé et acquitté par un tribunal militaire en 1984 mais à nouveau arrêté par la suite et détenu sans inculpation ni jugement. Christophe Zangbou, électricien, y est également détenu depuis 1984, sans inculpation ni jugement.

Amnesty International estime que certains de ceux qui sont détenus à Nkondengui et à Yoko depuis la tentative du coup d'Etat de 1984 peuvent être des prisonniers d'opinion qui n'ont ni utilisé ni préconisé la violence et qui sont emprisonnés uniquement en raison de leurs convictions politiques, de leur origine ethnique ou de leurs liens avec des personnes qui auraient été impliquées dans la tentative de coup d'Etat. L'Organisation continue d'attirer l'attention des autorités camerounaises sur ces cas, leur demandant d'inculper ou de libérer les personnes détenues sans inculpation ni jugement ou détenues après avoir été acquittées ou après expiration de leurs peines et de libérer ceux qui ont été jugés inéquitablement ou de réviser leur procès.

Les autorités camerounaises n'ont apporté aucune réponse concluante aux appels lancés par Amnesty International sur ces affaires. En mars 1989, Simon Nko'o Etoungou, ambassadeur du Cameroun à Paris, a déclaré lors d'une conférence de presse, que toutes les personnes arrêtées en 1984 et maintenues en détention étaient des militaires jugés équitablement pour des délits de droit commun et non pour des délits politiques. Il a dit que ceux qui restaient en prison après expiration de leur peine étaient détenus en vertu de lois autorisant la détention administrative. Il a ajouté qu'ils étaient maintenus en détention parce qu'ils ne s'étaient pas repentis et constituaient en conséquence, une menace pour la sécurité publique. [PAGE 309]

Cependant, selon les informations reçues par Amnesty International, un certain nombre de civils figurent au nombre des personnes emprisonnées depuis la tentative de coup d'Etat de 1984. Certains sont détenus sans inculpation ni jugement, sans doute en vertu d'ordres de détention administrative délivrés aux termes des dispositions de l'état d'urgence introduites en avril 1984. Ces dispositions prévoient que le Ministre de l'Administration territoriale (Ministre de l'intérieur) peut ordonner qu'une personne soit détenue sans être formellement inculpée pour une période de deux mois, renouvelable indéfiniment, s'il considère que cette personne constitue une menace pour la sécurité publique. Dans le passé, on a vu des prisonniers se trouver placés en détention administrative pour des périodes allant jusqu'à huit ans, sans inculpation ni jugement. Si les prisonniers de 1984 qui sont détenus après acquittement ou au-delà de l'expiration de leur peine sont considérés par les autorités comme une menace pour la sécurité publique, Amnesty International estime qu'ils devraient être inculpés d'une infraction précise, rapidement traduits en justice et bénéficier d'un procès public respectant les normes d'équité.

L'Organisation s'inquiète également de ce que, malgré la déclaration de mars 1989, selon laquelle leur détention est de caractère administratif, les détenus ne semblent pas avoir été informés des motifs juridiques de leur emprisonnement ni de la raison de leur maintien en détention. En outre, ils semblent n'avoir pas eu la possibilité de contester leur maintien en détention devant un tribunal, ou devant une instance d'appel. Dans de telles circonstances, leur détention est en fait arbitraire et constitue en elle-même une violation des droits fondamentaux de la personne humaine.

Amnesty International
Mai 1989