© Peuples Noirs Peuples Africains no. 63-66 (1988) 160-189



LA FAILLITE DU MONOPARTISME AU CONGO
LE DEVOIR DES INTELLECTUELS CONGOLAIS ET CELUI DE L'OPPOSITION

Mboka KIESE

Le philosophe égyptien Ipouer (2160-1785 avant J.C.) ... réfléchit sur l'effondrement du pouvoir central à un certain moment de l'histoire de l'Egypte antique, il démontre les effets du mauvais gouvernement, principal destructeur du caractère terrestre et divin de la royauté. Les souverains de cette époque troublée étaient uniquement préoccupés de leurs rivalités et de la quête insensée du pouvoir absolu, ce qui les avait amenés à se discréditer aux yeux du peuple dont les plaintes montaient jusqu'aux dieux » (Elisabeth Laffont, Les livres de sagesse des pharaons, Gallimard, 1979, p.69).

à la jeunesse congolaise muselée


INTRODUCTION

La majorité des intellectuels congolais ont bénéficié, pendant leurs études, de bourses du gouvernement congolais. En les occupant à faire de longues études débouchant sur le chômage, le pouvoir politique cherche à écarter ces intellectuels Congolais des affaires de leur pays. Ainsi le Congo reste épargné d'éventuels soulèvements populaires. Le jeune expatrié est assailli de plaintes de sa famille au Congo. Tant et si bien que les années d'études sont vécues comme du temps perdu. Aussi vit-il dans la hantise permanente d'un retard matériel à rattraper. [PAGE 161] Quel étudiant n'a pas ressenti la nécessité de devenir homme d'affaires à partir de la modique bourse versée irrégulièrement par l'Etat – pour aider sa famille restée au pays – plutôt que de faire des études jugées inutiles par la famille ? En plus de difficultés d'ordre matériel et psychologique, des variables cachées rendent son apprentissage plus difficile dans les lieux académiques où il étudie. S'agite-t-il en France dans l'A.E.C. ? Tous les Présidents du Congo ont critiqué avec véhémence cet « immobilisme agitationnel » déployé sur les quais de la Seine ou dans les cafés de Paris. De retour au pays natal devenu adulte, le jeune cadre s'empresse de s'insérer dans la population active.

La crise psycho-socio-économique (recherche d'un emploi, d'un logement, d'un moyen de transport, choix du conjoint) qu'il traverse est l'instant crucial où il doit décider de sa place dans la société : ce simple engagement correspond à un choix politique. Choisit-il de travailler pour réussir individuellement ou pour promouvoir sa communauté ? Par le flux et le reflux de ses états d'âme dans la recherche du bonheur individuel ou communautaire, il fait un choix déterminé de société. L'homme politique avait déjà prévu ce choix comme scénarios de décision des individus. C'est dans la pratique qu'on jugera l'intégrité de sa nature.

Dans cet article, nous montrons la manière dont les intellectuels congolais ont failli à leur mission historique. Pourquoi ne luttent-ils pas pour l'avènement d'une démocratie au Congo ? Pourquoi se sont-ils enfermés dans le mutisme total ? Comment la population la plus dynamique d'un pays, composée d'intellectuels et de jeunes, a été laminée, réduite à l'immobilisme par le pouvoir politique actuel. L'analyse théorique est un recul, une trêve qui permet d'étudier le comportement des gouvernants et des gouvernés pendant une conjoncture politique donnée. Quels sont les choix des uns et des autres ? Quelle attitude morale le peuple adopte face à la vie ? Devant une machine politique gouvernée par un homme décidant souvent seul, donc faillible, le rôle des intellectuels n'est pas de capituler. L'analyse théorique permet de comprendre les vagues de peur, les inquiétudes, les pseudo-idéologies [PAGE 162] qui règnent dans la population; elle doit conceptualiser de nouvelles armes pour exorciser les maux de la société. Les intellectuels doivent s'efforcer de saisir la nature cachée des choses; les rapports conscients, visibles et invisibles, entre la classe sociale dominante et le peuple, entre l'individu et son milieu familial. Mais l'intellectuel Congolais ne peut pas actuellement faire des recherches scientifiques vitales pour son pays. Le Parti Congolais du « travail », le seul parti politique autorisé par la constitution, a affaibli l'espace universitaire et intellectuel. Désormais l'ignorance, la médiocrité deviennent des valeurs consubstantielles à toute forme de clientélisme. Par conséquent, l'homme de science doit comprendre le lien subtil existant entre la créativité scientifique et la conscience politique. En dépit de la dictature exercée par le P.C.T., s'il garde un attachement indéfectible à sa patrie, il doit lutter pour accoucher d'un espace politique démocratique au sein duquel naîtra un espace intellectuel dynamique. Sa mission est de créer et de propager dans la conscience populaire l'esprit scientifique. L'homme politique est la sublimation de l'état d'âme d'un peuple. Pour qu'il représente les intérêts vitaux de son peuple, il faut que la société civile s'organise elle-même avec sacrifices – contre la volonté des hommes politiques corrompus et véhicule de nouveaux signes d'évolution.

LE PARTI CONGOLAIS DU TRAVAIL COMME SEULE INSTANCE DE SELECTION ET DE REPRODUCTION DE L'ELM

Le 29 juin 1964, au congrès constitutif du M.N.R., création de la J.M.N.R.. Celle-ci est constituée en grande partie de jeunes chômeurs. Certains d'origine paysanne fuient l'exploitation lignagère du système ethnique (Document M. p.72). La défense civile qui représente la branche armée de la J.M.N.R. est encadrée par des instructeurs cubains. Elle est dirigée par Ange Diawara, un chef charismatique qui rivalise [PAGE 163] avec Marien Ngouabi d'adresse physique. En réalité ce conflit subjectif entre Marien Ngouabi et Ange Diawara cache une contradiction profonde qui va ruiner le pouvoir de Massamba Débat : l'opposition de l'armée congolaise à la défense civile.

Le 26 juin 1966, une mutinerie menée par le capitaine Marien Ngouabi éclate. Ngouabi est rétrogradé et affecté à Pointe-Noire (Document R.D.C.). L'armée congolaise est perçue par les éléments « ultra-marxistes-léninistes » de la défense civile comme une armée « embourgeoisée, néo-coloniale incapable de défendre la population et les frontières du pays lors d'une invasion étrangère ». Marien Ngouabi et quelques militaires représentent l'aile progressiste de l'armée congolaise et tiennent à sauvegarder son image de marque ternie et ridiculisée par la défense civile. Entre-temps, ayant retrouvé ses galons de capitaine, Marien Ngouabi récidive (Document R.D.C.) : Il monte un coup d'Etat le 31 juillet 1968, renverse le président civil Alphonse Massamba Debat et devient chef suprême du Congo.

N'oublions pas que c'est la première fois depuis l'indépendance que les militaires prennent le pouvoir au Congo. Par ordonnance dès le 07 février 1969, Marien Ngouabi transforme les forces armées congolaises en Armée Populaire Nationale (Document R.D.C.). La défense civile est dissoute. Ange Diawara intègre le bataillon d'infanterie et devient ministre de l'agriculture (Document M22). Marien Ngouabi crée le Parti Congolais du « travail ». Le Parti est organisé sommairement de la façon suivante : la cellule de base accueille le militant. Le deuxième niveau est constitué par le comité central. Le bureau politique vient au troisième niveau. Le chef suprême dirige le bureau politique, le conseil des ministres et l'armée. La ligne idéologique du parti est l'orthodoxie marxiste-léniniste. Après de nombreuses tentatives de coups d'Etat (Kolela, Kinganga, Diawara) menées souvent par des militaires, Marien Ngouabi est aguerri, et surtout lucide vis-à-vis des éléments qui doivent composer son entourage. Il va renforcer son pouvoir en s'appuyant sur l'armée et l'ethnie. On découvre désormais dans le P.C.T., des niveaux de hiérarchie inaccessibles à certains militants, comme [PAGE 164] dans la hiérarchie constructible de Gödel, la corporation militaire subira un traitement social des plus avantageux. Les salaires mensuels des militaires sont versés régulièrement alors que ceux des civils travaillant dans la fonction publique et les entreprises d'Etat subissent un retard considérable. Les militaires dominent le pays. Marien Ngouabi oppose l'armée à la jeunesse. La grève des élèves des lycées et des collèges en novembre 1971, suivie de celles des étudiants, sont réprimées. Marien Ngouabi entonne, comme dans un negro spiritual, le slogan : « Le pouvoir est au bout du fusil ». Et le chœur des militaires lui réplique : « Si tu avances, nous te suivons, si tu recules, nous t'abattons ». Ces fusils dont parle Marien Ngouabi sont fabriqués par des industriels étrangers. L'armée congolaise les importe. On ne peut pas crier haro sur « l'impérialisme » et importer des objets produits par ces mêmes « impérialistes ». Il y a une contradiction antagonique.

L'intellectuel congolais, après les déboires du socialisme scientifique prôné par le M.N.R. sous Massamba Debat, ne croit plus au marxisme-léninisme. Par insatisfaction psychologique, il considère cette idéologie comme un vernis culturel importé, n'ayant aucun impact sur sa vie quotidienne ni sur celle de ses compatriotes. Quand il exerce le métier d'enseignant, c'est un être passionné, rompu aux ficelles du métier. Lorsqu'il est ingénieur, il reste un cadre expérimenté. Il se désintéresse des activités politiques.

Marien Ngouabi trouve cette attitude réactionnaire, car elle s'oppose aux « actions positives entreprises par le P.C.T. pour affranchir les travailleurs congolais de la misère et de l'exploitation impérialiste. »

Marien Ngouabi va alors renforcer la suprématie du Parti sur l'Etat. Pour être nommé à un poste de responsabilité, dans un organisme public ou parapublic (entreprises, ministères, banques, armée, organisations de masse ... ) dont les activités ont un impact sur la vie économico-sociale et culturelle du Congo, deux conditions doivent être remplies : il faut non seulement être qualifié (on dit « expert »), mais d'être engagé politiquement en s'adaptant aux exigences du Parti (on dit « être rouge »). La réponse des membres [PAGE 165] du Parti ne se fait pas attendre. Comme ils remplissent la plus importante des conditions, « être rouge », ils revendiquent la direction des affaires dans les unités économiques et sociales où ils étaient confinés aux fonctions de subordonnés.

Les intellectuels congolais sentant leurs intérêts vitaux menacés, vont cesser d'être indifférents à l'égard du P.C.T. et de son chef Marien Ngouabi. Ils vont postuler leur adhésion au P.C.T. En modifiant leur comportement, ils accréditent la tactique de Ngouabi consistant à contrôler leur vie matérielle. Marien Ngouabi va rendre difficile l'adhésion au Parti. On adhère désormais au Parti par cooptation. Au risque de rater son adhésion au Parti, et de souffrir de la détérioration de sa condition matérielle, le postulant doit améliorer son image de marque révolutionnaire, en étant, par exemple, chantre de la révolution. L'évolution du postulant est contrôlée par un membre de la cellule de base du Parti. Certains postulants, inquiets de la longueur des délais d'adhésion, courtisent des groupes de pression. Mathématiquement, cela peut s'exprimer ainsi. Prenons deux individus a et b. a est le postulant et b le membre du Parti. a fait part à b de son intérêt d'être membre du Parti. a revendique auprès de b son appartenance soit au même groupe ethnique, régional, soit au même corps socio-professionnel, soit au syndicat, soit à une même organisation de masse : jeunesse (U.J.S.C.), femmes (U.R.F.C.), international (A.C.A.P.), soit à la même génération que lui. b conscient du fait que a est déjà en relation avec lui dans une situation qui lui est favorable, va plaider sa cause auprès de son supérieur hiérarchique. Les premiers membres du Parti n'étaient pas guidés par des intérêts matériels. En dirigeant l'Etat, le P.C.T. devenu la classe dominante de la société congolaise, possède tous les moyens de la production matérielle (6e fragment). La lutte pour l'accession au pouvoir politique devient l'idéologie à part entière qui mobilise les Congolais. Hors du pouvoir, point de salut. Nous assistons à un phénomène nouveau : la substitution idéologique. L'idéologie marxiste-léniniste n'est plus un critère d'adhésion au Parti. Cette idéologie va servir d'apparat pour camoufler des activités géopolitiques dont les intérêts s'opposent [PAGE 166] aux besoins vitaux des populations.

Aux derniers moments de sa vie, Marien Ngouabi va révéler des goûts inconciliables avec les responsabilités politiques. Il fait installer dans son palais de l'état-major un laboratoire de physique. Un précepteur français l'initie à l'énergie solaire, lui délivre un diplôme de l'enseignement supérieur. Ses manœuvres pour se faire succéder par son prédécesseur Massemba Debat vont être déjouées par ses militants. En 1977 Marien Ngouabi et le Cardinal Biayenda, chef de l'Eglise Catholique au Congo, sont tués dans des conditions obscures, ainsi que Massemba Debat et ses dix collaborateurs. Un Comité Militaire du Parti composé de dix militaires lui succède avec le général Yhombi Opangault à sa tête (Document R.D.C.). Le 5 févier 1979, par de subtiles manœuvres, liées vraisemblablement au boom pétrolier que va connaître le Congo dans la décennie 80, Sassou Nguesse « maîtrise la situation » congolaise, c'est-à-dire devient le chef suprême du Congo. Un école supérieure du Parti a été créée pour approfondir l'idéologie marxiste-léniniste et éduquer les cadres du Parti.

LE PROBLEME DE L'EMPLOI LE MUTISME DES INTELLECTUELS ET LA PERTE DE LEUR IDENTITE. QUE DEVIENT L'INTELLIGENTSIA CONGOLAISE ?

Elle a obtenu, grâce aux sacrifices du peuple congolais, les diplômes les plus élevés que puissent délivrer les meilleures universités d'Europe et d'Amérique (Dauphine, Orsay, Oxford, Louvain la Neuve, Moscou, Sorbonne, Toulouse ... ). Ces diplômes sont répartis par la direction de l'orientation des bourses (la D.O.B.) dans toutes les disciplines contemporaines imaginables : Mathématiques pures et appliquées, informatique théorique et expérimentale, mécanique, acoustique, [PAGE 167] aviation, chimie quantique, biologie moléculaire, physique des particules, des solides, physique nucléaire, phytotechnie, électronique, électrotechnique, automatisme, génie génétique, médecine, géologie, sciences politiques, philosophie, sciences de l'éducation, économie, linguistique, sociologie, psychologie, égyptologie, finances, gestion, commerce, marketing, droit international.

Pour endiguer le flux de retour des étudiants demandeurs d'emplois, il a fallu aux têtes pensantes du P.C.T. trouver un bouc émissaire. Les membres du P.C.T. prétendent qu'ils ont reçu des instructions du F.M.I. – liées à l'affaire de la dette congolaise – prônant l'arrêt de la création d'emplois des Congolais. Travailler pour gagner sa vie n'est plus un droit pour tout Congolais, comme l'était l'acquisition automatique de la bourse d'études dès l'obtention du Baccalauréat. En réalité le problème de l'emploi au Congo est situé à deux niveaux : un niveau vertical où les ethnies se livrent des luttes impitoyables dues au simple fait que l'Etat reste le plus grand employeur valorisant l'éthique du fonctionnariat : « ... Tout le problème se situe donc au niveau du travail, parce que le travail, on ne le donne qu'à l'homme de sa tribu » (Marien Ngouabi, Vers la construction d'une société socialiste, p.131 ); puis un niveau horizontal : comme le P.C.T. tient à sauvegarder son « rôle non seulement de centre de contrôle et de stabilisation des couches sociales dirigeantes mais aussi d'instance (et c'est peut-être là la plus importante fonction) de reproduction du groupe dirigeant » (Jeunesse congolaise dans l'immigration, no 2, Oct. 84, p.7), un véritable tri politique est fait parmi les demandeurs d'emplois. C'est dans la condition d'illettré de type nouveau que l'intellectuel sera membre du Parti engagé dans la vie active et apprécié de la population comme symbole de réussite sociale. L'adhésion au P.C.T. n'est pas obligatoire, mais la soumission aux idéaux du P.C.T. frappe tous les Congolais; « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Un jeune intellectuel sorti des bancs de l'université se trouve inéluctablement au chômage, non par volonté, ni par saturation des cadres, mais parce qu'il possède des connaissances inutiles au développement et à la gestion de l'Etat de pénurie instauré [PAGE 168] par le pouvoir politique congolais. Pour la gestion de cet espace de pénurie, il y a concurrence entre cadres endoctrinés et ceux non encore endoctrinés; et ces derniers doivent faire leurs preuves en s'adaptant aux critères d'adhésion au P.C.T.

L'endoctrinement est informel. Il ne vous est pas requis d'étudier les principes du marxisme-léninisme. Indépendamment du lieu où l'on se trouve, tout concourt à votre endoctrinement. Il consiste à renier les connaissances reçues des bancs scolaires, considérées « comme une déformation » (Njoh Mouelle, De la médiocrité à l'excellence, p.30) par rapport à l'identité congolaise modelée par le Parti. Cette nouvelle identité habite dans l'individu si celui-ci se conforme à de nouvelles mœurs et coutumes codifiées et normalisées : il convient de citer la fréquentation des boîtes de nuit et des bars-dancings, comme lieux de prédilection des nouveaux militants; l'ostracisme contre les nouveaux chômeurs fraîchement débarqués considérés comme des gens oisifs, alors qu'il y a le « plein-emploi »; la méfiance face aux demandeurs d'emploi; la participation aux séminaires politiques pour s'initier à la démagogie politicienne; la délation de sa famille, de ses amis et de ses voisins, lorsqu'en intimité, ceux-ci calomnient les dirigeants politiques; le développement de l'égocentrisme et de la famille nucléaire; l'indifférence face aux personnes démunies considérées comme des inadaptés sociaux; le détournement des mineures et la multiplication des « seconds bureaux ». L'intelligentsia congolaise n'ayant pas pu s'organiser à l'université dans des structures de formation et de recherche, ni se doter d'une stratégie de lutte pour améliorer l'éducation et la recherche au Congo, l'intelligentsia congolaise n'ayant pas pris conscience du rôle historique d'avant-garde que lui avait assigné le peuple congolais dans la bataille du développement, sera défaitiste. En ayant capitulé, elle sera « hors d'état de se défendre » et se soumettra à la volonté du P.C.T.. Certains militants de l'A.E.C., de retour au pays natal, sans vergogne adoptent la position d'intégrer le Parti afin de le transformer, pérorent-ils, de l'intérieur. C'est l'inverse qui se produit. Depuis, le P.C.T. les a transformés. Ils sont devenus carriéristes. L'expérience politique du groupe M 22 est désormais [PAGE 169] inscrite dans les annales de l'histoire congolaise et doit édifier la jeunesse : « Impossibilité de détruire l'appareil d'état néocolonial parce qu'on est dedans, et en y étant, on s'en sert, c'est-à-dire qu'on le reproduit et on le consolide ». (Document M 22) L'intelligentsia atomisée, par les actions individualistes, va se contenter des postes de travail ne correspondant pas aux objectifs pour lesquels elle était formée à l'étranger. Etre conseiller du ministre et conseiller à la présidence sont les plus prisés. Elle s'y ennuie et gère l'état du sous-développement, c'est-à-dire la pénurie. Toute l'énergie créative des intellectuels et des populations a été inhibée et tous les efforts du gouvernement sont orientés pour gérer l'état du sous-développement, c'est-à-dire la pénurie. Cet état de fait va aboutir à une asphyxie intellectuelle, à une atrophie de l'espace universitaire congolais, entraînant ainsi une négation de l'identité (non pas ce statut officiel inopérant toléré par le pouvoir pour redonner bonne conscience, mais) intrinsèque du chercheur, où la recherche devient l'accouchement d'un nouvel espace de liberté « Il se produit donc quelque chose comme un retour de l'homme instruit à un stade d'ignorance qu'il avait déjà franchi » (Njoh-Mouelle, De la médiocrité à l'excellence, p.31).

« Bien qu'ils aient passé de longues années à l'école, ... « ces intellectuels », sont entièrement semblables à des illettrés ». L'inexistence des séminaires de recherche scientifique, colloques et congrès va de pair avec celle des revues et journaux de recherche. Par contre certains universitaires, « dépourvus de conviction personnelle, ou la taisant s'ils en ont une par faiblesse d'esprit et de condition » ont saisi la perche que le Parti leur a tendu, de gérer un organe de propagande idéologique, dite Revue de sciences sociales. Inexistence des éditions destinées à publier des produits de recherche. Absence de nouveauté et de qualité dans les bibliothèques d'enseignement et de recherche. Insuffisance des librairies scientifiques. Il naîtra dans la société civile une attitude paradoxale vis-à-vis des intellectuels : d'un côté un spontanéisme anti-intellectuel, une méfiance vis-à-vis de tout ce qui est pensé, réfléchi; de l'autre une admiration pour les fonctions purement bureaucratiques auxquelles accèdent les intellectuels. [PAGE 170] Ces nouveaux fonctionnaires symbolisent la réussite sociale. Le paradoxe vient du fait que le symbole de la réussite sociale dans ce pays sous-développé est en même temps l'agent pathogène du développement du sous-développement.

Que sont devenus les intellectuels exclus du P.C.T. ? Ils ont également perdu leur identité et sont déguisés en chômeurs. Parasites, ils sont la risée de la population, mais survivent paradoxalement grâce à la solidarité ethnique. Les intellectuels expatriés sont fustigés dans leurs différents milieux socio-familiaux comme responsables du sous-développement, du fait qu'ils s'abstiennent de rentrer et se dérobent ainsi à leurs tâches. Mais, paradoxalement, se propage dans l'imagerie congolaise l'idéologie suivante : « Nul n'est indispensable. » pour signifier que le peuple congolais n'a pas besoin de ces intellectuels expatriés pour se développer. Pour survivre, ils sont contraints de faire de la manutention pure ou intellectuelle (maître auxiliaire), du gardiennage, de la plonge, du ménage, avec des doctorats et des licences ou des maîtrises en poche. Comme ils se considèrent comme de simples immigrés économiques, la recherche scientifique est reléguée au dernier plan, par-dessus le marché, ils remettent en doute l'intérêt de la connaissance proprement dite par rapport à l'analphabétisme. Il s'ensuit un gaspillage des ressources humaines, une entropie généralisée, conjoncturellement et structurellement, qui trouve son explication dans l'immobilisme des intellectuels de recouvrer leur conscience politique.

Par conséquent, le problème de la fuite des cerveaux congolais à l'étranger est « dénué de tout fondement », si l'on ne saisit pas la stratégie idéologique expérimentée par le P.C.T. pour faire imploser et atomiser les intellectuels congolais.

LA DESTABILISATION MATERIELLE ET MORALE DE LA JEUNESSE : DEBROUILLARDISE ET SAUVE-QUI-PEUT

Tous les faits qui décrivent l'état de sous-développement [PAGE 171] d'un pays sont expliqués par le pouvoir comme une calamité relevant d'une minorité de cas sociaux : « C'est un cas social; il est maudit par sa famille; ce sont les réalités du pays; il faut être réaliste; tu rêves; nul n'est indispensable; c'est un rêveur », telles sont quelques unes des expressions prosaïques prisées par les Congolais.

Dans jazz et vin de Palme, du romancier congolais Boundzeki Dongala, le narrateur Kuvezo pose une question indiscrète qui permet d'entrevoir les problèmes endurés par l'interlocuteur Kali Tchikati son ami d'enfance : « ... Que deviens-tu ? Raconte ! »

Cela laisse-t-il supposer que Kuvezo inspire confiance ? Que Kali Tchikati peut lui confier ses secrets les plus intimes ? Ce serait une performance dans cette société où les habitants se méprisent entre eux, s'épient, se jalousent à qui enfoncera l'autre dans l'abîme de la souffrance. En vérité le contrôle de la vie privée de l'autre devient une nécessité vitale comme manger, boire, dormir. Kuvezo aime à s'informer de ce qui a changé dans la vie de Kali, pour jauger l'évolution de sa propre vie, pour mesurer sa propre aliénation. La connaissance que l'autre souffre autant que soi-même est thérapeutique. Elle relativise ses propres souffrances. Kuvezo veut savoir comment Kali s'est débrouillé (c'est le mot !) face à la galère qui s'est progressivement installée dans le pays et imputable à personne.

Se débrouiller, non pas pour survivre simplement au jour le jour, mais vivre réellement et mieux aussi que ceux qui détiennent le pouvoir. Le reste est illusion. La recherche scientifique est illusion. La politique est illusion. Sauf l'argent, les femmes et la boisson. C'est là que réside la vérité, car c'est la réalité. Et dans la débrouillardise, on est seul : « Seul je suis ! ... Seul ... Seul ... Seul je parcours les solitudes cosmiques » (Livre des morts, chap. 42). Chacun a perdu le sens du civisme et doit compter sur ses propres forces. Les « maquis » ou « nganda » ou « chantiers » ou « circuits » sont remplis, même pendant les heures de travail. On vient s'y informer de la manière dont les autres se débrouillent. Ce système de propagation de la bonne information au moment d'une activité juteuse s'intitule la radio-trottoir. [PAGE 172] Obtenir une information sur la vie de l'autre c'est presque avoir un contrôle sur sa vie. Kuvezo ne cherche pas à résoudre les problèmes de Kali. Le contrôle prédispose à une fonction infra-politique qu'est la délation.

C'est à travers le train de vie des jeunes que l'on peut mesurer l'avenir d'un pays. La politique adoptée par le pouvoir actuel consiste à déstabiliser matériellement et moralement la jeunesse. En rendant possible le vagabondage interne (aggravation de l'aliénation culturelle, exode rural) et externe (émigration vers l'ancienne métropole). Ce vagabondage (kuyakamba, en kikongo) provoque chez les sujets exclus des marchés du travail et n'ayant pas d'activités de substitution, une sclérose spirituelle qui débouche sur la perte de la conscience historique. Contrairement à l'opinion répandue, la perte de la conscience historique n'est pas seulement due à l'occupation étrangère, mais aussi et surtout à la confiscation du pouvoir politique par une oligarchie « qui considère l'Etat comme une propriété privée, sans que les dirigeants n'aient de comptes à rendre à des citoyens privés du droit à la parole » (Des systèmes à bout de souffle, P. Haski Libération Sam. 3 et Dim. 4 mars 1990). Selon Cheikh Anta Diop, cité par Tati Loutard (Modernité, culture technologique et identité culturelle, page 10 dans Sciences et Technologie, Sept.-Oct.-Nov. 1981) la conscience historique permet grandement à l'homme de croire en lui-même, en lui restituant l'autonomie créatrice; et la perte de cette conscience engendre la stagnation ou même parfois la régression, la désagrégation et le retour partiel à la barbarie. Dans les trois cas de figure que nous allons présenter, les jeunes, qu'ils soient étudiants, chômeurs ou pseudo-prostituées, vivent la même tragédie. Le gouvernement, avec un cynisme glacial, a fui ses responsabilités, mais tend à sauvegarder son métier d'être au pouvoir. Comme il n'y a pas de renouvellement de la population active, l'indifférence à la croissance de la misère et le manque de dialogue entre les populations démunies et les dirigeants, vont conduire inéluctablement à des explosions sociales et à la disparition effective du système de retraite, limité jusqu'à présent aux seuls fonctionnaires. Nous sommes en voie de génocide des populations [PAGE 173] congolaises.

THESES SUR LA CONDITION FEMININE

Pour le pouvoir, le processus de liquidation du sous-développement a été bel et bien engagé depuis qu'il importe les biens manufacturés que le peuple désire tant et toujours. Aussi, il convient de ne plus user de ce terme : le Congo est un pays développé. Le sous-développement n'existe que dans la conscience des universitaires. Cette thèse traduit sans doute l'attitude de la population féminine en temps de crise sociale et économique. On peut dire que la femme congolaise prise individuellement, ne croit pas au sous-développement. L'inadaptation sociale est une faute individuelle, voire même une malédiction divine. Il suffit de s'adapter à la nouvelle réalité. En courtisant les membres de la classe dirigeante, on devient riche. La pauvreté devient suspecte car elle dénote une non-conformité aux lois et coutumes propagées dans la population par le P.C.T.

Quand un jeune homme rencontre une jeune fille de sa génération et désire l'épouser, il doit posséder un emploi pour subvenir aux besoins du couple. La majorité des jeunes Congolais sont au chômage et très instables. Jusqu'à l'âge de trente ans au minimum, les garçons sont pauvres, forcés au célibat, en dépendant matériellement de leur famille élargie. La population féminine, plus dévergondée, tend à rationaliser ses sentiments amoureux, à les orienter vers une génération d'hommes plus âgés et surtout stabilisés matériellement par le pouvoir politique. Le comportement des jeunes filles venant des milieux défavorisés est patent. Il ne leur reste que l'instrument sexuel comme valeur d'échange dans le marché du travail. C'est grâce au sexe que ces femmes vont changer de couche sociale et avancer dans la hiérarchie de la société. Ce n'est pas de la prostitution. La prostituée fait commerce avec des individus quelconques de la société. Elle a son espace où les candidats au plaisir éphémère peuvent la repérer. Elle ne sélectionne pas les individus. Or ici le sexe féminin est réservé aux [PAGE 174] individus de la classe dominante. Tous les biens matériels qu'elles reçoivent de cette classe par le commerce sexuel deviennent une grâce : vu leur modeste origine sociale, on leur fait marteler qu'elles n'ont aucun droit à l'existence. Ce phénomène soigneusement cultivé par la nomenklatura congolaise aboutit à l'inhibition de l'effort individuel, à un assistanat de la femme congolaise et surtout à la banalisation de la corruption comme le moyen le plus efficace et le plus réaliste pour réussir dans la vie. La population féminine est également victime des calculs « algébriques » orchestrés par les parents lors des mariages.

Les « vieux » Congolais du nord au sud, de l'est à l'ouest, dans cette période de crise, font des mariages de leurs filles des affaires lucratives. L'amour étant inexistant, le groupe social du prétendant est le critère le plus important pour acquérir une femme dans les milieux congolais. Plus ce groupe pactise ou est proche du pouvoir politique, plus la belle famille devient consentante. L'avis de la jeune fille est symbolique pour sauver les apparences. Le mariage est un acte de promotion de la famille. Les rêveries proto-médiévales sur la sensualité ou la tendresse entre amants sont de pures illusion. Plus la jeune fille est métissée et diplômée, plus la dot se confond avec une vente aux enchères.

LES SAPEURS-CHÔMEURS

La jeunesse démunie d'emplois est piètrement désorientée et divertie par un mouvement dénommé la sape : la société des ambianceurs et des personnes élégantes. Les jeunes sapeurs-chômeurs font la réclame gratuite de la haute couture française, italienne et anglaise. L'industrie congolaise de l'habillement traîne encore à l'âge de la pierre taillée, mais le dandysme des sapeurs, leur préciosité se situe déjà dans le troisième millénaire. Le comportement des jeunes est le baromètre d'une société en crise. Au lieu d'enrayer ce mal à la racine, par la formation et la création des emplois, l'U.J.S.C. [PAGE 175] (union des jeunes inconditionnels du P.C.T.) aggrave ce mouvement en adoptant trois attitudes : 1) fustiger l'aliénation des jeunes sapeurs en orchestrant une campagne de dénigrement dans les mass-media internationales et en les traitant d'inadaptés sociaux, d'aventuriers; 2) en bradant l'immeuble parisien sis au 20 rue Béranger dans le troisième arrondissement[1], la M.E.C., acquis du peuple congolais, que les sapeurs partageaient avec les militants de l'A.E.C., pour faciliter leur expulsion. 3) infiltrer le mouvement de la sape en créant des sapeurs-militants de l'U.J.S.C., employés à la fois comme des agents de développement de la sape, et des ouvriers de renseignement dans l'économie de la délation que l'Etat congolais a institué. Pourquoi développer la sape ? Comme le gouvernement ne peut pas créer des emplois pour ces jeunes chômeurs, il faut les divertir, les occuper, les maintenir dans l'ignorance avant qu'ils ne prennent conscience de leurs conditions de misère. Car « Un peuple amorphe, adonné à l'alcool, aux plaisirs, paresseux, indolent, bouché, n'a pas de chance de réaliser son état de misère et de réagir en conséquence. Il faut donc un peuple mûr, travailleur, à l'esprit vif et prompt à comprendre, qui est seul capable de reconnaître ses souffrances et d'y chercher un remède » (Document Massamba Debat). Pour rendre véridique ce tableau, il faut observer les soucis quotidiens des membres dirigeants le Parti-Etat jouir pleinement des plaisirs raffinés de la vie. Ces jeunes font un mimétisme des mœurs de la classe sociale dominante. La sape donne l'illusion d'avoir réussi dans la vie, l'illusion d'être considéré comme membre à part entière de la classe dominante. Malheureusement, l'élégance cesse avec l'âge adulte « la réalité de la vie quotidienne réapparaît dans toute sa nudité, avec tout ce qu'elle a de décevant et de cruel ». Le sapeur ne peut plus responsabiliser l'Etat, qui le culpabilise d'avoir fait du dandysme dans sa jeunesse au lieu de « gagner sa vie » Comme dans la cigale et la fourmi : – Que faisiez-vous au temps chaud ? – Nuit et jour à tout venant je chantais, ne vous déplaise – Vous chantiez ? j'en suis fort aise : Eh bien ! dansez maintenant ». [PAGE 176]

LES ETUDIANTS CONGOLAIS EN FRANCE :
ENTRE LA SOUPE POPULAIRE ET LA CLANDESTINITE OFFICIELLE

Parmi les quelque 15.000 Congolais résidant en France, la moitié de cette population est constituée d'élèves et d'étudiants. La majorité d'entre eux sont arrivés d'une façon régulière et sont boursiers de l'Etat congolais. Mais depuis que le P.C.T. est arrivé au pouvoir et que les services de Gestion des étudiants ont été transférés du Quai d'Orsay (L'OCAU) à l'Ambassade du Congo (L'OGESC), on constate une irrégularité dans le paiement des bourses en deux périodes bien précises de chaque année universitaire : en fin d'année scolaire, pendant les préparations des examens; en période de rentrée scolaire. Les étudiants sont très instables en ces deux périodes et redoublent souvent les classes. Or l'UJSC qui campe à l'OGESC, a fait passer une loi implacable disant ceci : quand un étudiant redouble deux fois la même classe, il n'est plus sous la tutelle du gouvernement congolais; sa bourse et sa couverture sociale sont coupées; et comme il ne peut plus renouveler sa carte de séjour, il ne lui reste plus que le retour au pays natal. Or depuis quelques années, les billets de retour ne sont plus disponibles; et l'irrégularité des bourses de ceux qui s'accrochent tant bien que mal aux études va de mal en pis. Les étudiants congolais perdent vite leurs illusions en découvrant qu'ils étaient devenus « les esclaves, les jouets et les victimes » d'une mafia bien organisée. Pour brader les richesses du sous-sol congolais aux affairistes véreux, le pouvoir politique occupe les étudiants à faire de longues études débouchant sur l'humiliation et le chômage. Ecarté des affaires politiques, maintenu dans l'instabilité permanente à l'étranger à cause de l'irrégularité et de la précarité de la bourse, l'étudiant reste impuissant. Il contemple avec une rage au cœur les bouleversements du monde européen. Ainsi dérive-t-il ses frustrations pour ne pas tomber en catalepsie comme l'âne de Buridan, vers une satisfaction psychologique en mimant les sapeurs, ou vers l'illusion de devenir homme d'affaires. La majorité de ces étudiants coexistent [PAGE 177] avec les ouvriers noirs, arabes, turcs dans les foyers de la Sonacotra, de l'Adef et quelques autres. Ce sont des machines à dormir « conçues pour reconstituer la force de travail » (sic) des ouvriers immigrés et non des espaces dynamiques pour entretenir de la matière grise susceptible de développer le Congo. On comprend pourquoi sur trente années d'indépendance, d'expédition officielle des étudiants à l'étranger, les intellectuels Congolais ne portent aucun intérêt à la recherche scientifique. Cliniquement leurs cerveaux ont subi l'effet néfaste d'un habitat quasi-carcéral. Les chambres-cercueil ont à peine quinze m2 de superficie. Le loyer prend près de trois quarts de la bourse, qui reste maintenue depuis 1980 à 1500 FF. Nous sommes donc en face des vrais-faux clandestins fabriqués par ricochet par le pouvoir politique congolais. Certains survivent grâce à la soupe populaire.

L'OPPOSITION FACE A LA FAILLITE DU MONOPARTISME : LA QUESTION DE LA DEMOCRATIE ET LE POUVOIR SCIENTIFIQUE

Les bilans critiques des régimes politiques des feux présidents Youlou, Massamba Debat et Ngouabi sont connus des Congolais. Alors que le multipartisme existait avant l'indépendance, c'est le President Fulbert Youlou qui eut l'idée d'introduire le monopartisme au Congo; cela fut concrétisé par le Président Massamba Debat. Le mal unique des Congolais vient du Parti unique. La nouveauté du régime actuel réside dans le fait que le Congo ayant connu un boom pétrolier aurait dû décoller économiquement. L'argent du pétrole avait été dilapidé et gaspillé dans des activités liées au renforcement du pouvoir des dirigeants du P.C.T. La vérité du monopartisme au Congo réside en ceci : la détention du double monopole (au sens de l'économie politique) de la braderie des matières premières et de l'importation des produits manufacturés. En créant le P.C.T., les hommes politiques congolais ont créé une affaire qui marche bien. La main-d'œuvre congolaise est docile et le syndicalisme [PAGE 178] à la remorque du P.C.T.. Toute forme de concurrence susceptible de gêner le dit monopole en revendiquant le droit de regard et de contrôle des affaires du pays, le droit à l'information, la liberté d'entreprendre hors des sentiers battus, a été neutralisée. Les soubresauts politiques, les coups d'Etat de palais, les réajustements de la révolution que traverse le P.C.T. sans que cela change les conditions matérielles des populations, « n'ont de dénominateur commun que le souci de confiscation et de conservation du pouvoir pour le contrôle des ressources de l'Etat. » (Jeunesse congolaise dans l'immigration, no 2, Oct. 84, p.7).

L'opposition ne doit pas former un front uni ligué contre le P.C.T.. Tous les membres du P.C.T. n'ont pas de conviction idéologique. En outre tous les Congolais n'apprécient pas de la même façon le P.C.T. et son action. La négation du P.C.T. n'est pas un critère suffisant de création d'un parti d'opposition. La constatation d'une misère caractérisée dans la population, l'insuffisance des conditions matérielles de première nécessité comme l'alimentation, les vêtements, les soins de santé, l'électricité, l'évacuation des eaux usées, l'eau potable, est révoltante. Elle donne, certes, des raisons de s'engager dans une lutte; mais elle ne fournit pas les armes d'une lutte efficace et victorieuse. Un parti d'opposition se crée sur la base d'un projet de société dans le but d'insuffler un élan, une nouvelle mentalité pour un homme nouveau; par fidélité aux principes élémentaires de la démocratie, un projet de société ne peut pas faire l'unanimité de tous les Congolais. Seule une opposition responsable, intègre, organisée et démocratique, débloquera le Congo de l'imbroglio infernal dans lequel le pouvoir actuel l'a empêtré.

L'ethnocentrisme est un mal pernicieux que tout parti politique doit extirper de son idéologie.

D'OU VIENT L'ETHNOCENTRISME ?

Le sous-développement a obligé les Congolais à vivre une existence d'incarcérés. L'émigration devient une solution [PAGE 179] salvatrice. Cet état de claustration a développé dans la population un état psychologique propice au retour aux peurs ancestrales – dans la sorcellerie (kindoki, en kikongo) ou dans les sociétés secrètes où une pseudo-spiritualité a gagné du terrain pour les âmes les plus résignées ou celles ayant foi en l'accumulation d'un patrimoine vital. Etre au chômage, c'est subir la malédiction d'un oncle maternel, d'un grand parent ou d'une mère auxquels on aurait désobéi. La population craignant de culpabiliser un Parti-Etat irresponsable mais omnipotent, a été obligée de bannir toute référence au sous-développement et d'expliquer la condition du chômage par une idéologie passéiste : le chômage est d'origine métaphysique. Nous sommes donc en présence d'êtres dédoublés, dépossédés, dont les forces de travail, les valeurs morales ont été détournées, confisquées, pour la satisfaction des désirs de la classe sociale dominante. Toute l'énergie de la population qui devait être consacrée à la bataille du sous-développement est dissipée dans des divertissements quotidiens d'auto-dénigrements, de querelles intestines. Et le mal de la société congolaise réside dans la peur de désigner le coupable, le P.C.T.-Etat, jugé trop puissant. Cette peur de se montrer, de dévoiler son vrai visage, de crier sa misère, transforme le mal des Congolais en médiocrité. Les individus vivent « A triche cœur ». Dans l'imagerie congolaise, l'opposant congolais est perçu comme un être fantomatique, un desperado. Le pouvoir politique actuel se le représente comme simplement un opposant « tribal », un « youliste », un nostalgique de Débat, ne représentant que lui-même. Nous ne sommes pas d'accord avec la démarche de Suzie Guth, dans « L'opposant, un homme tribal (Colloque sur l'Afrique la politique et se représentation; Strasbourg 1989). Comme l'opposant ne peut être qu'un Congolais bel et bien vivant, il est originaire d'une région précise et appartient à une ethnie donnée du Congo. Le mal congolais ne se situe pas aux origines des individus. Les Congolais gémissent de la même façon sous le poids de la tyrannie du P.C.T.. Certes, le piège qui guette les partis d'opposition, que leur a tendu le pouvoir politique actuel, est celui de mobiliser leurs adeptes sur les mêmes critères qui ont ruiné le Congo et retardent son développement. Pour justifier sa tyrannie, [PAGE 180] habilement, le pouvoir politique actuel fabrique un complot permanent – ourdi par de curieux opposants « tribaux ». Les symptômes de la déraison les ayant atteints, les militants du P.C.T. s'appuient sur l'armée et sur l'ethnie pour accentuer leur dictature sur une population maladive en espérant trouver dans le tas, le cadavre d'un opposant « tribal ». L'ethnocentrisme perdure au Congo à cause de l'inexistence d'idéologies contradictoires basées sur un esprit scientifique compétitif. En logique, le verdict du second théorème d'incomplétude de Codel est clair : une théorie ne peut pas se penser elle-même, c'est-à-dire démontrer sa propre non-contradiction. La profession de foi sur la fidélité au marxisme-léninisme, les critiques internes et auto-critiques, le centralisme démocratique, sont des formules creuses qui cachent la démagogie politicienne et l'ignorance scientifique. L'une des erreurs fondamentales des pensées politiques fasciste et communiste, c'est d'avoir postulé que le monopartisme est la condition de développement des sociétés. La philosophie du matérialisme historique se trouve ainsi amputée d'une des lois fondamentales de la dialectique : la contradiction, source du mouvement. A l'origine, la dictature du prolétariat était censée s'exercer contre des capitalistes qui exploitent la classe ouvrière et partant le peuple. Comme l'avaient prescrit les théoriciens du marxisme-léninisme, la prise de conscience pour la constitution d'un parti d'avant-garde devrait être injectée aux ouvriers par des intellectuels prétendus révolutionnaires. Que constatons-nous ? C'est une oligarchie bureaucratique militaire ethnocentrique qui exerce la dictature contre les populations en leur demandant de « vivre durement aujourd'hui, pour mieux vivre demain ». L'expérience sociale a invalidé la théorie anthropologique marxienne. Mais Bakounine s'opposant à Marx sentait bien l'autoritarisme qui se dissimulait derrière la notion de « dictature du prolétariat ... Il prévoyait l'avènement inévitable d'une minorité privilégiée » de faux savants et experts, à qui leur savoir permettrait d'utiliser l'Etat pour dominer les travailleurs manuels sans instruction, ceux des champs comme ceux des usines. (Paul Avrich, Les anarchistes russes, éditions Maspero, 1975, p.30-31). [PAGE 181]

Les partis politiques sont les représentants des intérêts des populations. La démocratie est basée sur un dialogue sans cesse renouvelé entre la population et les partis politiques. Toute une pédagogie de la démocratie doit régir les partis politiques de l'opposition où qu'ils se trouvent afin que l'esprit démocratique se propage dans les mentalités. L'esprit démocratique est inhérent à la démarche scientifique. Dans le débat scientifique on ne cherche pas à convaincre son interlocuteur par la ruse ni par la force. Les principes, les arguments sont véhiculés par des raisonnements ou des inférences. De même que la démarche scientifique n'est pas une donnée innée de l'homme, la démocratie est une conquête de l'esprit humain; la conquête la plus fragile qui s'étiole dès que disparaît l'esprit de tolérance et de contradiction. L'opposition doit tolérer l'existence de variétés de partis s'opposant entre eux, dans un esprit d'émulation. L'homme politique doit fonder son comportement sur des valeurs scientifiques qui font progresser l'humanité. Il doit s'imprégner d'une démarche scientifique qui ne se suffit pas à elle-même, dans la recherche de la vérité : « Wittgenstein se rendit compte qu'il existait une connexion essentielle entre les problèmes de logique apparemment les plus techniques et ce qu'il appelle, dans le Tractatus, les « problèmes de la vie » (Lebensprobleme), entre une compréhension correcte de l'essence de la proposition et la découverte de l'attitude correcte à l'égard du monde et de la vie » (J.B. : Wittgenstein, penseur du siècle ? Le Monde du 19 mal 1989, p. 22).

On ne peut changer la société par de simples discours politiques sans une redéfinition de la science, une remise en question de la sociologie des connaissances et la création d'un espace intellectuel sans lequel la science ne peut se développer. A l'inverse, il n'y a pas de science neutre. Toute science est au service d'une politique.

Le savoir scientifique par ses conséquences technologiques, en assurant les conditions matérielles vitales des peuples, donne un contenu réel, une valeur sûre au pouvoir politique. L'homme de science en faisant de la politique une activité parallèle à ses activités scientifiques a pour mission de [PAGE 182] propager l'esprit scientifique dans la conscience populaire. L'esprit scientifique est le fruit d'une liberté conquise.

CREATION D'ESPACE INTELLECTUEL ET ACQUISITION DE L'ESPRIT SCIENTIFIQUE

La leçon que nous devons retenir des performances réalisées au lycée, à l'université, c'est que le système scolaire nous permet d'acquérir une parcelle de culture et nous donne un métier. Les recettes scolaires que nous ingurgitons en concurrence artificielle avec nos camarades n'ont rien à voir avec la création ou la recherche scientifique :

    Ce qu'on apprend, écrit Carl Stoermer, de mathématiques à l'école primaire correspond à l'alphabet; ce qu'on enseigne au baccalauréat correspond aux petites phrases de l'abécédaire; ce qu'on enseigne dans les cours élémentaires des universités correspond à de petits contes; seuls, les savants ont conscience de ce qui correspond à la littérature. (François le Lionnais, Les grands courants de la pensée mathématique, Rivages)

Les angoisses métaphysiques de l'intellectuel commencent dès l'instant où il prend conscience de sa place dans la société et veut dépasser l'être qui lui a été imposé par nécessité historique. Or dès qu'il y a ambition, il y a inéluctablement conflit entre l'existence de l'homme et son essence : « Entre ce qu'on est de fait et ce qu'on voudrait être, entre une certaine matérialité et une aspiration spirituelle, entre une manière de ne pas s'appartenir, d'être contraint par le social et un besoin d'indépendance et de liberté » (Bordas encyclopédie, 17 morale p.73). Il doit désormais résoudre trois types de problèmes : le problème de son existence, puisqu'il vit; le problème de la vie dans un espace intellectuel non-encore-être; la crise morale qui en résulte. Les thérapeutes du psyché préconisent que le salut de l'intellectuel réside dans la quête d'une nouvelle philosophie [PAGE 183] qui réconcilie l'homme avec lui-même. Ce problème moral, s'il en est, « comment réconcilier l'homme avec lui-même » fut réouvert par Hegel. Hegel affirme que pour être philosophe, il faut d'abord être spinoziste. Et qu'a-t-il retenu de Baruch d'Espinoza dans « Ethique » ? : la définition de la cause de soi « dans le sens de Descartes, un peu contre lui ». « Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l'existence » (Spinoza, Ethique). Marx, infidèle à Hegel, s'y frotte en vain et esquisse une réponse quasi contradictoire, plagiée chez Spinoza : « Il faut faire coïncider l'essence de l'homme avec son existence. Pour cela il doit avoir la maîtrise des choses alors qu'il y est soumis. La compréhension de son aliénation est aussi le moyen de sa libération » (C.J., Marxisme : le roman des origines, Figaro littéraire, p. ix, 19 oct. 87). Par conséquent la crise morale que traverse l'intellectuel n'est pas une crise individuelle. C'est une crise profonde, une crise politique, qui trouve son explication dans le fait que deux conceptions du monde opposent les individus dans toute société humaine. A l'origine, disent les philosophes, il y a deux mondes qui s'opposent, celui des matérialistes et celui des idéalistes.

Les matérialistes disent qu'il faut avant tout développer les conditions matérielles pour permettre à l'esprit de créer. Dans la situation actuelle des Congolais cela veut dire, il faut être réaliste, et se rallier au pouvoir actuel, qui est le seul employeur dominant, donc capable de pourvoir la puissance matérielle. Les idéalistes argumentent que, justement c'est dans des conditions de misère, de survie, que l'esprit doit enfanter un nouveau monde – comme une femme en gésine. L'esprit ne doit pas être conditionné par le matériel. Il doit être libéré. La matière devient une manifestation du pouvoir créatif de l'homme. Le génie, selon Arthur Schopenhauer, « ... c'est l'aptitude à perdre complètement de vue nos intérêts, notre volonté, nos fins; à sortir pour un temps de notre propre personnalité ... La jouissance que le génie éprouve dans toute forme de beauté, la consolation que l'art lui apporte, l'enthousiasme de l'artiste, lui permettent d'oublier les soucis de la vie; il trouve dans son œuvre la compensation aux souffrances qu'il éprouve proportionnellement à la clarté de sa conscience, [PAGE 184] à sa solitude désertique parmi les hommes ordinaires ». (Life and mystique of John Coltrane, p.74). L'acquisition de l'esprit scientifique par certains intellectuels progressistes s'opère par le mélange dialectique d'un esprit matérialiste et d'un esprit idéaliste. D'où la nécessité de l'existence d'une opposition, fût-elle en dehors du territoire congolais. La fonction crée l'organe (Lamarck) : « Toute fonction que doit accomplir un être vivant pour subsister détermine l'apparition chez cet être des moyens de l'accomplir (Le Robert ). L'acquisition de cet esprit scientifique est la condition cardinale de l'accouchement d'un espace politique au sein duquel prend naissance un espace intellectuel. La créativité scientifique est la preuve existentielle d'un esprit scientifique acquis dans un espace politique où règne la liberté politique ou bien les hommes de science aboutissent à une conscience politique révoltée, c'est-à-dire intériorisée. Cette acquisition passe inéluctablement par la rupure des rapports sociopolitiques contradictoires qui corrompent l'homme de science, dénaturent son identité et le rendent irresponsable. L'esprit scientifique n'est jamais neutre, ni moutonnier; il est engagé. Les hommes de science congolais doivent se doter des moyens intellectuels de rupture par une psychanalyse de leurs conditions d'êtres dominés. C'est dans la gestion digne et collective des douleurs occasionnées par cette rupture que naîtront les conditions de concurrence qui feront d'eux des êtres libres prêts au « rendez-vous du donner et du recevoir ». On ne parvient pas à l'universalité scientifique par une combine qui permet de satisfaire provisoirement ses désirs matériels, quand la population congolaise est réduite à lutter pour sa survie. On ne doit pas sauter par-dessus son peuple et se laisser corrompre par une classe dominante qui pille le peuple. Le prix à payer est lourd de conséquences : 1) pour la science, pour la société : « Il existe par exemple, un parallélisme fidèle entre le progrès social et l'activité mathématique; les pays socialement arriérés sont ceux où l'activité mathématique est nulle ou presque nulle, (Jacques Chapelon). 2) pour l'individu : la perte de l'identité intellectuelle et l'inexistence de l'esprit scientifique.

Les hommes de science doivent se positionner par rapport [PAGE 185] au pouvoir politique qui les domine. La libération suppose chez l'individu une rupture préalable avec tous les rapports sociaux par lesquels l'idéologie de la domination pénètre. Il n'est pas facile de rompre. Il est même douloureux de rompre surtout quand il règne un flou entre les rapports familiaux et politiques et que la famille vous dénie toute capacité de rébellion contre le pouvoir politique. Pour éviter de tomber dans le doute, il faut déceler la contradiction principale, racine de toutes les contradictions par laquelle l'individu est dominé. Depuis longtemps, le P.C.T. a fait croire au peuple congolais que la contradiction principale congolaise est celle qui l'oppose à l'« impérialisme ». C'est du mensonge. La contradiction principale pour le peuple congolais qu'il soit originaire du Nord, du Sud, du Centre, de l'Est, de l'Ouest se situe au niveau des rapports d'exploitation, de domination qui le lient avec le Parti Congolais du Travail. Les membres dirigeants du Parti ne doivent plus être considérés comme de simples épicuriens se trémoussant à la bière, au mboké et au kwasa-kwasa les soirs dans les nganda des quartiers de Poto-Poto, Ouenze et Talangaï, mais des adversaires politiques-principaux. Du fait que le P.C.T. est le seul parti admis par la Constitution, il bloque l'éclosion d'un espace politique et intellectuel susceptible de contribuer au développement de la société congolaise et d'édifier une nation. Dès que la contradiction principale a été repérée, il faut rompre avec les rapports de domination liés à elle, comme origine de toutes les dominations. L'individu est en voie de se libérer de sa peur : « Toute la médiocrité humaine provient de la peur » (Oscar Wilde). Les autres déterminations, les contradictions mineures rencontrées dans la société civile, n'avaient pour origine que ce conflit politique majeur mais latent, qui le liait à la classe dominante. Toutes les humiliations subies dans la société civile, dérision, mépris, calomnie, médisance, perte de vie privée, ostracismes qui naissent du fait d'une précarité matérielle, elle-même due au chômage, cessent dès que l'individu s'engage dans la vie politique. Ces intellectuels auxquels le Parti Congolais du Travail refuse les moyens de production intellectuelle, doivent apprendre à ne plus considérer leurs problèmes dans la vie quotidienne comme [PAGE 186] des problèmes individuels. Ils doivent cesser d'étaler dans les lieux publics leurs états d'âme suicidaires. Ils doivent cesser d'imploser; ils doivent corriger ces attitudes d'intériorisation de la conscience humaine : « Les masses les plus dangereuses sont celles dans les veines desquelles on a inculqué le venin de la peur, la peur du changement » (Octavio Paz)

Autrement dit, les moyens matériels qui vous sont refusés pour réaliser vos choix politiques « les problèmes d'argent », pour abuser d'un langage populaire, ces problèmes sont mal compris, s'ils sont appréhendés comme des problèmes relevant de la vie d'un seul individu. Dès lors la sociologie de la connaissance est faussée et la souffrance de l'individu perdure, tant qu'il ne se libère pas de son ignorance. On ne naît pas avec des problèmes individuels à l'image des maladies congénitales. Les problèmes moraux et sociaux non résolus par un individu durant la trame de sa vie, ces problèmes de la vie, dans la mesure où ils se posent à tout le monde, sont des problèmes politiques, et nécessitent donc des solutions politiques. Il faut enraciner les origines de la science et du pouvoir politique dans la compréhension des conditions de vie des peuples et l'élévation de leur niveau de vie. Toutes les contradictions mineures cessent dès que l'individu sort de la clandestinité dans laquelle le manque de courage politique, la couardise, le défaitisme, la peur de rompre, le besoin physiologique d'assistance le maintenaient. Le peuple reconnaîtrait en lui l'homme nouveau engagé, l'homme politique nouveau. Dans les traditions congolaises, on ne devient véritablement homme (Ngundia-muntu en kikongo, sukamoto en lingala, l'homme véridique) par opposition à l'homme médiocre (opamba en mbosi, Muntu wa mpamba-mpamba en kikongo) que si l'on engage son être, si l'on fait des choix politiques dans tous les actes que l'on pose dans la société. Dans la philosophie congolaise d'expression Kongo, les maîtres de la parole (Banzonzi) pénètrent l'assemblée Wbazi a n'kanu) par le salut que voici :

    Mfumu na Mfumu, Nganga na Nganga
    Nganga na Nganga, Mfumu na Mfumu [PAGE 187]

Littéralement, dans le même sens que la loi du talion « œil pour œil, dent pour dent » :

    Politique pour Politique, Savant pour Savant
    Savant pour Savant, Politique pour Politique

Nganga est interprété par l'homme de science ou le savant Mfumu est interprété par le chef, par extension, l'homme politique.

«Par liberté politique, dit Albert Einstein, on entend la liberté de pouvoir exprimer verbalement et par écrit ses convictions politiques ».

Ce discours parémiologique tend à faire signifier que dans un pays où règne la liberté politique, les hommes politiques doivent se mesurer aux hommes politiques. Il en est de même des hommes de science. Les intellectuels doivent cesser de se comparer au peuple qui leur a confié la lourde responsabilité de le représenter. Le peuple congolais n'est pas dupe. Les diplômés congolais reçoivent les mêmes connaissances que leurs homologues français, américains et autres. Pourquoi ces derniers font-ils progresser leur pays alors que les intellectuels congolais sont maintenus dans un état d'hibernation ? Les intellectuels congolais doivent s'interroger face à l'évolution de leurs disciplines respectives et face aux mutations de la science et de la technologie. Or s'interroger pour faire de la recherche scientifique une activité professionnelle est un choix politique.

SIGLES UTILISES

A.C.A.P. Association Congolaise pour l'Amitié entre les Peuples
A.F.C. Association des Etudiants Congolais en France
D.O.B. Direction de l'Orientation et des Bourses
J.M.N.R. Jeunesse du M.N.R.
M22 Groupe Défense Civile à la période 68-72
M.N.R. Mouvement National de la Révolution
O.C.A.U. Office de Coopération et d'Accueil Universitaire [PAGE 188]
O.G.F.S.C. Office de Gestion, des Etudiants et Stagiaires Congolais en Europe
U.J.S.C. Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise
U.R.F.C. Union Révolutionnaire des Femmes du Congo
P.C.T. Parti Congolais du Travail
R.D.C. Rassemblement Démocratique Congolais
SAPE Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes

MILIN PONT LOHOU (Bretagne-France), été 1989.

Mboka KIESE


[1] à Paris. (NDLR)

[PAGE 189]