© Peuples Noirs Peuples Africains no. 59-62 (1988) 225-228



LE FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL AU CAMEROUN

Déclaration du Comité de Coordination pour le Pluralisme au Cameroun (ccpc)

L'intervention du Fonds Monétaire International (FMI) au Cameroun peut être considérée comme l'événement marquant de la vie nationale de ces derniers mois.

Elle consiste pour le gouvernement de Paul Biya à se décharger sur cet organisme international dominé par certains pays de la responsabilité de l'économie nationale du Cameroun.

Cette intervention est, s'il en était besoin, une preuve supplémentaire de l'échec du pouvoir mis en place dans notre pays depuis le 6 Novembre 1982.

En réalité, cette intervention n'a pas pour but de permettre la mise en place des indispensables et profondes réformes des structures sociales, politiques et économiques qu'appelle la situation du pays; par conséquent elle ne cherche ni ne peut en aucune manière apporter la moindre solution à la crise qui ruine le Cameroun depuis une trentaine d'années : une crise aux dimensions multiples dont l'ampleur réelle n'est pas encore totalement perçue dans sa phase actuelle.

L'objectif réel du FMI n'est pas de résoudre les problèmes mais plutôt de servir de caution pour les investisseurs étrangers qui pillent notre pays. Les résultats du passage du FMI dans d'autres pays (le Zaïre par exemple) laissent au contraire prévoir une aggravation de la situation sociale et politique au Cameroun.

Par ailleurs, l'incapacité maintenant prouvée du Président Paul Biya quant à la gestion des affaires du pays, et la corruption incommensurable de son régime, enlèvent désormais toute illusion de voir un début de résorption de la crise dans les mois à venir.

Par conséquent toute "aide" extérieure, même supposée dénuée de toute arrière pensée, ne peut que renforcer la dégradation de la situation actuelle. Aussi, la seule manière d'aider le Cameroun, de la part de ceux (gouvernements et organismes internationaux) qui ont une influence sur le régime de Yaoundé, est d'exercer une pression sur celui-ci, afin de permettre la mise en place d'ELECTIONS LIBRES devant conduire à la désignation d'une équipe gouvernementale représentative et intègre, [PAGE 226] capable de mettre en œuvre une politique de redressement économique et d'assainissement social.

L'arrivée de Paul Biya à la tête de l'Etat, bien qu'intervenue dans des conditions obscures et anti-démocratiques, avait néanmoins suscité un grand espoir dans toutes les couches de la population car elle avait été perçue comme susceptible d'ouvrir la voie à une alternative politique après plus de 20 ans de dictature exercée par Ahmadou Ahidjo, docile successeur des gouverneurs coloniaux et fidèle serviteur des intérêts de l'étranger.

Malheureusement, il a suffi de quelques mois après l'installation de Paul Biya au pouvoir, pour constater une déception générale y compris dans les milieux du parti unique RDPC : manifestement, Mr Paul Biya ne pouvait répondre à l'attente du pays sur aucun plan.

Pire encore, et cela pour la première fois de son histoire, le Cameroun allait sombrer dans une situation de banqueroute totale créée par la classe politique sous la conduite de Paul Biya.

Sous ce régime héritier du parti unique instauré par la force par Ahmadou Ahidjo, les Droits de l'Homme ont été bafoués (arrestations arbitraires disparitions mystérieuses et autres assassinats maquillés en suicides, etc.), et la Constitution violée à maintes reprises.

Ainsi Paul Biya chef de l'Etat et chef du parti gouvernemental unique a, seul, la prérogative d'organiser des élections présidentielles chaque fois qu'il le désire (avril 1988), de raccourcir ou même d'allonger à sa guise le mandat des députés de l'Assemblée Nationale; de même toute candidature à quelque élection que ce soit (nationale ou locale), doit être soumise au parti unique et recevoir l'assentiment du chef de l'Etat. Il est bien évident que les seules candidatures recevables sont celles des membres du parti unique (minoritaire dans le pays), elles-mêmes soumises à un intense trafic d'influence interne.

Ce phénomène d'exclusion de la grande majorité des Camerounais n'est pas particulier au système électoral; on le retrouve dans tous les domaines essentiels (économique, éducatif, sanitaire) de la vie nationale. Ainsi, par rapport au système colonial direct, le Cameroun aura régressé de plus d'un siècle en vingt huit années d"'indépendance".

Jusqu'à l'éviction de Mr Ahmadou Ahidjo en 1982, les structures économiques de sous-développement, de dépendance et d'exploitation mises en place par l'occupant colonial sont restées intactes.

En effet la proclamation de l"'Indépendance" n'a nullement suscité chez les dirigeants du nouveau régime la volonté politique d'édification d'une économie nationale indépendante. La seule préoccupation du régime de [PAGE 227] Mr Ahmadou Ahidjo, consacrée d'ailleurs par des dispositions constitutionnelles, a été la sauvegarde des intérêts des capitaux étrangers.

Six ans après l'installation de Paul Biya à la tête de l'Etat, la même préoccupation demeure, avec en prime la théorisation de la dépendance et de la domination économique. Dans "Le Libéralisme communautaire" ouvrage signé par le chef de l'Etat, toutes les garanties sont assurées aux investissements étrangers. Nulle part dans cet ouvrage, il n'est fait allusion à aucune réforme de structures permettant de faire des Camerounais de vrais acteurs économiques, et permettant la création d'une monnaie nationale sans laquelle on ne peut parler réellement d'économie nationale

Le professeur Tchuindjang Pouemi, initiateur d'une campagne de sensibilisation sur ce thème, est mort dans des conditions mystérieuses et suspectes, après la publication de son livre "Monnaie, servitude et Liberté – La répression monétaire de l'Afrique".

La création d'une monnaie nationale est ainsi devenue un thème tabou parmi tant d'autres.

Le régime du parti unique a fait de l'Etat une propriété personnelle du Président – chef du Parti : le patrimoine national sous tous ses compartiments est en fait celui du chef de l'Etat, de sa famille et de ses agents qui n'hésitent pas à puiser directement ou par voie de détournements dans les caisses de l'Etat.

Ainsi les comptes dans des banques étrangères, les villas somptueuses en Côte d'Azur de Mr Ahmadou Ahidjo, les appartements de haut standing sis avenue Foch à Paris de Mr Paul Biya, ne sont le fait ni d'un héritage de famille, ni d'une fortune personnelle mais proviennent plutôt d'un pillage systématique des comptes de la nation.

Il est bien évident que la présence du FMI dans notre pays sous le régime de Mr Biya ne fera disparaître ni la corruption ni les pratiques scandaleuses des détournements de fonds publics par ceux que le Directeur même du FMI qualifie de "Criminels pour leur pays" En conséquence les fonds alloués par le FMI ou par tout autre organisme sont destinés à suivre le chemin des banques étrangères, des "comptes hors budget" ou des détournements par des mécanismes bien éprouvés au profit des entreprises personnelles de Mr Paul BIYA, de son équipe et de ses complices.

Le Comité de Coordination pour le Pluralisme au Cameroun déclare solennellement à l'intention des Organisations Internationales et des Gouvernements disposés à venir en aide à notre pays que l'ampleur de la crise actuelle est telle que toute aide est à priori vouée à l'échec tant que Paul Biya restera maintenu au Pouvoir au mépris de la désapprobation générale de sa politique par les Camerounais. [PAGE 228]

Il réitère que l'espoir d'un changement démocratique réel passe par le départ de Paul Biya de la Présidence de la République, suivi de la mise en place d'un Gouvernement d'Union Nationale chargé de restaurer la confiance des Camerounais et d'entamer les réformes de structures indispensables pour le redressement du Pays.

Pour le Comité de Coordination

Le Bureau

TONG TONG Jean Raphaël
TCHATAT Emmanuel
PANGA Denis
NLOMNGAN Dieudonné
MONGO BETI
EYINGA Abel
BASSIA Jean Marc
BAKANG TONJE

JANVIER 1989