© Peuples Noirs Peuples Africains no. 55/56/57/58 (1987) 329-339



VI. – ANNEXES

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ET LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES?

Abel Eyinga, dont nous publions par ailleurs un article, est l'un des animateurs les plus connus de l'opposition camerounaise en exil, activité pour laquelle le précédent dictateur le fit condamner par contumace à cinq ans de prison, en 1970, par un tribunal docile. Docteur en droit, il a longtemps enseigné à l'université d'Alger.

Résidant habituellement en France, Abel Eyinga avait pris au mot Paul Biya qui, à son avènement, parlait sans cesse de renouveau, d'ouverture et de libéralisation. Il avait donc accompli toutes les démarches requises pour obtenir un passeport et pouvoir voyager à sa guise, comme il est naturel dans une démocratie. Mais ce fut en vain. Des démarches auprès des services compétents du ministère français de l'Intérieur n'ont pas eu plus de succès. Voici donc un opposant africain représentatif privé d'une liberté fondamentale, coincé en somme, avec la complicité d'une puissance libérale occidentale, comme le montrent les documents reproduits ci-dessous.

P.N.-P.A.
[PAGE 330]

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PAUL BIYA ET L'APARTHEID

Paul Biya est-il secrètement financé par le régime blanc sud-africain ? A s'en tenir aux diatribes que Cameroon-Tribune, le quotidien du potentat, publie fréquemment, la question peut paraître saugrenue sinon inconvenante. Pourtant une rumeur récurrente vient périodiquement jeter le doute sur l'attitude réelle de Paul Biya à l'égard de Prétoria, surtout depuis que le perroquet du Renouveau est financièrement aux abois. Le document reproduit ci-dessous ne manquera pas de donner quelque consistance à ces soupçons.

P.N.-P.A.

Le colloque indésirable
de notre envoyé spécial

Yaoundé – L'organisation, au Cameroun, des journées internationales contre l'apartheid par l'association des juristes africains (A.J.A., créée en 1979) ne devait pas, a priori, poser de difficultés, l'hostilité des autorités de Yaoundé à l'égard du principe de la ségrégation raciale en vigueur en Afrique du Sud étant bien connue. Ce colloque, prévu du 15 au 18 janvier, a pourtant été interdit par les autorités camerounaises et s'est donc soldé par un fiasco. Pendant cinq jours, quelque quarante congressistes venus de nombreux pays, ainsi que les délégués des mouvements de libération, ont assisté en spectateurs aux multiples rebondissements d'une petite crise politique entre les responsables du bureau international de l'A.J.A. et la présidence de la République camerounaise.

La dérision du gouvernement camerounais attendait les congressistes à leur arrivée sur l'aéroport de Yaoundé, lundi soir 14 janvier, sous la forme d'un communiqué lu à la radio. Celui-ci soulignait que le bureau de l'A.J.A. avait « programmé » des journées anti-apartheid « sans solliciter l'autorisation du président de la République du Cameroun et sans qu'aucune réponse officielle lui en ait été donnée, comme il est requis dans de telles circonstances ».

Abasourdis par cette décision, ainsi que par le ton peu amène du communiqué, repris le lendemain matin à la une du très officiel Cameroun Tribune, les délégués se décidèrent à gagner leur hôtel. Une autre surprise les attendait : leurs réservations avaient été mystérieusement annulées au cours de la journée (on ne sut jamais par qui). Le professeur George Wald, prix Nobel américain de médecine, et les autres participants fatigués et affamés, le restaurant de l'hôtel était fermé, attendirent donc dans le hall de l'hôtel devant un tas de valises... Finalement, vers 2 heures du matin, la direction, alertée, mit des chambres à leur disposition. [PAGE 331]

Le lendemain et les jours suivants s'écoulèrent dans une ambiance ubuesque. Les responsables de l'A.J.A. communiquèrent à la presse une volumineuse correspondance d'où il ressortait, pour simplifier, que le ministre camerounais de la justice, M. Ngongand Ouandji, avait reçu le président de l'A.J.A., M. Benoît Ngom, le 19 juillet dernier, et lui avait donné son accord verbal. Convoqués jeudi à la présidence, les journalistes entendirent une version un peu différente : la présidence n'avait jamais été saisie du dossier et le ministre n'avait jamais donné un avis favorable. Le Cameroun ne voulait pas être mis devant un fait accompli.

Après un long dialogue de sourds, le Cameroun se dit enfin prêt à organiser le colloque... à une date ultérieure. Les responsables de l'A.J.A., de leur côté, décidèrent d'organiser des journées anti-apartheid au mois de mars, ailleurs qu'au Cameroun (la Libye, l'Algérie et le Burkina se sont proposés), tout en n'étant pas hostiles à ce qu'un colloque se tienne dans l'avenir à Yaoundé, mais sur un autre thème.

Les juristes africains ont sans doute fait preuve de légèreté dans cette affaire en ne tenant pas compte du nationalisme ombrageux des Camerounais. De leur côté, ceux-ci, par leur intransigeance et leur formalisme, ont pris le risque d'apparaître comme un pays africain ayant refusé que se tienne sur son sol une conférence destinée à dénoncer la ségrégation raciale.

A Yaoundé, en fin de semaine, de nombreux diplomates étrangers, ainsi que bon nombre de responsables camerounais, se disaient « consternés » par la décision du président Biya.

Laurent Zecchini
« Le Monde », 23 janvier 1985

[PAGE 332]

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LE PASSEPORT UN DROIT OU UNE FAVEUR?
OU LES TRIBULATIONS D'UN OPPOSANT EN EXIL

Antony, le 18 août 1986

Abel Eyinga
à Monsieur le Préfet des Hauts-de-Seine,
Nanterre

    Monsieur,

Originaire du Cameroun et désireux de me rendre à Vienne, en Autriche, pour aller participer à une conférence internationale sur le terrorisme – invitation ci-jointe – mais dépourvu de tout titre camerounais de voyage, j'ai l'honneur de solliciter des autorités françaises un papier me permettant d'effectuer le voyage.

Le 24 janvier 1984, j'ai déposé, à l'ambassade du Cameroun à Paris, un dossier complet de demande de passeport. Neuf mois plus tard, le Consulat général du Cameroun à Paris m'a fait savoir, sur mon insistance, que la Présidence de la République du Cameroun ayant inscrit mon nom sur la « liste noire » des Camerounais interdits de passeport, je ne pouvais en obtenir un que sur autorisation spéciale de la même Présidence de la République. Depuis cette date, j'ai écrit au chef d'État du Cameroun pour solliciter cette autorisation spéciale, prévue par aucun texte en vigueur. Mes trois requêtes sont demeurées sans réponse. Sans réponse aussi ma lettre adressée le 14 février 1986 au ministre camerounais de l'Administration territoriale (ministre de l'Intérieur) pour solliciter son intervention. Je ne me fais pas davantage d'illusion sur ma requête du 25 juillet dernier à l'Ambassadeur du Cameroun à Paris, à propos de l'invitation qui m'est parvenue de Vienne.

Je précise que depuis 1983, j'ai demandé à rentrer dans mon pays, mais ce sont les autorités camerounaises qui s'y opposent pour des raisons qui ne m'ont jamais été données.

Devant cette situation de blocage et d'une totale illégalité, qui m'a déjà fait manquer trois conférences auxquelles je devais assister l'an dernier à Genève, Philadelphie (U.S.A.) et Maputo, je me trouve dans l'obligation de faire appel à votre bienveillance pour trouver le moyen d'exercer ma liberté de déplacement, et surtout de me rendre à la conférence de Vienne. [PAGE 333]

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments très distingués.

A. Eyinga

A Monsieur Abel Eyinga,

    Monsieur,

Originaire du Cameroun et résidant en France en qualité de conjoint de ressortissant de nationalité française, vous m'avez fait part de votre souhait que puisse vous être délivré un titre de voyage afin d'assister à une conférence internationale organisée à Vienne, votre pays d'origine refusant en effet de vous établir un passeport.

Je vous informe qu'un titre d'identité et de voyage peut éventuellement vous être délivré par mes services dans un délai de 3 ou 4 semaines à compter de ce jour. Ce titre vous permettra de vous déplacer à l'étranger, sous réserve de l'apposition d'un visa de sortie avant votre départ.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.

P/le Sous-Préfet, commissaire-adjoint
de la République, et par délégation,
le secrétaire en chef
G. Anjoulet

A M. Paul Biya,
Président de la République
du Cameroun

Antony, le 10 décembre 1986

    Monsieur le Président,

J'ai l'honneur de venir attirer votre haute attention sur le fait que, depuis le 24 janvier 1984, date à laquelle j'ai déposé un dossier complet à l'ambassade du Cameroun à Paris en vue de l'obtention d'un passeport, je vis dans l'attente de ce document pour rentrer au pays.

Des amis communs m'ayant persuadé que cette situation résulte du blocage réalisé par votre entourage, je me suis décidé à vous écrire, une fois de plus, en espérant que cette ultime initiative connaîtra un sort meilleur que les précédentes. [PAGE 334]

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En février 1983, je résidais encore à Alger. Mais ayant appris que vous séjourniez en France dans le cadre d'un voyage officiel, je me suis rendu à Paris dans l'intention de vous y rencontrer. Le messager chargé de vous contacter de ma part, un journaliste camerounais de vos connaissances, a bien accompli sa mission. Voici, telle qu'il me l'a rapportée, votre réponse à ma demande d'audience :

    « A mon départ du Cameroun, on m'a recommandé de ne pas rencontrer les gens de l'opposition ».

Vous l'avez néanmoins invité à aller vous voir au Cameroun. Moins d'un mois plus tard, vous receviez ce compatriote dans votre bureau à Yaoundé. Je lui avais confié, à votre intention, une abondante documentation et une lettre personnelle. Il m'a dit vous avoir remis tout cela en main propre, et qu'au moment de se retirer, il s'était inquiété de savoir s'il y avait un message à me remettre de votre part. Vous lui auriez alors fait comprendre que vous vous chargeriez de me contacter vous-même, le moment venu. Je ne l'ai pas été à ce jour.

Toujours d'Alger, en 1983, j'ai adressé une importante correspondance au Chancelier de l'Université de Yaoundé, à la suite de la résolution que je venais de prendre de rentrer sans délai au Cameroun. Je lui faisais part, dans ce courrier, de ma décision de prendre congé de l'Université algérienne à la fin de l'année universitaire en cours, afin de me mettre à la disposition de l'Université camerounaise. Ma demande à un poste d'enseignant à l'Université accompagnait cette correspondance, expédiée par lettre recommandée avec accusé de réception, au mois d'avril. L'accusé de réception m'a été retourné à Alger, trois semaines plus tard, mais l'ensemble de ma correspondance est resté sans réponse.

Le 30 septembre 1983, de Paris, j'ai de nouveau écrit au Chancelier pour lui rappeler ma correspondance du mois d'avril. Même scénario : l'accusé de réception m'est revenu, et ma lettre de rappel est demeurée sans réponse.

C'est alors qu'un jeune compatriote m'a conseillé de m'adresser directement au doyen de la Faculté de droit de Yaoundé. J'ai écrit à ce dernier le 24 mai 1984. L'accusé de réception accompagnant ma demande m'a bien été retourné, mais ma lettre est restée sans réponse jusqu'aujourd'hui.

Curieusement cependant, des amis et parents en poste sur place m'ont appris que dans les milieux de l'Université, un bruit courait selon lequel j'aurais adressé un ultimatum aux autorités camerounaises, disant que je ne consentirais à rentrer que si, préalablement, j'étais nommé Chancelier de l'Université...

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Je n'ai pas attendu d'écrire au Doyen pour aller déposer en main propre, le 24 janvier 1984, à l'ambassade du Cameroun à Paris, un dossier complet pour l'obtention d'un passeport, votre prédécesseur, [PAGE 335] M. Ahmadou Ahidjo, m'ayant interdit de passeport en 1970 pour la raison que vous savez. Six mois s'étant écoulés sans la moindre réaction de la part des services compétents de l'ambassade, j'ai adressé une lettre de rappel au consul général, M. Hamidou Komidor Njimoluh, le 16 août 1984. L'accusé de réception accompagnant cette correspondance m'est revenu le 20 août, mais ma lettre est restée sans réponse.

Ayant appris que vous veniez de donner l'ordre que des passeports soient délivrés à tous les Camerounais qui en avaient besoin, j'ai repris contact avec le consulat. Voici, en substance, ce qui m'a été répondu au téléphone :

    « Oui, Yaoundé nous a bien donné l'ordre que vous dites. Mais cet ordre était assorti d'une note restrictive excluant certains Camerounais du bénéfice de la mesure présidentielle. Nous ne pouvons délivrer un passeport aux compatriotes ainsi exclus, et dont la liste dressée par la Présidence nous a été communiquée, que sur autorisation expresse de la Présidence de la République. Il se trouve, M. Eyinga, que votre nom figure en bonne place sur cette liste noire. Pourquoi ne cherchez-vous pas à obtenir de "votre frère" l'autorisation qui nous permettrait de vous donner un passeport ? »...

Lors de votre dernier séjour officiel en France, l'an dernier, un compatriote, au surplus membre de votre parti, est venu insister auprès de moi pour que je tente, une nouvelle fois, de vous rencontrer. Ce compatriote s'est porté volontaire pour vous remettre un message de ma part. J'ai accepté sa proposition et lui ai remis une lettre à votre intention. Ce billet n'a jamais eu de suite.

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Informés de tout ceci, des amis en poste à Yaoundé – et qui souhaitent mon retour – m'ont proposé leurs services. Je leur ai donné carte blanche, en précisant qu'aussitôt qu'ils m'auront fait obtenir un passeport, je rentrerais sans me préoccuper de servir à l'Université, car je suis en mesure de m'occuper par mes propres moyens. Il y a tant de choses à faire chez nous. Tant de choses à créer et à faire vivre.

Les amis en question ont donc pris langue avec un de vos proches collaborateurs, et de leurs échanges de vues est sorti un projet d'accord dont votre collaborateur m'a, de Yaoundé, téléphoné le contenu, un soir, en présence de mes amis. Cela se passait au mois de septembre, l'an dernier. Ce projet d'accord se résumait ainsi :

Dans un premier temps, je me rendrais au Cameroun dans le cadre d'une visite purement familiale. Pendant ce séjour, qui pourrait durer de un à trois mois, je m'abstiendrais de toute déclaration et de tout commentaire sur ce que fait le gouvernement. Ma visite familiale terminée, je retournerais en France pour aller faire le point, et me décider sur la question de savoir si je rentre définitivement ou non.

J'ai accepté cette proposition sans la moindre réserve. Alors votre [PAGE 336] collaborateur m'a promis qu'à votre retour à Yaoundé (vous deviez vous trouver en déplacement) vers la fin du mois de septembre, ordre serait donné à l'ambassade à Paris pour qu'un passeport me soit délivré. Comme votre collaborateur m'a laissé entendre que l'ambassade du Cameroun à Paris faisait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher tout contact entre vous et moi, je lui ai vivement recommandé de me prévenir au téléphone, aussitôt que les intentions présidentielles auront été portées à la connaissance de l'ambassade. J'attends son appel jusqu'aujourd'hui.

Renseignement pris, cependant, il semblerait qu'un autre de vos proches collaborateurs, un officier originaire de Sangmelima aurait, lui, décidé qu'il « fallait laisser Eyinga là où il est, car sa simple présence physique au Cameroun équivaudrait à un acte de subversion »...

Comment ne pas s'étonner, M. le Président, que les auteurs de tels propos ne trouvent rien à redire au fait que les fauteurs prouvés d'actes subversifs comme Moussa Yaya et ses compagnons, et des comploteurs avérés comme Maïkano Abdoulaye et ses complices de 1983, continuent de bénéficier de tous leurs papiers d'identité, y compris des passeports, et qu'ils se déplacent en toute liberté aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays ?

Quoi qu'il en soit, le 14 février dernier, j'ai écrit au ministre de l'Administration territoriale pour solliciter son intervention au sujet de mon passeport. L'accusé de réception accompagnant cette correspondance m'est revenu le 5 mars, et ma lettre est restée sans réponse.

Le 20 juillet 1986, une invitation à participer à une conférence internationale sur le terrorisme m'est arrivée de Vienne (Autriche). Aussitôt, j'ai écrit à l'ambassadeur du Cameroun à Paris pour lui demander de m'aider à trouver le moyen d'effectuer le déplacement. J'ai joint l'invitation reçue à ma lettre. L'accusé de réception accompagnant ce courrier m'est revenu le 30 juillet et, comme toujours, ma demande est restée sans réponse, pas même un accusé de réception de politesse.

En plus de tout ceci, je dois vous signaler, M. le Président, qu'un de vos ministres, de passage à Paris, a profité de ses relations personnelles pour tenter de s'opposer à ce que me soit délivré, par les services français, un titre de séjour.

Je crois savoir, en outre, qu'au cours des derniers mois, des compatriotes soupçonnés d'être en rapport avec moi ont été fouillés, menacés, et certains même sanctionnés, dans différentes villes du pays.

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Tout ceci pour vous redire en conclusion, M. le Président, que je suis toujours demandeur d'un passeport camerounais pour rentrer au pays le plus vite possible. Je vous en adresse expressément la demande.

Les autorités de l'Université ayant rejeté mon offre de service, j'ai réfléchi sur mes occupations sur place, une fois rentré. Je peux ici vous livrer le primeur de cette réflexion : [PAGE 337]

1o Dans mon village natal :

  • Créer une scierie et une briqueterie
  • En collaboration avec les autres villageois, mettre sur pied un système d'adduction d'eau pour le ravitaillement du village en eau courante.

2o A Ebolowa, ma ville natale :

  • Mise en valeur de la colline d'Ebolowa, aujourd'hui couverte de forêt. Il s'agira de la transformer en un site touristique et de loisirs.
  • Instituer un « Festival Culturel Annuel », se déroulant chaque année pendant une quinzaine de jours, en collaboration avec une région (province) de notre pays, et en présence d'un invité (pays) étranger. Ce festival adoptera, tous les deux ans, un chant patriotique. Le projet de cette manifestation, appelée à devenir une véritable institution culturelle du pays, vient d'être définitivement mis au point par un Groupe de travail qui n'attend plus que mon retour pour se mettre à la tâche.

3o Sur le plan national :

  • Création d'une entreprise industrielle;
  • Lancement d'un grand hebdomadaire comportant des rubriques permanentes en langues nationales camerounaises;
  • Création d'une maison d'édition publiant par priorité des ouvrages en langues nationales camerounaises, et accessoirement des livres en langues étrangères (anglais et français).

A ces activités s'ajoute la dernière main à mettre sur cinq manuscrits en chantier et pour lesquels il m'est indispensable de visiter certains lieux et de m'entretenir avec des témoins et des acteurs encore vivants des événements qui en constituent la matière.

Dans l'espoir que cette lettre vous parviendra, qu'elle recevra une réponse et qu'un passeport camerounais sera enfin délivré au citoyen camerounais que je suis, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma considération distinguée.

A. Eyinga

A M. Abel Eyinga,

    Monsieur,

Vous avez sollicité la délivrance d'un titre de voyage afin de participer à une conférence internationale sur le terrorisme.

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il n'est pas possible d'accéder à votre requête.

En revanche, des sauf-conduits pourront vous être établis pour des déplacements à caractère strictement familial. Il conviendra dans ce cas, que vous en formuliez la demande au moins un mois avant la date [PAGE 338] prévue de votre voyage afin que satisfaction puisse vous être donnée en temps utile.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

Le Sous-préfet, commissaire-adjoint
de la République
Jean-François Treyssac

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Ci-dessous, une des principales revendications du mouvement animé par Abel Eyinga.

Organisation Camerounaise de
Lutte pour la Démocratie
Mouvement de Libération

Pour conjurer le risque de guerre civile

PROPOSITIONS DE L'O.C.L.D.

Nzui MANTOH

A l'évidence, l'élection présidentielle anticipée de 1984, organisée à la manière d'Ahidjo, ne semble avoir résolu – ou clairement posé – aucun des vrais problèmes qui exigent aujourd'hui des solutions originales et urgentes. Pas davantage la cooptation annoncée, et reportée sine die, de 30 nouveaux porteurs de carte de l'U.N.C. à l'Assemblée.

C'est que le démarrage du pays, après la longue période obscurantiste que fut le règne d'Ahidjo, requiert autre chose que des replâtrages s'inspirant de pratiques qui ont fait faillite. Comme par exemple les élections à la mode de l'U.N.C., dont les résultats sont connus d'avance, et pour lesquelles le candidat unique est aussi l'unique architecte de la loi électorale qui, elle-même se préoccupe non pas de réaliser une meilleure expression de la volonté populaire, mais plutôt d'écarter de la compétition les 90 % de Camerounais qui ne parlent pas les langues étrangères (anglais ou français), ainsi que tout candidat autre que celui du Pouvoir. Comme par exemple, aussi, les institutions néocoloniales qui nous régissent.

Les Camerounais qui vivent aujourd'hui seront sans excuse devant l'histoire si, après les secousses qu'ils viennent de vivre et qui constituent [PAGE 339] autant d'avertissements, ils laissent se reconstituer les usages et les pratiques qui entretiennent la dépendance et sécrètent les germes de la guerre civile.

Afin de conjurer le drame qui menace, et dans le but d'ouvrir de nouvelles perspectives pour notre pays, l'O.C.L.D. propose :

LA RÉUNION D'UNE
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE

Plutôt que de procéder, dans le cadre des institutions inadaptées actuelles, au replâtrage de l'Assemblée désignée en 1983 et qui n'est pas une Assemblée nationale, mais une instance partisane dans laquelle se reconnaît à peine le tiers des Camerounais, l'intérêt de notre pays appelle plutôt l'élection, au suffrage universel, d'un Parlement véritablement représentatif chargé d'élaborer les institutions nationales du Cameroun nouveau. L'exercice de ce droit, essentiel pour un pays comme le nôtre, a été refusé aux Camerounais dès avant l'indépendance. Or, c'est en confectionnant leurs institutions que les peuples définissent, souverainement, les valeurs autour desquelles ils entendent réaliser le consensus devant conduire à l'unité nationale.

Une Assemblée nationale, cela veut dire des élections libres. Libres parce qu'ouvertes à tous les courants politiques et à tous les citoyens pris individuellement, qui estiment avoir quelque chose d'utile à proposer au pays.

C'est au peuple souverain lui-même qu'il appartient d'écarter les programmes et les candidats qu'il estime opportuns, et non à un seul individu, fût-il chef de l'État.

Des élections libres, cela veut dire aussi une loi électorale démocratique et un scrutin sans fraude. L'O.C.L.D. vient de terminer la mise au point d'un projet de loi électorale de cette nature.

Il est demandé aujourd'hui, à chaque Camerounais, de voir au-delà des égoïsmes personnels et des intérêts de clan, pour créer les conditions d'une paix sociale véritable, et jeter les bases d'un leadership national incontestable, condition du redémarrage de notre pays.

Nzui Mantoh
Jeudi 13 septembre 1985