© Peuples Noirs Peuples Africains no. 55/56/57/58 (1987) 74-83
DE L'ASSEMBLÉE DU CLERGÉ SUR
LE MÉMORANDUM DES PRÊTRES AUTOCHTONES « UN ÉCLAIRAGE NOUVEAU » diffusé en mars 1987
INTRODUCTION Nous, prêtres autochtones du Diocèse de Bafoussam, réunis en assemblée extraordinaire, avons pris connaissance du document intitulé « Un Éclairage Nouveau » qu'un certain nombre de prêtres autochtones de l'Archidiocèse de Douala ont adressé le 16 mars 1987 aux Autorités Romaines de l'Église Catholique, avec ampliation à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II. Lequel document vise à répondre aux diverses questions qu'ils se posent à propos de la nomination en même temps de deux évêques auxiliaires dans leur Archidiocèse. Ne pouvant, comme prêtres, rester indifférents devant un tel document, nous avons jugé opportun de donner notre point de vue pour inviter nos Frères au dialogue. A peine paru en effet, ce document, dit confidentiel, a connu une des plus larges diffusions jamais atteintes dans le pays et dans tous les milieux. Par-delà les destinataires du Mémorandum, le public, chrétien catholique ou non, s'interroge quant à son contenu sur la crédibilité de l'Église comme sacrement de l'unité et sur son apport réel dans l'effort de l'intégration nationale qui interpelle tous les camerounais à cette heure du renouveau. Notre point de vue veut donc encore une fois, être non seulement un éclairage lui aussi, mais encore une invitation au dialogue adressée à nos confrères de Douala, signataires du Mémorandum, car notre commun sacerdoce ministériel nous condamne à l'unité si nous voulons que le monde croie que c'est le Christ qui nous envoie et que notre sacerdoce n'est pas un simple tremplin pour autre chose comme pourrait le laisser croire le Mémorandum. [PAGE 75] I. QUE DIT LE MÉMORANDUM EN SUBSTANCE?
1) Selon le Mémorandum intitulé « Un Éclairage Nouveau », c'est Mrg Ndongmo qui dirige l'Église Catholique qui est au Cameroun et ce, à partir de Rome où il a été nommé Consulteur à la Propagande en 1978. (Mémorandum page 2 à 4). 2) La mise en application de « la théorie de mutabilité des Évêques » élaborée par Mrg Ndongmo et agréée par Rome a abouti à « une savante Bamilékisation » de la hiérarchie de l'Église au Cameroun (p. 6). 3) Cette « Bamilékisation » de la hiérarchie de l'Église au Cameroun, malgré l'inaptitude congénitale du Bamiléké à accueillir l'Évangile de l'unique Sauveur Jésus-Christ, ne peut s'expliquer que par « l'alliance de l'homme d'affaires européen avec les puissances financières Bamiléké pour dominer les faibles et les pauvres au Cameroun »; par « l'alliance des puissances d'argent avec l'homme Bamiléké en vue de la conquête du pouvoir politique au Cameroun, et par conséquent des points stratégiques du territoire national ». (p. 6 à 10). 4) « La mainmise sur le siège archi-épiscopal de Douala fait partie du processus de Bamilékisation de la hiérarchie qui tend naturellement vers la prise du pouvoir politique. Le Nord est pratiquement conquis, l'Est aussi; l'Ouest déjà. Il ne restait que le Littoral, c'est-à-dire Douala, et la boucle est bouclée » (p. 10) avec la nomination de Mrg Simo qui, selon le Mémorandum, « est appelé probablement à succéder à Mrg Tonye comme Archevêque de Douala » (p. 4). 5) Cet homme d'affaires européen, cette puissance d'argent qui s'est ainsi scandaleusement compromise avec l'homme Bamiléké pour préparer la guerre et allumer un incendie au Cameroun, cet homme, c'est le Pro-Nonce apostolique (p. 9 et 11) et par conséquent le Saint-Père qu'il représente au Cameroun. 6) Au total, « la nomination d'un Évêque auxiliaire, étranger à Douala » (p. 14) relève d'un problème qui n'est ni pastoral ni missionnaire, mais plutôt économique, politique et humain. Et puisque c'est un problème humain qui n'a rien à voir avec les motivations de foi, on peut s'attendre à des réactions humaines qui n'ont rien à voir avec la foi » (p. 15). En conclusion, les signataires du Mémorandum réaffirment aux autorités romaines que « remettre le pouvoir économique, politique et religieux entre les mains d'une ethnie, risque de conduire le Cameroun vers un régime totalitaire. » (p. 20). II. QUELQUES AFFIRMATIONS ERRONÉES DU MÉMORANDUM 1) Le Mémorandum identifie ACIB et AIPI, à tort. L'ACIB, c'est [PAGE 76] l'Assemblée du Clergé Indigène (du diocèse) de Bafoussam, tandis que l'AIPI, c'est l'Association Interdiocésaine des Prêtres Indigènes (du Cameroun). Tout prêtre diocésain indigène du diocèse de Bafoussam est automatiquement membre de l'ACIB, alors que l'AIPI est ouverte à tout prêtre indigène camerounais, moyennant un engagement particulier. Mrg Simo, comme tout prêtre indigène du diocèse de Bafoussam, a été membre de l'ACIB, mais ne fut jamais membre de l'AIPI. 2) C'est l'ACIB non pas l'AIPI qui assume la responsabilité de la « Lettre aux Évêques de la Province Ecclésiastique de Douala du 27 octobre 1985 ». Par contre, c'est l'AIPI, non pas l'ACIB, qui a rédigé le fascicule « Le Pape au Cameroun et après ? ... » 3) Une thèse n'est pas une doctrine de foi et les idées d'une thèse n'engagent que son auteur, ainsi en est-il de la thèse de l'abbé Justin Fotso qui peut bien provoquer une anti-thèse chez ses détracteurs sans engager sa tribu. 4) Des experts en géographie devraient sans doute mieux que nous répondre des limites territoriales des Bamilékés, mais c'est sûrement abusif d'étendre la région dite Bamiléké jusqu'à Buéa, d'appeler les Mbô Bamilékés; même la Province civile de l'Ouest comprend des tribus autres que les Bamilékés, tels les Bamouns et les Tikars. 5) Le Fefé et le Nufi ne sont pas deux groupes linguistiques Bamilékés mais deux désignations du même groupe : le « Fefé » désigne le groupe; le « Nuri » un journal du groupe linguistique Féfé ! Par ailleurs l'ethnie Bamiléké comme bien d'autres ethnies du Cameroun comprend plus de trois groupes linguistiques sans qu'il en suive une impossibilité de l'évangéliser. 6) Selon l'enseignement de Vatican II, l'unité ecclésiale fondamentale est le Diocèse, non la tribu; on ne peut donc confondre au nom de la tribu le diocèse de Bafoussam avec celui de Nkongsamba, de Bamenda ou de Buéa, ni le couper de celui de Douala, de Yaoundé ou d'ailleurs. 7) Si « la mutabilité des Évêques » est, selon les auteurs du Mémorandum eux-mêmes, le passage d'un Évêque de son siège de départ à un autre, nous ne trouvons qu'une seule application rigoureuse de ce principe dans les cas rapportés : le passage de Mrg Tumi de Yagoua à Garoua ! 8) Le Clergé des diocèses de l'Ouest est réduit en nombre, donc il est pastoralement incompétent ! (cf. p. 15). Sans vouloir défendre « le clergé de l'Ouest », que vaut théologiquement cet argument ? Peut-on en conclure que les Douze Apôtres onze d'ailleurs envoyés au monde entier et qui n'avaient pas réussi dans leur propre village étaient pastoralement incompétents ? [PAGE 77] III. INCOHÉRENCES ET CONTRADICTIONS DU MÉMORANDUM 1) Selon le Mémorandum, Douala est le diocèse le plus ouvert et le plus accueillant; il fait appel aux missionnaires étrangers, polonais notamment. Pourquoi donc cette mobilisation pour le refus de Mrg Simo, un missionnaire compatriote ? 2) Avec Mrg Simo, la boucle du processus de Bamilékisation de la hiérarchie de l'Église au Cameroun est bouclée, et ce, par la mainmise sur le siège archi-épiscopal de Douala, relève le Mémorandum. On ne peut pas ne pas s'interroger sur le silence de ces prêtres de Douala lors des précédentes nominations d'Évêques Bamilékés. Pourquoi des membres de l'Église catholique seraient-ils indifférents aux situations anormales dans d'autres diocèses de leurs pays ? 3) Comment les auteurs du Mémorandum avaient-ils interprété ou interprètent-ils la nomination de feu Mrg Célestin Nkou, à Sangmelima, pays Boulou ? 4) Le Mémorandum attribue à Mrg Ndongmo l'idée de la division du Cameroun en Provinces ecclésiastiques. Est-ce à dire que sans ce dernier cette organisation ecclésiastique depuis longtemps réalisée en divers pays même africains (cf. Ouganda, Zaïre, Nigeria) devait voir le jour partout sauf au Cameroun ? 5) Selon le Mémorandum, c'était le rêve de Mrg Ndongmo d'être Archevêque de Douala, et ce rêve est réalisé avec la nomination de Mrg Simo à Douala. Il reste à expliquer comment Mrg Simo est l'héritier de prédilection de l'ancien Évêque de Nkongsamba ! 6) Au plan statistique, Mrg Ndongmo, ancien Évêque de Nkongsamba, est compté parmi les Évêques Bamilékés de la Province ecclésiastique de Douala, qu'est-ce qui explique l'omission sur cette liste de Mrg Mongo, ancien Evêque de Douala encore vivant ? 7) Selon le Mémorandum, « les Bamilékés sont divisés en trois grands groupes linguistiques... et un prêtre Bamiléké ne peut utiliser aucune de ces trois langues pour s'adresser à tous, sans créer des susceptibilités et des tensions au sein de la politique Bamiléké. » Comment les prêtres non Bamiléké s'y prennent-ils donc pour évangéliser les Bamilékés ? Oui, il faudra bien que les prêtres Bamilékés aillent à l'école des prêtres non Bamiléké pour apprendre à s'adresser aux Bamilékés ! 8) Les signataires du Mémorandum trouvent que Mrg Simo ne devrait pas être envoyé à Douala où il y a 40 % de Bamilékés parce que l'apôtre ne doit pas annoncer l'Évangile seulement à ses frères de sang (p. 15). Par ailleurs on le déclare incapable de s'adresser aux autres ethnies de l'Archidiocèse dont il ne connaît ni les langues, ni les mentalités, ni les coutumes ! De quel droit alors les signataires du Mémorandum évangélisent-ils et leur ethnie et les autres ethnies? 9) Comment Baba Simon qui fut le premier missionnaire camerounais [PAGE 78] au Nord Cameroun avait-il résolu le problème de langue pour communiquer avec ses frères Kirdi ? Comment les missionnaires étrangers appelés de l'Europe résolvent-ils ce problème de langue à Douala Pourquoi ce problème ne serait-il insoluble que pour Mrg Simo ? IV. CARACTÈRE ANTI-ÉVANGÉLIQUE ET ANTI-ECCLÉSIAL DU MÉMORANDUM 1) Les signataires du Mémorandum, prêtres et partant hérauts de la foi, prêchent le divorce foi-vie dénoncé par Vatican II comme le plus grand contre-témoignage à l'Évangile; en effet, ils sont prêts à répondre par « des réactions humaines qui n'ont rien à voir avec la foi à un problème humain qui, pour eux, n'a rien à voir avec les motivations de foi. » 2) Les auteurs du Mémorandum nient l'universalité de l'Église et son caractère missionnaire. Après avoir signalé dès le début « l'événement sans précédent que constitue la nomination à la fois de deux Évêques auxiliaires dans l'Archidiocèse de Douala », les signataires du Mémorandum ne parlent dans la suite que du seul « Évêque auxiliaire étranger à Douala », appelé, selon eux, à succéder à l'Archevêque de Douala. Qu'est-ce qui empêcherait de lire l'événement autrement et dans la foi ? Si l'Église-mère de Rome est caractérisée par une telle universalité que l'actuel Évêque de Rome est un Polonais, le Préfet de la Sacrée Congrégation des Évêques un Béninois... (tous destinataires du Mémorandum) pourquoi « l'Église primatiale du Cameroun » ne trouverait-elle pas un titre de considération et de noblesse, une fois reconnue et affirmée sa maturité dans un clergé autochtone nombreux et des Évêques issus de ce clergé à accueillir, selon sa tradition hospitalière légendaire, un Évêque auxiliaire d'un autre diocèse ? Nous disons bien d'un autre diocèse, non pas Bamiléké, car la signification de l'événement de Douala est ecclésiale non pas tribale. Et nous, clergé autochtone du diocèse de Bafoussam, nous attendons impatiemment le jour où les nécessités pastorales permettront à notre diocèse de vivre cette grâce de témoigner autant de sa catholicité que de son enracinement dans son peuple ! 3) Le Mémorandum opère ou révèle la division au sein du clergé de l'Archidiocèse de Douala. Les prêtres autochtones de l'Archidiocèse sont soit Bassa, soit Bakoko, soit vraiment Douala, soit Bamiléké. Ceux qui sont Douala ou Bamiléké n'ont pas signé le document. Pourquoi? Ont-ils refusé de le faire ou ont-ils été mis à l'écart ? Faut-il croire qu'il n'y aurait pas eu de problème si l'un des Évêques auxiliaires nommés avait été pris parmi les prêtres purs Douala ou Bamiléké de l'Archidiocèse ? [PAGE 79] 4) Le Mémorandum bafoue gravement l'autorité du Saint-Siège dans l'Église et minimise trop l'autonomie de nos Églises locales. Si c'est Mgr Ndongmo qui dirige l'Église Catholique qui est au Cameroun, créant les provinces ecclésiastiques, mutant les Évêques comme il lui plaît, alors quel est le rôle du Saint-Siège ? Pourquoi s'en prendre même au Pro-Nonce qui est le représentant du Saint-Père non de Mgr Ndongmo ? Alors où est l'autonomie de nos Évêques et de notre Conférence épiscopale ? Comme bien d'autres affirmations du Mémorandum, l'action de Mgr Ndongmo sur l'Église Catholique qui est au Cameroun relève des révélations qui échappent au petit peuple. 5) Le Mémorandum pèche gravement contre le respect de Vatican II pour toute religion non chrétienne. Nos confrères prêtres autochtones, signataires du Mémorandum, pourraient-ils souffrir d'un missionnaire étranger les propos qu'ils tiennent eux-mêmes sur la religion traditionnelle de leurs frères Bamilékés et ceci après le Concile Vatican II ? Voici en effet ce que dit le Concile de toute religion non chrétienne : « Les religions qu'on trouve de par le monde s'efforcent d'aller, de façons diverses, au-devant de l'inquiétude du cœur humain en proposant des voies, c'est-à-dire des doctrines, des règles de vie et des rites sacrés. L'Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d'agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu'elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu'elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. » (L'Église et les religions non chrétiennes, no 4). « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, poursuit le Concile, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l'image de Dieu. La relation de l'homme à Dieu le Père et la relation de l'homme à ses frères humains sont tellement liées que l'Écriture dit : « Qui n'aime pas ne connaît pas Dieu. » (1 Jean 4, 8). Par là est sapé le fondement de toute théorie ou de toute pratique qui introduit entre homme et homme, entre peuple et peuple, une discrimination en ce qui concerne la dignité humaine et les droits qui en découlent. L'Église réprouve donc en tant que contraire à l'esprit du Christ, toute discrimination ou vexation opérée envers des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur classe ou de leur religion. (L'Église et les religions non chrétiennes, no 5). [PAGE 80] V. MESSAGE POLITIQUE DU MÉMORANDUM Le document se veut essentiellement politique, puisque leurs auteurs déclarent eux-mêmes : « Le problème n'est ni pastoral ni missionnaire, c'est un problème économique, politique et humain qui n'a rien à voir avec les motivations de foi »; « la bamilékisation de la hiérarchie de l'Église » ne semble si grave que parce qu'« elle tend naturellement vers la prise du pouvoir politique ». a) Analyses et pensée politique du Mémorandum 1) D'après ce document, « la devise de l'homme Bamiléké est la suivante : d'abord le Bamiléké, ensuite le Bamiléké, enfin le Bamiléké et les autres s'il en reste. La preuve : faites, dit-il, un tour dans l'Ouest. Vous ne trouverez pas l'espace cédé à un étranger non Bamiléké; ce qui est infiniment loin d'être le cas dans les autres parties du pays. Si un étranger non Bamiléké ouvre un commerce de Mbanga à Dschang, de Nkongsamba à Bafoussam, il finira par consommer lui-même sa marchandise !... » (p. 8). 2) « Cette sorte d'égoïsme et ce genre de tribalisme sont si forts et si puissants qu'ils constituent un des plus grands dangers pour l'avenir de la nation camerounaise. » (p. 8). 3) « La tribu est une mini-nation ». Aussi imposer un Évêque Bamiléké à une autre tribu camerounaise est-ce comme si on imposait un Allemand comme empereur du Japon, ce qui reviendrait à détruire la nature (p. 9). 4) La « Bamilékisation » de la hiérarchie de l'Église au Cameroun tend naturellement vers la prise du pouvoir politique. Le Nord est pratiquement conquis, l'Est aussi; l'Ouest déjà. Il ne restait que le Littoral, c'est-à-dire Douala, et la boucle est bouclée » avec le nomination de Mrg Simo. (p. 4). 5) La Nonciature de Yaoundé est en train de donner une caution morale d'une importance incalculable à un dessein politique d'un peuple qui pourrait faire le drame du Cameroun de demain. » (p. 11). 6) « Remettre le pouvoir économique, politique et religieux entre les mains d'une ethnie, affirment les signataires du Mémorandum, risque de conduire le Cameroun vers un régime totalitaire. » (p. 20). b) Message politique du Mémorandum Il s'agit d'un appel à la mobilisation nationale contre la tribu Bamiléké, « mini-nation » dont les ambitions, favorisées par l'Église, ont déjà réalisé la conquête au Nord, à l'Est, à l'Ouest et dans le Littoral. [PAGE 81] Pour les politologues du Mémorandum, l'on ne prévient pas la dictature par la distinction et l'équilibre des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais par la répartition entre des ethnies distinctes des pouvoirs économique, politique et religieux ! Les Bamilékés détenant déjà le pouvoir économique, il fallait les décourager de jamais obtenir le pouvoir politique au Cameroun en les privant du pouvoir religieux. Dans cette perspective, l'erreur fondamentale de l'Église semble d'avoir évangélisé et même baptisé les Bamilékés. En effet même si l'on n'est pas baptisé pour devenir Évêque, tout baptisé dans l'Église est en puissance, non seulement Évêque, mais même Pape ! C) Message en contradiction avec la constitution camerounaise et les voies de l'intégration nationale tracées par le Chef de l'État 1) Si c'est une confession religieuse, fût-elle catholique, qui confère le pouvoir politique au Cameroun et non pas le peuple souverain, alors l'État camerounais n'est ni démocratique, ni laïc. 2) Si les Bamilékés, par le truchement de l'Église, ont déjà politiquement conquis presque tout le pays, c'est le Chef de l'État, garant de l'unité et de l'intégrité territoriale de la nation, qui aura, le premier, failli à son devoir ! 3) L'intégration nationale est la tâche primordiale à laquelle l'actuel Chef de l'Etat camerounais convie ses compatriotes et veut lui-même consacrer toutes ses énergies. La voie qu'il préconise pour cette intégration n'est pas l'élimination ou l'ignorance des originalités tribales, bien au contraire « il s'agit, dit-il, de lier la gerbe de nos originalités ethniques et d'en faire le noyau de notre culture nationale... il s'agit pour nous de cultiver cette connivence culturelle où chaque ethnie apporte ce qu'elle détient d'excellent pour l'édification d'une culture nationale (cf. Pour le libéralisme communautaire, pp. 115-116). « Tous ensemble, dit le Chef de l'État dans le même ouvrage, nous devons chercher à bâtir une société saine, c'est-à-dire une société constituée d'hommes qui se plaisent dans la compagnie les uns des autres, au lieu de se percevoir plutôt comme des loups, les uns pour les autres... Il n'y a point de sécurité dans un contexte social où personne ne peut se fier à personne » (p. 101). Il interpelle tous les Camerounais, en particulier les fidèles de toutes les confessions religieuses et leurs guides, à apporter chacun leur précieuse contribution à cette œuvre de salut national qu'est l'intégration nationale : « L'expression religieuse enfin devra, partout et plus que par le passé, contribuer réellement à cette œuvre de salut national : ni le clergé, ni les ouailles locales ou nationales d'une confession déterminée ne devront, comme c'est souvent le cas, revêtir une coloration tribaliste ou régionaliste. Les chaires de nos églises, de nos temples et de nos mosquées devront servir de lieux sacrés d'appels à la solidarité nationale. » (p. 37). Le projet de société qui nous est proposé ne nous interpelle pas seulement [PAGE 82] comme citoyens camerounais mais encore comme chrétiens parce qu'il répond aux exigences de notre foi. CONCLUSION a) Nous affirmons : 1. que rien ne peut davantage exposer notre pays à la dictature politique que la négation de la laïcité de l'État, de son statut démocratique fondé sur la souveraineté du Peuple, la distinction et l'équilibre du triple pouvoir exécutif, législatif et judiciaire; 2. que la mission essentielle de l'Église n'est pas d'ordre temporel même si elle doit tout animer du ferment évangélique; 3. que dans l'Église qui est au Cameroun, il ne doit pas y avoir, selon l'heureuse expression du Père Hebga dans « Émancipation des Églises sous-tutelle », de sièges Ewondo-Eton Bamiléké, Basaa, etc., au risque de compromettre l'universalité de l'Église et la coresponsabilité des pasteurs (p. 33); 4. que la circulation des ouvriers apostoliques, prêtres notamment, doit non seulement exprimer davantage cette universalité de l'Église, mais répondre au « mouvement migratoire interne des Camerounais » encouragé par le Chef de l'État comme un facteur important de brassage des populations dans la perspective de l'intégration nationale. (cf. Pour le Libéralisme Communautaire, p. 37). b) Nous demandons à nos Évêques de rendre plus opérationnelle la structure des Conférences épiscopales nationale et régionale en en faisant des cadres de rencontre, d'échange et de recherche non seulement entre eux, mais aussi entre les différents membres du Peuple de Dieu, notamment entre les prêtres. Si une structure de dialogue existait entre les prêtres, un document comme le Mémorandum de certains prêtres autochtones de Douala aurait subi, avant sa parution, l'épreuve de la critique des autres prêtres soit de l'Archidiocèse de Douala, soit de notre Province ecclésiastique, soit de l'ensemble du pays. Qui peut prétendre que les prêtres Bamilékés soient tellement assoiffés de pouvoir, qu'assis autour d'une table ronde avec les autres prêtres autochtones du pays pour un débat franc cartes sur table, ils ne puissent dénoncer avec leurs confrères d'autres ethnies la « Bamilékisation de la hiérarchie de l'Église au Cameroun » si la preuve en est vraiment établie ? Aussi « notre point de vue », au-delà d'une apparence polémique due aux exigences de la vérité et d'un minimum de rigueur intellectuelle, [PAGE 83] est-il fondamentalement une invitation au dialogue dans l'Eglise en croissance dont les prêtres constituent la cheville ouvrière. Fait à Bafoussam, le 22 juin 1987 Texte élaboré, débattu et adopté par l'ACIB en sa séance extraordinaire du 22/6/1987 tenue à Bafoussam. Ont signé :
1. Bouobda Boniface
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