© Peuples Noirs Peuples Africains no. 55/56/57/58 (1987) 61-73



UN ÉCLAIRAGE NOUVEAU
MEMORANDUM

A l'attention de leurs Éminences :

– Le Cardinal, Préfet de la Sacrée Congrégation pour l'Évangélisation des Peuples.
– Le Cardinal, Préfet de la Sacrée Congrégation des Évêques.

Objet : Un éclairage nouveau sur la situation
qui prévaut actuellement
dans l'Archidiocèse de Douala

    Éminences,

Très humblement et très religieusement, nous venons vous donner notre point de vue, qui voudrait être un éclairage nouveau, sur la situation qui prévaut actuellement dans l'Archidiocèse de Douala.

En effet, pour bien comprendre et situer avec exactitude la signification profonde d'un événement qui fait date, il importe de l'intégrer dans son contexte global.

A partir de multiples éclairages, il devient plus facile d'en dégager une vision plus objective et réaliste.

Depuis le 21 février 1987, nous vivons à Douala un événement sans précédent : la nomination à la fois de deux Évêques auxiliaires dans notre Archidiocèse.

Que signifie cette nomination ? Qu'est-ce qui la motive ? Quelles en sont les implications ? Quelles sont les réactions des Prêtres, des Religieux, des Religieuses et des fidèles de l'Archidiocèse de Douala face à cette situation ? Comment se présente l'avenir ? Autant de questions auxquelles ce mémorandum intitulé : « Un Éclairage Nouveau », veut répondre.

I. HISTORIQUE D'UNE ÉVÉNEMENT

I.1. Préhistoire : Un rêve devenu réalité

En 1970, à l'occasion de la Conférence Épiscopale Nationale annuelle, son Excellence Mgr Albert Ndongmo, Évêque de Nkongsamba, émet l'idée de la division de l'Église du Cameroun en quatre régions apostoliques.

Mgr Ndongmo s'exprimait alors en substance dans les termes suivants : [PAGE 62] « Je rêve d'une grande région apostolique pour le Littoral, comprenant les Diocèses de Douala, Nkongsamba et Bafoussam. Il sera alors possible, à n'importe quel Évêque des diocèses suffragants, de devenir Archevêque métropolitain. Douala est peuplé à 40 % de Bamiléké, ce serait normal que l'Évêque de Nkongsamba par exemple, devienne Archevêque de Douala ».

En 1982, l'Église du Cameroun est divisée en quatre Provinces ecclésiastiques. Quatre Archevêques ont été nommés. Un Évêque auxiliaire, venant de Bafoussam, un Bamiléké, vient d'être nommé à Douala. Le rêve de Mgr Ndongmo est devenu réalité en 1987.

I.2. Une théorie à l'essai

En 1975, Mgr Ndongmo sort de prison. Il est recueilli par Rome. Les difficultés qu'il a rencontrées au Cameroun dans l'exercice de ses fonctions pastorales, le poussent à réfléchir. C'est alors que naît l'idée de la « mutabilité des Évêques » d'un diocèse à un autre, sans qu'il soit nécessaire que ceux-ci soient originaires de leur Diocèse.

La théorie de Mgr Ndongmo, qui fait suite à l'idée émise en 1970, de la création des régions apostoliques, avec à leur tête un Archevêque, pouvant provenir de n'importe lequel des diocèses suffragants, sera la suivante : « Il importe que les Évêques camerounais soient interchangeables. Qu'ils puissent devenir pasteur de n'importe quel diocèse du Cameroun, en dehors de leur diocèse d'origine. Car à ce moment-là, il sera facile de solutionner des problèmes de personne. De sorte que si un Évêque a des problèmes dans son propre diocèse, il soit possible de le transférer ailleurs. En effet, les problèmes que je peux rencontrer à Nkongsamba, parce que liés à ma personne, n'auront plus de raison d'être, si on met un autre à ma place ».

En 1978, Mg Ndongmo est nommé Consulteur à la Propagande, qui accueille favorablement cette théorie que nous appelons la « théorie de Mgr Ndongmo » : celle de la mutabilité des Évêques au Cameroun. Il est alors demandé à l'ancien Évêque de Nkongsamba, de mettre en forme cette théorie, en montrant les implications socio-politiques et pastorales qui en découleraient.

Le travail est terminé en 1980. Il s'est agi alors d'en tester la crédibilité.

La première mise en application de cette théorie commence avec Mgr Tumi, appelé à succéder à Mgr Charpenet, à Yagoua. Puis celle de Mgr Ntalou, appelé à succéder à Mgr Tumi, devenu Archevêque de Garoua; celle de Mgr Tchouanga, appelé à succéder Mgr van Heygen à Doumé, Mgr van Heygen devenant, quant à lui, Évêque de Bertoua.

Aujourd'hui, c'est Mgr Simo Gabriel qui est appelé probablement à succéder à Mgr Tonye, comme Archevêque de Douala. [PAGE 63]

II. EXAMEN GLOBAL DE LA THÉORIE DE LA MUTABILITÉ DANS SA MISE EN APPLICATION

II.1. Des données statistiques

a) Camerounisation de la hiérarchie

Sur les seize Diocèses du Cameroun, treize ont à leur tête des Évêques camerounais. L'Église est donc « camerounisée » à 81 %.

b) Répartition des Évêques par Provinces Ecclésiastiques avec leur origine ethnique.

a) Province Ecclésiastique de Yaoundé :

Tribu dominante : Beti (Ewondo-Eton-Boulou).
– Mgr Jean Zoa, Archevêque de Yaoundé (Beti);
– Mgr Paul Etoga, Évêque de Mbalmayo (Beti);
– Mgr Adalbert Ndzana, Évêque coadjuteur de Mbalmayo (Beti);
– Mgr Athanase Balla, Évêque de Bafia (Beti);
– Mgr Jean-Baptiste Ama, Évêque de Sangmelima (Beti);
– Mgr Pierre Tchouanga, Évêque de Doumé Abong-Bang (Bamiléké francophone);
– Mgr van Heygen (Hollandais).

b) Province Ecclésiastique de Douala :

Archidiocèse de Douala : tribus dominantes : Bassa, Mpoo.
Diocèse de Nkongsamba et Bafoussam : tribus dominantes : Bamiléké.
– Mgr Simon Tonye, Archevêque de Douala (Bassa);
– Mg Thomas Nkuissi, Évêque de Nkongsamba (Bamiléké);
– Mgr André Wouking, Évêque de Bafoussam (Bamiléké);
– Mgr Albert Ndongmo, ancien Évêque de Nkongsamba (Bamiléké);
– Mgr Gabriel Simo, Évêque auxiliaire nommé de Douala (Bamiléké);
– Mgr Simon Victor Tonye, Évêque auxiliaire nommé de Douala (Bassa).

c) Province Ecclésiastique de Garoua :

Tribus dominantes : Foulbe-Kirdi-Toupouri.
Évêques
– Mgr Christian Tumi, Archevêque de Garoua (Banso, Bamiléké, Anglophone);
– Mgr Antoine Ntalou, Évêque de Yagoua (Bamiléké francophone)
– Mgr Jacques de Bernon, Évêque de Maroua (Français)
– Mgr Pasquier, Évêque de Ngaoundéré (Français). [PAGE 64]

d) Province Ecclésiastique de Bamenda (zone anglophone) :

Signalons que géographiquement et culturellement, il n'y a aucune différence entre les Bamilékés francophones et les populations des diocèses de Bamenda, de Kumbo ainsi qu'une partie du Diocèse de Buéa
– Mgr Paul Verdzekov, Archevêque de Bamenda (Banso, Bamiléké anglophone);
– Mgr Pius Suh Awa (Bafut, Bamiléké anglophone);
– Mgr Cornelius Fontem Esua, Évêque de Kumbo (Mboo, Bamiléké anglophone).

e) La hiérarchie en chiffres sur les vingt (20) Évêques en fonction :

Sur les vingt (20) Évêques de l'Église du Cameroun en fonction :

10 sont Bamilékés (anglophone & francophone) 50%
5 sont Béti 25 %
2 sont Bassa 10 %
2 sont Français 10 %
1 est Hollandais 5 %

Conclusions

a) Sur les quatre (4) Évêques camerounais ayant fait l'expérience de la théorie de la mutabilité, de leur zone culturelle à une autre, tous sont Bamilékés 4/4 = 100

– Mgr Tumi (Garoua);
– Mgr A. Ntalou (Yagoua);
– Mgr P. Tchouanga (Doumé);
– Mgr G. Simo (Douala).

b) On constate que les Évêques Bamilékés sont aussi et de loin majoritaires,

– par le nombre des Évêques : 50 % (10 /20)
– par le nombre des diocèses administrés 50 % (8/16).

Si on ne considère que les Évêques camerounais et les Diocèses administrés, nous aurons les proportions suivantes :

– Évêques camerounais 10/17 58,8 %
– Diocèses administrés 8/13 61,5 %

Nous assistons par conséquent à une savante « Bamilékisation » de la hiérarchie de l'Église au Cameroun.

II.2 La Bamilékisation de la hiérarchie de l'Église au Cameroun : Examen des raisons avancées

L'ethnie Bamiléké est une ethnie dynamique et travailleuse. Habitués à la vie dure, les Bamilékés sont plus à l'abri de la concupiscence. Ethnie très religieuse, ils sont plus à même de comprendre l'Évangile et d'en vivre. Peuple aux traditions ancestrales très solides, l'obéissance à l'autorité est pour eux quelque chose de sacré. Habitués à obéir, ils savent, mieux que quiconque, commander. [PAGE 65]

Voilà en substance, les arguments qu'on nous avance dans les milieux de décision ecclésiastique, tant chez les missionnaires européens, qu'à la Nonciature de Yaoundé.

Qu'en est-il en fait de la vérité de ces arguments ?

1) Ethnie travailleuse et dynamique

L'homme Bamiléké est travailleur, dynamique. C'est vrai, mais il ne faut pas oublier les gros avantages dont il bénéficie de la nature :

– un sol supérieurement fertile où tout pousse pratiquement sans effort;
– un climat de montagne, très sain et tempéré qui permet de travailler sans trop de fatigue et sans trop ruiner la santé;
– région de savane relativement facile à labourer.

2) Ethnie habituée à la vie dure, qui la met à l'abri de la concupiscence ?

Une question : quel est le but de la polygamie qui est de règle chez ce peuple, au point que des membres de leur clergé sont obligés de se prononcer en sa faveur :

Cf. thèse de l'Abbé Justin Fotso : polygamie et Religion chrétienne chez les Bamilékés de l'Ouest-Cameroun, Strasbourg 1978 – Fichier Central de thèse (Paris), no 7606092.

Ces nombreuses femmes dans les harems, comment s'en occuper, si on n'a pas une forte dose de concupiscence ? Ces nombreux enfants, comment sont ils produits ? Pourquoi des prêtres Bamilékés défendent ils la polygamie ? Pour favoriser ou défavoriser la concupiscence ? Que l'on ne nous raconte pas des histoires ! L'enfant est fils de son peuple, avec ses qualités et ses défauts. Nous sommes tous des prêtres; nous nous connaissons à partir du séminaire. Une forme d'hypocrisie peut cacher la nature sans la supprimer.

3) Ethnie très religieuse, prête à accueillir l'Évangile et à en vivre

Oui, l'homme Bamiléké est religieux. Mais les musulmans sont religieux; les païens aussi.

Il y a une différence entre être chrétien et être religieux. L'homme Bamiléké est religieux; il est d'une religiosité ancestrale, c'est-à-dire, « un adorateur » des crânes des ancêtres; il n'est pas forcément un chrétien. Il est tellement ancré dans les croyances ancestrales, qu'il lui est difficile d'être totalement converti au Christ, même lorsqu'il est chrétien.

Accueillir l'Évangile, c'est avoir pour tout homme au moins un peu d'estime et de charité. Or, la devise de l'homme Bamiléké est la suivante : d'abord le Bamiléké, ensuite le Bamiléké, enfin le Bamiléké et les autres s'il en reste.

La preuve : faites un tour dans l'Ouest. Vous ne trouverez presque pas d'espace cédé à un étranger non Bamiléké; ce qui est infiniment loin d'être le cas dans les autres parties du pays. Si un étranger non [PAGE 66] Bamiléké ouvre un commerce de Mbanga à Dschang, de Nkongsamba à Bafoussam, il finira par consommer lui-même sa marchandise !...

Cette sorte d'égoïsme et ce genre de tribalisme sont si forts et si puissants qu'ils constituent un des plus grands dangers pour l'avenir de la nation camerounaise. Avec de tels principes de base, on peut être « religieux », jamais chrétien.

Comment se fait-il que ce n'est que le Pro-Nonce actuel qu'il[1] leur découvre subitement une sainteté si éclatante que ses prédécesseurs n'avaient jamais perçue ? Cinq Évêques en six ans, de la même région (Ouest), c'est la preuve que le Pron-Nonce actuel est manifestement favorable, pour ne pas dire qu'il est scandaleusement compromis...

4) Une ethnie habituée à obéir, donc bon[2] pour commander

Il faut éviter des simplifications de ce genre, quand il s'agit de graves problèmes. Le Président de la République a dit dans son interview télévisée du 19/02/1987, que la « tribu est une mini-nation ».

Partons de là. Les Allemands en Europe sont un peuple auquel tout le monde reconnaît de solides qualités de discipline, de rigueur et de travail. A-t-on jamais pensé soigner le farniente italien, en proposant aux Italiens soit des Évêques, soit des hommes politiques allemands comme chefs religieux ou politiques?

On ne commande à la nature qu'en lui obéissant. Ce principe est vrai au niveau social, si la nature est considérée comme milieu de vie. Alors l'obéissance devient connaissance et le commandement, une adaptation. Toute transposition de ce principe en dehors de la relation de l'homme avec son milieu devient un sophisme dangereux et une cynique simplification.

Vouloir imposer un Allemand comme empereur du Japon, c'est chercher à détruire la nature.

En fait d'obéissance du clergé Bamiléké, référons-nous, entre autre, au document rédigé par eux, critiquant et mettant en cause les autorités romaines et même le Saint-Père, après son passage au Cameroun en 1985 : unique !

Si tous les arguments avancés peuvent si facilement être détruits, pourquoi chercher tout de même à imposer les Évêques Bamilékés à l'Église du Cameroun ?

II.3. Les raisons profondes

1. Raisons d'ordre économique

Partant des intérêts d'ordre économique, il est opportun pour un homme d'affaires européen, de s'entendre avec les puissances financières Bamilékés. Le mariage européen Bamiléké est un mariage non d'amour, mais d'intérêt. Pour mieux exploiter, donc dominer les faibles [PAGE 67] et les pauvres du Cameroun, il faut faire une alliance avec la puissance d'argent que sont les Bamilékés.

2. Raison d'ordre politique

Pour une plus grande maîtrise de la puissance financière, il faut maîtriser le pouvoir politique. L'alliance des puissances d'argent avec l'homme Bamiléké est donc orientée, pensons-nous, vers la conquête du pouvoir politique au Cameroun, et par conséquent des points stratégiques du territoire national.

La mainmise sur le siège archi-épiscopal de Douala fait partie du processus de Bamilékisation de la hiérarchie. Cette Bamilékisation de la hiérarchie tend naturellement vers la prise du pouvoir politique. Le Nord est pratiquement conquis, l'Est aussi; l'Ouest déjà. Il ne restait que le Littoral, c'est-à-dire Douala, et la boucle est bouclée.

L'argument à faire valoir est désormais le suivant : si les Bamilékés sont bons dans la gestion du domaine spirituel, pourquoi ne seraient-ils pas bons dans la gestion du domaine temporel ? Il ne faudrait pas que l'Église soit en retard !

En effet, voici ce qu'une personnalité ecclésiastique a dit dans une conversation : « des Pères de la Congrégation du Saint-Esprit m'ont dit clairement que les Bamilékés, un peuple industrieux, entreprenant et nombreux, auront ce pays tôt ou tard. Ils ont déjà le pouvoir économique, ils vont bientôt avoir le pouvoir politique; il ne faut pas que l'Eglise soit en retard ».

La Nonciature de Yaoundé est donc en train de donner une caution morale d'une importance incalculable à un dessein politique d'un peuple qui pourrait faire le drame du Cameroun demain.

Le Pro-Nonce, en découvrant à l'ethnie Bamiléké les vertus de la race aryenne, n'est-il pas en train de ressusciter une histoire ? Le Pro-Nonce est diplomate, est-il encore pasteur ? Un diplomate peut préparer une guerre; un pasteur doit éteindre les incendies.

3. Raison d'ordre humain

Tout commence en 1970, avec la nomination de Mgr Tonye, évêque coadjuteur de Mgr Mongo. Sur la demande du clergé en retraite à Bonépoupa en 1970, Mgr Mongo entreprend de construire à Douala un séminaire de second cycle, qui est le séminaire Saint-Paul de Nylon.

Pour avoir de l'argent, les deux Évêques lancent une quête de 1 000 FCFA par chrétien et par an. Le projet ne plaît ni aux Pères Spiritains, ni aux Pères-Jésuites, ni aux Pères-Dominicains.

Leur argument : En Europe, on ferme les séminaires. Pourquoi jeter de l'argent par la fenêtre, pour réaliser une œuvre qui ne peut survivre.

Est-on mécontent de l'éclosion des vocations chez nous ?

En tout cas, les Évêques sont accusés à Rome et Mgr Mongo devra frapper du poing sur la table, pour obliger le Procureur à sortir de l'argent pour commencer les constructions.

En 1972, les Évêques répondent à Rome qui leur donne raison. Le [PAGE 68] conflit est ouvert entre Mgr Tonye et les missionnaires étrangers, car c'est lui, Mgr Tonye qui est le plus passionné pour la réalisation de cette œuvre. Voyant que les missionnaires, par leur opposition à la construction du séminaire, sont décidés à boycotter la relève du clergé indigène, Mgr Tonye se voit obligé de prendre les distances.

L'histoire malheureusement, va donner raison à l'Archevêque de Douala. Dix-sept ans après l'ouverture du séminaire Saint-Paul de Nylon, non seulement l'œuvre n'est pas morte, mais encore, le clergé de Douala s'est agrandi de plus de trente nouveaux prêtres, grâce au séminaire Saint-Paul de Nylon, sans oublier les cinquante (50) grands séminaristes en formation.

Maintenant que la relève sacerdotale est assurée dans l'Archidiocèse de Douala, les prêtres missionnaires prennent peur...

Depuis 1981, l'Archevêque de Douala demande un Évêque coadjuteur, on veut profiter de sa mésentente avec des Pères missionnaires, pour lui imposer un coadjuteur qui arrange la situation dans le sens qu'on veut. Et l'issue du conflit ? ou bien Mgr Tonye nous fait partir, ou bien nous le faisons partir.

Pour l'Archevêque de Douala, le problème ne réside pas dans l'opposition aux missionnaires européens. L'Archidiocèse de Douala est le plus ouvert à toutes les ethnies et aux prêtres venant de tous les horizons. Dans la ville de Douala, on célèbre soixante (60) messes par dimanche : en Bamiléké – Béti – Bassa – Mpoo – Douala – Lemande – Batanga – Français – Anglais, etc.

Chaque année, l'Archevêque de Douala en dialogue avec les congrégations missionnaires, installées dans le diocèse, cherche à accroître le nombre des missionnaires. Il lui est même arrivé de faire appel au Pro-Nonce, pour l'aider à trouver des missionnaires dans d'autres pays européens.

Tout récemment, il a écrit en Pologne et même au Saint-Père pour demander des missionnaires polonais. L'essentiel pour l'Archevêque de Douala, c'est que les missionnaires acceptent de s'intégrer dans son action pastorale, avec esprit de foi.

III. POUR UNE RECONSIDÉRATION PASTORALE OBJECTIVE DE LA SITUATION

III.1. Procédure de nomination de deux Évêques auxiliaires à Douala

Selon la procédure canonique normale, Mgr l'Archevêque de Douala doit avoir présenté à Rome une liste de trois candidats pour solliciter la nomination d'une Évêque coadjuteur.

Mais au lieu d'un coadjuteur, ce sont plutôt deux Évêques auxiliaires qui ont été nommés à Douala. D'après le droit Canonique (cf. Canon 377 § 4) il est dit ce qui suit : « Pour les Évêques auxiliaires, [PAGE 69] c'est à chaque Évêque diocésain qui en réclame un, de proposer lui-même à Rome, par l'intermédiaire du représentant pontifical, une liste de trois (3) noms ».

Or, dans le cas des présentes nominations, la liste que doit avoir présentée l'Archevêque de Douala, non seulement ne prévoyait pas la nomination d'un Auxiliaire, mais encore n'envisageait aucun candidat venant d'un diocèse autre que celui de Douala.

Il y a lieu de se demander s'il n'y a pas un vice de procédure dans les présentes nominations.

III.2. Que vise la nomination d'un Évêque auxiliaire, étranger à Douala ?

On aime à répéter que Douala est peuplée à 40 % de Bamilékés. Il faut donc à Douala, un Évêque Bamiléké pour évangéliser ses frères.

Que disent les statistiques ? Tout l'Ouest qui couvre cinq (5) Diocèses (Bamenda – Buéa – Kumbo – Bafoussam – Nkongsamba) compte au total :

– 122 prêtres (soit 24 prêtres par diocèse en moyenne)
– 692 190 chrétiens (soit 138 438 par diocèse en moyenne)
– 2 484 557 païens (soit 524 599 par diocèse en moyenne).

Comme le montrent les statistiques, le clergé des Diocèses de l'Ouest en nombre réduit (24 prêtres par diocèse) et face à une tâche d'évangélisation immense, n'arrive apparemment pas à s'en sortir. En quoi se révèle sa compétence pastorale pour que l'on sollicite son concours ailleurs ?

Si le milieu naturel dans lequel il travaille lui semble si difficilement perméable à l'Évangile, que fera-t-il de plus en des milieux qu'il connaît si mal ?

D'autre part, si l'apôtre ne peut annoncer efficacement l'Évangile qu'à ses frères de sang, à quoi sert le missionnaire ?

Le problème n'est ni pastoral ni missionnaire, c'est un problème économique, politique et humain, comme on l'a déjà fait observer.

Et puisque c'est un problème humain qui n'a rien à faire avec les motivations de foi, on peut s'attendre à des réactions humaines qui n'ont rien à voir avec la foi.

III.3. Et le nouvel Évêque Bamiléké qu'on nous envoie ?

Mgr Simo est un inconnu dans le Diocèse. Il ne connaît ni le clergé, ni les religieux, ni les religieuses, ni le peuple chrétien. Il ne connaît ni les coutumes, ni les mentalités, ni les langues parlées dans le diocèse, en dehors du Français utilisé uniquement dans certaines paroisses de la ville de Douala.

Il y a quatre (4) paroisses en majorité Bamilékés : Bépanda, Maképé, New-Bell et Oyack, sur les seize que compte la ville de Douala et sur cinquante (50) que compte le Diocèse. [PAGE 70]

Ces Bamilékés sont divisés en trois grands groupes linguistiques : le Fefé, le Nufi et le Bangante; et un prêtre Bamiléké ne peut utiliser aucune de ces trois langues pour s'adresser à tous, sans créer des susceptibilités et des tensions au sein de la population Bamiléké. Et dans les autres villes du Cameroun où il y a des minorités non Bamiléké, faudra-t-il nommer des Évêques de leurs ethnies pour les évangéliser ?

La situation étant telle, est-il nécessaire d'avoir à Douala tout un Évêque incapable de s'adresser à ses propres frères dans leur propre langue et plus incapable encore de s'adresser aux autres ethnies dont il ne connaît ni les langues, ni les mentalités, ni les coutumes ?

Chaque homme est fils de son milieu et en partage les défauts et les qualités. Le nouveau collaborateur de Mgr Tonye est un prêtre issu de l'AIPI : (Association des prêtres indigènes des Diocèses de Nkongsamba et Bafoussam). Et nous connaissons tous la mentalité et la philosophie que véhicule cette association sacerdotale.

Cette mentalité et cette philosophie transparaissent dans un certain nombre de documents récents :

1) Le Pape au Cameroun (du 10 au 14 août 85)
Et après ?... (Collection AIPI no 2 décembre 85).

2) Lettre aux Évêques de la Province Ecclésiastique de Douala du 27 octobre 1985, par l'Association du Clergé indigène de Bafoussam.

Par ailleurs, le nouveau collaborateur de Mgr Tonye n'a pas hésité à l'agresser verbalement lors de la Conférence Épiscopale Régionale de 1985 et 1986, allant même jusqu'à accuser publiquement l'Archevêque de Douala d'avoir cherché à voler de l'argent à Rome, en présentant aux OPM, deux dossiers sur le même projet : la construction du Grand Séminaire Régional. Ce qui était naturellement faux.

Pas besoin de parler des attaques contre le presbytérium de Douala, attestées par la « lettre aux Évêques de la Province », dont Mgr Simo Gabriel est cosignataire.

Compte tenu des faits ci-dessus énumérés, le nouvel Évêque est-il encore moralement apte à collaborer avec l'Archevêque et le presbytérium, et surtout à travailler sereinement pour le peuple de Dieu dont il a publiquement méprisé le Pasteur ? Cf. Canon 407 § 3. « L'Évêque coadjuteur et l'Évêque auxiliaire, parce qu'ils ont été appelés à partager la charge de l'Évêque diocésain, exerceront leurs fonctions de façon à travailler en union de cœur et d'esprit avec lui ».

III.4 L'Église de l'Archidiocèse de Douala : une Église missionnaire

Très tôt, le Diocèse de Douala a compris son rôle d'apôtre en devenant le Diocèse le plus ouvert du Cameroun. Toutes les ethnies dans notre Diocèse se sentent chez elles et peuvent prier et louer Dieu chacune en sa langue. Ceci se vérifie, non seulement à Douala, mais encore à Edéa – Eséka – Kribi, toutes les villes où l'on peut trouver des étrangers. Que l'on nous cite l'exemple d'un autre Diocèse du Cameroun où l'étranger est si respecté. [PAGE 71]

Le Diocèse de Douala est aussi le premier à avoir compris, bien avant l'appel de Kampala de sa Sainteté le Pape Paul VI en 1965, le rôle missionnaire des Églises africaines.

En effet, en 1959, un de ces premiers prêtres ordonné le 8/12/1935, M. l'Abbé Simon Mpeke dit « Baba Simon », fut envoyé par Mrg Mongo au Nord Cameroun comme apôtre des Kirdis. Il y créa la paroisse de Tokombere que les prêtres et religieuses de Douala continuent de desservir jusqu'à ce jour.

Douala, Diocèse d'accueil et diocèse missionnaire, le prouve aussi en acceptant sans distinction de langues ni d'ethnies, les séminaristes venus d'autres diocèses qui veulent s'incardiner en son sein.

C'est précisément en vertu de ces vertus qui nous caractérisent que le nouvel Évêque qui ne nous connaît pas et que nous ne connaissons pas, n'aura pas de peine à se faire accepter. Mais pourquoi si peu d'égard à notre clergé ?

III.5. Douala : Église primatiale du Cameroun

Berceau de l'Évangélisation, Douala est fière d'être l'Église primatiale du Cameroun. Parmi les huit (8) premiers prêtres camerounais ordonnés le 8 décembre 1935, quatre (4) étaient des nôtres. Et depuis cette date, notre chrétienté et notre clergé n'ont cessé de grandir.

Voici la vérité des chiffres, page 72.

« Prima sedes a nemine judicatur. » Cet adage romain souligne le devoir de respect au premier siège qui est le siège apostolique. Mais il souligne aussi à l'intérieur d'un pays, le devoir de respect à l'Église primatiale.

En tout cas le peuple chrétien a ressenti comme une gifle, la nomination d'un auxiliaire à Douala étranger à son clergé. Pourtant, ce clergé est en nombre suffisant, quantitativement, pour assumer la responsabilité de pasteur de son peuple.

Que lui reproche-t-on ? De se replier sur lui-même; qu'on se rappelle le cas de Mrg J. Duval, nommé Évêque auxiliaire à Rennes en 1974, contrairement aux traditions de l'Eglise Bretonne ! ... qu'on se rappelle les traditions des Églises corse et alsacienne, etc.

En outre, on nous a habitués à des nominations d'évêques diocésains issus de leur diocèse, quelle pédagogie a-t-on adoptée pour amener le Peuple chrétien au changement de cette tradition ?

EN CONCLUSION

Ce document veut être une franche explication, pour éclairer les autorités compétentes sur la situation qui prévaut à Douala et dont les conséquences sont imprévisibles et incalculables. [PAGE 72]

[PAGE 73]

Nous sommes de l'Eglise et nous restons dans l'Église. Point n'est besoin de s'opposer aux décisions du Saint-Père ni de nous substituer à son action pastorale. Cependant, nous avons jugé utile de donner ces éclaircissements pour aider les autorités romaines locales à saisir de mieux en mieux les réalités de notre Église locale.

Depuis les temps coloniaux, l'Administration a toujours tenu compte des groupements ethniques et a porté son action sur ces groupes déjà constitués, parce que formant un tout.

L'Église, de son côté, a appliqué la même politique sur le plan de l'Évangélisation. Avec les bouleversements que nous connaissons depuis six (6) ans, l'on semble vouloir, sans préparation, méconnaître cette ancienne et vénérable tradition qui a fait ses preuves.

    Éminences,

Nous tenons à préciser que n'importe quel observateur impartial de votre choix, peut éventuellement contrôler sur place, la vérité de nos affirmations.

Nous réaffirmons que remettre le pouvoir économique, politique et religieux entre les mains d'une ethnie, risque de conduire le Cameroun vers un régime totalitaire.

Quel sera le rôle de l'Église dans un régime politique de ce genre ?

Veuillez croire, Éminences, à l'expression de nos sentiments de respect et de fidélité à notre Sainte-Mère l'Église.

Fait à Douala, le 16 mars 1987

N.B. : Nous vous faisons remarquer qu'il y a :

    1o) 4 Prêtres religieux de l'Archidiocèse de Douala (2 Jésuites et 2 Spiritains);
    2o) 86 Prêtres séculiers de l'Archidiocèse de Douala
    3o) 11/86 sont aux études à l'étranger;
    4o)       /86 ont pu être atteints pour signature[3].

Ampliations :

  • A sa Sainteté le Pape Jean-Paul II;
  • Son Éminence le Cardinal Casaroli, Secrétaire d'État;
  • Son Éminence le Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation pour le Clergé;
  • Le Pro-Nonce Apostolique du Cameroun.


[1] Sic.

[2] Sic.

[3] A notre connaissance, une cinquantaine de prêtres seulement n'ont pas craint d'apposer leur signature au bas d'un texte dont aucune circonstance ne saurait excuser les termes trop souvent orduriers (N.D.L.R.).