© Peuples Noirs Peuples Africains no. 55/56/57/58 (1987) 55-60



A) Le tribal-confessionnalisme dans ses œuvres

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A leurs Excellences les Évêques
de la Province Ecclésiastique de Douala
BP 179

Bafoussam,
le 27 octobre 1985

Objet : Protestation contre l'autocratie
de l'Archidiocèse de Douala
dans la Province Ecclésiastique de Douala[1]

    Excellences,

L'incident de la mise à l'index des chorales des Diocèses de Bafoussam et de Nkongsamba, à l'occasion de la visite papale du 13/8/1985 à Douala, nous oblige à crier à notre Conférence Épiscopale notre malaise face à l'attitude et aux actes d'hégémonie de l'Archidiocèse dans la Province Ecclésiastique de Douala.

La Conférence Épiscopale Régionale de Douala met en place une commission liturgique formée de délégués des trois diocèses pour préparer la messe papale dans notre Province Ecclésiastique.

Pendant plus de deux mois, notre Diocèse mobilise des prêtres et des laïcs à la préparation de nos chants retenus par la Commission Régionale. Le Délégué de Bafoussam effectue mille déplacements (des fois, deux par semaine) à Douala pour la concertation et ce, jusqu'à la veille de l'événement. Et paf ! le 13/8/1985, les chorales de Bafoussam et [PAGE 56] de Nkongsamba dûment préparées, sont ignorées et tenues à l'écart du lieu où les chants sont exécutés en chœur devant les micros.

Avons-nous besoin de prouver que nous avions droit à une participation liturgique, puisque la visite papale était à notre Province Ecclésiastique non au seul Archidiocèse de Douala ? La création d'une commission liturgique régionale pour l'accueil du Pape ne signifiait-elle pas un point de départ de collaboration pastorale étendue aux laïcs dans la Province autour de celui dont la mission spécifique dans l'Église est de susciter la communion des Églises particulières et locales ?

L'incident des chorales à Douala prend du relief pour nous à cause du style général de l'Archidiocèse dans notre Province Ecclésiastique. Contre la proposition des Diocèses de Bafoussam et de Nkongsamba (les prêtres avaient été consultés), le Grand Séminaire Interdiocésain a été installé non seulement dans l'Archidiocèse de Douala mais encore dans la région infecte de Bonépoupa.

Le statut interdiocésain de ce Séminaire ne va pas de soi pour l'Archevêque de Douala. Sur sa seule initiative, le premier recteur fut nommé et révoqué. Évidemment le recteur ne peut être que de l'Archidiocèse de Douala, même s'il y a changement de personne.

L'Abbé Vincent Nana, économe du Séminaire, a été révoqué et remplacé par un diacre de Douala sur la seule initiative de Mgr Tonye.

Un prêtre présenté comme professeur par l'Évêque de Nkongsamba et agréé par l'Évêque de Bafoussam a été repoussé, sans motif fondé, par l'Archevêque de Douala.

L'actuel recteur du Grand Séminaire semble bien modelé sur son Archevêque en matière d'autocratie : un vrai dialogue avec le corps professoral semble inexistant ou se réduire en aparté à base de tribalisme. Et c'est dans ce tribalisme et cette fermeture au dialogue que nos jeunes sont formés au ministère pastoral, dans un pays préoccupé d'intégration nationale, dans l'Église de Vatican II définie par l'ouverture et la communion au-delà de toutes barrières.

Le Synode, les conférences épiscopales, les Provinces Ecclésiastiques, les Conseils Presbytéraux, etc., sont des structures de collaboration et de concertation dans une Église qui se veut dialogue à tous les niveaux.

Que si l'Archevêque de Douala ne sait pas que toute responsabilité dans l'Église est un service, non un moyen d'exercer sa propre domination, au point que l'Évêque de Rome s'appelle « le serviteur des serviteurs de Dieu », qu'il sache qu'il endosse la lourde responsabilité de déchirer l'Église de Dieu qui veut se construire dans la Province Ecclésiastique de Douala.

Un fait anodin mais très significatif s'il exprime une conviction théologique, une vision d'Église : la photo officielle de nos Évêques prise à la vêture du pallium de notre Archevêque. Dans cette photo, l'Archevêque de Douala est assis sur ses suffragants qui le portent sur leurs épaules ! ! ! Belle expression de la théologie du Concile de Trente et de Vatican I selon laquelle l'Église c'était le Pape au sommet de la pyramide, puis les Évêques, les prêtres, les diacres et les simples chrétiens. [PAGE 57] Tant pis pour Jésus-Christ et l'Esprit-Saint, s'ils n'avaient pas de place dans ce schéma.

S'il persiste cet esprit de l'Archevêque de Douala, esprit qui semble s'étendre à ses prêtres qui voudraient passer à leur tour pour des archiprêtres, la Province ne pourra compter sur la collaboration des prêtres de Bafoussam, même pas dans le cadre du Grand Séminaire Interdiocésain.

Nous demanderons alors à notre Évêque, quel que soit ce qui lui en coûterait, d'ouvrir son Grand Séminaire et, en attendant, d'envoyer nos Grands Séminaristes dans les Séminaires des autres Provinces Ecclésiastiques du Cameroun.

Nous prions notre Conférence Épiscopale Régionale de regarder de près cette situation qui prévaut dans la Province Ecclésiastique de Douala.

Le Diocèse de Bafoussam entend assumer pleinement ses responsabilités dans l'Église universelle, c'est-à-dire s'exprimer et rencontrer les autres Églises particulières – y compris de l'Archidiocèse de Douala – dans le respect et le dialogue.

Nous adressons ce cri à nos Évêques dans la pleine conscience que nous ne sommes pas seulement des exécutants des ordres épiscopaux, mais aussi et surtout des collaborateurs avisés de l'ordre épiscopal.

Veuillez agréer, Excellences, l'expression de notre profond attachement à l'Église de Vatican II qui accorde un prix particulier à la personnalité des Églises particulières et à leur communion dans le dialogue.

Ampliations :
– CENC du Cameroun
– Prononce Apostolique de Yaoundé
– Archives

A) Les membres du Bureau de l'ACIB :

– Le Délégué : Abbé Sandje Godefroy
– Le Secrétaire Abbé Bouobda Boniface
– Le Trésorier Abbé Montse Gilbert

B) Les membres de l'ACIB :

Voir la feuille ci-jointe

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[PAGE 58]

Njock-Nkong, le 15 mars 1987

Très Saint Père,

Humblement prosternés aux pieds de votre Sainteté, nous implorons votre bénédiction et sollicitons la permission de vous soumettre ce cas d'actualité qui n'a pas manqué de soulever maints commentaires tant dans le Cameroun en général que dans l'Archidiocèse de Douala en particulier. Il s'agit de la nomination des deux Évêques auxiliaires à Douala. On se demande si Rome a été suffisamment bien informée...

Avant de vous fournir les détails des réflexions et commentaires que les gens ont exprimés autour de cet événement, veuillez s'il vous plaît, Très Saint Père, nous permettre de vous parler de l'Église de Douala et de son clergé.

L'Église de Douala

Serait-ce une vaine prétention ou une sotte revendication que d'attribuer le primat du Cameroun à Douala, étant donné que la première Mission Catholique, Marienberg, a été implantée dans son territoire ?

Très vite Douala a compris son rôle d'apôtre en devenant le Diocèse le plus ouvert du Cameroun, où toutes les tribus se trouvent chez elles. A Douala, on peut prier et louer Dieu en sa langue et cela pour toutes les races. Vous l'avez d'ailleurs constaté vous-même lors de votre voyage historique au Cameroun en 1985.

Le Diocèse de Douala a compris très vite, et mieux que tout autre, sa vocation missionnaire en envoyant en 1959 un de ses prêtres au Nord Cameroun comme « Fidei donum ».

C'est Baba Simon, le Prêtre du Diocèse de Douala qui a fondé la paroisse de Tokombere où, jusqu'à ce jour, l'action de Douala reste présente (Prêtres et Religieuses). [PAGE 59]

Le Clergé de Douala

Douala, berceau de l'évangélisation, a pu compter, grâce à Dieu, quatre prêtres parmi les huit premiers prêtres ordonnés le 8 décembre 1935. Et depuis cette date, presque tous les ans, Douala reçoit un petit contingent de prêtres diocésains, de sorte qu'à l'heure actuelle, le nombre de prêtres diocésains s'élève à 86 dont 12 à l'étranger. Ce clergé se fait remarquer non seulement par la quantité, mais encore et surtout par la qualité. Plusieurs de ses membres sont nantis de titres universitaires à partir de la licence jusqu'au doctorat dans différentes branches. Par ailleurs, la plupart des Prêtres de Douala sont remarquables par leur zèle apostolique sans réticence et leur attachement à l'Église.

On nous accuse de bouder les étrangers. Accusation gratuite ! Si nous boudions les étrangers, pourquoi les séminaristes non originaires de Douala, se font-ils volontiers ordonner et incardiner à Douala ?

Après ces considérations préliminaires sur l'Eglise de Douala et son clergé, on se demande si Rome a été suffisamment informée pour nous imposer un Évêque auxiliaire qui ne nous connaît pas et que nous ne connaissons guère. Dans cette conjoncture, quelle qualité de travail attend-on du clergé de Douala ? Quelle efficacité pourra-t-elle en découler ? La ville de Douala est le siège de l'Archidiocèse. Elle est très grande bien sûr, mais l'arrière-pays nous semble, quant à la densité des fidèles, plus important que Douala-ville.

L'Évêque auxiliaire est appelé à rayonner dans tout le Diocèse jusqu'aux paroisses les plus éloignées. Quelle langue parlera-t-il pour monnayer la parole de Dieu ? tout le monde ne comprend pas le français ni l'anglais chez nous, bien que ces deux langues soient officielles. (cf. décret Christus Dominus, 23; Constitution De Sacra liturgia 36, 54, 63, 76, 78).

Parmi les 86 Prêtres que compte l'Archidiocèse de Douala, il n'y aurait que des déchets, des retraités, des incapables ? Et pourtant on compte dans nos rangs 3 prélats de sa Sainteté. Douala et Yaoundé ont eu leurs premiers prêtres en 1935. Le premier Prêtre de Nkongsamba a été ordonné dix ans plus tard. Comment se fait-il que ceux qui devaient être prioritairement évangélisés, devientient [PAGE 60] en un temps record, les Evangélisateurs de tout le Cameroun sauf le Sud et le Centre ? Nous y entrevoyons une hégémonie à laquelle nos frères « Bami » ont toujours rêvé, et l'Église leur en offre une heureuse occasion à savoir : hégémonie démographique, économique, religieuse, etc.

Très Saint Père, la perplexité est grande. Nous y entrevoyons un sérieux danger pour l'avenir de notre Église locale. Néanmoins, nous accepterons dans la foi, toutes les décisions émanant de Rome même si cette dernière n'est pas suffisamment bien informée sur les réalités locales.

En fils très soumis, nous vous prions, Très Saint Père, de bien vouloir agréer l'hommage de notre profonde vénération et notre indéfectible attachement au Saint Siège.

Pour le Groupe diocésain
de Jésus de CARITAS.


[1] Texte signé par 23 prêtres. (N.D.L.R.).