© Peuples Noirs Peuples Africains no. 51 (1986) 102-103



LIVRES LU

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Anthony Biakolo : « L'étonnante enfance d'Inotan »[1]

Voici le premier roman en langue française qui sort de l'Afrique occidentale anglophone (le Nigeria). Un roman qui aujourd'hui nous replonge dans les années trente quand beaucoup de nos grands-parents tentaient encore de résister avec acharnement à l'invasion culturelle blanche. Une invasion qui accompagnait inévitablement le colonialisme politique, économique et social.

A côté de la figure centrale d'un nouveau-né, suggérant une vision romantique, innocente et magique du monde africain, l'auteur trace un parcours, plus intérieur qu'extérieur, qui amène un catéchiste indigène un peu fanatique à reconnaître les valeurs de son héritage culturel. Ceci dans deux domaines principaux : la médecine et la religion. Les médecins traditionnels qu'il traitait de « charlatan », « fétichiste », et « diabolique », vont d'abord assurer la naissance difficile de son fils en son absence et ensuite soigner l'enfant à plusieurs étapes précaires. Et pendant que le chef du village prêchait la charité et pratiquait la vie en communauté, son patron, le prêtre catholique blanc, se révélait un bougre arrogant et ridicule qui finit par se tuer dans un moment d'ivresse.

La société traditionnelle est peinte dans ses aspects les plus paisibles et désirables : conseils des anciens pour résoudre les problèmes quotidiens (comme un accouchement difficile), fêtes ancestrales rassemblant le peuple dans des agapes, danses et participations mystiques; des chefs avec la sagesse du roi Salomon ou [PAGE 103] d'autres cultivant leur jardin comme Voltaire le conseillait. Même les conflits inter-ethniques vont servir finalement à donner une image messianique à l'enfant Inotan, dont la présence mystérieuse à un moment décisif va sauver des guerriers vaincus qu'on allait massacrer.

Ce roman qui semble ne pas condamner entièrement le chapitre colonial de l'Afrique et qui ne prétend pas nous présenter une Afrique toute rose, toute pastorale et apollinienne, nous donne pourtant la vive, impression d'une apologie des valeurs culturelles africaines. Un porte-parole de l'auteur déclare, « Un peuple sans culture est un peuple sans âme » (p. 49).

L'œuvre est parsemée de plusieurs énoncés didactiques du même genre.

On a également l'impression que l'auteur a, voulu parodier L'Enfant Noir de Camara Laye. Il y a par exemple l'incident du serpent dans lequel ce reptile retrouve son symbolisme maléfique, à l'encontre du serpent bénéfique caressé par le père du narrateur de L'Enfant Noir.

Aujourd'hui que l'Afrique cherche à se moderniser à tout prix, ce roman est sans doute un appel à la précaution, au « triage ». Tout notre héritage ne doit pas être jeté par-dessus bord.

La qualité en général est très élevée. Les nombreux proverbes africains nous apportent de nouvelles visions de la réalité, provoquant des exclamations comme, « Ah, que c'est vrai ! ». A la fin de l'histoire, un sentiment d'équilibre culturel et une émotion de sympathie sont suscités en nous, du fait que le catéchiste se réconcilie avec son univers culturel sans pour autant renier sa nouvelle foi. Le maniement de la langue française par un auteur anglophone est impressionnant. Du point de vue des thèmes traités et des valeurs culturelles exposées, ce livre peut servir aux débutants universitaires, après quelques épurations (ex. la scène de tentative de viol). Dans son état actuel, néanmoins, son achat par les bibliothèques nationales peut être recommandé.

Sebastian C. IWUCHUKWU
Dept of Languages & Linguistics
University of Jos
Nigeria
30th Jan. 1985


[1] Par Anthony Biakolo, L'Harmattan éditeur, Paris, 1980, 182 pages.