© Peuples Noirs Peuples Africains no. 49 (1986) 8-33



LE TEMPS ET L'ESPACE KANAKS
LE LIVRE D'UN GEOGRAPHE (1)

Laurent GOBLOT

La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants. Il faut donc saisir cette chance ultime [ ... ]. La présence française en Nouvelle-Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones [ ... ]. A court et moyen termes, l'immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d'outre-mer devrait permettre d'éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés.

A long terme, la revendication nationaliste ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi que l'on n'obtiendra rien sans immigration systématique des femmes et des enfants.

[ ... ] Dans ce sens, il conviendrait de faire réserver des emplois aux immigrants dans les entreprises privées, et tout emploi pouvant être occupé par une femme doit être réservé aux femmes. Sans qu'il soit besoin de texte, l'administration peut y veiller ! Les conditions sont réunies pour que la Calédonie soit dans vingt ans un petit territoire prospère comparable au Luxembourg mais représentant, dans le vide du Pacifique, beaucoup plus que le Luxembourg, en Europe.

Pierre Messmer (17 juillet 1972)


[PAGE 9]

Avant de publier la suite de mes naïvetés à propos de la géographie et de l'histoire, et pour donner un exemple actuel de la plus grande aptitude de la première pour appréhender les phénomènes coloniaux, je veux rendre compte du livre d'Alain Saussol, L'héritage, Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie (Publication no 40 de la Société des Océanistes, Musée de l'Homme, 1979, ouvrage honoré d'une subvention du secrétariat d'Etat aux D.O.M.-T.O.M.).

Alain Saussol est né en 1939; géographe diplômé de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Montpellier (où il enseigne) et de l'Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier, il est l'auteur de travaux sur les Causses, les Cévennes, le Languedoc. Mais avec L'héritage, on a un travail qui fait de la géographie la meilleure explication des agressions coloniales. En 1964, démissionnant du C.A.P.E.S., qu'il venait d'obtenir, il s'embarquait pour la Nouvelle-Calédonie comme stagiaire. Puis il est attaché de recherches au C.N.R.S., sur le thème : « Economie rurale de la Grande Terre calédonienne, faits de colonisation et réserves indigènes ». L'héritage est titulaire du Prix de l'Océanie 1980, décerné par l'Association des Ecrivains d'Outre-Mer de langue française.

L'héritage est précédé d'un Préambule de Jean Guiart. L'auteur de La terre est le sang des morts[1] glisse une ou deux vérités qu'Alain Saussol n'a pas dites – bien qu'il les pense – dans un texte subventionné par le ministère des D.O.M.-T.O.M. Par exemple, Jean Guiart met en causé la politique évoquée ci-dessus par Pierre Messmer, ministre des D.O.M.-T.O.M. en 1971, en ces termes :

« Le système colonial ( ... ) accepte de privilégier des gens de toutes origines, sociales ou ethniques, pourvu qu'ils ne soient pas Mélanésiens, et parce qu'on croit pouvoir [PAGE 10] constituer un bloc de tous les immigrés pour résister à la promotion des autochtones. »

Ce point est appelé à jouer bientôt – après les élections législatives françaises de 1986 – un rôle meurtrier, ou facteur de paix, selon que le futur gouvernement décidera de suspendre ou de reconduire une action que Bernard Vienne définit ainsi dans le numéro de mars 1985 des Temps Modernes :

« De ce point de vue, la plus mauvaise politique est celle qui a été suivie durant la dernière décennie, et qui consistait à grossir le plus possible les rangs de la population expatriée en Nouvelle-Calédonie. En effet, c'est dans le groupe des immigrés récents, plus que chez les Blancs natifs de l'île, que se recrutent les plus extrémistes des anti-indépendantistes. »

Une partie importante de cette masse de manœuvre provient des chômeurs d'autres îles du Pacifique, de l'Atlantique ou de l'océan Indien. Le B.U.M.I.D.O.M. joue un rôle dans cette émigration dont on se propose de tirer parti contre les Canaques. Les rares prises de position sur le sujet m'invitent à en parler dans Peuples noirs-Peuples africains, d'autant plus que cette masse de manœuvre est plus efficacement utilisable, sur le plan des élections et de « l'information » (sic), qu'elle est noire. Lors de manifestations organisées depuis l'édition du livre d'Alain Saussol, dans un style très « Treize mai mille neuf cent cinquante-huit », j'ai entendu des commentateurs répéter à l'envi : « Toutes ethnies confondues. »

Est-ce seulement sa modestie qui fait commencer deux des paragraphes du Préambule de Jean Guiart par ces mots : « Mieux que je ne saurais le faire, Alain Saussol met en évidence... » « Mieux que moi aussi, Alain Saussol reste saisi par l'émotion... » ? Il faut lire, ou même parcourir ce livre, pour comprendre que c'est la géographie qui arme le mieux l'auteur dans ses explications, et c'est ce qui me permet d'intégrer son livre dans mon propos.

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On dirait que la préface de François Doumenge, qui lui succède, a pour objectif de faire pardonner aux yeux du [PAGE 11] ministère des D.O.M.-T.O.M. les propos qui précèdent. Ce recteur de l'Académie des Antilles-Guyane, en tout cas, contredit Jean Guiart sur ce point de la population appelée à faire nombre contre les Canaques. Il reconnaît à la colonisation rurale d'origine européenne une place à part dans l'Océanie : « Rien de comparable, ni avec l'Australie (anéantissement brutal), ni même avec la marginalisation des insulaires par la Nouvelle-Zélande, et surtout Hawaï. » Il tire parti de la « troisième composante d'origine asiatique et polynésienne, qui pèse de plus en plus lourd grâce à une forte expansion démographique ». Il n'ajoute pas – comme le Premier ministre Pierre Messmer – « de leur faire réserver des emplois dans les entreprises privées », pour s'en servir et les manœuvrer par la peur, comme une clientèle électorale et manifestante.[2] [PAGE 12]

L'avant-propos d'Alain Saussol laisse de côté ce point essentiel pour l'avenir, qui est à l'origine de la revendication indépendantiste : « Ouvrir l'avenir, sur la terre calédonienne, c'est d'abord débrider un abcès. Chacun le sait. Il est inutile de le taire. Mélanésiens, Calédoniens, Métropolitains, tous héritiers de la moisson que d'autres ont semée, sont aujourd'hui tous concernés. » Ce n'est pas parce que le mot « indépendance » n'est pas imprimé que ce livre devrait être ignoré, pourtant...

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Isolement de la Nouvelle-Calédonie; endémisme de sa flore, pauvreté de sa faune – chauve-souris, et une variété de mulots; sociétés agraires, techniquement au stade de la pierre polie; isolement, raison de sa destination pénitentiaire, sous Napoléon III et la IIIe République; 400 km de long et 50 km de large (deux fois la Corse, huit fois la Réunion, vingt fois la Martinique; juxtaposition de petites régions isolées; les communications plus faciles d'un bord à l'autre (ouest-est) en suivant les rivières, que dans le sens longitudinal de l'île; occupation de l'espace linéaire, mais discontinu, ramifié par les réseaux hydrographiques; dispersion étirée au bord de l'eau, décrite par M. Leenhardt.

De toutes ces circonstances géographiques, il résulte que, nulle part, le précepte « diviser pour régner » n'a été autant appliqué. Mais c'est la présence de l'Européen qui crée une aspiration à l'unité mélanésienne. [PAGE 13]

L'occupation mélanésienne de la terre est liée à sa fécondité; l'appropriation de la terre par la mise en culture, et non par la vente, chez les premiers occupants, a été décrite par le P. Lambert (1900).

« De petits centres de populations au milieu de leurs champs, confinés par des voisins presque toujours ennemis » (De Rochas, 1862). « Ce sont les pentes des montagnes, les petites vallées, que la population cultive de préférence » (à cause des inondations). Les femmes se consacrent à la culture des taros, en sol humide; les hommes à celle des ignames, sur le meilleur sol; la sécheresse de la plante la préserve du pourrissement; religion du terroir, prolongement du culte de la famille. Une terre dont on ne respecterait pas le possesseur-défricheur, croyait-on, pouvait devenir stérile.

Quelques citations choisies dans une masse de documents, ordonnés vallée par vallée, et au fur et à mesure que s'avance le front colonial, formeront les notes de ma lecture.

« Les chefs ont la prétention d'être possesseurs du sol, mais ce droit ne leur est pas toujours reconnu » (Du Bouzet, 1855)... A fortiori s'ils étaient nommés par l'administration coloniale, ce qui les privait de tout prestige. Leenhardt parle du chef de guerre des Poyes, qui était chef aux yeux des Blancs, alors que le vrai chef était son frère, reconnu chef à l'insu des Blancs. Chaque malentendu, même s'il a eu lieu il y a une centaine d'années, devrait instruire de ce qui se passe aujourd'hui, de ce qui se passera demain.

La propriété du sol échappe à l'individu (dans la société canaque) qui n'exerce en fait qu'une partie de la souveraineté collective. Droit individuel d'usufruit sur les terres de son clan, inaliénables; droit qui peut être donné à un étranger, en échange d'une offrande coutumière et personnelle – ce qui introduira la confusion du début dans l'aliénation coloniale des terres (p. 38).

– Massacre de Pouébo (1876) : un abattage d'arbres par les colons sur leurs concessions, provoque la colère des tribus dépossédées (p. 41).

– Lettre du commandant Lebris (1854), qui prévoit que « les indigènes semblent éprouver de la répulsion à l'idée de renoncer à leurs propriétés, surtout de les voir [PAGE 14] passer dans les mains des Blancs » (p. 42). Par contre, alors que le Père Lambert la reconnaît « rare », le R.P. Dubois affirme que cette répulsion n'existait pas (ancien missionnaire à La Roche, Maré – la Loyauty la plus au sud-est, qui est donc soustraite à la colonisation). L'offrande ne doit pas être dérisoire (p. 43).

– Altération due au contact européen : vers 1895, la vente de terre existe entre Mélanésiens. L'administration a considéré la « tribu » là où il fallait comprendre « le clan »; le chef politique là où il fallait rechercher l'aîné du clan – d'abord par ignorance, puis par facilité; d'un malentendu, on passe à la révolte. On ignore la force religieuse du rapport de la terre à l'homme.

Dès la prise de possession (1853), et sans doute avant, les Canaques ont très tôt distingué les Anglais des Français, par l'estime qu'ils ont manifestée aux premiers. La présence britannique a souvent été désirée; on en voit le signe à tout propos, en temps de soulèvement comme dans la défaite. Les Anglais prenaient femme en Nouvelle-Calédonie, et devenaient Canaques, aux Loyauty et dans les tribus du Nord. Leur connaissance des fusils est précieuse; ils entretiennent les fusils de traite (p. 45).

Ils participent au soulèvement de 1857; ils sont intégrés dans la société canaque. Puis, ils subissent les exécutions en premières salves. Aussi, lorsque les colons, accapareurs de terre, arrivent, ce sont les Anglais qu'on regrette, sentiment[3] qui existe encore aujourd'hui. [PAGE 15]

E. Foucher (1890) écrit qu'en 1856, « les Canaques de Kaudio et d'Angara voulaient, disaient-ils, chasser tous les Français : ils paraissaient ne vouloir de relations amicales qu'avec les Anglais et M. Paddon ». Gondou, rebelle montagnard des hauts de Koné (près de Voh), entre 1862 et 1869, disait en bichlamar (le langage créole de l'époque) : « Frenchmen he all came pouacas. Suppose me look one, i vomite ! » (cité par Garnier en 1871).

Les « achats » de Mgr l'évêque Douarre ont lieu avec de la pacotille; en 1846, à bord d'une chaloupe, « une trentaine de haches », en 1853, pour « quelques morceaux d'étoffe, des haches et des ciseaux ». Déjà, trois siècles et demi plus tôt, Christophe Colomb notait avec satisfaction les échanges inégaux avec de la pacotille. Cette satisfaction dure encore au début du XXe siècle, rétrospectivement en 1911, à propos d'un achat sous le Second Empire; le père Pionnier relate ainsi la procédure de l'acquisition, par la Société de Marie, de 2 000 ha, sur les conseils du commandant Testard :

« Avant tout, il importait de s'assurer de la bienveillance du chef, qui dominait le pays. Comme toujours, quelques présents, assaisonnés de bonne grâce, furent la clef d'or qui assurera ses faveurs aux nouveaux venus. [PAGE 16] Après cela, les pourparlers furent faciles; aussi bien, le père Rougeyron obtint-il de lui l'autorisation de s'établir sur les rives de la baie. »

Autre acte de vente de terres : « Diverses étoffes, haches, couteaux, tabacs, pipes, ciseaux, colliers, etc. A bord de la corvette à vapeur Le Phoque, signé + + + +. »

Il arrivait que l'offre vienne des Mélanésiens, qui s'apercevaient trop tard de ce qu'ils faisaient.[4]

LA PRISE DE POSSESSION
ET LE CONTROLE ADMINISTRATIF

Un poste militaire à proximité offre aux Canaques des possibilités de trocs; à l'usage, ils découvrent les inconvénients... et ils déchantent :

« Partout, les chefs indigènes ont demandé l'établissement de postes militaires. Les Néo-Calédoniens cherchent donc à se rapprocher de nous, et le contact de nos soldats, dont les mœurs sont si douces, les amènera à renoncer à leurs habitudes de sauvages, et les préparera peu à peu à entrer plus avant dans la civilisation », écrit le gouverneur Saisset en 1863 (p. 48).

Deux ans après la prise de possession (1853), le gouverneur du Bouzet proclame l'appartenance de la Nouvelle-Calédonie au gouvernement français, et réserve « la propriété comme domaines domaniaux de toutes les terres non occupées », le 20 janvier 1855. C'est pour protéger les Canaques contre l'échange inégal, le troc et l'attrait de la pacotille, qu'il prend cette décision, qui rend caduques toutes les acquisitions antérieures des terres mélanésiennes. Le 15 mars, il explique au ministre cette décision : « Si on avait laissé le champ libre à l'acquisition des terres par les particuliers, ils (les Canaques) se seraient dépouillés de leurs terres pour des bagatelles. Déjà, [PAGE 17] peu avant la prise de possession ( ... ), un certain nombre d'individus en avaient acheté pour du tabac, quelques haches et quelques pipes. Comme aucun d'eux ne s'étaient fixés sur ces terres, il n'y a pas à tenir compte de ces achats, à très peu d'exceptions près (Paddon, la Mission Mariste, l'Anglais Underwood) » (p. 49).

Le texte du 20 janvier 1855 stipule que « les chefs et les indigènes ne peuvent avoir le droit de disposer de tout ou partie du sol occupé en commun ou comme propriété particulière, en faveur d'individus qui ne font pas partie de leur tribu, ni ne sont pas aborigènes dudit territoire ». Mais, comme rien n'est spécifié sur le domaine commun, ni sur les jachères, une large fraction de l'espace économique change de maîtres par ce texte. Dès mars 1855, le ministre presse le gouverneur de faire des achats de terres pour les colons à un gouverneur qui répond :

« Nous serons obligés d'user de grands ménagements, quand nous aurons besoin de nous approprier ces terres ( ... ), car nous ne connaissons pas assez la langue, ni les usages des naturels ( ... ). Ce serait effrayer inutilement d'avance des populations que de leur en parler maintenant » (p. 50).

Résultat : les conditions imposées aux colons, sévères au départ, sont assouplies dans les années suivantes, pour attirer de nouveaux colons; d'où tensions avec les Canaques dès cette époque.

Le 28 août 1865, le secrétaire colonial rappelle que « dans le cas où il y aura des indigènes sur les terrains demandés, il y aura lieu de les faire venir et de leur demander s'ils consentent à abandonner leurs cases et leurs plantations; dans le cas affirmatif, les parties devront s'entendre sur le montant et la valeur de l'indemnité à payer ». Rien n'est dit sur la violence.

Le gouverneur du Bouzet était très conscient, dans son courrier avec le ministre, dix ans plus tôt, de la sensibilité des Mélanésiens à propos des terres :

« La crainte de nous les voir prendre par la violence inspire aux tribus de Balade, Pouébo et Hyeghène, qui nous connaissent le plus, la répulsion qu'elles éprouvent pour l'établissement de nos colons » (lettre du 15 mars 1855 au ministre). [PAGE 18]

AUX ABORDS DE PORT-DE-FRANCE (1856-1859)

En 1803, relâche du capitaine Kent dans ce secteur à bord du Buffalo, visité peut-être par des gens de Bouloupari. Cinquante ans après, un capitaine santalier observe : « Les indigènes, qui étaient nombreux du temps du capitaine Kent, ont peu à peu disparu : on ne peut trouver guère plus de vingt indigènes autour de la baie Saint-Vincent. »

L'hégémonie des Houassio (Ouatio) dans le pays compris entre la Tontouta et la Dumbéa, au nord de Port-de-France,[5] se serait accomplie sous cinq chefs : Porée, Netyinggo, Sorocoin, Porée II et Kindo, en un peu moins d'un siècle (p. 57).

Les Houassio dominent des villages de pêcheurs, en reçoivent des tributs de poissons complémentaires de leurs propres tubercules. Aux jours de grandes récoltes, le grand chef Houassio distribue des tubercules aux pêcheurs. « C'est pour cela que les pêcheurs l'aiment beaucoup. »

Dans ce secteur, la compétition économique, à cause des ressources de pêche, pour la possession du sol, est moins grande qu'ailleurs. A l'arrivée des Européens, le littoral de Nouméa est en paix. La richesse agricole du bassin de Païta est encore visible aujourd'hui, par l'aménagement des versants en vastes tarodières, dont subsistent les gradins étagés. Cette ostentatoire richesse fut cause de leur perte (p. 58).

Peut-être à cause de cette situation, c'est ici que tout se noue : un processus « qu'ailleurs et ensuite, on ne fera qu'en répéter le rituel au fur et à mesure que se déplacera le front pionnier ».

Le lieutenant E. Bourgey (1864) rapporte la réconciliation entre les Touaourous et les Mennegaras, à cause de l'arrivée des Français : « En 1854, un grand concours de peuple était réuni aux environs du Mont-Dore; il avait pour cause l'arrivée inopinée du chef Damé, porteur du [PAGE 19] manteau de la paix; personne ne sait ce qui fut dit dans l'entrevue qu'il eut avec le chef Kaudio. Avant de se séparer, les deux chefs cimentèrent par un festin une paix qui dure encore. Le personnage digne de foi qui m'a confié cette histoire m'a assuré qu'ils eurent des entretiens mystérieux, dans lesquels il fut fortement question de l'arrivée des Français » (p. 61).

Mais l'union sacrée, dans d'autres cas, ne subsiste pas aux premiers revers, ce qui permet aux Français de jouer les chefs les uns contre les autres : « L'étonnement vient, écrit Alain Saussol, de ce que les plus graves fissures apparaîtront au sein de la chefferie Houassio, apparemment la plus cohérente, plutôt qu'entre d'anciens ennemis réconciliés, comme Boularis et Touaourous. »

La mobilité des Canaques précoloniaux, les relations pacifiques ou guerrières ont créé des liens qui expliquent que le premier choc entre la garnison de Port-de-France et les tribus de Boulari et de Nouméa ébranle tout le sud de la Grande Terre.

Bien que la presqu'île de Port-de-France soit sans eau, elle fut occupée par les Canaques avant les Français. Penard écrit du Jardin de la Troupe, le premier potager de Port-de-France, « qu'il donnait bien, car il se trouvait sur l'emplacement d'un ancien habitat canaque » (1857).

Aux 2 000 hectares acquis précédemment, en 1847, s'ajoutent 3 416 hectares, qui en font une énorme concession, où les Pères Maristes installent des convertis « étrangers » venus de la côte est – causes de la révolte du chef Kaudio, vérifiées par l'interrogatoire avant son exécution, avec ce programme : « Chasser tous les Français; paraissait ne vouloir entretenir des relations amicales qu'avec les Anglais et M. Paddon. »

En 1856, à la suite d'un vol, une colonne militaire pratique une expédition punitive contre Ouamou de Nundo, le « village des voleurs » (p. 64).

Le colon Expert et trois militaires, à 3 kilomètres de Port-de-France, sont massacrés. Seul, le Pyrénéen Vergès est épargné, car les Canaques pensent qu'il est Anglais, le 3 novembre 1856. L'affaire Bérard, au Mont-Dore (19 janvier 1857) montre que les Canaques préparent une guerre d'extermination, qui épargnerait pourtant un homme [PAGE 20] comme M. Magastre, qui a pris pour femme une Mélanésienne, parente de « Jack » Angara.[6]

La révolte de Kuindo implique des alliances étendues à travers l'île. Trois cents à cinq cents guerriers sont mobilisés par lui contre Port-de-France, à l'île Nou. Treize Européens et une quinzaine de manœuvres océaniens des îles Sandwich sont tués.

La dénonciation de Paddon entraîne des ratissages efficaces, puis des représailles, dans un pays qu'on ne connaît pas. Rapts de pirogues des pêcheurs par l'autorité militaire, qu'on donne aux convertis de Conception. Des colonnes détruisent des villages désertés et les plantations, dont les habitants se réfugient dans les bois, ce qui crée les conditions d'une famine. « Toutes les expéditions, jusqu'en mai 1857, n'eurent pour but que de dévaster les plantations pour affamer les indigènes » (Foucher, 1890).

Résistant déjà au mépris contre les Canaques, V. de Rochas écrit en 1862 : « Les Néo-Calédoniens sont d'une grande bravoure, malgré l'infériorité de leur armement; leur audace est souvent admirable. Si ces gens-là étaient pourvus d'armes à feu, ils seraient de redoutables adversaires, car ils apprennent promptement le maniement du fusil, et sont d'adroits tireurs. »

Plus tard, cette tactique de la terre brûlée pour affamer les Canaques sera étendue à l'ensemble de la Grande Terre (p. 69).

Dès le 24 janvier 1857, l'Anglais Paddon, qui dénonça quelques jours plus tôt la mobilisation canaque aux Français, se montre critique sur les effets de la brutalité : « Les Français ont fait la guerre à deux ou trois tribus dans le sud de l'île, et je suis navré de dire que, selon mon opinion, elles ont été conduites d'une manière très maladroite. Les prisonniers ont été tués, dans les deux camps, naturellement. » Cette lucidité des Anglais leur vaut la sympathie des Canaques; le commandant Durand partage cette manière de voir : « Brûler des cases indigènes et s'en aller, c'est ce que j'appelle du temps mal employé, du temps perdu. Mieux vaudrait laisser les [PAGE 21] tribus en repos », écrit-il à la même époque au ministre. En juillet 1857, a lieu la reddition du chef Kuindo. Ses trois enfants sont livrés et élevés en otages à Port-de-France; ils mourront à l'école primaire.

Les Canaques qui ont participé aux meurtres de Bérard continuent à se cacher, au nombre d'une trentaine, mourant de faim. Séquelle d'une guerre précoloniale. Kuindo est assassiné au début de 1858 par un Canaque ennemi.

LE RALLIEMENT DE WATTON (JUIN 1859)

Le chef Watton utilise les Français pour des buts qui leur échappent en grande part. Cela préfigure la situation du chef Canala Nondo, lors de la répression de 1878.

La décision du 10 juin 1859, qui exproprie les tribus rebelles de Jack, Kaudio, Maké, Plum et Touaourou est appelée à de nombreuses rééditions; on pourra désirer, provoquer des rébellions canaques pour avoir de la terre, tellement cela deviendra classique. Mise à prix de la tête des chefs.

Watton, dont le ralliement officiel est postérieur à la mort de Kuindo, collabore à la prise de Kaudio (29 août). Sa tête, enfermée dans un bocal, fut expédiée en France. Les derniers rebelles seront tués en décembre 1859, les survivants (56 hommes, 22 femmes, 17 enfants – 13 garçons et 4 filles) mèneront une existence précaire. Après un ralliement et la promesse jamais tenue d'une terre, les « Mennegaras », constitués en « tribus », se retirèrent à Bouloupari. Des colons firent une pétition en leur faveur (Mathieu, 1878).

Parfois, l'administration refuse des concessions aux colons en raison de sa politique indigène. Ainsi, 100 hectares sont refusés au sieur Lauzin dans la tribu du chef Watton, le 12 août 1860. Il n'est pas ménagé pour autant. Le front pionnier se déplace à travers son territoire : « Loin de murmurer, comme d'autres, en voyant des étrangers s'établir sur ses terres, il est persuadé que ses sujets n'avaient qu'à gagner au contact d'hommes civilisés ( ... ). Les matrices cadastrales attestent qu'il n'existe pas une tribu dans laquelle on ait accordé aux Européens [PAGE 22] plus de concessions que chez Watton » (Le Moniteur, 27 janvier 1867).

Le Domaine est le grand bénéficiaire des dépossessions. Quelques prix : 125 F pour 49 ha; 50 F pour 389 ha, en 1863 et en 1864...

Paddon reçoit une immense concession dans le bassin de Païta, et n'a jamais indemnisé les Canaques évincés. Ce qui provoque de nouvelles tensions dès novembre 1859.

La mort de Watton, l'allié des Français, survient en janvier 1867. Funérailles officielles : c'est le signal de nouvelles délimitations au profit des colons.

LES GRANDS TROUBLES (1859-1868)

Ces notes de lecture ne peuvent donner une idée de la préoccupation géographique qui l'a déterminé, par l'absence de cartographie, même d'ensemble, qui m'oblige à ne donner que sa dimension historique. Le cadre géographique de chaque trouble est dessiné par 114 relevés topographiques, qui ne laissent, pour chaque « trouble », aucune cause dans l'ombre – c'est l'impression des gens, nombreux en France, qui ne connaissent pas le pays, et citent ce livre depuis « les événements ».

C'est l'heure des expéditions militaires : les troubles surgissent en des régions où les Européens étaient rares –, c'est souvent le simple refus de la présence physique des Blancs qui est exprimé. On note aussi l'influence des navires « santaliers », qui exciteraient les Canaques contre l'Etat colonial...

  • Les troubles servent de prétextes aux dépossessions. Ceux de Hienghène (1857-1859), nés des mauvaises relations du grand chef Bouarate avec les missionnaires maristes et leurs convertis de Pouébo (nord-est) et Touho (centre-est) contiennent en germe ceux qui agiteront la première de ces localités.

    Le gouverneur Du Bouzet arrête Bouarate (octobre 1857) et le déporte à Tahiti pendant sept ans. Il nomme Mouéou à sa place. Une insurrection en résulte, dont on [PAGE 23] attribue la cause à l'influence britannique... A la suite d'un trafic d'armes britanniques, le gros concessionnaire de la côte ouest, Paddon lui-même prend peur, et s'enfuit en barque en Australie, à la suite d'une vague d'anglophobie des Français, réalisant un exploit maritime. Les Canaques de Hienghène ont, parmi eux, quelques Anglo-Saxons, et se croient plus puissants à cause des fusils de traite qu'ils ont reçus d'eux : assassinat d'un caboteur, Théodore Capron, et renvoi de son passeport à l'autorité coloniale, par défi. Villages brûlés par Saisset; les Anglais qui combattent du côté canaque sont fusillés. Interdiction des trafics d'armes.

    Puis on ramène Bouarate en 1863 : bien traité à Tahiti et rétabli dans ses fonctions, celui-ci maintient le calme pendant un demi-siècle.

  • A l'extrémité sud-est de l'île, Yaté, en 1863, est le théâtre de la première dépossession foncière, sans qu'il y ait eu insurrection préalable : ce précédent ouvre la porte à tous les abus. Damé, chef de Yaté, refuse de fournir des travailleurs pour les corvées de Port-de-France. Il a accueilli des meurtriers des troubles de 1856. Le gouverneur Guillain décide, par arrêté du 14 mai 1863 :

    « La tribu qui le reconnaissait pour chef est déclarée dissoute, et dépossédée du susdit territoire, qui, à compter de ce jour, devient, y compris toutes les plantations et produits sous récolte, propriété domaniale.

    « En attendant que des concessions y aient été faites, et sauf réserve de la récolte pendante, les individus de la tribu d'Unia et de Touaourou pourront s'y établir, mais avec obligation d'abandonner le terrain dès que le gouverneur voudra en disposer. »

    Puis, le 15 janvier 1864, les colons de la Société Agricole de Yaté fondent un phalanstère fouriériste sur 300 hectares, d'après les utopies du gouverneur Guillain.

    De ce premier épisode, la détérioration de l'image des Français, de proche en proche, est sans doute responsable, à cause de ce que la Grande Terre est moins cloisonnée qu'on ne l'a cru; les troubles suivants sont la conséquence de ce premier vol de terre.

  • Les troubles de Koumac (1863), au nord de Gomen (au nord de l'île, côté ouest), et ceux de Ponérihouen [PAGE 24] (1863-1864) seraient les premières suites. Koumac : colons molestés, représailles conduites par le lieutenant de vaisseau Mathieu (novembre 1863). Interdiction à la colonisation européenne, « en raison des sentiments de la tribu à l'égard des Blancs et des menaces proférées contre eux » (arrêté du 16 avril 1864).

    Les expéditions contre Ponérihouen résultant d'un conflit entre chefs, où l'administration coloniale prend le parti des « alliés » des Français. La rébellion du Centre-Nord (Wagap, Gatope, 1862-1869) résulte de la mort du vieux chef Apengou. La mission des pères Forestier et Vigouroux jouit de sa bienveillance, car le second prêtre est gaucher comme l'un des fils d'Apengou, mort précédemment, et le chef croit le reconnaître.

    Apengou s'était fait baptiser. Sa mort change tout dans les rapports avec les Canaques. Après un siège et un blocus de la mission, le gouverneur Guillain décida une expédition punitive, et fit le sac de la vallée de la Tiwaka; villages et cultures furent brûlés sur une journée de marche. Un guet-apens monté par le père Barriol, cité à l'ordre de la colonie le 20 février 1862, aurait attiré des chefs sous prétexte de réconciliation; après les avoir saoulés, il les aurait fait assassiner par des soldats. Episode retenu par des traditions orales mélanésiennes. Alain Saussol le tient pour « vraisemblable », d'après ce qu'il sait de ce révérend père.

  • Le meurtre de Taillard, les massacres de Catope, près de Voh (juillet-août 1865), permettent à Jules Garnier, qui écrit en 1871, de comparer le rebelle Gondou à un autre ennemi de la colonisation plus illustre : il l'appelle « l'Abd-el-Kader calédonien ». Jules Garnier, qui participe à la répression, fait aussi un aveu de taille, presque vingt ans après la prise de possession :

    « Aussi, à un certain point de vue, assez bizarre cependant, il est heureux que les indigènes fassent, de temps en temps, quelques escapades, car leurs terres confisquées viennent aussitôt augmenter la richesse publique et servir les colons; on serait obligé d'agir avec plus de brutalité et, disons le mot, plus de franchise, en les refoulant dans leurs montagnes. »

    De là à provoquer les révoltes pour avoir la terre, on n'hésitera pas. Grâce à la peur que le gros bétail à cornes [PAGE 25] inspire, inconnu avant les Européens, on peut faire bien des choses : on pousse les bêtes dans les plantations des Canaques, en désirant des incidents pour avoir de la terre.

    Description du village de Pouhilime, à 15 kilomètres de Voh, par Le Moniteur, en 1865, chez la tribu de Temala :

    « Ce village était probablement le plus considérable de la tribu. Nous y comptâmes au moins quatre-vingts cases, belles et spacieuses, alignées avec art, et groupées avec symétrie sur les deux côtés d'une large rue d'environ trois cents mètres. Chaque case était défendue par une forte barrière, véritable fortification » (p. 96).

    Aux meurtres de Catope répond l'ampleur inhabituelle des représailles, dans quatre directions, décrites par Jules Garnier : une vingtaine de Canaques tués. Mais la véritable sanction est la spoliation foncière.

    Originaire de la côte est, vallée de Tchamba (clan de langue Pati, Ponérihouen), Gondou bénéficie d'une double appartenance clanique : Poadja par filiation, il devait être adopté par un clan de Noëli (Gorouna). De cela, il tire des avantages politiques qui favorisent ses alliances[7].

    Chez Jules Garnier et ses contemporains, on perçoit une admiration pour l'art des Canaques, qui disparaîtra après eux; il décrit le palais de Gondou :

      « ... Nous nous trouvâmes en présence d'un véritable monument; je n'en avais encore jamais vu [PAGE 26] de semblable chez aucune des tribus que j'avais visitées. Ce "palais" indiquait un certain degré artistique. C'était une case immense, entourée d'une palissade composée d'énormes troncs d'arbres juxtaposés; chacun de ces géants des forêts était sculpté de façon à représenter plus ou moins bien des corps d'hommes gigantesques, tous dans des positions bizarres et différentes; ces statues étaient colorées en rouge au moyen de "sanguine"; leurs têtes étaient couronnées d'une immense sphère de lianes tressées, qui représentaient assez bien la laineuse chevelure des Kanacks. Cette maison était placée dans un bas-fond, et, lorsque nous l'aperçûmes du sommet voisin, nous nous arrêtâmes un instant, prenant ces statues pour une troupe de géants. Un fossé profond circulait devant cette barrière. Dans l'enceinte étaient de grandes perches plantées en terre, au sommet desquelles grimaçaient de nombreuses têtes de mort » (Garnier, 1871 B).

    A la mort de Gondou (février 1869), livré par un de ses ennemis canaques de la tribu des Ounounas au lieutenant Tonnot, succède un de ses compatriotes de Ponérihouen, Poindi-Patchili, qui entretient un foyer de résistance jusqu'à sa capture et sa déportation à Djibouti (1887), à laquelle il ne survivra qu'un an (1888). « On le considérait, écrit Nouet (1887), comme un être surnaturel, capable de franchir des distances considérables pour frapper ses victimes. » Cependant, il ne participa pas au soulèvement de 1878; selon Mme R. Dousset-Leenhardt, il aurait même participé, avec les Français, à la répression contre les Ounounas, avec la colonne Beautemps-Beaupré.

    Cette région du Centre-Nord, la moins soumise, sera le cadre de la dernière rébellion canaque, celle de 1917, qui clôt la période de la décroissance de la natalité canaque (1917-1921).

    On a ici un exemple de l'aptitude des Français pour bénéficier des divisions canaques; ils se servent des Ounounas pour liquider Gondou, puis de Poindi-Patchili, son successeur, contre les Ounounas révoltés. [PAGE 27]

  • Les révoltes de Houailou et de Bourail (1867-1868), à l'est et à l'ouest de la Grande Terre. A propos de gens comme les mineurs amateurs, de Houailou, tués en 1865 par les Canaques, le commandant Lebris semble penser qu'ils l'ont bien cherché; il écrit, dix ans avant les événements (1857) :

    « Ces colons se considèrent en pays conquis, et ne doutent de rien. Ils froissent sans scrupules les coutumes des indigènes, dont ils ignorent d'ailleurs la langue et les usages : ils sont sourds à tout conseil, et agissent dans la pensée que l'autorité a intérêt à les détourner des régions où l'or abonde. »

    Canala, qui joue un rôle ambigu d'allié des Français dans ces événements, était l'un des très rares points de la Grande Terre où, grâce à des efforts de moralisation du marché foncier, à des règlements respectés, à des procédés d'indemnisation moins malhonnêtes qu'ailleurs, dont les exemples sont consciencieusement énumérés, les premiers établissements de la colonisation n'avaient pas fait naître de frictions graves. Situées à mi-chemin entre Houailou et Thio, sur la côte est, les tribus de Canala, dans un lieu où les troubles qui surviennent sont attribués à des gens venus d'ailleurs, sont les alliés des Français dans la répression. A la suite de l'incendie de l'exploitation Pannetrat, le 23 juin 1860, les chefs de Canala en accusent le chef de la tribu de Méa (Kouaoua).

    Trois jours plus tard, le capitaine Debien, commandant le poste de Napoléonville, expédie trente soldats, soutenus par des guerriers canalas, brûlent plusieurs villages, dévastant la tribu de Méa, tuant le chef Kari et trois de ses hommes; puis il conclut son rapport : « Nous sommes maintenant tranquilles pour longtemps. » Le Moniteur du 8 juillet commente : « Un tel événement produira un excellent effet sur l'esprit des populations indigènes et leur apprendra une fois de plus que nous sommes toujours à même de les atteindre. » Ces événements trouvent des prolongements huit ans après. Le travail d'Alain Saussol, sur plus d'un siècle, reconstitue une trame de circonstances, qui inondent toute l'île, de proche en proche, le plus souvent tragiques et barbares, et où les forces dominantes exploitent les divisions des Canaques, les unes après les autres. [PAGE 28]

  • A Bourail, l'intervention des Français et l'exploration de la vallée par le gouverneur Guillain résultent d'antagonismes précoloniaux. Les chefs de Gouaro, Néra et Néjou, tribus côtières, sollicitent l'appui des Français contre les Canaques de Ni, montagnards Honroès, vivant près du col des Roussettes, à 30 kilomètres au nord; ils se montrent à l'origine réticents aux contacts avec les Européens qui installent un pénitencier à Bourail. Le Moniteur du 16-23 août 1868 assure « qu'ils ont excité les Canaques les plus rapprochés des pionniers de la colonisation pénale à se défaire des envahisseurs ».

    En revanche, les côtiers, les Néras surtout, auraient « formellement déclaré que toute agression contre les Blancs serait une cause de guerre » (Le Moniteur, 16-23 août). Au cours d'une réunion de chefs Honroès, tenue à Poté, la mort des Blancs fut décidée, et on commencerait pas les scieurs de long, dans la plaine de Pouéo. Mais le hasard voulut que le jour décidé fut un dimanche; seul, le forçat libéré Bridon, parti travailler, fut assassiné, le 19 avril 1868. Il en résulta, en août 1868, une répression victorieuse contre les Honroés.

    Mais, dix années après, le bagne est de plus en plus grand. En 1877, il y a deux cents nouveaux concessionnaires, les tribus côtières sont dépossédées par les alliés d'hier, les Français. En 1878, les « alliés » de 1868 participent à la révolte, la plus grande que la Grande Terre ait connue. Et les Honroés montagnards participeront à la répression, aux côtés des Français. Ces choix résultent sans doute d'affrontements antérieurs à la colonisation.

    L'AFFAIRE DE POUEBO (1867-1868)

    Alain Saussol parle avec raison « d'un roman tragique et burlesque ». Sur la rive est, au nord de la Grande Terre, les industries de la Mission Mariste prospèrent. Rencontrant de plein fouet les initiatives du gouverneur fouriériste Guillain, des effets imprévus en résultent. La rupture entre la Mission Mariste et l'administration coloniale aura encore des effets plus tard.

    Un gouverneur qui se bagarre avec les missionnaires [PAGE 29] maristes (« il n'est pas possible que deux gouvernements existent en Nouvelle-Calédonie »), et qui favorise les manifestations animistes, considérées par les prêtres comme l'antre du péché; des pères industrieux, avec l'huile de coco et l'élevage; des missionnaires qui séparent les enfants des parents pour en faire de bons catholiques; un gouverneur qui veut coloniser, et des pères qui pétitionnent contre les dépossessions aux dépens des Mélanésiens. Lors du massacre, seule la Mission est épargnée... De là à dire que c'est elle qui anime le complot : le gouverneur y a pensé. L'antériorité de la mission a entraîné une population de convertis; pour compliquer le tout, les Hienghènes attribuent aux catéchistes de Pouébo la décision de déporter à Tahiti leur chef Bouarate : ils viennent dévaster les territoires du sud de Pouébo; il y a aussi une émigration des familles loyaltiennes de l'île d'Ouvéa...

    En 1863, on découvre de l'or dans les rivières. Une ruée vers l'or, assez illusoire, dure un an; mais le gouverneur décide, devant l'affluence, la construction d'un poste de gendarmerie, qui est terminé en 1864 et qui forme un relais dans l'animosité entre pères maristes et gouverneur et colons. Les cocoteraies changent de mains et deviennent européennes, remplaçant l'or défaillant. Fin 1863 : début de l'accaparement foncier.

    Andrew Henry, ancien forgeron de Paddon, s'installe en 1866 avec deux chevaux, vingt-trois Néo-Hébridais, un magasin, une habitation; en 1872, six ans plus tard, il contrôle 410 hectares à Pouébo. C'est un exemple parmi d'autres. Au moment du massacre, 300 hectares, parmi les plus fertiles, accaparés en moins de trois ans ! Cela en forçant la main aux chefs réticents à vendre.

    Le pouvoir de Guillain est, à l'inverse de ses prédécesseurs, peu soucieux des droits des Canaques. « Les Canaques nous voient comme des tribus étrangères prenant leurs terres. » A l'inverse de ce qu'on pourrait croire d'après cette citation, il est le premier gouverneur à sembler agir pour qu'il en soit ainsi !

    A Pouébo, « il n'y eut aucune vexation contre les naturels ». C'est la terre qui est en cause. Le bétail des Blancs saccage les plantations. De nombreux Mélanésiens sont lésés – bien qu'on ne déplace pas les villages. S'ils protestent, on les châtie. [PAGE 30]

    Bonou Hippolyte, le second chef de Pouébo, que le père Rougeyron considère comme son fils, est réputé pour son influence modératrice – un caboteur de Canala, Félix Collet, ayant été volé par les Mulélés, Hippolyte était intervenu efficacement pour une restitution. Il est l'un des pétitionnaires contre les vols de terres; le gouverneur le fait arrêter et déporter à l'île des Pins. Il y meurt de la grippe. Cette mort parut, à tort, suspecte à Pouébo, mais transforme une faute du gouverneur en l'apparence d'un crime. On alla jusqu'à raconter qu'une bonne sœur ramena la tête d'Hippolyte, la donna dans un coffret au père Villard, lequel l'aurait brandie à la messe du dimanche en disant : « Hippolyte vous dit par ma bouche de le venger, puisqu'il ne peut le faire ! » Le gouverneur a cru le fait possible puisqu'il a fait exhumer le cadavre, qui fut retrouvé intact. On a ici un comportement de Blancs, bombardés d'histoires de cannibales, réelles ou imaginaires, et qui se soupçonnent de dépeçages les uns les autres. A l'origine de cette histoire : une mèche de cheveux prélevée sur le mort par une bonne sœur...

    Six mois après la mort de ce chef, on prend de la terre à un autre chef, Napoléon Ouarébate. Puis 300, 500 hectares, etc. Cela mène à l'assassinat des gendarmes. Le maréchal des logis Bailly, le chef de poste, se constituait protecteur des animistes contre les catholiques canaques, selon les tendances du gouverneur. Il surprend le père Villars en galante compagnie avec une Mélanésienne, en février 1867. Mais les motifs de tension ne manquent pas entre les pères et les gendarmes. L'apostasie des Parenans fournit à Bailly l'occasion pour s'immiscer dans les affaires de la tribu, soutenant les apostats au nom de l'administration. Il disait à Hippolyte qu'il n'était plus le chef des hommes de Parenan, et que « c'était sa propre affaire ». D'où irritation des chefs convertis. Mais Bailly ne fut plus supporté non plus par les apostats, et eut le pressentiment de sa fin.

    Avant le massacre des gendarmes, les colons notent le calme apparent. Puis massacre de familles entières de colons. Le même contraste sera observé en 1877 – sauf que le calme précédant la tempête aura duré dix ans.

    Après les meurtres, l'armée vient, on fait fonctionner la guillotine. On procède à la construction d'un fortin [PAGE 31] par le travail forcé; les destructions des plantations canaques entraînent la famine... Cycle absurde.

    Le guet-apens de Pougouet (7 octobre 1868) contre des soldats à la recherche de travailleurs forcés, par les Ouébias, un an jour pour jour après le meurtre de Bailly; le meurtre du colon Cosso (16 octobre) – c'est son fusil qu'on désire, en prévision de la répression – font craindre le projet d'un massacre de tous les Blancs.

    NAISSANCE D'UNE FICTION
    ET PREMIERES DELIMITATIONS (1868-1877)

    Jusque-là, le droit coutumier canaque aurait été respecté. Le capitaine de vaisseau Guillain, qu'on dit fouriériste, est devenu gouverneur. Ses utopies le conduisent à imaginer, sans autres preuves, que la propriété des Canaques est collective, et il crée le territoire de la réserve en 1868 : la réserve de la tribu, qui n'existe pas. Les limites sont instables et changeront l'environnement au gré de chaque gouverneur.

    En guise de sanction des événements de Pouébo, il crée la réserve de Tchambouenne, sur 466 hectares, où il rassemble les révoltés de 1867 et ceux qui, en 1868, avaient refusé la révolte ! Autant les uns que les autres sont expropriés de leurs cultures, cocoteraies; « fabricant en séries des microsociétés de conflits et de désespoir », écrit Alain Saussol.

    L'édification par les Canaques de cases postiches pourrait les protéger de l'expropriation des terres, selon Le Moniteur du 26 janvier 1868 : « Il est notoire que, dans certaines tribus, les indigènes, en apprenant que les Européens devraient s'établir près d'eux, ont élevé ça et là une quantité de huttes de paille dont ils n'avaient nul besoin. » Le successeur de Guillain, Gaultier de Richerie, rend les contrôles de l'administration encore plus favorables aux colons. En 1875, on commence à s'inquiéter des excès favorisés par les permis d'occupation. L'amiral de Pritzbuer crée une commission de délimitations.

    Le cantonnement de La Foa, où les Européens et les Canaques vivaient depuis cinq ans en paix, est organisé [PAGE 32] aux dépens des Canaques, et restreint leur place d'une façon très rigoureuse, en 1877 (p. 186).

    Guillain a construit les bases de la politique de cantonnement dont on sortira... en 1945 ! Il est le responsable le plus évident de la rébellion de 1978, qui scellera pour longtemps l'avenir de la colonie.

    « M. Guillain avait bien arrêté, dans sa tête, écrit un contemporain, Desmoulins, en 1865, l'expédition de l'îlot Lifou, pour gagner les épaulettes de contre-amiral. »

    Avant d'être tenus par des Français comme Maurice Leenhardt, les postes de pasteurs des îles Loyalty étaient occupés par des anglicans. Depuis 1862 jusqu'au terme de sa présence en Nouvelle-Calédonie, le gouverneur Guillain s'est livré, dans les trois îles d'Ouvéa, Lifou et Maré, à des violences anti-protestantes et anti-britanniques qui, constamment désavouées par le ministre des Colonies (puis par Napoléon III en personne en 1865) ont fini par amener des difficultés avec Londres; pour ce faire, il utilisait à l'occasion les Missions Maristes, qu'il combattait sur la Grande Terre. C'est à la politique de ce gouverneur, qui se poursuivit sous la IIIe République – les aventures du résident Caillet en témoignent – qu'on doit finalement la prédominance des protestants dans les Loyalty, et le régime politique pratiquement différent qui y règne encore aujourd'hui. On en lira l'histoire dans Au vent de la Grande Terre : les îles Loyalty (1840-1895), de Raymond H. Leenhardt (Châteaudun, 1957). La nature anti-britannique de cette politique a des prolongements actuels. Sous Napoléon III, de même qu'aujourd'hui, les Français sont systématiquement laissés dans l'ignorance de cette « tradition ». Le rappel de Guillain par Paris (1869) est une sanction de ses expéditions militaires dans les Loyalty, mais comme le désaveu n'était pas public, cette tendance s'est poursuivie sous les différents régimes, jusqu'à nos jours. On regrette que le livre d'Alain Saussol reste souvent aveugle devant ces permanences, d'un siècle à l'autre.

    Le gouverneur Guillain, de plus, est l'auteur du décret [PAGE 33] de 1863, qui interdit l'usage des langues locales à l'école; en 1883, puis en 1923, on rappelle que ce décret est toujours en application et, en 1921, on interdit les publications en langues locales. On ne donne pas suite à la correspondance administrative rédigée en anglais. Cependant, dans les Loyalty, les effets de ces décrets ne se firent jamais sentir, comme sur la Grande Terre, même dans les écoles. L'aisance linguistique et sociale des habitants des trois îles en est meilleure.

    Laurent GOBLOT

    (à suivre)

    Mon compatriote, M. Jean-Michel Weissgerber, parle dans le numéro 48 de P.N.-P.A. « d'un pays désespérément sous-peuplé ». Lors de ces élections de mars 1986, personne ne parlera de la politique décrite par Pierre Messmer au début de cet article, cause première des affrontements actuels. On voit la question qui en découle : après les élections, veut-on recommencer à « bumidomiser » la Nouvelle-Calédonie, et programmer ainsi un nouveau conflit colonial ? Il reste à espérer que la droite, toujours mieux informée que la gauche de la colonisation, n'a voulu se servir des « événements » que pour reprendre le pouvoir.


    [1] Voir P.N.-PA., no 44.

    [2] Dans Le Monde du 19 décembre 1984, M. Thomas Ferenczi semble penser que les idées de M. Messmer ne sont plus à l'ordre du jour, et emploie même un conditionnel qui indique son doute qu'elles l'aient jamais été : « La communauté européenne n'est pas vraiment minoritaire, écrit-il, dans ce territoire. Avec ses "alliés" venus d'îles voisines, elle est même majoritaire, et le serait plus nettement si l'on avait appliqué la politique préconisée naguère par M. Messmer, qui voulait "blanchir" la Nouvelle-Calédonie en submergeant la population locale sous l'afflux de nouveaux arrivants. » Avec ces conditionnels, on ne sait ce qui a été fait, ni ce qui est fait, ni ce qui sera fait, alors qu'on sait quels résultats – les Canaques minoritaires chez eux – sont acquis, et quelles explosions garantit cette politique.

    Comment parler plus clair à propos des projets de M. Messmer, auxquels nous espérons que M. Ferenczi s'oppose ? Claude Bourdet, dans Le Monde du 5 mars 1985, s'en préoccupe plus sérieusement, et on sait ce qu'il en pense sous le titre : « Les leçons inutiles » :

    La politique du cantonnement en Algérie, c'est-à-dire du vol des meilleures terres, a pour pendant exact, à peu près à la même époque, la politique des réserves en Nouvelle-Calédonie. L'immigration méditerranéenne en Algérie a pour parallèle l'importation d'éléments exogènes, Polynésiens, Wallisiens, etc. Le mépris que l'on montre aux Mélanésiens est identique à celui que l'on montrait aux « bougnoules ».

    (Observons que la Nouvelle-Calédonie est une colonie dont les groupes dominants se lèguent, depuis cent cinquante années, une observation constante de la démographie du groupe dominé, pour en déduire une politique. De cette tradition, les socialistes ne se méfient pas.) Les auteurs qui parlent du nombre des Kanak, sans expliquer comment celui-ci est obtenu, peuvent être suspectés de vouloir maintenir dans l'avenir la politique que Pierre Messmer a imprudemment et impudemment décrite; ainsi, Maurice Duverger écrit dans Le Monde (21-22 juillet 1985) : « La décolonisation de la Nouvelle-Calédonie ne ressemble à aucune de celles jusqu'ici d'abord parce que les Français établis sur ce territoire sont aussi nombreux que les autochtones, ensuite parce que le rapport des forces ne permet pas à ces derniers d'imposer leur volonté. Toute solution qui ne tiendrait pas compte de cette donnée de fait serait condamnée à l'échec ».

    Il importe de rendre publique cette politique jusqu'à présent clandestine, pour désamorcer les affrontements qu'elle prépare, en invitant des auteurs comme M. Duverger à dire ce qu'ils taisent. Nous ne sommes plus en 1930 : la natalité canaque continuera sa marche ascendante.

    Allons-nous continuer à lui apporter la « réponse » de M. Messmer ? Décrire ce qui en résulterait dépasse mon imagination et mes facultés.

    [3] Les îles Ouvéa, Lifou et Maré se nomment encore aujourd'hui les îles Loyauty, cette orthographe anglaise est sans doute l'effet de ce sentiment, qui est aussi examiné dans le rapport du général Arthur de Trintinian sur les causes de l'insurrection canaque de 1877. Le livre d'Alain Saussol ne se préoccupe de ces îles que lorsque l'on y déporte les rebelles à l'issue des grandes insurrections canaques – ce que je regrette. Mais cela se justifie, puisque les problèmes fonciers causés par la colonisation ne s'y posent pas.

    Depuis les événements, Dick Ukeiwé, le Pierre Laval canaque (auquel on doit l'idée de diviser l'archipel en plusieurs régions, si l'on en croit Maurice Duverger), a plusieurs fois cherché à pénétrer à Lifou, sans succès. Le Monde a publié plus d'une opinion libre, évoquant Cuba à propos de l'archipel canaque; comme le dit Jean-Marie Tjibaou dans Les Temps Modernes, c'est « dire n'importe quoi ». On pourrait prévoir, non pas un, mais trois Cubas, les trois Îles Loyauty, qui se formeraient à la suite, non pas d'une indépendance acceptée, mais refusée par la France.

    Les comparaisons entre les colonisations anglaise et française – à laquelle se sont livrées François Mitterrand et Mongo Beti (éditorial du no 44) à propos de l'archipel canaque – sont respectivement moins et plus fondées à cause de cette circonstance. L'Angleterre, de plus, n'est plus compromise par des expériences atomiques périodiques, dans une région qui aspire à éliminer tout problème de ce genre.

    Dans ce cadre franco-anglais, on enregistre deux nouvelles en cet été 1985 : 1. La Nouvelle-Calédonie et la dénucléarisation sont au centre des débats du Forum du Pacifique Sud, aux îles Cook – 2. L'extrême droite de Nouméa a frêté un voilier, L'Ouvéa, pour perpétrer un attentat contre le navire de l'organisation Greenpeace Rainbow Warrior, dans le port de la capitale de la Nouvelle-Zélande (un mort). La police néo-zélandaise enquête sur les activités de Raymond Velche, Henri Maniguet, Jean-Michel Bathelot et du photographe Eric Andrenc. L'Ouvéa – nom de l'île Loyauty la plus au nord – appartient à la Société Nouméa Yacht Charter.

    « L'attentat terroriste contre Greenpeace a été amplement financé et planifié de façon méticuleuse, et pourrait avoir de sérieuses conséquences politiques », déclare le Premier ministre néo-zélandais David Lange. L'Ouvéa a disparu au large des côtes calédoniennes. Il avait été loué pour 70 000 F.

    [4] Dans un autre ouvrage, Alain Saussol cite l'exemple de Noblot, gros concessionnaire colonial, à la Tchamba, qui impressionnait, lors d'une vente, les Canaques en faisant craquer des allumettes.

    [5] A cause de la confusion avec Fort-de-France (Martinique), la ville est devenue depuis Nouméa.

    [6] Les « santaliers », trafiquants de bois de santal, ont souvent donné aux chefs mélanésiens le sobriquet de « Jack », généralement réservé aux Noirs en Amérique du Nord (ici, il ne s'agit pas d'un Anglais intégré au milieu canaque).

    [7] On a ainsi un exemple des avantages d'une double appartenance : les enfants d'un couple mixte, par exemple, recueillent deux héritages culturels, sont plus riches que ceux issus d'un couple endogame. Sans doute, sur le plan linguistique, Gondou bénéficiait ainsi, dans les vingt-huit langages qui se partageaient le monde canaque, d'un bagage plus étendu. Au sujet des problèmes linguistiques canaques pendant l'époque coloniale qui s'achève, on lira dans Les Temps Modernes de mars 1985 l'article de Jean-Claude Rivierre, « La colonisation et les langues ». Sur ce sujet, quelques points communs existent entre la Kanaky et l'Afrique noire : il en résulte que les numéros de P.N.-P.A. où les problèmes linguistiques sont abordés (1, 3, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 29, 32, 36, 39, 40, 43) intéresseront sans doute les linguistes canaques; inversement, chacun des collaborateurs de P.N.-P.A. serait intéressé par cet article de J.-C. Rivierre. Les Canaques, très tôt, ont marqué de l'intérêt envers les Européens qui s'intéressaient à leurs langages, au premier rang desquels on doit rappeler la mémoire de Louise Michel.