© Peuples Noirs Peuples Africains no. 46 (1985) 27-92



Connaître la
GUINEE EQUATORIALE

Max LINIGER-GOUMAZ

INTRODUCTION

Un inventaire effectué en 1978 par Afrique contemporaine a montré que la Guinée Equatoriale, le Sahara occidental et Zanzibar sont les trois seuls pays ou territoires pour lesquels aucune littérature était disponible, que ce soit en français, en allemand ou dans d'autres langues européennes. Ce privilège de la sous-information, la République de Guinée Equatoriale ne la détient plus en anglais grâce à une brochure parue en 1920, à Londres, par les soins du Foreign Office; mais il faudra un demi-siècle pour qu'en Allemagne soit soutenue une thèse de doctorat sur ce pays, en 1970, et en Suisse en 1976, pour qu'enfin soit brisé un mutisme inexplicable. Il est vrai que l'Espagne couvait sa colonie du Golfe de Guinée – dernier vestige d'un immense empire – de fort paternelle façon; mais les études d'auteurs espagnols n'ont le plus souvent pas franchi les Pyrénées. En France, le premier livre sur la Guinée Equatoriale date de 1979, et encore, de la plume d'un auteur suisse.

Le fait que la Guinée Equatoriale soit le seul pays hispanophone d'Afrique noire n'explique pas tout non plus. [PAGE 28] La censure espagnole a fait longtemps des nouvelles de Fernando Poo, d'Annobon et du Rio Muni une materia reservada. Le laxisme de l'O.N.U. et de l'O.U.A. s'est doublé d'une conspiration du silence où se mêlent le mutisme complice – et intéressé – des pays voisins et de certaines puissances de l'Ouest comme de l'Est. Quant au régime de la famille Macias Nguema et Obiang Nguema, il se montre incapable, depuis 1968, de faire connaître le pays autrement que comme un « goulag africain », un « immense camp de torture » pour une population réduite à l'état d'« otages » ou condamnée à la diaspora (125 000 réfugiés sur 500 000 ressortissants).

Le silence des géographes, des historiens, des géopoliticiens sur la petite République du Golfe de Guinée explique pourquoi, hormis des rubriques d'encyclopédies, rien n'a été porté à la connaissance du public. Et ceux qui écrivent ou parlent au nom de l'Afrique – et de l'Afrique noire en particulier – ont négligé jusqu'à présent cette parcelle de réalité africaine de cavalière façon. Aussi, les pages qui suivent voudraient-elles, sans entrer dans un excès de détails, permettre une compréhension rapide, mais suffisante de ce qu'a été, de ce qu'est, et de ce que pourrait devenir la République de Guinée Equatoriale.

En août 1979 s'est produit en Guinée Equatoriale un simulacre de coup d'Etat; le président Macias Nguema, élu régulièrement en septembre 1968 – et qui s'était mué en dictateur grâce à la collaboration de ses cousins et neveux Esangui – était mis sur la touche par sa famille. Une junte militaire dirigée par le neveu et lieutenant-colonel Teodoro Obiang Nguema – et comprenant pratiquement tout ceux qui depuis les débuts de la République ont participé à l'étouffement de la démocratie – a pris le relais. Avant même que Macias Nguema ne soit condamné à mort avec quelques complices falots, le régime militaire des Nguema proclamait sa détermination de ne pas tolérer de débat politique dans le pays. Avec le concours de l'Espagne d'abord, puis de la France et des Etats-Unis, le régime Macias Nguema bis continue ainsi à former une de ces taches que porte la mappemonde où les droits de l'homme sont encore mis sous le boisseau. Et toujours le même mur de silence. [PAGE 29]

Avec ses 28 051 km, la République de Guinée Equatoriale – indépendante depuis le 12 octobre 1968 – est devenue le 126e Etat membre des Nations Unies. Faisons connaissance de ce pays et de ses hommes, des étapes de leur histoire, des potentialités et réalisations, sans omettre le sombre tableau d'un présent sans liberté et les espoirs qui animent ceux qui savent que le jour viendra de la restauration de la démocratie.

Toponymie

Le régime des Macias et Obiang Nguema a procédé à plusieurs reprises à des modifications de noms de lieux. Il s'agit de :

Fernando Poo = Macias Nguema, puis Bioco en août 1979.

Santa Isabel = Malabo, d'après un roi Bubi.

San Carlos = Luba, d'après un chef Bubi.

Concepción = Riaba, d'après un chef Bubi.

Annobón = Pagalú, soit « Papa Galu » = Papa Coq en créole local, rappel d'un sorcier local et de l'emblème électoral de Macias Nguema, le coq. En 1980, les Annobonais ont contraint le gouvernement militaire à rétablir le nom d'Annobon.

Dans ce texte, la toponymie qui avait cours au moment de l'indépendance est maintenue, les modifications opérées par le régime du « clan de Mongomo » n'ayant jamais reçu l'aval d'un parlement digne de ce nom. [PAGE 30]

CHAPITRE PREMIER

La nature et les hommes

A. LE MILIEU NATUREL

1. La partie continentale

Le territoire du Rio Muni est un quadrilatère de 26 000 km2. Limité à l'ouest par l'Océan Atlantique (212 km de côtes), au nord par le Rio Campo (ou Ntem), puis par le parallèle 2o21'N, le long du Cameroun jusqu'à la jonction du méridien 11o20'E et au sud par le parallèle 1o01'N, il fait frontière avec le Gabon à l'est et au sud. Après la Conférence de Berlin (1885), l'Espagne possédait un territoire continental de 180 000 km2 (et non plus les 300 000 km2 qu'elle revendiquait alors, ni surtout les quelque 800 000 km2 qu'elle pensait tenir du Traité du Pardo, 1778). Ses possessions furent ainsi rongées par l'appétit colonial de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre.

Les côtes du Rio Muni, assez régulières, sont néanmoins marquées par quelques caps : Punta Mbonda (ou Uvomi) dans le nord-ouest, au cœur du pays Bujeba, avec des factoreries dès le milieu du XIXe siècle; Cap San Juan, au sud-ouest, dans une zone accidentée (basaltique) limitant la baie de Corisco; durant une bonne partie du XIXe siècle, la France ne reconnut comme espagnole que la zone du Cap San Juan (qui était alors la seule effectivement colonisée par l'Espagne); Punta Itale, enfin, promontoire [PAGE 31] au débouché nord de l'estuaire du Muni. Il convient de mentionner encore qu'à la suite du Traité du Pardo, l'Espagne jouissait des droits d'occupation de la côte s'étendant du fleuve Niger (cap Formosa) au Wouri (Punta Malimba) et à l'Ogoowe (avec les caps Santa Clara et Lopez).

Administrativement, les îles Corisco, Belobi, Mbañe, Conga, Elobey Grande et Elobey Chico, Ukoko (Cocotiers) font partie de la province continentale. Celle-ci a été appelée Rio Muni par extension du nom donné à l'estuaire du fleuve Utamboni (ou Mitemele), au sud-ouest. Selon Pigafetta, en 1591 l'estuaire était appelé Angra (port, anse, crique). Les Anglais lui donnèrent plus tard le nom de River Danger.

L'estuaire du Muni est situé sur une ligne de rupture géologique; son embouchure est étroite (1700 m), avec 33 m de fond. Après une première section de 3-8 km, un rétrécissement à 1 100 m entre les pointes Itale (Guinée Equatoriale) et Bolica (Gabon), une deuxième section s'ouvre sur une longueur de 7-9 km. Au-delà, l'Utamboni se divise en deux bras, et les affluents commencent à se faire nombreux. Une partie de la pénétration de la province continentale s'est faite précisément par l'estuaire du Muni et l'Utamboni : au XIIe siècle, des bateaux de 600 t remontaient le fleuve jusqu'à 100 km pour y chercher de l'huile de palme, de l'ivoire, du bois, des peaux, en échange de pagnes, de bijoux de pacotille. Les expéditions d'Iradier, d'Ossorio et de Montes de Oca, en 1876-1877 et 1884-1885, et vers la fin du XIXe siècle de Bonelly y Hernando puis de Bengoa Arriola, de la Trasatlantica espagnole, ont permis la reconnaissance du vaste bassin de l'Utamboni.

Au fond de l'estuaire, l'Utamboni reçoit sur la rive droite le Rio Mbañe dont Iradier explora le cours. Sur la rive septentrionale de l'estuaire se trouvent les localités de Calatrava et de Kogo. Le cours inférieur de l'Utamboni était constellé de factoreries appartenant à des maisons anglaises, allemandes, françaises, sans parler des comptoirs catalans et majorquins établis dans les îles Mobey et Corisco au large de l'estuaire depuis le XVIIIe siècle déjà.

Sur la rive nord de l'estuaire, à 20 km de l'embouchure, [PAGE 32] se trouve Kogo, un temps siège du sous-gouvernement de la colonie espagnole. En amont de Kogo, au milieu du fleuve, il faut mentionner l'île Gande (ou N'Gande). Elle présente un intérêt stratégique certain, confirmé au XIXe siècle par la présence d'un détachement de l'Infanterie de marine espagnole, chargé de protéger les factoreries Hatton & Cookson, John Holt et Trasatlántica.

La partie intérieure du Rio Muni est occupée par une pénéplaine (650 m d'altitude moyenne), surmontée d'inselberge, le plus souvent de gneiss, de diorite et de gabbro. La zone côtière est composée de marnes tertiaires au nord-ouest, d'ardoises secondaires entre Rio Benito et Calatrava. Les grands reliefs prennent leur origine au Cameroun et au Gabon (Monts de Cristal). Ils culminent au centre sud-ouest par le Mont Mitra, appelé aussi Monte de los Micos ou Biyemeyem; cette aiguille granitique (1 200 m) sépare les bassins du Rio Benito et de l'Utamboni. Le Monte Chocolate (en fang Bibo-Bindoa) est la traduction espagnole de ebo = pourri, et Ndoa = chocolat (au plur. bibo et bindoa, soit lit. pourris chocolats = chocolats pourris). Ce sommet de la chaîne Niefang-Mikomeseng, au centre-ouest du Rio Muni, culmine à 1 100 m. Il fait face au Mont Alen (du fang alen palmier à huile) qui atteint lui aussi 1 100 m. Entre Alen et Chocolate passe la route Bata-Evinayong. Au cœur du pays, au nord d'Evinayong, le Monte Chime culmine à 1 200 m tout comme plus à l'est la Piedra de Nzas, longée au nord par le Rio Benito. Au sud-ouest s'étire la partie méridionale de la chaîne côtière des Monts Paluviole, entre Mte Mitra et l'Utamboni; enfin, au nord-ouest, la partie septentrionale de la chaîne, appelée les Sept Montagnes, avec le Monte Bata (600 m) comme sommet principal. Cette longue chaîne côtière marque l'emplacement d'une ancienne faille qui se greffe sur celle du Golfe de Guinée; elle a longtemps marqué la limite entre le monde Fang et le littoral accaparé par les envahisseurs européens.

La plupart des sols du Rio Muni contiennent 50-60 % de kaolinite. Les dépôts crétaciques côtiers recèlent, comme au Nigeria, au Cameroun et au Gabon voisins, des gisements de pétrole, et l'ensemble du territoire présente d'intéressantes perspectives minières (thorium, titane, or, etc.). Une immense plage de sable blanc garnit la [PAGE 33] plaine côtière qui s'étend du Cameroun au Gabon, avec quelques petites formations rocheuses dans la moitié nord occupées par des bancs d'huîtres, puis vers le sud la formation accrue de rias. La plate-forme continentale est étroite : à 50 km, l'isobathe est déjà à – 500 m. 90 % des sols du Rio Muni sont d'origine éruptive et métamorphique, assez fertiles, malgré leur faible teneur en humus. Presque tout le territoire est cultivable (à l'exception de quelques sommets et de la frange côtière assez pauvre), soit environ 2 millions d'hectares; compte tenu de l'extension des exploitations forestières, cela laisse à l'agriculture quelque 800 000 ha.

Le climat est équatorial, chaud et humide toute l'année, malgré deux courtes saisons sèches; grâce à l'altitude, la température diminue vers l'intérieur et présente parfois des caractères presque tempérés.

Le territoire est traversé par une série de cours d'eau, généralement peu navigables, orientés d'est en ouest, qui viennent presque tous du Woleu-Ntem aujourd'hui gabonais, ou des environs de sa frontière. Les plus importants sont le Rio Campo (ou Ntem) au nord, le Rio Benito (ou Woleu) au centre, et l'Utamboni (ou Mitemele) au sud. Le Rio Benito (appelé Woleu, Wolo ou Gouolo, suivant les différents accents fang ou les diverses transcriptions; Eyo par les Kombe) forme l'axe central du Rio Muni, qu'il traverse de part en part, depuis sa source au Woleu-Ntem à 850 m d'altitude. Il est fréquemment coupé de rapides et de chutes. Des ultimes rapides, à Senye (40 km de l'estuaire), on passe à un bief navigable pour les petites embarcations, mais non accessible aux navires de haute mer en raison de la barre formée par la marée qui pénètre l'estuaire. Le Rio Benito a toutefois été longtemps l'exutoire du bois équato-guinéen, de même qu'une des voies de pénétration du territoire continental. Il fait la limite entre le domaine des Fang ntumu, au nord, et celui des Fang okak, au sud. A la limite nord du Rio Muni, le Ntem (Rio Campo), fait frontière avec le Cameroun à l'approche de l'embouchure. Très en amont, près d'Ebebiyin, le Campo reçoit sur sa rive gauche les eaux du Kyé, qui longe la frontière orientale du Rio Muni, à quelques kilomètres à l'intérieur du Gabon. En 1926, un accord tacite entre le gouverneur d'Oyem (Gabon) et un [PAGE 34] représentant de la Garde coloniale espagnole entendait fixer la frontière sur le Kyé.

Divers fleuves de moindre importance ont drainé près de la côte des factoreries durant le XIXe siècle : Utonde et Ekuko, aux abords de Bata, Ndote, Aye et Etembue entre Rio Benito et Utamboni. Ce dernier fleuve marque la limite méridionale du pays. Après avoir pris sa source au cœur de la pénéplaine centrale, à l'ouest d'Evinayong, il coule souvent dans un cañon et franchit d'imposantes cataractes.

Toute la région continentale appartient à la zone des grandes forêts denses équatoriales (rain forest des Anglais) que les Espagnols ont baptisée d'Afromegatermophysilva. Les exploitations forestières, d'abord côtières puis, avec le progrès technique, pénétrant toujours plus profondément dans le pays, ainsi que les défrichements à but agricole, ont fortement éclairci cette forêt dans la moitié nord, et entre 1973 et 1977 dans la partie sud-est où travaillait avec des moyens considérables (sur une concession de 150 000 ha) la Société forestière (française) du Rio Muni.

La faune du Rio Muni, assez variée, ne diffère guère de celle des pays voisins : singes divers (dont les gorilles et les chimpanzés), éléphants, buffles pour les grands mammifères terrestres, baleines dans l'estuaire du Muni et autour d'Annobon, ainsi que des lamentins le long des côtes du Rio Muni pour les mammifères marins, toutes espèces en forte diminution en raison de chasses inconsidérées. Par ailleurs, les sous-bois comptent leur lot de serpents, de lézards, de papillons et d'insectes nombreux.

Le lecteur trouvera des informations complémentaires au chapitre Pêche et Chasse.

2. Les îles

La Guinée Equatoriale possède deux chapelets d'îles : l'un participe de la province continentale de Rio Muni, l'autre, plus au large, compose la province maritime ou insulaire. Ce sont les îles de cette dernière qui ont été les premières abordées par les navigateurs portugais de la fin du XVe siècle. [PAGE 35]

Les îles de Fernando Poo et d'Annobon, comme celles de São Tome et de Principe sont les jalons d'une fracture du Golfe de Guinée et de l'Afrique de l'Ouest qui se poursuit jusqu'au Tibesti, le long de laquelle on rencontre un réseau de manifestations volcaniques : Pico de Mazofín à Annobon, Massif du Sud et Pico de Basilé à Fernando Poo, Mont Cameroun – appelé initialement Mont Fernando Poo, face à l'île du même nom –, Mont Manengouba, Monts Mandara, etc.

a. Fernando Poo

La plus importante île équato-guinéenne est celle de Fernando Poo. Vers 1471-1472, elle fut baptisée Formosa, au même titre qu'un cap sur la rive gauche de l'embouchure du Niger (sur le bras appelé Num et Akasa); ce cap était considéré en 1875 encore comme espagnol à la suite des voyages de Pellón y Rodriguez. Les Bubi, population autochtone de Fernando Poo, appellent l'île O'Vassa, Bahassa ou Bisila.

Fernando Poo forme un parallélogramme, situé dans l'angle du Golfe du Biafra, à 32 km seulement du Mont Cameroun. Ce rectangle, orienté nord-sud, mesure 75 km sur 35 km, avec une superficie de 2 017 km2 et 270 km de côtes; son altitude moyenne est de quelque 500 m. L'île est flanquée de deux échancrures latérales qui abritent les baies de San Carlos, à l'ouest, et de Concepción, à l'est. Le reste des côtes est creusé de nombreuses petites anses et semé de quelques îlots rocheux, telles les deux Enriquez, dans la baie de Santa Isabel, au nord de l'île, restes d'un cratère englouti.

Le Pico de Basilé (3 008 m), au pied duquel s'étend la capitale, est un cône volcanique élémentaire, facile d'accès, qui s'étend pratiquement sur toute la moitié nord de l'île. Il est formé alternativement de dépôts de type hawaïen et strombolien. Divers cônes adventifs en constellent les flancs, certains occupés par de petits lacs, le plus connu étant le lac Claret (du nom du prêtre espagnol fondateur des Clarétins). Au nord-ouest, la caldère Bonyoma laisse échapper le rio Tiburones (soit « des requins », à ne pas confondre avec un autre du même nom au centre de l'île). Le Pico de Basilé se continue au sud par les cônes de San Julian (1 496 m) et de Concepción [PAGE 36] (1 200 m), pour se fondre dans la dépression de Musola qui relie San Carlos et Concepción, et au-delà de laquelle commence le Massif du Sud.

La première ascension connue du Pico de Basilé par un étranger est celle d'un commandant anglais, en 1827-1828, peu après l'arrivée de l'expédition Owen, suivie en 1839 par celle de Beecroft, futur gouverneur de Fernando Poo; le premier Espagnol atteignit le sommet en 1860; la première femme européenne, épouse de l'aventurier polonais Rogozinski, en 1884.

Durant les cent dernières années, Fernando Poo a connu une forte éruption volcanique en 1880, une autre moins intense en 1900 dans la région de Concepción. En 1865, les habitants du nord de l'île aperçurent une des éruptions du Mont Cameroun. Une autre manifestation de ce grand voisin fut ressentie en 1922 à Fernando Poo par des secousses telluriques.

Au-delà de l'ensellement de Musola (665 m) se dresse le complexe Massif du Sud. Les cônes les plus importants de ce massif sont le Pico del Condor (1 852 m), au sud-est, le Pico de Moka (2 009 m), au centre, et la grande caldère de San Carlos (que les Bubi appellent Ebakabaka e Olé), reste d'un volcan qui était probablement le plus important de l'île. Cette caldère culmine à 2 260 m, ultime vestige d'un cône mesurant 25 km de diamètre à la base et qui, initialement, devait atteindre 4 000 m d'altitude. La gigantesque balafre, ouverte vers le sud, présente des parois presque verticales de quelque 1 300 m de hauteur. Le rayon supérieur de cet amphithéâtre est d'environ 6 km, celui de la plaine du fond de 4 km. Il s'agit d'une zone de très forte érosion – en raison de la mousson du sud-ouest qui arrose quotidiennement le Massif du Sud – et qui se continue par la vallée torrentielle de Tudela.

Dans l'angle sud-est de l'île de Fernando Poo, le versant du Pico del Condor est entaillé par le fleuve torrentiel Ilady, qui dévale la pente en une succession de chutes impressionnantes dont la plus haute mesure 300 m. C'est là un extraordinaire site naturel.

Depuis la dépression de Musola, le col de Belebu – lancé entre le Pico del Condor et la grande caldère de San Carlos – permet d'atteindre la localité la plus méridionale [PAGE 37] de l'île, Ureka. Appelée longtemps par les Espagnols San Antonio de Ureka, il s'agit du regroupement de petits hameaux, accessibles initialement par mer seulement. L'une des principales vagues d'immigration bubi aurait passé par là. Cette région est une des plus arrosées du globe en raison de l'écran que dresse le Massif du Sud face à la mousson du sud-ouest : annuellement y tombent quelque 10 m de pluie, soit à peine un peu moins qu'au cap Debundja, au pied occidental du Mont Cameroun, exposé aux mêmes influences atmosphériques.

L'île de Fernando Poo est soumise au climat équatorial de type camerounien, avec une seule et longue saison des pluies qui ne connaît qu'une brève modération en décembre-janvier. De la côte à 800 m d'altitude, l'île est couverte d'une forêt dense humide, fortement altérée il est vrai – à l'exception du Sud – par l'action humaine. Au-dessus, la végétation s'éclaircit pour faire place vers 1000-1500 m, à une zone de pâturages avec araliacées et fougères arborescentes.

A la suite de sa courte visite en 1884, l'explorateur H. M. Stanley qualifia Fernando Poo de « perle du Golfe de Guinée », mais ajouta, vu l'état de sous-équipement de l'île, qu'il n'en donnerait pas un penny.

b. Annobon

L'île d'Annobon est située à 1o25' de latitude sud, à 160 km de São Tome et à 335 km à l'ouest du cap Lopez (ancien territoire espagnol relevant aujourd'hui du Gabon). Elle mesure 6 km sur 3 km soit une superficie de 1700 ha, dont 300 seulement cultivables. Annobon est un piton basaltique qui émerge brusquement d'un socle marin profond (- 4 000 m). Quatre sommets surmontent l'île, dont le Pico de Mazofín ou Quioveo (831 m) et le Pico de Fogo (600 m) sont les plus élevés, avec entre deux un lac de cratère (400 x 600 m). La cape d'humus est mince et rend les cultures difficiles. Les côtes annobonaises sont escarpées; la seule zone basse se trouve au nord, occupée par le village de Palé, chef-lieu de l'île.

L'île d'Annobon connaît un climat tropical humide, avec deux saisons de pluie en avril-juillet et en octobre-novembre. Elle est couverte d'une végétation abondante qui varie légèrement en fonction de l'altitude, et dont la [PAGE 38] principale caractéristique est le faible nombre d'espèces : 117 seulement, alors qu'on en compte 826 significatives du point de vue biogéographique à Fernando Poo, ceci probablement en raison de l'éloignement d'Annobon du continent. La faune d'Annobon se caractérise par l'absence de serpents venimeux.

c. Iles de l'estuaire du Muni

Parmi les îles de la partie continentale, pratiquement toutes situées aux abords de l'estuaire du Muni et du Munda, la plus importante est celle de Corisco (du port. éclair) que les autochtones appellent Mandj, terme benga pour l'arbre qualifié par les Espagnols de morera. Corisco est située à 29 km de l'estuaire du Muni, dont elle commande l'accès avec les deux Elobey. Elle s'étend sur 14 km2, avec une circonférence de 6 100 m, dominée par une colline à 35 m d'altitude. Au nord de Corisco se trouve la petite île de Belobi. Font partie du même socle géologique les îles Conga et Mbañe : Conga se trouve à quelque 9 km au sud de Corisco, Mbañe à 6 km; un peu plus de 2 km séparent les deux îles. Mbañe est connue pour être un repaire de rats. Plus au sud, proche du littoral gabonais, se trouve la petite île des Cocotiers (originellement Ukoko). En août 1972, les îles équato-guinéennes de Mbañe, Conga et Cocotiers ont été occupées militairement par le Gabon, en dépit des protestations équato-guinéennes. Selon certaines sources nguemistes, elles auraient été vendues au Gabon, en 1974, par Macias Nguema. Jusqu'à l'indépendance de la Guinée Equatoriale, ces îlots étaient administrés par l'Espagne. Mbañe avait toutefois connu en 1896 une tentative d'annexion par la France, mais qui avorta. Corisco fut exposée durant le XIXe siècle au même type de revendication, et depuis l'indépendance de la Guinée Equatoriale, le Gabon a pris la relève, bien que sans justification, ni historique, ni politique. Il est vrai que Corisco est située dans une zone de dépôts crétaciques riches en pétrole.

Directement en face de l'estuaire du Muni se trouvent les deux îles d'Elobey ou Elobé (du benga Eloba, arbre jadis fréquent dans les parages, et aujourd'hui disparu). Les deux îles portaient initialement le nom d'« Iles des moustiques », tout comme la zone proche de Calatrava [PAGE 39] était qualifiée de « Cap des moustiques ». Les îles Elobey totalisent 2 km2 : Elobey Chico (petite) mesure 0,17 km2 et n'est située qu'à 6 km de l'estuaire du Muni et à 1,5 km d'Elobey Grande. Il s'agit d'une plate-forme basaltique, à cinq mètres au-dessus du niveau de l'Océan, plantée de cocotiers. Avant l'installation des factoreries européennes, l'île semble être restée longtemps inhabitée; mais on y a trouvé des vestiges préhistoriques. La meseta basaltique d'Elobey Grande s'élève à 12 m d'altitude, avec un sommet à 80 m et des côtes abruptes. Une seule petite plage s'étend à l'est. Ces côtes peu favorables à la navigation expliquent autant la faiblesse du peuplement que le modeste rôle commercial. Néanmoins, la France a revendiqué Elobey Grande en 1896 encore.

B. LES HOMMES

Le lien n'est scientifiquement pas encore établi entre les populations néolithiques qui ont occupé certaines parties du pays et les habitants actuels. Si l'on qualifie de Vieux-Bubi les hommes de l'étage de Buela, à Fernando Poo, c'est en s'appuyant davantage sur leur qualité d'hommes de l'igname que sur des éléments anthropologiques.

1. Pygmées

Sur le continent, il semble que les premiers occupants aient été des tribus de Pygmées, dont ne subsistent plus aujourd'hui que des îlots le long du Rio Ntem (ou Campo), à la frontière avec le Cameroun. Cette population Bayele, appelée aussi Buiko par les Fang, parle ngumba, forme dialectale du bujeba, avec des mots d'autre origine qui semblent être des vestiges d'une langue propre. Vers 1922 encore, on voyait fréquemment des Pygmées dans l'arrière-pays de Rio Benito. Mais la pénétration et l'occupation européennes du Rio Muni, à partir de 1926, les a fait disparaître ou les a refoulés aux confins septentrionaux du pays. Le métissage avec les voisins Bantu est de plus en plus marqué au point que les hommes [PAGE 40] mesurent la plupart entre 150 et 160 cm. Jusqu'à présent, un seul article (Crespo-Gil) a décrit les Bayele. L'observation personnelle nous a montré des villages construits sur le plan des villages bantu, avec des cases rectangulaires bordant une allée centrale. Il reste aux Bayele leurs techniques de chasse et la pratique de la préparation du feu par rotation d'un bâton de bois dur, à la verticale, sur un bâton de bois tendre, à l'horizontale, rotation obtenue par simple va-et-vient des deux mains contre le bâton vertical – en une minute, des braises apparaissent déjà. Dans les textes officiels du régime Macias Nguema, les Pygmées étaient qualifiés de « Sauvages ».

On a prétendu (Nosti Nava) qu'avant les Bubi vivaient sur l'île de Fernando Poo des Pygmoïdes qui se seraient mélangés aux Bubi. Les données anthropologiques infirment cependant cette thèse.

2. Ndowe

Les premiers Bantu à avoir traversé le pays aux XIIe et XIIIe siècles, pour finalement s'établir sur le littoral atlantique, sont un groupe de tribus classées sous le nom générique de Ndowe, improprement qualifiés de Playeros. Au sens strict, il s'agit de toutes les populations parlant kombe; au sens large, des Benga, Bapuku, Bujeba, Balenke, Baseke. Les Ndowe ont été classés en deux ethnies : les Boumba, situés au sud, qui comprennent les Benga, Bapuku, Enviko; les Bongue, localisés au nord, qui incluent les Balenke, Baseke, Bomudi, Buiko, Asangon, Kombe, etc. Comme les Fang, les Ndowe auraient d'abord séjourné sur l'Ubangui. Ils présentent une organisation sociale proche de celle des Fang, avec quatre étages : famille, village, lignage, clan. Leur alimentation est basée sur le manioc, la malanga, la banane plantain, ainsi que le produit de la pêche.

Parmi les divers peuples Ndowe de la famille Bongue, les Balenke sont ceux qui vivent le plus à l'intérieur du Rio Muni. Avec les Bujeba, ils semblent être les premiers Bantu à être parvenus au Rio Muni, probablement au XIIe siècle. Ces populations forestières se trouvent présentement concentrées surtout le long des fleuves Mongoya, [PAGE 41] Benito et sur l'estuaire du Muni. Les Balenke sont les Ndowe qui eurent les plus longs contacts avec les Fang; guerres et inter-mariages en ont réduit le nombre. Durant la période espagnole, les Balenke s'employaient comme journaliers dans les défrichements côtiers, mais n'eurent pas de contacts suivis avec la civilisation ibérique ou les autres Européens s'activant dans la région. Il existe de nombreuses variantes pour le nom Balenke (par exemple Balengue).

Autre population Ndowe, les Baseke, vivent assez dispersés entre rios Utonde et Campo. Ils sont proches des Basa du Cameroun. Bien qu'arrivés eux aussi avant les Fang, leur langue a été influencée par ceux-ci. On reconnaissait jadis les Baseke par une légère scarification triangulaire sur leur front.

Enfin, parmi les Ndowe Bongue, le groupe Kombe, latu sensu, comprend les populations parlant la langue benga et les Kombe strictu sensu. C'est un chef légendaire, Bosendje, sorte de Moïse africain, qui aurait conduit les Kombe, Benga et autres Bantu des savanes du nord-ouest jusqu'à la côte équato-guinéenne. Arrivés au Rio Muni au XIIIe siècle à la suite des Balenke et des Bujeba, les Kombe précédèrent de peu les Fang. Ils occupent la zone de Campo, de Bata et de Rio Benito (Mbini); parents des Douala et des Bakoko du Cameroun, ils se subdivisent en diverses tribus. Leur langue est parlée également par les Buiko, à la frontière camerounaise. Ces Buiko sont une population issue d'un métissage de Ndowe et de Pygmées.

Quant aux Bujeba ou Bisio (appelés Mabea ou Maka au Cameroun), leur origine, suivant la tradition, se situe vers Ebolowa, au Cameroun méridional. Ils auraient précédé les Kombe, pour finalement s'établir dans quelque vingt-cinq villages côtiers au nord et au sud de Bata, où ils se subdivisent en clans patrilinéaires, exogames. Parmi les Ndowe, les Bujeba avaient une réputation de rudesse, vertu qui leur fit obtenir facilement des emplois dans l'Infanterie de marine espagnole qui contrôlait la colonie à la fin du XIXe siècle. Les Bujeba, comme les Balenke, ont été fortement influencés par les Fang.

Plus au sud, légèrement au nord du Cap San Juan, vivent les Ndowe Boumba appelés Bapuko. Ils parlent un [PAGE 42] dialecte Benga. On les connaît particulièrement pour leurs talents de pêcheurs et de marins. Sur la côte sud-ouest du Rio Muni leur succèdent les Enviko (ou Mviko, Nviko), que l'on trouve aussi le long des rives du cours inférieur de l'Utamboni. D'autres vivent sur Elobey Grande. Les Enviko furent longtemps réduits à l'état d'esclaves par les Benga. Ils sont en voie d'extinction, absorbés par les Fang.

Dans les premiers contacts entre l'Europe et le Rio Muni, les Benga (ou Venga) ont joué un rôle privilégié. Arrivés dans la région à la suite des Bujeba et des Balenke, au XIIIe siècle, précédant de peu les Fang qui les avaient chassés de la région de l'Oubangui, via le Cameroun, et occupant à leur tour les terres de leurs prédécesseurs Enviko, les Benga sont établis dans la zone du Cap San Juan, à Corisco et au Cap Esterias (Gabon). On a signalé une certaine parenté entre Benga et Bubi du point de vue linguistique.

C'est en 1843 que l'Espagnol Lerena entra la première fois en contact avec les Benga et signa avec leur roi, Bonkoro Ier, un traité de soumission à l'Espagne (territoires entre Rio Benito et Cap Santa Clara, avec les îles des baies du Muni et du Munda). La seconde venue des Fang sur la côte, après qu'ait définitivement cessé le commerce des esclaves, occasionna durant la deuxième moitié du XIXe siècle de nombreuses guerres qui décimèrent les Benga. Au début du XXe siècle, les Benga ne sont plus présents qu'à Corisco, Elobey Chico, Cap San Juan et Calatrava. Leurs longs contacts avec les Portugais, Hollandais, Espagnols, Anglais qui les employaient comme midmen pour le commerce de traite et celui d'esclaves, leurs rapports aussi avec les presbytériens américains, les ont fortement policés. Ils aidaient à diffuser les marchandises des factoreries à l'intérieur du Rio Muni, occupation dangereuse qui explique la mortalité masculine élevée des Benga aux siècles écoulés. Il en est résulté que Corisco notamment était fortement peuplée de femmes et que les Benga de l'île sont mêlés de sang européen. Corisco n'a-t-elle pas été appelée « Ile de l'Amour » ?

Bonkoro Ier appelé encore Bañe, décéda en 1846. Il fut remplacé par son fils Bonkoro II, mais en raison de l'opposition de rivaux, à Corisco même, le pouvoir passa à [PAGE 43] Munga (1848-1858), et Bonkoro II transféra sa cour à Satomé (puis à Ukambala); au Cap San Juan, il ne régna plus que sur les Benga septentrionaux. Un de ses frères, élevé par les Jésuites, a servi dans la marine de guerre espagnole, en Europe et en Amérique. Les dissensions marquèrent de plus en plus la division entre Benga de Corisco et du cap San Juan. Suite à un traité avec le gouverneur général espagnol Chacón, de 1858, tous étaient subordonnés aux Benga de Corisco. En 1874, à la mort de Bonkoro II, c'est son frère marin qui lui succéda pour régner sur les Benga du Nord, les Enviko et même les Balenke. A Corisco, Combenyamango est remplacé par Munga (1859-1883). Ce dernier accueillit Iradier dans l'île lors du premier voyage.

On doit au missionnaire presbytérien américain R.H. Nassau, fondateur de la mission protestante de Rio Benito, la première traduction de la Bible en benga.

3. Fang

Le gros de la population du Rio Muni appartient à l'ethnie Fang, autre branche du peuple bantu, que l'on appelle aussi Pahouin, Pangwe, Pamue, les deux dernières appellations tirées du Ndowe Mpongwe. C'est au XIIIe siècle que les Fang, mêlés de Ndowe, sont arrivés pour la première fois dans une zone qui s'étend du Cameroun méridional, par le Rio Muni, au Gabon septentrional et oriental. Selon la légende, les Fang seraient issus d'un rocher situé au Cameroun, au confluent de la Sanaga et du Mbam. La thèse la plus en vogue veut que les Fang (les Beti du Cameroun aussi) soient parents des Azande du Haut-Nil, mais elle est rejetée par certains milieux scientifiques. Très rapidement parvenus sur les côtes (et de là probablement aussi sur Fernando Poo, tout comme certains Benga), les Fang se sont heurtés aux esclavagistes portugais et hollandais. Aussi se produisit-il alors, dès le XVIe siècle, un repli des Fang vers l'intérieur (Woleu-Ntem en particulier). Au XVIIe siècle, les Fang peuplaient notamment la vallée du Kyé et occupaient une grande partie des Monts de Cristal; au XIXe siècle, ils reprirent progressivement le chemin de la côte. Le bassin [PAGE 44] de l'Utamboni, longtemps laissé aux mains des Ndowe, est investi vers 1884. La pression des Fang sur les Ndowe produira l'absorption d'une partie de ceux-ci. La tradition orale évoque encore l'époque où les Fang vivaient au contact des peuples islamisés, hors de la forêt, probablement dans les savanes boisées, d'où ils ont apporté, entre autres, le palmier à huile (elaeis). Une légende datant de 1945, affirme que les premiers ancêtres des sous-groupes Fang étaient Fang Afiri, Ocac Afiri, les neveux Nevu et Nden, Bul Afiri et Ngue Afiri. C'est à un certain Afiri Kara qu'ils attribuent le nom du continent. Les Fang forment une communauté biotypologique caractéristique en raison de l'exogamie rigide; racialement, ils présentent des caractéristiques soudanaises et paléonigritiques. L'étude de leurs empreintes digitales a montré une grande ressemblance avec celles des Bubi.

En Guinée Equatoriale, les Fang se subdivisent en deux grandes zones linguistiques (accentuation différente), séparées par le fleuve Benito : au nord, les Fang Ntumu, au sud les Fang Ocac. Ces deux groupes sont composés de nombreux clans.

L'hostilité des Fang à une quelconque occupation étrangère rendait l'accès de l'intérieur du continent extrêmement périlleux. Il est vrai qu'en échange du bois fourni par les populations du Rio Muni, les marchands – notamment les Allemands – offraient des fusils au point qu'en 1913 l'Espagne et l'Allemagne signèrent une convention sur la limitation des ventes d'armes au Rio Muni. A en croire le gouverneur général Ramos de Izquierdo, en 1907 encore, la plupart des villages de l'intérieur du Rio Muni n'avaient jamais vu un Européen. La pax hispanica allait, dès 1926, mettre un terme aux exploits guerriers des Fang.

Coïncidence ? En 1926, au Cameroun, apparut le mouvement de protestation Fang appelé Elar ayong, qui vise à ériger à nouveau cette ethnie en nation. Diffusé par les voies commerciales traditionnelles au Rio Muni et au Gabon, l'esprit pan-Fang connut son heure de gloire en 1947 lors du Congrès Fang tenu au Gabon sous la présidence de Léon Mba. Les autres ethnies de la région craignent ce mouvement qui souhaite la création d'une entité politique Fang dont le territoire s'étendrait évidemment [PAGE 45] du Cameroun méridional via la Guinée Equatoriale jusqu'au Gabon et au Congo septentrionaux, avec près de deux millions d'âmes.

En Guinée Equatoriale, les clans Fang sont une cinquantaine. Pour savoir si un Fang appartient au même clan qu'un autre, on récite l'arbre généalogique, parfois sur trente à quarante générations; dans cet arbre, deux personnes du même clan doivent se retrouver dans un grand-père, arrière-grand-père ou trisaïeul commun. Depuis l'indépendance, en octobre 1968, une partie infime du clan ntumu des Esangui (région de Mongomo) a, par les pratiques népotiques de la famille Macias Nguema, dominé de plus en plus l'appareil politique, administratif et militaire du pays. Le gouvernement militaire imposé après le coup d'Etat d'août 1979 est encore une fois entièrement dominé par des Esangui, cousins et neveux de l'ex-président Macias Nguema, sous la conduite d'Obiang Nguema.

Les Fang pratiquent le culte des ancêtres, des génies de la terre et de l'eau. Toutes ces forces qui dominent la vie de l'homme imposent des sacrifices et des cérémonies de caractère magique. Nsama est le dieu bon. Pour le Fang, l'ancêtre est l'axe de la société; le byer est le crâne de l'ancêtre, que l'on conserve dans sa nudité osseuse, dans un but religieux. Pour l'ensemble des Fang, l'esprit protecteur s'appelle Mavame, « le grand grand-père ». Au plan social, le byer est le garant de l'égalité entre tous les membres de la société; en effet, la société fang se caractérise par l'absence de distinctions de classe, d'ordre, de statut. Cependant, la pression de l'Occident, notamment des Eglises chrétiennes, ont fait disparaître les rites religieux liés au byer. En début du XXe siècle est apparu un culte Fang syncrétique qui, à travers l'assimilation d'éléments du christianisme, est une affirmation de l'identité Fang devant les empiétements occidentaux : le Bwiti. Venu du Gabon, ce culte est pratiqué par une société secrète du type secte d'hommes léopards. On y dénote de fortes influences du christianisme, mais la mythologie bwiti connaît de nombreuses variantes régionales. L'iboga, plante hallucinogène, permet aux initiés, appelés Banyi, de « mourir), à eux-mêmes. Le culte bwiti se célèbre dans des temples dont l'entrée figure une fente vulvaire à travers [PAGE 46] laquelle est enfantée la tribu. D'aucuns ont prétendu que le culte bwiti exigeait des sacrifices humains ; il s'avère toutefois que le Bwiti ne donne pas lieu à des homicides, utilisant lors des cérémonies d'anthropophagie rituelle des cadavres d'ancêtres. Pour protéger le secret, coexistent une hiérarchie publique et une autre secrète. D'autres cultes seront évoqués plus loin.

Avant l'arrivée des Européens, l'organisation politique des Fang était fondée sur la propriété consanguine. Le chef administrait les consanguins patrilinéaires avec conjoints, enfants, clients et prisonniers. L'expérience des ancêtres est actualisée sous forme de légendes. Les décisions sont prises lors de palabres villageoises, en fonction de l'opinion dominante, donc démocratiquement. Quant à la justice, elle est rendue par le chef, entouré d'anciens.

Peuple artiste, les Fang ont connu une statuaire remarquable, malheureusement en perte de vitesse avec la déculturation due aux colonialismes allemand et français (pour le Cameroun), français (pour le Gabon et le Congo), espagnol (pour la Guinée Equatoriale). Les instruments de musique fang sont nombreux :

Mbeny : tronc évidé de plus d'un mètre, recouvert d'une peau;

Ngom : tronc évidé de moins d'un mètre, recouvert d'une peau;

Mendjang : balafon (xylophone);

Ngombi (ou Ngoma) : harpe (jusqu'à huit cordes);

Nlakh (ou Mban) : corne.

Mais l'instrument de musique principal est le mvet, sorte de harpe cithare faite d'une calebasse, d'une tige de feuille de palmier et de cordes de fibres végétales. Les joueurs de mvet disposent d'une écriture révélée aux seuls initiés. Le terme mvet qualifie également les épopées fang, dont la déclamation peut durer jusqu'à quarante-huit heures d'affilée. Une institution fang, l'Ordre Bebom-Mvet, associait une caste de guerriers initiés, spécialisés dans le discours politico-idéologique; ils jouissaient du monopole du récit des hauts faits du peuple Fang, en particulier de l'épopée nationale incarnée par le Cycle des Chroniques d'Engong (le peuple d'Engong, composé d'immortels, s'oppose au peuple d'Okui, les mortels [PAGE 47] vincibles). Harpe cithare mvet et épopée fang sont indissolublement liés dans ce récit épique et poétique.

Originellement agriculteurs itinérants (en raison des longues jachères), les Fang occupent aujourd'hui encore deux demeures, l'une le long de la route, l'autre plus secrète dans des clairières éloignées, aux abords des champs.

La monnaie utilisée jadis par les Fang est faite de lames de fer de lance, de dimensions diverses, les bikwele (sing. ekwele). Ce nom a été repris par Macias Nguema, en 1975, pour la monnaie destinée à remplacer la peseta.

Le refus des Fang de travailler en masse comme manœuvres dans les plantations de cacao de Fernando Poo les fit taxer de paresseux et de non-qualifiés par les Espagnols. A partir de 1950, des milieux officiels espagnols se sont également mis à souligner un prétendu caractère sauvage et primitif des Fang, pour affoler les Bubi et favoriser la division du pays au moment de l'indépendance. La cohésion ethnique Fang a constitué jusqu'à l'indépendance un problème pour le colonialisme espagnol.

4. Bubi

Les Bubi de Fernando Poo portent ce nom depuis qu'en 1821 le capitaine de marine britannique Kelly les a baptisés ainsi. Probablement venus en vagues successives entre les XIIIe et XVe siècles de la côte du Cameroun et du Rio Muni, les Bubi sont à prédominance dolichocéphales, proches des Fang du point de vue morphologique, des Benga au plan de la langue. En raison de leur arrivée en plusieurs vagues, les Bubi parlent quatre dialectes, du groupe Bantu-Benga, mais marqués par de fortes différences entre le nord et le sud de l'île. L'occupation de celle-ci se fit initialement dans une bande entre 0 et 800 m, à l'exception des hauteurs de Musola et de Moka. Jadis on reconnaissait les Bubi à des scarifications horizontales sur le visage.

Les Bubi sont monogames et matrilinéaires. Leur monnaie ancienne était faite de petites rondelles avec un [PAGE 48] trou central, taillées dans des coquillages (roiga), et ne sert plus aujourd'hui que comme ornement féminin. Monothéistes, leur culte était présidé par des prêtres (abba), l'abba suprême vivant semi-reclus sur les hauteurs de Moka.

Les Bubi sont essentiellement petits agriculteurs et éleveurs, anciennement aussi chasseurs et pêcheurs. Leurs villages dispersés ont été regroupés à l'arrivée des missionnaires Clarétins espagnols (1883) pour faciliter les plantations européennes. En 1856, en ne comptait que 38 Bubi sur les 839 habitants de Santa Isabel; ils refusaient en effet de se mêler aux étrangers et avaient, durant des siècles, fait échouer les tentatives portugaises et anglaises d'occupation de l'île. Le recensement de 1912 mentionne 12 545 habitants sur Fernando Poo, dont 6 800 Bubi seulement. L'alcool, les pratiques abortives et diverses épidémies les ont décimés au cours du XIXe siècle. Durant la seconde moitié de ce siècle, les Bubi ont offert une solide résistance aux prétentions espagnoles de les utiliser comme ouvriers bon marché dans leurs plantations. En 1910 encore, une rébellion organisée par le chef Luba, de Balacha, a exigé une intervention armée faisant plusieurs victimes du côté de la Garde coloniale; celle-ci était assistée par des créoles Fernandinos.

Pendant une bonne partie du XIXe siècle, les Bubi ont été dirigés par le roi Moka, protégé par la lojua (garde royale). Moka refusa toujours de se rendre à Santa Isabel. Après que le pouvoir ait été usurpé de 1899 à 1904 par Sas Ebuera, premier ministre de Moka, il revint au frère de ce dernier, le roi Malabo.

Comme durant la préhistoire, les Bubi continuent à vouer leur préférence à l'igname, base de leur alimentation. La fête de l'igname, le roomo, présidée par l'abba suprême, a été leur cérémonie principale : après le sacrifice d'une chèvre, un feu sacré était allumé que l'on entretenait toute l'année.

Durant la guerre civile espagnole (1936-1939) apparaissent quelques grands planteurs Bubi catholiques, nés à l'ombre du paternalisme du Patronato de indígenas. En 1943, le gouverneur général Alonso Alonso échoua dans son projet de devenir roi des Bubi après avoir épousé une princesse de cette ethnie, projet qui provoqua une [PAGE 49] forte résistance que les autorités espagnoles durent réprimer par la force, tout en destituant Alonso.

Les Bubi ont peu participé aux premiers mouvements de lutte politique pour l'indépendance. Dès 1960 pourtant, certains se sont joints aux appels adressés aux Nations Unies. Durant l'Autonomie, sur les huit membres du Consejo de Gobierno, quatre étaient Bubi. En prévision de l'indépendance, les Bubi créèrent l'Unión Bubi qui, lors de la Conférence constitutionnelle, entra dans les vues de Carrero Blanco et œuvra pour l'indépendance séparée des deux provinces. Cette politique explique pourquoi, une fois Macias Nguema parvenu au pouvoir, nombreux furent les Bubi à payer ce choix de leur vie, même si, proportionnellement, Macias Nguema et ses neveux ont tué plus de Fang que de Bubi.

5. Créoles et autres étrangers

On ne saurait omettre la communauté créole de Fernando Poo, localisée surtout à Santa Isabel. Composée de descendants de Liberians, de Sierra Leonais, de Nigerians, d'esclaves libérés, elle constitua longtemps la haute société africaine, à l'image des créoles de Freetown et de Monrovia. Propriétaires terriens, protestants, ultérieurement tournés vers les carrières libérales et commerciales, leur importance économique n'a aucune commune mesure avec leur nombre : environ 3 500. En raison des partages, dès 1936, les grandes familles créoles éclatèrent, l'esprit d'entreprise s'émoussa, tandis que s'imposèrent les grands planteurs Bubi. Nombre de Fernandinos devinrent gérants de sociétés espagnoles.

L'Espagne colonialiste s'est fortement appuyée sur les Fernandinos, bien que ceux-ci soient restés longtemps protestants et marqués de culture anglo-saxonne. Un créole, Wilwardo Jones Niger, est devenu maire de Santa Isabel en 1960 et député aux Cortès espagnols. Simultanément, Cabrera y James dirigeait la mairie de San Fernando. A l'intention de la Conférence constitutionnelle fut mise sur pieds l'Unión démocrática fernandina. Un dissident de ce parti, Grange Molay, se fera longtemps le complice de Macias Nguema en tant que ministre de l'Agriculture, puis de l'Education, tout comme en 1975-1976 [PAGE 50] le créole J.W. Okori Dougan Kinson acceptera la fonction de ministre populaire de la Justice aux pires moments de la terreur nguemiste. Toutefois, dès 1971, certains Fernandinos n'ont pas pu échapper à la terreur de la dictature du clan de Mongomo et ont été torturés, assassinés ou contraints à l'exil.

Il faut aussi mentionner la colonie camerounaise, dispersée à travers le pays, qui compte quelque 3 000 âmes, dont nombre de commerçants Hawsa.

Quant aux Nigerians, ils représentaient en 1960 plus de la moitié de la population de Fernando Poo. La colonie nigériane était alors de 30 000 personnes qui, outre leur langue vernaculaire, parlaient essentiellement le pidgin english et se montraient rebelles à l'hispanisation. Avec la guerre du Biafra, le nombre de Nigerians s'accrut jusqu'à 70 000 en 1970; 20 000 repartirent dès 1972. Les violences nguemistes ont provoqué le départ progressif des autres, notamment en janvier 1976, grâce à une opération militaire navale et aéroportée organisée par le gouvernement de Lagos, qui permit l'évacuation de 25 000 personnes. En février 1985, le gouvernement nigérian organisa une seconde expédition de retrait de compatriotes, en réaction à une nouvelle série de violences et d'assassinats; une centaine de Nigerians purent ainsi être évacués à la barbe du dictateur Obiang Nguema.

Enfin, sur les 8 000 Espagnols vivant en Guinée Equatoriale au moment de l'indépendance, il n'en restait qu'une centaine en 1979. En 1985 ils sont à nouveau un millier. Quant aux Français, d'une vingtaine en 1979, ils constituaient en 1985 une colonie de plus de cent coopérants et hommes d'affaires. [PAGE 51]

CHAPITRE II

Le passé colonial

A. LES PREMICES

1. Du XVe au XVIIIe siècle

Voici plus de cinq cents ans, les aventuriers portugais Lopo Gonzalvez et Fernão do Po couraient le Golfe de Guinée pour le compte du commerçant Gomez da Minha. Par accord avec le roi Alphonse V, Gomez da Minha s'engageait à apporter annuellement cent lieues de côtes supplémentaires à la couronne du Portugal, en échange du droit d'y commercer. L'île qui occupe le cœur de la baie du Biafra fut baptisée d'abord Formosa, mais rapidement c'est le nom de Fernão do Po qui lui échut (comme au Mont Cameroun et à l'estuaire du Wouri), alors que Lopo Gonzalvez se trouvait immortalisé, par contraction de son nom, dans Cap Lopez, à l'extrémité occidentale du Gabon. Le Traité de Tolède (1480) entre Alphonse V et les Rois Catholiques atteste que les navigateurs espagnols allaient couramment quérir des esclaves sur les nouvelles terres portugaises du Golfe de Guinée. Voici bien entendu une façon bien européocentrique de s'exprimer au sujet de la propriété effective de ces terres. Depuis le XIIIe siècle, les Ndowe et les Fang avaient pénétré dans la région correspondant au sud du Cameroun, au Rio Muni et au nord du Gabon jusqu'à occuper les côtes. Ce sont des éléments de ces populations qui semblent [PAGE 52] avoir abouti sur Fernando Poo, en vagues successives, se superposant à des éléments néolithiques parents de ceux découverts au sud du Nigeria. A la fin du XVe siècle, l'île est décrite comme fortement peuplée. Sur le continent, les négriers portugais, espagnols, hollandais et anglais firent des Ndowe, en particulier des Benga, leurs midmen pour la chasse aux esclaves d'abord, pour la traite de troc ensuite. Les Fang, imaginant les Blancs anthropophages, se retirèrent dans leur milieu favori, la forêt. Les voyageurs du XIXe siècle – en particulier du Chaillu – croyant que l'Afrique commençait avec eux, « découvrirent » les Fang au-delà d'une limite marquée au Rio Muni par la localité de Niefang (frontière des Fang); le ralentissement de la traite des Noirs, probablement aussi la poussée des Peulh de l'Adamaoua, venaient d'inciter les Fang à reprendre le chemin de l'Ouest et du Sud, et cette nouvelle migration fut interprétée naïvement comme leur première venue dans ces parages. Le clan fang des Esangui est disséminé dans plusieurs districts du Rio Muni; la famille Esangui des Macias Nguema et Obiang Nguema s'établit à Nsangayong, près de Mongomo, à la limite du Woleu-Ntem gabonais.

Les rois du Portugal, qui s'intitulaient seigneurs de Guinée, développèrent surtout São Tome et Principe, puis s'intéressèrent de plus en plus à l'Amérique du Sud. Par les traités de San Ildefonso (1er octobre 1777) et du Pardo (24 mars 1778), ils échangèrent des territoires du Brésil méridional, occupés par les Espagnols, contre le district du Biafra. Ce dernier comprenait, outre les îles, la côte africaine entre l'embouchure du Niger et celle de l'Ogoowe (Cap Lopez). Aucun Etat européen ne protesta contre ces traités. Aux côtes de ce district correspondaient virtuellement 800 000 km2 d'arrière-pays. Trois semaines après la signature du traité du Pardo partit de Montevideo l'expédition du comte d'Argelejo en vue d'occuper les nouvelles possessions espagnoles. Les fièvres, la mort d'Argelejo (victime de la résistance des Annobonais), une mutinerie aussi ruinèrent en partie l'entreprise et les survivants rentrèrent à Montevideo sous la conduite du lieutenant Primo de Rivera. [PAGE 53]

2. Le XIXe siècle

Sous le prétexte de la lutte contre l'esclavage, la Royal Navy – après plusieurs échecs à Fernando Poo, dus à la résistance des Bubi – s'empara de l'île à l'insu de l'Espagne; en 1827 le capitaine Owen fonda Clarence City (futur Santa Isabel). Les premiers Kru amenés sur l'île firent souche pour donner les créoles Fernandinos. Fernando Poo servit de foyer de rayonnement britannique en direction du continent : en 1851, le gouverneur Beecroft autorisa de Santa Isabel la prise de Lagos. Pendant ce temps, les côtes continentales, du delta du Niger à l'Ogoowe, restèrent le territoire privilégié des négriers, progressivement remplacés par les commerçants de troc. Employés de ces sociétés, des Holt, Lynslager, Woermarin, Thörmalen, etc. se firent simultanément les agents de leur gouvernement. Dès 1827, l'Espagne envisagea de vendre ses îles à l'Angleterre; elle dut toutefois y renoncer en 1841 à cause de l'hostilité de son opinion publique. Mais elle n'intervint officiellement dans la région qu'en 1843. Son envoyé, le commandant Lerena, proclama la souveraineté espagnole sur Fernando Poo, tout en confirmant le métis britannique Beecroft gouverneur. Clarence City devint Santa Isabel. Puis Lerena se porta sur le continent : à Corisco (face à l'estuaire du Muni), en compagnie du roi Benga Bonkoro Ier, il obtint l'allégeance à l'Espagne de quelque 500 chefs locaux, dont ceux des îles Corisco et Elobey. Lerena conféra la nationalité espagnole aux divers peuples Ndowe (Kombe, Bapuku, Enviko, Balenke, Benga). Le littoral, de la vallée du Rio Benito au Cap Santa Clara (au nord-ouest du Gabon, 160 km au nord du Cap Lopez) fut confirmé ainsi comme espagnol. Le 19 mars, à Annobon, les autochtones acceptèrent eux aussi la souveraineté espagnole. En 1845, Guillemar de Aragón, consul d'Espagne au Sierra Leone, fut envoyé en représentation auprès des autorités françaises établies sur la rive de l'estuaire du Gabon (là où naîtra Libreville), pour leur signifier l'étendue des possessions espagnoles; l'Espagne accepta de considérer le Cap Santa Clara comme limite méridionale de son domaine. [PAGE 54]

C'est le 23 mai 1858 que Carlos Chacón, premier gouverneur espagnol, prend possession de la colonie et hispanise la toponymie : l'anglophone River Danger devient Rio Muni. Entre 1860 et 1875, durant plusieurs expéditions, le commissaire spécial Pellón y Rodriguez définit l'étendue exacte des territoires continentaux sous juridiction espagnole :

1. Du Rio Campo (Ntem) au Cap Santa Clara.
2. Entre Rios Munda et Ogoowe.
3. Pointe Malimba, à l'embouchure du Rio Camaroes (Wouri).
4. Rive gauche du Rio Bimbia (en fait toute la baie du Wouri).
5. Rive gauche du Bonny River, dans la baie du Biafra, près de New Calabar.
6. Zone entre Old Calabar et Cross River.
7. Cap Formosa, sur la rive gauche de l'embouchure du bras du Niger appelé Nun et Akasa (partie orientale du delta).

Etrangement, les douze volumes des commentaires de Pellón ont disparu de la section coloniale du ministère d'Etat espagnol, et les conseils de Pellón d'occupation immédiate de ces terres par l'Espagne restèrent lettre morte. La passivité du gouvernement espagnol fut cause du développement de Fernando Poo et de l'occupation très ponctuelle des possessions continentales, principalement par des factoreries catalanes et baléares et quelques maigres détachements de la Garde maritime. C'est ce qui explique la facile infiltration des puissances européennes : entre 1883 et 1885 l'Allemagne envisage l'achat de Fernando Poo, tente vainement l'occupation d'Annobon mais Nachtigal hisse le drapeau impérial de Douala à Kribi; le Royaume Uni s'étend dans le delta du Niger; la France qui, dès 1842, reçut en prêt de l'Espagne la région de Libreville afin d'y assurer la police anti-esclavagiste en Basse-Guinée, corrige dès 1845 (traité de Londres) sa politique des points d'appui et s'étale le long des côtes des possessions espagnoles, avec factoreries, détachements de Sénégalais et navires océanographiques.

Jusqu'en 1856, c'est l'évêque de São Tome qui exerça la juridiction sur la Guinée espagnole, grâce à une cédule [PAGE 55] consistoriale de 1533. Puis l'autorité fat assurée par la Préfecture apostolique espagnole, établie à Santa Isabel, malgré les objections du Vicariat français des Deux-Guinées (Gabon) entre 1885 et 1903. La Conférence de Berlin (1884-1885) reconnut à l'Espagne un territoire de 180 000 km2; la France contestant la présence espagnole, l'arbitrage du Danemark fut demandé en 1892. Toutefois les problèmes impériaux de l'Espagne empêchèrent la conclusion d'un arrangement. Au traité de Paris (1900), la France ne laissa à l'Espagne affaiblie par ses déboires à Cuba et aux Philippines qu'une colonie de 28 051 km2 (Rio Muni 26 000 km2 avec les îles Corisco, Elobey Grande et Petite, Mbañe, Leval, Conga, Cocotiers, Fernando Poo et Annobon faisant le solde). C'est donc à la charnière entre le XIXe et le XXe siècle que s'est constituée l'unité politique de la Guinée Equatoriale dans ses limites actuelles. Mais l'Espagne n'occupa l'intérieur du Rio Muni qu'en 1926, sous la dictature du général Primo de Rivera (arrière-petit-fils du successeur d'Argelejo), en raison des résistances Fang.

Un décret royal de 1904 qualifie la Guinée espagnole de « territoire d'exploitation coloniale ». Le même décret créait un Patronato de indigenas qui venait « en appui de l'action missionnaire », et que présidait le vicaire apostolique. Ce pouvoir de tutelle civil s'occupait autant de problèmes de main-d'œuvre pour les plantations que de développer la culture, le sens moral, le bien-être des indigènes dont il convenait de renforcer l'adhésion à l'Espagne; le Patronato était fondé sur l'idée que l'indigène est un mineur, d'une capacité mentale inférieure à celle de l'Européen, qu'il devait être protégé et donc représenté en justice par un organisme officiel. Dans la colonie depuis 1883, les missionnaires Fils du cœur immaculé de Marie (Clarétins) détenaient le monopole scolaire et constituaient avec les officiers de la Garde maritime l'armature du système, au même titre que dans les colonies françaises les Pères du cœur immaculé de Marie, d'Amiens, étaient subventionnés par le ministère français de la Marine.

Après l'avènement du pouvoir franquiste, la colonie passa rapidement d'une administration républicaine à un encadrement fasciste. La dictature de Primo de Rivera, [PAGE 56] puis dix ans plus tard celle de Franco allaient, durant les quarante années précédant l'indépendance de la Guinée Equatoriale, servir de modèles de gouvernement à une population africaine prisonnière d'un paternalisme jalousement hispano-centré. Pourtant, l'Espagne ne considéra jamais sa colonie que comme une possession de second plan. Sa politique coloniale fluctua au gré des courants contradictoires imprimés par divers groupes de pression : chefs militaires et religieux, représentants d'associations professionnelles (Chambres agricoles, Syndicats verticaux, Administration centrale pour les Territoires d'Outre-Mer, Mouvement national, etc.). Mais parmi ces intérêts, ceux de la présidence du gouvernement ou du conseil des ministres ont toujours prédominé dans la manipulation de la colonie, et même après.

Du point de vue de son administration, la Guinée Equatoriale a été placée successivement sous la tutelle du ministère d'Outre-Mer, jusqu'en 1899, date de sa suppression, puis sous celle du ministère d'Etat, jusqu'en 1925, enfin, sous celle de la Dirección general de Marruecos y colonias. Après l'Infanterie de marine, c'est la Garde coloniale qui a été chargée du maintien de l'ordre dans la colonie, les administrateurs territoriaux devant obligatoirement relever de ces deux corps. Plusieurs réorganisations territoriales ont été opérées. A l'indépendance, en 1968, les Territoires espagnols du Golfe de Guinée étaient divisés en deux provinces espagnoles Fernando Poo (avec Annobon), Rio Muni (avec Corisco Elobeyes, Mbañe, Conga, Cocotiers), sous l'autorité de la plus récente Dirección general de plazas y provincias africanas. Outre quelque 200 municipalités, siégeaient aussi deux assemblées provinciales. La division administrative espagnole a été pratiquement maintenue après l'indépendance, mais s'est progressivement décomposée.

Parmi les concepts de base de la politique coloniale espagnole, trois sont à souligner : la constante historique qui s'appuie sur les traités hispano-portugais, le lien géo-politique (Eurafrique = unité géo-historique), le colonialisme enfin qui, vu sous l'angle développement, apparaissait comme le meilleur remède contre la subversion communiste. La liaison Etat-Église renforçait les actions réciproques alors que l'hispanisation – essentielle [PAGE 57] à l'ensemble de ces objectifs coloniaux – facilitait l'assimilation progressive. En réalité cette politique devint un véritable ethnocide par la liquidation d'une série de cultures négro-africaines; encore qu'au début de la provincialisation et de la fin de l'indigénat, en 1959, on ne comptait que quelque 200 émancipés. Les normes juridiques d'avant et d'après 1900 visaient, pour des raisons principalement économiques, à différencier le traitement des Espagnols et des non-Espagnols, et cette volonté subsista en filigrane jusqu'en 1968. Mais surtout, à travers l'histoire de la Guinée espagnole apparaît l'ignorance par les autorités et par le peuple espagnol de la valeur et de la personnalité propre des Territoires du Golfe de Guinée : après l'engouement pour la colonie de Cuba, dès 1898 on préféra le Maroc à la Guinée. La liste des 99 gouverneurs généraux responsables de la colonie entre 1858 et 1968 est significative.

B. LES MISSIONS

a. Missions protestantes

Avec l'expédition Owen (1827) arrivèrent des pasteurs baptistes qui ouvrirent la première église protestante à Clarence City. En 1840, certains missionnaires baptistes, principalement originaires des Caraïbes, explorèrent Fernando Poo. Les Espagnols prirent l'île en main dès le milieu du XIXe siècle, chassant les Baptistes – dont notamment l'Anglais Albert Saker – qui s'installèrent en face, au Cameroun. En 1850, l'Américain J.L. Mackey fonda à Corisco une mission presbytérienne, laissant la première étude sur les Benga. Dès 1860, les Presbytériens s'étendirent vers Cap San Juan, Rio Benito et Bata. En fait, ils convertirent peu de monde : en 1890, on dénombrait 1 090 fidèles, dans neuf centres, dont 119 à Bata, 230 à Rio Benito, la plupart des autres se trouvant dans l'actuel territoire gabonais. En 1875, l'Eglise presbytérienne de Corisco fut confiée au pasteur équato-guinéen J. Ikenge Ibia, formé aux Etats-Unis, mais qui sera exilé à Fernando Poo sous la pression des missionnaires catholiques [PAGE 58] espagnols, dans le cadre de l'hispanisation de la colonie.

A Fernando Poo, la Primitive Methodist Mission put se fixer à George's Bay, près de Santa Isabel où, en 1875, elle installa la première imprimerie du pays (alors que les catholiques n'apporteront la leur qu'en 1899). En 1858, au moment de l'arrivée du gouverneur Chacón et du départ des Baptistes, il y avait six missionnaires à Fernando Poo; parmi les 269 autochtones de Santa Isabel, on comptait alors 20 catholiques et 192 protestants. En 1869, on dénombrait 282 catholiques et 345 protestants. Les bâtiments rachetés par les Espagnols aux Baptistes étaient entre temps devenus un pénitencier pour prisonniers politiques cubains et espagnols.

Le district ecclésiastique presbytérien de Corisco, créé en 1900, a été rattaché au synode du New Jersey (Etats-Unis), mais peu après, la station missionnaire de Corisco fut abandonnée au bénéfice de Rio Benito et de missions en territoire camerounais (notamment Lolodorf). En 1936, les églises presbytériennes du Rio Muni furent d'ailleurs rattachées au synode du Cameroun, mais après l'indépendance de ce pays, en 1960, le presbytère de Guinée espagnole revint au sein du synode du New Jersey. A l'indépendance, en 1968, il y avait quatorze églises presbytériennes organisées à l'intérieur du Rio Muni et cinquante temples, avec deux missionnaires américains, cinq pasteurs et cinquante évangélistes africains. Plusieurs Equato-Guinéens étudiaient au Dager Seminar (U.S.A.). La communauté presbytérienne comptait quelque 2 500 fidèles. L'Eglise presbytérienne a souvent travaillé de concert avec les Missions de Bâle.

Quant à Fernando Poo, en 1919 on y comptait quatre missionnaires protestants blancs, pour quelque 1 000 fidèles. Vers 1930, l'école protestante de Santa Isabel, avec instituteurs protestants, n'avait plus guère d'importance face à l'enseignement espagnol essentiellement confié aux Clarétins et aux Pères blancs. En 1945, l'aumônerie baptiste anglaise de Santa Isabel fut autorisée à ouvrir une école pour les ressortissants britanniques, principalement nigérians. C'était la seule école étrangère du pays, d'ailleurs en partie subventionnée par le gouvernement du Nigeria. Elle continua ses activités même après l'indépendance, [PAGE 59] mais à la création du ghetto présidentiel, elle fut contrainte d'abandonner ses bâtiments; suite au départ des Nigerians, en 1976, elle ferma ses portes.

C'est à Banapa, dans la banlieue de Santa Isabel, que s'ouvrit en 1861 une école missionnaire catholique; après l'arrivée des Clarétins, elle devint le grand séminaire de Nuestra Señora del Pilar (du nom d'une donatrice), en 1912. Ce séminaire comptait généralement une trentaine d'étudiants. En 1884 commença à y fonctionner la première école professionnelle du pays, ainsi qu'une ferme expérimentale. Dès 1886, Banapa disposait d'un atelier de fabrication de cigares avec du personnel cubain; en 1887, il y avait déjà 40 ha de plantations et 127 ouvriers kru. En 1894 fut implanté à côté de Banapa le premier village fang de Fernando Poo, San José de Banapa, avec la quarantaine de manœuvres embarqués à Elobey par le Clarétin Bolados. C'est l'imprimerie de Banapa, installée en 1903, qui servira à réaliser la revue La Guinea española – qui paraîtra jusqu'en 1969 – et le Boletín oficial de la colonie. Banapa est situé sur l'ancienne ligne de chemin de fer reliant Santa Isabel à Basupo del Oeste.

La plupart des prêtres catholiques équato-guinéens sont issus du séminaire de Banapa, tel J.M. Sialo, premier curé du pays, dès 1923, ou encore Mgr Nze Abuy, évêque du Rio Muni, dès 1966, mais contraint à l'exil. Parmi ces prêtres, nombre de victimes de la terreur nguemiste, tels les pères I. Obama, L. Ondo Mayie, J. Esono. Il faut aussi mentionner deux ex-séminaristes de Banapa, le Fang Ndongo Miyone (cousin de Nze Abuy), devenu ministre des Affaires étrangères, le Bubi Gori Molubuela, président de l'Assemblée provinciale de Fernando Poo, grands nationalistes, qui quittèrent Banapa en 1952 en protestation contre des conditions d'études « colonialistes », et qui furent tous deux assassinés en 1969.

En 1951, une loi avait interdit les activités des presbytériens, mais ceux-ci passèrent outre. Parmi les pasteurs équato-guinéens, on peut signaler Gustavo Emvelo et Pablo Mba Nchama. Ce dernier, devenu en 1960 secrétaire général de l'Eglise évangélique de Guinée Equatoriale, fut nommé à l'indépendance au Consejo de la República (Sénat). Avec l'aggravation des agissements hostiles aux Eglises de la part du gouvernement Macias Nguema, [PAGE 60] il dut se réfugier au Cameroun, en 1975, après que les chapelles et églises aient été confisquées et transformées en entrepôts ou en dépôts d'armes. Suite à la destitution de Macias Nguema, la junte nguemiste décida la réouverture des lieux de culte, espérant par ce moyen se donner une teinte libérale. Les autres libertés fondamentales restaient muselées, ce qui valut aux militaires nguemistes un appel de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies en 1981, répété les années ultérieures.

b. Missions catholiques

Une cédule consistoriale du 31 janvier 1533 créa le diocèse de São Tome, et une bulle du pape Paul II, du 3 novembre 1534, conféra à cet évêché la juridiction sur Fernando Poo.

En mai 1856 arrivèrent les premiers prêtres espagnols, accompagnés de sœurs et de catéchistes. Ils distribuèrent force médailles, même aux Baptistes. Simultanément, ils fondèrent la préfecture apostolique de Fernando Poo et ouvrirent une école. Martinez y Sanz, préfet apostolique, ouvrit également une école à Corisco. C'est lui qui fit venir du Sierra Leone des Noirs américains libérés, dont sont issus en partie les Fernandinos (King, Jones, Dougan, Atkins, etc.). Mais les endémies contraignirent les premiers prêtres espagnols à regagner leur pays dès 1857. En 1858 fut fondé le premier établissement missionnaire des Jésuites. Le décret royal du 16 juin 1857 leur demandait de se consacrer principalement à combattre les protestants. L'Etat leur alloua un budget annuel de 6 000 pesos. En 1868, la révolution espagnole les contraignit au retour en Espagne : en treize ans, les Jésuites avaient envoyé trente-six missionnaires, dont dix-sept moururent sur place. Après leur départ, les missions passèrent aux mains d'aumôniers militaires. Dès 1883, ce sont les missionnaires Fils du cœur immaculé de Marie (Clarétins) qui prennent en mains le développement culturel des possessions espagnoles du Golfe de Guinée. Conduits par le père C. Ramirez, ils fondèrent de nombreuses écoles dès 1884, et grâce aux subsides officiels furent à même de s'attaquer à la conversion des masses. Entre 1883 et 1884, les Clarétins arrivèrent au nombre de plus de cent. En 1888, ils furent chargés officiellement de [PAGE 61] l'enseignement dans toute la colonie. En 1901, le budget de l'Etat espagnol leur alloua un total de 100 000 pesetas, dont 40 000 pour les écoles, 26 000 pour le personnel, etc.

De 1885 à 1903 eut lieu une longue dispute entre l'Eglise catholique de Fernando Poo et celle du Gabon : le Vicariat des Deux Guinées (Gabon) déniait aux Espagnols le droit de s'occuper du Rio Muni. En 1903, le Saint-Siège trancha en faveur de la Préfecture espagnole, se fondant sur le Traité de Paris de 1900, qui attribuait le Rio Muni et les îles à l'Espagne. Dès 1904, par décret du 25 avril, la Sacrée Congrégation de Propagation de la foi éleva la Préfecture apostolique de Fernando Poo au rang de Vicariat apostolique, le Père Armengol étant consacré évêque, poste qu'il occupa jusqu'en 1918. Dès 1904, il présida le Patronato de indigenas, principal instrument de la politique indigène espagnole, fondé sur le prétendu manque de capacité mentale des indigènes.

Les sœurs Conceptionnistes (Religieuses de l'Immaculée Conception, ordre fondé en 1850, à Barcelone), possédaient en Guinée Equatoriale douze établissements : six écoles, quatre hôpitaux, deux orphelinats. Arrivées en 1885, elles s'installèrent à Basilé, prenant pied à Corisco en 1887. En 1900, elles se chargèrent de l'hôpital de Concepción, et en 1906 du nouvel hôpital de Santa Isabel. Lors de l'épidémie de tripanosomiase de 1915, le gouverneur général Barrera fit installer les malades à Playa Carboneras, sous la surveillance des Conceptionnistes. En 1941, elles prirent aussi la charge de l'orphelinat du Patronato de indigenas, à Concepción.

Afin d'être secondées dans leurs tâches, les sœurs Conceptionnistes faisaient appel à des élèves de leur collège-internat de Basilé. Parmi celles-ci, la Bubi Imelda Makole fut la première, en 1909, à faire la profession de foi dans la toute récente Association des religieuses indígènes auxiliaires des missionnaires. Mais les vocations étaient rares : cinq religieuses guinéennes seulement en 1918. Dès 1929, on en envoya à Nkué, et en 1931 à Evinayong, le Rio Muni venant à peine d'être ouvert par la dictature de Primo de Rivera et le gouverneur général Nuñez de Prado. L'Association des religieuses indigènes devint ultérieurement la Pia unión de religiosas indígenas Oblatas de María immaculada y San José, puis Instituto [PAGE 62] de derecho diocesano de religiosas Oblatas misioneras de María inmaculada (avec suppression de indigenas, indigènes, et adjonction de misioneras). Dès 1959, les Oblates assumèrent la responsabilité du collège-internat d'Evinayong. La même année, elles commencèrent à Concepción la formation de juniores Oblates. Au moment de l'indépendance, la première supérieure générale de l'institut des Oblates était Catalina Silo. On comptait alors soixante-cinq religieuses, quatre novices, quatre postulantes. Le siège du gouvernement des Oblates se trouvait à Nkuefulan, mais les désordres engendrés par le régime des Nguema ont tari les vocations, amené la fermeture de Nkuefulan, les sœurs Oblates se repliant sur Bata et Santa Isabel où nombre d'entre elles ont été terrorisées, voire assassinées.

La cathédrale de Santa Isabel, qui a succédé à des édifices provisoires, en bois, a été ouverte au culte en janvier 1916. Des 92 000 pesetas de coût de construction, 25 000 ont été versés par le gouvernement espagnol, et 25 000 par le latifundiste marquis de Comillas (esp. comillas = défenses d'éléphant), soit Claudio Lopez y Bru, président-propriétaire de la société Trasatlantica (un des trente-deux grands d'Espagne, sixième latifundaire du royaume, avec 23 720 ha dans la péninsule). Dès 1928, les missionnaires catholiques purent se faire octroyer par la Dirección general de Marruecos y colonias 10 ha de concessions gratuits, dans chaque localité. En 1930 arriva le Clarétin F. Gomez Marijuan qui, après avoir fondé l'école de catéchistes d'Evinayong et assumé diverses responsabilités à Santa Isabel, fut nommé évêque de Fernando Poo en 1958. Il fut le dernier prélat blanc de l'île, expulsé par le régime nguemiste en 1970.

En 1959, au moment de la provincialisation, le vicariat apostolique de Fernando Poo administrait cinquante-huit prêtres, dont dix Africains; simultanément, il y avait dix-neuf paroisses et vingt-huit communautés religieuses, deux cathédrales, quatre séminaires, trois cent quinze chapelles et seize stations missionnaires. La densité de religieux catholiques en Guinée espagnole était la plus élevée d'Afrique : en 1962, il y avait soixante et un prêtres, dont quinze Africains, dix-sept frères, vingt-trois paroisses, trois cent vingt-deux chapelles et sanctuaires, dix-sept [PAGE 63] stations missionnaires, vingt écoles religieuses, un dispensaire, un orphelinat, dirigés par le clergé espagnol. Le nombre de catholiques se serait monté alors à 200 000.

C. L'ENSEIGNEMENT

Nous évoquerons ici l'enseignement de type scolaire, et non pas l'éducation traditionnelle.

Après les quelques écoles mises en place dans la première moitié du XIXe siècle par les Baptistes anglais, puis les essais des Jésuites, suivis des Primitive Methodists et des Presbytériens, ce n'est qu'avec les Clarétins que le pays commença, à partir de 1884, à véritablement se couvrir d'un réseau scolaire cohérent. Bien sûr, les missionnaires Fils du cœur immaculé de Marie étaient, tout comme leurs collègues français, les pères du Saint-Esprit et du cœur immaculé de Marie, les instruments du pouvoir politique et des intérêts colonialistes. Grâce à la loi budgétaire de 1902, le réseau scolaire put encore s'étendre, tant à Fernando Poo que sur les côtes et les îles du Rio Muni. Dès 1914, Santa Isabel reçut une école secondaire; elle comptait en 1920 600 élèves, dont 26 Européens.

Bien qu'obligatoire pour tous les enfants de cinq à quinze ans, l'enseignement primaire ne disposait en 1941 encore que de 111 maîtres auxiliaires. Dès 1935 fonctionnait pourtant à Santa Isabel un Instituto colonial indigena, chargé de la formation d'instituteurs auxiliaires (en six mois) et d'auxiliaires administratifs. Cette école, qui pratiqua longtemps un enseignement au rabais, devint ultérieurement Escuela superior indigena, puis Escuela superior provincial. Nombre de cadres de Guinée Equatoriale sont issus de cet établissement.

L'enseignement moyen de type espagnol débuta en 1942 avec l'Instituto Cardenal Cisneros (lycée) de Santa Isabel (aujourd'hui Rey Malabo). Depuis 1945, il abrite une Bibliothèque publique qui, à l'indépendance, comptait quelque 12 000 volumes; depuis lors elle est passée au rang de Bibliothèque nationale. [PAGE 64]

De 1944 à 1955, l'inspectorat général de l'enseignement et la direction de l'Escuela colonial indigena revinrent, à Heriberto Alvarez Garcia. C'est grâce à lui que la formation des instituteurs et des auxiliaires administratifs et commerciaux fut élevée au niveau d'un baccalauréat élémentaire. C'est aussi le projet Alvarez Garcia, approuvé par le gouverneur général Bonelli Rubio, d'amélioration des conditions salariales des enseignants africains, qui devint l'étincelle des revendications d'indépendance des Equato-Guinéens, après qu'il ait été refusé par les autorités de Madrid.

Le système scolaire de Guinée espagnole fut réglé pour la première fois d'une façon globale par le statut de l'enseignement d'août 1943, fixant les secteurs suivants : enseignement élémentaire ou préparatoire, enseignement primaire, moyen, secondaire, supérieur, technique, cours complémentaires pour adultes non scolarisés. De 13 900 élèves dans l'enseignement primaire et élémentaire en 1950-1951, au moment de l'indépendance on était passé à 48 000, avec un des taux de scolarisation les plus élevés d'Afrique, surtout après que la thèse de moindre intelligence de l'Africain eut été abandonnée en 1959. Mais simultanément on accrut les efforts d'unité culturelle avec la métropole. Le 90 % d'enfants scolarisés ne doit toutefois pas faire illusion : d'une part, très peu d'entre eux dépassaient le stade de l'école élémentaire, d'autre part, les quelque 480 moniteurs étaient pour la plupart sous-qualifiés. Moins de la moitié des élèves parvenait au certificat d'études (quatre années primaires). Les vingt-cinq écoles primaires supérieures (douze-quatorze ans) comptaient quelque 2 500 élèves, dont 250 Européens; 22 % obtenaient des résultats suffisants.

En 1958 fut ouverte à Bata, sous la conduite des frères de la Salle (frères de la doctrine chrétienne) une Ecole des arts et des métiers, parallèlement à celle de Santa Isabel. 1963 verra l'ouverture de l'Ecole normale d'instituteurs, à Bata encore, qui recevra les étudiants issus du baccalauréat élémentaire et en particulier de l'Escuela superior provincial de Santa Isabel. En pleine décadence après l'indépendance, confiée alors au nguemiste Ndongo Asangono (représentant de la jeunesse et des sports au Comité central du P.U.N.T.), cette Ecole normale n'a plus [PAGE 65] formé personne depuis 1976. En 1968, le ministre de l'Education José Nsué Angüe Osa (assassiné en 1976) avait fixé à 1 200 les besoins en instituteurs du pays.

D. SANTE

Vers 1834-1835, des commerçants des Baléares installèrent à Corisco un hôpital pour soigner les marins frappés par les fièvres. En 1858, le gouverneur Chacón amena avec lui un médecin ainsi qu'un hôpital préfabriqué métallique. Bien qu'un service sanitaire civil fut créé à Fernando Poo en 1868, il fallut attendre 1888 pour qu'entre en activité un conseil sanitaire chargé d'organiser ce secteur. Au début du XXe siècle, la mortalité à Fernando Poo était telle que l'île était qualifiée d'« antichambre de la mort » : alors que la moyenne espagnole était en 1910 de 26 pour mille de décès, la mortalité des Européens en Guinée espagnole se montait à 54 pour mille, en dépit de l'âge moyen très jeune des colons. Ce n'est qu'en 1909 que s'ouvrit à Santa Isabel le premier laboratoire d'hygiène. En 1928 le Patronato de indigenas institua un passeport sanitaire et poussa la construction d'hôpitaux. Au moment de l'indépendance, les villes suivantes disposaient d'hôpitaux comptant entre 100 et 345 lits : Santa Isabel, Bata, Mikomeseng, San Carlos, Kogo, Evinayong, Ebebiyin et Mongomo. Le rapport lits/habitants montre alors que la Guinée Equatoriale est en avance sur les pays voisins, de même que pour le rapport médecin/habitants 1 lit/ 315 habitants. Mais ces données ne disent pas tout dans les zones frontalières, la population équato-guinéenne préférait aller se faire soigner au Cameroun.

Le règlement sanitaire de 1904 rendait obligatoire la déclaration des lépreux et leur isolement. Après l'occupation effective du Rio Muni, une léproserie fut ouverte à Mikomeseng. Grâce à des médicaments locaux (notamment de l'huile de Coloncoba Welwitschi Gilg.) et aux sulfamides, l'endémie lépreuse put être enrayée dès 1948 avec seulement 3 000 patients en 1955. En raison des désordres d'après indépendance, la maladie reprit tout comme le pian (syphilis tropicale). [PAGE 66]

E. L'ECONOMIE COLONIALE

1. Cultures indigènes

Les principales cultures indigènes sont le manioc pour les Fang et les Ndowe, l'igname pour les Pygmées et les Bubi, ainsi que le palmier à huile pour tout le monde. Depuis des temps immémoriaux, Fernando Poo surtout est connue pour ses ignames. Au XIXe siècle, l'île ravitaillait les navires croisant dans le Golfe du Biafra; même les Français du Gabon en envoyaient chercher. Mais depuis le développement des cacaoyères et caféières, le gros des ignames consommés à Fernando Poo est importé du Nigeria.

Les Fang consomment le manioc principalement sous forme séchée, la farine obtenue permettant la confection d'une purée épaisse qui se mange avec quelque assaisonnement. Au Rio Muni, le fort développement des plantations indigènes de cacao et de café, depuis 1930, a rendu nécessaire la production intensive de manioc. C'est l'Espagnol I. Gorbena qui se lança dans cette activité, à Akurenam. En 1950, la Guinée Equatoriale exportait même du manioc (19 000 t), notamment pour la fabrication de tapioca. Depuis lors, la production industrielle a pratiquement cessé.

Si Fang et Ndowe propagèrent le palmier à huile, ce sont les Portugais qui apportèrent la canne à sucre et le cocotier, dès le XVIe siècle. Vers 1840-1850, les Baptistes introduisirent l'arbre à pain, le manguier, l'avocatier, les Liberians apportant le riz ; mais ces plantes n'ont pas été l'objet de grandes cultures.

2. Cacao et café

Le cacao et le café sont arrivés à Fernando Poo via São Tome. Entre le XVIe et la fin du XVIIIe siècle, c'est surtout la canne à sucre qui a été plantée par les colons, principalement portugais, en particulier par Ramos de Esquivel, à Concepción. Vers 1850, un Fernandino d'origine [PAGE 67] antillo-liberienne amorça les premières plantations de cacaoyers sur Fernando Poo. En 1854, on importa officiellement des cabosses depuis São Tome où on exploite les cacaoyers depuis 1822. De Fernando Poo, le cacao essaima vers le Nigeria et le Ghana. En 1885, il y avait déjà d'importantes plantations dans la partie nord de l'île de Fernando Poo, ainsi que dans la région de San Carlos, propriétés d'Espagnols et de créoles. Avec l'accroissement de la demande mondiale, à la fin du XIXe siècle, l'Espagne encouragea ce potentiel. On incita les Bubi à échanger leurs bonnes terres contre d'autres, en vue de la création de plantations par les casas fuertes (grandes sociétés), souvent contre versement d'une petite pension annuelle ou la promesse d'une bourse d'études pour leurs fils. Sous le gouverneur général Barrera, les Fernandinos prospérèrent, utilisant de la main-d'œuvre importée surtout du Liberia. De 1910 à 1925, la production de Fernando Poo passa de 2 445 t à 5 965 t (alors que São Tome, pour une superficie moitié moindre, produisait en 1917 25 000 t); dès 1930 commencent les plantations africaines le long de la route Bata-Ebebiyin, au Rio Muni. En 1945, le territoire continental produisit 1 346 t de cacao; celui de Fernando Poo était toutefois meilleur en raison de méthodes de séchage plus rationnelles. Partout, la production par unité de surface restait faible : 250 kg/ ha au Rio Muni, 750 kg/ha à Fernando Poo.

C'est en 1800 que des plants de caféiers parviennent à Fernando Poo, en provenance de São Tome. Mais la production commerciale ne débuta qu'en 1890, en raison du frein des fortes taxes à l'importation en Espagne. Dès le retour au Rio Muni de nombreux ouvriers Fang, vers 1930, ce territoire devint pays du café. Après 2 451 t en 1939, la colonie passa à 9 429 t en 1960, dont 7 740 t pour le Rio Muni. La production par ha ne dépassait pourtant guère les 500 kg. Les prix protectionnistes payés alors par l'Espagne favorisèrent une contrebande depuis le Cameroun et le Gabon voisins, également pour le cacao.

3. Autres cultures spéculatives

Le palmier à huile (elaeis), originaire du Golfe de Guinée, présente l'avantage de s'adapter pratiquement à tous [PAGE 68] les sols. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, toute la production de la colonie venait de plantations indigènes. L'huile de palme était une des marchandises les plus recherchées par les navires européens, au XIXe siècle, avec l'okoumé et les esclaves. Dès 1917, l'Allemand Krohnert, transfuge du Cameroun, commença une plantation commerciale près de Mikomeseng. Avec l'introduction dans la colonie de presses mécaniques et l'adoption de variétés sélectionnées en Extrême-Orient, de grandes sociétés mirent en place des plantations importantes. A la veille de l'indépendance, la palmeraie occupait 8 200 ha, dont 7 000 au Rio Muni, 4 500 appartenant à des casas fuertes, le reste étant détenu par les coopératives et les villages. La plus grande plantation est celle de la Socogui, au Cap San Juan, avec 1 678 ha.

Le tabac a été introduit semble-t-il par les Portugais dans la seconde moitié du XVIe siècle, mais ce sont des Cubains, vers 1866, qui organisèrent les premières plantations commerciales. En 1878, le tabac de Fernando Poo fut primé lors de l'exposition d'Amsterdam; l'Espagne ne favorisa toutefois jamais les plantations du Golfe de Guinée, afin de ne pas concurrencer celles de Cuba.

C'est en 1865 que des essais de production de caoutchouc dans une petite plantation expérimentale de Fernando Poo furent entrepris, avec des hévéas et du ficus elastica importés de São Tome. Mais jusqu'à la fin du XIXe siècle, le caoutchouc exporté par la colonie était produit par des lianes sauvages, au Rio Muni, et recueilli par les indigènes. La seule plantation d'hévéa du pays se situe au sud de Bata et couvre 412 ha.

En 1926, Bravo Carbonell recommanda le développement de plantations de bananiers sur Fernando Poo, projet vertement critiqué par les planteurs des Canaries. Ce n'est qu'en 1953 que l'île put commencer l'exportation de bananes, principalement hors du marché espagnol, avec 13 903 t en 1960, en particulier vers le Royaume Uni, l'Allemagne fédérale et la Suède. Mais les fortes protestations des Canaries et la chèrté de la lutte phytosanitaire provoquèrent un brusque déclin d'une production qui avait eu pour avantage de briser la monoculture cacaoyère de Fernando Poo. Les autochtones, davantage que la banane douce, font appel surtout à la [PAGE 69] banane plantain pour leur alimentation, la consommant le plus souvent bouillie.

Les cocotiers sont abondants dans les zones côtières, en particulier aux abords du Cap San Juan. il n'y a toutefois que quelques plantations villageoises; les exportations portaient sur des noix fraîches pelées destinées au marché espagnol (environ 500 t/an).

Hormis une plantation de 25 ha de canne à sucre, près de Santa Isabel (desservant une distillerie aujourd'hui fermée), la canne à sucre ne représente qu'un appoint domestique pour les autochtones. Quant aux cultures de soja, tentées expérimentalement dès 1943, elles ont fourni de bons rendements mais ont échoué devant les habitudes alimentaires locales qui donnent la préférence à l'arachide.

Côté textiles, des essais de coton ont été tentés vers 1865 par les Espagnols, et repris par les Chinois dès 1971. Ce fut chaque fois l'échec. Le prétendu coton d'Annobon, qui servait à produire des toiles pour le marché de São Tome, aux siècles écoulés, était en fait du kapok. Quant à l'abaca, ce chanvre arborescent, il a été développé durant la Seconde Guerre mondiale aux fins de production de cordages, sur quelque 200 ha, à Fernando Poo. En 1962 l'île produisait 870 t, élaborées dans deux usines.

Citons pêle-mêle les essais de culture de théiers (importés du Cameroun), mais qui exigent trop de main-d'œuvre; les quelques parcelles plantées de girofliers à Evinayong, de vanillier à Basilé, sans importance commerciale; et enfin les quelques ilang-ilang qui ont permis au début du XXe siècle d'obtenir une centaine de kilos de fleurs pour la fabrication d'essence parfumée. Quant au copal, ramassé jadis au Rio Muni, son exportation a cessé depuis des décennies.

4. Les sociétés, organismes et coopératives agricoles

La plupart des casas fuertes que comptait le pays à l'indépendance sont nées des efforts des milieux financiers espagnols, surtout à partir du XXe siècle, alors qu'auparavant on se contentait de factoreries où s'échangeaient produits européens contre produits du ramassage indigène. [PAGE 70]

La plus importante de ces sociétés est la Compañia Nacional de colonización africana, connue sous le sigle Alena. Liée au Banco exterior de España, avec siège à Tarragone (Espagne) elle eut pour actionnaire principal le chef du gouvernement espagnol durant une partie du régime de Franco, Carrero Blanco. Alena opérait dans la colonie depuis la fin du XIXe siècle. Au Rio Muni, elle était propriétaire de plusieurs grandes concessions forestières, équipées de voies ferrées, ainsi que de nombreuses plantations gérées par des concessionnaires, dans l'arrière-pays de Bata notamment. A Fernando Poo, la compagnie possédait une plantation de café de 500 ha, et un élevage bovin de plus de 3 000 ha, à Moka, créé par Bengoa Arriola. En 1926, Alena racheta la compagnie maritime Trasatlántica, monopolisant dès lors les transports entre l'Espagne et sa colonie.

Au moment de l'indépendance de la Guinée Equatoriale, Alena avait à son compte au Banco exterior de España, à Santa Isabel, un montant de zéro peseta. Fermée en 1969, après la fuite des Espagnols, certaines de ses succursales, dont la scierie d'Etembue, près de Bata, poursuivirent tout de même leurs activités. Fin 1971, Alena cessa toute activité en Guinée Equatoriale, passant par pertes et profits 20 millions de dollars, dans l'espoir de les récupérer ultérieurement.

Liées elles aussi au Banco exterior de España ou propriété directe de Carrero Blanco, les sociétés Aggor et Inasa exploitaient : la première, 500 ha de palmiers à huile sur le Rio Mbañe, au sud du Rio Muni la seconde des plantations d'abaca et de vastes pâturages sur Fernando Poo.

Financée par le Banco español de crédito, la société Cegui possédait 322 ha de palmiers à huile, près de Concepción, sur Fernando Poo, ainsi que des plantations de caféiers et un élevage de bovins sur les hauteurs de San Carlos. A Fernando Poo encore, la société Gaesa était propriétaire d'une palmeraie de 365 ha, à Maule, ainsi que d'un élevage entre San Carlos et Concepción, sur 4 302 ha.

Sur le continent, la Socogui, installée au Cap San Juan depuis 1922, possède 1 678 ha de palmiers elaeis, avec des arbres plantés entre 1955 et 1958. A Senye, la palmeraie de la société catalane Jover compte des arbres plus [PAGE 71] jeunes, sur 216 ha. A Bolondo, la palmeraie de la société Maria Victoria s'étend sur 778 ha, également avec des arbres relativement jeunes. Mais la remise en état des huileries de ces sociétés coûterait environ 1,5 million de dollars.

Face aux grandes sociétés espagnoles, le pays comptait jusqu'en 1969 plusieurs coopératives agricoles prospères. La première coopérative a été créée en 1910 dans le village d'ouvriers fang de Fernando Poo, San José de Banapa, mais elle cessa ses activités en 1915. La coopérative de Batete, créée en 1925, échoua en raison de la crise des prix. Le Patronato de indigenas stimula la création de coopératives, dont subsistaient, après la Seconde Guerre mondiale, celles de Moka (légumes européens, volaille), Batete (cacao, elaeis), Ayene (séchage de cacao, près de Mikomeseng), Baho Chico (cacao, elaeis), etc. Ce n'est toutefois qu'après la disparition du Patronato, en 1959, que les membres jouirent de leur pleine capacité de sociétaire. Les coopératives restèrent cependant sous le contrôle de la Direction de l'agriculture et de l'Obra sindical de cooperación. En 1962, Fernando Poo recensait 30 coopératives agricoles, groupant 1 610 propriétaires bubi, alors qu'au Rio Muni, les seules quatre coopératives rassemblaient 2 622 membres. Avec le renchérissement de la main-d'œuvre étrangère, les coopératives parvinrent de plus en plus à réduire la marge qui les séparait des grandes sociétés, grâce à la main-d'œuvre exclusivement nationale. En 1968, le budget des coopératives se montait à 600 000 $ US. Peu après l'indépendance, la première dictature nguemiste, sur conseil – semble-t-il – de Garcia Trevijano, confisqua les biens des coopératives pour financer la création de l'institution d'import-export Infoge.

Parmi les divers organismes responsables de l'agriculture, il faut mentionner :

La Chambre officielle d'agriculture, fondée à Santa Isabel en 1906, qui, avec celle du Rio Muni née durant les années 1930, visait à défendre les producteurs contre les spéculations du marché international et espagnol. C'est la Chambre de Santa Isabel qui négocia avec le Liberia la fourniture de main-d'œuvre agricole. Ce sont les Chambres d'agriculture qui créèrent en Espagne un organisme comme Proguinea, chargé d'imposer le café [PAGE 72] guinéen. Les Chambres furent évidemment associées aux préparatifs de l'autonomie, puis de l'indépendance; même après cette dernière, l'exportation du bois, du cacao et du café dut encore un certain temps continuer à emprunter le canal des Chambres.

Côté administratif, la Direction de l'agriculture supervisait les fermes modèles, la formation des jeunes agriculteurs, l'orientation des coopératives, le contrôle des produits. Avec la provincialisation, chaque province fut dotée de son propre service agronomique.

Il faut enfin dire quelques mots des comités syndicaux. Ces organismes du système franquiste regroupaient en fait les grands propriétaires espagnols, avec toujours un rôle majeur de la présidence du gouvernement, et donc de Carrero Blanco. Les syndicats verticaux réunissaient les gros intérêts du cacao, du café et du bois. Le syndicat du bois comprenait essentiellement les forestiers du Rio Muni et se heurtait à la section du bois de la Chambre d'agriculture. C'est le syndicat qui fixait le nombre d'essences autorisées à l'exploitation et à l'exportation. Fort influent, c'est lui qui semble avoir financé le séjour à Madrid de la délégation du Monalige, lors de la Conférence constitutionnelle, en 1967-1968.

En tant que colonie d'exploitation, la Guinée espagnole valait surtout pour son agriculture. On encourageait peu les industries de transformation, la main-d'œuvre devant servir les activités primaires surtout. Par ailleurs, on favorisa surtout la monoculture latifundiaire dominée par les grandes banques espagnoles et quelques membres influents du gouvernement.

5. Chasse, élevage et pêche

La chasse était pratiquée en Guinée Equatoriale bien avant la conquête européenne. Elle se caractérisait notamment, surtout en pays Fang et chez les Pygmées, par l'emploi de l'arbalète, encore en usage aujourd'hui. A l'époque espagnole, le manque de protection de la faune a conduit à des abattages inconsidérés. Déjà durant le XIXe siècle, une grande partie des marchandises troquées par les factoreries, en échange d'armes, d'alcool et de kitsch, était des peaux, du caoutchouc de lianes, de l'ivoire. [PAGE 73] Vers 1850, on voyait fréquemment à Corisco des défenses d'éléphant de 90 livres pièce. En 1907 encore, l'ivoire était le produit de traite principal du Rio Muni, avec le caoutchouc et l'okoume. Puis, le gouverneur général Ramos Izquierda y Vivar fit interdire l'abattage d'éléphants dont les défenses pèsent moins de 5 kg chacune. La chasse indigène se faisait, dans la zone côtière, en dirigeant les éléphants dans des enclos avec des trappes où l'animal prisonnier était alimenté d'eau contenant des drogues, puis abattu.

Sur les 138 espèces animales inventoriées en 1928, 9 présentent un intérêt cinégétique :

Crocodiles : nain et gavial (moro largo);
Antilopes : céphalopes et philantomba (environ 30 kg), guibbe harnaché (environ 80 kg), limnotrague (Waterbuck);
Singes : cynocéphales (drill et mandrill), chimpanzé, gorille (environ 1,70 m) pas protégé jusqu'en 1953;
Félins : genettes, chats sauvages, gato dorado (profelis aurata), léopard de forêt;
Autres : potamochère, hippopotame, buffle nain (rouge du Gabon, en manades de 3-10), et bien sûr, l'éléphant.

On a également chassé au Rio Muni des lamentins. Ce mammifère marin (Sirénien), qui vit dans les estuaires et sur les côtes, du Sénégal au Congo, se rencontre dans l'estuaire du Muni et jadis même dans la zone de Bata. Ruminant trapu, souvent appelé cochon de mer, végétarien, avec une dentition analogue à celle de l'éléphant, le lamentin a un corps fusiforme, sans cou, de 2,5 m de longueur moyenne, avec des nageoires de 35-50 cm, et une queue en forme de raquette; la lèvre supérieure est grosse et recouvre l'ensemble de la bouche. Par leurs mamelles pectorales, les lamentins se rapprochent de l'éléphant et du genre humain. Exclusivement aquatiques, ils vont par paires ou par groupes de quatre à dix. Leur chair est semblable à celle du porc. Le plus gros lamentin chassé en Guinée Equatoriale mesurait 3,30 m et pesait près de 400 kg.

Quelques remarques encore pour l'élevage : si en 1870 déjà le gouverneur général Sanchez Ocaña suggéra la mise en valeur des pâturages de la meseta de Fernando [PAGE 74] Poo, ce n'est qu'au début du XXe siècle que grâce à la compagnie Trasatlántica seront mis en valeur 150 ha, avec un peu plus de cent bovins – qui seront à l'indépendance plusieurs milliers, se partageant entre diverses sociétés espagnoles et créoles, principalement sur Fernando Poo.

Dans les diverses populations qui composent la nation équato-guinéenne, la pêche ne joue pas le même rôle. Chez les Bubi elle a été presque complètement délaissée, après qu'on l'eut pratiquée jadis à l'aide de harpons. Pour les Fang, la pêche fluviale ne représente qu'un complément, tandis que chez les Ndowe elle fournit l'essentiel des protéines animales consommées. A Annobon, on pêchait la baleine au harpon, tant parce que les baleines se sont faites rares que parce que les hommes ont été décimés par la terreur nguemiste.

Alors que du Chaillu signalait encore des baleines dans l'estuaire du Muni au milieu du XIXe siècle (un navire baleinier en tua dix-huit, en deux mois courant 1856), cette pêche ne fut réglée par les Espagnols qu'en 1913. Vers 1914, aux environs de Fernando Poo, la compagnie The Arctic, avec trois petits vapeurs de 150 t et un bateau cuisine, pêcha en trois mois 207 baleines : 2 100 t d'huile, 1 000 t de viande, 200 000 kg de phosphates. Vu l'accroissement des prises, un nouveau règlement entra en vigueur en février 1925. Autour d'Annobon, la pêche industrielle était effectuée par la Sopecoba (franco-norvégienne), avec une usine à Cap Lopez (Gabon), et l'African Whaling Company (São Tome). En 1951, ces compagnies ont pêché respectivement 916 et 659 baleines. Depuis lors les baleines, en fait des rorquals, ne se montrent plus qu'occasionnellement.

6. Sylviculture

Près de 98 % de la superficie du pays est couverte de forêts, dont la moitié de forêt dense ombrophile de composition hétérogène. Vers 1840, c'est la britannique Compagnie de l'Afrique occidentale (West Coast Co) qui exploitait les forêts de Fernando Poo – surtout la variété morera (miroko) – avec des esclaves libérés par les Anglais et qu'elle s'empressait de réduire à nouveau au [PAGE 75] même état. Elle vendit ses affaires aux missionnaires baptistes anglais, en 1843, après que Lerena ait interrompu ses activités. La forêt de Fernando Poo, qui occupe encore le centre et le sud de l'île, varie suivant l'altitude et l'exposition à la mousson; elle n'est actuellement plus exploitée. Au Rio Muni, la forêt secondaire domine au nord du Rio Benito et dans la frange littorale, alors qu'au sud du Benito et à l'intérieur domine la forêt primaire.

Le bois du Rio Muni a d'abord été acheté aux autochtones dans les comptoirs côtiers ou le long des fleuves. Durant le XIXe siècle, on ne s'intéressait pratiquement qu'à l'ébène, à l'okoumé et aux acajous. Après la défaite de l'Allemagne et la perte du Cameroun, en 1917, des forestiers allemands, transfuges de la colonie voisine, se mirent à piller les forêts du Rio Muni. Jusqu'en 1926, les seuls consommateurs de bois de la Guinée continentale étaient l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne.

Dès 1908, l'Espagnol E. Cedrun possédait à Rio Benito une scierie mécanique à vapeur, mais connaissait de graves problèmes de fret pour l'écoulement de sa production. En 1919, sur une concession de la même région, s'installa la Compañia forestal de Benito. La grande exploitation européenne n'a toutefois pris réellement son essor qu'avec l'occupation effective du Rio Muni par la Garde coloniale, dès 1926. Les plus anciennes concessions forestières datent de 1927 : 1927 31 000 t, 1928 27 000 t. La production s'accrut fortement dès 1930; anarchique cependant, elle restait le fait surtout de sociétés non-espagnoles. Alors qu'en raison de la rupture d'arrivée de main-d'œuvre du Liberia on suspendit l'attribution de concessions pour l'agriculture (jusqu'en 1943), on continua à distribuer des concessions forestières. Entre 1927 et 1941, 118 000 ha furent concédés, mais 103 000 ha seulement effectivement exploités. Malgré la guerre civile en Espagne et la Seconde Guerre mondiale, l'exportation resta élevée, freinée parfois encore par le manque de fret, au point qu'il fallut fixer un contingent d'embarquement pour chaque entreprise forestière. Sous le gouverneur général socialiste Sanchez Guerra, en pleine République espagnole, fut créée, en 1936, une inspection forestière chargée de réprimer les coupes abusives et de mettre au point un système de repeuplement forestier (que l'on attend encore). [PAGE 76]

Le renchérissement des concessions, notable depuis 1948, fut doublé d'exigences d'un capital minimum. Compte tenu du fait qu'il s'agissait de terrains situés à l'intérieur du Rio Muni avec des coûts de production plus élevés, on vit le développement de latifundia forestiers.

Les premières années de l'exploitation industrielle du bois du Rio Muni furent marquées par un mépris de la plupart des essences au bénéfice du seul okoumé que réclamait le marché européen pour la fabrication de contre-plaqué.

L'okoumé est un bel arbre de 35-45 m de hauteur, au tronc épineux, avec un fût de 100-150 cm de diamètre, la première branche se situant à une hauteur de 25-30 m seulement. C'est une essence caractéristique de la forêt secondaire. Son bois un peu rosé, tendre et léger, se prête facilement au déroulage. Avec le Gabon et le sud du Cameroun, la Guinée Equatoriale détient le monopole mondial de l'okoumé.

En 1902 déjà, l'Allemagne importait 1 200 t d'okoumé du Gabon et du Rio Muni, grâce à des troncs achetés et troqués par les factoreries au débouché des fleuves. Hambourg devenait rapidement le premier marché mondial d'okoumé. Dès l'occupation rationnelle du Rio Muni, sous le gouverneur Nuñez de Prado, vers 1926-1927, l'exploitation européenne de l'okoumé prit rapidement le dessus : au lieu d'attendre les troncs sur la côte, notamment au fleuve Aye, on se mit à installer des chemins de fer à voies étroites pour l'évacuation des fûts. Ce développement donna naissance à un problème de main-d'œuvre, résolu d'abord avec des Liberians, puis des ouvriers venus du Nigeria. La préférence marquée du marché européen pour l'okoumé laissa inexploitées nombre d'autres essences déroulables, que la crise de la production de l'okoumé, durant la Seconde Guerre mondiale, mit enfin à l'honneur. Le Royaume Uni, alors maître des océans, imposa aux navires grumiers espagnols une limite de 15 % d'okoumé au maximum pour recevoir le sauf-conduit exigé par la Royal Navy. Cette exigence était due à la crainte qu'un pourcentage élevé d'okoumé allait permettre à l'Espagne franquiste d'approvisionner l'industrie aéronautique hitlérienne.

La densité d'okoumé est la même en Guinée Equatoriale qu'au Gabon, mais le Gabon n'exporte que cette [PAGE 77] essence-là (10 m3/ha), alors qu'en Guinée Equatoriale l'exploitation est plus diversifiée (25 m3/ha). Avant l'indépendance, le gros de l'okoumé brut partait vers les marchés étrangers. Il existait pourtant à Bata une petite entreprise de déroulage qui transformait de petites billes venant des exploitations artisanales. La principale société forestière et agricole de la colonie, Alena est liée au Gabon à la Société de l'okoumé de la Ngoumé (Song).

Ce n'est qu'avec la crise du marché de l'okoumé que se renversa la tendance et que l'on recourut à d'autres essences de bois déroulable : asia, nuero, limba, elelon, etc. Au moment de l'indépendance, moins d'une centaine d'essences étaient commercialisées (en 1929, Najera estimait à 200 les essences utiles; en 1941, Riera les limitait à 111 et le syndicat du bois en acceptait moins de 100). En fait, 122 espèces ont été effectivement exploitées, dont 36 fréquemment, 51 moyennement et 35 peu souvent. Pour éviter le pillage des forêts, l'ordonnance du 13 octobre 1948 imposait une série de règles :

– contingentement des bois exportables, dont 30 % d'okoumé seulement;

– prolongation possible des concessions en cas d'exploitation incomplète;

– construction de voies de communication;

– conservation des forêts : notamment interdiction d'exploitation sur des versants supérieurs à 30 % et interdiction d'abattre les arbres de moins de 60 cm de diamètre;

– constitution de pépinières.

La législation espagnole divisait la Guinée Equatoriale en trois zones forestières distinctes :

A) bande littorale : quelque 10 km, largeur fortement exploitée, le plus souvent manuellement, flottage ou tractage;

B) bande intermédiaire : large de 20 km (altitude 350 m), nécessitant une plus forte mécanisation et des concessions plus vastes;

C) intérieur : exigeant des travaux de génie civil importants (routes, voies ferrées, canaux de dérivation pour contourner les rapides en cas de flottage), donc accessible seulement à de grandes entreprises. [PAGE 78]

Trois types de concessions étaient possibles : 500-2 500 ha, 2 500-5 000 ha, plus de 10 000 ha, attribuées par le moyen d'enchères. Avant la provincialisation de 1959 déjà, les concessions A et B étaient pratiquement épuisées, ce qui présageait la nécessité croissante d'importantes infrastructures lourdes. En 1960, les 43 concessions occupaient 365 000 ha, en 1967 371 488 ha, dont 284 886 en exploitation (contre 117 720 ha en 1941). Les activités étaient les plus importantes dans le district de Kogo. La production était en constante augmentation : 123 000 t en 1955, 337 000 t en 1967. En 1966, 456 bateaux-grumiers ont touché la Guinée Equatoriale, dont la moitié (227) à Rio Benito.

7. Ressources minérales, énergie, infrastructures et industries

a. Ressources minérales et énergie

Le pays dispose de plusieurs sources d'eau minérale, la plupart carbonatées, dont celle de Mabewolo, au Rio Muni, et à Fernando Poo celles de Balachilacha, près de Concepción, d'Ureka, de Riaka, de Mioko et de Rio Ruma, d'Oloita enfin près de Musola. L'eau de cette dernière source a été envoyée, en 1890, pour analyse en Espagne. Aucune source n'a jamais été exploitée commercialement.

Le relief du Rio Muni est solidaire des Monts de Cristal connus pour leurs richesses minérales. Ce n'est qu'en 1933 qu'eut lieu la première reconnaissance minière du Rio Muni, par F. Chicarro et P. Novo. En 1962, le ministre espagnol de l'Industrie, Lopez-Bravo, a personnellement supervisé de nouvelles recherches minières.

Il y a de l'or partout au Rio Muni, mais en quantités infimes. Des sables aurifères existent dans la rivière Tega, dans les couches supérieures de nombreuses rivières de l'intérieur (Abia, Bielan, Lana, Utamboni, Micjobo, Abo Bac, Ntale, Nbé, etc.) et plus particulièrement dans le bassin du Ntumu, près d'Ebebiyin : 50 centigrammes par mètre cube de sables lavés. Dans le sud du territoire, les alluvions quartzitiques montrent souvent des pépites d'or. On signale également de l'or à Mikomeseng (diorite), [PAGE 79] à Mongomo et surtout à Kukumankok, donc dans la zone granitique. Il s'agit là d'un produit d'érosion (on trouve de l'or même dans les matières organiques superficielles). A Kukumankok, le Français M. Lauze avait installé un système de lavage fournissant 3 g au m3. Après avoir fait de nombreux sondages dans tout le Rio Muni, Lauze ne trouva toutefois presque jamais des teneurs commerciales. L'entreprise Minas de Ecuador S.A. était en 1960 la seule exploitation minière de la colonie.

C'est dans le domaine des ressources en pétrole que pour le moment on fonde les plus gros espoirs. La prospection pétrolière a commencé dans la région en 1931, au Gabon. C'est la Gulf Oil qui opérait au nord de ce pays. C'est encore elle qui prospecte au Nigeria (s'étant même réfugiée à Santa Isabel durant la guerre du Biafra, pour pouvoir poursuivre les prospections dans le calme). Et c'est enfin la Gulf Oil Espagne qui commença les recherches en Guinée espagnole.

Les concessions pétrolières accordées par les Espagnols étaient les suivantes : de 1960-1967, successivement à divers consortiums où apparaissent Mobil Espagne, Cispsa, Spangol, Rio Tinto, Banco de Bilbao, pour un total de 1 560 km2.

Quant à l'électricité, c'est en 1925 que fut construite la première centrale thermique du pays, grâce au Fernandino Maximiliano Jones. Abstraction faite des dégâts dus aux négligences post-indépendance, la capacité installée du pays est de quelque 7 MW. Au Rio Muni, le potentiel hydroélectrique n'est encore guère exploité, mais les possibilités sont nombreuses : dans les Monts Chocolate et Alen, les chutes sont abondantes; les rapides de Senye sur le Rio Benito (environ 1 km de longueur, avec une dénivellation de 150 m) permettraient d'obtenir 600 000 KWh/an; les chutes du Rio Ebuba, avec une dénivellation de 165 m, pourraient fournir 2,4 millions de KWh/an, mais il faut compter avec la cherté du transport. Sur le Rio Ekuko, à Bitoma, pourrait être installée une usine d'une puissance supérieure de 80 000 KW.

Bata possède la centrale thermique de San Joaquin, au sud de la ville, inaugurée en 1952 avec quatre génératrices (1 960 KWA, 230 V). La distribution du courant est effectuée par une corporation indépendante dont le [PAGE 80] président est le ministre de l'Industrie. En 1967, la production estimée du Rio Muni était de 5,7 Mio de KWh, pour une consommation de 3,8 Mio de KWh. De nombreuses localités de province disposent de groupes électrogènes municipaux, la plupart toutefois paralysés depuis la première dictature nguemiste.

A Fernando Poo, les chutes du Rio Ilady – dont une de 300 m – qui se précipitent du Massif du Sud, à une altitude de 1200 m, s'avèrent très intéressantes. Quant à la centrale hydro-électrique de Musola, inaugurée en 1946 et complétée en 1953, elle dispose de quatre turbines avec un total de 7 000 KWA (400 V). Il s'y ajoute une centrale thermique, à Santa Isabel, avec six génératrices allemandes : Deutz et M.A.N., de 1954, 1962 et 1968, pour un total de 3 260 KWA. En 1967, Fernando Poo disposait de 9,5 Mio de KWh. A Santa Isabel, la distribution du courant électrique est effectuée par le Servicio electrico municipal (SEMU), qui dépend de la municipalité.

b. Infrastructures et industries

Nous avons évoqué plus haut les infrastructures liées à la culture comme les imprimeries. Aussi ne considérerons-nous ici que les voies de communication, les télécommunications et les industries de transformation.

C'est le crédit extraordinaire ouvert par la dictature de Primo de Rivera qui a permis la mise en place d'un véritable réseau routier, dès 1926, dans les deux provinces. Sur un total de 2 000 km de routes, on comptait 750 km de routes principales, dont 250 asphaltées. A Fernando Poo, le réseau est satisfaisant (156 km en dur), une route circulaire faisant le tour du Pico de Basilé via Concepción et San Carlos. Au Rio Muni, 1 050 km de routes relient les chefs-lieux de district. L'axe principal (230 km), qui était d'ailleurs celui de la pénétration espagnole vers 1926-1927, suit la frontière du Cameroun : Bata-Niefang-Mikomeseng-Ebebiyin; une autre route longe le Woleu-Ntem gabonais, sur 150 km, d'Ebebiyin à N'sork, via Mongomo; pour marquer son importance, le gouverneur général Nuñez de Prado vint l'inaugurer en personne en 1927.

Dès 1893, on parlait de l'installation d'un tramway à [PAGE 81] Santa Isabel. Avant la fin du XIXe siècle, Basilé fut relié à Santa Isabel par une voie Decauville en forte pente, donc dangereuse, probablement premier chemin de fer du pays. C'est en 1913 que fut inauguré le premier tronçon de la ligne ferrée Santa Isabel-Banapa-Basupo del Oeste (14 km), dont le prolongement était prévu jusqu'à San Carlos. En mai 1929, vingt Marocains furent amenés à Fernando Poo pour aider à la prolongation de la ligne entre Baloeri, près de Basupo, et la plage. Mais en 1930, parce que déficitaire pour l'Etat, et bien que les planteurs aient proposé de la prendre à leur compte, la ligne fut supprimée (à la même époque, São Tome comptait 250 km de rail). C'est en 1930 que commença au Rio Muni la pose des premiers chemins de fer forestiers d'Alena, à Utonde, puis à Etembue. En 1949, on mesurait 207 km de voies, dont il ne restait plus que 43 en 1962. Ces chemins de fer, abandonnés depuis les événements de 1969, étaient du type Decauville, avec des rails de faible poids par mètre linéaire (9-15 kg) en raison de leur caractère semi-permanent et de la nécessité de leur déplacement. L'écartement est d'un mètre. Les locomotives sont américaines (Caterpillar) et allemandes (Henschell), généralement avec un moteur à quatre temps. Lignes de seconde classe, elles seraient insuffisantes pour les concessions de l'intérieur de la province (zone C) qui exigent des voies plus lourdes.

Au début du XXe siècle, d'Almonte imagina une ligne ferrée transafricaine de Rio Campo à l'Océan Indien, à travers le Rio Muni jusqu'à Ouesso (Congo) – où devait la rejoindre une autre ligne venant du Gabon – et s'orientant ensuite vers le lac Victoria.

En ce qui concerne les télécommunications, c'est en 1912 que fut inaugurée la première station radio-télégraphique de Santa Isabel, reliée par câble sous-marin à Douala (Cameroun). Le crédit spécial de 1926, grâce à la dictature de Primo de Rivera, permit la mise en place d'un réseau radio-télégraphique dans les deux provinces. A la suite d'une concession obtenue en 1947, la société espagnole Torres Quevado S.A. se vit affermer les télécommunications dans l'ensemble de la colonie.

Pour ce qui est de l'industrie, la Guinée Equatoriale est plutôt mal dotée, tant en raison de l'exploitation coloniale dont elle a longtemps souffert qu'à cause de [PAGE 82] l'étroitesse du marché national. Ces industries visaient la transformation des produits agricoles : beurre de cacao (1), huileries (17), savonneries (4), tapioca, fécule et amidon extraits du manioc (1), laiterie (1), maroquinerie et chaussure (1). Pour la métallurgie, le pays disposait à l'indépendance de quarante-sept ateliers de mécanique, sept ateliers d'outillage et dix-neuf serrureries, une charpenterie métallique, et de modestes chantiers navals à Rio Benito. On comptait par ailleurs sept imprimeries, huit fabriques de parpaings et mosaïque, trois fabriques de tuiles. Dans les divers, on peut signaler : extraction de fibres d'abaca (1), farine de poisson (1), conserverie de fruits de mer (1), distillerie d'alcool de sucre de canne (1), fabrique d'eau de Javel (2). Les industries les plus florissantes étaient celles de la construction et des travaux publics (aéroports), et relevaient essentiellement d'entreprises non-espagnoles présentes dans les pays voisins liés à la France : Bereta (Italie), Dragages et Travaux publics (France). Il existait enfin un réseau de scieries, une petite usine de déroulage et des menuiseries semi-industrielles.

8. Commerce

Les relations des Equato-Guinéens avec les étrangers outre les missions, les écoles et les dispensaires (sans parler de l'esclavage), s'effectuaient surtout par les factoreries, moteur numéro un de la colonie à ses débuts. Le territoire était constellé de comptoirs anglais (Holt, Hatton & Cookson, Forster), allemands (Woermann, Kuderling, Randa-Steind, Schulze, Lübke), espagnols (Trasatlántica et maisons majorquines et catalanes), etc., toutes compagnies qui utilisaient chacune entre trente et quarante Africains (Kru, Bassa et Benga surtout).

Ce n'est qu'en 1858 que les douanes espagnoles commencent à enregistrer les importations de Guinée espagnole, encore bien modestes; à la fin du XIXe siècle, ces importations dépasseront régulièrement le million de pesetas. Toutes les compagnies avaient des pontons, soit le long de la côte de Fernando Poo, du Rio Muni et des îles de l'estuaire, soit sur les fleuves, tel l'Utamboni. Les factoreries [PAGE 83] remettaient aux traiteurs des stocks de quelque 5 000 pesetas, que ces midmen allaient – par caravanes le plus souvent fluviales – vendre aux populations de l'intérieur. Les risques étaient grands en raison de la rapacité de certaines populations et surtout des méthodes cavalières des marchands côtiers. Les produits échangés étaient, d'un côté, l'ivoire, le caoutchouc de lianes, l'okoumé, l'acajou, l'huile de palme, les peaux; de l'autre, les pierres à fusil, du fil de cuivre, et toute la panoplie des marchandises traditionnelles : tissus, miroirs, verroterie, chapeaux, colliers, tabac, genièvre, sel, foulards et pagnes.

Devenue officiellement « colonie d'exploitation » par le décret de juillet 1904, la Guinée espagnole était le terrain privilégié des Espagnols, des Levantins et d'Indo-Pakistanais. Les liaisons maritimes avec la métropole étaient affermées à une maison de Bilbao, contre une subvention de 250 000 pesetas/an. Parmi les navires étrangers à desservir régulièrement le Rio Muni il faut signaler surtout la British Africa Steam Navigation Co et la Hamburg Woermann Linie, cette dernière jusqu'en 1972. Par la Trasatlántica d'abord, par la Transmediterránea ensuite, l'Espagne ne reliait que Fernando Poo.

En 1960, peu après la provincialisation, la Guinée Equatoriale avait l'indice d'exportation le plus élevé d'Afrique, par habitant : 135 dollars par tête, contre 112 dollars pour São Tome, 105 pour le Gabon, 87 pour l'Afrique du Sud et 48 dollars pour le Ghana. Le commerce extérieur conditionnait donc toute la vie du pays.

9. Monnaie et trésorerie

Nous avons évoqué par ailleurs les monnaies traditionnelles : l'ekwele fang, sorte de pointe de lance, et la roïga bubi, petite rondelle taillée dans des coquillages. Avec la colonisation, c'est la peseta espagnole qui fut introduite, qui deviendra en 1968 la peseta équato-guinéenne et en 1975, au pair avec la peseta espagnole, l'ekwele (plur. bikwele).

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, aucun impôt n'avait été levé dans le pays, mais en 1848 le gouverneur Beecroft fixa une taxe de 5 % ad valorem sur les importations et [PAGE 84] 2,5 % sur les exportations. Cela ne donna même pas 200 £ annuelles, mais permit de régler les frais de police, de garde des prisonniers, etc., le solde représentant le salaire du gouverneur et de ses adjoints.

Par décret royal du 13 décembre 1858, le budget espagnol consacra 31 000 pesos à Fernando Poo dont 6 000 pour les Jésuites. Dès août 1874, le budget de Fernando Poo relevait de ceux de Cuba, de Porto Rico et des Philippines à raison de 50, 16 et 34 %. Un système d'impôt sur la propriété foncière et les activités commerciales fut mis en place en 1880. Dès 1891, les contrats des ouvriers kru furent aussi taxés. Avec la perte des colonies d'Amérique et d'Asie, en 1898, et la fin du Trésor de Cuba, le budget de Fernando Poo et du Rio Muni passa à la charge de la métropole. Rapidement, le système fiscal de la colonie se perfectionna pour parvenir à un équilibre entre recettes et dépenses. Vers 1900, les droits à l'importation oscillaient entre 6 et 20 %, ceux à l'exportation entre 5 et 8 % ad valorem. Mais le budget était pour moitié alimenté par les taxes sur les concessions. En 1901, après conclusion de la dispute des frontières avec la France, le budget de la colonie s'éleva à 536 000 pesetas, dont 100 000 pour les Clarétins et 100 000 pour les ponts et chaussées. Ce n'est qu'en avril 1940, par une nouvelle loi budgétaire espagnole, que les comptes du Sahara et de la Guinée espagnole furent séparés : jusqu'alors, les territoires du Golfe de Guinée servaient surtout à financer le Rio de Oro; l'économie des débours du Sahara permit à la Guinée espagnole d'amorcer alors un fort développement.

En 1945, la Guinée espagnole connut l'autonomie financière. Jusque-là le budget de la colonie était élaboré par le gouverneur général et l'administration d'outre-mer; en 1959, le Rio Muni et Fernando Poo devenus provinces espagnoles, leur budget fut élaboré comme celui d'une province, mais doublé d'un volant d'aide et de collaboration. Les crédits et investissements à long terme furent inclus dans le plan de développement de 1960. Avec l'Autonomie, dès 1964, on introduisit le principe de réinvestissement et de souveraineté dans l'établissement des projets budgétaires, ce qui marqua une libération de la tutelle du ménage espagnol, bien que l'accord des Cortès restât nécessaire. Les subventions diverses du budget [PAGE 85] d'aide et de coopération furent doublées d'abaissements sur les droits d'entrée en Espagne des produits équato-guinéens. Par la loi d'Autonomie, la Guinée Equatoriale était exemptée de la contribution au budget de l'Etat espagnol. On durcit alors les règles sur les réinvestissements tout en allégeant fiscalement les petits domaines et les bas salaires dans le but principal de stimuler le développement d'une classe moyenne. De nombreuses importations furent alors exemptées de droits : véhicules divers, instruments scientifiques, produits chimiques, bétail, aliments, matériaux de construction et de pêche.

L'aide espagnole porta principalement sur les travaux publics, la santé et l'enseignement, ainsi que l'entretien de l'appareil administratif et militaire. Le plan de développement 1964-1967 répartit les fonds de 25 millions de dollars de la façon suivante : Travaux publics 40 %, Aéroports 14 %, Santé 14 %, Habitat 13 %, Education 10 %, etc.

Depuis 1960, l'essentiel des ressources des deux provinces provenait d'un impôt sur le chiffre d'affaire de 20 % prélevé sur les entreprises, la fortune et la douane. La métropole soutenait les provinces par une politique de prix, fixant ceux du café et du cacao au-dessus de ceux du marché mondial, aide que devait supporter le consommateur de la péninsule (+ 20 Pesetas/kg pour le cacao, + 27,5 pesetas/kg pour le café). Cette taxe alimentait le budget d'aide et de coopération; elle provoqua un courant de contrebande depuis les pays voisins.

Le haut revenu et les fortes dépenses per capita enregistrés alors en Guinée Equatoriale sont toutefois un leurre : l'essentiel du profit revenait à la population européenne vivant dans le pays.

Côté système bancaire, la colonie a souffert de l'inexistence d'un véritable Crédit agricole, malgré des projets datant du début du XXe siècle. Seul le Patronato de indigenas disposait d'une telle caisse réservée aux petits agriculteurs.

Peu avant l'indépendance encore fonctionnait en Guinée Equatoriale le Banco exterior de España, le Banco Español de Crédito, qui finançaient la plupart des casas fuertes coloniales (Alena, Cegui, Aggor, etc.), la Caja insular de ahoros de Gran Canarias (Caisse d'épargne), ainsi qu'une agence du Bank of British West Africa. Tous ces [PAGE 86] établissements étaient destinés principalement à drainer vers des rendements plus intéressants l'épargne européenne accumulée en Guinée espagnole, ou à faciliter l'évacuation des économies des manœuvres nigérians. Il faut ajouter encore la participation du Banco de Bilbao à la recherche pétrolière.

10. Main-d'œuvre

Le manque de bras est une des constantes de l'histoire de la Guinée Equatoriale. Par ailleurs, les conditions climatiques sont un frein au développement et renchérissent le facteur travail tout comme le facteur infrastructures, notamment des machines.

Nous avons vu plus haut comment, en raison du refus des Bubi et des Fang de travailler au bénéfice des planteurs européens, on en est venu à importer de la main-d'œuvre du Liberia et du Sierra Leone, puis du Cameroun et du Nigeria; vers 1865, on songea même à des Chinois et à des Philippins. Des déportés politiques cubains et espagnols firent aussi les frais de cette quête de main-d'œuvre.

Après l'affaire du recrutement forcé d'ouvriers du Liberia qui entraîna une condamnation par la S.D.N., le Cameroun prend la relève, avec quelque 4 000 ouvriers. Mais l'insuffisance des forces de travail conduisit à un ralentissement des activités dans la colonie. C'est que l'économie de plantation est fortement consommatrice de main-d'œuvre : pour une plantation de cacaoyers de 30 ha il faut quelque 18 braceros (manœuvres). En 1939, on autorisait un manœuvre par ha de plantation et quatre par ha de forêt. Mais pour le Rio Muni, le nombre de manœuvres n'était alors que de 2 500. En 1941, 89 % du personnel obtenait entre 25 et 50 pesetas mensuels; 1,3 % seulement touchait plus de 200 pesetas.

Avec la distinction faite par le Curador colonial et le Patronato de indigenas, dès 1904, entre non-émancipé et émancipé, tout Africain ressortissant de la colonie devait offrir deux ans de travail dans une plantation. Les émancipés pouvaient échapper à cette corvée moyennant finance ou remplacement par un prestado, compatriote de remplacement qui devait alors remplir quatre ans de [PAGE 87] service non rémunéré dans une propriété espagnole. Chaque conseil municipal était responsable de la fourniture des manœuvres locaux.

La persévérante résistance des Bubi au travail obligatoire – outre les affrontements violents qu'elle a occasionnés – amena l'Espagne à conclure des accords de fourniture de main-d'œuvre avec le Nigeria. La première convention de travail, de décembre 1942, révisée en janvier 1951, fixait à deux ans au minimum, à quarante-deux mois au maximum, la durée des contrats. Elle prévoyait également la composition de la ration alimentaire journalière, avec féculents, poisson ou viande, huile, sel, fruits séchés, soit quotidiennement 3 400 calories. Or, la collecte saisonnière de cacao ou de café semble exiger, d'après les experts, 5 200 calories journalières; le travail du bûcheron 4 300 calories. L'accord de 1951 fut renouvelé en 1954, 1957, 1959 et en 1961; un amendement fixa alors des salaires plus élevés et annonça des augmentations ultérieures. Cette réglementation resta en application jusqu'à l'indépendance. Le recrutement se faisait à Calabar par la Anglo-Spanish Employment Agency. 1972 fut le début d'une nouvelle convention de travail nigeria-équato-guinéenne. Les salaires se montaient dès lors à 1 200 pesetas, dont 400 en devises, par mois, les contrats s'étendant sur trois ans, avec une réduction possible à dix-huit mois.

Les travailleurs nigerians formaient dans le pays une colonie anglophone et protestante plusieurs fois supérieure en nombre aux travailleurs équato-guinéens. A l'indépendance, la situation était toujours encore de type colonial, en dépit de la provincialisation, puis de l'autonomie de 1964-1968 :

– majorité de la population autochtone vivant en économie de subsistance;

– minorité de la population active intégrée à l'économie de marché;

– emplois subalternes pour les Equato-Guinéens dans les entreprises privées et publiques et faible accès aux postes de responsabilité;

– important contingent de main-d'œuvre étrangère engagée pour une durée limitée (prolétariat importé). [PAGE 88]

F. L'AUBE DE L'INDÉPENDANCE

1. De la Cruzada à l'Autonomie

En 1947, le Fernandino Ropo Uri articula le premier des exigences en vue de l'indépendance du pays. La déception des instituteurs auxiliaires africains devant le refus d'aligner leur salaire sur ceux des autres catégories de fonctionnaires amena, fin 1950, la création de la Cruzada Nacional de Liberación, avec Ropo Uri, sous la direction du Fang Acacio Mañe. Mais le 20 novembre 1958, le père espagnol Nicolas Preboste, supérieur de la mission de Bata, au courant de la cache du chef de la Cruzada, le livra aux fusils de la Garde civile espagnole. Cette dénonciation a frappé la conscience collective équato-guinéenne : Acacio Mañe est aujourd'hui héros de l'indépendance, en compagnie d'Enrique Nvo (liquidé, lui, au Cameroun en 1959, par des éléments pro-espagnols). C'est dans la Cruzada[1] que des hommes comme Ndongo Miyone, Ateba Nsoh, Torao Sikara, s'exercèrent à l'activité politique. En 1959 naît au Cameroun, à Ambam, Idea Popular de Guinea Ecuatorial (I.P.G.E.), présidé par Perea Epota, alors que le Fang Ndongo Miyone, le Bubi Torao Sikara et le Ndowe Ebuka fondent le Movimiento Nacional de Liberación de Guinea Ecuatorial (MONALIGE) qui sera définitivement constitué en 1962. Jusqu'en 1964, à l'aube de l'Autonomie, le gouvernement espagnol ne toléra pas ces mouvements, ce qui explique l'exil de nombreux combattants de l'indépendance. Par contre, il accepta de former une volée de jeunes sous-officiers, à l'Ecole militaire de Saragosse, dont Teodoro Obiang Nguema et Salvador Ela Nseng. La plupart des officiers qui font partie, depuis août 1979, du commandement militaire suprême et du gouvernement militaire sont issus [PAGE 89] de la promotion 1963-1965 ou ont été formés en U.R.S.S. et en Corée du Nord.

Après que les Nations Unies eurent admis l'Espagne, en 1955, celle-ci dut, en application de l'article 73 de la Charte informer le secrétariat général sur l'état social et culturel de sa colonie, ainsi que sur les efforts de développement. Mais l'Espagne considérait les délibérations de la quatrième commission comme des immixtions dans ses affaires intérieures. Avec la provincialisation, milieu 1959 (province continentale du Rio Muni, province maritime de Fernando Poo/Annobon) la tutelle espagnole fut quelque peu assouplie : 2 941 incarcérations en 1958, 1689 en 1960. Mais la création, en 1960 – à l'instigation des Afro-Asiatiques – d'un comité des Six, vit l'assimilation des provinces africaines à des territoires non autonomes et distincts de la métropole. Toujours sous les pressions onusiennes, un statut d'Autonomie fut alors élaboré par l'Espagne, avec une délégation des groupes économiques et ethniques des deux provinces du Golfe de Guinée (en fait, surtout des représentants très hispanophiles des organes officiels). De la sorte, les propositions espagnoles furent entérinées sans qu'on ne tienne compte des modifications proposées par les mouvements politiques africains, tel le MONALIGE. Les deux provinces se voyaient dotées d'une auto-administration pour les questions internes. Carrero Blanco, secrétaire d'Etat à la présidence, en Espagne, déclara qu'on voulait ainsi « faire la différence entre l'action colonisatrice et le colonialisme ». En fait, Carrero Blanco, propriétaire de la tentaculaire Compañia Nacional de Colonización Africana (ALENA), financée par le Banco exterior de España, en vint, avec l'Unión Bubi à préconiser l'indépendance séparée des deux provinces[2], le ministre des Affaires étrangères, Castiella, souhaitant lui un statut unique pour l'ensemble du pays (au même titre qu'IPGE, MONALIGE, MUNGE, Unión Democrática Fernandina). Dès lors, la Guinée espagnole ne contribua théoriquement plus au [PAGE 90] financement de l'Etat espagnol, ses propres recettes étant – en principe – réinvesties sur place sans préjudice de subventions de l'Etat central. Un plan de développement quadriennal fut élaboré qui prévoyait notamment une augmentation des investissements privés de 190 à 270 millions de pesetas entre 1964 et 1967, les investissements publics devant passer de 357 à 491 millions de pesetas. La Guinée espagnole restait toutefois soumise au contrôle de la présidence du gouvernement espagnol, et toutes les décisions du parlement guinéen (Asambléa general) étaient passibles du véto du comisario general (qui remplaçait le gouverneur général). Bien que le terme « auto-détermination » apparaissait dans le texte de la loi d'autonomie, il ne s'agissait pas du droit de libre disposition dans le sens d'un statut séparé de celui de la métropole. Par référendum, deux tiers des votants acceptèrent l'autonomie le 15 décembre 1963. En janvier 1964, on élut les Conseils municipaux, en avril les maires, en mai les deux assemblées provinciales qui, regroupées, constituaient le parlement. En mai encore, cette Assemblée générale choisit les membres du Conseil des ministres (Consejo de Gobierno Autonomo). Ce gouvernement autonome était présidé par Ondo Edu, simultanément président du parti gouvernemental et pro-espagnol du MUNGE (Movimiento de Unión Nacional de Guinea Ecuatorial). C'est dans ce gouvernement, rapidement miné par la corruption, qu'on découvre, sortant d'un presque anonymat, un certain Francisco Macias Nguema, ministre des Travaux publics.

2. L'ombre de Macias Nguema

Macias Nguema était un personnage de second plan, bien qu'investi de 1960 à 1964 de la mairie de Mongomo, à l'est du Rio Muni. S'il fut chargé des Travaux publics dans le gouvernement autonome, c'est qu'il avait travaillé à Bata comme commis de ce service (section du bornage). Engagé ensuite comme interprète-auxiliaire au tribunal indigène de Mongomo, Macias Nguema se distingua dès 1950 en s'attribuant dans ses traductions fang les mérites de la clémence des juges espagnols; d'où sa promotion [PAGE 91] comme maire. Dans l'exercice de cette fonction, l'Espagne lui conféra la médaille de commandeur.

Né le 1er janvier 1924, parmi la tribu fang des Esangui, à Nfengha, Mesié Nguema suit les écoles primaires catholiques de Mongomo. On lui note très tôt un complexe d'infériorité face aux étrangers, alors qu'il affiche une attitude hautaine devant les gens du commun qui ignorent l'espagnol. Avec application, il prépare les examens d'emancipado, c'est-à-dire d'évolué, faveur conférée par le Patronato aux catholiques pratiquants, respectueux de la métropole. Il réussit en 1950. Impressionné par un fonctionnaire espagnol du nom de Macias, il hispanise le sien et devient Macias Nguema Biyogo Negue Ndong. Personnage falot, il ne participa jamais aux premières luttes pour l'indépendance. Contrairement aux militants, il travailla tranquillement dans l'administration coloniale, toujours disposé à plaire à ses supérieurs espagnols. Facile à manœuvrer, en raison de capacités intellectuelles et d'une formation médiocres, il était le complice idéal de la métropole franquiste. En 1963 enfin, âgé de trente-neuf ans et maire de Mongomo depuis trois ans, il rejoint pour la première fois un parti politique, en l'occurrence IPGE. En tant que fonctionnaire, il effectue deux voyages à Madrid, l'un pour rendre hommage à Franco au nom du personnel guinéen, l'autre dans le cadre des consultations pour l'autonomie. En 1964, Macias Nguema passe au MUNGE d'Ondo Edu, puis il s'inscrit au MONALIGE de Ndongo Miyone. Alors que la plupart des politiciens africains de cette époque ont été molestés ou contraints à l'exil, Macias Nguema ne s'est jamais heurté à l'Espagne.

Aux Travaux publics, Macias Nguema se fait apprécier de la population pour la bonne gestion du réseau routier. Dès 1967, des observateurs notent qu'il semble viser la présidence de la future République. La pression d'IPGE et du MONALIGE, ainsi que des Nations Unies – Ondo Edu souhaitant le prolongement de l'Autonomie – oblige l'Espagne à convoquer à Madrid une Conférence constitutionnelle. Dans cette perspective naissent les partis tribaux : Unión Bubi, Unión Democrática fernandina; l'Unión Ndowe, elle, n'était en fait qu'un groupement de leaders Ndowe intégrés aux MUNGE et MONALIGE. La Conférence se réunit le 29 octobre 1967, avec une délégation [PAGE 92] de quarante et un membres du Rio Muni et de Fernando Poo, ainsi que des petites îles, présidée par le ministre espagnol des Affaires étrangères, Castiella, accompagné d'une délégation de vingt-cinq membres, dont Diaz de Villegas, homme de confiance de Franco et directeur de Unstituto de Estudios Africanos.

Les différends entre partis guinéens firent stagner la conférence. L'opposition fut particulièrement forte entre l'Unión Bubi pour Fernando Poo, MUNGE et MONALIGE pour le Rio Muni, la première souhaitant l'indépendance dans le cadre de forts liens avec l'Espagne, les seconds, soutenus par Castiella, défendant l'intégrité du territoire national. Après neuf séances, la conférence fut levée courant novembre. Elle reprit le 17 avril 1968, avec comme ordre du jour les thèmes de la Résolution 2355 de l'Assemblée générale des Nations Unies portant sur la rédaction de la Constitution. Le 10 mai, le gouvernement espagnol décréta le secret des débats. Macias Nguema est pris en mains par l'avocat espagnol Garcia Trevijano, politicien à cheval sur l'opposition au pouvoir franquiste et les grands intérêts capitalistes espagnols et français. Un projet de constitution préparé par Garcia Trevijano, et soumis par Macias Nguema, est rejeté par la conférence. Conseillé par son mécène espagnol, Macias Nguema adopte dès lors une attitude d'opposition systématique, tant au projet espagnol de constitution qu'aux chefs des principaux partis politiques équato-guinéens. Il conteste aussi la représentativité de Ndongo Miyone (MONALIGE) et de Perea Epota (IPGE).

Alors que le MONALIGE était en partie entretenu par les milieux forestiers espagnols, le MUNGE émargeait au budget espagnol, tandis qu'un groupe de dissidents de divers partis semble avoir bénéficié, comme Macias Nguema, des libéralités de Garcia Trevijano. Ces dissidents constituèrent autour de Macias Nguema un Secretariado conjunto qui prétendait être un organisme supra-partis, mais qui ne servait qu'à soutenir le candidat Macias Nguema. Peu après la conférence, Garcia Trevijano l'envoya se faire connaître aux Nations Unies, à New York, mais la mission se solda par un échec en raison des complexes de Macias Nguema.

(à suivre)

Max LINIGER-GOUMAZ


[1] La tentative de coup d'Etat anti-nguemiste de juin 1974, à Bata, portait le même nom de Cruzada. Des officiers, juges du tribunal d'alors, figurent dans le gouvernement militaire mis en place le 25 août 1979.

[2] Carrero Blanco souhaitait le maintien indéfini du statut d'autonomie qu'il qualifia d'« indépendance associée »; c'est devant l'échec de cet objectif qu'il en vint à favoriser la création de l'Unión Bubi, afin de garder l'île dans l'orbite espagnole, en abandonnant le Rio Muni à l'indépendance.