© Peuples Noirs Peuples Africains no. 45 (1985) 141-158



QUAND PAUL BIYA FAIT UNE OUVERTURE VERS MONGO BETI,
C'EST... UNE CHAUSSE-TRAPPE !

(suite)

Mongo BETI

L'ARROSEUR ARROSÉ ?

En apparence, la manœuvre menée contre ma personne avait été exécutée à la perfection. Mais quand on y regardait de près, elle révélait des failles, des maladresses, de grossières erreurs peut-être qui laissaient soupçonner que ses commanditaires étaient pressés par le temps ou quelque autre mystérieuse nécessité.

Incapables de choisir entre le sabotage et la manipulation, ils s'étaient résignés à coudre l'un à l'autre deux types d'opération plutôt incompatibles, sinon contradictoires.

La technique finalement adoptée convient à la guerre déclarée, mais à elle seule : on s'introduit par ruse dans les lignes de l'ennemi dans le but de détruire sa plus redoutable pièce d'artillerie et neutraliser ainsi sa puissance de feu. Et on se retire aussitôt. Ainsi avait opéré Elundu Onana : comme auparavant, l'opposition camerounaise et le néocolonialisme étaient donc à couteaux tirés. Sur ce plan, rien de nouveau.

La manipulation, en revanche, est le plus souvent une technique de temps de paix apparente, de guerre secrète : il faut surprendre l'adversaire, mais de préférence par la séduction, par la persuasion. Comment concilier le [PAGE 142] charme et l'hostilité avouée ? Comment, victime d'une agression aussi flagrante, l'opposant, s'il n'est pas fou, douterait-il qu'on l'attire au Cameroun pour lui asséner des coups mieux ajustés ?

Cette contradiction allait entraîner de nombreuses inconséquences. Ainsi la préparation ne fut manifestement pas proportionnée aux ambitieux calculs des stratèges; en d'autres termes, on a sous-estimé l'adversaire. Il n'aurait pas fallu me laisser la moindre chance d'échapper au piège qui m'était tendu, de me débattre même. La réussite aurait dû être non seulement totale, mais immédiate. Sinon que de risques encourus ! Dans un bon scénario d'espionnage, Elundu Onana aurait été pour moi un inconnu, un personnage impénétrable, sur lequel je n'aurais pas eu la moindre prise. Mais la manipulation exigeait que j'eusse sur lui un certain nombre de données nous permettant éventuellement, à moi et à mes amis, sinon instantanément du moins à long terme, au cas surtout où des changements politiques se produiraient sur place, d'exercer contre lui des actions de représailles verbales ou physiques, qui ne laisseraient pas d'exposer ceux qui, dans l'ombre, se servaient de lui. Voilà une affaire qui, de rebondissement en coup d'éclat, pouvait durer indéfiniment. Et comment douter que Mongo Beti fût plutôt du genre coriace ?

De plus, l'affaire n'allait-elle pas faire tomber les masques dissimulant jusqu'ici tant bien que mal les grimaces, l'hypocrisie néocoloniale du régime de Paul Biya ? Les opposants camerounais n'allaient-ils pas réviser leur attitude dans l'ensemble hésitante sinon conciliante et raidir leur résistance ? Certes, les professions de foi libérales de Paul Biya, après avoir fait sensation au début dans un pays qui venait de connaître vingt-cinq effroyables années de la plus sanglante dictature, n'en déplaise à messieurs Bayart, Philippe Decraene, Hervé Bourges et autres laudateurs professionnels, au demeurant grassement rémunérés, des tyrans africains francophones, avaient commencé à lasser les Camerounais les plus avertis, qui ne voyaient toujours pas venir les actes; mais la propagande du Renouveau, slogan du nouvel autocrate, produisait encore ses effets dans certains cercles, et particulièrement dans l'ethnie beti dont elle flattait sournoisement la fatuité tribale. [PAGE 143]

De même, si l'image de Paul Biya s'était beaucoup dégradée dans l'opinion internationale à la suite du rôle peu glorieux joué par le petit dictateur auxiliaire de troisième classe, breveté de l'Institut Guy Penne de l'Elysée, dans le putsch avorté d'avril 1984, la propagande fort habile du gouvernement français, son protecteur, le présentait toujours, non sans succès, comme un dirigeant africain animé d'intentions démocratiques et auquel les pays libres se devaient d'accorder leur soutien.

Que resterait-il de tout cela si un Mongo Beti décidait de partir en campagne contre le prétendu Rénovateur de Yaoundé ? Bien entendu, nos adversaires qui ne manquent aucune occasion de parler de nous dédaigneusement, vont répétant que nous n'avons pas les moyens d'une telle campagne, que nous sommes trop petits, quasi lilliputiens, impuissants. Dans la réalité des coulisses du national-tiersmondisme aujourd'hui, comme dans celles du foccartisme hier, on s'acharne à nous réduire au silence. Si l'on n'ose plus nous interdire, et encore moins nous saisir à Paris, tout ce qui peut être tenté dans les ténèbres, l'a été contre nous, excepté le meurtre – qui ne saurait tarder, comme nous en sommes persuadés. Deux intellectuels de classe internationale, mais réputés pour leur esprit indépendant sinon contestataire, Toundjam Pouémi, économiste, et Bernard Nanga, romancier, viennent de mourir coup sur coup dans des circonstances extrêmement suspectes. Et beaucoup de se demander si la bureaucratie au pouvoir n'a pas sécrété un escadron de la mort.

Dans leur for intérieur, les nationaux-tiersmondistes, protecteurs de Paul Biya, comme hier la maffia foccartiste, bouclier d'Ahmadou Ahidjo, savent fort bien, pour l'avoir expérimentée, quelle force peut avoir notre dénonciation; ses effets sont lents, certes, trop subtils peut-être, quasi imperceptibles au jour le jour; c'est un égouttement à peine audible qui incessamment s'infiltre sous un édifice attaqué déjà au demeurant par la pourriture de la corruption, provoquant une tortueuse et irréversible désagrégation qui, un jour, sans que personne s'y attende, s'achève par l'effondrement. Ce fut le sort du triste Ahmadou Ahidjo. Ses thuriféraires ont beau dire, l'El Hadj a été envoyé à la trappe par les nationaux-tiersmondistes tout simplement parce qu'il n'était plus présentable; [PAGE 144] et nous pouvons nous vanter ici d'avoir grandement contribué à en faire ce monstre hideux autour duquel le vide s'était fait peu à peu.

Ce que nous avons accompli contre Ahmadou Ahidjo, malgré notre dénuement, nous sommes résolus à le réussir contre Paul Biya, son fragile successeur et piètre imitateur.

Quel aveu de faiblesse enfin ! On n'engage de tels moyens, on ne prend de tels risques que contre un homme qui est source de terribles frayeurs. C'est, en l'occurrence, reconnaître que l'on subit de la part de l'opinion publique une pression intolérable en faveur de l'adversaire ou de ce qu'il représente. C'est l'inviter à faire très exactement le contraire de ce que l'on souhaite. En somme, c'est se livrer à lui.

Alors, qui, finalement, a piégé qui ?

L'IMPUNITÉ

Comme je l'ai déjà dit, les violentes émotions de la surprise, de la colère et même de la honte ne m'ont jamais privé de ma lucidité, et j'ai deviné tout de suite que l'exploit du sieur Elundu Onana serait suivi d'une longue période d'impunité au moins apparente.

A ce stade de ma mésaventure, j'imagine le lecteur saisi de scepticisme amusé. Pourquoi dramatiser ? penset-il, Elundu Onana, au fond, est une espèce de voleur de poules, un minus, qui ne tardera pas à rendre gorge. Ce fut la première réaction, au demeurant bien compréhensible, de mon principal avocat camerounais. Que diable ! le Cameroun était un Etat du XXe siècle, doté de mœurs civilisées, d'institutions efficaces et respectables, de magistrats, d'honnêtes gens, dont l'indignation éclaterait d'une façon ou d'une autre, dès qu'ils auraient vent de l'affaire.

A l'heure où j'écris ces lignes pourtant, c'est-à-dire début juin 1985, soit près de six mois depuis le début de l'affaire, non seulement Elundu Onana n'a pas payé un sou des traites qu'il s'était engagé à régler fin janvier 1985 et que j'ai dû payer pour pallier sa carence, mais il [PAGE 145] est toujours cadre à la BICIC, la filiale camerounaise de la BNP, et l'un des proches de Senga-Kouoh, le ministre de l'Information et de la Culture, un des plus hauts dignitaires du parti unique local.

Et, surtout, Elundu Onana ne manque aucune occasion de narguer et de mener en bateau mes avocats camerounais.

Il faut dire que les hommes de loi camerounais ne paraissent pas être des foudres de guerre. Vingt-cinq ans de totalitarisme ont laminé les âmes, amorti les ressorts : c'est un processus classique, somme toute, commun à tous les pays d'autoritarisme forcené, comme nous le font voir les médias, par malheur obsédés par les pays de l'Est exclusivement. Derrière la façade d'ordre, de rigueur morose, les gens sont perpétuellement confrontés à l'anarchie triomphante de l'arbitraire joint à l'arrogance; inévitablement, ils s'accoutument aux brigandages de toute sorte. A la fin, on se résigne, doutant même qu'un tel état de choses ne soit pas la norme partout dans le monde. C'est un discours qu'il m'est souvent arrivé d'entendre au téléphone : la perfection n'est pas de ce monde, n'est-il pas vrai ? C'est d'ailleurs de cela que le chauvinisme cynique de la propagande officielle persuade quotidiennement le citoyen à force de matraquage : il y a peut-être des insuffisances chez nous, mais, globalement, c'est mieux que partout ailleurs, allez !

Voici un trait de caractère de l'intelligentsia camerounaise qui surprend l'Africain résidant, comme moi, depuis très longtemps dans un pays de démocratie, assuré du pouvoir de la loi, habitué à compter avec l'esprit d'initiative et la liberté d'allure et de comportement des citoyens : quels que soient sa classe sociale et le niveau de son éducation, le Camerounais n'écrit pas (ou si peu !) sans y être contraint par une force extérieure. Un acte aussi simple que de s'asseoir quelques minutes pour griffonner deux trois lignes sur une feuille blanche semble un exploit de titan au Camerounais, fût-il un intellectuel. Que d'échanges de mots peu amènes à ce sujet au téléphone entre mes hommes de loi et moi. Leur manière de procéder habituelle est d'attendre placidement que je leur téléphone, au risque de me ruiner, et surtout de ne peut-être jamais les toucher : en effet, si on n'a pas téléphoné de Rouen au Cameroun, on ignore toute la différence [PAGE 146] séparant la merveilleuse invention qui nous permet de parler instantanément à nos amis les plus lointains et la plus insultante plaisanterie qui ait jamais été faite à l'intelligence et à la patience d'un peuple. Le téléphone camerounais ne ressemble en rien à ce qu'on appelle ainsi ailleurs. Quand tout de même on obtient un correspondant, on est étonné de l'entendre énoncer à l'égard du pouvoir des critiques qui frisent le défi. J'ai plusieurs fois entendu appeler Paul Biya Ahidjo bis. Ce n'est donc pas la peur de la police qui retient les gens d'écrire, mais la paresse tout simplement.

Forcé par la circonstance d'aller à la découverte d'une mentalité qui m'était peu ou prou inconnue, j'avoue que, au début du moins, je ne cessai de tomber de stupéfaction en crise de colère et en abattement d'impuissance.

Les lettres d'Elundu Onana réapparaissent à la fin de la première décade de janvier 1985, c'est-à-dire après cinq semaines de silence. Elles sont pleines d'imprécations, à la fois arrogantes et désespérées. Mais c'est leur incohérence qui frappe le plus. Elle traduit l'impasse où la manœuvre, dont on lui avait confié l'exécution, vient de sombrer. Il a dû se rendre à l'évidence : je ne céderais jamais à son chantage.

Voici quelques extraits de cette instructive correspondance :

9 janvier 1985

                Monsieur Biyidi,

Je viens de recevoir le télex diffamatoire que vous avez adressé le 3 courant au directeur de la BICIC. Je ne peux que vous remercier du soulagement que me cause votre initiative et vous confirme, par la présente, la fin de toute activité en relation avec l'écoulement de votre œuvre romanesque au Cameroun.

Je crois que vous avez lu en son temps ma lettre du 5-12-1984, expédiée, il est vrai, un mois plus tard[1]. Ce soir, [PAGE 147] je vous tiendrai l'inventaire complet de vos ouvrages reçus, placés et non encore encaissés.

Il appartient donc à vous-même ou à votre arbitre de faire votre affaire du stock qui est désormais tenu à votre disposition à mon domicile à Douala...

Par ailleurs, j'aurais (sic) l'occasion de vous dire ce que m'inspire votre comportement, mais sur ce je vous confirme officiellement et définitivement la fin de toute espèce de collaboration...

10 janvier 1985

                Monsieur Biyidi,

Faisant suite au télégramme que vous avez envoyé à mon directeur général[2], le 3 janvier dernier, je suis au regret de te confirmer que j'arrête à ce jour la vente de tes bouquins. Et dès le 20 janvier prochain, de ma main, si vous n'avez pas pris entre-temps des dispositions pour les enlever de chez moi où ils sont stockés, ils seront simplement jetés sur la route.

... J'envoie donc la copie de votre télex à Présence Africaine et à Buchet-Chastel pour leur prouver comment il ne m'est plus possible de vous aider à les rembourser, car c'est bien vous qui avez accepté les traites qui doivent être domiciliées sur votre compte bancaire. Essayez donc de les payer à l'échéance, avec les ventes de mes exemplaires de « Main basse »[3] ! Il vous reste trois semaines pour le faire, car si j'ai bien compris, l'échéance tombe pour l'un et l'autre le 31 janvier. Vous pouvez également m'indiquer le nom d'un libraire qui pourra prendre les colis de tes bouquins sur place. Il pourra aussi continuer à travailler pour les Français dont vous êtes désormais. [PAGE 148]

Le coup du nègre qui enseigne le français aux petits Français de France manque d'originalité. Cette histoire a déjà été entendue et je ne gagne pas mon pain uniquement en le faisant des cours de français (sic).

24 janvier

                Mon cher Alex,[4]

... Enfin, comme dans toute affaire sérieuse, il faut s'en tenir aux échéances, étant entendu que je garderai avec moi toutes les sommes récoltées dans un compte dont je vous communiquerai le numéro prochainement en attendant les conséquences des lettres que vous écrivez partout sur ma situation professionnelle.

N'ayant plus de cadeau à vous faire, je vous prie de me faire vos contre-propositions. Si votre silence persiste, je vais remettre au Consul de France qui s'occupe des intérêts français à Douala les exemplaires de « La ruine presque cocasse... » qui sont difficiles à écouler.

Fraternellement[5].

25 janvier[6]

                Monsieur Alexandre Biyidi,

Je crois que vous avez quand même reçu quelques-unes de mes lettres et j'attends toujours la réponse aux questions soulevées... Après avoir sucé longtemps la mamelle d'un trop long exil, il se peut que vous soyez atteint par une folie qui vous pousse à mordre même ceux qui ont risqué leur vie pour vos écrits... [PAGE 149]

Vous savez que quand la tête d'Ossendé Afana a été tranchée, beaucoup de gens se sont réjouis évidemment, mais c'est vous, Biyidi Alexandre, que son sang a engraissé en vous apportant l'argent à travers des écrits de salon[7]. .. Qui profite de la misère de ses frères, c'est vous qui dormez au chaud, protégé par des lois françaises, ayant une Blanche dans votre lit, alors que les gens meurent ici de toutes sortes de privations dont la plus grande est celle de ne pas pouvoir s'exprimer[8]. .. [PAGE 150]

Le sang des martyrs est une semence de chrétiens, mais jamais les romans et les essais... Vous osez exiger que je vous rembourse quoi au fait ? L'air que vous respirez gratuitement en France ? Vos frais de taxi et d'expédition ? Et alors les miens je dois prier le ciel de me rendre (sic) n'est-ce pas ? Ou bien je dois toujours détourner la provision de mon crédit pour acheter le droit d'aller en prison ? [9].

Sachez également que vous avez la possibilité de demander à vos fournisseurs qui ont tiré des traites de proroger l'échéance de celles-ci d'au moins trente jours. Donc rien ne presse, inutile de hurler comme un petit bourgeois à court de sous[10].

Enfin toujours pour stabiliser votre trésorerie, demander (sic) à votre banquier de consolider votre débit en crédit sur vingt ou trente mois. Grâce à vous les Français vos compatriotes ne manqueront jamais de travail, en imprimant vos livres que nous essayons de vendre ici.

Profitez de ces conseils donnés sans contrepartie.

Fraternellement[11].

Cette étrange prose donne je ne sais quelle irrésistible impression de gens aux abois : qu'est-ce qui peut bien affoler ainsi Paul Biya et ses amis ? L'évolution accélérée de l'opinion camerounaise ?

Le lecteur n'a certainement pas manqué de comparer les lettres citées ici avec les précédentes. Que de chemin parcouru depuis le mois d'octobre 1984, par exemple, quand l'espion, transformé maintenant en provocateur, n'avait pas assez de mots flatteurs pour ma personne.

Ces extraits demandent, pour être compris, que je donne maintenant quelques explications.

Concernant l'allusion aux télex et lettres communiqués à Elundu Onana par ses employeurs putatifs, [PAGE 151] j'avais en effet tenté d'alerter les directeurs de la BICIC et de la BNP, en m'efforçant de donner à mon ancien partenaire en business la personnalité d'un escroc. En réalité, je voulais obtenir la preuve que j'étais bien victime d'une opération politique. Ces grands établissements de crédit sont trop soucieux de leur réputation pour tolérer chez l'un de leurs cadres l'esclandre dont Elundu Onana s'était rendu coupable. La BICIC, domiciliée au Cameroun, était peut-être paralysée par l'anarchie, le népotisme et la corruption ambiants. La BNP, quant à elle, demanderait des explications à son employé.

Les extraits, qu'on vient de lire, révèlent entre les lignes ce qui a dû se passer : le dossier, un moment ouvert, a dû être rapidement clos. A la demande de qui ? Sans aucun doute d'un homme très puissant. En tout cas, je n'en sus rien, quant à moi, personne n'ayant daigné seulement accuser réception de mes télégrammes et de mes lettres. Pour moi, le doute n'était plus permis désormais. Elundu Onana était bien un agent de Paul Biya.

Dans la deuxième quinzaine de janvier 1985, j'effectuai une autre démarche, plus humiliante que je ne saurais le dire. Des amis français d'extrême gauche auxquels j'avais fait part du coup dur qui me frappait, m'avaient vivement pressé de prendre langue avec des responsables socialistes, députés, attachés de cabinets ministériels, secrétaires nationaux du Parti socialiste, dont ils me fournirent une liste.

Au moins, me disaient-ils, je parviendrais ainsi auprès de Gattegno, directeur du livre chez le ministre de la Culture Jack Lang; je lui expliquerais l'affaire, ce serait bien le diable s'il ne m'aidait pas à obtenir un prêt dans les meilleures conditions, pour honorer les traites des éditeurs tiers, puisqu'il s'agissait de parer d'abord au plus urgent.

Ma répugnance naturelle à être demandeur auprès d'un homme politique, avec quelle peine il a fallu que je la surmonte, n'ayant guère le choix des moyens. Ce qui est certain maintenant, c'est qu'on ne m'y reprendra plus jamais. Quel cruel calvaire ! J'ai traversé les mêmes affres, à l'illusion près, que l'héroïne de mon dernier roman, « La revanche de Guillaume IsmaëI Dzewatama », cette épouse d'un homme politique noir qui, voulant [PAGE 152] sauver son mari en train de croupir dans l'horreur d'un camp de concentration africain, effectue une démarche auprès d'un homme politique français, espérant un peu de compassion. On m'écoutait, on prenait des notes, on me scrutait, mais c'était plutôt pour supputer la profondeur de ma plaie et l'imminence de l'issue fatale. Rarement la réalité a aussi bien dépassé la fiction. Bien qu'il me soit arrivé de rencontrer ainsi un grand nom, sinon le plus grand du socialisme rouennais, j'attends toujours, en ce début de juin, c'est-à-dire quatre bons mois plus tard, les résultats de ces prosternations.

Nos amis français d'extrême gauche n'ont jamais vraiment compris la nature de la haine que le néocolonialisme français, de droite ou de gauche, voue aux opposants radicaux africains en général, aux progressistes camerounais en particulier. Eux-mêmes entretiennent des relations de courtoisie, et même, parfois, de sympathie avec plus d'un cercle gouvernemental socialiste, dont certaines personnalités ont milité dans telle organisation anti-impérialiste française avant de se résoudre à un entrisme, qui, pensaient-elles, pouvait aider en quelque mesure la cause pour laquelle elles luttaient. Cette osmose, qu'on le veuille ou non, trahit une complicité peut-être involontaire chez les uns, mais bien consciente chez les gouvernants qui ne manquent pas d'en tirer éventuellement parti.

Entre le pouvoir socialiste actuel et les radicaux africains, il n'existe rien de tel, bien entendu. Mais, pire que cela, il y a sans doute plus de haine chez François Mitterrand pour les radicaux africains que chez Giscard d'Estaing, pour des raisons faciles à analyser, mais que je m'abstiens d'exposer ici faute de place et de temps (j'y reviendrai peut-être plus tard). Des critiques identiques quant au fond provoqueront tout au plus un rictus d'amertume si elles émanent de l'extrême gauche blanche, mais seront ressenties comme un blasphème, proférées par des anti-impérialistes noirs. C'est une forme de racisme très sophistiquée. Un grand journaliste français, M. Gilbert Comte, collaborateur du Monde, ne refusa-t-il pas un jour de me fournir l'information que je lui demandais, sous prétexte que, en traitant ses habituelles élucubrations africaines du seul nom qu'elles méritaient, je l'avais insulté : c'est une réponse qui ne lui serait même pas venue à l'esprit si j'avais été un journaliste [PAGE 153] blanc – ou qui l'aurait définitivement discrédité aux yeux de ses pairs.

Mongo Beti n'avait pas cessé de couvrir d'opprobre le pouvoir socialiste, ses pontifes, son grand-prêtre. Il s'était f... dans la m... Eh bien, qu'il y reste. Fût-elle en train de crever, on ne tend pas la main à une vipère sans s'exposer à la plus cruelle morsure. Quant à la défense de la liberté d'expression, voilà une foutaise qui convient peut-être à la démagogie d'un parti d'opposition, mais qu'il faut oublier bien vite dès qu'on prend en charge les soi-disant intérêts supérieurs de la France. Comme aurait pu dire Machiavel, un grand bourgeois ne doit croire en rien.

Le Parti socialiste s'est donc bien gardé de lever le petit doigt dans une affaire mettant manifestement en péril l'unique tribune totalement libre à la disposition des intellectuels, des opposants, des militants anti-impérialistes de l'Afrique « francophone ». Rien là que de très logique, dussent nos amis français d'extrême gauche perdre la dernière de leurs illusions, celle d'un dialogue possible entre le national-tiersmondisme et nous autres.

Il y a plus : à en juger par certains indices, que je détaillerai dans une prochaine livraison de la revue, n'y a-t-il pas lieu de se convaincre légitimement que certaines sphères du Parti socialiste français ont participé à la conception et à l'élaboration du complot dont nous sommes victimes ? N'était-il pas évident qu'à Paris même des gens puissants s'évertuaient à asphyxier Peuples noirs-Peuples africains en le privant de toutes ressources financières ? Qui ne se rappelle l'affaire Cattin ? Cette fois, se disaient nos ennemis, le coup tordu était un chef-d'œuvre, et plus nous nous débattrions, plus la corde du piège nous étranglerait.

Le fait est que plus le temps passe, moins j'ai d'espoir de récupérer les sommes fabuleuses que l'espion de Paul Biya m'a extorquées par la plus odieuse des fourberies.

L'IMPASSE

Il me restait tout de même encore le recours à la loi, pour autant qu'il y eût des tribunaux dignes de ce nom au Cameroun. [PAGE 154]

Des compatriotes camerounais de Paris m'avaient recommandé de contacter Benjamin Matip, un camarade de lycée, que j'avais personnellement perdu de vue, mais qui, me dit-on, s'était installé comme homme de loi à Douala. Je l'eus au téléphone dans la première décade de janvier et lui exposai succinctement l'affaire qui motivait mon appel. J'eus le plaisir de l'entendre s'étrangler d'indignation au bout du fil. Une telle réaction, révélatrice d'une forte personnalité et d'une sensibilité demeurée à vif, est chose fort rare chez les diplômés camerounais que l'accoutumance à la peur et l'abus des calculs de l'arrivisme ont fini par rendre apathiques. Je n'allais pourtant pas tarder à déchanter; car un autre vice nous caractérise, nous les diplômés africains où que nous soyons; c'est l'instabilité. Elle est pardonnable; car c'est peu de dire que nous sommes assis entre deux chaises; il vaudrait mieux dire que nous sommes juchés sur un échafaudage de chaises parallèles; nous avons dû faire la transition plus ou moins réussie entre la colonisation et l'« indépendance », la culture noire et l'univers blanc, le village et la ville, parfois entre le dénuement et la prospérité. Où trouver le fondement d'un équilibre ?

Mais le fait est là.

Il me confia qu'il ne pouvait pas plaider pour le moment; Ahidjo, le précédent dictateur du Cameroun, lui avait retiré la licence d'avocat, car pour plaider au Cameroun, il faut l'autorisation spéciale du président de la République qui la dispense suivant des critères extravagants. Ainsi, le nouveau dictateur, saisi par Benjamin Matip d'une demande d'autorisation de plaider à nouveau, s'obstinait à ne pas répondre. J'allais apprendre plus tard qu'il y avait en réalité anguille sous roche.

Si Benjamin Matip ne pouvait plaider, il allait du moins diligenter mon dossier et le confier au doyen du barreau, un homme de grande compétence et de grand crédit, à l'habileté duquel on pouvait s'en remettre en confiance. Il fallait seulement que je lui adresse un mémoire exhaustif et tous les documents utiles concernant le litige.

C'est ce que je fis dans les huit jours qui suivirent. Dès la mi-février, une mise en demeure était adressée à Elundu Onana qui n'y a jamais répondu, assuré de la protection des plus hautes autorités du pays, exactement comme dans un pays de l'Est. [PAGE 155]

Alors une mésentente naquit entre nous. Je désirais personnellement, et c'est compréhensible, qu'une procédure judiciaire en bonne et due forme soit engagée sans délai. C'était aussi l'avis de Benjamin Matip, qui brûlait autant que moi-même d'engager le fer avec le dictateur dissimulé derrière l'espion. Mais l'avocat en titre, seul maître du dossier en définitive, ne l'entendait pas de cette oreille.

D'une part, il avait sa philosophie personnelle concernant cette affaire; il ne croyait pas, quant à lui, à la machination politique; il y crut encore moins courant mars, alors que l'affaire venait de commencer à être évoquée dans le numéro 43 de la revue Peuples noirs-Peuples africains, récemment paru. Elundu Onana, pour la première fois, donna signe de vie à mon avocat avec qui il prit rendez-vous.

Mon avocat ne m'a pas donné une relation écrite de cette rencontre, se contentant, selon l'usage camerounais, de l'évoquer au téléphone, au cours d'une communication techniquement exécrable. J'en ai retenu que l'espion, désinvolte, jovial non sans se forcer, s'attacha surtout à démontrer qu'il n'avait nullement partie liée avec le gouvernement, y mettant une telle insistance que cette collusion devenait évidente; sous le charme de l'espion, mon avocat traita ses protestations comme parole d'Evangile.

Quant à ses dettes, l'espion se garda de les nier, mettant même une sorte de coquetterie à en reconnaître la réalité. Pourquoi ne me payait-il pas ? Il ne demandait qu'à le faire, mais j'étais, selon lui, comme l'anguille de Melun, qui crie avant qu'on ne l'écorche; je m'étais affolé trop vite. Bien sûr que les échéances des traites étaient passées, mais ce n'était pas une catastrophe, ces choses-là arrivent souvent dans le commerce.

Pourquoi m'avait-il fait le chantage d'un voyage au Cameroun ? Un chantage, lui ? Si on ne pouvait plus faire une innocente suggestion à un ami avec lequel on avait des relations personnelles d'une telle qualité !

– Mais enfin ! s'écria mon avocat au téléphone, vous reconnaissez que vous aviez des relations personnelles avec lui.

Le culot doit être la première qualité d'un espion. Elundu Onana me rappelait cette madame Lalande Isnard dont j'ai parlé au début de ce récit qui, sous couleur de [PAGE 156] vendre des livres, me téléphonait au beau milieu de la nuit, essayait de me tirer les vers du nez, et allait ensuite répandre qu'elle était une de mes connaissances. Au fond, tous les espions procèdent de la même façon.

Bref, mon avocat était persuadé qu'il obtiendrait un règlement amiable et que nul besoin n'était d'engager une procédure. Je lui fis remarquer en vain qu'une procédure, en exerçant une pression supplémentaire sur le personnage, pouvait être psychologiquement parlant une arme d'appoint.

– Vous allez voir, lui dis-je dans la lettre que je lui adressai après notre conversation, Elundu Onana va maintenant tergiverser, pinailler, chinoiser, user de toute sorte d'artifices dilatoires, mais il ne paiera pas, assuré désormais de l'impunité totale par votre attitude. Car il a pour mission de me susciter toutes les difficultés possibles, et même, s'il en a les moyens, de me ruiner pour que je ne puisse pas continuer à publier la revue Peuples noirs-Peuples africains.

Mon avocat n'en crut rien alors. Mais voici ce qui advint par la suite. Elundu Onana avait promis de lui fournir un inventaire complet; il n'en fit rien, bien entendu, jusqu'à ce qu'il apprenne fin avril que mon avocat venait en France. Alors, on ne sait pourquoi (ou plutôt je le devine), il lui donna rendez-vous à l'aéroport de Douala, et là lui remit une espèce de torchon indéchiffrable, qui pouvait tout au plus laisser supposer qu'Elundu Onana avait bien écoulé les livres envoyés par les éditeurs tiers, et donc qu'il pouvait maintenant régler leurs traites.

– Alors, dis-je à mon avocat, quand je le rencontrai à Paris fin avril 1985, qu'attend-il pour payer ? Apparemment, il a écoulé les livres de Buchet-Chastel, de Présence Africaine et de L'Harmattan...

Rentré au Cameroun, mon avocat alla aussitôt qu'il put poser cette question à Elundu Onana. Comme je l'avais prédit, celui-ci louvoya, biaisa, disputailla, étala sa mauvaise foi, le tout avec des airs de désinvolture qui achevèrent de scandaliser son visiteur, qui ne se demanda pas si cette désinvolture était vraiment naturelle.

Quand j'eus mon avocat au téléphone, il était enfin convaincu de la perfidie d'Elundu Onana.

Je lui demandai donc à nouveau, fermement, d'engager cette fois la procédure judiciaire. [PAGE 157]

L'a-t-il fait enfin ?

Si je veux le savoir, il faudra que je téléphone au Cameroun, au risque de me ruiner.

Mais la question a-t-elle encore quelque importance ? Ai-je la moindre chance de récupérer mon argent, les choses étant ce qu'elles sont ? Le petit dictateur auxiliaire de troisième classe et ses stratèges en action psychologique savent bien que j'ai percé leurs misérables calculs; ils doivent s'être persuadé que je ne me laisserai pas attirer au Cameroun; ils voient bien que Peuples noirs-Peuples africains poursuit sa marche imperturbablement. Mais ils sont piégés : font-ils machine arrière ? ils perdent la face, c'est-à-dire toute crédibilité auprès des multinationales françaises qui les surveillent. Persistent-ils dans leur fourberie ? ils tendent à leurs ennemis, qui sont nombreux, plus de verges que jamais pour fustiger cette petite bande d'éminentes nullités, composée presque en totalité d'anciens laquais du sinistre Ahidjo, dont l'opinion camerounaise est en train de déchirer les masques avec une allégresse qui fait plaisir à voir[12].

J'ai du reste abandonné toute l'affaire à mon avocat, m'en tenant depuis janvier dernier au seul domaine judiciaire. En temps normal, je ne consentirais même pas à échanger un mot de salutation avec des personnages comme Elundu Onana ni, à plus forte raison, une lettre, quel qu'en soit le sujet. Je ne veux pas connaître ces petits coquins promus hommes d'Etat par François Mitterrand et ses nationaux-tiermondistes. Fussent-ils, comme [PAGE 158] on me le répète, de mon « ethnie », je n'ai strictement rien de commun avec eux.

Voici, en revanche, une question que chacun se pose : qui au juste se cache derrière Elundu Onana ? Autrement dit : à qui profite le crime en dernière analyse ?

A Paul Biya, héritier d'Ahmadou Ahidjo, en dépit qu'il en ait, donc mon ennemi naturel, comme il l'est de tous les progressistes camerounais ? Sans doute.

A Paul Biya seul ? Voire.

Je donne donc rendez-vous encore une fois aux lecteurs pour la prochaine livraison de Peuples noirs-Peuples africains.

Mongo BETI

(à suivre)

Les fragments successifs de ce récit seront rassemblés en un volume dont la parution est prévue vers Noël de cette année. En souscrivant maintenant, vous aurez le livre pour la moitié de son prix, soit 25 F. Vous nous aiderez beaucoup ce faisant dans la phase très difficile que nous traversons. Titre de l'ouvrage : Lettre ouverte aux Camerounais ou la bureaucratie réactionnaire contre les créateurs.


[1] Etrange, cette lettre du 5 décembre expédiée un mois plus tard ! Un espion n'est pas forcément un homme intelligent, heureusement. Bien entendu, rien de ce qui est dit dans cette lettre ne fut suivi d'effet. Le fameux inventaire annoncé ici ne m'est jamais parvenu; il n'a toujours pas été véritablement fourni à mon avocat qui, pourtant, n'a cessé de le réclamer. Quant à la fin de toute espèce de collaboration, c'est de moi qu'elle est venue, comme on l'apprendra un peu plus loin.

[2] De la Banque Nationale de Paris, établissement dont la BlCIC est la filiale.

[3] Phrase dont le caractère inintelligible vient peut-être moins de la maladresse d'expression que de ce tour d'esprit spécifique du saboteur et de l'espion, et qui fait d'eux des techniciens de la confusion.

[4] Curieux changement de ton.

[5] Je n'ai pas répondu à ces insanités (d'ailleurs j'avais cessé toute correspondance avec le personnage dès janvier, comme je m'en explique plus loin). Pourtant, que je sache, les livres n'ont pas été remis au Consul de France. A l'évidence, l'entourage de Paul Biya traversait une période de grand affolement, ne sachant à quels saints se vouer, ni quelle pression exercer sur moi pour me forcer à aller au Cameroun, l'idée fixe de ces messieurs.

[6] Lettre écrite par conséquent le lendemain de la précédente ! Notez le changement de ton, et même le style. S'agit-il bien de la même plume ?

[7] Ossendé Afana, jeune économiste appartenant à l'ethnie beti, avait étudié en France, comme moi-même, pendant les années cinquante. Il était rentré au Cameroun au début des années soixante, non pour se vautrer dans la corruption et la magouille au service du tyran, comme les Senga-Kouo, Paul Biya, Adalbert Owona et tutti quanti, mais pour créer un maquis révolutionnaire inspiré des théories de Mao Tsé Toung, dans la jungle du sud-est camerounais. C'est l'un des héros révolutionnaires camerounais, avec Ruben Um Nyobé, le vrai fondateur de la nation camerounaise, Félix-Roland Moumié et Ernest Ouandié, dont les Camerounais n'ont jamais pardonné la mort à Ahmadou Ahidjo. Son mode d'exécution fut atroce. Après l'avoir capturé, la soldatesque d'Ahidjo lui trancha le coup; on raconte que sa tête fut apportée au tyran sur un plateau afin qu'il pût en repaître ses yeux à sa guise. Tel était le monstre au service duquel Paul Biya passa plus de vingt années.

[8] Accusations burlesques, mais qui entrent comme composantes de base dans la langue de bois des catholiques réactionnaires camerounais toujours influencés par les missionnaires, et notamment par les Spiritains, la congrégation missionnaire sans doute la plus arriérée qui soit. Ce sont les Spiritains, qui, dès l'après-guerre, firent de la pénétration du marxisme la hantise fantasmatique qui allait devenir la névrose collective des conservateurs camerounais et cimenter leur alliance avec Ahmadou Ahidjo, le fou de Dieu venu du Nord. Les catholiques sentent bien aujourd'hui que, tôt ou tard, il leur faudra rendre des comptes concernant cette épouvantable période qui vit périr, souvent dans des souffrances indicibles, les meilleurs enfants du pays. Ils aimeraient s'abriter derrière un bouclier, en l'occurrence un homme qui non seulement ne trempa jamais dans les atrocités d'Ahidjo, n'en tira jamais un soupçon de bénéfice, mais au contraire combatit sans répit l'abominable tyran. Ils ont décidé que je serais cet homme. Ils n'osent pas me le demander en face, redoutant à juste titre mon indignation. Ils ont donc décidé de m'y contraindre, par l'intrigue, car ils se croient intelligents. On verra bientôt que l'un de ceux qui se sont le plus agités derrière Elundu Onana n'est autre que mon fameux « cousin » (et rival de clan, comme il arrive souvent), Adalbert Owona, l'historiographe-biographe (en afro-français cela s'appelle tout simplement : griot patenté) d'Ahmadou Ahidjo, écrivain à la plume malheureusement bien molle. Depuis le départ de son héros, mon « cousin » a, dit-on, reçu un tel nombre de menaces de vengeance qu'elles l'ont privé de sommeil.

[9] Tentation bien connue chez le tortionnaire de s'identifier à sa victime en parlant au moins son langage.

[10] C'est moi qui souligne.

[11] Dérision ? Démence ? Obéissance à la consigne de coller malgré tout à la cible ?

[12] Des livres écrits par des Camerounais résidant au Cameroun et traitant des événements récents paraissent actuellement à un rythme étonnant. Ils suggèrent tous ou même expriment clairement la même conclusion : Paul Biya a trop longtemps servi la dictature sanglante et antipatriotique d'Ahmadou Ahidjo pour être le right man at the right place aujourd'hui en tant que president d'un Cameroun manifestement résolu à prendre un nouveau départ en s'appuyant sur la fraternité et la démocratie. A ce sujet, je conseille plus particulièrement la lecture de deux ouvrages parus récemment aux Editions L'Harmattan (7, rue de l'Ecole Polytechnique, Paris 5e) et dont nous reparlerons bientôt :
Cameroun, de l'U.P.C. à l'U.C., Paris, juin 1985, par Eugène Wonyu. Duel camerounais, démocratie ou barbarie, mai 1985, Paris, par Victor Kamga.