© Peuples Noirs Peuples Africains no. 44 (1985) 39-51



ETUDE

Patrick ILBOUDO

DE LA POULE BLANCHE AU FESPACO

Sans doute ne saura-t-on jamais si l'anecdote de la poule blanche appartient au répertoire des histoires imaginées auxquelles on essaie de faire croire ou à la catégorie des propagandes intéressées visant à bêtifier les uns pour mieux magnifier les autres. Le contexte de son existence mérite néanmoins l'analyse. Voire. On raconte, dans le monde du cinéma, qu'après une projection d'un documentaire sur les problèmes d'hygiène à l'intention des populations de l'Afrique noire, les auteurs de la campagne les ont interpellées pour s'instruire de ce qui avait retenu leur attention. Un spectateur répondit que c'était « la poule blanche ». La poule blanche ? ! Mon Dieu, quelle poule ? On rembobine la pellicule et on reprojecte. Il y avait bel et bien une poule blanche, une espèce d'intruse du scénario qui avait réussi à traverser le champ lors des prises de vue. Moralité – les spectateurs africains n'ont rien compris de l'essentiel, ils n'ont appréhendé que l'accessoire, l'impromptu et l'inutile. Donc, le discours filmique ne leur est pas encore accessible. Ce sont, soutient-on, des mentalités prélogiques. Signalons humblement par parenthèse que les Africains ont « découvert » le cinéma presque à la même époque que ses inventeurs. Un marchand forain n'a-t-il pas projecté à Dakar en 1900 L'arroseur arrosé de Louis Lumière ? Somme toute, en certains milieux, l'histoire de la poule blanche est toujours exploitée à l'envi pour nier le bon sens et l'esprit cinématographique des Africains, lesquels se sont pourtant bien illustrés, en l'occurrence dans la [PAGE 40] première moitié du XXe siècle avec notamment Aïn el Ghezal (La fille de Carthage) du Tunisien Chemama Chikly et Mouramani (1953) du Guinéen Mamadou Touré.

Seize ans après cette dernière date, s'allument biennalement, comme un gros pari fort hasardeux, un énorme défi plein de témérité ou une provocation enceinte d'insolence publique, les herses du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO). En effet, au moment où il voit le jour, la Haute-Volta (aujourd'hui le Burkina Faso) n'a point de long métrage. Le premier en la matière, Le sang des Parias, de Mamadou Djim Kolla, ne reçoit les honneurs du public qu'à la quatrième édition du Festival tenue du 3 au 13 février 1973.

Malgré tout cela ou à cause de tout, c'est Ouagadougou que l'Afrique du Cinéma choisit en 1969 pour être son Hollywood. Lorsqu'on effectue un travelling rétrospectif sur le FESPACO, ce qui frappe est peut-être moins l'espoir qu'il suscita à sa naissance que ce que les sceptiques ont appelé avec beaucoup de dérision « la crânerie panafricaine ». Pourquoi ? Parce qu'en 1969, la Haute-Volta était presque sans production nationale, sans cinéaste et assez mal lotie quant à la distribution. Son patrimoine cinématographique ne comptait qu'une quarantaine de courts et moyens métrages réalisés pour la plupart dans le cadre de la coopération franco-voltaïque.

Convient-il de mentionner deux occurrences qui sont peut-être le fait du hasard, mais qui ont leur intérêt ? Le 31 décembre 1970, les deux sociétés de distribution qui pourvoient l'Afrique de l'Ouest en films, la SECMA et la COMACICO, décident de fermer leurs salles en territoire voltaïque où le gouvernement a pris la résolution de les nationaliser en réponse à un différend qui les oppose. Les deux sociétés voulaient augmenter le prix des places contre l'assentiment des autorités aux yeux desquelles le prix des places est capital parce qu'il entre dans l'établissement de l'indice du coût de la vie. Issue du différend : les salles sont effectivement nationalisées, une Société Nationale du Cinéma (SONAVOCI) est créée. Chargée principalement de l'exploitation, elle est contrainte de passer un contrat d'exclusivité de programmation avec la SECMA-COMACICO.

En soi, le FESPACO étale un problème fondamental : l'Afrique ne veut plus être le pays où tout étranger porteur [PAGE 41] de caméra vient chercher le folklore, l'insolite ou l'état dit sauvage pour des films à grand spectacle ou des documentaires que d'ailleurs il lui revend, après traitement, sous la forme de chewing-gum des yeux, pur produit au grand pouvoir aliénant, surtout s'il parvient à exciter les bas instincts et le petit côté gustatif du publie. Avec le FESPACO, les Africains ont donc décidé de rebattre et de redistribuer eux-mêmes les cartes. Aussi a-t-il souhaité le jour de son baptême être un instrument à libérer des images et l'imaginaire africain.

LES PREMIERS FILMS

La situation qui prévalait alors en Haute-Volta, sur le plan de la production, était presque identique dans les autres pays du continent, singulièrement en sa partie sub-saharienne. En 1969, un seul pays compte un long métrage : le Zaïre qui affiche La nièce captive de Luc Michez (un non-Zaïrois). La nièce est un concentré d'être doué pour la menterie, le vol et la comédie de mauvais aloi. Elle est vendue à un riche seigneur. Les années passent, la nièce s'assagit et revient triomphalement au bercail.

La Côte-d'Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Nigeria et le Sénégal pouvaient s'enorgueillir d'avoir produit avant 1969 des longs métrages. Sous ce chapitre l'Etat ivoirien fait figure de pionnier puisque, en 1964, elle avait réalisé le sien : Korogo de Georges Keita, une adaptation de l'existence légendaire de la Reine Pocou. Grâce à l'Anglais Terry Bishop, le Ghana lui emboîte le pas l'année suivante avec The Tongo Hamlet, l'Hamlet africain, adapté de Shakespeare. Le texte original a été maintenu, excepté en ses parties n'ayant pas de sens pour le peuple frafra de Tongo. Lamine Akin signe en 1966 en quatre-vingt-dix minutes Sergent Bakary Woolën pour la Guinée. L'histoire est également une adaptation d'une pièce de théâtre. Sergent Bakary Woolën présente les tribulations d'un soldat guinéen de l'armée française qui rentre au pays après une longue absence. Pendant ce temps, le Nigeria promène sur les écrans les silhouettes de Deux hommes [PAGE 42] et une chèvre. Une part spéciale vaut d'être réservée au Sénégal qui comptait alors un très grand nombre de cinéastes talentueux, de Paulin Vieyra, figure de proue du cinéma africain naissant, à Ousmane Sembène, actuellement le plus grand des artistes, en passant par Tidiane Aw et Djibril Diop-Mambety. La Noire de... d'Ousmane Sembène a reçu le « prix du meilleur film de long métrage » lors du premier festival mondial des Arts nègres de Dakar. La Noire de... dépeint la mésaventure d'une bonne qui quitte son Sénégal natal, en compagnie de ses patrons européens, pour la France. Déception, morosité, solitude se conjuguent et la tuent. Le film est difficilement analysable en quelques mots, il se situe à différents niveaux de la conscience et porte tant sur le plan politique que sur le social ou l'économique.

Les deux années qui suivent l'avènement du FESPACO enregistrent une timide floraison d'œuvres. Jean-Paul N'Gassa confectionne un film de montage sur la première décennie de l'indépendance au Cameroun : Une nation est née. En 1971, la Mauritanie, elle, se lève sous les lumières de Soleil 0, de Med Hondo pour décrier à l'écran le colonialisme et le néocolonialisme. Près du soleil, le Niger présente, en coproduction volto-nigérienne, FVVA de Mustapha Alassane.

Le film a d'abord été intitulé Le téléphoniste, ensuite Un os pour toi avant de porter définitivement le titre de FVVA, nom qui recouvre les mots de Femme, Voiture, Villa, Argent; une sorte de pot pourri thématique baignant à la fois dans la modernité et dans la tradition.

Co-réalisé dans le canevas de film télévisuel, où vas-tu Koumba du Gabonais Simon Auge et du Français Alain Ferrari a permis au Gabon d'exhiber son premier long métrage au même moment que le Cameroun, la Mauritanie et le Niger. Où vas-tu Koumba comporte treize épisodes de quinze minutes chacun. Il accumule les péripéties d'un campagnard qui émigre en ville pour chercher du travail et gagner sa vie, afin de permettre à sa famille de rembourser la dot de sa sœur divorcée. Deux années plus tard, le Congo et Madagascar étaient pourvus des leurs. La Rançon d'une alliance (de Sébastien Kamba) pour celui-ci, Le retour de Randrasana Ignace Solo pour l'île de l'océan indien. La Rançon est tiré de La légende de Mpfoumou de Jean Malonga. Le retour traite de [PAGE 43] l'exode urbain : une famille quitte la ville pour la campagne, la femme ne peut s'habituer à y vivre et revient finalement en ville pour faire la... péripatéticienne. En 1974, le Bénin se particularise comme le pays de cette partie de l'Afrique à avoir produit un long métrage : Sous le signe du Vaudou de Pascal Abikanlou. A la même époque la République Centrafricaine concrétise Josepha, un court métrage de quinze minutes, le premier d'une série sur la vie de la femme africaine en Europe. L'ensemble des pays africains avait, dans leur patrimoine national, des courts métrages, en particulier des documentaires. Ainsi la Gambie, l'Ouganda, la Sierra Léone, le Tchad et le Togo n'avaient réalisé que des courts métrages. La Gambie, grâce à l'Anglais Antony Lathan, avait en 1974 son Seed next season. L'Ouganda, la bobine d'Idi Amin Dada, visage nullement beau ni pour le général ni pour l'Afrique. La Sierra Léone, elle, regardait et écoutait son Concert qui prend pour prétexte l'argument musical aux seules fins de saisir l'étude psychologique du musicien. En 1972, Bangui est A la découverte du Tchad d'Edouard Sailly. Sans doute était-ce assez court : vingt minutes, un dépliant touristique écrit en images écraniques. A Lomé, la similitude retient l'attention : une trentaine de minutes pour montrer Le Togo en couleur.

Au premier FESPACO, vingt-trois films (dont quatorze africains) étaient proposés au public; au huitième, il y en avait soixante-neuf. Seulement cinq pays africains y avaient pris part la première fois, ce sont vingt-cinq qui ont participé au dernier.

Y A-T-IL UN CINEMA AFRICAIN ?

L'art n'a pas de nationalité, sinon celle de l'universalité. Vue à travers cet œilleton, la question de savoir s'il existe un cinéma africain semble vidée de sa substance. Peut-être apparaît-il alors comme une présomption irritante de formuler tout de même l'interrogation surtout après que l'usage en a presque solidement consacré le nom. il suffit toutefois de se reporter aux fluctuations mêmes des définitions et à la diversité des opinions (parfois contradictoires) émises à ce sujet pour s'apercevoir [PAGE 44] que la notion du cinéma africain n'est pas une affaire entendue à jamais. Med Hondo la proscrit même délibérément : « Je suis, affirme-t-il avec force, parmi ceux qui ont toujours dit qu'il n'y a pas de cinéma africain mais qu'il y a des cinéastes africains. C'est une nuance capitale. » Aux yeux du public cependant, il existe naturellement un cinéma africain. Med Hondo soi-même n'a-t-il pas interpellé en 1976, lors du cinquième FESPACO, devant le Ciné Oubri à Ouagadougou, un spectateur voltaïque entouré de sa famille ? « Pourquoi êtes-vous là ? Pour voir le cinéma africain ! Quel film ? Un film africain ! De qui ? D'un cinéaste africain ! Le sujet ? Une histoire africaine ! » Simple donc, la notion de cinéma africain ? Ecoutons Cheikh Ngaydo Ba, cinéaste de la nouvelle génération, pour qui les termes de « cinéma africain n'ont pas de sens ». Lui situe le problème à un autre niveau : sustenter une méfiance de principe à l'égard des cinéastes étrangers qui prétendent avoir plus de sensibilité pour pénétrer la culture africaine mieux que les Africains. Il désire à tout cœur que s'impose à l'écran une lumière africaine, par exemple, la possibilité de traduire la nuit africaine sans le filtre qui crée la nuit américaine. Il rejette la mise en scène actuellement pratiquée par les cinéastes africains parce qu'elle n'est que « la mise de la scène ». Dans le cinéma africain, soit on parle beaucoup, soit on ne parle pas assez. Or l'oralité est une dimension importante du cinéna », professe-t-il.

Sur le plan juridique, le débat sur le cinéma africain a connu bien des vagues. Prenons ce cas précis : Le courage des autres de Christian Richard a marqué le huitième FESPACO sur plus d'un point filmographique. Il a été servi à la séance inaugurale et a servi aussi de discussion juridique. Est-il un film africain ? Son père Christian Richard est Français, sa mère nourricière, CINAFRIC (Société Africaine de Cinéma) est voltaïque, donc africaine. Or, le règlement général du FESPACO stipule qu'un film hérite de la nationalité de son réalisateur et ou celle de son producteur. Ousmane Sembène, dans ce débat, est sans ambages : il fait sienne l'opinion selon laquelle « le réalisateur d'un film doit en être le propriétaire, car c'est lui qui y exprime toute sa sensibilité. Le film, c'est sa propriété morale ».

Le deuxième règlement général du FESPACO lui donne [PAGE 45] a posteriori raison. Son article 10 précise que les films proposés à la compétition officielle doivent remplir quatre conditions dont la première est la suivante : « le réalisateur doit être africain ». Cette « clause » ressemble comme une lettre jumelle à la disposition no 6 du règlement général des journées cinématographiques de Carthage qui mentionne que pour « être inscrit à la compétition officielle, tout film doit remplir quatre conditions dont celle d'avoir été « réalisé par un réalisateur de nationalité africaine ou arabe ». Il sied toutefois de remarquer qu'en la matière la jurisprudence internationale accorde au film la nationalité de son producteur ou celle de son réalisateur, ainsi que le préconisait la première formule du règlement général du FESPACO. Elle invoque même volontiers la co-nationalité, moyen terme conciliant les parties intéressées, communiant dans des intérêts identiques.

Fors les débats purement juridiques, il faut retenir que, de manière générale, on parle de cinéma africain pour désigner globalement le cinéma fait par des Africains. L'appellation est donc une commodité de langage pour désigner à la fois l'unité et la diversité continentale, puisque, comme chacun sait, personne ne parle ni de cinéma européen ni de cinéma asiatique, les cinémas se qualifiant habituellement par le nom des pays d'origine. Nul doute qu'il est plus exact de parler des cinémas africains que du cinéma africain.

LE PUBLIC

La formule revêt des atours prosaïques, mais elle exprime clairement l'idée à laquelle on pense : le publie africain, à l'image de tous les autres publics du monde qui ont vécu les premières années du cinéma, est moutonnier. Les films de série B, les « fast-foods culturels », les spaghetti westerns... ont conditionné et stéréotypé ses réflexes. Il va au cinéma pour « savourer » un western ou un policier qui passe, peu importe par exemple le nom de l'acteur ou celui du réalisateur (dont personne ne cherche du reste à remarquer le nom). Question d'analphabétisme ou désintérêt pour ces rôles ? En tout cas, [PAGE 46] l'acteur principal prend souvent et parfois pour longtemps le nom de son meilleur rôle. ou celui qui a le plus marqué les spectateurs, avant d'être un jour reconnu par celui de son état civil ou par le pseudonyme que, dans son métier, il s'est attribué.

Dans le cinéma africain, la star n'existe pas encore (de même que le star-system) car il est rare de voir le même acteur dans plusieurs films. C'est plutôt le réalisateur qui lui dame le pion s'il est doué ou s'il est une personnalité remarquable. Cela s'illustre parfaitement dans les cas d'Ousmane Sembène, Med Hondo, Souleymane Cissé... Les deux premiers sont des figures « dipolaires » du cinéma africain puisqu'ils jouent quelquefois des rôles de comédien dans des films dont ils sont en même temps les réalisateurs. Autant le public n'est pas aguiché par les stars parce qu'il n'y en a pas, autant il ne s'appuie guère sur les critiques de la presse pour choisir un film. Il choisit d'ailleurs très peu. Le système du « bouche à oreille » est plus productif; c'est lui qui convoie les gros bataillons de spectateurs pour un film.

La production et la distribution des films africains empêchent de fidéliser le publie. La relative pauvreté numérique du patrimoine (problème de jeunesse) jointe au fait que les films qui passent au FESPACO ne sont même pas vus par le publie des quatorze Etats qui ont institué les Consortiums Interafricains de Distribution cinématographique et de production de films (CIDC/CIPROFILM) constitue en soi un puissant frein à la possibilité de massifier un public fidèle. Certes, les années passent, le cinéma africain prend des couleurs, au propre comme au figuré, mais cela est encore insuffisant. Autres causes : il y a des provinces en Afrique où des Africains n'ont pas encore vu d'images du cinéma africain. Ils ignorent jusqu'à l'existence de cet art que l'on dit ou que l'on veut africain. N'a-t-on pas en fait attendu l'organisation du huitième FESPACO pour que l'on ose réfléchir en séminaire sur « le cinéma africain et son public » ? Les rencontres antérieures portaient sur des thèmes tels production/distribution, l'Etat et le cinéma, la télévision et le cinéma, création/créativité... En somme, on a constamment demandé au cinéaste africain d'être responsable, mais rien de précis au public, sinon que d'aller voir des films africains. Un fait symptomatique s'est produit [PAGE 47] lors de ce FESPACO : un Prix du public était prévu, mais n'a pas été décerné parce que le public n'était pas au rendez-vous. Il n'a donc pas émis de vote.

Peut-on classer le public africain du cinéma du même nom à partir de ses préférences prononcées pour tel ou tel thème ? Seul un sondage permet d'y répondre. Au demeurant, notons qu'il est difficile de parler stricto sensu de thèmes des films, mais plutôt de groupes de thèmes puisqu'il est impossible de dire que tel film ne traite que d'un thème. Il est loisible cependant d'affirmer que la thématique africaine a consisté jusque-là à filmer la corruption, la lutte des classes, l'opposition tradition/ modernité, la colonisation, la libération des peuples... En un mot comme en cent, les préoccupations des cinéastes ont consisté à présenter et à expliquer l'Afrique à travers la caméra.

L'Œil vert, collectif ou « club » regroupant une quarantaine de cinéastes africains, essaie justement d'adopter une autre démarche. L'Œil vert n'est pas une entité homogène, c'est un pavage mosaïque de réalisateurs aux écritures filmiques très différentes, ayant seulement en partage la volonté de trouver une espèce de « gestalt » cinématographique commun, des écritures filmiques adéquates pour traduire les réalités africaines. La Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) poursuit des objectifs identiques. Créée en 1975, la Fédération traverse aujourd'hui une crise. Depuis 1982, elle n'a plus de secrétaire général, le secrétariat étant assuré par une troïka de membres.

Le public du cinéma africain, lorsqu'on l'envisage à partir des éditions du FESPACO, est passé progressivement de 10 000 à 200 000 spectateurs. C'est un bon signe.

CHERCHER LE GENRE

En dépit de sa juvénilité, le cinéma africain a déjà donné dans les grands genres du septième art. En 1965, les dessins animés étaient réalisés par le Nigérien Mustapha Alassane (La mort de Gandii et Le voyage de Sim) qui a également tourné un western : Le retour d'un aventurier. [PAGE 48]

La mort de Gandji est un dessin animé allégorique mettant en situation des flagorneurs crapauds vivant à la cour du roi crapaud. L'aventurier, lui, a vécu un long temps aux Amériques, dans le Far-West américain. Il revient chez lui en y exportant l'esprit, les manières, les lois du Far-West. Les films réalisés dans les deux genres n'ont été des réussites ni sur le plan professionnel ni dans le domaine commercial. Oumarou Ganda et Jean Rouch ont introduit dans le cinéma africain le film ethnographique : Moi un Noir, film critiquable à bien des égards, mais ceci est une autre histoire. Les Cinq jours d'une vie de Souleymane Cissé, moyen métrage, inaugure les images des cérémonies initiatiques de la société africaine. Il a obtenu le Tanit de Bronze au Festival de Carthage en 1972.

Les sketches et les contes sont « abordés » dans Sindiély et Touki-Bouki. Touki-Bouki décrit le voyage et les aventures de l'hyène. Les films adaptés du théâtre sont, dans le cinéma africain, les plus abondamment réalisés. Citons la double adaptation de Lambaaye de Mahama Johnson Traoré, tiré de Pot-de-vin de Sonar Senghor, pièce elle-même inspirée du Révizor de Gogol.

La femme au couteau (1969) de l'Ivoirien Timité Bassori ouvre la série des films purement psychologiques. « Le film commence par le héros sous la douche. Il voit apparaître devant lui une femme, un couteau à la main, menaçante. Il crie, la femme disparaît et il se retrouve haletant, épuisé. Il s'habille et s'en va raconter son hallucination à un ami. Un jeune homme est à la recherche d'un homme dans un asile d'aliénés, il le trouve et c'est le héros. Un certain temps passe. On revient au temps présent et le héros en redingote est dans un café où il raconte sa vie en Europe. Ses frasques dans les bistrots, dans les bordels. Une bagarre s'ensuit et il est jeté hors du café. La femme au couteau lui apparaît à nouveau dans la chambre où il vient se reposer et lui parle. Il sort avec cette femme imaginaire... Le dénouement aura lieu sur la plage où le héros revoit l'apparition de la femme au couteau; c'est la crise. Le visage de sa mère lui apparaît et, avec le choc, il se sent libéré de cette obsession »[1]. [PAGE 49]

Le cinéma africain compte également des films d'action comme celui de Lucien Larroude : Hold-up à Kossou qui détaille les scènes d'un hold-up commis par des gangsters. profitant de l'atmosphère de fête régnant au chantier où se construit le barrage hydro-électrique de Kossou à l'occasion de la visite d'une haute personnalité, ils s'emparent de la paie des ouvriers. Les films à caractère historique sont servis par Richard Beby de Medeiros dans Le roi est mort en exil et Si les cavaliers... de Bakabé Mahamane. Film de fiction historique, Si les cavaliers.., traite de la pénétration coloniale en Afrique. Il présente un sultan qui ourdit un complot pour chasser les envahisseurs blancs en 1906 à Zinder, mais le complot est déjoué.

Dans le domaine religieux, outre le Bonjour Balthazar du Gabonais Louis Mébale qui est un film sur la Nativité, on a aussi Ceddo. Balthazar,roi mage noir, décide de ne pas se rendre à Bethléem. Parce que, dorénavant, le Christ vient sur tous les continents, et en particulier en Afrique. Ceddo d'Ousmane Sembène est un film de facture religieuse, ou plutôt un film anti-religieux brocardant la volonté d'hégémonie des religions révélées, tel l'Islam. Quant au film militant, la Lutte pour un Zimbabwe libre (The Struggle for a free Zimbabwe) de James Kwate Ne Owoo analyse la lutte de libération en Rhodésie, lutte menée contre le fasciste lan Smith et ses acolytes impérialistes. Nous nous abstenons, en ce répertoire un tantinet panoramique des genres, de citer les films documentaires tant ils sont légion en Afrique, ayant été les premiers dans le temps à avoir été produits.

Y a-t-il des films africains dans le genre pornographique ? « Entendons- nous bien, s'empresse de répondre Kramo Lancina Fadiga, réalisateur de Djéli, grand prix du FESPACO, édition 1980. Tout dépend de la conception que l'on se fait du cinéma. Pour nous, le cinéma est une arme pour aider à assurer le développement de l'Afrique... En ce qui me concerne, il est hors de question de tourner du porno puisque ce sont ces genres de films que nous dénonçons sur nos écrans envahis et colonisés par ces sous-produits occidentaux... Il n'empêche que le côté érotique (les contes africains sont pleins d'érotisme) se retrouve parfois dans nos films. » [PAGE 50]

LA TECHNIQUE DE L'ART

Après les balbutiements des débuts du cinéma africain, aujourd'hui on peut dire qu'il a dépassé la voie de l'apprentissage et est en train de négocier le vinage du professionnalisme. Le huitième FESPACO l'a démontré en primant par l'étalon de Yennega Finyè (le vent) de Souleymane Cissé, un film parfaitement réussi sur le plan technique comme sur le plan thématique, un film investi de tout ce que le réalisateur montre qu'il sait si bien faire. Le jury du FESPACO, en le primant, a principalement signifié, à notre avis, une chose fondamentale : consacrer la maîtrise du langage de la technique du cinéma africain, puisqu'avec Finyè on ne pense plus à la technique instrumentale, mais tout simplement au passage du message comme si cela allait de soi depuis 1969.

Les cinéastes africains ont donc consolidé leurs acquis techniques. On sent que la technique est de mieux en mieux appropriée de FESPACO en FESPACO. Ce qui permet, au reste, au public de juger valablement, de dire que tel film est bon ou mauvais parce qu'alors il sait que ce n'est pas la technique qui aura fait défaut à son auteur pour exprimer son message, mais l'inspiration. Ainsi libéré de la technique, l'artiste jouit d'une totale liberté pour réfléchir sur les thèmes qu'il veut exploiter. On reconnaît dès lors les vrais artistes et ceux qui cherchent à l'être.

Finyè commence et finit sur le gracieux visage d'un enfant (symbole de pureté et d'espoir) au bord de l'eau, avec en arrière-plan une calebasse qui flotte, flotte, flotte pour une longue odyssée dans l'univers de la communication. C'est précisément de communication qu'il est question. Un gouverneur militaire croit abusivement qu'il est le pouvoir parce qu'il a momentanément du pouvoir politique. (Le pouvoir se charge de lui démontrer le contraire.) Par conséquent, il ne rêve qu'à régner aussi bien sur les hommes que sur leurs sentiments. Il interdit à sa fille d'aimer un roturier, il veut commander aux étudiants aux idées marxisantes. Il en fait arrêter, matraquer, déporter... Ce gouverneur n'est pas seulement [PAGE 51] un mauvais administrateur de cité, il est aussi un horrible maître de céans, mari fouettard comme une trique, quoique tristement cocufié par sa troisième, épouse, jeune, belle et légère comme l'adultère. L'esprit du vent ne décape pas que ces quotidiennetés révoltantes. Il lève en même temps un coin de voile sur les fraudes et toutes les tricheries qui entachent les choses de la vie, la douloureuse image d'une jeunesse dépravée qui ne sait plus où donner de la tête si ce n'est dans le pavot; le crépuscule d'une certaine tradition et bien d'autres aspects encore...

Festival après festival, plutôt que d'un tournant radical, il s'agit, à chaque session biennale du FESPACO, d'un nouveau tour de manivelle accentuant l'orientation prise antérieurement, autorisant ainsi chacun à apprécier soit le niveau de professionnalité atteint, soit le champ thématique exploré. Ce qui autorise du même coup à croire à un meilleur avenir du cinéma africain.

Patrick ILBOUDO
Assistant
Université de Ouagadougou
Burkina Faso


[1] In Le Cinéma africain (tome 1) de Paulin S. Vieyra, Ed. Présence Africaine, Paris, 1975, pp. 52-53.