© Peuples Noirs Peuples Africains no. 43 (1985) 111-113



LE FORUM AFRICAIN
AU Vle CONGRES MONDIAL DE LA FEDERATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

Bienvenu KOUDJO

Dans une rencontre internationale destinée à faire le point de l'empire francophone, il peut paraître insolite d'organiser un forum africain. On pourrait imaginer, au cas où une telle initiative serait admise, qu'il s'agit là de mesurer l'apport de l'Afrique au rayonnement de la francophonie. Mais, à mon avis, tel ne fut pas le cas le 18 juillet 1984 à Québec. Le forum africain du Vle Congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français a plutôt choisi de mettre l'accent sur les problèmes qui se posent au développement intégral de l'Afrique, notamment sur le plan culturel.

Si l'exposition sur le théâtre négro-africain et le stand des œuvres de littérature africaine écrite ont montré, chacun à sa manière, la variété des talents africains et leur grande capacité à intégrer à leur culture originelle des apports de cultures étrangères, les exposés et les débats qui ont suivi ont tenu à mettre en exergue les problèmes que l'Afrique doit résoudre si elle ne veut pas toujours être à la remorque des mouvements, cultures et idéologies étrangers.

L'exposé sur le théâtre négro-africain, bien que réduit au strict minimum parce que se voulant un simple complément de l'exposition, a révélé nettement l'existence sur le terrain africain de deux théâtres parallèles : [PAGE 112]

– Un théâtre populaire rural très enraciné dans les traditions artistiques du Continent noir;

– Un théâtre moderne citadin très élitaire par son organisation spatio-temporelle et par les langues qu'il utilise.

Mais le forum a noté avec satisfaction l'émergence de nouvelles tendances axées sur la recherche d'une synthèse harmonieuse des formes d'expression authentiquement africaine et des apports de la dramaturge étrangère. Le forum a insisté sur la nécessité pour le théâtre négro-africain de s'adresser à son public en priorité dans les langues africaines.

Mais le caractère oral des langues africaines pose d'autres problèmes que l'exposé du professeur Mwatha Musanji Ngalasso a tenu à faire ressortir. Au moment où l'Afrique engage une lutte opiniâtre contre l'analphabétisme, au moment où l'Afrique résiste à peine à l'attrait de la civilisation du livre et de la paperasserie administrative, le professeur Ngalasso s'interroge sur l'avenir des vertus socialisantes de l'oralité. La question est d'autant plus troublante que l'Occident semble revenir de manière très sensible à une « oraliture » d'un nouveau type par le biais de l'audio-visuel. Au-delà du côté appauvrissant que révèle aisément toute tentative de transcription d'un texte de littérature orale, le passage de l'oralité à l'écriture pourrait constituer un frein à la participation totale de toutes les forces vives de l'Afrique aux tâches urgentes de construction nationale.

Mais lorsque l'on réfléchit aux tâches qui s'imposent à l'Afrique, doit-on les envisager dans une perspective panafricaniste ou, tout simplement, les examiner dans le cadre des Nations modernes qui ont commencé à se développer depuis les indépendances nominales de 1960 ? C'est le débat qu'a suscité l'exposé du professeur Adrien Huannou sur la problématique de la littérature négro-africaine face à l'émergence des littératures nationales. Le forum a examiné les aspects tant positifs que négatifs de l'une et l'autre démarches. Si la démarche néo-nationaliste (ou « nationalitaire ») permet de recenser et de cataloguer les particularités nationales et régionales, elle ne peut que servir de tremplin à une nécessaire unité des peuples africains pour engager une lutte plus efficace contre le sous-développement et les blocs multinationaux qui le [PAGE 113] favorisent et le perpétuent. C'est, à mon avis, le consensus que le forum a dégagé sur le sujet.

En somme, la préoccupation du forum africain au Vle Congrès mondial de la F.I.P.F. aura été d'affirmer la particularité des pays africains au sein de l'apparente unité du monde francophone. Ainsi, à Québec, les Africains auront effectivement « vécu le français », mais, comme le dirait l'autre, ils l'auront vécu « dans la différence ». Mais malgré tout le bien que je semble en dire, je pourrais reprocher à ce forum de n'avoir pas été assez bien préparé : les stands d'exposition étaient pauvres en objets d'art; le film qui était prévu dans ce cadre n'a pas pu être projeté ce jour-là même; les conférenciers n'avaient visiblement pas eu assez de temps pour préparer leur intervention; aucune couverture n'avait été assurée par la presse. Le forum latino-américain qui s'est déroulé le lendemain, imposant et riche en couleurs, comme par un jeu de miroir, a renvoyé du forum africain l'image d'une indigence qui, de manière presque atavique, semble coller à la peau de l'Africain et de toutes ses manifestations. Peut-être est-ce là une autre manière de vivre « la différence ».

Bienvenu KOUDJO
Professeur-assistant de Lettres
Université nationale du Bénin
Cotonou (Rép. pop. du Bénin)