© Peuples Noirs Peuples Africains no. 43 (1985) 69-96



THEATRE DE MARIONNETTES
ET IDEOLOGIE IMPERIALISTE

Kouamé KOUASSI

A quoi peut-il servir, de nos jours, de se pencher sur le théâtre de marionnettes en général, sur l'idéologie véhiculée par le biais de ce genre littéraire en particulier; surtout quand on sait que ce genre, autrefois destiné à l'éducation et au divertissement des enfants, est en éclipse depuis qu'il y a des programmes d'enfants à la télévision ? Ce n'est ni le goût de la recherche scientifique, ni l'amour des exercices académiques qui devraient motiver une telle démarche, mais plutôt la nécessité de découvrir les différents aspects de l'idéologie impérialiste, les différentes formes sous lesquelles elle apparaît selon le contexte historique et le mode d'expression qui s'avère adéquat – aux yeux des idéologues impérialistes s'entend – et de mettre en lumière sa continuité.

Le théâtre de marionnettes qui, du moins en Allemagne, ne prit son essor que dans la deuxième moitié du XIXe siècle, est comparable à maints égards à cette nouvelle institution qu'est la télévision : presque tous les événements d'actualité brûlante étaient aussitôt passés au moule du théâtre de marionnettes, avec la coloration de l'idéologie dominante bien entendu, et présentés à la jeunesse : les guerres anglo-boer, le soulèvement des « boxers » en Chine, la bataille de Sedan... On comprend alors qu'avec l'apparition des « explorateurs » allemands sur le continent africain, bien souvent au service d'autres monarques européens qu'allemands, puis avec l'entrée officielle et brillante de l'Empire allemand sur la scène impérialiste en 1884, la conquête du continent « noir » devienne l'un des thèmes principaux de ce nouveau genre littéraire. [PAGE 70]

Ne perdons surtout pas de vue que la majorité des spectateurs du théâtre de marionnettes sait à peine lire; mieux que les contes ou les histoires d'aventures que leur lisent souvent les parents, le théâtre de marionnettes leur offre des images, des personnages animés, qui de surcroît sont doués du langage articulé. C'est sous cet angle didactique que les auteurs de ce genre (littéraire) enfantin – dont le contenu idéologique est bien loin d'être anodin – conçurent leurs pièces, présentèrent aux enfants, entre autres, une image des peuples dominés qui, dans le fond, ne diffère en rien de celle propagée dans la littérature dite pour adultes, mais dans la forme, se prêtait mieux que n'importe quelle autre, à brider les jeunes esprits dans leur développement et à les canaliser pour la conquête des peuples « sauvages ».

La plus ancienne pièce de théâtre de marionnettes traitant de l'Afrique est, à ma connaissance, celle de Franz von Pocci, « Kasper Larifari im Lande der Wilden » (Kasper Larifari au pays des sauvages), publiée en 1859. Le sujet en lui-même, il faut l'avouer, n'est pas une trouvaille originale. On pense, dès les premières scènes, au héros de Daniel Defoe nommé Robinson Crusoé, ce marin qui, après le naufrage de son bateau, se retrouva sur une île de l'océan Pacifique et qui sut, grâce à sa haute intelligence, tenir de longues années, créa un petit empire à son goût avant de pouvoir, grâce à une chance inouïe, à la Providence peut-être, retourner dans sa patrie.

C'est presque point par point la même aventure que connut le héros de Franz von Pocci : Kasper Latifari, c'est bien là le nom de ce personnage fort comique et audacieux dont les aventures dans différentes parties du monde sont sans cesse présentées à la jeunesse, se promenait un jour le long du port de Hambourg, plongé dans de lourdes pensées, quand il fut pris au collet par un capitaine de vaisseau qui le traîna, à son corps défendant, sur son bateau. Kasper devient ainsi, du jour au lendemain, marin sans en avoir jamais rêvé... Mais ce ne fut que pour un bref laps de temps; puisque son bateau, le bateau sur lequel il fut contraint d'offrir sa force de travail, ne tarda pas à faire naufrage. L'île sur laquelle se retrouve le héros de Pocci n'est pas dans l'océan Pacifique, mais plutôt dans le voisinage du « continent noir », ce qui devrait expliquer, dans la logique [PAGE 71] des idéologues de la trempe de Pocci, que ses habitants soient « noirs comme des corbeaux » (rabenschwarz).

Le premier être que Kasper, cet aventurier malgré lui, rencontre sur cette île, est un crocodile. Sa réaction dénote plutôt la peur. On comprend alors qu'il soit encore plus décontenancé quand, quelques instants plus tard, il se retrouve en face de perroquets, puis de « nègres » qui, par dessus le marché, sont armés de lances et de sagaies. Il suffît de lire attentivement les annotations scéniques et de leur accorder toute l'importance qu'elles ont toujours eu dans une pièce de théâtre pour se rendre compte que nègres, crocodiles et perroquets sont présentés comme des personnages semblables, exotiques, arrivant sur scène sur le même pied d'égalité, tous représentant un danger potentiel pour l'aventurier, des êtres étranges qu'il doit vaincre pour s'affirmer en tant que héros. Les enfants qui, cela va sans dire, sont invités à suivre de très près les exploits de Kasper, assimilent avant tout cet élément fondamental du racisme anti-noir, cette présentation de l'Afrique selon laquelle la différence entre l'être humain et la bête serait plutôt négligeable.

Il s'avère même très vite que le crocodile est, à plusieurs points de vue, supérieur aux « sauvages ». Alors que ces insulaires nègres parlent un charabia qui, certainement pour les besoins de la cause, est construit de telle sorte que le jeune spectateur comprend sans difficulté l'essentiel du message[1], le crocodile chante un air dont le texte, aussi bien sur le plan stylistique que sémantique, soutiendrait la comparaison avec les poèmes des maîtres de la langue allemande[2]. [PAGE 72]

Que le lecteur se représente trois « sauvages » parlant alternativement, chacun ne disant à chaque fois qu'un mot ou mot composé, ces paroles primitives prises ensemble transmettant un message selon lequel ils n'auraient pas mangé de toute la journée et qu'ils seraient à la recherche d'un bon rôti.

Ces « sauvages » anonymes, annoncés sous les termes de premier, deuxième ou troisième sauvage avouent – insinue l'auteur – leur infériorité vis-à-vis du crocodile qu'ils n'osent pas tuer pour calmer leur faim, et confirment par la suite leur sauvagerie en s'attaquant plutôt à l'Européen.

La vie de Kasper sur l'île africaine se différencie fondamentalement de celle de Robinson Crusoé – au lieu de soumettre un nègre et de le baptiser selon le jour de la semaine où a eu lieu la rencontre, c'est lui qui se soumet à une autre personne, à un compatriote, beaucoup plus âgé que lui, vivant depuis de longues années sur cette île comme chercheur. Kasper se soumet à Professor Gerstlmaier, non pas parce qu'il serait servile de nature, mais parce qu'il aurait besoin de sa protection. Rien de surprenant d'ailleurs que ce soit à un compatriote qu'il offre ses services en échange de la protection. Cette nuance fondamentale, la parenté entre le héros Kasper et Professor Gerstlmaier, ne peut en aucun cas échapper aux jeunes spectateurs.

L'entretien entre les deux Européens, le protecteur et le protégé révèle aux spectateurs que ce qu'ils ont cru comprendre du charabia des « sauvages » est conforme à la vérité : l'île est habitée par des cannibales qui jusque-là n'auraient pas osé s'en prendre à Gerstlmaier parce qu'ils le considéreraient comme un être supérieur et le vénéreraient comme tel, « car les hommes de sciences – ce sont là les mots du Professor Gerstlmaier qui s'est voué, dans sa solitude insulaire, à la recherche – scientifique – sont toujours entourés d'une auréole telle que les incultes en général, dans ce cas précis les cannibales les considèrent comme des demi-dieux » (op. cit., p. 16). [PAGE 73]

Cet argument de la ressemblance de l'homme de science à Dieu – ce qui le rendrait intouchable – ne sert-il pas à attirer l'attention des spectateurs sur le sort réservé au héros Kasper qui, comme nous le savons, est bien loin d'être un intellectuel ? Kasper qui, alors que son maître et protecteur s'en allait pour une « promenade scientifique », s'est étendu sur la « mousse indienne » pour jouir des plaisirs d'une sieste sous les tropiques, est surpris et fait prisonnier par les « sauvages ». S'il fut sauvé des « mains et des gueules de ces petits sauvages indiens avides de chair humaine », c'est bien grâce à Neptune, dieu des mers, qui donna l'ordre à un dauphin de porter sur son dos le jeune Européen en danger jusqu'à domicile. Cette fin heureuse pour le héros n'est-elle pas un genre de « deus ex machina » comparable au bateau qui ramena Robinson Crusoé dans sa patrie ?

On ne peut s'empêcher de se demander si c'est la recherche perpétuelle d'images exotiques qui pousse l'auteur à transplanter de la « mousse indienne » et « des sauvages indiens » sur une île africaine. Que des peuples d'origine indienne se trouvent sur une île africaine n'a rien de surprenant; mais qu'ils aient éprouvé le besoin d'emmener de la végétation de leur pays d'origine semble découler de l'imagination un peu trop fertile de l'auteur qui, en un tour de main, réussit à créer un petit monde d'aventures hors de l'Europe pour divertir et éduquer à sa manière la jeunesse allemande.

Qu'il parle pêle-mêle d'individus « noirs comme des corbeaux », de « sauvages indiens » et de « mousse indienne » sur une île africaine, le fond de la pensée de cet éducateur nommé Franz von Pocci est sans aucun doute la négation des peuples extra-européens de leur essence humaine : alors que du haut de son inspiration poétique il accorde au crocodile une certaine sagesse, une philosophie de l'existence, il réduit les peuples en question au rang d'êtres indéfinissables, incapables de s'articuler, perpétuellement à la recherche de chair humaine.

Le deuxième acte de cette pièce, l'arrivée de Kasper dans sa ville natale, confirme que cette œuvre de Pocci se trouve bel et bien dans la tradition des robinsonnades, dans la mesure où le héros est bien heureux de retrouver sa bien-aimée, ses parents et amis et renonce avec insistance à la vie d'aventurier (qu'il n'a d'ailleurs [PAGE 74] pas choisie). Mais cette œuvre se différencie fondamentalement des autres de ce genre par la dimension qui y est accordée au merveilleux : que l'on s'imagine l'intervention de Neptune et de son serviteur le dauphin, doublée de celle d'un oiseau géant qui portera Kasper au cours de la deuxième étape du périple et le laissera atterrir « per posteriorem » dans sa ville natale, à la grande surprise de tout le monde.

Tout compte fait, cette pièce de Franz von Pocci est à la fois une glorification des « explorateurs » et un avertissement à tous ceux qui, non entourés d'une « auréole d'homme de science » ou de la bénédiction d'un monarque européen, s'en iraient allègrement à l'aventure sur ce continent encore trop dangereux...

Même si les enfants, après chaque représentation, sortent de la salle de théâtre avec la conviction que ni Kasper, ni le professeur Gerstlmaier n'a été mangé par les cannibales, ils garderont une vive impression de cette scène de cannibalisme à un point tel que l'Afrique deviendra pour eux, désormais, synonyme de « pays des cannibales ». Ce grand feu avec la broche bien préparée, à côté la proie et les cannibales dansant tout autour, n'est-il pas depuis l'œuvre de Daniel Defoe la peinture la plus connue, revenant sans cesse, du cannibalisme ? – Quel que soit le lieu d'action ?

Ombres chinoises et robinsonnade

Franz von Pocci qui, toute sa vie durant, mit son imagination fertile en œuvre pour enrichir ce genre littéraire destiné surtout à l'éducation des enfants, est aussi l'auteur d'une pièce d'ombres chinoises que l'on peut considérer comme une brève et originale robinsonnade dans la mesure où le héros n'est pas devenu matelot bon gré mal gré, mais a plutôt décidé, du jour au lendemain, d'aller tout seul en Amérique à bord d'un petit bateau. On peut interpréter la présentation de cette aventure comme une parodie de l'exode vers l'Amérique qui était d'actualité à l'époque de Franz von Pocci : au-delà de la paupérisation, de la fuite devant les conditions de vie misérables en Europe pour une existence meilleure dans le « Nouveau Monde », certains Européens, semblables [PAGE 75] à Kasper, auraient été poussés par un simple esprit d'aventures à un point tel que n'importe quel moyen de transport leur aurait paru adéquat.

Il suffit de placer cette œuvre dans le contexte général de la littérature enfantine pour se rendre compte qu'une telle décision ne peut qu'obnubiler l'attention des jeunes spectateurs, aiguiser leur curiosité. La question fondamentale – « qu'adviendra-t-il de lui ? » – est sans aucun doute formulée par chaque spectateur, dans son for intérieur, avec plus de spontanéité que d'habitude. Le naufrage provoqué par le requin, puis le bref séjour dans le ventre de cet animal aquatique qui, incapable de digérer, le rejette sain et sauf sur une île, constituent pour les enfants plus que pour le héros, l'événement central de cette aventure.

Il n'y a aucune indication scénique qui puisse nous permettre de situer, géographiquement cette île; aucun discours anthropologique non plus qui nous aurait permis de la situer, ne serait-ce que vaguement, près de tel ou tel continent. Cependant, puisque les spectateurs savent que les voies maritimes menant de l'Europe aux Amériques côtoient le continent « noir », ils peuvent s'imaginer sans trop de peine que leur héros a dû frémir devant des cannibales habitant une île au large de ce continent; surtout qu'ils savent, depuis la plus tendre enfance, que les cannibales ne se trouvent qu'en Afrique et sur les îles de l'océan Pacifique, ils reconnaissent inévitablement en ces sauvages agressant leur héros – sauvages qui, quoi qu'on fasse et quoi qu'on dise, ne peuvent paraître plus sombres que le héros blanc dans les ombres chinoises – des représentants d'un peuple de « couleur ». C'est dire que la richesse des ombres chinoises réside en leur capacité de suggestion... Les seuls éléments exotiques sont cet habit de paille tressée que portent les « sauvages » autour des reins et l'anneau nasal qui apparaissent dans maintes représentations des peuples « primitifs »...

Comme nous venons de le constater, il n'est point question, dans cette pièce, d'un crocodile apparaissant en deus ex machina pour avaler les méchants cannibales, ni d'un dauphin portant sur son dos le héros jusqu'au large de sa patrie, ce qui aurait été un singulier ersatz pour son petit bateau, mais d'un oiseau qui le saisit in [PAGE 76] extremis au pantalon et l'emporte, semblable, à une proie, jusqu'en terre allemande, où il sera ensuite conduit, à dos de cheval, jusque dans sa famille.

A la fin de cette séance, les spectateurs auront désormais deux images impressionnantes devant les yeux : d'un côté les cannibales qui sont restés sur leur faim, de l'autre leur héros qui peut s'enorgueillir d'avoir une expérience icarienne dans son répertoire.

Kasper Putschnelle chez les sauvages d'Afrique

En 1924, un Allemand nommé Johs E. Rabe publia un livre intitulé « Kasper putschnelle. Aperçu historique sur les marionnettes et le théâtre de marionnettes de Hambourg ». Ce livre contient deux pièces de marionnettes dans lesquelles, encore une fois, l'Afrique et ses habitants sont présentés à la jeunesse allemande à travers les œillères de l'idéologie raciste; c'est le cas de le dire. L'une, « Langhals » (Le Long Coup), fait partie, selon l'auteur de la publication, des plus vieilles pièces de marionnettes de la cité de Hambourg. Cet amateur de théâtre de marionnettes, visiblement un érudit, n'a cependant pas réussi à déterminer la date exacte de la naissance de cette pièce qui a dû fasciner plusieurs générations d'enfants. L'autre, par contre, serait l'une des récentes trouvailles d'un certain Rudolf Strumpf : le titre, « Kasper chez les cannibales d'Afrique », d'une œuvre publiée en 1924, après la colonisation allemande avec ses guerres d'extermination contre les Wahehe, les Héréros et les Namas, témoigne de la grandeur d'esprit de l'auteur.

Ces deux pièces, jouées sous la République de Weimar, étaient on peut bien s'en douter, en liaison étroite avec l'idéologie qui prévalait à l'époque et prévaut encore de nos jours vis-à-vis de l'Afrique.

De par le fond, et c'est bien le fond qui compte, la pièce de Strumpf ressemble en plusieurs points de vue à celle de Franz von Pocci analysée plus haut : le cannibalisme constitue le thème central des deux œuvres. Alors que Franz von Pocci semblait attirer l'attention des aventuriers sur le danger qu'ils couraient en Afrique noire avant que les travaux des hommes de science appelés [PAGE 77] explorateurs n'aient apporté suffisamment de lumière, Rudolf Strumpf, par contre, présente l'évasion dans les pays lointains comme un phénomène inhérent aux problèmes sociaux de l'Allemagne d'antan, sans bien entendu perdre de vue ces dangers sans lesquels tout séjour dans ces contrées serait fade.

Rien d'étonnant que son héros Kasper, portant un patronyme fort significatif, qui n'est plus à même de subvenir aux besoins de sa famille, décide du jour au lendemain de partir en Afrique dans l'espoir de ramener une fortune appréciable. Et voilà la litanie colonialiste bien connue qui a si bien servi à mobiliser une bonne partie du prolétariat allemand à partir de la fin du XIXe siècle reformulée, sous la République de Weimar, à la mesure des enfants.

Les problèmes financiers de cette famille de prolétaires sont exposés aux enfants dans un langage extrêmement simple. A aucun moment l'auteur ne laisse entendre que ces problèmes sont immanents à la structure sociopolitique et ne peuvent, par conséquent, être résolus qu'au sein de cette société; tout son effort consiste à inculquer aux enfants que Kasper ne sortira sa famille de la misère qu'à son retour d'Afrique. C'est dire que l'Afrique apparaît aux yeux des enfants sinon comme un pays de Cocagne, du moins comme un continent où le prolétaire européen, pourvu qu'il soit un peu audacieux, peut s'imposer et trouver en un bref laps de temps la solution aux problèmes financiers de sa famille. On peut bien s'imaginer l'influence de telles images et paroles sur les enfants, particulièrement à cet âge où les aventures dans les contrées lointaines fascinent les jeunes esprits: les uns se disant que le voyage vaut vraiment la peine, les autres s'identifiant totalement au héros.

On connaît bien ce personnage grotesque baptisé « roitelet nègre » (Negerhäuptling), si cher à tous les écrivassiers pour qui la conquête impérialiste fut la plus grande source d'inspiration, ce personnage sans lequel toute peinture de la société africaine paraîtrait sans attrait à leurs yeux. Celui que Rudolf Strumpf fait passer ici sur la scène se plaint de la présence des colonisateurs européens dans son pays tout simplement parce qu'ils l'empêcheraient, lui et ses sujets, de consommer, comme jadis, de la chair humaine dans le calme et la sérénité. [PAGE 78]

L'histoire de l'Afrique que l'auteur, pour les besoins de la cause, fait raconter au « roitelet nègre » devant les enfants, n'est rien d'autre qu'une suite de guerres tribales dont le but serait la recherche de la chair humaine, le mets quotidien :

    « Roitelet nègre : Ha ! Turi mi mack zickzack ! Turi mi mack zickzack. Quelle vie de chien maintenant ! On ne trouve plus de rôti à manger depuis que ces maudits Blancs se sont installés ici. Ce gens nous contrôlent avec la plus grande attention afin que nous ne puissions plus manger des hommes. Jadis tout allait pour le mieux. Il suffisait d'entreprendre une razzia contre une tribu ennemie, de l'attaquer par surprise et de faire des prisonniers. Et on avait, pour un bon bout de temps, les repas les plus délicieux. Voilà que tout cela fait partie d'une époque révolue. Il n'y a plu de razzias, ni de prisonniers, ergo plus de rôti » (in op. cit., p. 246).

Que l'on s'imagine ce « roitelet nègre » racontant avec verve sur scène cette prétendue histoire des peuples africains et les enfants l'écoutant attentivement... L'histoire de toute une race humaine, de plusieurs peuples vivant sur le continent africain est niée avec la plus grande légèreté d'esprit : à la place d'une vie sociale avec tous les conflits qui en découlent et qui caractérisent, somme toute, toute société humaine, l'auteur présente une société africaine prétendument typique peuplée d'être semblables à des bêtes menant une lutte pour l'existence. Le devoir des missionnaires et des colonisateurs – y a-t-il, tout compte fait, une différence entre ces deux genre d'hommes ? – serait de tout mettre en œuvre pour faire perdre aux « indigènes » ces habitudes barbares.

Du point de vue didactique, cette pièce de Rudolf Strumpf est construite avec adresse et ne peut que fasciner les enfants : le « roi nègre » a à peine fini son discours sur le cannibalisme qu'il rencontre le héros Kasper. L'immense joie de ce roi cannibale est étayée par un discours dont le contenu dénote, encore une fois, la fertilité d'imagination des idéologues impérialistes. Ce « roitelet nègre » qui, pour les besoins de la cause, parle [PAGE 79] l'allemand le plus raffiné et comprend à merveille le dialecte hambourgeois de Kasper, annonce avec gaieté de cœur au jeune Européen qu'il sera tué dans peu de temps pour lui être servi comme mets de roi.

Pour faire durer le suspense des enfants et gaver leur jeune esprit des idées les plus bizarres sur les peuples dominés, l'auteur laisse libre cours à son imagination, trouve d'autres images que celles jusque-là propagées par ses prédécesseurs. Rien d'étonnant puisque l'on sait que seule la déformation des mœurs africaines peut justifier, aussi bien aux yeux des enfants que des adultes, l'agression et l'exploitation des peuples en question. En effet, Kasper apprend du « roitelet nègre » qu'il le laissera sain et sauf à condition qu'une « fille de roitelet nègre » soit éprise de lui et veuille l'épouser. (Chez les sauvages et les cannibales, on parle bien entendu de « roitelet » et de « fille de roitelet » et non de roi et de princesse, les désignations devant respecter scrupuleusement le degré d'évolution humaine.) Kasper devrait, dans ce cas, se plier aux mœurs de la « tribu »; et surtout porter le même costume que les habitants de sa nouvelle patrie. Le fameux thème, le thème éculé, selon lequel les Nègres, depuis qu'ils sont en contact étroit avec les Européens, les singeraient, surtout sur le plan vestimentaire, de la manière la plus ridicule, surgit de la plume de Rudolf Strumpf dans une nouvelle version : le costume traditionnel de cette tribu de cannibales nègres serait constitué d'une chemise à manchettes et d'un caleçon; rien d'autre. Cet auteur qui, il faut l'avouer, ne manque pas d'imagination, fait aussitôt dire à son héros Kasper, point de mire et interlocuteur permanent des enfants, que quiconque oserait se présenter dans la rue à Hambourg dans un habillement pareil, serait aussitôt arrêté et conduit dans un asile d'aliénés ou tout au moins à la police. Et les enfants ont vite fait de comprendre que l'Afrique est un continent de fous.

Le continent des cannibales, le continent des fous, et du même coup le continent habité par des peuples sauvages que l'on peut mener sans peine par le bout du nez; le tout est enseigné aux enfants avec toute la didactique nécessaire, justement à l'âge où les idées reçues sont rarement mises en cause et constituent le fondement du comportement social ultérieur. [PAGE 80]

Kasper rencontre peu de temps après sa discussion avec le « roitelet nègre » une jeune fille qui se présente comme la fille du souverain de ce peuple aux mœurs plutôt bizarres. Sans hésiter elle laisse entendre à l'aventurier européen qu'elle a longuement caressé le rêve d'épouser un « Blanc ». Pour que cette déclaration d'amour ne reste pas un vain mot, elle va voir son père, lui fait part de ses sentiments pour « le bel homme blanc », avoue qu'elle est prête à l'épouser plutôt que « le fils laid » de l'ami de celui-ci. Pour rendre certaine la réalisation de ses vœux, elle rappelle à son père la loi, en vigueur dans leur « tribu », selon laquelle tout prisonnier désiré en mariage par une « fille de roitelet » doit être, sans réserve, intégré à la communauté.

Cette intention, positive dans la mesure où elle permettrait de tisser, ne serait-ce qu'à une petite échelle, des liens entre des peuples dressés les uns contre les autres, est présentée à travers une œillère déformante pour souligner l'étrangeté du continent « noir » : au-delà des critères du « beau » et du « laid » qui, dans ce contexte, bien loin d'être purement et simplement la traduction de la préférence que peut avoir une personne donnée pour une beauté étrangère, portent une connotation de racisme, de complexes infériorité même, on est nécessairement frappé par l'étrangeté de l'alternative devant laquelle est placé Kasper : ou bien l'intégration sociale, ou bien l'intégration en tant que mets. Quoi qu'il en soit, l'étranger reste un objet de choix de la famille au pouvoir, il est même livré totalement à l'arbitraire.

La suite du récit nous confirme que cette coutume est une trouvaille de l'auteur pour agrémenter le récit et enrichir par la même occasion l'idéologie impérialiste : Kasper, qui se trouve entre la vie et la mort, a encore assez de présence d'esprit pour faire des remarques plutôt désobligeantes sur le physique de sa virtuelle épouse et sauveuse :

    « Jo, mit ehr lütten Punschfippen süht se ok grod wie so'n Blume des Feldes ut. Al mehr wie'n Hunnblom » (op. cit., p. 248)[3]. [PAGE 81]

De cette trouvaille qui se veut poétique selon laquelle les « lèvres de punch » (sic) de cette Négresse feraient penser à une fleur des prés à la reconnaissance de la beauté de cette jeune fille malgré la couleur noire de sa peau, on retrouve le même trait d'esprit qui semble avoir son fondement dans la Bible : ce fameux passage du Cantique des Cantiques qui, on aura beau mener les débats savants sur la fonction du « mais » et autres conjonctions de coordination, laisse clairement entendre que « noir » et « beau » sont antithétiques, mais qu'il arrive que l'on rencontre, rarement bien entendu, des beautés noires – les exceptions qui confirment la règle pour ainsi dire – prouve bien que l'idéologie qui sous-tend ces adjectifs de couleur spécifiant, opposant les races, existe depuis fort longtemps et est transmise de manière plus ou moins diffuse selon le mode d'expression.

Serait-il exagéré de dire que toutes les circonstances qui ont empêché le mariage de Kasper avec cette jeune fille et son intégration réelle à la société africaine s'inscrivent dans le contexte idéologique de la supériorité de l'Europe sur l'Afrique ?

Alors que la fille du « roitelet nègre », demeurée seule un moment, était préoccupée par l'idée de faire valoir le plus tôt possible la loi qu'elle venait de rappeler à son père, apparaît un crocodile qui l'avale. Le potentat aux mœurs bizarres qui, peu de temps après, complètement ignorant de ce qui venait de se passer, revient pour imposer à sa fille ses volontés et faire tuer l'aventurier blanc, subit le même sort. Ce crocodile particulièrement vorace resurgit pour s'en prendre à Kasper qui, avec un simple bâton, n'a point de peine à l'assommer. Il faut bien que le héros s'affirme comme tel. Divers sont les sentiments qu'un tel dénouement peut provoquer chez les jeunes spectateurs : un mélange de peur de ce continent habité par des sauvages aux mœurs étranges et des animaux extrêmement dangereux et de pitié pour ces sauvages sans défense; une admiration sans borne pour le héros auquel certains enfants auraient tendance à s'identifier. Quoi qu'il en soit, les enfants sortent de la salle de théâtre avec la conviction que l'européen sort sain et sauf de l'aventure africaine soit grâce à son habileté, soit grâce à la Providence.

Kasper s'empare de son trophée de chasse et se met [PAGE 82] en route pour sa patrie, convaincu qu'il trouvera bien un artisan qui en fera à sa femme un beau porte-monnaie en peau de crocodile. Le spectateur peut se poser la question de savoir si l'espoir de Kasper de ramener une « montagne d'argent » s'est réalisé. Cette peau de crocodile symbolise sans aucun doute toutes les matières premières que l'on pourrait tirer de ce continent dangereux à maints égards, pourvu qu'on ait un peu d'esprit d'entreprise. Ce crocodile qui avale et le père et la fille est à la fois une apparition pour punir ces maudits enfants de la nature que seraient les Nègres et un deus ex machina pour permettre au héros d'accomplir pleinement sa mission. La victoire de Kasper sur le crocodile, apparemment l'être le plus dangereux, peut être perçue comme l'allégorie de la croisade impérialiste.

Quoi qu'il en soit, nous savons que cet aventurier n'est pas venu en Afrique pour s'y installer, mais pour y chercher de quoi résoudre, ne serait-ce que momentanément, les problèmes financiers auxquels sa famille est confrontée. On peut s'imaginer qu'il ne mentionne que la peau de crocodile parce qu'il l'a longtemps perçue comme symbole de statut social – que l'on pense, dans le même ordre d'idées, aux manteaux de fourrure et autres objets rares en provenance des pays d'« outre-mer » – et en a souvent rêvé. Il a dû emporter un tas de marchandises qu'il peut, une fois arrivé à Hambourg, cette ville portuaire d'où sont partis tant de pionniers coloniaux allemands, échanger contre de la monnaie courante et accorder par là-même un sens réel à ce symbole de statut social que portera désormais sa femme.

Ces quelques éléments que nous venons de souligner montrent que le théâtre de marionnettes, comme bien d'autres genres artistiques, ne peut être considéré comme un simple jeu d'esthète à la mesure des enfants.

Sa relation étroite avec les conflits sociaux, internationaux, dans le cas précis de notre étude avec la préparation des jeunes esprits à l'agression impérialiste, confirme, une fois de plus, que l'idéologie dominante apparaît sous de multiples formes. Il suffit de prendre en considération l'information de l'auteur de cette publication selon laquelle cette pièce serait une récente trouvaille de Rudolf Strumpf (ca 1924) pour se rendre compte de sa portée idéologie dans le contexte de la propagande [PAGE 83] impérialiste de la République de Weimar. Les représentations de cette pièce ne font-elles pas penser aux nombreuses manifestations politiques des « Associations coloniales » qui utilisaient tous les modes d'expression pour faire accroire au peuple allemand que la source de ses maux se trouvait dans la perte des colonies ?

« Langhals » ou le monstre au long cou

La pièce intitulée « Langhals » est, comme nous le mentionnions plus haut, l'une des créations artistiques que Johs E. Rabe prit le soin de publier en 1924. Malgré toute son érudition en matière de théâtre de marionnettes, l'auteur de la publication n'a pas pu rassembler les informations ni sur le créateur, ni sur la genèse de cette pièce. Une chose reste cependant certaine : cette pièce, comme bien d'autres, fait partie d'une longue tradition, à un point tel que l'auteur de la publication pouvait affirmer dans son avant-propos qu'il s'agissait là, pour la majorité des jeunes spectateurs, de contes devenus vivants ( op. cit., p. 7). On peut donc considérer que cette pièce a vu le jour avant l'époque du colonialisme classique et a été transmise de génération en génération jusque sous la République de Weimar.

De par le thème, « Le Long Cou » se distingue fondamentalement des autres pièces de marionnettes consacrées à l'Afrique à travers lesquelles les auteurs ne manquent pas de présenter, dans des versions différentes, le cannibalisme.

Le « maure », l'être bestial et diabolique

Cette pièce se singularise aussi bien par les moyens artistiques mis en œuvre que par le portrait du nègre qui y est esquissé. Le lieu de l'action n'est ni l'Afrique, ni une île quelconque de l'océan Pacifique, mais purement et simplement une tribune sur laquelle les stéréotypes contre les nègres, les plus solidement ancrés dans la tradition européenne, sont présentés avec concision et pénétrance. « Danse de nègre », le nègre en tant qu'être indéfinissable entre la bête et le diable; voilà en quelques [PAGE 84] termes le thème de cette pièce qui n'a pas manqué de fasciner plusieurs générations d'Allemands, du moins de Hambourg.

D'après les indications scéniques, la pièce commence de la manière suivante :

    Deux maures apparaissent sur la scène, dansent et font des révérences au public. Ils s'embrassent ensuite en se donnant des bises retentissantes. Ils quittent la scène tout en dansant. Ils réapparaissent avec une boîte de conserve qu'ils déposent. Encore une fois ils se mettent à danser, à faire des révérences, à s'embrasser et à se donner des bises, puis disparaissent (op. cit., p. 160)[4].

Aucune information n'est donnée sur l'origine des deux « maures » qui apparaissent ici sur scène; le spectateur a même le loisir de douter qu'ils puissent être doués du langage articulé, car ils exécutent leur mission sans mot dire. Le fameux « charabia de nègre » que les habitués des pièces de marionnettes sur l'Afrique aiment à entendre est exclu cette fois-ci du répertoire. Ce n'est pas seulement le langage qui, entre autres, distingue l'être humain de la bête, qui vient à manquer à ces personnages nègres et les rend particulièrement étranges; le spectateur se rend vite compte qu'ils sont bien loin d'être des « Hommes ». Car la boîte de conserve que les deux « nègres dansants » ont déposée sur la scène ne contient rien d'autre qu'un de leur compatriotes dont le cou peut s'allonger à loisir, d'où le nom « Le Long Cou ». Ce serait, comme la suite de l'action le prouve, un être entre la bête et le diable auquel on reconnaîtrait tous les traits caractéristiques d'un nègre.

L'action principale du tireur de marionnettes semble consister à aider, en chantonnant un air avec la « flûte du diable » (Teufelsflöte), Kasper dans sa tentative de soumettre cet être bestial et diabolique en lui appuyant sur la tête. Tout le reste de la scène n'est qu'une répétition [PAGE 85] de la tentative de Kasper de dompter le « Nègre au long cou ». Y a-t-il une relation quelconque entre Kasper, le dompteur de nègre, et les deux autres individus qui sont venus déposer cette boîte contenant leur compatriote ? Il ne suffirait pas de dire ici que le tout relève du domaine de l'irrationnel; il faudrait plutôt analyser les méthodes irrationnelles utilisées pour inculquer cette idéologie dangereuse aux enfants à l'âge où les idées reçues imprègnent fortement le comportement social ultérieur.

Le noyau idéologique de cette pièce proposée à la jeunesse est de toute évidence le suivant : le nègre est un être étrange qui ne fait que narguer l'être humain, en la personne de Kasper, et qui pour cela mérite d'être puni, soumis. La version moderne de ce thème, « Zehn kleine Negerlein » (Les dix petits négrillons), est la preuve patente qu'on aurait tort de banaliser la portée idéologique de telles trouvailles destinées à l'éducation et au divertissement des enfants. Le « Long Cou » est la représentation symbolique de l'oppression du nègre qui ose se soulever contre ses maîtres au lieu de se complaire dans le rôle de l'esclave ou du comédien de cour.

Le thème du comédien de cour a pu inspirer cet auteur anonyme dans la mesure où cette pièce, comme nous le soulignions plus haut, est l'une des plus anciennes en son genre, date probablement du milieu du XIXe siècle, de l'époque d'avant le colonialisme classique, et que la « connaissance de l'âme nègre » des écrivains de ce genre ne pouvait reposer que sur des récits de voyage, des traités d'anthropologie et essentiellement sur les rumeurs autour de quelques nègres vivant en Allemagne, à la cour de quelques princes. La discrimination contre ces serviteurs exotiques, ramenés souvent très jeunes d'Afrique ou d'Amérique, qui a inspiré cet auteur de pièce de théâtre de marionnettes, doit être perçue comme partie intégrante de l'oppression générale des nègres depuis la traite des esclaves.

Intermède dramatique

En 1941, en pleine Deuxième Guerre mondiale, Franz Georg Brustgi publia un volume de pièces de marionnettes [PAGE 86] dont l'une est consacrée à l'Afrique. L'idéologie dominante de la République de Weimar et du Troisième Reich au sujet des anciennes colonies allemandes en particulier, de l'Afrique en général, selon laquelle il n'y aurait pas de paix tant que chaque nation européenne – en l'occurrence l'Allemagne – n'aurait pas sa part du gâteau africain qui lui reviendrait, est présentée ici dans une version conforme à ce genre littéraire.

Le héros de cette pièce intitulée « Les aventures de Kasperle en Afrique » est, comme la plupart de ses prédécesseurs, visiblement un prolétaire; aussi bien son comportement que ses rêves dont il nous fait part à travers le langage que lui fait tenir l'auteur, nous laisse croire qu'il a vécu jusque-là dans des conditions très pauvres et qu'il est inéluctablement victime de l'idéologie dominante : il est prêt à se lancer dans n'importe quelle aventure dans les pays d'« outre-mer » avec la conviction de s'enrichir. Il n'hésite pas à dire, sur un ton qui peut paraître d'ailleurs naïf, que lui et sa femme – qu'il appelle « Zuckerschweinchen » et « Honigbienchen » – deviendront les gens les plus riches du monde dès qu'il reviendrait d'Afrique avec la fameuse caisse d'or.

Semblable à tous les héros de son acabit, Kasperle ne doute aucunement de vaincre le propriétaire de ce trésor le « roi nègre » qu'il appelle tantôt Quitzlampapo, tantôt Schlampapo... C'est dire qu'il est convaincu d'avance de sa supériorité militaire ( ?) – symbolisant la supériorité des armes de l'Allemagne hitlérienne impérialiste sur les Etats africains à conquérir; surtout à une époque où les Etats européens qui s'étaient arrogés le titre de « puissance » se mesuraient à la force des armes. L'Afrique est à ses yeux un « pays de cocagne » qu'il baptise d'ailleurs « Schlaraffrika » – contraction des mots « Schlaraffenland » (pays de cocagne) et « afrika » – que les auditeurs n'ont point de peine à déchiffrer. Contrairement à ce qu'on attendrait d'un nostalgique du « pays de cocagne », Kasper n'a aucunement l'intention de s'installer en Afrique, mais de rentrer le plus tôt possible en possession au trésor et de retourner chez lui. En cela il ressemble aux pionniers coloniaux dont la mission était de drainer les matières premières vers la « mère-patrie ». [PAGE 87]

Le premier pays africain dont le héros de Brustgi foule le sol est l'Egypte que les enfants – qui ne sont pas de simples spectateurs, mais contribuent même activement à la représentation – reconnaissent aussitôt aux pyramides. Toute cette assemblée s'aperçoit cependant très vite que la destination de Kasperle n'est pas l'Egypte, que le héros lui-même n'a aucune idée précise du lieu du trésor. A sa grande joie il rencontre un Arabe qui lui donne sans hésiter toutes les informations nécessaires : le « roi nègre » propriétaire du trésor habite, dit-il, en Abyssinie, en pleine forêt vierge, entouré de méchantes bêtes.

Le jeune aventurier allemand réussit cependant, sans trop de peine, à pénétrer jusqu'au cœur de ce pays. Pour conférer à la supériorité des armes de Kasperle une dimension exotique et peut-être mystérieuse, Brustgi ne fait pas intervenir le fusil qui, on le sait depuis les aventures de Robinson Crusoé, fait peur aux « indigènes » à un point tel qu'ils se soumettent sans coup férir au seigneur blanc, mais plutôt un os d'éléphant qui insufflerait à son possesseur un pouvoir magique.

Le lecteur d'aujourd'hui peut s'étonner de constater que le « roi nègre » qui vit dans ce pays mystérieux ne soit pas en possession d'une telle arme et que c'est justement Kasperle, ce ressortissant de la société occidentale chrétienne, rationnelle, qui en trouve une au bord du Nil, s'en empare et, sans information préalable, s'en sert à bon escient. Il va de soi que cela fait partie des méthodes utilisées pour étouffer l'esprit critique chez les enfants.

Nous avons déjà souligné le rôle du crocodile dans les pièces de marionnettes sur l'Afrique : il apparaissait toujours en deus ex machina pour sauver l'aventurier européen en danger. Le crocodile que Brustgi fait monter sur scène est, contrairement à la tradition, partie intégrante d'un parc de bêtes domptées que le « roi nègre » utilise pour défendre aussi bien son royaume que son trésor.

La rencontre de Kasperle et du « roi nègre » se fait sous le signe de l'animosité qui se transforme aussitôt en violence. Il n'aurait pas pu en être autrement puisque l'aventurier allemand est allé dans cette région de l'Afrique [PAGE 88] avec la conviction de battre le « roi nègre » et de s'emparer du trésor. La victoire effective de Kasperle est la consécration du complexe de supériorité cultivé en Europe vis-à-vis des peuples d'« outre-mer ».

La résistance des peuples africains agressés est présentée de manière exotique, ridicule même à la limite : le « roi nègre » appelle son crocodile et lui ordonne de manger l'Européen; mais Kasperle réussit, sans trop de peine, à se saisir du potentat et à le mettre dans la gueule du crocodile. La victoire de Kasper sur le « roi nègre », puis sur les méchantes bêtes, gardiennes du trésor – c'est avec allégresse qu'il tue le crocodile et le serpent, en prenant les enfants à témoins – est, en condensé, la conquête d'un continent considéré comme le siège du mal. Les animaux tels le crocodile et le serpent ne sont-ils pas, dans la symbolique de l'occident chrétien dont Kasperle est un digne représentant, l'incarnation du mal ? Cet aventurier parti à la conquête du trésor aux « enfers » et revenu victorieux n'a pu que fasciner les jeunes spectateurs.

Encore une fois apparaît ici le lien étroit entre l'histoire des conflits sociaux, internationaux et la littérature : cette pièce de Brustgi, publiée en 1941, quelques années après l'invasion de l'Ethiopie par l'armée de l'Italie fasciste, est l'expression de l'admiration de l'auteur et d'un nombre non négligeable d'Allemands du Troisième Reich pour la politique africaine de Mussolini. Le choix de l'Abyssinie (Ethiopie) comme lieu d'action de cette pièce n'est aucunement fortuit.

Il n'est pas nécessaire de prouver que Brustgi était un nazi convaincu, détenteur d'une carte de militant, pour établir le lien entre son œuvre et le discours national-socialiste à propos de l'Afrique. La pièce elle-même est, aussi bien de par le contenu que des méthodes utilisées, partie intégrante de ce genre littéraire baptisé « koloniale Feiergestaltung » – qui connut le jour sous le Troisième Reich et disparut avec le déclin de celui-ci – qui servait à l'agitation colonialiste au sein de la jeunesse[5]. [PAGE 89] C'est dire que l'œuvre de Brustgi devait servir à préparer l'esprit des enfants à l'agression impérialiste avant même qu'ils n'aient atteint l'âge d'entrer dans la « Jeunesse hitlérienne ».

Pour comprendre toute la portée idéologique de l'œuvre de Brustgi, il faudrait s'imaginer la représentation de cette pièce dans tous les détails : le dialogue permanent entre le héros et les spectateurs est la base-même de cette didactique dont le but est de donner aux enfants, en les intégrant dans l'action, le goût forcené de la conquête. Déjà dans la première scène, les enfants ont pour mission de convaincre la femme de Kasperle de ne pas aller en Afrique avec son mari à cause des dangers qu'on y court, sous-entendu aussi qu'elle serait une charge pour le héros et entraverait son action. Le début de la deuxième scène ressemble à un cours de géographie dans la mesure où le héros demande aux spectateurs, en leur montrant des palmiers et des pyramides, s'ils reconnaissent le pays où il vient de mettre les pieds. Ces enfants apparemment versés en géographie et dont la présence d'esprit saute aux yeux des lecteurs d'aujourd'hui aperçoivent un Arabe – le montrent à Kasperle – qui de façon désintéressée donnera tous les renseignements nécessaires sur le royaume du « roi nègre ». Après la découverte de l'os d'éléphant, cette arme exotique au pouvoir magique, Kasper ne manque pas d'utiliser les mêmes méthodes didactiques. C'est surprenant, pour celui qui se situe en dehors du contexte bien entendu, de voir des enfants aussi bien avertis, capables de reconnaître de loin un os d'éléphant. En un mot, tout est mis en œuvre pour les préparer au dénouement.

Ce sont ces mêmes enfants, particulièrement attentifs et actifs, qui vont réveiller Kasperle de sa sieste, rendue nécessaire par la chaleur tropicale, et attirer son attention sur le « roi nègre » (scène 4); avant d'être eux-mêmes appelés par le héros à observer les effets de son arme magique (scène 5). Dans la dernière scène, la phase décisive de la conquête du trésor, les spectateurs s'avèrent plus avertis sur la « faune africaine » que le héros : alors que celui-ci, un peu distrait, prenait le dangereux serpent à la gueule bizarre pour un moulin, les enfants, qui avaient écouté attentivement la chanson dans laquelle cette bête exposait, avec poésie, les méthodes par les [PAGE 90] quelles on peut la vaincre[6], aident leur ami à en faire usage et à s'emparer du trésor.

Serait-il exagéré de dire que l'auteur a réussi, en faisant jouer aux enfants un rôle aussi important que celui du héros, à faire d'eux des agresseurs et exploiteurs en herbe ?

L'Oncle d'Afrique (Der Onkel aus Afrika)

L'œuvre de Peter Peppermint, l'« Oncle d'Afrique », est, sans aucun doute, l'une des pièces de marionnettes les plus appréciées de nos jours à cause de son actualité. Les amateurs et spécialistes qui, pour des raisons évidentes, ont pris l'habitude de considérer ce genre d'entreprise comme une simple distraction, refuseront de discuter sur sa portée idéologique. Il suffit pourtant de se pencher sur ce bref écrit dont le titre semble être une parodie des histoires d'oncles cossus d'Amérique pour se rendre compte que l'idéologie raciste est perpétuellement adaptée à chaque situation historique, aussi bien dans ce genre littéraire que dans les autres.

Dans cette pièce publiée en 1952, il n'est plus question d'un Kasper qui se retrouve bon gré mal gré en Afrique, au milieu de sauvages cannibales, mais plutôt d'un cannibale moderne qui débarque en Allemagne le même jour que l'oncle de Kasper qui vit en Afrique, certainement comme colon – que l'on pense à cette souche de colons allemands en Namibie imbus de leur supériorité raciale – [PAGE 91] et dont la visite était annoncée depuis longtemps. Voilà donc de quoi provoquer un quiproquo fort amusant – en l'absence de Kasper qui était parti acheter des guirlandes pour orner son salon – la scène théâtrale – à l'occasion de l'arrivée de son oncle, Seppel qui joue le rôle du naïf et les enfants vont prendre –, ô erreur grossière ! – le nègre pour l'oncle si chaleureusement attendu.

Cette pièce se situe, à n'en point douter, dans la tradition des propagandistes de la République de Weimar qui présentèrent les soldats africains de l'armée française lors de l'occupation de la Rhénanie comme des sauvages cannibales envahissant l'Europe, piétinant la civilisation. (Un travail récent nous révèle que les enfants nés de l'union entre ces soldats et des Allemandes furent enregistrés sous la République de Weimar au cours d'une campagne anti-abâtardissement de la race blanche puis poursuivis et stérilisés sous le Troisième Reich.) Voici que ce thème, qui ne fit pas long feu, la cible ayant été rapidement atteinte, est repris après la Deuxième Guerre mondiale et intégré à un certain nombre de jeux d'enfants qui sont d'ailleurs mentionnés dans cette pièce...

Le pays des singes :

Les enfants auxquels Kasperle apprend dès l'ouverture de la scène que son oncle arrive d'Afrique, certainement chargé du genre de cadeaux qu'il a l'habitude de lui expédier, suivent attentivement l'entretien entre Kasperle et son ami Seppel, le naïf. C'est de la bouche de ce dernier qu'ils entendent que l'Afrique s'appelle ainsi – Af-ri-ka – « parce que là-bas les singes bondissent d'arbre en arbre » (« Ich weiss, warum das Afrika heisst. Weil da die Affen auf den Bäumen rumklettern ») (p. 7)...

Même si l'on considère que Seppel joue effectivement le rôle du naïf, on ne peut s'empêcher de se pencher sur le contenu idéologique des messages qu'il est chargé de transmettre à son auditoire, sur la fonction fondamentale des blagues. Dans ce cas précis où la décomposition du mot Afrika en Af-ri-ka (Aff' étant la prononciation dialectale du mot Affe – singe), a une consonance phonétique très tentante pour les oreilles des enfants pas à [PAGE 92] même de se poser des questions sur l'étymologie des mots, il est nécessaire d'insister sur le caractère pervers de l'entreprise. On peut aisément s'imaginer la joie de l'auteur d'avoir fait cette trouvaille qui vient consolider une tradition chère à l'Europe raciste. On peut aussi s'imaginer les éclats de rire approbateur des différents groupes d'enfants qui auront vu cette pièce. En effet, cette assertion de Seppel vient étayer l'idée-maîtresse de la plupart des livres d'enfants sur l'Afrique selon laquelle le continent « noir » ne serait ni plus ni moins qu'une grande réserve d'animaux et d'êtres étranges où l'Européen amateur de safari peut se défouler outre mesure. Parmi les nombreux touristes qui sillonnent aujourd'hui l'Afrique pour photographier les animaux et les peuples sauvages – ce rapprochement n'est point de moi – on trouvera à coup sûr quelques amateurs de Peppermint et compagnie.

Le continent « noir » :

La deuxième connotation que le mot « Afrique » éveille dans l'imagination créatrice de Peter Peppermint est la suivante : « le pays habité par les nègres ». Seppel, son personnage apparemment naïf, qui énonce cette banalité sous forme de question rhétorique, ajoute quelques instants plus tard qu'il aurait du mal à s'imaginer en train de vivre dans une société de Noirs parce qu'il aurait réellement peur d'eux. Et son ami Kasper de lui répondre : « Les Nègres sont aussi des êtres humains, ils sont tout simplement d'une apparence noire » (op. cit., p. 7)[7]. Cet énoncé qui pourrait paraître comme une vérité de la Palisse sert à attirer l'attention des enfants sur cette altérité biologique avant de la leur présenter comme signe d'infériorité raciale. Au fur et à mesure que la trame de l'action évolue, on s'aperçoit de plus en plus que le naïf Seppel, au fond, a pour mission de débiter tous les clichés sur le continent « noir » afin que les enfants s'en imprègnent avant même l'arrivée sur scène du nègre qui, par ses propres paroles – plus exactement : par ce [PAGE 93] que lui fera dire l'auteur – confirmera, devant les spectateurs, l'infériorité congénitale de la race noire. Cette pièce est indubitablement l'une de ces créations littéraires qui, tout juste après la Deuxième Guerre mondiale, devaient servir à maintenir la tradition raciste en permettant aux nostalgiques du Troisième Reich de se défouler par le rire aux dépens des peuples « inférieurs », toute autre forme de défoulement sur ce plan ayant été rendue impossible par la disparition de ce genre de peuples du sol allemand et par l'évanouissement du rêve de reconquérir des colonies.

Les nombreux jeux d'enfants auxquels Seppel fait sans cesse allusion – et qui sont bien appréciés dans les jardins d'enfants – constituent la toile de fond de cette pièce : voilà que Seppel, enchaînant sur sa remarque selon laquelle le Noir lui ferait peur, pose la question suivante : « Que font les enfants nègres quand ils jouent au "qui a peur de l'homme noir" ? »[8]. Le sens profond de ces jeux qui est de faire apparaître la couleur noire de la peau comme symbole de péché, de mal, de la perte du bonheur... est thématisé d'une manière originale, dans la mesure où le porte-parole de l'auteur se demande comment on pourrait bien les faire jouer en Afrique par des enfants nègres. La réponse à la première question est tout bêtement la suivante : « on n'y a aucunement peur de l'homme noir parce qu'il n'existe pas du tout »[9]. Géniale, n'est-ce pas ?

Si l'auteur s'était fixé le but de promouvoir l'entente, le dialogue (utilisons aussi ce mot en vogue surtout depuis que l'on parle de dialogue nord-sud) entre les peuples, il aurait montré aux enfants que de tels jeux seraient encore plus insensés en Afrique, étant donné que la couleur noire de la peau ne peut y être, en aucun cas, considérée connue phénomène marginal. Mais comme il a plutôt décidé d'être fidèle à la tradition impérialiste et raciste, il met même du zèle à faire dire à ses personnages des énoncés qui ne peuvent que provoquer de la confusion dans l'esprit des enfants. Que l'on s'imagine [PAGE 94] la perplexité d'un enfant entendant la définition de l'Afrique en tant que « le pays habité par les nègres » puis la formule idiote selon laquelle l'« homme noir n'y existerait pas du tout » ! Perplexité qui se transforme assez vite en la conviction suivante : le nègre n'est pas un Homme – l'une des plus vieilles assertions dont il serait vain de vouloir mesurer les conséquences dans l'histoire de l'humanité.

Après l'arrivée sur scène impatiemment attendue du représentant de la race « inférieure », le vocabulaire raciste des jeunes spectateurs est enrichi d'un mot : dans son charabia, Bimbo réussit à se définir comme « bon nègre » (guter Negermann) pour dissiper la peur des enfants.

Après une longue auto-présentation du nègre au cours de laquelle Seppel lui sert d'interlocuteur, réapparaît Kasperle pour ajouter son grain de sel. Il s'adresse au nègre Bimbo, en l'appelant « Mohrenkopf » (tête de nègre), « kleiner schwarzer Rabe » (petit corbeau noir), démontrant par là-même que le vocabulaire utilisé dans la littérature d'enfants pour disqualifier les nègres lui est tout à fait familier. Bimbo par contre l'appelle spontanément « Massa » pour consacrer la relation maître-serviteur dès cette première rencontre. L'Africain est pour ainsi dire présenté comme un individu conscient de son infériorité congénitale vis-à-vis de l'Européen et qui de surcroît se complaît dans cette situation : c'est même avec allégresse qu'il joue le rôle qui lui est conféré. Ni l'affirmation selon laquelle il serait peint en noir (op. cit., p. 13), ni l'invitation singulière de Kasperle à Bimbo de laver sa teinture noire afin que les gens voient finalement à quoi il ressemble (p. 14), ne lui apparaissent comme une ironie qui ne peut relever que de l'esprit raciste... Ses répliques ne font que confirmer les dires de Kasperle.

Du « petit corbeau noir » jusqu'au « cannibale », en passant par le « bon nègre », et l'assertion selon laquelle la couleur noire de la peau serait une teinture, partant lavable, on a toute une série de clichés, si dense, que l'on s'étonne qu'un auteur ait pu les intégrer sans faille à une seule pièce de marionnettes.

La version moderne du cannibalisme est sans aucun doute la pièce-maîtresse de cette œuvre de Peppermint : [PAGE 95] le nègre qui apparaît ici sur scène se présente lui-même comme cannibale. Bien qu'il parle charabia, d'aucuns diront petit-nègre, il réussit à exprimer le but précis de son voyage :

    « Ich suchen Menschenfresserhaus ( ... ) Ich sein Bimbo – Ich solil spielen in seine Bude auf Jahrmarkt – Menschenfresser – aber haben keine Angst – Bimbo hat nie gemacht Menschenfresser wulle wulle wauwau hammurabi saleikum – (...) Menschenfresser gibt keine mehr – nicht Angst haben – Bimbo sein guter Negermann ( ... ) Ich suchen Jahrmarkt – Bude – Menschenfresserhaus – Zirkus » ( op. cit., pp. 12-13).

Une analyse sémantique des paroles que l'auteur fait dire à ce personnage prouve bel et bien qu'il a mis tout son zèle à banaliser les stéréotypes racistes pour les mieux faire assimiler à son jeune auditoire : après chaque représentation, les enfants sortiront de la salle de théâtre avec la conviction que Bimbo, le nègre qu'ils ont vu sur scène, n'est pas un cannibale, mais descendant de cannibales, comme tous les nègres qu'ils rencontreront désormais dans la rue.

En un mot, l'idée fondamentale de cette pièce est la suivante : grâce à la mission civilisatrice, il n'y a plus de cannibales en Afrique – ou, par mesure de précaution : le cannibalisme est devenu chose rare –; mais pour rendre justice à la vérité historique, pour souligner les bienfaits de la colonisation, il est nécessaire de présenter ces mœurs bizarres. Pour ce faire, il suffit de faire venir un descendant de cannibale qui jouerait le plus naturellement possible ce rôle.

Au terme de cette étude qui est bien loin d'être exhaustive, je constate avec amertume la persistance de l'image négative des peuples noirs dans la pensée occidentale, même dans les domaines artistiques où l'on s'imaginerait difficilement pareille chose; ce qui prouve encore une fois que cette idéologie à multiples facettes est chère à l'Europe parce qu'elle est le soubassement de l'exploitation et de l'oppression séculaires des peuples africains depuis le commerce triangulaire jusqu'au néo-colonialisme avec ses avatars d'aide au développement et de coopération. [PAGE 96] Et comme l'histoire nous apprend que les idéologies dangereuses, diffusées des siècles durant, ne servent pas seulement à justifier le statu quo, mais à préparer les esprits à toute forme d'agression, cet essai n'aurait de sens que s'il était perçu comme une modeste contribution à la critique permanente de l'idéologie impérialiste.

Kouamé KOUASSI
Department of Languages
University of Nigeria/Nsukka
(Nigeria)


[1] 1) Wilder: Fressifrassi. 2) Wilder Gutibissi. 3) Wilder Spissibrati.

[2] Krokodil :
Ich bin ein altes Krokedil
Und leb dahin ganz ruhig und still
Bald im Wasser, bald zu Land
Am Ufer hier im warmen Sand.

Gemültlich ist mein Lebenlauf,
Was mir in 'Weg kommt, fress inch auf,
Und mir ist es ganz einerlei,
In meinem Magen wird 's zu Brei.

Schon hundert Jahre leb ich jetzt
Und wenn ich sterben muss zuletzt,
Leg ich mich nihig ins Schilf hinein
Und sterb im Abendsonnenschein (op. cit., p. 20).

[3] « Eh oui, avec ses lèvres de punch, elle a bien l'air d'une fleur des prés, plutôt d'un pissenlit. »

[4] « ZweiMohren treten auf, tanzen und machen dem Publikum Verbeubungen. Dann umarmen sie sich, wobei sie sich laut schallende Küsse geben. Tanzend ab. Dann Wiedererscheinen mit einer Dose, die sie niedersetzen. Abermals Tanz, Verbeugungen, Umarmung und Küsse, worauf sie verschwinden. »

[5] Voir Kouamé Kouassi, La propagande colonialiste dans la littérature allemande. De la Conférence de Berlin 1884-1885 à la Deuxième Guerre mondiale, thèse pour le doctorat de 3e cycle, Saarbücken/Metz, 1981.

[6] Ich bin die giftige Klapperschlange !
Wen ich beisse, der lebt nicht mehr lange !
Hundert Jahr lieg ich schon an diesem Platz
Und hüte Quitzlampapos Schatz.
Schon mancher wollte ihn mir rauben
Doch jeder musste daran glauben !
Weh dem, der sich von vorn mir naht !
Er ist verloren ohne Gnad !
Wer diesen Goldschatz will gewinnen,
der muss es schlau, ganz schlau beginnen :
In meinen Rücken muss er gehn
und auf die Goldschatzkiste stehn.
Und stark sein musse er wie ein Elefant.
Doch so stark ist kein Mensch im Land !

[7] « Neger sind auch Menschen, sie saheir nur schwarz ous » .

[8] « Was machen die Negerkinder, wenn sie 'Wer fürchtet sich vorm schwarzen Mann'spielen ? »

[9] « Worm schwarzen Mann fürchtet man sieh überhaupt nicht, weil es den gar nicht gibt » (op. cit., p. 7).