© Peuples Noirs Peuples Africains no. 41-42 (1984) 212-223



DOCUMENT :

« Complots de 1963 »
Lettre de délation

J'ai déjà parlé longuement des complots de 1963 qui endeuillèrent la Côte-d'Ivoire tout entière[1]. Comme dans tous les régimes totalitaires, ces « complots » reposaient sur la délation. Je publie aujourd'hui une lettre entière de délation émanant de la sous-section de Gagnoa. Elle date du 5 mars 1963 et est signée de Domoraud Dépri Antoine, Brou Kouakou Henri et Yaya Sangaré.
L'objectif principal de cette lettre était de faire arrêter Kouamé Zady Nicodème, député de Gagnoa. Bien entendu, Kouamé Zady Nicodème a été arrêté et embastillé à Yamoussokro (voir un précédent document); à sa place le parti a nommé comme député... Domoraud Dépri Antoine. C'est ça la « démocratie à l'ivoirienne ».
On notera également la manière dont nos délateurs envoient allègrement en prison des dizaines de simples paysans, en en dressant des listes tribu par tribu.

Laurent GBAGBO

[PAGE 213]

Parti Démocratique
de la Côte-d'Ivoire
Section ivoirienne du R.D.A.
Sous-section de Gagnoa
Objet : 2e Rapport

Gagnoa, le 5 mars 1963

Monsieur le secrétaire général
du P.D.C.I. (Bureau politique)
A Abidjan


Monsieur le Secrétaire général,

Après les premières informations que nous avons fournies par lettre en date du 19 janvier 1963 pour vous tenir informé des renseignements obtenus sur certaines personnes de la sous-préfecture de Gagnoa compromises dans l'affaire des menées subversives récemment découvertes, nous avons cru devoir pousser nos enquêtes dans la sous-préfecture de Guibéroua d'où des personnes désintéressées sont venues nous faire des déclarations dignes de foi que nous venons livrer à votre connaissance sur de différents points : Commune et sous-préfecture de Gagnoa :

Dans notre premier rapport du 19 janvier nous avions cité, d'après les déclarations reçues de Digbo Seri Emile, planteur à Mahidjo, les nommés Beugre François, chef du quartier Nairayville (Kedio-Babre), Zolaka Albert du village de Kedio-Babre, Bada Benoît, chauffeur domicilié près du village de Gozoa-Bahiri, tous inculpés dans l'affaire des menées subversives et détenus aujourd'hui à Yamoussokro. Diverses personnes nous ont apporté de nouveaux renseignements sur des personnes qui ont participé solidairement et de façon évidente aux activités qui caractérisent la culpabilité des personnes précitées et qui restent encore en liberté :

Le citoyen Koudou Albert du village de Djédjehopalegnoa, du canton Paccolo, nous dit que le nommé Gnahore Frédéric, notable à Djédiehopalegnoa (même village [PAGE 214] que le premier) avait déclaré dans le village quelques jours avant la découverte des menées subversives que le gouvernement Houphouët-Boigny serait renversé par un nouveau mouvement qui se préparait et que des armes avaient été distribuées dont il possédait un pistolet.

A en croire les déclarations de Koudou Albert appuyées par sa lettre adressée à M. le sous-préfet de Gagnoa et datée d'avant les événements le nommé Gnahoré Frédéric mérite d'être interrogé.

A la suite de l'arrestation de Grakro Gabriel et de Mahile Anatole de Gagnoa-Village et consorts (actuellement détenus à Yamoussokro) nous avons pu recueillir d'autres renseignements bien précis émanés spontanément de personnes venues de points différents sur les agissements des nommés : Brissy Djegna Clément, frère de Digna Bailly domicilié à Gagnoa-Village, Guédé Marcel, chauffeur à la plantation de M. Jean Arnaud, près le village de Gozoabia-Bahiri (5 km de Gagnoa), Lého Oraga Henri, commerçant au quartier de Gagnoa, agent de renseignements du député Kouamé Zaddy Nicodème. Zaddy Nicodème fait actuellement l'objet de nombreuses dénonciations qui laissent supposer qu'il a effectivement participé à l'organisation du complot et certaines de ses activités ont été notoirement remarquées à Gagnoa. Mafremory Fofana, Mamadougbé Diaby, Hibrahima Koné, tous originaires d'Odienné, mènent actuellement des activités et tiennent des réunions nocturnes à Dioulabougou en faveur de l'ex-ministre Amadou Koné.

On se souvient à Gagnoa que le nommé Brissy Djegna Clément bien avant l'éclatement du complot effectuait déjà des tournées à travers les villages de la sous-préfecture de Gagnoa avec un véhicule mis à sa disposition par M. Yacouba Sylla sous prétexte qu'il encaissait des dettes aux planteurs. Mais au contraire, des gens comme les nommés Dassé Djédjé, chef de la tribu Guia, canton Niabré, Gnabri David, Makré Gabriel, Dassé Etienne, Dagbo tous du village de Toutoubré, Lia Jean, notable au village de Kripahio, sont venus nous confier que Brissy Djégna Clément prônait partout au cours de ses multiples tournées effectuées aux mois de novembre-décembre jusqu'en janvier que le gouvernement Houphouët-Boigny serait renversé et un autre parti politique supplanterait le [PAGE 215] R.D.A. Les mêmes personnes nous ont confirmé leurs déclarations le 4 mars 1963 au domicile du secrétaire général de notre sous-section que Djégna Clément venait souvent dans la nuit tenir des réunions au village de Toutoubré avec les nommés Loukougna Zibihi, Bédé Gaspard, Douanon Maurice, Blé Joseph et cela a créé des conséquences fâcheuses dans ce village entre les membres du R.D.A. ayant à leur tête Dassé Djédjé et les partisans de Loukougna Zibihi nettement opposés au R.D.A. d'après leur comportement. De cette fâcheuse situation les deux groupes en sont venus aux mains et il en est résulté plus d'un procès de coups et blessures qui sont d'ailleurs présentement en instance au Parquet de Gagnoa. Nous noterons en passant qu'une réunion a été tenue dans la nuit du 13 au 14 janvier au domicile de Loukougna Zibihi et qui a donné le départ aux incidents précités. Il est aussi utile de vérifier pourquoi le jour de l'arrestation de Grakro Gabriel et Mahilé Anatole, parents de Brissy Djégna Clément, ce dernier avait brusquement disparu de la circulation à Gagnoa et avait passé sa nuit en brousse avec deux compagnons (dont nous n'avons pas pu avoir les noms) dans le campement du nommé Assielou Konan, Baoulé, planteur, domicilié à 3 kilomètres de Gagnoa-village sur la route de Mahibouo (canton Paccolo).

Dans ce même ordre d'idées nous citons qu'à l'occasion de l'inauguration à Gagnoa le samedi 22 décembre 1962 de sa boutique tenue par Brissy Gadhout Jérôme, autre parent du député Digna Bailly, et en l'absence de ce dernier, l'ex-député Ablé Frédéric, avait tenu une réunion à Gagnoa-village avec des gens dont Loukougna Zibihi de Toutoubré (Guia) que Djégna Clément avait fait venir des villages environnants et auxquels Ablé Frédéric déclarait : « Je vous recommande de soutenir Digna Bailly. Il est notre homme de confiance et à l'avenir il fera partie d'un nouveau gouvernement dont la constitution ne va pas tarder. » Ce rapport nous a été fait avant l'éclatement du complot, mais qui pouvait accorder crédit à une telle déclaration dans les réalités d'aujourd'hui ? Mais personne n'ignore dans la vie politique de Gagnoa que Brissy Djégna Clément qui est actuellement l'homme de confiance de M. Yacouba Sylla, est un adversaire des plus virulents qui soient à Gagnoa du R.D.A. [PAGE 216] et de son président, le président Houphouët-Boigny et partant, de tous les militants de ce parti. On n'oubliera jamais que le repris de justice Djégna Clément fut l'homme de main de Capri Djédjé et de Digna Bailly pendant la campagne électorale de 1957 qui fit des incidents sanglants à Gagnoa, surtout à Mahidio où nos camarades Diarrassouba Kodjigdi et Kanté ont trouvé la mort. Djégna Clément reste toujours à l'opposition et les autorités administratives et judiciaires de Gagnoa ne l'ignorent pas.

Guédé Marcel, toujours opposé au R.D.A., était l'inséparable compagnon et voisin de Ogou Joseph et Bada Benoît actuellement détenus à Yamoussokro. Le citoyen Azo André du village de Gozoabia-Bahiri et les habitants de ce village s'étonnent de le voir en liberté alors que ses complices sont en prison à Yamoussokro. On nous dit qu'étant retiré dans cette plantation européenne il était le receleur des drapeaux et autres dispositifs que les activités de la subversion devaient employer pour attaquer.

Lewo Ouraga Henri, homme sans fortune qui tient actuellement boutique au quartier Soleil de Gagnoa, et dont les affaires ont brusquement repris avec succès, est l'agent de renseignements du député Kouamé Zaddy Nicodème et son homme de confiance. On le soupçonne beaucoup d'être parfaitement au courant des affaires même les plus discrètes du député qu'il ne tarderait pas d'avouer à la moindre pression. Il a la réputation d'être bagarreur et toujours prêt à exploiter les situations qui peuvent lui rapporter de l'argent par tous les moyens.

Lebo Benjamin, planteur à Kripahio, est connu pour sa position anti-R.D.A. et seul homme de confiance du député Kouamé Zaddy Nicodème au nom duquel il a fait savoir dans son village avant le 14 janvier que le R.D.A. devait être renversé pour faire place à un nouveau parti. Cela nous a été rapporté par Lia Jean, notable à Kripahio et Frekré Anatole, chef de ce village.

A Dioulagbougou de Gagnoa nous sommes en train de chercher à savoir pourquoi les nommés Moriféré Fofana, Ibraim Koné et Mamadougbé Diaby, tous originaires d'Odienné, se réunissent souvent la nuit chez Mafrémory Fofana, parent de l'ex-ministre Amadou Koné. On dit qu'ils se réunissent pour collecter de l'argent en vue de [PAGE 217] libérer Amadou Koné et ses complices dont les gens d'Odienné ne croient pas à la culpabilité et disent que le président de la République a fait arrêter Amadou Koné parce qu'il a peur que ce dernier ne le remplace à la présidence de la République vu l'influence montante de l'ex-ministre (sic). Nous vérifions encore ces faits dont nous vous tiendrons informé des résultats qui pourront aussi venir des activités de Lanciné Cissé, commerçant à Gagnoa, qui se trouve actuellement à Abidjan où il doit être surveillé de près.

Nous poursuivons nos enquêtes sans passion, mais avec honnêteté pour déceler tous les coupables du complot.

Dans la sous-préfecture de Guibéroua. Cette sous-préfecture étant la région d'origine du député Kouamé Zaddy Nicodème, elle a été et demeure le point où ses activités ont été suffisamment déployées mais si M. Ténéna Coulibaly, sous-préfet de Guibéroua, reste jusqu'ici muet sur ces faits, cela fait penser qu'il a effectivement participé à préparer ces menées subversives : nous citons :

Il nous a été rapporté par les citoyens Toky Alphonse, planteur à Briéhoa, Tapé Gaston, chef du village de Takoha, Zagouré Blaima Augustin, chef du village de Béliéhoa, Godi Yor Edouard, secrétaire- délégué du même village, Zébeu Etienne, planteur à Takohoa, Tapé Aguy Pierre, chef de la tribu N'Dri, pour ne citer que ceux-là, que le 5 janvier 1963 à 20 h le député Kouamé Zaddy Nicodème avait tenu une réunion avec des notabilités de Guibéroua au domicile du sous-préfet Ténéna Coulibaly et le même jour le député Kouamé Zaddy Nicodème et le sous- préfet tenaient une autre réunion jusqu'à l'aube du 16 janvier, au village de Guezéhoa, dans le canton N'Dri, au domicile du chef de tribu Wanhi Jean-Pierre, avec des notabilités ayant été transportées dans ces lieux par les véhicules de l'Administration de Guibéroua. Après ces réunions nocturnes le sous-préfet de Guibéroua s'était absenté de son poste le 17 janvier 1963 pour un voyage de trois jours qu'il avait entrepris pendant la nuit du 16 au 17 janvier en apportant sa voiture et la Land Rover de la sous-préfecture. Il n'était rentré à Guibéroua que le dimanche 20 janvier 1963 dans la nuit. Le député Kouamé Zaddy Nicodème après avoir placé au marché de Guibéroua ses hommes de confiance Dogo Jean, chef du canton ouest de Guibéroua, son oncle Digbeu Dubert, [PAGE 218] son homme de main Rabé Prosper pour empêcher de venir à Gagnoa les personnes qui étaient de leur équipe au risque de ne faire des fuites de leurs confidences, se livrait à son tour à une campagne très active pour dire dans la région de Guibéroua que Donwahi Charles avait été arrêté par le président de la République parce qu'il voulait apporter une autre politique dans la commercialisation du café dans l'intérêt des populations, politique que le président Houphouët-Boigny ne voulait pas (sic).

De nouvelles déclarations ont été faites tout récemment à la gendarmerie de Gagnoa, à savoir :

Le 31 janvier 1963, le nommé Dogo Lambert, domicilié au village de Zialégréhoa, dans le canton ouest de Guibéroua, s'est rendu au domicile du secrétaire général de notre sous-section lui rapportant les propos suivants :

« Avant l'éclatement de l'affaire sur les menées subversives plusieurs réunions se sont tenues de nuit à Mossehoa, au domicile du chef de canton Dogo Jean, oncle de Donwahi Charles, homme de confiance du député Kouamé Zaddy Nicodème. Des voitures s'y rendaient de nuit passant par mon village situé à deux kilomètres de là et s'en retournaient avant le jour. C'est à cette époque que j'ai particulièrement été contacté par le chef de canton Dogo Jean qui a sollicité mon adhésion dans un nouveau parti destiné à supplanter le R.D.A. Il m'a précisé qu'il s'agissait du Parti communiste. Comme le chef de canton n'est pas parvenu à me convaincre, il est revenu une seconde fois, accompagné du député Kouamé Zaddy Nicodème, de Rabé Prosper de Djétéhoa (tribu Krihoa) et de sa fille Pilahi Delphine que Donwahi Charles a ramenée spécialement d'Abidjan dans le but de me convaincre. Donwahi était resté à Mossehoa pendant que ses partisans susnommés venaient m'entretenir à Zialégrahoa. Ils m'ont laissé entendre que des contacts individuels étaient déjà pris partout et que des adhésions étaient obtenues sur une grande échelle. J'ai été proposé au poste de président du Tribunal du premier degré qui pourrait être créé à Guibéroua. Ni argent, ni arguments, ni promesse ne leur ayant permis de me faire changer d'idées, ma fille m'a quitté dans la colère et cette situation demeure à présent.

Le 1er février 1963, le citoyen Gnahoré Victor du village [PAGE 219] de Bassehoa (tribu Krihoa de Guibéroua) nous rapporte à son tour :

« A quatre reprises j'ai reçu la visite en mon domicile député Kouamé Zaddy Nicodème, Dogo Jean, chef de canton, Rabé Prosper de Djédehoa, Nahi Gilbert de Kosséhoa, pour m'entretenir de leur mouvement et demander mon adhésion. Nicodème m'a prévenu que dès son retour de Yamoussokro (cela se passait avant le 14 janvier) des uniformes seraient distribués à leurs membres ainsi que des armes et des munitions pour déclencher la guerre aux membres du R.D.A. Il m'a affirmé que bientôt un nouveau président de la République serait élu qui pourrait être un Bété. Il m'a chargé de mener discrètement campagne en faveur de leur mouvement, mais il a beau vanter les vertus de leur parti et les immenses possibilités dont il disposera, je me suis refusé d'y adhérer, à plus forte raison de leur chercher des adeptes. »

Le 11 février 1963, Guéhi Zadi Etienne, planteur au village de Gbogouahio (tribu Dakuya) nous dit pour sa part :

« Au début du mois de janvier dernier, Donwahi Charles était venu dans une nuit à Kosséhoa, chez le chef du canton Dogo Jean, accompagné de trois Européens barbus et de Gbopi Prégnon Gabriel, ex-directeur de C.C.C.A. à Duékoué, du sous-préfet de Guibéroua Ténéna Coulibaly, du député Kouamé Zaddy Nicodème (habillé en culotte et portant un béret), de Rabé Prosper, Nahi Gilbert et Oré Alexandre.

« Je me trouvais ce jour-là à Gbogouahio lorsque dans la nuit vers 21 heures une voiture Citroën 2 CV marchant sans bruit et éclairant à peine au code s'arrêta au bout du village. Cette voiture était pilotée par le député Kouamé Zaddy Nicodème lui-même, presque méconnaissable, et il était accompagné de Oré Alexandre, animateur au camp de Jeunesse de Gazahio. Ce soir-là je me trouvais ensemble avec Blé Létou, chef du village de Gbogouahio, et Nahi Bayoro Jules, planteur, lorsque les deux visiteurs nocturnes se dirigèrent chez Sahié Henri habitant du village, homme de confiance de Dogo Jean et de Kouamé Zaddy Nicodème. Ils partirent avec lui à Kesséhoa, situé à un kilomètre environ de notre village. Etonné de ces entrefaites, je me décidais avec mon ami Nahi Bayoro Jules de suivre le chemin de Sahié Henri pour savoir [PAGE 220] ce qui devait se passer à Kosséhoa. A notre arrivée à proximité du village, nous voyions de grandes voitures discrètement garées dans un coin de la cour d'école de Kosséhoa. Nous nous avançâmes vers la concession de Dogo Jean où on pouvait voir les occupants de ces voitures. En nous approchant de la maison de Dogo Jean, nous constations que des sentinelles surveillaient l'entrée, et c'est ainsi que pour éviter d'être vus nous nous étions placés dans un coin d'où nous pouvions entendre et voir sans être découverts. Nous avions d'abord remarqué que la concession de Dogo Jean était surveillée à cette heure tardive de la nuit par les nommés Prégnon Lucien de Kosséhoa, petit frère de Dogo Jean, Gboka Jacques également de Kosséhoa et de Oré Alexandre, homme de main de Kouamé Zaddy Nicodème, animateur du camp de Jeunesse rurale de Gazahio dans la sous-préfecture de Guibéroua.

Nous avions attendu longtemps. Des murmures se faisaient entendre de la chambre même du chef de canton Dogo Jean où la réunion se tenait à huis clos.

A la fin de cette réunion qui fut longue nous voyions l'ex-ministre Donwahi Charles accompagné de quatre étrangers (trois Blancs et un Africain, tous les quatre portant de longues barbes). Parmi ces étrangers nous avions vu en outre les nommés Gbopi Prégnon Gabriel, ex-directeur du C.C.C.A. de Duékoué, le député Kouamé Zaddy Nicodème, Ténéna Coulibaly, sous-préfet de Guibéroua, avec leurs hommes de main Rabé Prosper, Nahi Gilbert de Kosséhoa et Oré Alexandre. La réunion se tenait naturellement chez Dogo Jean.

Le lendemain de cette réunion, Sahié Henri rentrant à son domicile de Gbogouabio fut interrogé devant témoins par le chef du village Blé Létou sur le motif de son invitation par le député Kouainé Zaddy Nicodème à se rendre à Kosséroa à une heure si tardive. A ses questions, Sahié Henri répondit tout court que c'était pour un entretien privé – fin de citation.

Mais les agents de propagande du député Kouamé Zaddy Nicodème dans ses activités subversives sont connus et se trouvent placés dans toutes les tribus de la sous-préfecture de Guibéroua. Ce sont :

Pour la tribu Dakuya du canton ouest de Guibéroua :

Dogo Jean, chef de canton, Nahi Gilbert, Prégnon Lucien [PAGE 221] de Kosséhoa, Gboka Jacques, Sahié Henri du village de Gbogouahio.

Pour la tribu Krihoa : On connaît Rabé Prosper et son frère Dégré Anatole domiciliés à Djétéhoa ainsi que Gbopi Prégnon Gabriel, ex-directeur de C.C.C.A. à Duéhoué, originaire de Tadiahio, actuellement détenu à Yamoussokro et qui, de son poste de Duékoué venait souvent dans la région pour y prendre contact avec les gens de sa tribu.

Pour la tribu Gottibouo : Les citoyens Dizoa Gaston de Dignago, Djédjé Prégnon Lucien de Lébré et Toki Alphonse de Briéhoa nous confient qu'il leur a été déclaré dans le courant de janvier par le nommé Robé Béyoro, Gaston, chef du village de Lébré, en son propre domicile, que le sous-préfet de Guibéroua et le député Kouamé Zaddy Nicodème avaient tenu une réunion le 15 janvier à Guézéhoa dans la tribu N'Dri au domicile du chef de tribu Wanhi Jean-Pierre, de 20 heures à 4 heures du matin, réunion à l'issue de laquelle le député avait déclaré aux notabilités que l'ex-ministre Donwahi avait été arrêté par le président Houphouët parce qu'il voulait hausser le prix du café sur le marché extérieur et que le président Houphouët n'étant pas d'accord avait préféré arrêter son action bénéfique au détriment des producteurs de café en Côte-d'Ivoire, ajoutant que ceux qui voulaient de la bonne vente de leur café devaient soutenir que Donwahi soit libéré. Les déclarations précitées nous ont été faites en présence de Rabé Gaston de Takoa par Gnaoré Alphonse de Niagassahio et rejoignent celles de Tapé Gaston de Takoa. Par ailleurs, nous nous sommes laissés dire par Dizoa Gaston de Dignago, que quelques jours avant la nouvelle de l'arrestation de Gbopi Prégnon Gabriel, ex-directeur de la C.C.C.A. de Duékoué, ce dernier accompagné de la nommée Pita Delphine dont les relations avec l'ex-ministre Donwahi sont suffisamment connues, l'avait salué au passage en son village.

Pour la tribu N'Dri : Le principal se trouve être le sieur Wanhi Jean-Pierre du village de Guézéhoa au domicile duquel avait été tenue la réunion de la nuit du 15 au 16 janvier 1963, qui réunissait le sous-préfet Ténénan Coulibaly et le député Kouamé Zaddy Nicodème avec plusieurs notables et qui avait duré jusqu'à l'aube. Outre Tapé Gaston, chef du village de Takoa et Zegbeu Etienne, [PAGE 222] ils ont été surpris par le nommé Horin Daniel à Bouaké, sujet européen qui marchait avec Zegbeu Etienne et qui se trouvait en congé auprès de sa famille qui habite dans la région.

A la question posée à Kouamé Zaddy Nicodème au cours de la réunion du bureau de la sous-section du P.D.C.I. le 21 janvier 1963, à laquelle assistaient les sous-préfets de Gagnoa et Ouragario de savoir le but des réunions nocturnes que le sous-préfet de Guibéroua et lui-même avaient tenues avec des notabilités le 15 janvier 1963, d'abord au domicile du sous-préfet et ensuite au village de Guézéhoa, chez le chef de tribu Wanhi Jean-Pierre jusqu'à l'aube, le député Kouamé Zaddy Nicodème nous répondit qu'il avait tenu cette réunion pour informer la population de la situation où le pays se trouvait et surtout, d'après lui, pour demander aux notabilités de chaque village si les lettrés de la sous-préfecture de Guibéroua qu'il avait inscrits sur une liste en sa possession se trouvaient encore présents dans leur village respectif. Il n'est pas par ailleurs superflu de noter que le député Kouamé Zaddy Nicodème circulait inlassablement dans les nuits, tout déguisé avec son infatigable 2 cv.

Us activités du député Kouamé Zaddy Nicodème ont été très nombreuses et remarquées avant et le sont encore après l'éclatement du complot. Avant, on le voyait circuler de nuit dans toutes les régions de Gagnoa-Guibéroua et Ouragahio. A présent, on le constate encore depuis le 14 janvier et un fait est évident et de grande importance : le citoyen Domoraud Opéri Jean-Baptiste, employé à la pharmacie Martin à Gagnoa, nous a confié qu'une réunion s'était tenue dans la propriété de Kouamé Zaddy Nicodème située à 2 km de Gagnoa sur la route d'Oumé et de grandes voitures étaient venues à cette réunion dans les parages de 19 heures. Que devait-il se passer là à ce moment ? Une information doit être ouverte sur la vie actuelle de Kouamé Nicodème et sur les activités et le comportement du sous-préfet de Guibéroua, M. Coulibaly Ténénan.

Nous jugeons opportun d'attirer votre attention sur un fait très important. C'est le fait que pas un seul ancien R.D.A. n'eut jusqu'ici été compromis dans cette affaire. Ceux déjà arrêtés comme ceux soupçonnés sont jusqu'à [PAGE 223] présent les anciens S.F.I.O. S'il s'agit là d'une simple coïncidence, elle demeure cependant significative.

Quoique sujettes à caution parce que fournies par des personnes isolées, les diverses déclarations faites par des personnes désintéressées sur les activités du député Kouamé Zaddy Nicodème et les remarques qu'il nous a donné de faire sur ses agissements et son comportement sont de nature à salir son honneur et à rendre difficile, sinon impossible, sa collaboration sur le plan politique avec ses amis du bureau de la sous-section. Aussi, c'est pourquoi nous vous demanderions avec insistance, d'ouvrir sur le sujet telle enquête appropriée ainsi que sur toutes les personnes citées dans le présent rapport, afin que toute la lumière soit faite, même si elle devait, entre notre élu et nous, ramener ce climat de confiance perdue et cependant indispensable.

Nous vous assurons de notre indéfectible attachement et vous prions, Monsieur le Secrétaire général, d'être notre interprète auprès de Son Excellence le président de la République, pour lui transmettre l'expression de notre confiance et notre soutien inlassable et entier.

Trois membres :
Brou Kouakou Henri
Conseiller général
Trésorier général sous-section
Yaya Sangaré
Secrétaire général-adjoint
sous-section
Pour le Bureau de la sous-section
Le Secrétaire général
Domoraud Dépri Antoine
Conseiller général


[1] L. Gbagbo, Pour une alternative démocratique, L'Harmattan, Paris, 1983.