© Peuples Noirs Peuples Africains no. 41-42 (1984) 60-75



LA ZONE-FRANC ET LA COTE-D'IVOIRE :
LE TRIBUT FINANCIER A PAYER A LA FRANCE

Lambert KOUADIO[*]

La Zone-franc va bientôt célébrer ses trente-neuf années d'existence. Ce ne sera certainement pas le fait le plus marquant de sa vie; c'est le pouvoir « d'attraction » et de « séduction » et le mépris qu'elle continue d'exercer encore sur une vingtaine de pays du Tiers-Monde qui retiendront ici notre attention.

La Zone-franc n'est pas une zone monétaire; elle ne présente aucun trait caractéristique d'une zone monétaire telle qu'elle apparaît dans la théorie économique générale consacrée à l'étude du processus de formation et d'intégration monétaire d'un vaste ensemble d'économies.

Depuis la création de la Zone-franc qui remonte à l'année 1945, nous constatons à la veille de son trente-neuvième « anniversaire » qu'elle n'a été que l'instrument de la domination financière de la « Métropole », la France, sur ses ex-colonies d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. C'est un système qui repose sur un ensemble de principes de base, qui s'apparentent bien à un certain nombre de structures politiques et commerciales (CFAO, SOCOPAO ... ) coloniales ou néo-coloniales créées et contrôlées par la France. Les mécanismes et les principes de base de la Zone-franc s'inscrivent, bien entendu, dans le droit chemin de la politique colonialiste de la France; c'est le masque grimaçant d'une politique coloniale bien vivante. [PAGE 61]

L'objet de notre étude ici, est d'examiner le système de la Zone-franc tel qu'il a fonctionné pendant les trente-neuf années de son existence en Côte-d'Ivoire et d'en dégager les conséquences sur l'ensemble des activités économiques, financières et sociales en Côte-d'Ivoire. C'est une tâche difficile; les statistiques ne sont pas toujours disponibles, et dans les cas rares où elles le sont, elles souffrent des manipulations ostentatoires et honteuses des autorités qui en sont responsables.

Ensuite, le choix de la Côte-d'Ivoire comme champ d'étude n'est pas un hasard. C'est un pays dont le gouvernement a toujours manifesté une sincère fidélité à l'égard de la France et de ses institutions politiques et économiques.

L'économie ivoirienne est incontestablement devenue une économie-relais de l'impérialisme français en Afrique noire. Et de plus, depuis le début de l'année 1984, les responsables ivoiriens parcourent les grandes capitales occidentales pour négocier avec leurs créanciers l'assouplissement du poids d'un endettement extérieur qui risque de bouleverser profondément l'appareil politique déjà fiévreux de la Côte-d'Ivoire. De ce point de vue, il nous apparaît intéressant de parler des effets de l'appartenance de ce pays à la Zone-franc; nous rappelons d'abord les mécanismes et les caractéristiques de fonctionnement de la Zone-franc. Ensuite, nous analyserons au regard de chaque principe de base du système, les résultats que la Côte-d'Ivoire a pu enregistrer.

Signalons avant de poursuivre notre étude que les conclusions qui seront dégagées ici seront, dans une large mesure valables pour les pays qui font partie de ce labyrinthe.

I. RAPPEL DES MECANISMES DE FONCTIONNEMENT

En Afrique noire, la Zone-franc exerce sa pression sur deux Instituts d'émission :

– Cinq pays de l'ex-A.E.F. (Afrique équatoriale française) furent contraints de former avec la France un « Univers financier homogène » dirigé par la BCEAC (Banque [PAGE 62] centrale d'Afrique centrale) : ce sont le Cameroun, le Gabon, la Centrafrique, le Tchad et le Congo.

– De l'autre côté, dans l'ex-A.O.F. (Afrique occidentale française), six pays[1] regroupés au sein de l'U.M.O.A. (Union monétaire de l'Ouest africain), ont aussi leur Institut d'émission, la B.C.E.A.O.

1) Principes de base

– Le système est fondé sur l'adhésion de tous les pays membres au principe de la parité fixe entre le franc français et les autres monnaies de la Zone.

– La libre circulation des capitaux et des liquidités est de rigueur à l'intérieur de la Zone où tous les Instituts d'émission sont encore sous le contrôle direct français, la direction de la banque d'émission et la politique générale du crédit restant sous surveillance réelle de la France, malgré quelques réformes survenues au cours de ces dernières années.

– La réglementation des changes unique est applicable à tous les pays de la Zone, y compris la France.

– Il faut noter enfin la centralisation et la gestion sans partage par la France des ressources importantes en or et en devises de ses ex-colonies, embrigadées dans cette structure financière.

Tel est le contexte juridico-politique et économique dans lequel se déroulent depuis toujours les « coopérations » entre la France et les gouvernements de ses ex-colonies.

2) Les mécanismes du « Compte d'Opérations »

La Côte-d'Ivoire appartient au groupe de pays dits de « Compte d'Opérations ». Le compte d'opération est ouvert [PAGE 63] au nom de la B.C.E.A.O. dans les écritures du Trésor français. Il assure de manière totale et complète la convertibilité externe des monnaies de la Zone. De ce point de vue, la B.C.E.A.O. est tenue de verser toutes ses disponibilités en FF ou autres devises (notamment en or), à l'exception de celles provenant des transactions avec la France et les autres pays membres de la Zone. Les avoirs extérieurs de l'Union sont mis en commun et placés sous la haute autorité du Trésor français. Ainsi, le compte d'opération repose sur les principes de convertibilité du FF en F CFA[2] et de libre transfert à l'intérieur de la Zone.

Si le compte demeure peu alimenté, le Trésor français devrait en principe s'engager à fournir à la B.C.E.A.O. (Institut d'émission pour l'U.M.O.A.), toutes les disponibilités en FF dont elle a besoin pour le compte d'opérations; c'est en fait le principe de la garantie française. Cependant, des dispositions ont été prises dans les statuts de la Zone-franc pour éviter un tel cas : selon les termes de l'article 44, alinéa 3, lorsque le rapport entre le montant moyen des avoirs extérieurs de la Banque et le montant de ses engagements à vue est resté au cours de trois séances consécutives inférieur à 20 %, le conseil aux finances[3] est convoqué afin d'examiner la situation et de prendre toutes décisions appropriées.

Ce rapport est toujours resté supérieur à 20 %[4]. Ceci prouve bien que la garantie du Trésor français reste encore illusoire car ce sont les excédents de certains pays africains qui viennent compenser les déficits des autres pays africains. L'ensemble des six pays de l'U.M.O.A. ont vu, pour la première fois, le solde de leur compte d'opérations négatif en 1980. [PAGE 64]

TABLEAU 1
SOLDE CREDITEUR DU COMPTE D'OPERATIONS
DE LA B.C.E.A.O.-C.I.
(en milliards de F CFA)

Source : Comité consultatif de la Zone-franc, 1982.

Lorsque le solde est créditeur comme l'indique le tableau ci-dessus, la France utilise ces fonds pour financer certainement les découverts des lois de finances et les amortissements de sa dette publique. En quatre années seulement, la Côte-d'Ivoire a transféré au compte d'opérations plus de 131,8 milliards de F CFA qui ont servi à l'économie française et sans contrepartie positive pour l'économie ivoirienne.

Quand le compte d'opérations fait apparaître un solde négatif, comme ce fut le cas de la Côte-d'Ivoire en 1980, la Banque centrale du pays débiteur est tenue à verser à l'économie française des intérêts qui ne sont pas répartis entre les différents soldes positifs utilisés pour la compensation. Ces intérêts vont gonfler les caisses du Trésor français. Ce sera bientôt le cas de la Côte-d'Ivoire dont le solde négatif se situe à près de 280 milliards de francs CFA en 1983[5].

La Zone-franc ne favorise pas l'accumulation du capital dans les pays situés à la périphérie de la monnaie dominante, le FF. Selon Marcel Rudoff[6], la Zone-franc est la structuration monétaire d'ensembles polarisés autour d'une économie dominante, la France. [PAGE 65]

II. LES EFFETS DE FONCTIONNEMENT DE LA ZONE-FRANC SUR L'ECONOMIE IVOIRIENNE

1) Les échanges commerciaux avec la France

Ils ont toujours été favorables à l'économie française. La structure des échanges extérieurs de la Côte-d'Ivoire vers la France n'a pas fondamentalement changé depuis l'ère coloniale même si les parts relatives de certains produits ont connu un recul sensible : la structure primaire de l'économie ivoirienne a été maintenue.

TABLEAU 2
STRUCTURE DES EXPORTATIONS IVOIRIENNES
VERS LA FRANCE
(en % des recettes d'exportation)

Source : Centre français du commerce extérieur.

Comme le tableau 2 le montre, la structure des exportations de la Côte-d'Ivoire vers la France est essentiellement primaire : les produits d'origine agricole non transformés constituent l'essentiel des relations commerciales ivoiriennes vers la France. Ceci répond à la volonté colonialiste de la France de maintenir la Côte-d'Ivoire dans le rôle de fournisseur de matières premières et de déversoir de produits manufacturés. [PAGE 66]

a) Structure des exportations de la Côte-d'Ivoire vers la France et les autres pays de la Zone-franc (U.M.O.A.)

La Côte-d'Ivoire exporte des produits primaires principalement agricoles vers la France (voir tableau 2) : la structure des échanges est dominée par l'exportation de produits nécessaires à l'économie de la Métropole et de ses partenaires.

TABLEAU 3
STRUCTURE DES EXPORTATIONS IVOIRIENNES PAR PAYS
(en milliards de F CFA)

L'évolution des échanges sur le tableau 3 montre clairement que la Zone-franc n'a pas favorisé en réalité les échanges au sein de l'U.M.O.A., mais plutôt les échanges entre la Côte-d'Ivoire et la France et les pays européens et occidentaux. La France demeure le principal client de la Côte-d'Ivoire avec environ plus du tiers des exportations ivoiriennes depuis plusieurs années.

b) Structure des importations de la Côte-d'Ivoire

Le tableau 4 fait apparaître que la France est le principal fournisseur de la Côte-d'Ivoire. Les importations de la Côte-d'Ivoire concernent les machines et les appareils non électriques, les tissus imprimés : ce sont les produits finis ou semi-finis que la France exporte vers la Côte-d'Ivoire.

Dans l'ensemble, ceci a abouti à un déséquilibre structurel dans les échanges entre la France et la Côte-d'Ivoire. Ce déficit permanent est à la faveur de la France.

[PAGE 67]

TABLEAU 4
IMPORTATIONS

Source : Centre français du commerce extérieur.

Depuis une cinquantaine d'années, la Côte-d'Ivoire reste bien évidemment un bon marché pour l'économie française; elle y écoule essentiellement des produits manufacturés et ceci provoque dans l'ensemble une déchirure de l'appareil productif ivoirien dominé par le développement rapide des industries d'import-substitution légères.

c) Le solde commercial entre la Côte-d'Ivoire et la France

TABLEAU 5
(en millions de dollars U.S.)

Source : EDIAFRIC.

[PAGE 68]

L'évolution de la balance commerciale fait apparaître de lourds déficits pour la Côte-d'Ivoire. En somme cumulée, la Côte-d'Ivoire a perdu entre 1976 et 1982 plus de 1848,7 millions de dollars dans des échanges commerciaux avec la France. Et, depuis 1960, cette tendance prolongée du déséquilibre commercial a permis à la France de se procurer une partie importante de ses besoins agricoles tropicaux, car la France a privilégié dans ses échanges extérieurs avec la Côte-d'Ivoire, les importations des produits qui ne concurrencent pas directement l'industrie française.

Et depuis toujours, la France n'a cessé de porter une attention toute particulière au développement et à la modernisation du secteur agricole en Côte-d'Ivoire : en 1978, l'essentiel de l'assistance technique à l'ensemble du secteur agricole a représenté près de 40 % du total des dépenses d'assistance technique civile du Fonds d'Aide et de Coopération (F.A.C.)[7].

En Côte-d'Ivoire, la dégradation structurelle de la balance commerciale avec la France et la sortie massive des capitaux qu'elle a entraînée ont fortement accentué la dépendance économique du pays vis-à-vis de la « Métropole » et son incapacité à faire face à ses besoins de financement par des ressources financières d'origine locale : ainsi en 1981, 60 % des investissements réalisés ont été financés par l'aide publique de la France[8].

A l'instar des autres pays africains membres de la Zone-franc, la Côte-d'Ivoire a toujours connu une balance commerciale déficitaire avec la France, et ce déficit s'est encore accéléré sous les effets conjugués des dévaluations successives du FF et de la hausse spectaculaire des prix des produits manufacturés et vivriers (blé) importés de la France. Les dévaluations successives depuis 1959 du FF ont considérablement alourdi les dépenses d'importations des produits en provenance des pays dont les monnaies (dollar américain et le deutsch mark) ont été réévaluées par rapport au FF; le système de parité fixe entre le FF et le F CFA a certainement contribué à élever les coûts [PAGE 69] des importations car les achats de la Côte-d'Ivoire dans les pays hors-Zone-franc représentent en moyenne 65 % du total des dépenses effectuées envers l'extérieur. Les produits pétroliers, les produits alimentaires et les biens d'équipements qui constituent plus de 60 % des importations de la Côte-d'Ivoire, ont vu leur prix atteindre un niveau très élevé[9]. L'Etat ivoirien a dû prélever sur ses réserves et utiliser les facilités d'emprunt dont il dispose pour éponger une partie de son déficit commercial. Cependant, étant donné que leurs possibilités de tirage sont limitées et ne peuvent être utilisées dans des proportions excessives, les autorités politiques ivoiriennes ont dû faire une ponction considérable sur les réserves de changes et les réserves officielles de la B.C.E.A.O. au niveau du compte d'opérations[10]. Plusieurs mesures ont été utilisées pour lutter contre ce déficit entre la France et la Côte-d'Ivoire, mais leur portée a été très vite limitée par la rigidité des accords au sein de la Zone-franc : le contrôle direct des importations et des transactions invisibles par le gouvernement ivoirien a été vigoureusement critiqué. En fait, le maintien de la fixité de la parité entre le FF et le F CFA est d'encourager la « libéralisation » des pratiques commerciales entre tous les Etats de l'union monétaire ! [PAGE 70]

2) Le solde des transferts et des services entre la Côte-d'Ivoire et la France

TABLEAU 6
SOLDES DES BALANCES DE SERVICES ET
DES TRANSFERTS ENTRE LA COTE-D'IVOIRE ET LA FRANCE
(en milliards de F CFA)

Source : B.C.E.A.O. et Comité consultatif de la Zone-franc.

[PAGE 71]

L'économie ivoirienne a perdu plus de 997,15 milliards en moins de vingt années dans ces rapports avec la France au niveau des balances des services et des transferts sans contrepartie ! Les principes de libre transférabilité des capitaux et des bénéfices qui régissent les relations financières entre la France et la Côte-d'Ivoire dans le cadre des accords de la Zone-franc ont contribué largement à dégrader le solde de la balance des opérations courantes dominé par les transferts et les services.

Dans le cas des services, c'est le poste des revenus des investissements étrangers, notamment français, qui a le plus pesé dans le déficit. Il a représenté en 1981 plus de 40 % du déficit de la balance des services de la Côte-d'Ivoire vers la France; cette situation reflète bien l'importance des investissements français en Côte-d'Ivoire. Et depuis 1960, les capitaux français en direction de la Côte-d'Ivoire ont un mouvement ascendant très rapide. La domination conjointe des sociétés coloniales (CFAO, la SOCOPAO, etc.) sur les principales activités économiques de la Côte-d'Ivoire a favorisé et accentué la dépendance financière de la Côte-d'Ivoire.

Les transferts sans contrepartie sont également caractérisés par des sorties nettes de capitaux résultant des transferts importants des ménages français en Côte-d'Ivoire[11]. De 1970 à 1982, la progression du déficit au niveau des transferts est préoccupante pour l'économie ivoirienne passant de 2,1 milliards de F CFA à plus de 130 milliards de F CFA. Les transferts publics, le rapatriement sans entraves ni contrôle des capitaux et profits vers la France par les ressortissants français ont durement aggravé les déséquilibres des opérations courantes entre la France et la Côte-d'Ivoire et ceci a abouti principalement à un endettement accru de la Côte-d'Ivoire vis-à-vis de la France et à un transfert de ressources financières vers la « Métropole ».

A ces avantages déjà très accrus que la France tire de sa « coopération » dans le cadre de la Zone-franc avec [PAGE 72] la Côte-d'Ivoire vont s'ajouter les bénéfices de convertibilité des recettes (en devises) d'exportations ivoiriennes en FF : lorsque la Côte-d'Ivoire dépose dans les caisses du compte d'opérations au Trésor français ses recettes d'exportations en devises, la France se doit de les convertir en FF et ceci conformément aux accords de la Zone franc. La France peut tirer de la gestion de ce portefeuille de devises un profit considérable au bénéfice de son économie. Elargis à l'ensemble des autres pays membres de la Zone, ces bénéfices deviennent considérables pour l'économie française.

3) La B.C.E.A.O. et le financement interne de l'économie ivoirienne

Par la structure du volume des crédits faits à l'économie (voir tableau 7), la B.C.E.A.O. semble s'être spécialisée dans les crédits à court terme et cette spécialisation a accentué l'accroissement du besoin de financement extérieur de la Côte-d'Ivoire.

Le tableau 7 fait apparaître la répartition des crédits à l'économie pour la période 1977-1981. Le volume total de ces concours financiers s'est considérablement accru, atteignant 807,83 milliards de F CFA en 1981 au lieu de 485,71 en 1977 (soit une progression moyenne de 7,97 % par an). Ce sont les crédits à court terme qui occupent la part la plus importante dans le total des crédits distribués; ils comptent en moyenne pour plus de 70 %. Les crédits à moyen et long terme interviennent dans l'économie pour moins de 30 % et ils vont principalement s'investir dans les activités du secteur moderne extraverti (industrie et filiales des multinationales, transports et services) que compte l'économie ivoirienne.

L'écart qui croît entre les volumes des crédits à court terme et les crédits à moyen et long terme distribués tend à accentuer les besoins de financements de la Côte-d'Ivoire qui sont passés à près de 382 milliards en F CFA en 1981 contre 29,2 milliards en 1977, soit un rythme moyen de croissance de 95,35 %. [PAGE 73]

[PAGE 74]

CONCLUSION : POUR UNE AUTONOMIE MONETAIRE EN AFRIQUE OCCIDENTALE

De toute évidence, la Zone-franc ne doit plus survivre. Aucune réforme possible ne pourra atténuer les effets de ciseaux qu'elle exerce depuis une quarantaine d'années sur les Etats africains membres.

Il faut alors penser à la création d'une autre structure monétaire, capable de répondre favorablement aux multiples besoins des économies africaines. La lutte à mener sera âpre et difficile mais pas impossible. Les difficultés à surmonter sont aussi multiples :

– D'abord cette lutte sera politique car les hommes politiques au pouvoir dans la majorité de ces Etats d'Afrique sont issus des entrailles de la classe politique de la métropole. Ils ont de ce point de vue grand intérêt à se battre des pieds et des mains pour décourager avec tous les moyens toute tentative de remise en cause profonde de cette institution coloniale qu'est la Zone-franc; la fidélité et la nostalgie obligent !

– Ensuite la situation économique très dégradée de l'ensemble de ces pays depuis plus de cinquante ans pourrait aussi constituer un frein à la volonté de lutte contre le système d'exploitation du compte d'opérations tellement nos économies ont été rendues dépendantes vis-à-vis de l'économie française : par les filiales de ses banques commerciales (BNP, BIAO, Crédit Lyonnais, etc.) à la recherche de grands profits à moindre coût et de matières premières, par l'implantation de grandes industries et de maisons de commerce (SCOA, CFAO, etc.), la France tente de conserver depuis une quarantaine d'années son influence sur ces Etats pour préserver ses intérêts économiques et financiers. C'est ce qui explique aujourd'hui encore l'embrigadement par la France de ses alliés au sein de l'institution financière de la Zone-franc.

En écartant ces difficultés économiques réelles qui ont fortement affaibli nos pays, il est possible d'envisager plusieurs formes de notre indépendance monétaire, et celles-ci s'imposent aujourd'hui :

– la première est l'existence au niveau de ces pays d'une monnaie commune ayant cours forcé dans tous les [PAGE 75] Etats. Cela supposerait à l'avance le retrait de la France de cette union entre pays d'une même réalité économique;

– la seconde est la constitution d'un panier de monnaies, une monnaie composite, qui devrait être utilisée par l'ensemble de ces pays dans leurs relations économiques, financières et commerciales; chaque pays garderait alors son autonomie monétaire.

Pour ce qui nous concerne, la dernière solution emporte notre assentiment. Dans d'autres articles nous aurons l'occasion de développer largement ce point de vue.

Lambert KOUADIO[*]


[*] Lambert Kouadio est le pseudonyme utilisé par un économiste ivoirien.

[1] La Côte-d'Ivoire, le Burkina Faso (ex-Haute-Volta), le Sénégal, le Togo, le Bénin et récemment le Mali composent l'Union monétaire ouest-africaine (U.M.O.A.) dont l'institut d'émission, la B.C.E.A.O., émet aussi le franc CFA (un franc CFA = 0,02 FF).

[2] Depuis sa création le franc CFA a signifié successivement : franc des colonies françaises d'Afrique, franc de la communauté franco-africaine; en 1960, pour se conformer aux réformes politiques survenues dans la majorité des Etats d'Afrique francophone, il est devenu le « franc de la coopération financière en Afrique ».

[3] Le Conseil aux finances est composé du représentant de la France (qui a le tiers des voix) et des représentants des Etats africains à la B.C.E.A.O.

[4] B.C.E.A.O., no 294, mai 1981.

[5] Memorandum déposé auprès du Club de Paris par les autorités ivoiriennes dans le cadre du rééchelonnement de la dette extérieure du pays.

[6] Marcel Rudoff, Economie monétaire internationale, tome 2. Cujas, 1970.

[7] Ministère français de la Coopération, Panorama de l'action du ministère de la Coopération, février 1980.

[8] Ministère français de la Coopération, Côte-dIvoire : analyse et conjoncture, décembre 1982.

[9] Idem.

[10] Selon le Rapport annuel du comité consultatif de la Zone-franc (Paris, 1983), la B.C.E.A.O.-C.I. aurait perdu plus de 360,5 millions FF.

[11] Il y a plus de 50 000 Français qui travaillent en Côte-d'Ivoire à tous les niveaux de l'activité économique nationale. Tout le tissu industriel, commercial et bancaire en Côte-d'Ivoire est dominé par le nombre écrasant des firmes ou filiales françaises.