© Peuples Noirs Peuples Africains no. 36 (1983) 116-123



EMANCIPATION FEMININE ET ROMAN AFRICAIN
d'Arlette Chemain-Degrange

Matiu NNORUKA

Evidemment, nul n'est mieux placé pour parler des problèmes de la femme que la femme elle-même.

Arlette Chemain-Degrange, dans son ouvrage, Emancipation féminine et roman africain, publié en 1980 par les Nouvelles Editions Africaines, parle en connaissance de cause malgré son appartenance socio-culturelle. Le problème de la femme n'est-il pas universel ? Avec une érudition qui force le respect, le critique va à rebours des interprétations traditionnelles de certains écrivains africains de langue française. De Paul Hazoumé jusqu'à Yambo Ouologuem en passant par Camara Laye, Ferdinand Oyono, Mongo Beti, Sembène Ousmane, l'image de la femme africaine n'a pas changé. C'est la répétition du même drame, avec bien entendu des personnages différents et sous des costumes différents.

Après avoir lu Arlette Chemain-Degrange, c'est à peine si l'on ose encore prononcer des expressions comme « femme émancipée », « femme libérée ». Ces femmes n'ont rien de libéré; ce sont plutôt des caricatures d'êtres émancipés. L'homme, dans son orgueil de mâle, est réticent à lâcher son emprise sur la femme. Et quelle interprétation du personnage de Doguicimi dont la fidélité envers l'institution du mariage et la tradition fait pourtant penser à celle de Pénélope, épouse d'Ulysse dans la mythologie grecque ! Derrière cette fidélité, avertit le critique, se cache une idéologie hautement anti-féministe.

Emancipation féminine et roman africain est un ouvrage [PAGE 117] plus ou moins bien structuré, divisé en deux parties inégales : deux cent quarante pages dans la première partie et quatre-vingt-huit seulement dans la deuxième. Les deux parties nous rappellent les deux grandes périodes de la littérature négro-africaine. Dommage toutes fois que, dans cette étude consacrée entièrement à la femme, le critique ne puisse donner la parole à la femme, c'est-à-dire recueillir le point de vue féminin à travers une œuvre écrite par une femme. Cette observation nous amène à parler d'autres défauts de ce travail qui semble être un assemblage des articles déjà publiés ailleurs.

Interprétation erronée. Notre attention est particulièrement retenue par la conclusion de l'analyse du critique sur la « stérilité » de Salimata, épouse de Fama dans Les Soleils des Indépendances d'Ahmadou Kourouma. « Salimata, vouée à la maternité, est condamnée à la stérilité », écrit le critique, p. 339. Dire que Salimata est stérile, c'est mal comprendre l'histoire et le rôle surtout de cette dame dans l'intrigue du roman. Le stérile, nous dit le narrateur, c'est Fama et non pas Salimata. Celle-ci a épousé un représentant du vieil ordre sur le point de disparaître, c'est la raison pour laquelle Ahmadou Kourouma refuse à Fama un successeur.

Notons que les symptômes de névrose dénombrés par le critique et qui empêchent Salimata d'avoir des relations sexuelles ne se manifestent jamais chez elle quand elle est avec son mari, mais seulement quand elle est devant des étrangers tels que Tiémokol Abdoulaye, etc. Grâce à ces fantasmes inhibiteurs qui ne sont en dernière analyse qu'un prétexte, Salimata échappe à être fécondée par ces hommes et Fama se voit toujours privé d'un descendant même bâtard; car tant que le mariage dure, le mari dans l'Afrique de Fama considère toujours comme siens les enfants issus des relations extra-conjugales de sa femme. Et c'est justement parce que ce mariage est remis en question avec Fama en prison que disparaissent, comme par enchantement, les fantasmes de Salimata. « Abdoulaye ne crispait plus Salimata, ne puait plus Tiécoura. » Plus loin dans le texte, le narrateur nous parle d'une perspective chez Salimata d'avoir un enfant avec le marabout. Salimata n'est donc pas stérile et l'image qu'Ahmadou Kourouma nous donne d'elle est tout autre que celle proposée par Arlette Chemain-Degrange. [PAGE 118]

Cette interprétation erronée du personnage de Salimata s'explique par la méthode d'analyse employée par le critique – la thématique – et relance par là même le débat sur ce genre de méthode. C'est une méthode qui consiste à arracher les textes à leurs structures d'origine et à les intégrer de force dans des structures préparées d'avance par le critique.

Affirmation sans fondement

« Plus tard, le déchirement d'avec la mère, écrit le critique, sera tragique et marquera le héros d'une cicatrice définitive, comme c'est le cas de Samba Diallo » (p. 67).

A moins que le terme de mère ne soit une image, Samba Diallo n'a éprouvé aucun déchirement à cause de sa mère que le narrateur n'a évoquée que deux fois dans le roman.

A la page 269, le chevalier, père de Samba Diallo, est présenté par le critique comme chef temporel par opposition à Thierno, chef spirituel. Le chef temporel n'est pas le chevalier. De plus celui-ci n'est pas présent à la conversation à laquelle Arlette Chemain-Degrange fait allusion. D'autre part, la Grande Royale ne s'est pas rendue à deux reprises chez Thierno. Sa deuxième rencontre avec celui-ci a lieu chez le chef des Diallobé – chef temporel et frère de la Grande Royale elle-même.

Enfin, une classification qui met L'Aventure ambiguë parmi les romans postérieurs aux Indépendances n'a pas pris en considération la société à laquelle se réfère le récit de Cheikh Hamidou Kane. Le critère de cette classification ne devrait pas être la date de publication mais la société du texte, l'époque pendant laquelle se déroulent les événements racontés. D'ailleurs L'Aventure ambiguë était prêt pour la publication dès 1952.

Inconsistance dans les renvois

« Op. cit. » et « loc. cit. » s'emploient dans les renvois [PAGE 119] pour éviter la répétition[1] du titre d'un ouvrage déjà cité ainsi que du nom de la maison d'édition, du lieu et de la date de publication. Quand plusieurs ouvrages du même auteur sont cités, il faut répéter et le nom de l'auteur et le titre de chaque ouvrage.

Les abréviations « id. » (idem : la même chose) et « ib. », « ibid. » (ibidem – ici même dans le même ouvrage) s'emploient pour éviter la répétition du titre d'un ouvrage et du nom de l'auteur, la répétition de la maison d'édition, du lieu et de la date de publication.

Dans les renvois nos 10, 13, 16 (chapitre 1re partie) par exemple, le critique aurait donc mis tout simplement : « P. Hazoumé, op. cit., p. ... »

« Id. » ou « Ibid. » aurait suffit dans les renvois suivants :

Chapitre I, 1re partie : no 11.

Chapitre II, 1re partie : nos 7, 29, 31, 37, 46, 47, 49, 52, 56, 60, 63, 65, 69, 70, 76, 84.

Chapitre III, 1re partie : nos 30, 32, 33, 46, 47, 49. 91, 110, 116, 118.

Chapitre IV, 1re partie : nos 10, 11, 15, 18, 19, 25, 26, 52, 53, 79, 90, 93, 98, 105.

Chapitre V, 2e partie : nos 26, 71, 73, 78.

Citations sans page dans les renvois

Renvoi no 10, page 36.

Renvoi no 14, page 39.

Renvoi no 35, page 174, 2e éd. p. ?

Renvoi no 12, page 283, 2e éd. Seuil p. ?

Renvoi no 46, page 334.

Renvois ambigus

Sont ambigus les renvois nos 27 et 28 (pp. 64-65); même remarque au sujet des renvois 57, 63, 66, 67, 71, 73,74,76,98 (chapitre III, 1re partie). S'agit-il des extraits [PAGE 120] tirés de Maïmouna, Nini, L'Entant Noir ou de Dramouss ?

Renvois superflus

Le renvoi no 8 (p. 55) n'a aucune raison d'être; de même on ne sait à quel extrait se réfère le renvoi no 71 bis (p. 189).

Confusion certaine

Par erreur ou par manque de clarté, la citation destinée au renvoi no 52 est mise dans le renvoi no 51 et vice versa (p. 335). Signalons en plus l'incapacité du critique de donner les pages exactes des extraits cités; les renvois no 52 et 53 (p. 335) devraient lire 2e éd., p. 77 et p. 79 respectivement et non pas p. 75 et p. 78.

Nous considérons comme inutile[2] la pratique qui consiste à donner deux éditions d'un ouvrage d'où l'on extrait des passages. Entre autres inconvénients, il arrive à Arlette Chemain-Degrange de passer sous silence les pages de la nouvelle édition d'où sont tirées les citations (cf. renvois nos 35, p. 174, et surtout nos 12, p. 283 et no 46, p. 334).

Puisqu'il s'agit, dans les deux derniers renvois, du roman d'Ahmadou Kourouma, Les Soleils des Indépendances, on constate dans le travail du critique que ce roman est tantôt publié par les « Presses de l'Université de Montréal » (p. 283), tantôt par « Université de Montréal » sans « Presses » (p. 338) ou avec « Presse » au singulier (p. 325); ailleurs il est publié par « Editions de Francité » (p. 342).

Pour l'ouvrage de B. Mouralis (renvoi no 41, p. 176), le critique passe d'« Annales de l'Université d'Abidjan » à « Publication de l'Université d'Abidjan » (renvoi ne 46, p. 177). Dans le renvoi no 72 (p. 342) on se demande pourquoi « Seuil » est écrit en majuscules : dans un autre renvoi (no 4, p. 320) Arlette Chemain-Degrange fait publier [PAGE 121] L'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane en 1962 et non plus en 1961.

Un autre aspect de l'inconsistance dans les renvois la façon dont le critique écrit les prénoms et noms des auteurs cités. Tantôt elle écrit Y. Ouologuem (p. 345), Diarro F.A. (p. 280), A. Sadji (p. 118), F. Oyono (p. 163), A. Kourouma (p. 325), C.H. Kane (p. 320); tantôt Yambo Ouologuem (p. 35), Fatoumata Agnès Diarra (p. 23), Ahmadou Kourouma (p. 328), Abdoulaye Sadji (p. 118), Cheikh Hamidou Kane (p. 269), etc.

Selon son humeur, elle écrit aussi tantôt « id, », « ibid. », tantôt « idem », « ibidem » (p. 168, p. 181).

Faute de frappe ou faute de grammaire ?

Nous trouvons surprenantes certaines fautes que nous avons relevées dans l'ouvrage d'Arlette Chemain-Degrange. Une maison d'édition qui se veut sérieuse ne permettrait pas ce genre de boulettes. Contentons-nous de quelques exemples :

« ... du pays où elle était né, ... nous entendons hululer un hibou » (p. 60, 1er paragr.);

« il est rabatteur pour le commerçant grec Kriminopoulos et c'est à ce point du récit que ce placent ses premiers retours sur son passé » (p. 72, 4e paragr.);

« Trois soirées successives son décrites » (p. 104, 3e paragr.);

« comme le souligne le prière d'insérer »[*] (p. 135, 1er paragr.);

« Le roman de Alioum Fantouré... confirme de manière troublante les appréhension de C. Laye » (p. 141, renvoi no 94);

« La preuve de ses qualité personnelles... » (p. 144, 2e paragr.);

« ... les préparatifs de la tête » (p. 163, avant-dernier paragr.);

« Les missionnaires et sa vieille mère front pression sur le roi... » (p. 184, avant-dernier paragr.);

« Denis n'ose pas reconnaître sa voix, la nuit, dans la casce... » (p. 215, 5e paragr.); [PAGE 122]

« L'attitude des écrivains envers les femmes vénales qu'ils introduisent comme personnages dans leurs romans et complexe et contradictoire » (p. 237, 5e paragr.);

« L'opprobre masculine » (sous-titre, p. 252);

« Les romanciers assismilationistes... » (p. 263, 3e paragr.);

« Problèmes dus à l'évolution des mœurs... » (p. 268, 1e paragr., p. 328, 4e paragr.);

« Cette première partie du roman conduit le héros a l'apogée du bonheur... » (p. 277, 40 paragr.)

« ... même yeux rouges de tisserin, même voix... » (p. 332, dernier paragr.);

« Le ciel incendié est aussi menaçant, augure sanglante » (p. 333, 6e paragr.);

« L'exciseuse s'assit, le yeux débordant de rouge ... » (p. 333, dernier paragr.);

« Sans nulle doute, elle s'identifie à la victime ... » (p. 334, dernier paragr.);

« il y avait ( ... ) toi, et auprès de toi du sang... » (p. 334, 3e paragr. Les mots exacts dans la 2e éd. « il y avait ( ... ) toi, et après toi du sang, plein de sang... »);

« il suggestionne sa patiente qui voit successivemen jaillir du sol... » (p. 343, avant-dernier paragr.).

On trouve tantôt Ville cruelle, tantôt Ville Cruelle (p. 93); tantôt « cruelle » avec c minuscule, tantôt « Cruelle » avec C majuscule (pp. 68 et 69). « Leitmotiv » est écrit avec un trait d'union : « leit-motiv » (p. 150, 3e paragr.).

Enfin, le renvoi no 2 (p. 160) doit lire : « cf. infra p. 304 et suivi » et non pas « p. 403... ».

Orthographe de noms propres défaillante

Mongé Beti pour Mongo Beti (systématiquement, pp. 174, 190, 219, 220, 351), Moustaphe pour Moustapha (p. 285), Tiumbe pour Tioumbé (p. 306), Bakani pour Bakari (p. 250), Maliok Fall pour Malick Fall (p. 255, 4e paragr.), Sembene Ousmane pour Sembène Ousmane (p. 260). Doguimici pour Doguicimi (p. 27, sous-titre).

Les substantifs ne sont pas épargnés : posélytisme pour prosélytisme (p. 235), protitution pour prostitution (p. 237). etc. [PAGE 123]

Confusion au sujet des œuvres où figurent certains personnages

C'est ainsi que le critique fait apparaître Khris dans Mission terminée de Mongo Beti : « La conduite de l'épouse de Niam, la tante de Khris, écrit Arlette Chemain-Degrange, constitue un défi à la soumission exigée des femmes... Elle fait savoir à son émissaire, Khris... » (p. 199). Le critique prend Khris pour Jean-Marie Medza alors que Khris est bel et bien un personnage dans Le roi miraculé.

Même confusion impardonnable au sujet des personnages dans Dramouss de Camara Laye, où le critique n'arrive plus à distinguer entre Mimie, épouse de Fatoman et Mme Aline, vieille Normande sexagénaire, grand-mère française, « maman de tous les jeunes Africains » – alias « Tante Aline ». A Mimie, Arette Chemain-Degrange prête les réflexions de Tante Aline sur le régime politique en Guinée (p. 142).

Voilà des inexactitudes qui ont failli enlever à l'ouvrage d'Arlette Chemain-Degrange toute crédibilité. On reproche notamment au critique sa précipitation – Emancipation féminine et roman africain est un travail fait à la hâte – et aux Nouvelles Editions Africaines (Fernand Nathan ?) leur manque de diligence.

Dans l'ensemble, le problème de fond soulevé par le critique dans son œuvre est stimulant, malgré nos réserves. C'est un débat qui mérite d'être engagé.

Matiu NNORUKA
University of Ilorin
Nigeria


[1] Il faut toujours répéter le nom de l'auteur qui précède en principe « op. cit. » ou « loc. cit. ».

[2] Il vaudrait mieux choisir entre les deux éditions et indiquer au lecteur dès le départ celle dont on veut se servir.

[*] Où est la faute ? (NDLR)