© Peuples Noirs Peuples Africains no. 35 (1983) 41-66



LA GLOIRE DU COLLABO

(Réflexion sur l'élection de Léopold Sédar Senghor à l'Académie française)

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Enseignez votre langue (le français) aux Danhomênous si vous voulez qu'ils vous comprennent et qu'ils vous apprécient car c'est dans une langue commune qu'il faut chercher l'union féconde des cœurs.
(Paul Hazoumé, Doguicimi, 1938).
L'Afrique est ravagée par trois grands fléaux, la dictature, l'alcoolisme et la langue française, à moins que ce ne soient trois visages d'un même malheur.
(Mongo Beti, Perpétue, 1974).

SENGHOR ENTRE A L'ACADEMIE FRANÇAISE

On peut célébrer l'événement ou le déplorer. Il est donné cependant de noter que les louanges constituent la tonalité majeure du charivari soulevé par la nouvelle : la littérature négro-africaine d'expression française serait ainsi « officiellement reconnue »[1], l'Afrique honorée, le [PAGE 42] Noir accepté et glorifié, le talent attesté... Quant aux mécontents, ceux qui voient l'événement d'un mauvais œil ou en pensent du mal – ils existent et sont plus nombreux qu'on le dit, ils sont tout simplement écrasés par les formidables arsenaux de l'idéologie dominante, ou se gardent d'opiner, de peur de passer (ceci est surtout valable pour les plus illustres d'entre eux) pour des jaloux. Le président-poète (d'aucuns, il est vrai, préfèrent l'appeler poète-président) devient ainsi, sans coup férir et selon une formule facile à trouver mais lourde de signification, « le premier Noir immortel ».

Je ne suis pas, comme Siradiou Diallo, ce journaliste africain qui s'affiche à l'occasion – respectant en cela le principe sacro-saint de l'« africanisme » – comme le-spécialiste-de-tout, l'ami de Senghor. Ni son ennemi : je n'en ai nulle raison. Je pense seulement que c'est faire preuve en cette circonstance d'une grande légèreté et cultiver la médiocrité que de proposer, en guise d'analyse, un décompte sommaire des admirateurs (estimés majoritaires) et des supposés détracteurs aigris et envieux. Car, pour nous Africains, Senghor n'est pas un simple individu et ne saurait en conséquence être réduit à un talent. Senghor, pour nous, est un symbole et c'est en tant que tel que je voudrais l'aborder, le comprendre. Dois-je ajouter, en toute modestie, que je connais mieux le « poète comblé » que la plupart des plumitifs chargés de « faire l'événement » ? Je me sens donc autorisé, que dis-.je, il est de mon devoir de faire connaître les réflexions que m'inspire un fait qui m'intéresse moi aussi et dont, qui plus est, je me vois contraint désormais de tenir compte de façon quasi quotidienne. Je laisse aux journalistes africanistes le privilège de montrer leur admiration (ou leur hostilité) envers l'homme.

Depuis sa démission de la présidence de la République du Sénégal le 31 décembre 1980, après vingt ans d'exercice du pouvoir, Senghor – déjà célèbre, ô combien! – a la réputation d'un sage[2], courageux, remarquable pour son esprit supérieur, nullement attaché à la gloire et aux honneurs. Mais, tout comme son « frère et ami » Félix [PAGE 43] Houphouët-Boigny né dans l'or et condamné à mourir dans l'or, Senghor, lui, né dans les honneurs (« Les griots du Roi m'ont chanté la légende véridique de ma race aux sons des hautes kôras »[3]), se voit poursuivi par les honneurs. C'est en tout cas ce qui ressort de l'explication qu'il donne lui-même de sa candidature à l'Académie française : « Jack Lang et François Mitterrand m'en ont parlé d'abord. ( ... ) Alain Peyrefitte, ensuite, a pris l'initiative de voir quatre autres académiciens (Jean Bernard, Alain Decaux, Claude Lévi-Strauss, René Huyghe). D'où la proposition de ma candidature. Je n'aurais pas été candidat de mon propre chef »[4].

Souvenons-nous que Senghor avait été élu en 1969 associé étranger (sic) de l'Académie des sciences morales et politiques. Il était encore président de la République du Sénégal. Comment se fait-il que ce Sénégalais, hier encore désigné à l'opinion publique comme un non- Français, revête soudain, sans autre forme de procès, « l'habit vert » pour lequel la nationalité française est requise ? Question stupide, dira-t-on. Mais qu'il importe de poser. [PAGE 44]

En toute ingénuité. Senghor y répond d'ailleurs volontiers : « J'ai dit que je serais candidat à condition qu'on ne me demande pas de renoncer à ma nationalité sénégalaise. Comme j'ai été député, autrefois (sic), à l'Assemblée nationale française, on a dû trouver un subterfuge[5]. Je pense que tant qu'on n'a pas renoncé, la nationalité française est en réserve, en veilleuse »[6]. Certains en déduiront que le Sénégal a été dirigé pendant vingt ans par un Français à peau noire qui adore les masques. Pouvons-nous raisonnablement les en empêcher ? L'Afrique a ceci de typique qu'il y est courant de rencontrer dans les plus hautes sphères de la politique et de l'administration des autorités à double nationalité : l'une, l'africaine, qu'elles portent comme un masque au nom de la légitimité et de l'authenticité – de la négritude; l'autre, l'étrangère, qu'elles mettent « en veilleuse » pour cause de nécessité politique mais à laquelle elles doivent très souvent leur carrière et leur condition sociale et en vertu de laquelle elles agissent – ou, plus exactement, elles sont agies. Nombreux sont les Africains « coopérants français » dans leurs propres pays. Et ce paradoxe pour le moins troublant n'est que l'un des révélateurs de notre réalité néocoloniale, raison pour laquelle on évite de le laisser apparaître au grand jour. Que la France, pays souverain, fier et jaloux de sa souveraineté, « rallume » la nationalité française de Senghor pour lui décerner un satisfecit sans réserves pour les bons et loyaux services qu'il a rendus à la « Patrie », après avoir – on s'en souvient – définitivement « éteint », pour des raisons dont elle s'estime seule habilitée à connaître en dernier ressort, celle de Bokassa qui se vit ainsi condamné à demeurer Africain, c'est son droit. J'ajoute qu'il n'y a rien de plus normal. Quel Africain digne de ce nom peut sincèrement nier qu'il rêve d'un exercice semblable de la souveraineté nationale pour son pays ? Il est cependant donné de constater hélas, que nombre de nos compatriotes parmi les plus haut placés, ébaubis par le panache de la France, trouvent en celui-ci une raison pour vouer à ce pays une admiration et une soumission sans bornes et s'emploient [PAGE 45] à l'aider à affirmer davantage sa souveraineté au détriment de leurs peuples : l'Afrique a perdu la conscience de l'anormal. Le plus grand tragique, c'est que ce sont ces Africains ravis par la France qui se voient octroyer le droit de parler au nom de l'Afrique. Et Senghor de déclarer pompeusement qu'il fait une « relecture africaine » de l'œuvre du duc de Lévis-Mirepoix, ce monarchiste descendant de colonisateurs, dont il occupera le fauteuil à l'Académie et se prépare à faire l'éloge[7].

QUELLE OUVERTURE ?

Mais, en définitive – et on l'a bruyamment souligné – la question de la nationalité est beaucoup moins importante qu'elle ne paraît de prime abord. Senghor n'est pas le premier étranger naturalisé français – quoique son cas demeure assez spécial – à entrer à l'Académie [PAGE 46] française. Eugène Ionesco et Joseph Kessel l'y ont précédé, respectivement en 1959 et 1962. Il pouvait être élu de toute façon. D'abord en tant que Sénégalais[8] car, depuis 1635, date de la fondation de cette institution par Louis XIII, la règle de la nationalité française fixée par Richelieu a subi plusieurs entorses avec les élections du Cubain José Maria de Heredia (1895) et de l'Américain Julien Green (1971). Ensuite – cet aspect est peut-être beaucoup plus important que le précédent – en tant que Noir. Tout en étant l'un des principaux fournisseurs d'armes du régime monstrueux au pouvoir en Afrique du Sud où une majorité écrasante de Noirs se trouve exilée dans son propre pays, littéralement minéralisés par une minorité de Blancs dégénérés, arrogants parce que forts du soutien inébranlable du Capital international, la France cherche sur le plan diplomatique et « culturel » à s'assurer la sympathie des pays africains en faisant de temps en temps délicatement la leçon aux racistes du pays de l'apartheid. Et puis, fidèle à son image de « pays des lumières », ne vient-elle pas de proclamer qu'on ne saurait maintenir plus longtemps la femme hors des lieux où souffle l'esprit en faisant entrer en 1980 Marguerite Yourcenar à l'Académie, 345 ans après sa fondation ? Disons que c'est cette politique d'ouverture de l'esprit (français) qui se poursuit, plus résolument et plus audacieusement que jamais, en direction d'une autre catégorie d'exclus, les Noirs.

Il reste, au-delà de tout ce qui vient d'être dit, que l'entrée de Senghor à l'Académie française n'est pas sans soulever quelques problèmes qui méritent d'être examinés de près.

Que l'élu ait lui-même posé sa candidature ou qu'il ait été sollicité par le pouvoir politique français qui a pris ensuite l'initiative de le faire proposer par quelques académiciens, cela, en définitive, nous importe peu. Ce qu'il [PAGE 47] faut retenir, c'est qu'il a choisi d'être candidat. Et pourquoi ? Pour représenter, nous dit-il, la francophonie dont on reconnaît en lui l'agent le plus actif, le visage le plus prestigieux. Mais que recouvre exactement ce mot ? Nous n'en pouvons trouver meilleur théoricien que Senghor lui-même[9] :

    « La Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des "énergies dormantes" de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. "La France, me disait un délégué du F.L.N., c'est vous, c'est moi : c'est la Culture française." Renversons la proposition pour être complets : la Négritude, l'Arabisme, c'est aussi vous, Français de l'Hexagone. Nos valeurs font battre la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone » (1962)[10].

Plus tard :

    « La Francophonie s'incarne ( ... ) dans l'ensemble des pays qui ont la langue française comme instrument de communication et d'échanges, non seulement économiques, mais surtout socio-culturels. Et c'est un fait que, dans ces échanges, les cultures du Tiers-Monde ne viennent pas les mains vides. Il reste que cette Francophonie ne serait pas réelle si elle n'était pas subjectivement sentie comme telle. Or elle l'est, et plus longtemps et plus vigoureusement qu'on ne le croit. Déjà, le 15 avril 1789, dans les "Très-humbles Doléances et Remontrances des Habitants (sic) du Sénégal, aux Citoyens français tenant les Etats généraux", des Négro-Africains se proclamaient, sans complexe, "Nègres" et "Français". Nous disons, aujourd'hui, "Francophones". L'idée est la même : au-delà d'un possible métissage biologique – qui était réel à [PAGE 48] Gorée et Saint-Louis-du-Sénégal, mais là n'est pas l'important –, il est question, essentiellement, d'un métissage culturel. C'est ce sentiment communautaire qui prévaut dans toutes les rencontres francophones – congrès, conférences, colloques, séminaires, biennales ( ... ) » (1974)[11].

Cette dernière citation mérite quelques observations : en 1789 le député du Sénégal à l'Assemblée nationale à Paris était Dominique-Harcourt Lamiral, un Français qui exprimait les sentiments du petit groupe de mulâtres et de Noirs (les « Habitants ») qu'il représentait en ces termes : « Nègres ou Mulâtres, nous sommes tous Français puisque c'est le sang des Français qui coule dans nos veines ou dans celles de nos neveux. Cette origine nous enorgueillit et élève nos âmes »[12]. Senghor affirme que le mot « Francophone » aujourd'hui recouvre la même idée que « Français » tel qu'employé par les « Habitants » de Saint-Louis et Gorée. Cet éclaircissement est nécessaire pour la suite de notre propos. Il convient aussi d'ajouter que de Blaise Diagne (premier député noir, élu en 1914) à Lamine Gueye, le souhait des populations noires des « quatre communes » (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar) était l'assimilation intégrale, sans considération de la nature et de la finalité réelles de l'entreprise coloniale de la France en Afrique. Dans l'un de ses discours, Blaise Diagne, s'adressant à ses électeurs, s'écrie : « Ils prétendent que vous n'êtes pas Français et que je ne suis pas Français! Je vous dis que nous sommes Français, que nous avons les mêmes droits »[13]. Voilà donc la genèse de la Francophonie dans sa dimension africaine : des Noirs colonisés, vivant d'illusions lyriques, qui mènent ailleurs (c'est-à-dire sur un tout autre terrain que celui de leurs conditions objectives), un combat dérisoire dont la stratégie leur échappe.

La Francophonie aujourd'hui, c'est donc l'immense [PAGE 49] territoire que constituent tous les pays, tous les coins et recoins de la terre où la langue française est plus ou moins en usage, et que l'on dit rassemblés dans une « communauté de culture »[14]. Il saute aux yeux qu'il s'agit là d'une réalité bien vague, difficile à cerner, d'un territoire mythique, un lieu purement idéologique, en un mot, « un bruit de langage » qui sert d'enseigne à la plus grande, la plus importante, la plus florissante entreprise française, car, en fait, la Francophonie n'est qu'une vaste et subtile manigance ayant pour but de défendre, préserver et étendre la place et l'influence du français dans le monde, en vue de soutenir les intérêts économiques, politiques et culturels de la France. Il y a treize ans, Madame Suzanne Balous écrivait avec une assurance cocardière : « L'Afrique au sud du Sahara est appelée de plus en plus à constituer le bastion de la Francophonie »[15]. Le moins que l'on puisse dire – l'élection de Senghor en témoigne – c'est qu'elle savait de quoi elle parlait. Pour l'Afrique donc, après les Colonies françaises, les Possessions françaises, l'Empire français, l'Union française, la Communauté française – et leurs faillites successives, on trouva la Coopération française dans la Francophonie qui n'est que le nouvel avatar de l'idéologie impérialiste du capitalisme français. « Si la variation des mots peut traduire une variation dans les pensées et les attitudes, ils servent, plus souvent qu'on ne le pense, de façade et d'hypocrite raison sociale à celles-ci » (Barthes).

Ainsi donc, au soir de sa vie (il a soixante-dix-sept ans), Senghor choisit pour aider l'Afrique à « répond(re) présent(e) à la renaissance du Monde / Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche »[16], pour « rend(re) la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventrés[17], de s'en aller travailler à la révision de la huitième édition du dictionnaire de la langue française en vue de la neuvième : « Oui, déclare-t-il, il faut défendre la langue française car [PAGE 50] elle se dégrade de plus en plus. Le français est et doit être une langue de culture[18]. Il ne s'agit pas de détrôner l'anglais, mais de donner sa place au français »[19]. N'est-il pas plus utile de se consacrer à une tâche de même nature en Afrique, sur les langues africaines[20] ? Senghor répond en prenant l'exemple du Sénégal : « Il faut commencer par le commencement. D'abord ressusciter (sic les langues nationales, les six langues. En avoir la maîtrise. Les Sénégalais sont encore des élèves. Par ailleurs vous savez, je travaille à la symbiose culturelle entre Africains, Arabes, Latino-Américains. Je suis pour le métissage culturel »[21]. Des langues africaines au métissage culturel le cheminement est littéralement stupéfiant. Nous savons que le Discours de la Méthode n'est pas l'œuvre d'un Noir, que Senghor lui-même définit les Négro-Africains comme des « fluctuants »[22] et qu'il n'est plus tout à fait jeune. Mais nous nous devons d'affirmer que les temps sont révolus en Afrique où l'on pouvait faire passer des incohérences pour une argumentation d'« homme de culture », le radotage pour une analyse. Accusé de mépris envers les langues africaines, Senghor se défend :[PAGE 51]

« J'ai été le premier à demander l'enseignement des langues sénégalaises à l'école primaire. J'ai été le premier à demander cela dans les pays francophones. Je n'ai pas trouvé un seul intellectuel au Sénégal pour m'appuyer. Après l'indépendance, après la décennie de 1960, j'ai voulu mettre à exécution mes idées. Nous avons créé des classes spéciales, chargées d'expérimenter l'enseignement dans chacune de nos langues régionales. Nous en sommes là et je me réjouis que le nouveau gouvernement poursuive cette volonté d'enseigner nos langues nationales à côté du français ( ... ) »[23]. Moyennant quoi, Senghor se permet, en cette circonstance solennelle où chaque mot qu'il prononce trouve un écho prodigieux – d'autant que les mots ont généralement un sens – et une gravité morale exceptionnelle, de parler des langues africaines comme de langues mortes (« ressusciter »), définitivement hors-jeu (« à côté du français », « le français est et doit être une langue de culture »), lui qui, « autrefois , (pour reprendre son propre terme : un euphémisme recherché !), dissertait sur la vitalité et la richesse de la littérature orale africaine[24], sur « les classes nominales en wolof et les substantifs à initiale nasale »[25], « l'harmonie vocalique en sérère »[26] et « l'article conjonctif en wolof »[27]. Pareille évolution (?) me semble tout à fait surprenante pour cet homme qui ne jure que par « les valeurs culturelles de l'Afrique noire » et dont l'action, pour l'essentiel, se réduit, en définitive, à des nègreries destinées au public français cultivé. « Ne voyez-vous donc pas que vous êtes en train de dauber Senghor pour son attachement à la langue française, en vous exprimant vous-même en français ? », ne manqueront pas de relever certains esprits railleurs, soi-disant réalistes. Cette situation résulte de données historiques et sociales qui me dépassent et sur lesquelles je ne peux m'étendre ici. Mais la différence entre Senghor[28] et nous, nouvelle génération [PAGE 52] d'intellectuels africains, c'est que nous la portons au front comme une plaie vive, que nous la traînons comme une tare cruelle dont il nous faut chercher, par tous les moyens, à guérir notre avenir menacé qui abondamment saigne. C'est pour cela que nous n'avons pas le droit de « fluctuer », que nous nous sentons condamnés à raisonner raide, que nul ne pourra plus nous faire croire que nous avons intérêt, pour être présents au « rendez-vous du donner et du recevoir », à militer pour « le métissage culturel » et la « Civilisation de l'Universel » qui passent par l'épurement et la lutte pour l'expansion et l'hégémonie de la langue française.

RESISTANTS ET COLLABOS

Qu'on ne vienne donc pas nous parler, à propos de cette élection de Senghor à l'Académie française, de « l'Afrique honorée », du « Noir célébré » ou, comme Jean-Marie Dunoyer dans Le Monde du 4 juin 1983, de « Senghor rassembleur et mainteneur de la culture de toute l'Afrique ». Senghor entre à l'Académie française pour défendre les intérêts de la France et du français, Il importe pour nous de le souligner, car il faut – et chacun devrait tout faire pour cela – qu'en Afrique, et surtout dans les milieux de jeunes, on le sache clairement et sans équivoque.

Au demeurant, une bonne compréhension de l'événement nécessite que nous remontions à la période coloniale. En effet, si la colonisation est largement perçue aujourd'hui (en Afrique tout au moins) comme une occupation devant être rapprochée, mutatis mutandis, de l'occupation de la France par l'Allemagne nazie durant la Deuxième Guerre mondiale, on est, hélas, encore loin très loin de se résoudre à tirer clairement et publiquement les conséquences de cette vérité. Quoi qu'on prétende parfois, nous connaissons encore fort mal cette période [PAGE 53] sombre de notre histoire sur laquelle règne une confusion tenace qu'il revient aux Africains eux-mêmes de dissiper. Car, pendant l'occupation de l'Afrique par les puissances coloniales européennes, il y eut des collaborateurs et des résistants que cette confusion ingénieusement entretenue depuis fort longtemps et à grand bruit par les ennemis de nos peuples ne permet pas de distinguer. Naturellement, cette situation profite aux premiers qui ne manquent pas la moindre occasion de se faire passer effrontément pour ce qu'ils ne furent point.

Depuis 1960, plusieurs ouvrages ont été publiés sur la résistance de l'Afrique à l'agression coloniale, mais ils portent généralement sur ses formes les plus spectaculaires (affrontements armés, mouvements populaires de protestation et de révolte, grèves, insurrections, etc.). Nous connaissons mal les formes clandestines de cette résistance, leurs structures, leur organisation face aux exigences de la vie quotidienne et compte tenu de l'analyse des rapports de forces. Quant à la collaboration, son histoire reste intégralement à écrire, pour ce qui est de ses manifestations les plus visibles (nous ne saurions nous contenter du « demi-tour à droite » de Félix Houphouët-Boigny et du R.D.A.), comme des plus subtiles et des plus sournoises»[29]. Nos historiens devraient s'attacher de toute urgence à ces recherches. Les conditions en sont d'autant plus favorables que les témoins de tout ou partie de cette période vivent encore nombreux dans nos villes et campagnes...

Pour en venir au cas particulier de Senghor dont nous ne pouvons dissocier la carrière politique de l'œuvre littéraire, et que les africanistes attitrés s'accordent à présenter comme un militant, un patriote, un combattant de la Liberté, il convient de souligner que son action d'homme politique et son œuvre d'écrivain relèvent – ce n'est pas un truisme que de le dire – de la même idéologie colonialiste, l'humanisme franco-africain, envers lequel il continue de montrer une fidélité que le temps n'a point réussi à ébranler.

L'émergence de l'humanisme franco-africain remonte [PAGE 54] aux années 1930 et l'un de ses théoriciens les plus connus fut l'administrateur colonial Robert Delavignette, l'auteur de Soudan-Paris-Bourgogne[30], ouvrage au titre évocateur, s'il en fut. Il s'agissait d'une idéologie de remplacement, la réponse du ministère des Colonies à la faillite de plus en plus évidente du discours sur « la mission civilisatrice de l'Europe en Afrique » qui a prévalu au temps du colonialisme primaire, de la fin du XIXe siècle jusqu'au lendemain de la Première guerre mondiale, et qui faisait de l'Afrique une table rase, le monde des ténèbres, de la barbarie et de l'animalité. Cette nouvelle idéologie apparut à un moment où la littérature coloniale rencontrait l'indifférence auprès du public métropolitain cultivé et faisait l'objet de vives critiques dans les milieux intellectuels de gauche où l'on n'hésitait plus à dénoncer son caractère édulcoré. Sous la pression de cette évolution favorable à l'Afrique et aux nègres, les ethnologues (souvent administrateurs coloniaux) en vinrent à reconnaître des « valeurs culturelles » aux sociétés africaines, à parler même, comme Delafosse, de civilisations africaines. La crédibilité de « la mission civilisatrice » étant désormais entachée, ceux-ci aidaient ainsi le pouvoir colonial à opérer un aggiornamento nécessaire à la sauvegarde du système?[31]. Dorénavant, on n'opposait plus Civilisation à Barbarie, mais Modermisme à Tradition tout en prônant l'avènement d'une colonisation plus « authentique » et plus « humaine » devant permettre à l'Afrique, à travers « le dialogue des cultures », de prendre part à la « Civilisation [PAGE 55] de l'Universel »[32]. La positivité n'était plus opposée à la négativité, mais l'Europe et l'Afrique étaient censées, chacune pour sa part, représenter un aspect essentiel d'une positivité transcendante vers laquelle elles devaient tendre en conjuguant leurs efforts. Il s'ensuit la nécessité pour les « partenaires » de situer leurs rapports sur un plan culturel, d'où une affirmation de la primauté du culturel sur le politique. La nature diversionniste de cette idéologie est plus qu'évidente. Mais malgré son caractère simpliste et réducteur, elle eut une profonde influence sur les écrivains africains les plus marquants de l'entre-guerres[33]. Elle détermina la théorie senghorienne de la négritude, basée non sur des « couples antithétiques », comme l'écrit Papa Gueye NDiaye[34] mais sur la mise en rapport nécessaire de concepts relevant de deux positivités différentes et complémentaires appelées à se fondre pour donner naissance, dans le plus grand intérêt de l'Homme, à une « culture métisse » : Afrique-Occident, Noir-Blanc, Emotion-Raison, Tradition-Modernisme... Bref la « symbiose des contraires ». Il ressort en définitive du discours de Senghor un seul impératif : ne [PAGE 56] jamais rompre les liens avec « l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril »[35]. Parce que la colonisation est la préfiguration de la Civilisation de l'Universel[36].

SENGHOR CONTRE L'UNITE AFRICAINE

Voilà l'idée fondamentale qui inspire toute l'action politique et l'œuvre littéraire de Senghor. Je pense qu'il n'est pas besoin de m'étendre ici sur l'ambiguïté, les tergiversations, les pirouettes de cet homme qui, en 1946, pendant que la plupart des élus africains décidèrent de passer à l'action en convoquant par un manifeste un congrès d'où devait sortir le R.D.A., engagea, sous la pression de Marius Moutet, une lutte acharnée contre toute idée d'indépendance[37]. Sa position face à la question de l'Unité africaine est assez révélatrice à cet égard : champion de la lutte contre la « balkanisation » de l'Afrique comme il aime à le rappeler aujourd'hui[38], Senghor n'en fut pas moins un partisan actif du « groupe de Monrovia » qui, suivant les « conseils » de l'impérialisme occidental, fit rater à l'Afrique la plus grande chance (l'unique [PAGE 57] peut-être) de son histoire, et où l'on retrouvait pratiquement tous les dirigeants les moins nationalistes, les personnalités molles, incapables de se hisser à la hauteur des exigences de l'avenir de notre continent. A Addis-Abeba en 1963, Senghor défendit les mêmes positions que Houphouët-Boigny qui, depuis ses dissensions avec N'Krumah, animateur du « groupe de Casablanca », voyait en celui-ci un agent de la subversion et du communisme international, et en vint à considérer toute idée d'intégration politique en Afrique comme une agression contre sa personne[39] : « Il y avait, en effet, explique Senghor, ceux qui préconisaient une méthode européenne, nettement impérialiste : un seul gouvernement africain, immédiatement et avec commandement unique, etc. Naturellement les questions culturelles, on les prétendait résolues, alors que c'étaient, que ce sont encore les questions essentielles, et les plus difficiles à résoudre. Je préconisai, alors, avec quelques autres, une méthode africaine : progressive et de compromis »[40]. Une progression [PAGE 58] qui devait très tôt s'avérer un blocage car, de passage à Paris en juillet 1963, après la naissance de l'O.U.A., Senghor déclara : « Je me fais de l'unité africaine la même idée que le général de Gaulle se fait de l'Europe; il faut faire l'Afrique des patries. Nous sommes en effet trop différents aussi bien du point de vue de la race que de la culture et de la langue »[41]. Voilà en quoi consiste la « méthode africaine » ! Par ailleurs, lorsque nous rapprochons cette déclaration de la définition que Senghor donne de la Francophonie considérée comme « une communauté de culture », la supercherie éclate dans toute sa grossièreté avec un relent insoutenable.

L'ignoble pendaison de Jerry Semano Musololi, Marcus Thabo Motaung et Thelle Simon Mogoerane par le régime raciste d'Afrique du Sud, qui a coïncidé avec le XIXe sommet marquant le vingtième anniversaire de l'O.U.A., a révélé aux esprits intelligents l'étroite relation existant entre le micro-nationalisme africain et la persistance de l'apartheid en Afrique du Sud. C'est au moment où l'Afrique apparaît plus divisée que jamais que le pouvoir blanc sud-africain se montre le plus intransigeant, le plus arrogant, le plus terrible. Le monde entier, soulevé d'indignation tenta de faire fléchir le gouvernement sud-africain, se rassembla, s'exprima, protesta, marcha. En Afrique même, RIEN : aucun mouvement de foule, aucune manifestation de rue. L'ordre publie fut complet. Une minute de silence à l'O.U.A., c'est tout ! Le sort a voulu que l'exécution des trois jeunes militants de l'A.N.C. survînt une semaine après l'élection de Senghor qui, avec Houphouët-Boigny, prône le dialogue et le compromis avec le système de l'apartheid. La conclusion s'impose d'elle-même, incroyable parce que monstrueuse, mais devant laquelle la pensée libre ne saurait reculer : la détresse de l'Afrique fait le bonheur de Senghor. Est-ce vraiment un hasard si Senghor et Houphouët, hier côte à côte dans le « groupe de Monrovia », se retrouvent aujourd'hui côte à côte dans le dialogue avec l'apartheid ? « La France malgré (?) sa politique africaine, n'hésite pas à vendre des armes et même des usines atomiques au gouvernement sud-africain. [PAGE 59] Que pensez-vous de cette situation ? », demande Mohamed Aziza à Senghor qui répond. « Ce n'est qu'en 1977 que la France a envoyé une note aux gouvernements africains, en expliquant sa position, et que la centrale nucléaire qu'elle allait vendre à l'Afrique du Sud ne permettrait pas à cet Etat de fabriquer une bombe atomique.

« Cette note de la France me convainquit, sans que le problème fût, pour autant, épuisé »[42]. Cela se passe de commentaire.

Il nous reste maintenant à parler de la poésie de Senghor qui - on l'a montré[43] – est l'illustration artistique de tout ce qui a été dit plus haut. Ses recueils les plus « politiquement engagés » ont paru pendant la période coloniale et ont pour thèmes : la célébration de « l'âme noire » et du « royaume d'enfance » (Chants d'ombre, 1945), le dépit et l'amertume dus à la guerre (Hosties noires, 1948), l'entente entre le colonisé et le colonisateur, l'Occident et l'Afrique (Ethiopiques, 1956) où domine l'idée de pardon et de réconciliation « impliquant l'acceptation de l'infériorité du nègre »[44] :

    « (...)
    O Morts ! défendez les toits de Paris dans la brume dominicale
    Les toits qui protègent mes morts.
    Que de ma tour dangereusement sûre, je descende dans la rue
    Avec mes frères aux yeux bleus
    Aux mains dures. »
    (« In Memoriam », Chants d'ombre)

    « (...)
    Voici que mon cœur fond comme neige sous le soleil.
    J'oublie
    Les mains blanches qui tirèrent les coups de fusils qui croulèrent les empires [PAGE 60]
    Les mains qui flagellèrent les esclaves, qui vous flagellèrent
    Les mains blanches poudreuses qui vous giflèrent, les mains peintes poudrées qui m'ont giflé
    Les mains sûres qui m'ont livré à la solitude à la haine
    Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers qui dominait l'Afrique, au centre de l'Afrique.
    Seigneur, je ne sortirai pas ma réserve de haine, je le sais, pour les diplomates qui montrent leurs canines longues
    Et qui demain troqueront la chair noire.
    Mon cœur, Seigneur, s'est fondu comme neige sur les toits de Paris
    Au soleil de votre douceur.
    Il est doux à mes ennemis, à mes frères aux mains blanches sans neige
    A cause aussi des mains de rosée, le soir, le long de mes joues brûlantes. »
    (« Neige sur Paris », Chants d'ombre)[45].

Cette attitude de soumission intégrale à la loi du plus fort apparaît aussi dans Hosties noires :

    « (...)
    Que l'enfant blanc et l'enfant noir – c'est l'ordre alphabétique –, que les enfants de la France
    Considérée aillent main dans la main
    Tels que les prévoit le Poète, tel le couple [PAGE 61]
    Demba – Dupont sur les monuments aux Morts que l'ivraie de la haine n'embarrasse pas leurs pas dépétrifiés
    Qu'ils progressent et grandissent souriants, niais terribles à leurs ennemis comme l'éclair et la foudre ensemble. »
    (« Prière des tirailleurs sénégalais », IV.)

    « (...)
    Le chant vaste de votre sang vaincra machines et canons
    Votre parole palpitante les sophismes et mensonges
    Aucune haine votre âme sans haine, aucune ruse votre âme sans ruse.
    O Martyrs noirs race immortelle, laissez-moi dire les paroles qui pardonnent. »

    (« Assassinats ».)

C'est dans Hosties noires que figure le poème « Tyaroye » dans lequel Senghor évoque avec un accent de révolte et une « voix de courroux » le massacre perpétré dans le camp militaire de cette ville en 1944 au nom de l'ordre colonial[46], immédiatement suivi par la « Prière de Paix » écrite « pour grandes orgues », dédiée à Georges et Claude Pompidou, avec en exergue - comme si l'on pouvait encore douter de l'influence dévirilisante de sa formation chrétienne – « ... Sicut et nos dimittimus debitoribus nostris », et qui clôt le recueil sur un ultime verset entièrement écrit en lettres capitales, « DESSOUS L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX » :

    « (...)
    Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père. [PAGE 62]
    ........
    Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques
    ........
    Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m'impose l'occupation si gravement »[47].

Ces exemples qui foisonnent dans l'œuvre de Senghor montrent clairement, contrairement à ce qu'affirme Jean-Marie Dunoyer[48], que cette poésie ne chante pas « la négritude debout », mais la négritude à genoux ou que le ton n'y est pas de révolte et d'élan, mais de récollection quand il n'est pas de déréliction. Elégies et thrènes sont les visages de cette parole huilée et superbe se dévidant sur un rythme ralenti, en mouvements amples et onctueux, libérée (c'est le mot du poète) en de longs versets qui se suivent sur le même tempo, en laisses cristallisant les différents moments de l'émotion, manière qu'il faut voir comme illustration stylistique de la thèse du « nègre essentiellement émotif ».

Même si la plus grande partie de Nocturnes (1961) est constituée par les « Chants pour Signare », déjà publiés en 1949 sous le titre de « Chants pour Naëtt », ce recueil rassemble, avec Lettres d'Hivernage (1973), les poèmes les moins politiques de Senghor, les plus « personnels » et les plus « gratuits » (le mot est de Senghor lui-même). Poèmes d'amour, hymne à la Femme, « image de sérénité issue du trouble dompté, du doute éclaté, de l'inquiétude vaincue »[49], ils expriment l'âme de Senghor sous « Les soleils des Indépendances » : paix, équilibre, tranquillité. La « poésie à l'état pur », la « voix de l'universel » émanant d'un monde sans problèmes.

Senghor se plaint que cette poésie ne rencontre pas l'enthousiasme des Africains, qu'elle « n'est pas acceptée [PAGE 63] par la majorité des intellectuels euraméricains », que « même en France », elle « n'est as reconnue par la majorité des hommes de gauche »[50] Et pour cause! Il se plaint que la littérature négro-africaine soit devenue, selon lui, essentiellement l'affaire d'intellectuels « gauchistes » allant, « l'injure à la bouche », vitupérant, et vigoureusement, les « vieux », surtout lui, parce qu'il est « le plus encombrant », avec la complicité de quelques mauvais éditeurs européens[51]. « C'est une jeune Française de Toulouse, dit-il, qui, dans une étude, remarquable de sensibilité et de finesse, a trouvé le meilleur titre à donner à mes poèmes : La Poésie du Royaume d'Enfance. Eh bien, elle met l'accent sur les poèmes d'amour, sur les poèmes les plus gratuits. Elle pense que ce sont les poèmes les plus beaux. Je le pense aussi. Je brûlerais tous mes textes en prose pour sauver un seul de ces poèmes d'amour »[52]. Le meilleur critique de l'œuvre poétique de Senghor est donc, au dire de l'auteur lui-même, Geneviève Lebaud[53]. Pas L. Kesteloot qui, pour avoir été l'une des premières personnes grâce à qui Senghor devint à l'université l'éminent représentant de la « Grande Poésie Nègre », se voit ainsi récompensée, sans doute parce qu'elle eut l'indélicatesse de déplorer « l'influence de Saint-John Perse », « le caractère emphatique, parfois déclamatoire », « la pompe cérémonieuse » des derniers recueils qui lui font « regretter certains accents de Chants d'ombre, si émouvants dans leur simplicité »[54]. Même pas Thomas Melone qui, d'articles en ouvrages, de missions d'enseignement en colloques, de Yaoundé à Paris, a résolument [PAGE 64] mis, depuis plus de vingt ans[55], son bagout ensorceleur au service de la négritude.

LA NEGRITUDE, UNE IDEOLOGIE COLONIALE

Nous n'en sommes que plus à l'aise pour affirmer, contrairement à l'historiographie dominante et à la critique traditionnelle de la littérature négro-africaine d'expression française, que la négritude senghorienne n'est qu'une expression de l'idéologie coloniale qui, dès les années 1930, a amorcé une réadaptation de son discours dont la nouvelle orientation prépare les conditions devant permettre, plus tard, l'instauration et la conservation de l'ordre néo-colonial. Senghor a, de tout temps, choisi d'œuvrer main dans la main avec l'ennemi étranger qui, pourtant, n'a jamais réussi à cacher sa volonté de puissance et de domination sur l'Afrique. Englué dans sa démission traîtresse (j'appelle un chat un chat), il est incapable de reconnaître que « c'est le Japon libre ( ... ) et non pas l'Inde colonisée qui a tiré le meilleur parti de la civilisation européenne; (que) la leçon de l'histoire semble plutôt que la perte de la liberté, loin d'être bénéfique, est normalement fatale pour les peuples et leurs civilisations; (que) les civilisations nilotiques furent détruites par les invasions venues du Nord, la civilisation dravidienne par la conquête aryenne, celle de la Grèce par la conquête romaine, la civilisation romaine par les invasions barbares, les civilisations hellénistiques et chrétiennes du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord par les fanatiques et frustes musulmans; (que) Rome a édifié sa civilisation sur les ruines de la Grèce soumise; (que) la civilisation européenne moderne n'est pas l'œuvre des Gallo-Romains courbés sous le joug de Rome et chantant la gloire et la beauté de la "Métropole", mais de Barbares ayant conquis à leur tour l'orgueilleuse Rome »[56]. Autrement dit, Senghor est incapable de reconnaître que la « conquête ne profite directement qu'aux conquérants », [PAGE 65] et que « les conquis ne peuvent tirer profit des richesses culturelles (quand il y en a, et c'est loin d'être toujours le cas) de leurs maîtres qu'en luttant pour leur libération »[57]. C'est pourquoi l'hommage que lui rend la France en l'installant à l'Académie française doit être pris pour ce qu'il est : la gloire du collabo.

Ce n'est pas tout. L'événement soulève une autre question, celle-ci d'ordre institutionnel et ayant trait à la littérature négro-africaine en langues européennes en général, d'expression française en particulier. J'ai déjà dit qu'on ne manquera pas de parler à cette occasion d'une reconnaissance, d'une consécration de la littérature négro-africaine d'expression française. Même si l'on s'accorde largement aujourd'hui à voir en celle-ci une littérature spécifique, autonome, distincte de la littérature française, ses modalités d'existence (langue, édition, fortune, etc.) continuent de faire de l'Europe son pôle primordial. De fait, tout se passe encore comme si la littérature négro-africaine d'expression française ne pouvait pas ne pas relever de la tutelle institutionnelle de la France. La langue, quelles que soient les manipulations que l'on pourrait lui faire subir, reste le français. L'édition est essentiellement française, même sous l'enseigne mystifiante de « Nouvelles Editions Africaines ». Le prestige, on l'attend de la France qui détient le pouvoir de consacrer ou de proscrire. Les revues littéraires paraissent en France et les plus connues sont aux mains de Français. Aucune revue à direction africaine ne peut prétendre aujourd'hui rivaliser, sur le plan de la diffusion et donc de l'impact, avec Notre Librairie, L'Afrique littéraire, Recherche, Pédagogie et culture et Le Français dans le Monde. Même pas Présence Africaine. Il n'existe en Afrique, à part quelques misérables associations d'écrivains affiliées (c'est la loi) aux partis uniques, aucune structure digne de ce nom, capable de jouer les rôles que s'arrogent aujourd'hui, avec une sollicitude empressée, Radio-France Internationale, l'Association des Ecrivains de Langue Française (A.D.E.L.F.) présidée par un ancien administrateur colonial, Robert Cornevin[58], et... l'Académie française. [PAGE 66] C'est à ces institutions qu'il revient de juger, de reconnaître, de récompenser, de consacrer, au nom de la langue française et de la Francophonie :

    « L'Afrique dort, ne parlez pas, ne riez pas. L'Afrique saigne, ma mère
    L'Afrique s'ouvre fracassée à une rigole de vermines,
    à l'envahissement stérile des spermatozoïdes du viol »[59].

« N'y a-t-il donc, en Afrique, aucune structure vraiment significative conçue et animée par des Africains libres de toute pression et de toute subordination ? », me demanderez-vous, incrédules. Je réponds : à la lettre, RIEN. Le mythe est toujours vivace de l'Afrique-femelle et de l'Occident-mâle, de l'Afrique-qui-attend-de-recevoir et de l'Occident-qui-vient-donner, de l'Afrique conquise, vulgairement et ignominieusement offerte à l'assaut subulé, à « l'apport fécondant de l'Occident ». Où est donc l'autonomie qui devrait fonder l'existence de la littérature négro-africaine ? Une littérature négro-africaine en langues européennes peut-elle exister indépendamment de l'Europe ? Pour l'heure, la littérature négro-africaine en langues européennes n'est qu'une littérature sans papiers. Elle ne deviendra vraiment africaine que quand interviendront les grands bouleversements qui sonneront la fin de l'ère néo-coloniale. C'est pourquoi le premier et le plus noble devoir de l'écrivain africain aujourd'hui consiste à travailler pour hâter cette fin.

Guy Ossito MIDIOHOUAN


[1] Tout se passe comme si le gouvernement socialiste de François Mitterrand avait décidé de faire des gestes de reconnaissance (de dettes envers « les écrivains de la négritude ». On se souvient de la remise par Jack Lang du Grand Prix national de poésie à Aimé Césaire le 22 décembre 1982 à l'Opéra.

[2] Mais en Afrique, nous le savons, tous les chefs d'Etat sont des « sages » pour « l'opinion publique ». Même les plus incultes et les plus vicieux.

[3] Cf. « Que m'accompagnent Kôras et balafong », in Chants d'ombre. Voir aussi dans le même recueil « Le retour de l'enfant prodigue ». Pour illustrer davantage notre propos, voici un passage tiré de « A l'appel de la race de Saba », in Hosties noires :

« Je me rappelle les jours de mes pères, les soirs de Dyilôr
Cette lumière d'outre-ciel des nuits sur la terre douce au soir Je suis sur les marches de la demeure profonde obscurément
Mes frères et mes sœurs serrent contre mon cœur leur chaleur nombreuse de poussins.
Je repose la tête sur les genoux de ma nourrice Ngâ, de Ngâ la poétesse
Ma tête bourdonnant au galop guerrier des dyoung-dyoungs, au galop de mon sang de pur sang
Ma tête mélodieuse des chansons lointaines de Koumba, l'Orpheline
Au milieu de la cour, le ficus solitaire
Et devisent à son ombre lunaire les épouses de l'Homme de leurs voix graves et profondes comme leurs yeux et les fontaines nocturnes de Fimla
Et mon père étendu sur des nattes paisibles, mais grand mais fort mais beau
Homme du Royaume de Sine, tandis qu'alentour sur les kôras, voix héroïques, les griots font danser leurs doigts de fougue Tandis qu'au loin monte, houleuse de senteurs fortes et chaudes, la rumeur classique de cent troupeaux. »

[4] Cf. Jeune Afrique, no 1167 du 18 mai; 1983, pp. 56-57.

[5] Comme pour son élection à l'Académie des sciences morales et politiques.

[6] Cf. Jeune-Afrique, numéro cité.

[7] Cette « relecture africaine » consiste selon Senghor à « donner plus d'importance aux infrastructures qu'aux superstructures » (Jeune-Afrique, no 1167, p. 57). J'avoue honnêtement que je n'avais pas compris ce que cela pouvait signifier. C'est le no 1171 de Jeune-Afrique qui m'apporta l'explication :

    « L. Sédar Senghor : ( ... ) Je dois dire que l'écrivain (Lévis-Mirepoix) m'a enchanté. Il a de réelles qualités.
    Jeune-Afrique : Sur le plan stylistique ?
    L.S.S. : Oui, et même dans l'emploi de la virgule.
    J.-A : Vous le lisez donc en grammairien ?
    L.S.S. : C'est une déformation professionnelle, vous savez. Quand je lis un livre, ce qui me frappe tout de suite, ce sont moins les idées que le style et la ponctuation. Oui, c'est le grammairien et le Négro-Africain qui lit. Ce qui me frappe, c'est l'emploi des images symboliques, de la mélodie, du rythme. Tout ce qui, en fait, caractérise la littérature orale et proche-orientale. »

C'est donc ça la « relecture africaine » : une lecture qui ne s'attache pas aux idées mais au style et à la ponctuation. Revoilà le Négro-Africain fait non pour comprendre mais pour sentir, non pour juger mais pour danser au rythme des images et à la cadence des virgules. Il anime le texte comme, par exemple, « les animateurs et animatrices » de Kinshasa dansent la « révolution zaïroise » en ne se préoccupant guère de la comprendre. C'est aussi ce que l'on semble attendre des intellectuels africains à propos de l'élection de Senghor : de se laisser « émouvoir », de se réjouir, de « danser » au lieu de penser, bref de suivre l'exemple de Senghor... « L'émotion est nègre, la raison est hellène » : c'est la devise de notre déchéance.

[8] Autant dire Africain car le Sénégal a été la base de déploiement de la colonisation française en Afrique et demeure aujourd'hui un pays-clé dans la politique africaine de la France. Depuis plusieurs générations les Français sont habitués à voir l'Afrique à travers le Sénégal. L'ère des « tirailleurs Sénégalais » est révolue Nous sommes aujourd'hui à celle des « pensailleurs sénégalais ».

[9] Autres théoriciens : H. de Montéra (La Francophonie en marche), Gérard Tougas (La Francophonie en péril), Auguste Viatte (La Francophonie).

[10] Cf. Liberté 1. Négritude et Humanisme, Seuil, 1964, p. 363.

[11] Cf. Liberté 3. Négritude et Civilisation de l'Universel, Seuil, 1977, p. 547.

[12] Cité par Roger Mercier, in L'Afrique noire dans la littérature française, Dakar, Université de Dakar, 1962, p. 181.

[13] Michael Crowder, Sénégal, A study of French Assimilation Policy, London, Methuen, 1967, p. 27.

[14] Les Africains, à mon avis, ne se méfient pas assez de ce mot « culture » qui fonctionne pourtant, depuis la période coloniale jusqu'à nos jours, comme un redoutable attrape-nigaud dont l'efficacité semble loin d'être entamée.

[15] S. Balous, L'action culturelle de la France dans le monde, P.U.F., 1970, p. 136.

[16] Cf. « Prière aux masques », in Chants d'ombre.

[17] Idem.

[18] Voilà un exemple d'utilisation suspecte du mot « culture ». On parle aussi «« hommes de culture ». Cette expression est fort appréciée chez Présence Africaine.

[19] Jeune-Afrique, no 1167, p. 57. Ce n'est pas la première fois qu'un Africain prend parti dans un conflit inter-impérialiste. On peut rappeler ici l'exemple de Paul Hazoumé qui, dans Doguicimi, exalte les qualités des Français tout en traitant les Anglais de « pleutres », de « bêtes puantes » qui n'auraient été « tolérés au Danhomê que par une coupable complaisance » (Larose, 2e édition, 1978, p. 392).

[20] On ignore souvent que le français en Afrique demeure la langue d'une minorité de privilégiés et que son importance culturelle et sociale est très limitée. Les langues africaines existent et d'une manière telle qu'il est impossible de contester leur vitalité et leur capacité d'adaptation aux réalités du monde moderne. Les pays africains, il est vrai, sont confrontés à un «problème linguistique » dont résulte une situation tout à l'avantage de l'ancien colonisateur et auquel seuls une volonté et un choix politique apporteront la solution. Il a des Africains qui l'avenir de leurs langues et qui le manifestent comme ils peuvent par des initiatives diverses.

[21] Jeune-Afrique, no cité.

[22] Cf. L.S. Senghor, La poésie de l'action (Conversations avec Mohamed Azia) Paris, Stock, 1980, 361 p.

[23] Jeune-Afrique, no 1171, p. 50.

[24] Voir la post-face à Ethiopiques.

[25] In Journal de la Société des Africanistes, tome XIII, 1944.

[26] Idem, tome XIV, 1945.

[27] Idem, tome XVII, 1947.

[28] Senghor a consacré un grand nombre de textes à l'éloge de la langue française. « ( ... ) A sept ans, écrit-il, quand j'ai commencé de l'apprendre, ( ... ) je le mangeais délicieusement, comme une confiture. » Cf. Liberté 3, p. 545.Rares sont les intellectuels africains qui, aujourd'hui, peuvent écrire la même chose et passer ensuite une nuit calme..

[29] Les Français continuent de le faire pour leur pays (cf. Bernard-Henri Lévy, L'idéologie française, Paris, Grasset et Fasquelle, 1981). Pourquoi pas nous ?

[30] Paris, Grasset, 1935.

[31] La publication de son ouvrage Les civilisations africaines (Paris, Stock, 1925) n'empêche pas Maurice Delafosse de lancer deux ans plus tard un appel à la colonisation aux jeunes métropolitains dans la préface qu'il écrivit au Livre du Pays noir. Anthologie de Littérature africaine de Roland Lebel (Paris, édit. du Monde Moderne, 1927) : « Je ne serais pas étonné que sa lecture déterminât des vocations nouvelles et incitât quelques métropolitains à aller visiter les régions lointaines que les moyens modernes de communications rapprochent si singulièrement de nous, peut-être même à orienter leur vie (sic) vers la colonisation de ces attirantes contrées » (pp. 8-9). Pour plus d'éclaircissement sur le concept de « littérature africaine » utilisé par R. Lebel, voir notre article « Exotique ou coloniale ? Ou quand La littérature africaine était la littérature des Français d'Afrique », P.N.P.A., no 29.

[32] Toutes ces formules étaient très courantes dans les milieux coloniaux de l'époque. « La Civilisation de l'Universel. » par exemple n'est pas une invention de Senghor comme on l'insinue souvent. Lors de l'Exposition. coloniale de 1931 (où il fut largement question d'« assimilation » et « d'association »), Prince di Scaela, Ministre l'Etat italien, Commissaire général de la section italienne à l'Exposition, constatait dans ses déclarations que « tout obstacle (était) donc abattu par la marche d'une idée qui (devait) resserrer les peuples dans la conquête d'une Civilisation universelle (cf. L'effort colonial dans le Monde, Paris, numéro spécial 213 de Sud-Ouest économique, publié dans le cadre de l'Exposition coloniale internationale, 1931, p. 828).

[33] Parmi lesquels nous pouvons retenir Ousmane Socé et Paul Hazoumé. On relira avec intérêt la préface de Georges Hardy à Doguicimi.

[34] Papa Gueye NDiaye, « La littérature africaine et la critique », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, université de Dakar, no 2, 1972, pp. 51-52. Il est vrai, comme le remarque l'auteur de cet article, que l'on rencontre les mêmes couples chez Senghor et chez Césaire. Mais la différence entre les couples chez ces deux poètes n'est pas de « tonalité » mais de nature. Par exemple, le couple colonisateur/colonisé entretient un rapport d'opposition, d'antagonisme chez Césaire. Alors que chez Senghor le rapport est de négociation et de conciliation (colonisateur-colonisé).

[35] Cf. « Prière aux masques », op. cit. Voici une remarque pertinente de Papa Gueye à propos de cette idée de Senghor : « Si elle (l'Afrique) était "liée à l'Europe" assimilatrice "par le nombril", il n'était donné qu'à quelques intellectuels dits "évolués" de s'en apercevoir. Ce dont au contraire ses populations avaient conscience, c'est qu'elle était liée à l'Europe par le fouet, qu'elle était consommatrice contrainte d'une importante denrée intellectuelle : la culture et la civilisation européenne », op. cit., pp. 45-46.

[36] En 1945, définissant la place de l'Afrique noire dans l'Empire français, Senghor écrit : « La France n'a pas à justifier ses conquêtes coloniales, pas plus que l'annexion de la Bretagne ou du pays basque. Le problème colonial n'est rien d'autre au fond qu'un problème provincial, un problème humain. Je ne suis pas le premier à l'avoir remarqué, Lyautey l'avait déjà dit, et plus près de nous Delavignette, cet humaniste impérial ( ... ) » (cf. « Assimiler, non être assimilé », in La communauté impériale française, Paris, éd. Alsatia, collection « Faits et idées », 1945, p. 58).

[37] Cf. Jack-Louis Hymans, L'élaboration de la pensée de L.S. Senghor, Esquisse d'un itinéraire intellectuel. Thèse pour le doctorat de recherche, mention Etudes politiques, Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1964, 478 p.

[38] Cf. Joseph-Roger de Benoist, La balkanisation de l'Afrique occidentale française. Préface de L.S. Senghor, N.E.A. 1979-283p.

[39] On sait, par exemple, que Félix Houphouët-Boigny n'assiste que fort rarement aux sommets de l'O.U.A. dont la Charte est pourtant un triomphe de la position du « groupe de Monrovia ». La coïncidence du XIXe sommet de juin 1983 tenu à Addis-Abeba – sommet décisif, s'il en fut – avec une visite officielle du président ivoirien aux Etats-Unis est significative à cet égard. Par ailleurs, on raconte qu'il n'y a pas un seul fonctionnaire ivoirien à l'O.U.A. Ce sont là autant d'éléments qui révèlent sinon l'hostilité, du moins l'indifférence du président ivoirien à toute idée d'Unité Africaine. Tout se passe en fait comme si, après avoir développé toute l'activité nécessaire pour faire de l'O.U.A. une institution sans pouvoir ni efficacité politique réelle, on s'en désintéressait en s'estimant désormais tranquille... Il n'y a plus qu'un seul idéal qui rassemble désormais les chefs d'Etat africains, c'est « stabilité politique » de leurs régimes respectifs. A ce propos, on lira avec profit l'article de Mato Maku, « Réflexions sur le concept de stabilité politique », in P.N.-P.A., no 25.

[40] L.S. Senghor, La poésie de l'action, op. cit., p. 261. Il convient de souligner ici que Senghor a été élu – ironie du sort – en même temps que Jacques Soustelle qui fut un partisan farouche de « l'Algérie française », « Ce qui nous rapproche Soustelle et moi, commente-t-il, ce n'est pas la politique mais la culture. Il est connu surtout comme ethnologue; c'est le plus grand spécialiste de culture amérindienne en France. Nous nous sommes félicités tout de suite après cette double élection , (Jeune-Afrique, no 1171 p. 49). On est sidéré par ce à quoi peut servir le mot « culture. »

[41] Cité par Koffi Mamane, « L'Unité africaine : une notion controversée », Afrique-Asie, no 297 du 6 au 19 juin 1983, p. 40.

[42] LS. Senghor, La poésie de l'action, op. cit., pp. 267-268.

[43] Cf. Marcien Towa, Léopold Sédar Senghor : Négritude ou Servitude?, Yaoundé, CLE, 1971, 117 p.

[44] Idem, p. 79.

[45] Dans un article intitulé « L'Afrique noire dans les Lettres françaises » (Les Lettres françaises, 1er mars 1946, p. 5), René Maran, présentant Senghor qui venait de publier son premier recueil de poèmes, écrit : « Le problème colonial n'existe pas dans l'esprit de L.S. Senghor. Il ne veut voir en lui qu'un problème provincial, un problème humain. La seule chose que le colonisé soit en droit d'exiger de son colonisateur, c'est qu'il fasse effort pour "concilier ses intérêts et ceux des autochtones". Toute colonisation se fondant sur la primauté de l'humain, doit marier la raison au sentiment, union qui n'est réalisable que si l'on use de cet "accord conciliant". tant prôné par Robert Delavignette, Haut Commissaire de la République du Cameroun et que L.S. Senghor a eu le seul bonheur de réaliser dans Chants d'ombre. »

[46] Boubacar Boris Diop a consacré une intéressante pièce à cet événement, Thiaroye Terre rouge, publiée dans le même volume que son roman Le temps de tamango, Paris, L'Harmattan, 1981.

[47] On voit que Senghor lui-même considère la colonisation comme une occupation et choisit délibérément de collaborer avec le colonisateur à ce propos, je renvoie le lecteur à l'analyse de Jean-Paul Sartre : « Qu'est-ce qu'un collaborateur ? » in Situations III, Paris, Gallimard, 1949.

[48] Cf. Le Monde du 4 juin 1983.

[49] Cf. Lamine Diakhaté, Lecture libre de Lettres d'Hivernage et d'Hosties noires de L.S. Senghor, N.E.A., 1976, p. 9.

[50] L.S. Senghor, La Poésie de l'action, pp. 299-300. Voir aussi pp. 136-137, 152-153, 184-185.

[51] C'est ce qui explique la création en 1972, sur l'initiative de Senghor, des Nouvelles Editions Africaines (N.E.A.) destinées à promouvoir une littérature négro-africaine «plus authentique», c'est-à-dire « plus gratuite ».

[52] Senghor, op. cit., p. 152.

[53] Geneviève Lebaud, Léopold Sédar Senghor ou la poésie du royaume d'enfance, Dakar-Abidjan, Les Nouvelles Editions Africaines, 1976, 101 p.

[54] Lilyan Kesteloot, Les écrivains noirs de langue française. Naissance d'une littérature, 7e édition, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1977, p. 200. La première édition de cet ouvrage date de 1963.

[55] Melone a fait paraître son premier ouvrage, De la négritude dans la littérature négro-africaine, en 1962, chez Présence Africaine

[56] Marcien Towa, op. cit., p. 95.

[57] Idem.

[58] C'est l'A.D.E.L.F. qui attribue le Grand Prix littéraire de l'Afrique noire (« Le Goncourt africain », disent certains !) créé en 1969par Jean d'Esme pour remplacer les prix naguère décernés par l'administration coloniale en Afrique.

[59] Aimé Césaire Et les chiens se taisaient, Paris, Présence Africaine. 1956, p. 39.