© Peuples Noirs Peuples Africains no. 34 (1983) 123-126



HITLER EST REVENU

Mukendi NKONKO

Je ne connais pas le Führer à la voix de marteau
Mais je connais Hitler à la voix dormante du Diable
Il est à Pretoria il est Premier ministre
Il est à Johannesburg il est ministre de la Guerre

J'ai entendu dire Treblinka
Des hommes en file vers les chambres à gaz
Des sourires qui se sont figés
Des cadavres que l'on brûle

Mais je connais Sharpeville
Un amour que les mitrailleuses écrasent
Une maison d'hommes devenue chambre au napalm
Des foyers que l'on pulvérise

J'ai entendu dire Auschwitz
Des S.S. qui les abattent comme des chiens
La peur animale dans la chair
L'avenir qui s'est bouché

Mais je connais Kasinga
Une voix qui hurle en vain sous les décombres
Des mères folles devant un corps déchiqueté
Des larmes qui ne peuvent plus couler

J'ai entendu dire Varsovie
Des enfants silencieux devant des fours qui fument
Des yeux qui éclatent dans la fournaise
Un cœur carbonisé [PAGE 124]

Mais je connais Maseru
Des familles sans voix devant des soudards sans pitié
Des blessés sans alcool
Une fillette balle dans le dos

J'ai entendu dire la solution finale
Des six millions
Un peuple livré aux tueurs
Un peuple que l'on assassine

Mais je connais les raids sans nombre
Je connais Soweto
Mes espérances qui se sont écroulées
Mon peuple que l'on extermine

J'ai entendu dire les Alliés
Des héros de l'homme
Apitoyés révoltés
Dans le bunker d'Hitler

Mais je ne connais que Reagan
Je ne connais qu'Andropov
Je ne connais que Mitterrand
Je ne connais que Boigny

Hitler est revenu
Ses S.S. sont des Boers
Ses chambres à gaz exhalent le napalm
Ses fournaises s'allument sous les bombes

Hitler est revenu
Il abat un enfant sans défense
Il calcine des yeux
Il carbonise des cœur

Hitler est revenu
Il pue le sang
Il n'est pas dans un bunker
Il va partout
Il rit

Mukendi NKONKO
10 décembre 1982 [PAGE 125]

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NÈGRE MON FRÈRE REVIENS

Mukendi NKONKO

Nègre mon frère
qui trimes dans la crasse immonde
des favellas
à Rio
toi l'homme inférieur
dans Brazil
élevé dans ta sueur dans ton sang
viens

Nègre mon frère
qui te disputes un reste de gigot
avec leur chien
à Harlem
toi le moricaud galeux
cible du Ku-Klux-Klan
dans l'Amérique des libertés
viens

Nègre mon frère
angoissé devant la haine policière
qui brime opprime
à La Havane
toi l'oublié de la Révolution
l'orange pressée à l'ombre des cannes à sucre
jetée dans la poubelle du bureau du gouvernement
viens

Nègre mon frère
qui gémis dans la nuit
de désespoir
à Kingston
toi le méconnu du pays
qui pleure pleure
sous la férule
viens [PAGE 126]

Nègre mon frère
qui te charges d'immondices
sur les boulevards dans les aéroports
à Paris, à Londres, à Bonn
toi le bougnoule chassé
confiné dans des bidonvilles insalubres
dans l'Europe de la fraternité
viens

Nègre vaincu
viens
auprès de ta mère blessée
au fouet
de la misère
de la faim
reviens
ta mère appelle

Nègre errant
dans ton Sahara du monde
ton oasis est à Gorée
Nègre mon frère
viens
redresser le baobab qui te protégera
t'abriter dans les bras
de la mère chétive

Mukendi NKONKO