© Peuples Noirs Peuples Africains no. 34 (1983) 75-82
Comité de soutien
Le professeur Abel Goumba est né le 18 septembre 1926 à Grimari (Ouaka). Son père, Michel Goumba, commis-interprète de l'administration coloniale française, fut le premier Oubanguien à être inscrit sur une liste électorale.
A Grimari, où son père sert comme secrétaire du chef de district, le jeune Abel Goumba est l'élève de l'abbé Barthélemy Boganda. Après des études secondaires sur place, il est le premier oubanguien à être admis à l'Ecole de médecine et de pharmacie de Dakar. Il effectue son service militaire dans l'armée française, avant d'être affecté au Moyen-Congo. Le docteur Goumba sert dans les régions forestières du nord de cette colonie comme responsable de petits postes médicaux. Cette région est alors durement atteinte par les épidémies et la misère.
En mai 1957, lors de la mise en place des institutions de la loi-cadre Defferre, le député Barthélemy Boganda le présente comme candidat du M.E.S.A.N. au poste de vice-président du Conseil du Gouvernement (le président de cet organisme étant de droit le gouverneur français, chef du territoire). En juillet 1958 Goumba devient président de cet organisme. Le même mois il dirige la délégation du M.E.S.A.N. au congrès de Cotonou, au cours duquel le mouvement de Boganda se joint aux partisans de l'indépendance immédiate et s'affilie au Parti du Regroupement Africain (P.R.A.) de Léopold-Sedar Senghor.
Tout au long des années 1957 et 1958, Abel Goumba, qui a conservé les portefeuilles des ministères des Finances [PAGE 76] et du Plan, se heurte à Roger Guérillot, colon du premier collège rallié au M.E.S.A.N. et désigné imprudemment par Boganda pour diriger un grand ministère des Affaires administratives et économiques. En novembre 1958, convaincu que Guérillot prépare un complot, Boganda décide de l'éloigner. Il le nomme adjoint au délégué en France de l'Oubangui.
Le plan de Barthélemy Boganda visant à constituer en A.E.F. une grande République centrafricaine, amorce de futurs Etas-Unis d'Afrique latine, échoue en octobre 1958. Pessimiste sur l'avenir d'un Oubangui, qui devra désormais envisager d'accéder seul à l'indépendance, Barthélemy Boganda proclame le 1er décembre, limitée au territoire de l'Oubangui, une République centrafricaine, Etat membre de la Communauté. Boganda, au cours de la campagne électorale pour la constitution d'une assemblée législative, disparaît le 29 mars 1959 dans l'explosion de l'avion qui le ramène de Berbérati à Bangui.
Abel Goumba devient président par intérim du gouvernement centrafricain. Il est écarté de la présidence par une conjuration organisée contre lui par le ministre de l'Intérieur David Dacko, appuyé par le président de la Chambre de commerce, le haut commissaire français et la veuve de Boganda. Il accepte néanmoins d'entrer, en qualité de ministre des Finances et du Plan dans le gouvernement Dacko.
L'Assemblée refuse à Dacko les pleins pouvoirs. Ce dernier décide de les prendre lui-même. En juillet 1959, sous la pression des colonialistes, il exclut Goumba du gouvernement. En octobre, il s'empare, par un coup de force, de la direction de son propre parti, le M.E.S.A.N., régulièrement dirigé alors par le sénateur Etienne Ngounio. Dacko fait, avec l'aide de ses amis français, cerner l'Assemblée alors que celle-ci s'apprête à voter une motion de censure. En une année Dacko va conduire son pays sur les chemins de la dictature.
En juillet 1960, Goumba et ses amis fondent le Mouvement d'Evolution Démocratique de l'Afrique noire (M.E.D.A.C.) qui s'affirme être le véritable dépositaire de la pensée politique de Boganda. Le même mois, le général de Gaulle ayant décidé, après les positions prises par Madagascar et le Mali, d'accorder la souveraineté internationale [PAGE 77] aux autres Etats de la Communauté, Dacko entreprend à Paris des négociations de pure forme. Le 14 août 1960, Dacko se fait nommer par l'Assemblée, à titre provisoire, chef d'Etat. Goumba proteste à l'Assemblée contre les conditions dans lesquelles est octroyée cette indépendance de façade.
Les événements du Congo belge voisin entretiennent une certaine panique au sein des colons et commerçants français de l'Oubangui. C'est sous leur pression que Dacko durcit encore son régime. En novembre il interdit une manifestation du M.E.D.A.C. contre des projets de loi restreignant les libertés publiques inscrites dans la Constitution.
Abel Goumba se rend alors à Brazzaville où se tient la conférence des chefs d'Etat de l'Afrique noire francophone. Il leur remet un mémorandum sur la violation des libertés en République Centrafricaine, texte qui reprend simplement les termes d'une protestation d'Etienne Ngounio, président du M.E.S.A.N. destitué par Dacko.
Le 23 décembre 1960 un décret de Dacko dissout le M.E.D.A.C. Le lendemain, l'immunité parlementaire de Goumba et de ses amis est levée sur réquisition d'un magistrat français de la Coopération. Goumba est arrêté, le lendemain ainsi que ses amis. L'ambassadeur français, Roger Barberot, sur instructions de Jacques Foccart, demande à tous les ressortissants français du pays d'apporter à Dacko un soutien sans réserve.
Abel Goumba, déporté dans un poste de l'intérieur, restera détenu de longs mois sans jugement. Sénateur de la Communauté, il écrit au général de Gaulle pour le supplier de sauver le peu de liberté qui subsiste en ce pays centrafricain. Ce n'est que le 22 février 1962 que Goumba, accusé d'incitation à manifestation et de liaison avec des puissances étrangères (il s'agissait des chefs des autres Etats africains de la Communauté!), sera condamné à six mois de prison ferme, peine confirmée en appel, puis, par des artifices de procédure, transformée en une nouvelle assignation à résidence.
Apparemment gêné par les réactions suscitées dans les milieux français de gauche par cette affaire, Dacko libère discrètement fin 1962, Goumba et ses amis. Goumba est invité à s'exiler en France, où il pourra poursuivre des [PAGE 78] études médicales avec une bourse de l'Organisation Mondiale de la Santé. Il quitte Bangui avec son épouse et ses dix enfants.
Dans la nuit du 31 décembre 1965 au 1er janvier 1966, Dacko qui a acculé le pays à la faillite et qui songe à abandonner ses pouvoirs au commandant Jean Izamo, est obligé de les céder au colonel Jean-Bedel Bokassa qui annonce son ambition d'instaurer une « monarchie absolue ». Le colonel obtient l'appui sans réserve de la puissante Chambre de commerce.
Abel Goumba reste proscrit. Il doit poursuivre son exil en France. En 1968 il soutient devant la Faculté de Médecine de Bordeaux une thèse de doctorat consacrée à l'évolution de la politique de santé dans les Etats d'Afrique centrale. Bokassa s'oppose à plusieurs reprises au retour de Goumba comme médecin en son pays. Le docteur Goumba se spécialise alors à l'Ecole Nationale de la Santé Publique de Rennes en médecine publique puis effectue à l'Institut d'étude du développement économique et social de l'Université de Paris I une recherche sur les conditions préparatoires à la planification sanitaire en République centrafricaine. Il réussit l'agrégation de médecine. En 1972 il est nommé au titre de l'O.M.S. professeur à l'Université de Rwanda à Butaré, puis en 1976 professeur à l'Université du Bénin à Cotonou. Bokassa demande en vain son expulsion de l'O.M.S. menaçant de mettre fin aux activités en Centrafrique de l'organisation internationale.
Au cours de cette période d'études et d'enseignement, Abel Goumba reste en liaison constante avec les étudiants, stagiaires et travailleurs de son pays, qui voient, en lui, un recours pour l'avenir du pays. Le régime de Bokassa se fait de plus en plus pesant pour le peuple centrafricain, tout en continuant à bénéficier de l'appui le plus total de l'ancienne puissance coloniale.
En 1972, Abel Goumba fonde le Comité Révolutionnaire de Libération Nationale (C.R.L.N.) qui prend ensuite le nom de Mouvement Populaire de Libération du Centrafrique (M.P.L.C.) puis celui de Front Patriotique Oubanguien. Des « antennes » sont installées à Brazzaville et à Paris au sein des minorités centrafricaines. Ce mouvement regroupe tous les résistants sans aucune discrimination [PAGE 79] de race, de religion, de conviction politique. Il est vivement pris à partie par Bokassa, qui le dénonce sous le terme de « Force occulte », mais qui s'abstient de nommer son président qu'il considère comme son seul rival sérieux.
A la suite d'un attentat commis contre Bokassa à l'aérodrome de Bangui le 3 février 1976, Pierre Maleombho, ancien ministre de Boganda et ancien président de l'Assemblée législative centrafricaine, co-fondateur avec Abel Goumba du M.E.D.A.C., est fusillé, avec plusieurs patriotes du F.P.O.
Lors du soulèvement populaire contre l'empire les 17-20 janvier 1979, puis les 18-20 avril de la même année, le Front Patriotique Oubanguien, qui ajoute à son nom celui de Parti du Travail, joue un rôle déterminant.
Le F.P.O./P.T. perdra, dans les combats ou dans les prisons de Bokassa, 144 de ses membres.
La dénonciation par Amnesty International de la participation de Bokassa aux massacres de jeunes manifestants provoque une enquête internationale. Les prétendants à la succession de l'empereur, notamment ses anciens premiers ministres, se pressent alors aux portes de l'Elysée.
De Cotonou, Abel Goumba lance un appel pour une organisation de la résistance à Bokassa, dénonçant comme contraire à la dignité de son pays tout appel à l'étranger. Il tente de créer le 9 juillet 1979 un comité de coordination entre tous les opposants anciens et récents.
Le 20 septembre 1979, les soldats français interviennent à Bangui et installent David Dacko à la présidence de l'Etat centrafricain. Bokassa, qui demande l'asile politique à la France, est expulsé vers la Côte-d'Ivoire.
Alors que certains demandent son retour rapide au pays, Goumba fait l'objet dans la presse française de droite d'une campagne provocatrice (articles de Jean Cau et de Michel Droit des 12 et 25 octobre 1979), « Goumba, même s'il se tait sagement et attend son heure, a sa montre réglée sur celle de Moscou », écrit scandaleusement Jean Cau.
Goumba et le F.P.O./P.T. ne se taisaient alors nullement. Ils dénonçaient l'opération néo-coloniale et demandaient le retrait des troupes de l'ancien colonisateur. [PAGE 80]
Dacko se prononçait pour une coopération avec l'Afrique du Sud et pour le maintien, « durant dix ans s'il le faut », de l'occupation militaire française.
Le retour au pouvoir de l'ancien président Dacko devait rapidement s'avérer catastrophique sur tous les plans.
Ne réussissant pas à rétablir le parti unique, Dacko tente, sous la pression du gouvernement français, de reconstituer un semblant de démocratie, aux seules fins d'obtenir l'aide internationale. Puis cédant aux manifestants, Dacko allait successivement renvoyer son vice-président Henri Maïdou ancien premier ministre de Bokassa, puis son premier ministre Bernard Christian Ayandho. En décembre 1980 un séminaire national des partis politiques se prononce pour un retour immédiat à des institutions représentatives. En outre, après quelques procès bâclés, au cours desquels Bokassa est condamné à mort par contumace, Dacko fait exécuter quelques comparses pour calmer l'opinion publique. Une Constitution est adoptée par référendum le 1er février 1981. Pour Abel Goumba, les conditions minima semblent désormais réunies pour mettre fin à son exil. Après avoir obtenu quelques garanties pour sa sécurité personnelle, il rentre en R.C.A. et se présente quelques jours plus tard aux élections présidentielles de mars 1981.
Faussées par les manœuvres et truquages effectués tant par David Dacko que par Ange Patassé (ancien Premier ministre de Bokassa), qui disposent l'un et l'autre de fonds électoraux importants fournis par leurs supporters étrangers, ces élections provoquent de sanglants incidents.
Dacko, le mal élu, interrompt alors le processus engagé. Il renonce à la mise en place des institutions constitutionnelles. L'élection à Paris de François Mitterrand le 10 mai 1981 rend encore plus fragile la position du président imposé par Giscard au peuple centrafricain. Une nouvelle vague de panique gagne les Européens de Bangui. Ils relancent leur campagne contre Abel Goumba, qui déjoue plusieurs attentats.
Le 14 juillet 1981, une bombe éclate dans le cinéma « Club » à Bangui, faisant plusieurs morts. Deux autres bombes sont désamorcées rapidement par l'armée française dans deux autres points de la ville. Les patriotes [PAGE 81] centrafricains dénoncent une provocation dont le but est d'obtenir le maintien des troupes françaises. Dacko crée un tribunal d'exception. Il lance un mandat d'arrêt international contre Abel Goumba, alors en voyage en Europe aux fins de régler sa situation administrative avec l'O.M.S. L'état de siège est décrété.
Le 1er septembre 1981 Dacko abandonne tous ses pouvoirs au général Kolingba, son chef d'état-major, lui aussi ancien collaborateur de Bokassa. Celui-ci fonde un comité militaire de redressement (C.M.R.N.) qui se fait fort de rétablir l'économie du pays dans le délai d'un an. Il suspend la constitution, les libertés, les oragnisations politiques.
En décembre 1981, Abel Goumba qui a repris son enseignement de la médecine accepte le poste de recteur de l'Université de Bangui, mais il écrit au général Kolingba qu'en « sa qualité bien connue de chef d'un parti politique national » il se fait « le devoir de préciser qu'en toute clarté et en toute honnêteté patriotique il demeure fidèle dans l'œuvre de construction de la nation centrafricaine à sa conscience et à ses convictions politiques dans l'intérêt de son pays ».
Le 17 août 1982 Abel Goumba est arrêté, en son bureau, peu après le secrétaire général de l'Université, Patrice Endjimoungou. Ses ennemis de toujours, les milieux colonialistes de Bangui, qui ont trouvé en un officier français, passé au service de Kolingba, le plus précieux de leurs hommes de main, semblent être parvenus à leurs fins. En octobre, Kolingba est reçu en visite officielle à Paris.
Le délit d'opinion reproché à Goumba est caractéristique. Le tribunal d'exception prononce, sur un dossier vide, le 22 avril 1983, un verdict de cinq années d'emprisonnement pour chacun des deux leaders du F.P.O./P.T., accusés. comme en 1960, d'entretenir des relations avec des personnalités étrangères et d'avoir tenté de fonder une organisation révolutionnaire.
Alors que plus de cent autres prisonniers d'opinion sont détenus dans des conditions inhumaines au camp du Kassaï, le général Kolingba s'engage résolument, avec le soutien des milieux coloniaux qui ont conservé à Bangui toute la réalité du pouvoir, sur la voie suivie par Bokassa. [PAGE 82] Goumba, emprisonné, apparaît plus que jamais comme l'héritier de Boganda, assassiné en 1959 par ces mêmes milieux.
La libération d'Abel Goumba, de Patrice Endjimoungou et de la centaine de prisonniers d'opinion détenus arbitrairement par le général Kolingba est demandée par des centaines de personnalités démocrates de divers pays par l'intermédiaire d'un « Comtié de soutien à tous les prisonniers d'opinion en Centrafrique ».
Le Front Patriotique Oubanguien/Parti du Travail, persécuté par Kolingba, comme il le fut par Bokassa, appelle à la mobilisation du peuple centrafricain « pour un Centrafrique uni, libre, démocratique et indépendant ».
Comité de soutien aux prisonniers
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