© Peuples Noirs Peuples Africains no. 33 (1983) 9-29



REFLEXIONS AUTOUR DE LA VISITE DU PAPE JEAN-PAUL II EN GUINEE EQUATORIALE

(18 février 1982)

Max LINIGER-GOUMAZ

Le récent périple du pape Jean-Paul II en Amérique centrale, et en particulier la visite qu'il a effectuée à Haïti, est dans toutes les mémoires. Nombre de chrétiens ont appris cette nouvelle avec stupeur. En effet, ils craignent moins « que Duvalier va en profiter pour renforcer son système de sécurité » que le fait « qu'il pourrait exploiter la visite du pape pour donner une consécration à son régime »[1]. Une telle appréhension ne vise d'ailleurs pas seulement les déplacements de prélats en mal de tourisme pastoral : le tourisme politique lui aussi ferme les yeux sur les crimes des autocrates de tous bords, dans la seule perspective de la satisfaction d'appétits stratégiques ou économiques.

Aussi, dans toute la chrétienté se multiplient les interrogations sur l'Eglise d'aujourd'hui et de demain. L'Afrique du sud du Sahara n'échappe pas à cette mise en question, que la situation souvent dramatique aux plans [PAGE 10] matériel et politique exacerbe encore. Ce désir de redéfinition fondamentale du christianisme dans les sociétés africaines s'appuie sur une question majeure qu'a parfaitement bien éclairée Jean-Marc Ela, prêtre catholique en activité dans le nord du Cameroun; « Où sont aujourd'hui les priorités de l'action de l'Eglise dans les pays de la faim et les sociétés dépendantes que constitue la majorité des populations d'Afrique ? Que faire dans les villages, où les jeunes affirment, au terme d'une veillée : "ce coin a besoin de respirer", exprimant la soif de justice et de liberté qu'éprouve un peuple qui porte sur son visage les marques d'une longue tradition de servitude et de mépris ?... » « Au-delà des situations locales et régionales, il n'y a pas de doute que les Eglises africaines sont parfois confrontées à une situation commune où le développement des uns implique le sous-développement des autres. Dans cette conjecture, comment mettre l'homme africain en état d'échapper à la misère et à l'inégalité, au silence et à l'oppression ? [c'est nous qui soulignons]. Si le christianisme veut être autre chose qu'une vaste escroquerie pour des Nègres mystifiés, les Eglises d'Afrique doivent se retrouver pour examiner cette question »[2].

Dans son livre, le père J.-M. Ela brosse un tableau de la Guinée équatoriale qui est une des meilleures synthèses qui n'ait jamais été tentée. Aussi nous a-t-il semblé utile, comme prospectus au voyage du pape Jean-Paul II (février 1982 : Nigeria, Bénin, Guinée équatoriale, Gabon) de rappeler ce que dit le prêtre, de surcroît africain, de ce « goulag trop oublié de l'opinion africaine et internationale... où la torture et la répression ont dépassé tous les stades ». Pour J.-M. Ela, ce qui retient l'attention dans ce pays en régression tragique, c'est que « les puissances étrangères, sous couvert de coopération, ont observé un silence complice. Il n'a peut-être pas de situation en Afrique noire où la domination et la répression ont été aussi étroitement liées qu'en Guinée équatoriale ».

« Le caractère néo-colonial du régime de Macias Nguema[3] n'était pas à démontrer. Un pays où la dictature a [PAGE 11] provoqué l'effondrement de l'économie par la liquidation des cadres de l'émigration qu'elle entraîne, et qui n'est pas en mesure de maintenir le bon fonctionnement d'un minimum de services publics... n'a pu survivre que parce qu'il était soutenu par les formidables puissances d'argent qui avaient leurs relais sur place. » Et de citer des pays comme l'Espagne, l'Allemagne fédérale, la France, la Chine populaire, l'U.R.S.S., des sociétés pétrolières, dont Elf, diverses autres firmes françaises (comme la Société forestière du Rio Muni, la Société française de Dragages et de Travaux publics, Alsthom, les Chantiers de Bretagne, etc.), ce qui expliquerait, selon le père J.M. Ela, « la circonspection avec laquelle la revue Marchés tropicaux voudrait que l'on prenne des nouvelles sur la situation des populations de Guinée équatoriale »[4]. Et Ela de souligner que « le cas de la Guinée équatoriale illustre une situation d'ensemble où l'on voit l'alliance du pillage et de la répression politique » avec les intérêts de l'étranger[5]. Les raisons de cet état de choses sont clairement indiquées par le prêtre camerounais : « Dans un contexte où la centralisation du pouvoir justifie la mise en vacance du parlement et où l'instrument judiciaire de la centralisation est le décret présidentiel, on comprend parfaitement que l'idéologie de la sécurité nationale et de la stabilité légalise l'hégémonie de l'appareil policier et répressif sur toute l'étendue du territoire national... »; « il [PAGE 12] faut donc réduire au silence toute opposition pour promouvoir le développement national »...

« ... tout vise à mettre à l'abri des sursauts nationalistes les capitaux étrangers qui bénéficient d'un accueil d'autant plus favorable que les cadres dirigeants comptent sur eux pour la prospérité de leurs affaires personnelles ». L'ex-ambassadeur d'Espagne en Guinée équatoriale durant les seize premiers mois de la dictature nguemiste militaire a parfaitement défini le régime de hors-la-loi qui sert d'interlocuteur aux intérêts étrangers[6]. La présence en Guinée équatoriale d'une « foule d'hommes d'affaires douteux » est confirmée par Claude Wauthier, également en septembre 1981, de même que le fait que « deux ans après la chute du "Tigre" le colonel Teodoro Obiang Nguema n'a toujours pas rétabli la démocratie ni restauré l'économie »[7].

Courant 1982, les reportages des journalistes admis en Guinée équatoriale convergent sur trois termes : peur, misère, corruption[8]. Et l'historien de l'Afrique lusitano-hispanophone, R. Pélissier, donnait fin 1982 une description de la réalité nguemiste qui en dit long sur leur paradis : « Le malheur de la Guinée équatoriale provient avant tout du fait qu'une dictature ne peut enfanter un régime raisonnablement démocratique. Le franquisme accoucha [PAGE 13] d'un Frankenstein anti-hispanique qui ruina son pays et massacra son peuple, et dont les tares ne semblent pas avoir été éliminées par son neveu et successeur »[9]. Ainsi, dans le gouvernement mis en place par Obiang Nguema en octobre 1982, essentiellement avec les membres de son Conseil militaire civil fraîchement dissout, et auxquels on a simplement passé un costume civil, dans ce gouvernement de trente-six membres figurent vingt parents directs du président, ainsi qu'une dizaine de complices de Macias Nguema. C'est ce que devait souligner le 9 mars 1983 Le Canard enchaîné qui fournit des détails significatifs sur le népotisme nguemiste et sur la prévarication qui caractérise les hommes de Mongomo. Et d'ajouter que l'appartement qu'Obiang Nguema vient de s'acheter à Paris, et que son épouse, Constancia Mengue Nzue a pris en charge fin 1982, a été « symboliquement élu rue de la Faisanderie... »[10].

Face à ces réalités, pourtant bien connues des chancelleries, la plupart des médias font le silence, voire refusent les articles – jugés trop pointus – qui jettent la lumière sur les autocraties africaines en particulier. Alors qu'on se préoccupe beaucoup de la répression en Amérique latine, « tout se passe comme si les régimes africains étaient moins répressifs et plus respectueux des droits de l'homme que ceux contre lesquels s'organisent des meetings de protestation ». Aussi n'est-il pas étonnant que le Père J.-M. Ela cherche à savoir « Quel peut être le rôle de l'Eglise dans un moment où la condamnation d'un savant soviétique [et nous ajouterons, l'état d'exception imposé à la Pologne] soulève la protestation massive de l'opinion occidentale sans que les milliers de massacres de prisonniers politiques africains n'éveillent aucun écho dans l'intelligentsia, les syndicats ou les partis européens [et nous ajouterons, l'Eglise catholique] en dehors de quelques réactions sporadiques des mouvements humanitaires »[11]. Le voyage du pape dans divers pays du Golfe de Guinée – tout comme plus récemment celui effectué en Amérique centrale – témoigne hélas de singuliers silences. [PAGE 14]

Jean-Paul II a donné dès son arrivée au Nigeria une réponse au problème de la mainmise néo-coloniale et de la nécessité d'une libre expression du génie africain, aux plans politique, économique et religieux : « Toute l'Afrique quand on la laissera gérer ses propres affaires sans qu'il y ait quelque pression ou intervention que ce soit de la part des puissances et des groupes étrangers, non seulement étonnera le reste du monde par ses réalisations, mais sera capable de faire partager aux autres continents et nations sa propre sagesse, son sens de la vie, son respect de Dieu »[12].

Si le pape a accepté l'invitation que lui a présenté fin 1981 le nouveau deuxième vice-président de la Guinée équatoriale, le commandant Seriche Bioco Dougan[13], ce n'est pas seulement parce que la deuxième dictature nguemiste des hommes du clan de Mongomo et de leurs complices a rétabli la liberté de culte – alors que tous les autres droits de l'homme restent violés comme sous Macias Nguema; c'est surtout parce que la Guinée équatoriale est un pays avec plus de 90 % de catholiques, les autres étant adeptes du culte protestant. Notons ici qu'en vertu de ses loyaux et complices services rendus au nguemisme, le Bubi Seriche Bioco Dougan a été propulsé en octobre 1982 Premier ministre, avec comme vice-premier ministre le cousin d'Obiang Nguema, Mba Oñana, un pistolero auquel les représentants de la Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies ont eu le désagréable privilège de devoir se frotter[14].

C'est en 1534 que le pape Paul III – l'interlocuteur [PAGE 15] privilégié d'Ignace de Loyola – donna à l'évêque portugais de São Tomé la juridiction sur l'île de Fernando Poo; il faudra attendre que cette île et les zones continentales qui s'étendent du delta du Niger au Cap Lopez (donc une large part du Nigeria, du Cameroun et du Gabon) deviennent espagnoles par le Traité du Pardo, en 1778, mais surtout qu'en 1856 soit créée à Santa Isabel (Malabo) une préfecture apostolique, pour que le catholicisme se répande dans le pays. Depuis le début du XIXe siècle, les presbytériens américains, puis les méthodistes et baptistes anglais, enseignaient déjà l'Evangile dans la partie continentale et à Fernando Poo, le plus souvent en langue vernaculaire. Le renforcement de l'emprise espagnole visait, notamment, à éradiquer le virus réformé, et à assurer l'hispanisation des populations. Jésuites d'abord, puis Clarétins depuis 1883, se virent confier la conversion des autochtones, qu'on arrachait aux pasteurs protestants à coup de cadeaux sous forme de médailles et d'images pieuses. Signalons ici qu'à présent, les Clarétins sont principalement financés via les Etats-Unis d'Amérique[15].

Rognées par les puissances européennes, les possessions espagnoles du Golfe de Guinée (environ 800 000 km2) donnèrent naissance successivement au Cameroun allemand, au Nigeria anglais et au Gabon français. Une partie congrue resta à l'Espagne qui, il est vrai, ne manifestait pas le même élan colonisateur que les autres pays. Les explorateurs espagnols Iradier, Ossorio et Montes de Oca (1875-1876 et 1884) permirent, certes, d'affirmer l'hispanité de vastes espaces, mais lors de la Conférence de Berlin l'Espagne fut traitée en parent pauvre. Cela permit à la France – qui avait reçu en prêt de l'Espagne la région de la future Libreville – de contester à l'Espagne le peu qui lui restait encore. Ce n'est que par la Conférence de Paris (1900) que l'Espagne put garder les territoires qui constituent aujourd'hui les 28 051 km2 de la Guinée équatoriale[16]. Le Vicariat français des Deux-Guinées, [PAGE 16] avec siège à Libreville, persista pourtant dans les prétentions sur les terres espagnoles; en 1903, le Vatican dut arbitrer le différend, et décida en faveur du Vicariat espagnol de Santa Isabel. La Guinée équatoriale doit donc au Vatican d'avoir, voici quatre-vingts ans, assuré sa pérennité hispanique. En 1968, à l'indépendance, l'évêché unique de Santa Isabel, avec un titulaire espagnol, fut doublé de l'évêché de Bata, chargé de couvrir le Rio Muni, avec un évêque équato-guinéen, Mgr Nze Abu, celui-là même qui fut le cicérone de Jean-Paul II durant la visite du 18 février 1982. Mgr Nze Abuy[17] s'exila en 1972, alors que Macias Nguema s'apprêtait à se proclamer « seul et unique miracle de Guinée équatoriale », et que de nombreux prêtres, tant catholiques que protestants, furent incarcérés, torturés ou liquidés[18]. Par Mgr Gantin, archevêque de Cotonou, le Vatican suggéra à Macias Nguema de nommer lui-même un autre évêque. Le choix se porta sur le vieux prêtre Vicente Barleycorn, ancien supérieur de la mission d'Evinayong. Mais Barleycorn ne fut pas consacré. Il est décédé en Espagne peu après la révolte de palais.

On sait que Macias Nguema – en dehors des victimes nombreuses dues à l'initiative macabre des zélés laquais de l'armée (commandée par T. Obiang Nguema, son successeur) et de la Jeunesse en marche avec Macias (aujourd'hui intégrée à l'armée) – Macias Nguema éliminait tous ceux qui s'étaient à un moment ou un autre trouvés sur sa route. Ainsi s'explique l'assassinat, fin 1976, parmi nombre d'autres cadres, de Job Obiang, instituteur, secrétaire général du ministère de l'Education, qui s'était présenté contre lui comme candidat aux élections à la mairie de Mongomo en 1964. Le progressif durcissement du régime (interdiction de l'enseignement confessionnel, dès 1974; affichage de la photo de Macias Nguema et de [PAGE 17] slogans politiques, proclamation de ces slogans depuis la chaire; interdiction du culte catholique en 1978) s'expliquent probablement par les deux faits suivants :

– l'Eglise catholique principalement, même si elle comptait quelques représentants africains, restait essentiellement espagnole par ses hommes et par son style;

– le héros de l'indépendance, Acacio Mañe, organisateur du mouvement de résistance à l'occupation espagnole que fut la Cruzada Nacional de Liberación de Guinea Ecuatorial, a été capturé par la Garde civile espagnole, le 20 novembre 1958, puis assassiné, après dénonciation de sa cachette par le supérieur de la mission de Bata, le père Nicolas Preboste.

Dès 1976, la plupart des lieux de culte étaient neutralisés ou transformés en dépôts de cacao ou d'armes, voire en salle de sport.

Malgré cela, la presse catholique internationale, et notamment l'Osservatore romano, attendirent 1978 pour commencer sérieusement à alerter l'opinion. Pendant dix ans de terreur nguemiste, le Vatican se tut. Le périodique catholique suisse-romand L'Echo illustré – dont le rédacteur en chef n'est autre qu'Albert Longchamp, également rédacteur en chef de la revue Jésuite Choisir – confirme ce mutisme sur les « ruines matérielles et morales qui furent infligées [à la population de Guinée équatoriale] par le régime dictatorial du président Macias [Nguema] de 1968 à 1979. Sa population a été victime d'un véritable génocide que personne n'a dénoncé, sauf le Conseil œcuménique des Eglises. C'est donc un peuple traumatisé que va rencontrer le pape Jean-Paul II »[19]. Tout aussi regrettable est le « silence complice » des intérêts économiques français et italiens, des intérêts militaro-politiques de l'U.R.S.S., de Cuba, de la Chine populaire, [PAGE 18] et même des O.U.A. et des O.N.U. Pendant ce temps, les nguemistes liquidèrent impunément quelque 40 000 catholiques et protestants.

Peu après le renversement de Macias Nguema par ses neveux et cousins, son bras droit Obiang Nguema – propulsé nouveau dictateur, militaire cette fois-ci, à la tête d'une junte intitulée Conseil Militaire Suprême (C.M.S.),composée de 35 hommes, dont 32 de Mongomo et environs – restaura la liberté de culte. Ce mirage de libéralisation impressionna les nationaux comme l'étranger, et tendait à faire accroire que ce qui venait d'être intitulé « Coup de la Liberté » allait provoquer un changement[20]. Malheureusement, de tous les droits de l'homme qu'énonce la Charte universelle, il devait s'agir, jusqu'à présent, du seul remis en vigueur, ce qu'attestent le Rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies comme les commentaires d'observateurs aussi différents que peuvent l'être des envoyés spéciaux de la presse, notamment espagnole, française, allemande, suisse, africaine, etc.[21]. Dans un pays où, près de quatre ans après le renversement du « gran maestro » par ses centurions, la situation continue à être décrite comme cauchemardesque. Certes, « la Constitution démocratique adoptée en 1968[22] au moment de l'indépendance a été officiellement restaurée en 1980 par le nouveau régime. Mais – selon le directeur du Centre culturel français de Santa Isabel – elle a été suspendue dans son application en [PAGE 19] attendant que la reconstruction du pays, ruiné par onze ans de dictature, soit terminée »[23]. En 1973 s'est produit un événement pratiquement semblable, lors de la désignation de Macias Nguema comme « président à vie » (art. 49), l'article 42 prévoyant l'élection présidentielle tous les cinq ans étant simplement suspendu en vertu de l'article 49...

C'est en décembre 1981 que ce sont produits successivement le coup d'Etat militaire en Pologne (deux ans et demi après le coup d'Etat militaire de Guinée équatoriale) – les deux avec des aides extérieures – et l'invitation du pape à visiter l'ex-colonie espagnole. Depuis lors, JeanPaul II n'a pas ménagé les déclarations au sujet des droits des peuples. Le 16 janvier 1982, devant le Corps diplomatique accrédité au Vatican, il a affirmé : « Dans l'opinion publique du monde entier se renforce de jour en jour la conviction que les peuples doivent pouvoir choisir librement l'organisation sociale à laquelle ils aspirent pour leur propre pays et qui... doit être conforme à la justice dans le respect de la liberté, de la foi religieuse et des droits de l'homme en général »[24]. Il était tout à fait dans la ligne de l'invite adressée à la Guinée équatoriale, en octobre 1980, par l'Union syndicale africaine, de rétablir le droit d'association violé depuis 1969.

L'émotion bien légitime du pape devant l'écrasement de la Pologne et du syndicat Solidarité par l'armée suscita toutefois quelque gêne dans l'opinion internationale. L'exemple de la réaction des « mères de la place de Mai » (Argentine) est à ce titre significatif : se plaignant de l'identification de l'épiscopat argentin avec le régime politico-militaire coupable de nombreuses disparitions, elles ont affirmé dans une déclaration remise au cardinal Gantin, en charge de Justice et Paix, à Rome (et qui a eu l'occasion de négocier avec les nguemistes comme nous l'avons vu plus haut), qu'à leur avis « les épiscopats des autres nations latino-américaines et... celui de Pologne... se sont érigés en défenseurs intrépides de la dignité humaine ». Et ces mères et épouses de disparus disent attendre [PAGE 20] du pape « une claire prise de position sur ce thème »[24bis].

Un espoir identique anime le Communiqué que l'Alianza Nacional de Restauración Democratica (A.N.R.D.) de Guinée équatoriale – principal mouvement de résistance à la dictature nguemiste, depuis 1974 – a publié le 15 février à l'occasion de la visite du pape[25]. Après treize ans de dictature des mêmes hommes, et de violation systématique des droits de l'homme, l'A.N.R.D. se permet de rappeler au Saint-Père les étapes préconisées par la Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies en vue de la restauration des libertés dans le pays :

1. Adoption par le gouvernement de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme; adhésion aux Pactes internationaux en la matière; promulgation de la loi sur les associations.

2. Promulgation d'une véritable amnistie; amélioration de l'enseignement, de la presse, de la santé publique, etc.

3. Convocation d'une convention ou assemblée constituante; organisation d'un référendum sur une nouvelle Constitution démocratique, avec la participation de tous les partis politiques.

Au printemps 1981, la junte du colonel Obiang Nguema repoussa ces sages conseils. Pire : grâce à un simili-complot, mis au point par le numéro deux de la hiérarchie militaire, le lieutenant-colonel Mba Oñana, parent de sang d'Obiang Nguema, les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères qui avaient travaillé avec la mission de la Commission des Droits de l'Homme ont été incarcérés, accusés de subversion ou de trafic de drogue, et condamnés à de longues peines de prison par un tribunal militaire, composé essentiellement d'officiers ayant déjà fonctionné comme juges sous Macias Nguema, et dont le procureur général n'était autre que le commandant [PAGE 21] Seriche Bioco Dugan, qui est venu présenter au pape l'invitation à se rendre en Guinée équatoriale. L'A.N.R.D. termine son communiqué en lançant « un appel à Sa Sainteté Jean-Paul II pour que son voyage ne serve as à renforcer l'état de siège dans lequel vit notre pays depuis plusieurs années ».

« L'A.N.R.D. lance également un appel à tous les militants pour les mettre en garde contre le fait que le gouvernement que préside le neveu de Macias Nguema, Obiang Nguema, va utiliser le voyage du pape Jean-Paul II en Guinée équatoriale pour tromper l'opinion publique et lui cacher les violations des droits de l'homme existant dans le pays. »

« L'A.N.R.D. lance enfin un appel à tous les catholiques et chrétiens de Guinée équatoriale pour qu'ils demandent au pape Jean-Paul II de leur accorder son appui pour le rétablissement des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans leur pays. »

L'espoir de l'intelligentsia équato-guinéenne, infiltrée dans le pays ou en exil, se fonde sur le fait que le pape semble, depuis les événements de Pologne, se montrer particulièrement solidaire avec les nations opprimées. Le journaliste helvétique Bernard Heimo, à la suite de deux journées passées au Vatican, fin 1981, écrit que lors de la dernière audience générale de 1981, Karol Wojtyla, « dans son discours [prononça] des mots qui reviennent sans cesse : amour du prochain, espoir de voir les hommes arrêter de s'entre-déchirer, de se battre, de voir les droits de l'homme enfin respectés partout »; et un peu plus tard, de sa fenêtre sur la place Saint-Pierre, le pape « une fois de plus... a prononcé des paroles qui résonnent d'une drôle de façon dans l'époque que nous vivons : paix, amour, droit de l'homme, liberté, espoir »[26].

Durant les courtes heures passées à Santa Isabel et à Bata, le pape n'a jamais prononcé l'expression « droits de l'homme ». Il s'est empressé de donner à son voyage « une finalité exclusivement évangélisatrice », étant venu pour « promouvoir l'entreprise d'évangélisation ». Les autres paroles du pape n'ont été qu'allusives. Aussi, les connaisseurs de la junte estiment-ils que ce type de langage [PAGE 22] n'a guère dû l'émouvoir. « Je suis sûr que les ressources morales de ce cher peuple [c'est nous qui soulignons] stimulent ce climat de collaboration mutuelle [beau pléonasme] et d'unité des intentions qui servent à implanter des conditions de moralité privée et publique croissantes aptes à conduire vers un véritable et croissant progrès spirituel et matériel. Dans cette tâche peuvent occuper leur poste tous les fils de ce Pays, ceux qui vivent à l'intérieur et ceux qui vivent à l'extérieur de celui-ci, et qui aspirent à travailler pour lui par-dessus les barrières contingentes »[27]. Alors que des visiteurs laïques, dont l'ex-premier ministre espagnol Calvo Sotelo, ont su être précis et clairs, en parlant un langage que comprennent les militaires et leurs complices civils, le pape Jean-Paul II s'est, lui, gardé de définir les « barrières contingentes », c'est-à-dire la violation quasi totale des droits de l'homme et des libertés fondamentales par les nguemistes qui usurpent le pouvoir depuis quatorze ans alors que les prisons du Rio Muni et de Fernando Poo regorgent de prisonniers politiques, et qu'un tiers de la population reste réfugié à l'étranger.

A Obiang Nguema, plus particulièrement, Jean-Paul II a dit que le « peuple aspire à un climat social d'authentique liberté, de justice, de respect et de promotion des droits de chacun... pour se réaliser comme homme et comme fils de Dieu ». Là encore, un langage étranger à des hommes élevés dans le fascisme espagnol, et qui se sont exercés quinze ans durant dans une dictature népotique. Le Saint-Père a évidemment offert le soutien de l'Eglise en vue de collaborer au bien commun dans « ce délicat moment historique » en vue de la « réconciliation des esprits »[28]. Mais pas de mode d'emploi.

La tiédeur des propos de l'illustre visiteur jure avec l'intrépide défense de la dignité humaine de l'épiscopat polonais, et avec ses propres appels au respect des droits de l'homme depuis Rome, et n'a rien d'une « claire prise de position » comme celle qu'espèrent les « mères de la [PAGE 23] place de Mai » et l'A.N.R.D. La presse d'Espagne (le pape s'est rendu dans ce pays en mai 1982) a marqué son étonnement devant cette attitude plus que modérée, en soulignant la prudence affichée par le pape[29] qui, à l'heure du départ de Bata, n'a rien trouvé de plus percutant à dire à un peuple exsangue – hormis la recommandation de cultiver les grandes valeurs morales – que : « J'emporte avec moi le sourire de vos enfants »[30]. .

Ce constat de tiédeur se double d'un autre : Radio Vatican, l'Agence France-Presse et d'autres, ont inondé les médias de l'affirmation suivante : la Guinée équatoriale a connu « onze ans de régime tyrannique »[31]. Sur ce thème, qui prend à la lettre le prétendu « Coup de la Liberté » des complices de Macias Nguema, les commentateurs se sont mis à broder. C'est le cas de l'envoyé de la Radio suisse-romande au Vatican, et correspondant de la Gazette de Lausanne, Jean Neuvecelle[32] qui, après avoir rappelé qu'en Guinée équatoriale « l'Eglise... a été cruellement persécutée sous la dictature de Macias Nguema », ajoute : « La dictature est finie : l'évêque Nze Abuy, expulsé[33], a pu réintégrer son diocèse. » Peu importent les violations de quasi tous les droits de l'homme énoncés par la Déclaration universelle : la dictature est finie, puisqu'un des deux évêques est revenu et que les églises ont réouvert leurs portes. Rien sur les prisons, sur les 110 000 réfugiés à l'étranger, rien sur la « résurrection » d'un des complices de Macias Nguema, récemment réincorporé dans l'armée après avoir été fusillé en compagnie de l'ex-dictateur le 29 septembre 1979; rien sur la corruption, la prévarication, l'incompétence; rien sur le viol de la valise diplomatique espagnole, sur les exactions de l'armée, des gardes marocains d'Obiang Nguema, des frères [PAGE 24] de celui-ci; rien sur le découragement de la coopération espagnole; rien sur le séquestre du pays par les jeunes « tigres » du clan de Mongomo, ni sur la disette qui frappe en particulier les « souriants enfants » de Guinée équatoriale, etc. « La dictature est finie : l'évêque Nze Abuy a pu rentrer dans son diocèse. »

Quant à Radio-Vatican, elle s'est exprimée toute la Journée du 18 février sur le thème « la dictature passée », dans le style suivant : Maintenant qu'on ne persécute plus l'Eglise, tout va bien. A Paris, le quotidien catholique La Croix, développant ce thème, évoquait « la liberté retrouvée »[34] et faisait état d'« une aube nouvelle après onze ans de persécution »[35]. Il est vrai qu'on trouve tout de même quelques constats d'un autre type :

– Le pays demeure ruiné;

– La Guinée équatoriale a du mal à revivre;

– La situation économique est toujours aussi désastreuse;

– L'Eglise continue à semer le bien;

– « Ce n'est pas encore la confiance retrouvée pour les catholiques de ce minuscule Etat »[36].

Il n'est pas possible que le Vatican n'ait pas été informé par le clergé de Guinée équatoriale sur la multiplication des disparitions « à l'argentine », sur les prisonniers politiques, les désordres de toute nature (trafic de drogue, confiscation de sociétés commerciales créées par des réfugiés attirés par la fausse amnistie d'octobre 1979, violation des règles diplomatiques). La tiédeur du Vatican, sous Macias Nguema déjà, est nouvellement perceptible aujourd'hui. Elle inquiète les Equato-Guinéens qui aspirent au retour à un régime démocratique.

Nous avons évoqué plus haut les arguments du Père Ela, fondés sur le thème voltairien : « le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne » (Essai sur les mœurs); en l'espèce, le petit nombre, c'est le clan de Mongomo et les intérêts étrangers, [PAGE 25] espagnols, américains, marocains, gabonais, soviétiques et surtout français. On ne peut s'empêcher de voir dans les effets de la visite du pape une légitimation des héritiers de Macias Nguema. Le semblant de paix intérieure, dans le refus des droits civiques, ne dérange pas les intérêts qui collaborent avec la junte, notamment en matière pétrolière. On sait bien, ainsi que l'a laissé entendre J.-M. Ela, que « pour sa propre sécurité la bourgeoisie locale a besoin de sécurité "nationale", sans laquelle les entreprises étrangères installées dans le pays ne peuvent lui assurer les factures de prestige et les moyens de son exhibitionnisme qui se traduit par les habitudes de consommation ostentatoires. Bref, l'Etat colonial [et néo-colonial] conteste à l'homme le droit à l'opposition dans un contexte où les économies étrangères profitent à une caste privilégiée »[37]. Le pouvoir nguemiste correspond à cette bourgeoisie qui réduit le pays, depuis 1969, à un Etat colonial; aujourd'hui n'y règne l'« ordre » que grâce à une garde prétorienne de 600 soldats marocains[38] et 460 coopérants civils et militaires espagnols[39]. Grâce aux mercenaires chérifiens, Obiang Nguema parvient à calmer une frousse viscérale d'être liquidé : « Les apparitions publiques d'Obiang Nguema sont rares. Il a peur. Il lui faut deux cents hommes armés jusqu'aux dents pour passer du palais présidentiel au Palais du Peuple, qui est à l'angle de la rue »[40].

Forte du plébiscite papal – même si ce n'est qu'un plébiscite de fait – la junte nguemiste a jeté au panier les recommandations de la Commission des Droits de [PAGE 26] l'Homme, de l'E.C.O.S.O.C. et du secrétaire général des Nations-Unies, en vue du retour à un Etat de droit. Conforté par un Programme des Nations-Unies pour le Développement (P.M.U.D.), téléguidé par le F.M.I. – qui organisait en avril 1982 une Conférence des pays donateurs préparée par des experts espagnols et français – Obiang Nguema a jeté aux orties l'idée d'un retour à la démocratie. Il désigne une commission composée essentiellement de complices de Macias Nguema, dont le tortionnaire Obama Nsue Mengue, dit Mbato (le gourdin), aujourd'hui ambassadeur de Guinée équatoriale au Gabon, pour pondre une Constitution, sans aucune participation populaire. Cette « constitution » est soumise au vote des prisonniers du nguemisme milieu août 1982, avant même que le texte ne soit publié dans Ebano, le seul périodique paraissant occasionnellement dans le pays. Et dans des urnes encadrées par l'armée, la population affolée a déposé un oui (le bulletin « non » était d'une autre couleur !), sans se rendre compte qu'ainsi était simultanément adoptée une clause complémentaire à la Constitution, par laquelle Obiang Nguema se faisait « plébisciter » président de la République pour un terme de sept ans. Commentant cette farce, la Commission Internationale des Juristes (C.I.J.), dans un document transmis à la Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies, écrit que « Du temps de Macias Nguema l'Etat était gouverné sans lois, par des règlements purement arbitraires »; aujourd'hui, les dispositions de la nouvelle Constitution « rappellent ce qui s'est fait au Chili... en 1980... [et] de la même façon, en novembre 1982, en Turquie »[41].

En octobre 1982, Obiang Nguema remaniait son gouvernement, le transformant en un organisme civil (tout en gardant les mêmes hommes, la plupart militaires, ou membres de l'ex-milice et instruments de la terreur que fut la Juventud en marcha con Macias). Dans son analyse déposée en février 1983, la Commission Internationale des Juristes (Genève) déclare la nouvelle Constitution nguemiste comme parfaitement dictatoriale, outrancièrement [PAGE 28] présidentielle et gravement lacunaire (notamment parce qu'elle évacue le droit d'association); un document, démontre-t-elle, imposé au pays au nez de l'opinion publique.

Pendant qu'Obiang Nguema organisait à l'intérieur ce simulacre de démocratie, à l'intention de l'extérieur, sa junte mettait à profit la visite papale. C'est ainsi qu'on annonça en juillet 1982 la frappe par la Banque centrale de 50 000 pièces d'or équato-guinéennes, de deux onces chacune, à l'effigie du pape Jean-Paul II, sculptée par le peintre-sculpteur ouest-allemand Linus, et d'une pièce similaire en argent. Un prospectus multicolore fut alors distribué en R.F.A. En bons fils de l'Eglise universelle, les autocrates nguemistes laissaient entendre qu'une partie des revenus de cette pièce, la plus grande jamais réalisée, serait mise à la disposition du Vatican pour ses bonnes œuvres dans le Tiers-Monde. Par ailleurs, le 18 février, date de la visite papale, sera dorénavant célébré comme jour férié officiel.

L'intérêt que montrent depuis 1979 les démocraties occidentales pour la Guinée équatoriale va sans nul doute attirer d'autres personnalités que Jean-Paul II dans le petit Etat du Golfe de Guinée. Jusqu'à la petite Suisse qui s'est sentie subitement émue par le délabrement, dû aux nguemistes, de la léproserie de Mikomeseng (qui a cessé de fonctionner dès 1973) et qui a engagé un million de francs suisses (1/2 Mo de dollars) pour sa remise en état; alors que l'on sait que les hommes qui ont organisé la destruction du pays sont toujours là, sinon qu'ils ont renversé les alliances. Malheureusement, cette présence occidentale, laïque et religieuse, ne modifie en rien l'écrasement du peuple équato-guinéen par une bande au pouvoir depuis 1968. « Alors que bien des pays ont été attirés par les richesses minières et agro-forestières ou par la situation stratégique de la Guinée équatoriale, ils n'y font rien pour garantir la protection des droits du peuple. Les "affaires intérieures" ne sont intéressantes pour eux que dans la mesure où elles protègent leurs intérêts, non les populations dépouillées de leurs droits et soumises par une tyrannie barbare qui règne dans le pays »[42].

Ainsi, de l'avis de tous les observateurs sérieux, rien n'a [PAGE 28] changé en Guinée équatoriale, et « la dictature continue »[43]. C'est pourquoi, en sa 39e session, la Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies a décidé de maintenir à l'étude, pour 1984, le cas de la Guinée équatoriale sous le point 12 : « Questions de violation des droits de l'homme et des libertés fondamentales », soit deux ans après la visite du pape Jean-Paul II à Santa Isabel et à Bata.

Il est probable que la visite de Jean-Paul Il n'a pas eu l'effet d'une « nouvelle Pentecôte »[44] pour le peuple de Guinée équatoriale, tant à l'intérieur que dans la diaspora. La priorité de l'Eglise romaine, clairement indiquée par le pape, semble être, pour les « chers peuples » d'Afrique noire l'entreprise d'évangélisation, la quête d'âmes; le fait qu'au cœur du périple de février 1982 se soit trouvé le Nigeria n'est pas un hasard. La poussée de l'Islam est dans ce pays plus sensible que dans d'autres. Devant le silence du pape sur les problèmes raciaux en Afrique australe, les leaders religieux musulmans du Nigeria ont flairé le but prosélytique de sa visite et ont refusé d'assister à la rencontre prévue à Kabula, attitude qui a été ressentie par Jean-Paul II comme une humiliation[45]. Le problème musulman ne se posait évidemment pas en Guinée équatoriale, sinon peut-être au Gabon.

L'avenir montrera si le Souverain Pontife a su transmettre à T. Obiang Nguema et à ceux qui l'entourent le souffle évangélique nécessaire pour soulever la montagne d'oppression sous laquelle ils écrasent le peuple depuis quinze ans. Un souffle démocratique aurait pu faire l'affaire d'une réconciliation nationale, à travers une Assemblée constitutionnelle représentative de tous les milieux[46]; mais en été 1982 la dictature nguemiste en a [PAGE 29] décidé autrement et perdu sa dernière chance de faciliter la réconciliation nationale.

Que la Guinée équatoriale reste dans la sphère d'influence espagnole, ou bascule dans celle de la France, rien n'y changera aussi longtemps que les seuls intérêts économiques – qu'ils soient exprimés par des amis de gauche ou de droite – justifient ces mésalliances. Le voyage du pape Jean-Paul II n'a, hélas, rien modifié à cette réalité, sinon qu'il a renforcé la détermination de l'A.N.R.D. d'œuvrer à la destruction du nguemisme. Le quadrillage du pays par la résistance à la dictature est présentement réalisé, au point qu'un gouvernement réellement démocratique devrait pouvoir succéder à Obiang Nguema avant même que ne s'achève son septennat. Puisse ce retour à une République démocratique se faire sans effusion de sang.

C'est la grâce que nous souhaitons à la Guinée équatoriale.

Max LINIGER-GOUMAZ
Ecole supérieure de cadres pour l'économie et l'administration, Lausanne


[1] L. Hurbon, « Les contradictions de l'Eglise sous la dictature de Duvalier », Le Monde, Paris, 9 mars 1983, p.4; et d'ajouter : « Cette visite ne vient-elle pas s'intégrer dans le cadre d'une Eglise concordataire, parfaitement à l'aise aujourd'hui et qui proclame à cor et à cri l'harmonie enfin réalisée "du spirituel et du temporel" en Haïti. »

[2] J.-M. Ela (Rév.), Le cri de l'homme africain. Questions aux chrétiens et aux églises d'Afrique, L'Harmattan, Paris, 1980, 168 p. (p. 8).

[3] Régime auquel ont activement participé tous les hommes qui sont aujourd'hui au pouvoir, après la révolte de palais d'août 1979. C'est le régime monopolisé par la seule famille Nguema et alliées du clan Esangui, de la région de Mongomo, à l'Est du Rio Muni. Avec ses nombreux caractères fascistes, ce régime a été qualifié de « nguemisme », par analogie avec franquisme. Pour une approche détaillée des faits et gestes des dictateurs nguemistes et de leurs complices, cf. M. Liniger-Goumaz, Guinée équatoriale. De la dictature des colons à la dictature des colonels, Les Editions du Temps, Genève, 1982, 224 p., ill., cartes, indexes, bibliographies.

[4] Op. cit., pp. 90-91.

[5] Le jugement du père Ela était corroboré en juin 1981 par celui de Ph. Decraene, de retour de Santa Isabel : « Peu attentif aux violations constantes des droits de l'homme en ce pays, le gouvernement de M. Raymond Barre avait compris tous les profits qu'une minorité d'hommes d'affaire français pouvait tirer d'un Etat qui, sous prétexte de contrebalancer l'influence des pays de l'Est, multipliait [?] les avances en direction de Paris », « Tensions internes et convoitises étrangères », Le Monde diplomatique, Paris, juin 1981, p. 10.

[6] M. Graullera utilise le terme de macisme en lieu et place de nguemisme. « ... le passage de Macias [Nguema] à Obiang [Nguema] ne suppose pas la disparition du macisme. Selon ce que j'ai pu constater personnellement, le macisme avait un sens de destruction et de privilège. Le système de destruction a été freiné avec le départ de Macias [Nguema], mais le système de privilège sera lui difficile à détruire... Ce qui est véritablement grave en ce moment en Guinée [équatoriale], c'est qu'on n'utilise toujours pas les organes compétents pour exercer les fonctions de l'Etat, étant donné que pour l'exercice de ces fonctions on utilise des personnes qui n'ont pas de compétences administratives, et qui exercent un pouvoir parallèle ». Quant aux relations de la dictature nguemiste civile et l'Eglise, Graullera dit : « Macias [Nguema) d'après ce que l'on m'a raconté était un paranoïaque sectoriel qui ne réagissait violemment que face à deux thèmes : L'Espagne et l'Eglise », « El ultimo virrey », El País semanal, 233, Madrid, 27 septembre 1981, pp. 11-14.

[7] Cl. Wauthier, « L'espoir déçu », Jeune Afrique, Paris, 9 septembre 1981, pp. 50-51.

[8] I. Olivares, « Guinea Ecuatorial : miedo, miseria y corrupción », Interviú, VII, 342, Madrid, 1-7 décembre 1982, pp. 110-116.

[9] R. Pélissier, « La colonisation espagnole en Afrique noire », Africa, 146, Dakar, décembre 1982, pp. 35-38, ill.

[10] J. Canard, « Réponse à un chargé d'affaires peu banales ». Le Canard enchaîné, Paris, 9 mars 1983.

[11] J.-M. Ela, op. cit., pp. 92-93.

[12] Le Monde, Paris, 14-15 février 1982, p. 7.

[13] Le capitaine Seriche Bioco Dougan, membre du Conseil militaire suprême (C.M.S.), a été ministre des Travaux publics, Habitat et Transports, et occupait depuis le 5 mars 1981 le poste de ministre de la Santé. Il a été élevé au grade de capitaine le 3 février 1981. En octobre 1982,outre Premier ministre, il a été désigné ministre de la coordination interministérielle, chargé du ministère de la Planification, développement économique, et du secteur financier.

[14] Mba Oñana est l'organisateur, avec les frères d'Obiang Nguema, des simulacres de complots montés contre le président, qui permettent – comme sous Macias Nguema – d'éliminer les « indésirables ». Mba Oñana, homme à scandales, a été chargé également des Affaires de défense nationale, de Sécurité de l'Etat, et du Secteur politique national. Le simulacre de complot de mai 1983 ne lui est pas non plus étranger.

[15] Société internationale des Pères Missionnaires Clarétins, 221 West Madison Street, Chicago (Ill. 60606), U.S.A.

[16] Dont il faut provisoirement défalquer la superficie des îles Mbañe, Conga, Cocotiers et le territoire de Kiosi que le Gabon a arrachés à la Guinée équatoriale par une opération militaire en 1972, dont la presse dit alors qu'elle avait une « odeur de pétrole ».

[17] Mgr Nze Abuy, né en 1924, est devenu prêtre en 1954. Après son départ, en 1972, il démissionna de sa charge, en mai 1974, pour éviter des représailles contre les prêtres restés au pays. Le Saint Siège l'a réintégré le 26 juin 1980.

[18] Notamment le vicaire du diocèse de Bata A.M. Ndongo, en 1976, alors que la prison de Bata était dirigée par S. Ela Nseng, cousin d'Obiang Nguema, devenu deuxième vice-président de la République après le coup d'Etat (et qui est aujourd'hui ambassadeur à Beijing).

[19] Anonyme, « Deuxième voyage d'Afrique pour Jean-Paul II », L'Echo illustré, Genève, 13 février 1982, p. 6. Ce journal est publié avec le Père André Babel, responsable des émissions catholiques de la Radio suisse-romande, comme conseiller religieux. A propos des Nations Unies, cf. M. Liniger-Goumaz, « Nations Unies et régimes autocratiques. Un exemple africain : la Guinée équatoriale », Genève-Afrique. Revue de la Société suisse d'études africaines, Institut universitaire d'études du développement, Genève, 21 semestre 1981, pp. 7-60.

[20] C'est par « La liberté reconquise » qu'un lamentable encart publicitaire présente la nouvelle dictature nguemiste dans Jeune Afrique (no 1021, 30 juillet 1980). On comprend que Le Canard enchaîné ait réprouvé plus récemment, concernant d'autres pays, ce type de « journalisme » vénal.

[21] Cf. notamment M. Liniger-Goumaz, « Deux ans de dictature poste-Macias Nguema (1979-1980). Les titres de la presse internationale : indices d'histoire immédiate », Genève-Afrique, Revue de la Société suisse d'études africaines, Institut universitaire d'études du développement, Genève, 1980, no XVIII, 2, pp. 155-180; M. Liniger-Goumaz, « Guinée équatoriale : dictature et convoitises (1982-1983). Les titres de la messe internationale comme indices d'histoire immédiate », Peuples noirs-Peuples africains, 33, Paris, 1983.

[22] Des 36 participants équato-guinéens à la conférence constitutionnelle, plusieurs ont été assassinés par le régime nguemiste dont les Obiang Nguema, Ela Nseng, Maye Ela, Mba Oñana, Seriche Bioco Dougan, Ochaga Nve, etc., étaient, et sont encore, les piliers.

[23] P. Rouquairol, « Deux ou trois choses que je sais de la Guinée équatoriale », Le Mois en Afrique, Paris, octobre-novembre 1981, pp. 54-60 (p. 56).

[24] Le Monde, Paris, 19 janvier 1982, p. 3.

[24bis] J. Després, « Les "mères" de la place de Mai » critiquent l'attentisme de l'Eglise devant la répression », Le Monde, 24-25 janvier 1982, p. 2.

[25] A.N.R.D. (Comité central), Communiqué de l'A.N.R.D. de Guinée équatoriale à l'occasion du voyage du pape Jean-Paul II dans notre pays le 18 février 1982, En exil, 15 février 1982, 3 p.

[26] B. Heimo, « Deux jours avec le pape », Lausanne-Cité, 92, Lausanne, 4 mars 1982, p. 20.

[27] Anonyme, « Ciascuna chiesa deve essere capa di reggirsi con le propie forze », L'Osservatore romano, Cité du Vatican, 18 février 1982, pp. 1-2.

[28] Anonyme, « Impregnare ogni energia morale nelle difficile ricostruzione del Paese », L'Osservatore romano, Cité du Vatican, 20 février 1982. pp. 1-2

[29] J. Arias, « Juan Pablo II fué prudente en los discursos pronunciados ayer en Guinea Ecuatonal. Un piloto soviético tripulo el avión que Ilevó el Papa », El País, Madrid, 19 février 1982.

[30] Anonyme, « Porto con me il sonriso dei vostri bambini », L'Osservatore romano, Cité du Vatican, 18 février 1982.

[31] A.F.P., « Jean-Paul II en Guinée équatoriale », Journal de Genève, Genève, 1 février 1982, p. 20.

[32] J. Neuvecelle, « Face à face : l'Evangile et la culture africaine », Gazette de Lausanne, 15 février 1982, p. 1.

[33] En réalité, Mgr Nze Abuy est parti de son propre gré. J. Neuvecelle le confond avec Mgr Gomez Marijuan, l'évêque espagnol expulsé en 1969.

[34] J. Ficalier, « Les soubresauts d'une liberté retrouvée », La Croix, Paris, 19 février 1982, p. 14.

[35] F. Lecambre, « Une aube nouvelle après onze ans de persécution », La Croix, Paris, 9 février 1982, p. 11.

[36] J. Ficalier, « Une Afrique en mouvement », La Croix, Paris, 11 février 1982, p. 3.

[37] J.-M. Ela, op. cit., p. 93.

[38] En échange de la renonciation à la reconnaissance par la Guinée équatoriale du Front Polisario. Depuis le remplacement de Macias Nguema par Obiang Nguema, dans toutes les enceintes internationales (en particulier l'O.N.U. et l'O.U.A.), la diplomatie équato-guinéenne a calqué ses votes sur ceux du Maroc et des Etats-Unis, à l'instar du Gabon, du Zaïre et du Salvador.

[39] On aurait pu imaginer qu'Obiang Nguema s'abriterait aussi derrière les deux unités de troupes d'intervention (anti-émeutes) équato-guinéennes (Grupos Especiales de Operaciones, G.E.O.), hâtivement formées en Espagne, à Guadalajara. Il n'en est rien. Au contraire : Obiang Nguema voit en eux un risque de nouveau coup d'Etat. Aussi s'en est-il débarrassé dans un premier temps au Rio Muni, et dans un second en les prêtant au régime frère de Sao Tomé et Principe, soutenu, lui, par l'Union soviétique.

[40] I. Olivares, op. cit., p. 115.

[41] Commission Internationale des Juristes, Une nouvelle Constitution en Guinée équatoriale. Déclaration écrite présentée par le Conseil Economique et Social des Nations Unies, Commission des Droits de l'Homme, 39e Session, Point 12, Genève, 31 janvier 1983. Doc. E/CN.4/1983/NGO/4, 4 p.

[42] J.-M. Ela, op. cit, p. 91.

[43] Cf. Africa, Dakar, 1er octobre 1982; le même titre dans Afrique nouvelle, Dakar, 2 mars 1983, pp. l2-31.

[44] Anonyme, « La visite du Pape : une nouvelle Pentecôte pour l'Eglise du Gabon », La Croix, Paris, 13 janvier 1982, p. 12.

[45] J. Arias, « Los líderes religiosos islámicos de Nigeria pusierón en grave apuro al Pontifice », El País, Madrid, 17 février 1982, p. 5.

[46] C'est ce que ne se lasse pas de répéter le secrétaire général de l'Alianza Nacional de Restauración democratica (A.N.R.D.), le mouvement qui regroupe, à l'intérieur et à l'extérieur du pays, les résistants à la dictature nguemiste, le Prof. C.-M. Eya Nchama. Cf. notamment La Voz del Pueblo. Organo de información de la A.N.R.D. En exil, janvier 1983, 40 p., qui présente les communiqués qu'elle a publiés entre 1980 et 1982 à propos des agissements d'Obiang Nguema et de ceux qui l'incitent à persévérer. On y lit le communiqué du 15 février 1982 à propos du voyage du pape Jean-Paul Il en Guinée équatoriale, et en particulier : « L'A.N.R.D. souhaite faire savoir à Sa Sainteté le pape Jean-Paul Il que la Guinée équatoriale, qui a une population à 90 % catholique, ne peut pas décider de son futur...»