© Peuples Noirs Peuples Africains no. 32 (1983) 63-99



L'ECRIVAIN AFRICAIN ET SES PUBLICS :

LE CAS DE BERNARD DADIE

S. ADE OJO

Nous prions le lecteur de bien se persuader que nous aurons été, comme lui, sensibles aux inexactitudes d'interprétation, aux insuffisances, aux naïvetés confinant souvent à l'extravagance, qui émaillent l'étude ci-dessous. Nous l'avons surtout publiée pour la raison suivante, outre qu'elle ne manque pas d'intérêt malgré tout : c'est ici, apparemment, le produit typique de recherches effectuées dans un climat que caractérise la raréfaction des échanges. L'hypothèse la plus probable semble que l'auteur a dû faire sa thèse sous la férule d'un directeur particulièrement borné.

C'est précisément pour contrecarrer et, pourquoi pas, anéantir la désastreuse influence de tels fanatiques, presque toujours membres de l'Université française et vieillards obstinés à distiller leur poison, que cette revue a été créée. Comme on va le voir, elle n'est pas près d'achever sa mission.

N.D.L.R.

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[PAGE 64]

INTRODUCTION : LE LIVRE ET L'HOMME NOIR

Depuis que l'Allemand Johann Gensfleisch dit Gutenberg a découvert en 1440 l'impression à caractères mobiles, le livre est devenu plus que jamais l'instrument privilégié de la diffusion et de la communication du savoir[1]. Des premières origines jusqu'à la fin du siècle dernier, les Européens s'en servaient exclusivement pour dominer le monde et pour propager leur savoir, leurs préjugés et les mythes de leur supériorité intellectuelle.

C'est surtout grâce au livre qu'ils sont arrivés à se présenter comme directeurs des consciences et juges infaillibles des peuples conquis et dominés, à donner une image faussée du Noir, à représenter l'Afrique comme une « terra incognita ». De ce continent, les Européens ne présentaient au monde que l'aspect le plus sordide et le plus ignoble de sa géographie, de son histoire et de sa vie socio-culturelle. Du Noir, l'image était encore pire. Il symbolisait pour la grande majorité des Blancs le sauvage, le barbare, l'attardé, bref, l'aspect le plus négatif de la personnalité humaine[2].

On peut dire qu'après que Dieu eut créé l'Etre humain à son image, le Blanc a décidé quant à lui de refaire le Noir à l'image de l'Anti-Blanc en se fondant sur des critères auxquels le Noir ne devait en rien contribuer :

    Le Noir, l'obscur, l'ombre, les ténèbres, la nuit, les labyrinthes de la terre, les profondeurs abyssales ( ... ) et de l'autre côté : le regard clair de l'innocence, la blanche colombe de la paix, la lumière [PAGE 65] féerique, paradisiaque ( ... ). En Europe, c'est-à-dire dans tous les pays civilisés et civilisateurs, le Nègre symbolise le péché. L'archétype des valeurs inférieures est représenté par le Nègre. Le mal (y) est représenté par le Noir. ( ... ) Le bourreau c'est l'homme noir, Satan est noir, on parle de ténèbres quand on est sale, on est noir, que cela s'applique à la saleté physique ou à la saleté morale[3].

Voilà les propos d'un révolutionnaire noir aigri par l'image du Noir que propageaient la plupart des livres des Blancs; la réaction d'un homme blessé dans sa dignité d'homme; la satire d'un démystificateur iconoclaste dont les pairs et frères de race avaient comme noms Aimé Césaire, Léopold Senghor, Léon Damas et Léon Laleau.

Quatre ans avant que le monde blanc fût amené à lire dans Peau noire, Masques blancs de Fanon les propos cités ci-dessus et d'autres encore dont il ne voulait pas prendre conscience, les quatre poètes noirs dont les noms sont mentionnés avaient dû descendre avec douze autres encore sur le public blanc avec une fougue et une verve jusque-là inouïes. Le monde blanc en était saisi. Il y eut un remous.

1. L'ECRIVAIN NOIR ET SES DEUX PUBLICS

Les Noirs ont parlé, et avec autorité. Le monopole du livre détenu presque exclusivement par le Blanc était une fois de plus ébréché[4]. Ils commencent eux aussi à participer [PAGE 66] à la révolution du livre. Ils ont une fois encore affirmé leur présence intellectuelle, politique, culturelle et historique qu'avait niée jusque-là le Blanc dans ses livres. La condamnation du Blanc est non seulement unanime, mais aussi totale dans la poésie démystifiante de chacun des seize poètes noirs. Le Blanc est vu, jugé et condamné! Le premier Blanc à reconnaître ouvertement ce ton révolutionnaire des Noirs est le philosophe existentialiste Jean-Paul Sartre, qui va jusqu'à déclarer dans sa préface à La Nouvelle Poésie nègre et malgache de langue française :

    « Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d'être vus. Car le Blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu'on le voie ( ... ). Aujourd'hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans ces yeux; des torches noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que de petits lampions balancés par le vent. ( ... ) Au moins espérions-nous (nous, jadis, Européens de droit divin) retrouver un peu de notre grandeur dans les yeux domestiques des Africains. Mais, il n'y a plus d'yeux domestiques : il y a les regards sauvages et libres qui jugent notre terre (...). Par ces regards tranquilles et corrosifs, nous sommes rongés jusqu'aux os ( ... ). (Les poèmes) ici n'ont pas été écrits pour nous; tous ceux, colons et complices, qui ouvriront ce livre, croiront lire, par-dessus une épaule, des lettres qui ne leur sont pas destinées. C'est aux Noirs que ces Noirs s'adressent et c'est pour leur parler des Noirs; leur poésie ( ... ) est une prise de conscience. (Mais) cette poésie qui paraît d'abord raciale est finalement un chant de tous et pour tous ( ... ) Cette poésie est fonctionnelle (elle) manifeste l'âme nègre »[5].

[PAGE 67]

Voilà posés en termes très clairs les objectifs de l'écrivain noir et le problème de son public. Tout en manifestant l'âme noire, définissant (ce que Sartre appelle) « l'être-dans-le-monde-du-Noir », soulignant les problèmes de son intégration dans un monde dominé par le Blanc et affirmant sa présence dans cet univers, l'écrivain noir doit anéantir plusieurs forces et mythes néfastes qui ont rendu impossible son épanouissement. Ces forces et mythes sont constitués par le Blanc avec tous ses appareils intellectuels, politiques et militaires. Donc, pour vraiment créer l'image authentique et valable du Noir d'après les critères formulés par le Noir, l'écrivain noir doit déblayer le terrain et le délivrer des décombres. Ce travail de déblaiement, qui ne peut qu'être antithétique et affirmatif en même temps, vise le Blanc. Avec le livre inventé et popularisé par le Blanc et la langue que celui-ci lui a apprise, le Noir s'exprime, s'affirme, s'analyse, se définit, se redresse en même temps qu'il établit son « dessein » – son être-dans-le-monde. Il est évident donc que chaque livre écrit par le Noir vise deux publics – le public noir et le public blanc. La vie, voire la survie du livre du Noir est assurée immanquablement par les deux publics : l'un autochtone, l'autre étranger.

Que doit être la responsabilité du public ? Puisqu'il est celui qui achète le livre ou l'emprunte afin de le lire, il est censé le bien lire, le comprendre l'analyser et le juger. Ainsi deviendra-t-il l'interlocuteur valablede l'auteur. Mais alors que la première catégorie des lecteurs – celle à qui s'adresse directement l'œuvre – doit se sentir concernée par son message et doit être sensibilisée par le contenu (ou le message et le décor) ainsi que le style avec lequel l'auteur s'exprime, la seconde catégorie des lecteurs n'est pas toujours directement concernée. Elle lit l'œuvre pour élargir son horizon intellectuel ou pour se divertir. Pouvons-nous dire que les deux publics africains et blancs qui lisent les livres africains appartiennent à la première catégorie ou à la seconde ou bien aux deux à la fois ? Jouent-ils bien leurs rôles, assurant ainsi la vie des livres africains ?

Que pouvons-nous dire d'abord du public autochtone [PAGE 68] qui n'est pas seulement la source et l'esprit moteur du livre mais aussi celui qui doit profiter de ce que dit l'auteur pour avoir une image raisonnée de lui-même ? Est-ce que l'auteur, pour sa part, est conscient de sa mission envers ce public noir ? Certes, il en est pleinement conscient. Il se voit comme le porte-parole, le guide, le miroir, le point le plus sensible de ce public noir, et en tant que tel, il essaie d'exprimer et maintenir les valeurs fondamentales de ce public qui partage avec lui les mêmes sensibilités et capacités, les mêmes espoirs et problèmes, c'est-à-dire des expériences existentielles semblables.

En tant que témoin et héraut de ce public et celui qui est « fiché dans la chair (de ce public) »[6], l'écrivain noir écrit très souvent des œuvres de témoignage qui ont pour but d'informer ce public de son destin et de ses possibilités, de ses espoirs et désespoirs, de ses forces et faiblesses. Ainsi se donne-t-il toujours pour objectif d'informer ce public et éveiller par là sa prise de conscience de sa condition et de sa possibilité (de soumis et de colonisé d'une part avant les indépendances, et d'autre part d'homme libre après les indépendances).

Cela devrait permettre aux peuples qui constituent ce public de « se mobiliser et entasser (leurs) ressources pour conquérir la liberté et réparer leur vie, la littérature étant une ressource, une arme d'abord d'alarme ou tam-tam de guerre, ensuite une sagaie au même titre que le discours de l'homme politique ou du syndicaliste »[7]. Sainville (1958) souligne l'auteur [PAGE 69] envers son public indigène que met en lumière Dadié, quand il écrit :

    « (la littérature comme) l'observation de la réalité est avant tout ( ... ) l'étude des luttes et des souffrances des peuples, l'exaltation de leurs joies et de leurs peines, la description de leurs rêves ou leurs échecs, toute la vie multiple, grouillante, épique de centaines et de centaines de millions d'hommes, l'histoire de leurs révoltes, celle de leur accession à une vie plus humaine »[8].

Chaque écrivain noir depuis même le stade assimilationniste (1920-1933) de la littérature africaine est conscient de ce rôle de représentant et d'analyste de son peuple. Et, le personnage multidimensionnel de toutes les œuvres est toujours le Noir décrit, défini, jugé et accordé à sa véritable essence. L'auteur cherche toujours à montrer au public noir que son premier personnage, sa première préoccupation et le premier destinataire de son œuvre c'est ce public même; que ce dernier appartient à la première catégorie des lecteurs dont nous avons parlé. Voilà pourquoi il nous est difficile d'être tout à fait d'accord avec Mohamadou Kane (1966), quand il dit que l'écrivain africain ne pense pas toujours à son public africain et n'a pas encore écrit des œuvres qui sont authentiquement valables : « authentiquement africaines dans leur préoccupation, forme et orientation »[9]. Nous ne partageons pas non plus l'avis de Dorothy Blair (1976) lorsqu'elle affirme :

    « None of the writers has ably shown the emotional [PAGE 70] and sentimental difficulties born of the stigma associated with sterility, problems of polygamy, the tradition of the pride-price, tribal and caste antagonisms, alienation and assimilation in a changing society »[10]

Que la forme de certains genres littéraires cultivés par les auteurs africains ne soit pas africaine est sans doute vrai. Mais aller jusqu'à déclarer que l'orientation et les idées qui animent chaque œuvre ne sont pas encore africaines, est bien loin de la vérité. On ne peut qu'être stupéfait de la critique de Blair selon laquelle toute œuvre africaine doit s'occuper de thèmes qu'elle a énumérés et qui sont pour elle les seuls meilleurs moyens pour faire ressentir son atmosphère africaine. Ce qui nous paraît incontestable c'est que l'auteur africain s'adresse premièrement à un public africain, se préoccupe de ce public et s'occupe de ses besoins et de sa condition existentielle. Il le dit tout le temps, et il le manifeste dans son œuvre. Senghor (1973) parle pour ses confrères quand il déclare :

    « J'écris d'abord pour mon peuple car c'est en touchant les Africains de langue française que nous touchons mieux les Français et par-delà mers et frontières, les autres hommes »[11].

Oui, l'écrivain africain écrit pour son peuple. Mais ce qui est encore incontestable, un phénomène que plusieurs critiques ont bien souligné, c'est que le public africain, pour des raisons qui le dépassent, est le dernier à goûter au livre qui lui est adressé. La première raison en est que l'œuvre qui lui est destinée est paradoxalement composée dans une langue qui n'est pas la sienne mais celle des colonisateurs. Puis, l'œuvre est faite en un style qu'il lui est difficile de déchiffrer. Le gros de ce public ne comprend donc rien à cette littérature et n'en est pas touché.

« Quels sont les publics, demande Sainville (1958), aptes [PAGE 71] à en recevoir le message, l'enseignement et l'interrogation ? Est-ce ces immenses foules encore analphabètes qui ne connaissent vraiment qu'une préoccupation, la satisfaction d'une faim endémique ? Certes, non ! »[12]. Cette observation a été faite, il y a déjà plus de vingt ans. Et pourtant, la situation n'a pas beaucoup changé depuis 1958. Le taux de scolarisation est très bas partout en Afrique. « Avec un taux moyen d'alphabétisation de l'ordre de 20 %, l'Afrique noire produit chaque année 250 000 lecteurs auxquels bien entendu s'ajoute la masse des alphabétisés précaires, menacés à tout moment de régresser faute de rapports suffisants »[13]. Chevrier (1974) souligne dans ce constat un problème que tout le monde reconnaît. L'Afrique est encore sous-développée dans tous les domaines et surtout dans le domaine de la scolarisation. Le livre qui lui est destiné n'atteint donc qu'un très faible pourcentage de ses populations surtout celles de grandes villes et de villes de province. Il y a aussi ces milliers d'étudiants qui s'acharnent à lire des œuvres littéraires puisqu'elles figurent sur la liste des textes pour l'examen.

Cependant, ce qui rend la situation un peu déroutante, c'est que l'Afrique n'a pas encore contracté l'habitude de lire les œuvres littéraires. Sans parler des conditions psychologiques, les facteurs économiques et la motivation pour la lecture, l'Afrique préfère s'enrichir (et donc se procurer) des livres qui sont ancrés dans le réel – livres d'histoire, de géographie, etc. C'est cette classe de livres qui lui permettra de trouver la clé qui va lui ouvrir des possibilités de travail. Achebe a confirmé lui aussi cet état de fait dans un petit projet de recherche entrepris il y a vingt ans :

    I discovered from a little crude research conducted in a small British Council library at Enugu in 1958 or 1959 that the European residents of Enugu read fiction, poetry, drama, etc., while Africans read history, economics, mathematics, etc. Africans did not go to that library in search of literary pleasure. They were concerned mostly with [PAGE 72] one or other of the many external exams of London University of The City and Guilds[14].

Que ce soit à Nairobi, à Lagos, à Abidjan, à Dakar ou à Maputo, la situation en 1979 n'est pas tout à fait différente de celle qui a été constatée pour Enugu en 1958.

Le résultat en est que le seul public valable pour l'écrivain est le public occidental dont la langue lui sert à écrire le livre et qui a une habitude plus développée de la lecture. « La malheureuse réalité, dit encore Sainville, c'est que l'écrivain noir doit se tourner, pour le gros de ses lecteurs, vers les publics d'Occident, vers ceux qu'ont déjà bien déformés l'école et la propagande et qui ont besoin d'une rééducation. ( ... ) Le romancier noir écrit pour un public blanc »[15]. Dix ans après les indépendances et douze ans après l'observation de Sainville, Kane (1970) réaffirme une fois encore sa position de 1966, selon laquelle l'écrivain noir n'a pas encore capturé le public en Afrique :

    Le public le plus vaste des écrivains se trouve aujourd'hui encore en Europe et non en Afrique. Les lenteurs de la scolarisation, en dépit de la multiplication des bulletins de triomphe par nos gouvernements, ne changeront pas sensiblement cette situation dans les années à venir »[16].

Certes, la situation n'est pas aussi désespérée que le croit Kane. Depuis les indépendances, le public africain s'est un petit peu élargi quand même, grâce surtout à une plus grande prise de conscience chez un plus grand nombre [PAGE 73] des Africains qui sont convaincus qu'il vaut mieux établir un contact plus encourageant avec les œuvres écrites par leurs compatriotes. Il ne faut pas oublier non Plus d'ajouter à cette catégorie, « les nouveaux convertis » du côté des anglophones (et réciproquement du côté des francophones) qui lisent de plus en plus les œuvres en traduction. Senghor, Tchicaya U Tamsi, Cyono, David Diop, Beti, Dadié entre plusieurs autres sont connus aujourd'hui des élites francophones et anglophones. L'africanisation du programme d'enseignement rapporte aussi des bénéfices à la littérature africaine ! On doit admettre pourtant que le plus grand nombre des lecteurs des œuvres africaines se trouvent en dehors de l'Afrique, chez les Blancs.

Cette constatation ne saurait surprendre personne, car chaque œuvre écrite et publiée est tout d'abord comme un quelconque produit manufacturé destiné aux consommateurs que le fabricant ne peut jamais facilement contrôler d'avance; elle est donc comme une bouteille jetée à la mer. Puis toute œuvre littéraire faite par un Africain dans une langue qui n'est pas la sienne est destinée, que l'auteur le veuille ou non, à un public international, plus précisément à tous ceux qui parlent et comprennent cette langue, y compris ceux qui l'utilisent comme langue maternelle. De plus, les écrivains africains, en composant leurs œuvres dans la langue des colonisateurs, en les publiant, malgré eux peut-être, dans les pays des colonisateurs, et en les soumettant à tout un appareil publicitaire institué et contrôlé par les Blancs, cherchent à toucher et à gagner le public européen tout en obéissant à ses exigences. Mais, malgré le besoin de gain financier ou de rentabilité qui pousse l'écrivain à vouloir conquérir le public blanc, l'écrivain est toujours conscient de son devoir altruiste envers sa propre communauté.

L'écrivain s'exprime donc dans la langue des colonisateurs, veut gagner le public colonisateur pour pouvoir le toucher et lui démontrer tout ce que l'homme blanc a fait pour dépersonnaliser, déculturer, chosifier et exploiter cette communauté des Noirs. C'est surtout pour cette raison que l'écrivain s'adresse au public blanc. Il veut l'informer, l'éduquer et éveiller sa conscience. C'est cette opinion qu'a mis en lumière Kane (1970) quand il écrit : [PAGE 74]

    L'Europe était (son) véritable interlocuteur, puisque responsable de la colonisation. Il fallait lui présenter le véritable visage de l'Afrique, jeter un éclairage nouveau sur ses intentions évangéliques et civilisatrices, faire la preuve à ses yeux des réalités culturelles africaines. Il fallait, d'autre part, confondre l'Europe en faisant tomber les mythes faussement généreux, dénoncer sa mission civilisatrice, qui l'avait condamnée à détruire plutôt que construire, à fermer les yeux sur l'originalité africaine ( ... ). Pour tout dire, c'est l'Europe qu'il fallait convaincre de la violation en Afrique des principes et idéaux sur lesquels repose la démocratie occidentale et qui auraient dû inspirer son action[17].

Il en était ainsi surtout entre 1935 et 1960 quand l'écrivain noir cherchait à attirer l'attention du public français sur le grand écart qui existait entre les idéaux républicains et la réalité coloniale et à le convaincre de la nécessité de changements de base qu'il fallait effectuer dans la politique française dans les colonies. Tous les écrivains se donnaient pour tâche d'expliquer comment et pourquoi les Noirs vivotaient comme des hommes sans échines. Chacun d'entre eux voulait peindre la réalité tragique « de (ces) hommes battus, spoliés, découronnés, affamés depuis des siècles (marchant) vers le tombeau. Des hommes qui ne vivent pas, des hommes étouffés, nus, en haillons, outragés à tous les carrefours; des hommes toujours tremblants »[18].

Mais, hélas, plusieurs écrivains, même les plus grands parmi eux, Senghor en tête, sont allés trop loin pour gagner et plaire au public blanc, tout en peignant la condition déplorable du Noir. Au lieu de s'informer du livre et d'y puiser des renseignements qui aiguiseront sa conscience, le public blanc cherchait toujours à s'en divertir. Puisqu'il fallait le divertir et lui plaire la plupart des écrivains sont allés jusqu'à décrire dans leurs œuvres ce que Sainville appelle « des (milieux) mystérieux et sauvages, de l'étrange, de l'extraordinaire, en un mot de [PAGE 75] l'exotisme. (Cela) aboutit à l'irréalité, au mensonge et à la déformation de la réalité »[19]. Voilà ce qui se trouve dans bien des œuvres littéraires où les écrivains se sacrifiaient pour donner tout ce que cherchait le Blanc pour assouvir son goût du merveilleux, de l'exotique et de l'étrange. Or, cet africanisme facile et abusif auquel s'adonnent plusieurs écrivains, aide le Blanc à réaffirmer sa conception de l'Afrique comme un continent sauvage et primitif. Cette notion dictera pour plusieurs années les critères dont va se servir le Blanc pour apprécier l'œuvre des écrivains africains. Même les prix littéraires qui leur sont octroyés sont déterminés en grande partie par leur fidélité aux critères établis sur la vraisemblance exotique de l'œuvre. Au fond, on peut dire que le public européen ne s'acquitte pas très bien de son devoir envers l'écrivain africain.

La scène littéraire a été ainsi jusqu'à une date très récente. Même maintenant que cette littérature commence à subir une mutation graduelle lui accordant un visage un peu rajeuni grâce aux nouveaux thèmes qui retiennent l'attention des écrivains, le public blanc n'a pas tellement changé son attitude mentale envers l'écrivain africain, surtout le romancier.

Cependant, il y a un écrivain qui refuse d'être une marionnette pour le public occidental. Il refuse de sacrifier son style, sa conception d'homme, sa préoccupation littéraire afin de plaire à ce public. Il n'accepte pas de jouer le jeu auquel s'adonnaient avec engouement la plupart de ses confrères. Bien qu'il soit un évolué qui a subi beaucoup d'influences européennes, il refuse, contrairement au gros de ses camarades d'armes, de s'occidentaliser mentalement, d'être victime de l'assimilation facile. Cet écrivain s'appelle Bernard Binlin Dadié dont nous nous proposons d'examiner la grammaire pour la désignation du public. Mais avant de nous y lancer, il nous faut voir ce qui fait encore de Dadié un écrivain africain pas comme les autres. [PAGE 76]

II. – BERNARD DADIE : ECRIVAIN PARTICULIER

Cet Ivoirien désigné par Quillateau comme « L'Eluard du monde noir »[20], par Brench comme un poète de la même taille que Senghor[21], ou encore par Lavigne comme membre de la classe spéciale « des très bons conteurs de langue française », le seul de tous les dramaturges africains d'expression française, qui soit digne d'une considération particulière, d'après Clive Wake[22], est le plus accompli et le plus complet des écrivains africains d'expression française[23]. Dadié, c'est le Wole Soyinka de l'Afrique francophone étant donné qu'il est comme l'anglophone Soyinka acteur, dramaturge, producteur, poète, conteur, romancier, critique, satiriste et homme de culture[24]. (Il était membre-fondateur avec Alioune Diop et d'autres noirs de Présence Africaine en 1947.) Comme Wole Soyinka, il est doué d'une connaissance extraordinaire de la psychologie des hommes sous tous les cieux. Mais un peu plus que lui peut-être, il se laisse imprégner, sans en être assimilé, par presque toutes les expériences existentielles auxquelles l'être humain peut être soumis.

Il a été très tôt dans sa vie influencé par la pensée du maréchal Lyautey, selon laquelle « l'homme complet doit avoir ses lanternes ouvertes sur tout ce qui fait l'honneur de l'humanité »[25]. Dadié est l'homme complet des lettres françaises du côté de l'Afrique. Il a un horizon très élargi grâce surtout à son ouverture d'esprit. N'est-il pas tour à tour instituteur, attaché de recherche à l'I.F.A.N., commis d'administration, directeur des Beaux-Arts et de la Recherche et ministre de la Culture ? Et, en tant qu'écrivain, il a tenté sa chance dans tous les genres. « Tout ce [PAGE 77] que j'ai publié, déclare-t-il à Quillateau, ce sont des poèmes, des contes, des récits, des nouvelles et des pièces ( ... ). Après le drame, je suis passé au conte, au journalisme, à la poésie, à la nouvelle en même temps »[26].

Depuis qu'il a commencé à écrire en 1933[27], Dadié ne fait qu'exprimer soit directement ou indirectement l'âme et la vie de son peuple. Ce travail est facilité par le fait qu'il a passé presque toute sa vie en Afrique qu'il connaît fort bien. En effet, sa première sortie d'Afrique n'a lieu qu'en 1956 quand il avait quarante ans (âge charnière entre la jeunesse et la vieillesse). A cet âge, il a déjà reçu toute sa formation formelle. Il était adulte et ne pouvait plus se laisser emporter bêtement par un occidentalisme facile. Les thèmes que mettent en lumière ses écrits, les récits exceptés, ne sont pas seulement africains, mais son style l'est aussi; ce style étant encore simple, est près du peuple :

    Etant donné, déclare-t-il, que nous n'écrivons pas dans la langue indigène, j'epprouvais la nécessité d'une forme nouvelle apparentée qui pût véhiculer le besoin et les aspirations de nos peuples et qui fût pour le peuple admissible, acceptable, digestive... J'aime créer avec les mots amis, mots de tous les jours, mots de tous les hommes, mots intimes, mots fraternels[28].

Donc lorsqu'il parle de l'homme noir, il est conscient du fait que c'est à lui qu'il s'adresse. Les images, le vocabulaire, la préoccupation qui animent les œuvres, sauf les récits, sentent le terroir africain. C'est pour que l'homme africain puisse comprendre qu'il est la source et le premier destinataire de l'œuvre. Mais est-ce que cette ambition de l'écrivain est complètement réalisable et justifiable ? [PAGE 78]

A. Contes, légendes, théâtre et poésie : Pourquoi sont-ils destinés au public africain?

Tous ces genres sont traditionnellement les formes littéraires africaines; leur technique est donc par conséquent bien connue des Africains.

De par leur nature et leur contenu, les contes et légendes, deux formes de la littérature orale nourrie de la sagesse et de l'environnement africains, seront difficilement perçus et compris par un public qui est étranger au milieu dont ils sont issus. « Les contes ( ... ), déclare Dadié (1957), sont pour nous des musées, des monuments, des plaques de rues, en somme nos seuls livres ( ... ). Les légendes concourent au même but, instruire les enfants, les hommes, les instruire en les amusant »[29]. Bien que Légendes africaines (1954) et Le Pagne noir (1955) fassent partie du patrimoine culturel des hommes, et puissent attirer l'attention de quiconque veut s'informer et comprendre, ils sont écrits surtout pour informer le Noir de sa richesse culturelle et des ressources intellectuelles de ses aïeux. En informant le Noir, Dadié le divertit et l'éduque en même temps.

Avec le théâtre de Dadié, nous sommes devant un genre littéraire qui ne peut sensibiliser que le public africain. Ce genre qui, aux dires de Kotchy (1970), se donne pour but « de retracer quelques moments caractéristiques de la vie d'un peuple; de s'incarner dans le quotidien et d'exprimer le besoin des hommes »[30], doit répondre aux problèmes qui touchent directement le peuple. Cela est particulièrement véridique car le théâtre étant l'expression de la culture d'une communauté « est participation, communion totale, sans distinction aucune entre le public et les acteurs »[31]. Gauthier a de même souligné cette notion [PAGE 79] de participation, de sympathie réciproque et de partage qui doit unir les acteurs aux spectateurs :

    « art de communion, la pièce se joue devant un public, c'est-à-dire devant des hommes et des femmes qui se sont réunis pour entendre ensemble, pour voir ensemble, pour contribuer provisoirement pendant quelques heures à une communauté ( ... ). Cette communauté est communion, car ces hommes et ces femmes rassemblés sont unis, ou, du moins devraient être unis dans une vision, dans le fait d'être ensemble et (surtout) dans le fait d'être ensemble témoins de ce qui se passe sur la scène »[32].

Dadié est pleinement conscient de ce rôle et de la localisation des préoccupations du théâtre. Les hommes et les femmes qui constituent le public de son théâtre ne peuvent que rester donc en dehors de sa pensée, malgré l'universalité que l'on peut attacher aux thèmes de ses pièces, s'ils ne sont pas Africains. Il en est ainsi puisque toutes les pièces de Dadié, à l'exception des deux premiers sketches écrits en 1933 et 1936, ont été écrites et publiées après 1967 (donc après l'époque coloniale). Elles s'adressent à un public qui est africain surtout par les thèmes et décors, l'atmosphère socio-politique dans chaque pièce, les personnages (qui, même quand ils sont blancs, existent en fonction des personnages africains) et le style. Son réalisme et son engagement à la cause de son peuple n'ont pas d'égal dans le théâtre africain d'expression française. Clive Wake souligne cette idée dans son article sur le théâtre africain d'expression française quand il écrit :

    He is the only playwright to have written historical plays which are thoroughly meaningful to a modern, post independence audience[33]. [PAGE 80]

Par ses qualités de satire sociale, de satire politique, pour ses valeurs éducatives, le théâtre de Dadié répond au besoin du public africain qui va au théâtre pour y trouver du divertissement et en se divertissant s'instruire et se corriger. Et pourtant, depuis même ses premières années de tâtonnements, le théâtre africain n'a pas pu toucher le public européen. On ne doit pas nier toutefois le fait que l'exotisme qui se manifeste dans les décors, les costumes, les danses souvent frénétiques et même dans le langage du théâtre négro-africain traditionnel (en langues africaines) satisfait le goût du public occidental pour le merveilleux et l'étrange[34]. Mais le théâtre africain qui respire l'air africain et qui démontre l'homme africain mis à nu (et dont Dadié donne les meilleurs exemples) ne touche pas le public européen. Donc ses quatre sketches – Assémien Déhylé, Roi du Sanwi[35] (1936), Sidi maître escroc, Situation difficile, Serments d'amour (1968) et ses quatre grandes pièces – Monsieur Thôgô-Gnini[36] (1970), Les Voix dans le Vent (1970), Béatrice du Congo (1970), Iles de Tempêtes (1973) ne toucheront pas le public européen car aucun lien de sympathie et de [PAGE 81] participation psychologique des spectateurs blancs avec les acteurs noirs ne sera facilement établi. Ils répondent tous au goût et au besoin du public noir.

Le grand malheur du théâtre africain moderne, donc de Dadié, auprès du public africain, c'est que la fréquentation du théâtre par les Africains est encore insignifiante pour des raisons d'ordre économique et social : le problème se pose avec acuité au gros de la population qui reste encore illettrée et enchantée par d'autres sources de divertissement. Cela explique pourquoi ce théâtre reste toujours un théâtre d'élite, contrairement à ce qui se passe en Europe, aux U.S.A. et dans d'autres milieux blancs.

Il en est de même avec la poésie. Mais alors que le théâtre de Dadié est destiné presque exclusivement au public africain, sa poésie comme celle des poètes de la Négritude à laquelle elle appartient par ses thèmes s'adresse aux publics africains et européens. Nous avons déjà identifié les facteurs culturels et politiques qui rendent ce choix des publics indispensable, pour y revenir. Mais à cause de la simplicité du langage, du réalisme ou de la couleur locale des images, du lyrisme extraordinaire et particulier des poèmes, du ton qui n'est pas acrimonieux mais affirmatif des valeurs africaines, la poésie de Dadié est plus près du public africain qu'elle ne l'est du public blanc.

B. Le roman et les récits : Pour quels publics ?

Que dire de ses grandes œuvres en prose ? Pourquoi Dadié a-t-il écrit un seul roman et rien que des récits après ? Pourquoi a-t-il choisi les formes qu'il a adoptées ? Ecoutons-le déclarer à son biographe :

    ... Je ne me considère pas comme un romancier (sauf dans Climbié). Dans toutes les œuvres (sauf dans Climbié qui est le seul de ces ouvrages qui se rapproche du roman), il n'y a pas un personnage imaginé que nous puissions suivre à travers ses intrigues et les péripéties de sa vie. Au contraire, c'est un personnage réel, toujours moi, qui regarde, qui examine les coutumes, les mœurs, la culture [PAGE 82] d'un peuple (français, italien, américain) et juge relativement aux coutumes, aux mœurs et à la culture de mon peuple, pour y discerner les différences et les points communs dans les perspectives de l'humanisme universel ( ... ) ils sont des réflexions sur les cultures, les peuples, les civilisations. On pourrait dire aussi que c'est une évolution vers les sciences humaines (psychologie des peuples ou sociologie) quoique j'ignore tout de ces sciences[37].

Il nous dit en effet qu'il n'est pas romancier, que ses activités « romanesques » sauf dans Climbié, ne se préoccupent pas directement des peuples africains mais des Blancs, précisément de ceux qui ont dominé la vie et le destin des Noirs depuis qu'ils ont établi leur contact précaire et dichotomique avec le continent africain au XVe siècle. Les matières premières de ces récits ne sont donc pas puisées au terroir africain. Pour parler des Européens (de l'ancien continent et du nouveau), Dadié a sciemment évité le genre européen – le roman –, qui traditionnellement traite de sujets individuels, exige une consommation individuelle, s'appuie sur l'imagination, et s'accommode de plus de personnages (dont la plupart possède une identité fictive) que ceux qui sont dans les contes et les récits.

Ce choix conscient de genre et de méthode distingue Dadié des autres écrivains tels que Ousmane Socé Diop des Mirages de Paris (1937), Sembène Ousmane du Docker noir (1956) et des Lettres de France (1962), Aké Loba de Kocoumbo, l'étudiant noir (1960) et même Camara Laye, Cheikh Hamidou Kane et Ferdinand Oyono qui se fondent tous sur leurs expériences en France pour créer leurs œuvres romanesques et qui se servent donc de la France comme source de leur inspiration romanesque. Alors que ces écrivains décrivent la vie des Noirs – ouvriers, soldats et étudiants – qui sont tous, du moins au début, fascinés soit par le mythe de Paris ou celui de France, Dadié ne décrit pas la vie des Noirs mais rapporte la réaction du Noir à l'égard de la civilisation occidentale [PAGE 83] telle qu'il l'a vue lors de ses trois voyages entrepris entre 1956 et 1963.

Pour faire ce rapport, il a opté donc pour une forme à laquelle les Africains sont habitués – le récit[38]. Cela vise à montrer que chacun des trois écrits est le compte rendu véritable de ce que le Noir a vu, observé, entendu et subi lors de ses séjours dans les pays des Blancs; cette forme lui permet aussi de formuler un jugement sur certaines habitudes des Blancs comme on le fait communément dans les récits traditionnels africains. Ces rapports et jugements faits à l'intention des autres Noirs permettent à ces derniers de constater leur spécificité vis-à-vis des Blancs et de se rendre compte des autres aspects de l'existence qui les rapprochent des Blancs et qui démontrent comment tous les hommes, quelle que soit leur couleur et leur identité géo-politique, appartiennent à une race cosmique et biologique qui est celle des êtres humains. Les Noirs sont invités donc à se situer par rapport aux Blancs. Ainsi les Noirs arriveront-ils à savoir que les Blancs sont parfois beaucoup plus coupables des crimes ou des traits de caractère qui les poussent à se conserver un complexe de supériorité à l'égard des Noirs et à traiter ces derniers comme des sous-hommes qui ne sont bons qu'à être gouvernés, exploités et assimilés. Cette nouvelle manière de voir la communauté humaine confirme le dicton africain selon lequel pour chaque doigt qui sert à désigner votre voisin, trois autres doigts vous désignent ! Mais avant de permettre à ses lecteurs de lire ses expériences et sa critique de la civilisation des Blancs, Dadié leur offre un roman autobiographique qui a pour titre Climbié. [PAGE 84]

(i) Climbié – Pour le public africain futur et les autres

Dans ce roman autobiographique dans lequel Dadié pose les jalons de certaines habitudes [39] des Blancs qu'il critiquera dans ses trois chroniques ou récits, il se sert des premiers trente-cinq ans de sa vie (1916-1951), pour tisser son histoire. Il se fonde donc sur sa propre vie pour créer son œuvre tout comme Camara Laye (dans L'Enfant Noir, 1953), Aké-Loba (dans Kocoumba l'Etudiant Noir, 1960), Hamidou Kane (dans l'Aventure Ambiguë, 1961), Mamadou Gologo (dans Le Rescapé de l'Ethylos, 1963), Thomas R. Kanza (dans Sans Rancune, 1965) et Joseph Brahim Zeid (dans Un Enfant du Tchad, 1967). Plusieurs autres auteurs se servent aussi de certaines de leurs expériences personnelles, mais dans ces cas, ces auteurs ne sont pas toujours les protagonistes des intrigues.

Dans Climbié, Dadié retrace son propre développement physique, social et même politique. Il y décrit ses déboires, ses espoirs et ses enchantements. Il s'y propose comme l'échantillon même des jeunes qui étaient adolescents aux années trente tiraillés malgré eux, par l'assimilation d'une part et d'autre part par les vertus de la civilisation traditionnelle africaine. Il peint les différentes forces érigées par le régime colonial visant à l'assimiler ou à le dépersonnaliser – la scolarisation y compris le « symbole » à l'école (l'obligeant à parler toujours la langue des colonisateurs) qui cherche à l'occidentaliser (dans la première partie et le début de la deuxième partie), l'indigénat qui s'abat sur lui quand il veut affirmer son syndicalisme militant (p. 214-219). Il dévoile aussi d'autres aspects de la politique raciale de la France qui briment les indigènes, qu'ils soient écoliers ou analphabètes[40].

Climbié atteignant sa vingtaine représente aussi le prototype du jeune fonctionnaire africain à qui a été imparti ce que David Diop appelle « le vernis d'instruction nécessaire et suffisant (permettant aux colonisateurs) d'avoir [PAGE 85] sur place un troupeau d'auxiliaires prêts à toutes les besognes »[41]. Et en se peignant comme cette entité sociologique déterminée quand même par la culture et les aspirations de son milieu traditionnel, Climbié/Dadié permet aussi au lecteur de voir en quoi consistent la fierté et les soucis de ses compatriotes, et par là, révéler les coutumes, croyances et pensées de ce peuple[42].

Le public auquel s'adresse ce roman est expressément international. Il est destiné aux Noirs, mais surtout à ceux qui sont nés après 1950. Cela se laisse voir à travers certains commentaires faits par Dadié. Par exemple, parlant du « Symbole », l'auteur – narrateur omniscient/témoin – ne peut s'empêcher de penser à ces nombreux futurs lecteurs qu'il veut renseigner sur ce qui fut jadis le lot de leurs aïeux sous la colonisation :

    « Le symbole, vous ne savez pas ce que c'est! Vous en avez de la chance! » (p. 107).

Et après, comme s'il avait oublié qu'il n'était pas l'agent d'action mais plutôt le narrateur, confondant délibérément l'identité de l'auteur/narrateur avec celle du personnage principal, il se souvient d'une expérience banale survenue à l'école :

    « Tenez, un jour, des amis et moi dormions sous un préau. Vous n'étiez pas nés, vous autres » (p. 133).

Climbié est donc censé être une œuvre de témoignage dans laquelle l'auteur met de lui-même pour mieux réfléchir sur les problèmes qui s'étaient posés dans l'évolution politico-économique et socio-culturelle de l'Afrique à l'intention des générations à venir.

L'œuvre s'adresse aussi aux autres lecteurs non africains que Dadié renseigne sur les méfaits de la colonisation. Parmi ceux-ci sont surtout les contemporains et ancêtres de ces Européens « de l'administration, du commerce, [PAGE 86] des exploitations forestières » (p. 116) qui n'ont jamais été en Afrique. Peut-être que de tels renseignements et le sens de culpabilité que l'œuvre va éveiller en eux leur serviront à mieux comprendre l'histoire de ceux qui étaient victimes de la colonisation...

(ii) Grammaire pour la désignation du public dans les récits

Quant aux récits, écrits après Climbié, Dadié s'en sert pour s'adresser tout d'abord à un public spécifiquement africain. Pour cela, nous pouvons dire que son premier roman autobiographique a été écrit pour montrer à ce public jusqu'à quel point il a été bien formé en Afrique, jusqu'à quel point il connaît son Afrique et ses Africains. Voyons encore d'autres qualités qui le qualifient pour être le plus apte à présenter à son public africain le message qu'il lui donne dans les trois récits où il se présente toujours portant le pronom « je ».

1) L'auteur ou le « je » de narration

Dans chacun des récits, l'auteur se propose de rapporter ses expériences. Il est donc témoin. Mais, il rappelle à son lecteur tout le temps, qu'il n'est pas un témoin superficiel et médiocre mais un excellent observateur perspicace et intelligent.

Mais avant d'être observateur, avant de prendre des contacts physiques avec les milieux visités, il s'est acquis une base intellectuelle solide qui lui permettra de comprendre les phénomènes culturels, religieux, politiques, sociaux et économiques des milieux il visitera par la suite. Il a bien étudié ces phénomènes. Cette connaissance livresque qu'il manifestera quand il se rendra à Paris[43], à New York et à Rome fait de lui un érudit pourvu [PAGE 87] d'un horizon très large. Il se montre toujours bien cultivé et à jour. Il se pose tour à tour en historien[44], sociologue, anthropologue, géographe, archiviste, économiste et expert en matière politique, car il explique très clairement et avec beaucoup d'autorité des phénomènes qui se rapportent à ces spécialités. De plus, il se montre comme un excellent connaisseur de la langue française qu'il emploie pour s'exprimer.

Armé de toutes ces qualités intellectuelles, il ne veut pas, pour bien parler des Blancs dont il donnera une dure critique dans ses récits, déployer les marques d'un écrivain en chambre. Il donne à travers les récits, les avantages du contact physique avec le milieu que l'on veut bien connaître car

    « on connaît mal un peuple en ne le connaissant que par les ouvrages écrits sur lui » (Nègre à Paris, p. 148); « c'est bien téméraire de juger tout un peuple sur des cas particuliers » (Nègre à Paris, p. 185) et « souvent l'on pense que pour comprendre une ville un peu, il importe d'interroger les uns et les autres, de courir les bibliothèques. (Mais avec un contact direct), on suit l'évolution d'un peuple, en connaît ses goûts » (Ville où nul ne meurt, p. 31).

Dadié apprend donc à tous les hommes cette leçon fondamentale selon laquelle pour comprendre un peuple, il faut aller chez lui, l'observer dans son milieu naturel et même vivre avec lui[45] :

    Je rencontre, dit-il, partout des hommes comme [PAGE 88] nous, bavards, timides, audacieux. Je les regarde manger, rire, converser, boire, discuter, courir, s'arrêter, rêver, s'aimer. Je comprends davantage la vanité des barrières sur lesquelles nombre de gens sont si à cheval (Nègre à Paris, p. 148).

Et peu après, il nous dit :

    « Je regarde les gens aller et venir – Je prends conscience de ma couleur qui tranche, me signale de loin le jour comme la nuit » (ibid., p. 195).

Le lecteur est donc conscient du fait que l'auteur cherche tout le temps à s'enrichir de ce qu'il voit, et aussi qu'il manifeste sans cesse une volonté de connaître et l'enthousiasme de celui qui veut s'informer afin de bien informer ses futurs lecteurs. Ainsi les récits sont traversés par les refrains :

    « Je vois », « J'ai vu », « J'ai remarqué », « Je viens de trouver ».

Au cours des dix-neuf jours passés à Paris (du 14 juillet au 2 août 1956), dix jours passés à Rome (du 24 mars au 3 avril 1959), six mois de séjour à New York (entre octobre 1962 et le 18 mars 1963), il se montre toujours excellent témoin de chacune des villes, puisqu'il sait voir, analyser et déduire. Qu'il soit à Paris, à Rome ou à New York, il ne se déplace pas comme un soumis ou un sujet mais comme un observateur dénué de toute contrainte. Il va même, à un moment donné de son séjour à Paris, jusqu'à s'écrier :

    Moi-même, j'éprouve maintenant un sentiment de supériorité; or le n'ai mis les pieds dans aucune classe, je n'ai fréquenté aucun grand personnage, je ne marche pas dans le sillage lumineux des maîtres de la Sorbonne. Je cours seulement les cafés, flâne sur les boulevards où l'on n'acquiert aucun parchemin faisant de vous un homme capable, considérable et considéré (Nègre à Paris, p. 162). [PAGE 89]

Il se promène comme à l'air libre dans ces trois villes ayant comme seule autorité et assurance unique son savoir et la prise de conscience de son rôle de témoin privilégié. Il profite de ce qu'il connaît de ces villes et leurs habitants pour traduire, confirmer et décrire les soucis, les préjugés et les attitudes du Noir à l'égard du Blanc dont il donne les différents visages dans les trois pays où il a séjourné. Ce qu'il fait souvent, c'est tout d'abord signaler sa présence d'homme qui a quitté son milieu habituel afin de voir un autre. En faisant cela il arrive à remarquer ce qui le distingue du Blanc-couleur et certaines habitudes socio-culturelles. Puis, il se met dans la peau des Nationaux eux-mêmes; dans cette identité il se sert des informations livresques qu'il possède; il considère les points de vue et les habitudes des nationaux.

Après les avoir bien pesés, se servant de ses propres critères qui sont souvent subjectifs, il se précipite pour les juger. Certaines de ces habitudes l'attirent; d'autres l'irritent et plusieurs autres le laissent indifférent. Dans chaque mouvement de sa pensée, il prend l'habit du moraliste et du pédagogue des Blancs. Dans cette fonction, il joue tantôt au touriste, tantôt au naïf mais il se révèle toujours comme un ironiste, comme l'œil, l'oreille et l'esprit des Noirs. Il se présente comme le mystificateur qui veut que le Noir voie le Blanc comme il est en réalité. Il joue aussi au démystificateur qui cherche à obliger le Blanc à faire tomber son masque afin de se dévoiler et montrer son identité authentique. Cette ambition sous-entend l'existence de deux publics – le public noir et le public blanc.

A la fin de chaque séjour, le Parisien cesse d'être de Paris mais devient un Français, le Romain n'est plus de Rome mais d'Italie, le New-Yorkais n'est plus de New York mais des Etats-Unis. Chacun représente certaines manies et coutumes du Blanc. Ils désignent tous ensemble l'âme, le caractère et les préjugés du Blanc qui ne symbolise pas seulement un personnage blanc résumant les particularités des Blancs, mais qui représente aussi les qualités humaines de base qui relient le Blanc à l'être humain.

Dans ces récits, Dadié qui est le narrateur omniscient, le protagoniste, le représentant de son peuple, donne des témoignages qu'aucun écrivain africain de langue française n'a donnés jusqu'ici. Les héros de Socé Diop, d'Aké [PAGE 90] Loba, de Sembène Ousmane, de Camara Laye, de Sadji et d'Oyono sont, comparés à Dadié, des témoins piètres de la vie et de la mentalité du Blanc. Dadié essaie tout le temps de ne pas parler en raciste, mais en intellectuel qui témoigne sur la race blanche inconnue et incomprise par la race noire surtout celle d'Afrique.

2) Le public africain – « Tu » et « nous »

Le « tu » avec le « nous » toujours interpellé, toujours apostrophé, toujours invoqué, toujours pris à témoin au cours du récit désigne le Nègrequi est dominé malgré lui par une forte civilisation blanche, celui qui est méprisé et exploité sans vergogne par le Blanc. Il n'a pas eu la chance de visiter les pays que Dadié a visités, il est donc obligé de vivre avec son complexe d'infériorité à l'égard du Blanc puisqu'il ne connaît vraiment pas ce Blanc. Ce Nègre ne voit ce dernier chez lui qu'en maître, en civilisateur, en assimilateur, en mystificateur, en tissu de vertus exemplaires, bref en être supérieur dénué de toute faiblesse humaine. Pourquoi ne pas permettre à ce Noir de voir le Blanc comme il est en réalité – comme être normal avec des préoccupations, soucis, contradictions et faiblesses ?

Le « je », en démasquant le Blanc des mythes et complexes avec lesquels il se voilait jusque-là, invite le Noir à le voir comme être normal. Dans le premier récit, Nègre à Paris, Dadié emploie spécifiquement un stratagème logique qui consiste à faire de tout le récit une lettre adressée par Bertin en visite à Paris à son ami, un « tu » anonyme resté en Afrique. Ce Noir est donc concrètement le destinataire.

En présentant le Blanc dans son propre milieu, l'auteur cherche à montrer au « tu » et au « nous » que le Blanc ne peut ne pas être marqué par cet environnement qui l'imprègne de certaines spécificités. Et pour montrer au Noir qu'il est aussi normal que le Blanc, le « je » lui révèle d'une part les aspects de la vie du Blanc qui le distinguent du Blanc et d'autre part les aspects qui le rapprochent de lui. Dadié emploie des expressions comme « chez nous on fait ceci, on fait cela, tandis qu'ici il en est ainsi », et parfois le lecteur lit – « comme chez nous, [PAGE 91] le Parisien (l'Américain ou l'Italien se comporte ainsi). Ainsi le représentant de sa race, le "je", ne manque pas à sa responsabilité qui, comme l'a révélé Dadié lui-même à Quillateau, consiste à examiner les coutumes, les mœurs, la culture d'un peuple (français, italien, américain) et juger relativement aux coutumes, aux mœurs et à la culture de mon peuple, pour y discerner les différences et les points communs dans la perspective de l'humanisme universel »[46].

Dans Patron de New York, le « je » expose un phénomène socio-culturel et politico-économique – la déshumanisation du Nègre aux U.S.A. Cette présentation a pour but de confirmer au Noir d'Afrique que le Noir, quelle que soit son identité géo-politique, a toujours été la victime de l'exploitation du Blanc. Chaque fois que Dadié en parle, c'est avec émotion et engagement. Bien que plusieurs écrivains noirs aux Antilles et aux U.S.A. aient éveillé la conscience du monde et de leurs frères de race en décrivant le sort qui est réservé au Noir de la diaspora, aucun Africain ne l'a fait avec autant de verve et de rancune que Dadié[47]. J.P. Clark dans son America Their America (1964) et Senghor dans son poème intitulé « A New York » (1960) n'ont pas proposé une image aussi pathétique du Nègre américain. Dans aucun n'a-t-on décrit de manière aussi émouvante, cette communauté noire qui porte le nom Harlem[48].

Bien que les trois récits rapportent des impressions d'un Noir sur le Blanc, ce qui représente donc les points de vue qui ne peuvent qu'être subjectifs d'un Noir, le public noir est tout le temps attiré vers le « je » afin qu'il puisse sympathiser avec les points de vue que ce « je » veut que le lecteur noir comprenne, apprécie et accepte comme des jugements de valeur valables. Dadié réussit à établir ce lien de sympathie et de communion puisque chaque fois qu'il agit et parle, il pense à la généralité des Noirs; il se voit tout le temps comme le représentant [PAGE 92] le plus authentique des Noirs. Il est sans cesse convaincu que le « je » fait partie de « nous », et que le « tu » représente le « je » à l'état pur, innocent, vivant au sein de l'Afrique.

Cet être innocent est loin du traditionnel bon Nègre que le Blanc avait créé – l'être sauvage, barbare, simple d'esprit et enfantin. Il n'est pas non plus la « tabula rasa » qui ressort de la pensée des négrophobes, qui n'est rien, n'a rien, ne vaut rien, mais n'est bon qu'à être assimilé. Il n'est ni semblable au Renégat d'un Diop ni au Nègre Clochard d'un Césaire ni au métis culturel d'un Senghor. Il est loin du vieux Nègre d'un Oyono qui appartient à cette génération des Noirs de l'époque pré-indépendante qui est prête à tout sacrifier pour se rapprocher du Blanc, pour lui plaire et pour collaborer avec lui dans sa politique raciale d'exploitation et de déshumanisation. Il s'agit du Noir habitant en Afrique qui est invité à comprendre, à se situer et aussi à apprendre.

Est-ce que cela veut dire que Dadié ne pense pas aussi aux autres publics ? Si, mais il s'agit tout d'abord d'un public international.

3) Public international – Le « on » et le « vous »

Dadié nous fait comprendre dans chaque récit qu'il pense aussi à un public désigné avec le pronom indéfini « on » et la deuxième personne du pluriel (du respect) « vous ». Il s'agit d'un public international qui est appelé à contribuer et participer à cet « humanisme universel » qui est à la base de sa création littéraire.

Mais chacun des deux pronoms est employé pour désigner l'être neutre, n'ayant aucune identité géo-politique définie, le lecteur sans parti pris, sans préjugés, sans complexe, qui n'est ni chauvin (comme le Nègre) ni raciste (comme la généralité des colonisateurs et les négrophobes). Il s'agit de l'homme tout court, l'étranger respectable, qui saura bien lire les récits, qui pourra les comprendre et les juger avec une objectivité dénuée de tout paternalisme et de tout préjugé intellectuel. Ce lecteur est semblable à la synthèse du meilleur du « nous » et du « je ».

Dadié fait sans cesse appel à ce « on » et ce « vous » [PAGE 93] qui est celui qui veut comprendre, qui veut connaître des horizons autres que le sien, qui comme le touriste américain voyage/lit « pour chasser les idées, comparer, s'instruire, voir ce qu'il faut améliorer chez lui, dépasser les autres »[49]. Il est celui qui considère l'écrivain comme guide, comme celui qui est capable d'éclairer, d'expliquer et de commenter bien, puisqu'il est maître de ses matières.

4) Les autres

A ces lecteurs avertis désignés par les pronoms appartenant aux premières et deuxièmes personnes du singulier et du pluriel et le « on », sont présentés ceux qui sont désignés par les pronoms des troisièmes personnes du singulier et du pluriel – il, elle, ils, elles, lui, leur, eux, elles – qui appartiennent uniquement à la race blanche. Ils ont les trois nationalités signalées – française, italienne, américaine. Ils sont jugés. Puisqu'ils sont désignés par les pronoms de la troisième personne, ils se révèlent comme autrui, comme les cibles de la critique de l'auteur; ils restent en effet en dehors de son audience. Avec ces étrangers, il classifie aussi l'Africain déculturalisé et déraciné comme celui que ce « je » a vu à Paris (Ville où Nul, p. 25-26) qui n'appartient ni au monde des Noirs ni à celui des Blancs.

Ils peuvent lire les œuvres s'ils le veulent puisqu'elles font partie du patrimoine culturel mondial; aucun sacrifice n'est fait cependant pour leur plaire; aucun effort pour épouser leurs idées sur eux-mêmes. Bien qu'il soit donc peut-être vrai que ces gens puissent être aussi des destinataires des récits, ils y verront surtout comment le Noir les considère; comment il les a jugés, ce qui les rapproche de lui et encore ce qui les distingue de lui. En tout, l'écrivain noir se donne le droit divin que le Blanc avait détenu jusqu'ici, de juger le Blanc, de lui faire des leçons sur lui-même, de le recréer d'après ses propres critères tout en s'appuyant sur des faits observables et sur des idées apprises. [PAGE 94]

Quelle image du Blanc Dadié donne-t-il au Noir et aussi au Blanc ? Sa peinture manifeste sans doute ce que le Noir admire et déteste dans la civilisation blanche et ce qui, d'après lui, manque à cette civilisation. Qu'admire-t-il par exemple, dans le Blanc qui a élu comme domicile Paris et comme patrie la France ?

Il l'admire puisqu'il est économe, prévoyant, discipliné, nationaliste, travailleur et animé d'une fièvre de vivre. Il apprécie son pays, symbolisé par Paris, à cause de sa beauté architecturale et sa propreté. Il est séduit par la coquetterie de la vie parisienne ainsi que l'intellectualisme qui fait la force du pays[50]. Sa philosophie de la liberté l'attire. D'ailleurs, son arrivée à Paris le 14 juillet est très symbolique. Mais c'est surtout le métro de Paris de tous ses attraits technologiques qui l'enchante le plus. Toutes ces vertus manquent à ses propres frères de race. Mais, ce Blanc (vivant à Paris) possède aussi certains traits de caractère qui répugnent au « je ». Il le voit comme un tissu de contradictions, ce qui explique l'hypocrisie et le racisme qui marquent sa politique coloniale distinguée par l'humiliation, l'abêtissement et la chosification du Nègre. Cette politique est aussi expliquée par l'individualisme que ce Blanc manifeste, ce qui en plus ne permet pas à ce dernier d'avoir de respect pour la culture, les us et coutumes du Noir. Mais c'est sa manie de préférer les fleurs, oiseaux (surtout les pigeons), animaux (surtout les chats et chiens) à l'homme (noir) qui aidera à mieux expliquer la déshumanisation des sentiments des colons et des colonisateurs envoyés aux colonies envers les colonisés.

Mais alors que l'écrivain noir d'expression française qu'est Dadié est indulgent envers le Blanc de Paris et aussi de Rome, il use d'un ton très dur et même enragé pour peindre le Blanc qui s'est volontairement exilé aux U.S.A. Ce Blanc retient la plupart des traits de caractère constatés chez le Blanc d'Europe, mais il est marqué aussi par les exigences du nouveau milieu où il se trouve. Il apprécie tout de même certaines caractéristiques de ce Blanc qui se pose en civilisateur, esclavagiste et exploiteur du Nègre. Il ne peut ne pas être séduit par le dynamisme [PAGE 95] effervescent de l'Américain[51]. Il l'admire aussi parce qu'il est entreprenant, travailleurs[52], nationaliste, hanté par la perfection, la précision et l'esprit du renouveau. Il le loue à cause de son sang-froid[53] et son pragmatisme. Il l'apprécie puisqu'il est « fort, riche, puissant, discipliné, respecté et craint »[54]. Il le respecte pour sa richesse intellectuelle qui est la base de son développement technologique et économique[55]. Parmi ses énormes richesses technologiques, le téléphone et l'ascenseur sont les moyens techniques qui l'enchantent le plus puisqu'ils aident à économiser l'énergie et le temps.

Mais Dadié a beaucoup à critiquer chez ce peuple pour lequel la richesse sert d'aune à identifier la valeur et l'importance de l'être. A cause de ce mercantilisme ou bien ce capitalisme[56] qui le déshumanise, le « je » déteste l'Amérique. C'est cette civilisation mercantile servant de base aux autres caractéristiques de l'Américain qui répugne au Noir. Parmi celles-ci sont sa bizarrerie, son automatisme déshumanisant[57], son développement technologique effréné et inhumain[58], son esprit élitiste qui lui donne l'idée d'être l'élu de Dieu, le guide ou le champion du monde, le « chef d'orchestre dans une symphonie mondiale » et le Nouvel Atlas du monde[59]. Cela aussi explique son racisme et sa partialité[60]. Cette richesse aussi lui accorde le rôle du nouveau messie du monde, rôle qui le met à la une du monde et qui lui permet d'être visible partout, de se croire le meilleur dans tous les domaines de l'existence humaine, de se donner l'idée de posséder la plus belle, la plus grande, la plus moderne, la [PAGE 96] plus large de toute chose dans l'existence humaine[61]. Cette idée exagérée de sa grandeur constitue l'orgueil dominateur du Blanc vivant aux U.S.A. où règnent l'efficience et l'affluence. Dadié est effarouché par ce complexe démesuré de supériorité de l'Américain. C'est pour cela qu'il suggère, comme l'avaient fait avant lui Laye dans Le Regard du Roi et Senghor dans « A New York » que le salut de la civilisation mécanique du Blanc réside dans la négrification de cette civilisation puisque cette nouvelle orientation sera la seule capable de lui accorder des aspects plus humains et plus naturels.

Il est facile de voir dans les trois récits les grandes leçons que le « je » donne à ces frères noirs d'Afrique. Il les invite à apprendre à se réorienter en adoptant les vertus du Blanc qu'il a si bien décrites. Parmi celles-ci sont le nationalisme qui fait que tout le monde est mobilisé pour assurer la grandeur de la patrie, le dynamisme, la discipline, la lutte acharnée pour survivre et vaincre à tout prix que déploie le Blanc. Il apprend aussi au Blanc et au Noir en même temps ce qui les rapproche l'un de l'autre – la superstition, la foi en la magie, le respect de la tradition et la générosité fondamentale de l'être. Il démontre pleinement que les grandes différences entre les êtres sont imposées par les milieux – la langue, le langage, la culture, c'est-à-dire l'habit, la religion, le mariage, l'amour, les nourritures et les classes sociales entre autres aspects. L'expérience existentielle et socio-politique dans chaque milieu ainsi que la sensibilité des gens déterminent la particularité de chacun. Les hommes sont les mêmes partout. Voilà la grande leçon que Dadié fait à toutes les trois catégories des lecteurs qui ont la possibilité de lire ses œuvres. Ecoutons-le encore :

    Nous parlons de coutumes différentes, de couleurs, de pays, de cultures, mais les hommes ne sont-ils pas tous les mêmes ? N'ont-ils pas partout les mêmes besoins, les mêmes aspirations (Négre à Paris, p. 196). Ils (les Blancs) demeurent des hommes comme nous (les Noirs) emportés par le tourbillon du temps vers on ne sait quel destin. Ils croient au ciel, tout en craignant la mort. Ils aiment [PAGE 97] l'amitié, l'honnêteté, la franchise et sont sensibles au sourire de l'enfant ( ... ). Je ne vois guère ce qui les sépare fondamentalement de nous (Nègre à Paris, p. 148-149)... (ils sont) des hommes qui regardent la vie avec des yeux tout différents des nôtres, mais nous rejoignent cependant sur de nombreuses positions (p. 153)[62].

Il est donc évident que malgré les petites différences dans leur conception de la vie et dans leur approche de l'existence, les hommes sont fondamentalement semblables. Dadié est dans ce message un grand auteur africain avec une mission visant à rapprocher les hommes les uns des autres.

CONCLUSION

Dans l'ensemble, l'écrivain, qu'il soit noir ou blanc, a donc un grand rôle à jouer dans le rapprochement indispensable des hommes et dans la meilleure entente entre toutes les races. Il est sans doute vrai que sa première responsabilité est envers son peuple mais le monde entier doit être son audience.

Les écrivains africains ont bien joué ce rôle de rapprochement et de compréhension en aidant à démystifier certaines notions erronées sur le Noir et aussi sur le Blanc et à révéler les véritables identités de l'un et de l'autre. Mais à cause du taux très réduit d'alphabétisation en Afrique, l'écrivain noir n'arrive pas encore à toucher le gros de ses premiers destinataires. Avec la deuxième catégorie du public – le public blanc – qui n'est pas tout à fait directement concerné par ce que dit l'écrivain, la situation n'est pas brillante non plus.

Peut-être la situation s'améliorera-t-elle dans l'avenir.

Dr S. ADE OJO
(Associate Professor)
University of Lagos
Lagos, Nigeria

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BIBLIOGPAPHIE : ARTICLES ET ŒUVRES PAR DADIE

(A) ARTICLES

1. « Mon pays et son Théâtre » L'Education africaine, numéro spécial sur le théâtre indigène, Dakar, 1937.

2. « Le fond importe le plus : condition d'une poésie nationale chez les peuples noirs », Présence Africaine, VI, 1956, p. 116-118.

3. « Misère de l'Enseignement en A.O.F. », Présence Africaine, XI, déc. 1956 - janvier 1957, p. 57-70.

4. « Le rôle de la légende dans la culture populaire des Noirs d'Afrique », Présence Africaine, XIV-XV, juin-sept. 1957, p. 165-174.

5. « Le Conte, élément de la solidarité et d'universalité », Présence Africaine, XXVII-XXVIII, 1959, p. 68-80.

6. « Révolution Africaine et Révolution Mondiale au XXe siècle », De la Tribu à la Nation (Congrès pour la liberté de la Culture, Florence, 1961).

7. « Folklore et Littérature » (traduit par CL. Patterson comme « Folklore and Literature »), in Proceeding of the First International Congress of Africanists, Edited by Lalage Down and Michael Crowder, Longman, 1964, p. 197-219.

(B) POESIE

Afrique debout, Seghers, 1950.

La Ronde des jours, Seghers, 1956.

L'Homme de tous les continents, Présence Africaine, 1967.

(C) CONTES

Légendes africaines, Seghers, 1954,

Le Pagne noir, Présence Africaine, 1955. [PAGE 99]

(D) THEATRE

Assémien Déhylé : Roi du Sanwi, chronique agni, publié dans Album officiel de la Maison pontificale; Dakar, 1936, dans L'Education africaine, numéro spécial; Dakar, 1937, dans L'Avant-Scène Théâtre, Paris, no 343, le 15 octobre 1965.

Sidi maître escroc, Situation difficile, Serments d'amour, CLE, Yaoundé, 1968.

Monsieur Thôgâ-gnini, Présence Africaine, Paris, 1970.

La Voix dans le Vent, CLE, Yaoundé, 1970.

Béatrice du Congo, Présence Africaine, Paris, 1970.

Iles de Tempête, Présence Africaine, Paris, 1973.

(E) ROMAN ET RECITS

Climbié, Seghers, 1956.

Un Nègre à Paris, Présence Africaine, 1959.

Patron de New York, Présence Africaine, 1964.

La Ville où nul ne meurt, Présence Africaine, 1969.


[1] Voir Robert Escarpit, La Révolution du Livre, Paris, Unesco, 1965.

[2] Alioune Diop a très brillamment mis en lumière cette « absence » intellectuelle, culturelle, politique et historique de l'homme noir, dans son article « The Spirit of Presence Africaine » (transl. by C.L. Patterson), in Lalage Bown and Michael Crowder, The proceedings of the First International Congress of Africanists, Longmans, 1964, p. 46-51; Voir aussi son discours d'ouverture lors du 2e Congrès des écrivains et artistes noirs dans Présence Africaine, tome 1, XXIV-XXV, fév.-mai 1959, p. 40-48

[3] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, Seuil, 1952.

[4] Publiée en 1948, La Nouvelle Poésie nègre et malgache de la langue française (réunie par Léopold Senghor) qui rassemble la poésie de seize poètes noirs, dont six africains et malgaches et dix antillais, n'était pas la première œuvre livrée au public français par les Noirs. Nous ne voulons plus répéter ici ce que la plupart des critiques d'histoire de la littérature africaine d'expression française ne cessent de souligner, à savoir que la première véritable œuvre « créatrice » écrite par un Noir fut publiée en 1920. Entre 1920 et 1948, plusieurs autres œuvres et trois revues à préoccupations ethnologiques furent publiées. Mais aucune œuvre n'a eu plus d'effets que celle éditée par Senghor. L'importance du recueil est due surtout à la collaboration de l'un des plus révolutionnaires des philosophes français, Jean-Paul Sartre, qui l'a préfacée.

[5] Jean-Paul Sartre, Orphée noir, in Anthologie de la Nouvelle Poésie nègre et malgache de langue française (sortie en 1948), Paris, P.U.F., p. IX-XI. C'est nous qui avons souligné. C'est en 1947 que fut fondée la revue portant le titre très significatif de Présence Africaine. Plus qu'aucune autre revue, Présence Africaine a aidé à affirmer la « présence » du Noir. De plus, la maison d'édition fondée par l'organisation a vulgarisé, plus que toute autre maison d'édition, les œuvres des Noirs.

[6] C. Quillateau décrit, en ces termes, Bernard Dadié dans Bernard Binlin Dadié, l'homme et l'œuvreCollection « Approches », Présence Africaine, 1967, p. 140.

[7] Ibid., p. 141. L'opinion exprimée ici par Dadié est semblable à celle qu'il a donnée lors de la conférence tenue à Accra en 1962 lors du Congrès des Africanistes. Dans la traduction de ce discours faite par C.L Patterson, il a déclaré :

« They (the authors) impart to their own people the joy of living, they open their eyes to their own distinctive qualities which came near to being swept away by the wave of limitation, they cease to labour any sense of shame at being an African and a Negro, but rather they put the word Negro back into its proper perspective. ». « Folklore and literature », in Lalage Bown and Michael Crownder, op. cit., p. 216.

[8] Léonard Sainville, « A propos du débat autour des conditions d'un roman national chez les Noirs », Présence Africaine, XVIII-XIX, 1958, p. 28. Chaque écrivain africain est de cet avis. Voir Wole Soyinka, « The Writer in a Modern African State, in Per Wäsberg, The Writer in Modern Africa, Nordiska Afrikainstitutet, 19, p. 14-21, « The Failure of the writer in Africa », in The Africa Reader, Edts, Wilfred Cartey. and Martin Kilson, 1970; Chinua Achebe, « Africa and her Writer » (p. 19-29). « The Novelist as Teacher » (p. 42-45), in Morning yet on Creation day, Heinemann, 1975.

[9] Mohamadou Kane, « The African Writer and his public »Présence Africaine (English Edition), Vol. 30, No 58, 1966, p. 25.

[10] Dorothy Blair, African Literature in French : A History of Creative Writting in French from West and Equatorial Africa, Cambridge University Press, 1976, p. 185.

[11] Léopold Sédar Senghor, « Lexique », dans Poèmes, Seuil, 1973, p.249.

[12] Léonard Sainville, op cit., p. 219.

[13] Jacques Chevrier, Littérature nègre, Armand Colin, 1974, p. 246.

[14] Chinua Achebe, « What do African Intellectuels Read », in Morning Yet on Creation Day, p. 28; Mohamadou Kane (1966), op. cit., fait la même observation quand il dit : « Les Africains, à vrai dire ne lisent pas ou lisent très peu » (p. 12). Dadié déclare aussi dans Climbié que « l'Africain qui doit lire beaucoup, peut être plus qu'aucun autre peuple au monde étant donné qu'il est à la croisée de deux civilisations, ne le fait pas parce qu'il n'a as encore acquis le goût de la recherche, du travail personnel... ». (voir p.175-176 )

[15] Léonard Sainville, op. cit., p. 219.

[16] Mahamadou Kane, « Actualité de la littérature africaine », Présence Africaine, numéro spécial; Réflexions sur la première décennie des Indépendances, p. 223.

[17] Ibid., p. 223.

[18] Bernard Dadié, Climbié, in Légendes et Poèmes, Seghers, 1966, p. 186.

[19] Léonard Sainville, op. cit., p. 219.

[20] Quillateau, op. cit., p. 140.

[21] A.C. Brench a en effet déclaré que son meilleur est égal au meilleur de Senghor (« His best is equal to Senghors best »), in « Africans in Paris », The Novelists Inheritance in French Africa, Oxford Press, 1967, p. 86.

[22] Lavigne dans Europe, cité par Quillateau, op. cit., p. 156.

[23] Clive Wake, « Drama in French-Speaking Africa », in African Theatre Today (Edité par Martin Banham et Clive Wake), Pitman, 1976, p. 63.

[24] Voir bibliographie pour les activités littéraires de Dadié.

[25] Il déclare en effet à son biographe, Quillateau, comment il a été séduit très tôt dans sa vie par cette pensée de Lyautey, in Bernard Binlin Dadié, p. 18.

[26] Quillateau, op. cit., p. 152.

[27] l a écrit en 1933 un sketch interprété par les élèves de l'Ecole primaire supérieure de Bingerville.

[28] Quillateau, op. cit., p. 137-142.

[29] Bernard Dadié, « Le Rôle de la légende dans la culture populaire des Noirs d'Afrique », Présence Africaine, XIV-XV, juin-sept. 1957, p. 165, 168.

[30] Barthêlémy Kotchy, « Théâtre et public , dans Le Théâtre négro- africain (Actes du Colloque d'Abidjan), 1970, Présence Africaine, 1970, p. 177.

[31] Ibid., p. 175. Voir aussi Baraka Traoré, « Le Rôle social du théâtre Africain », in Kotchy, op. cit., p. 212-218; « Le Théâtre négro-africain et ses fonctions sociologiques », Présence Africaine, XIV-XV, juin-sept. 1967, p. 180-201 ; « Tendances actuelles dans le théâtre africain », Présence Africaine, 3e trimestre 1970, no75, p. 34-48; Théâtre négro-africain, Présence Africaine, 1958.

[32] Henri Gauthier, Théâtre et Collectivité, cité dans Kotchy, op. cit., p. 175. C'est nous qui soulignons.

[33] Clive Wake, op. cit., p. 75.

[34] C'est d'ailleurs ce que souligne le Français Christian Valbert dans sa communication intitulée « Le Théâtre négro-africain et le public européen» (dans Kotchy, op. cit., p. 246) quand il déclare que « si le théâtre négro-africain traditionnel a touché d'emblée l'universalité, le théâtre négro-africain moderne semble un échec à l'égard du public étranger ( ... ). Le théâtre francophone du si mal défini retour aux sources n'arrive pas à se libérer des soucis pédagogiques, d'obsessions qui ne satisfont finalement ni les Européens ni les Africains consommateurs de ce théâtre ». Certes, Valbert a mal posé le problème puisque c'est le théâtre traditionnel qui cultive véritablement le retour aux sources. Mais ce sur quoi il a su attirer l'attention c'est la mentalité et le goût des Blancs qui sont responsables pour le manque de réception à l'égard du théâtre africain moderne par les Européens depuis 1937 quand il fut présenté pour la première fois en Europe.

[35] Ce sketch joué pour la première fois en 1936 à la Chambre de Commerce de Dakar a remporté un grand succès; mais joué en 1937 au Théâtre des Champs-Elysées, il n'a remporté qu'un succès médiocre.

[36] Cette pièce qui a remporté un succès fou à Alger en 1969 lors du Festival Panafricain est la pièce la plus renommée en Côte-d'Ivoire. Voir : Bakary Traoré, « Le théâtre africain au festival culturel panafricain d'Alger », Présence Africaine, no 71, 1969; Traoré, op. cit. (1970), p. 44; Christian Valbert, « Moyens de Diffusion et l'impact sur le public – Enquête Sociologique », in Kotchy, op. cit., p. 184-186.

[37] Dadié dans Quillateau, op. cit., p. 152-153.

[38] Certains critiques donnent diverses nomenclatures à ces écrits : Janis Mayes les appelle « chroniques » dans « Bernard Dadié and the Aesthetics of the chronique » in Présence Africaine, nos101-102, 1997, p.102-119. Dorothy Blair « Travel Notes » dans Bernard Dadié's Travel Notes », in African Literature in French, p. 320-323, et nous-même « Chroniques » dans « Ferdinand Oyono : Chroniqueur de la Réalité coloniale au Cameroun » (à paraître). Chacun souligne avec ces termes le sens du témoignage, du reportage, du subjectivisme dans la réalité que chacun des récits manifeste.

[39] On y voit le racisme, la brutalité ou la sauvagerie des Blancs (même aux U.S.A. dans les photos que son oncle Assouan Koffi lui a montrées, p. 135-137) ainsi que leur caractère.

[40] Bernard Dadié, Climbié dans Légendes et Poèmes.... surtout les pages 152, 167, 177, 181, 186, 205, 207, 217, 218, 222.

[41] David Diop, « Suite du débat autour des conditions d'une poésie nationale chez les peuples noirs », in Coups de Pilon, Présence Africaine, 1973, p. 11.

[42] Climbié, p. 123, 31, 132, 183, 187, 211, 212.

[43] C'est seulement comme visiteur à Paris que Dadié n'apparaît pas portant un « je » anonyme. Il porte le nom significatif de Tanhoé Berlin. Selon Battestini (in Bernard Dadié, Nathan, 1964, p. 54), Tanhoé signifie « le dieu de la guerre et le gardien de la Religion Baoulé dont le messager est la tortue. Il est ennemi des Blancs ainsi que des métis et des albinos ». C'est aussi le nom d'un fleuve entre le Ghana et la Côte-d'Ivoire.

[44] Il affirme en effet dans Un Nègre à Paris, Présence Africaine, 1959, que « pour connaître, apprécier, aimer un peuple, il faut étudier son histoire », p. 134.

[45] Il enseigne dans chaque œuvre les vertus du voyage. Voir surtout Un Nègre à Paris (p. 193-202); La Ville où nul ne meurt (p. 35-37, 76). Il montre dans ces pages comment le voyage élargit l'horizon du voyageur, l'éduque et l'aide à acquérir une connaissance plus raisonnée et plus objective du peuple visité. En plus, le voyage permet à celui qui l'entreprend de se situer par rapport aux autres.

[46] Quillateau, op. cit., p. 152 (voir aussi la note 26 où il est déjà cité).

[47] Patron de New York, Présence Africaine, 1964. Voir surtout p. 32, 41, 50, 60, 70, 71, 127, 140, 177, 179, 241, 278, 284, 305. Dans ces pages, Dadié s'exprime presque toujours en poète.

[48] Ibid. Voir surtout p. 61,140,149-150.

[49] Ibid., p. 47.

[50] Un Nègre à Paris. Voir surtout les pages 157, 221, 227.

[51] Patron de New York, p. 34, 44-45, 49, 54, 66, 71-75, 85, 92, 97, 103, 116, 264, 284.

[52] Ibid., surtout p. 33, 78, 79, 89, 142.

[53] Ibid., p. 45, 52-53.

[54] La Ville où nul ne meurt, Présence Africaine, 1968, p. 49.

[55] Patron de New York, p. 75, 90, 129, 160.

[56] Voir les commentaires sur le dollar dans les pages suivantes : p. 18-20, 38, 41, 44, 55, 58-59, 69, 76 78, 80-81, 91, 120, 136, 147, 152, 164, 167, 262-263, 276, 290.

[57] Ibid., p. 45, 64, 67, 74, 77, 106, 144, 147, 156.

[58] Ibid., p. 59-61, 69, 79-80, 96, 258, 266.

[59] Ibid., p. 68, 82-84, 90, 117, 128, 133, 148, 159-161, 187, 190-191.

[60] Ibid., p. 7, 70, 77, 178, 291 et chaque fois que le Nègre de Harlem est mentionné (voir note 47).

[61] Ibid., p. 98, 131-133, 159-160, 197, 203, 210, 297.

[62] Voir aussi Un Nègre à Paris, p. 154, 164-165, 191, 193; Une Ville où nul ne meurt, p. 77.