© Peuples Noirs Peuples Africains no. 30 (1982) 133-137



POEMES

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LE BOUT DE L'AN

Adiyi-Martin BESTMAN

Là-bas la douleur neige en septembre
Les colombes tombent
Les étoiles dépolies s'endorment au chloroforme
Surpris dans son vol vers les écumes crémeuses
Le goéland
Dérape et s'ankylose sur les dunes
Il dort le goéland
Depuis quatre ou cinq cents ans il dort
Tel le navigateur fabuleux
Qui dort après les foudres des stupéfiants
Car ni les spasmes crépités des ailes
Ni les bourrasques de plumes
Ne l'entraînent vers les rumeurs des coquillages
Dors goéland
Dors calme ton sommeil de stalagmites glacées
Jusqu'à la fonte des traînées de poudre blanche
Tel Steve Biko immobile
Là-bas le deuil neige en septembre.

        Adiyi-Martin BESTMAN

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JEU RÉGLÉ

Il y a
sous l'écorce de mes paupières
une source oubliée
où circulent
silencieusement [PAGE 134]
des matériaux malléables
des labyrinthes inexplorés
où se tressent les arcanes
des réseaux
où se réverbèrent les échos d'étoiles-fétiches
qui parfois
goutte à goutte
inondent mon architecture de lumière éclatée.

Il y a
sous mes ongles polis
un iroko compact
qui germera dans deux mille ans peut-être ou cinq ou sept
alors nul besoin de se presser
car si le gland
s'empresse
ou doute
de l'exploration onirique
du circuit
comment pourra-t-il se mobiliser
afin de s'arracher
à la texture du silence étanche ?
comment pourra-t-il transcender
le jeu réglé
de la capsule qui l'emprisonne
et se nourrir
de vibrations de lumière motrice ?
au bout de son aventure intime
il ne lui restera
peut-être
qu'à se dévorer lui-même
ou se faire obliquement
complice du silence souverain
alors nul besoin de se presser

        Adiyi-Martin BESTMAN

[PAGE 135]

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D'INSTINCT

d'instinct
l'araignée pose sa dentelle
les réseaux soyeux
obéissent aux lois feutrées de l'équilibre
toute la toile
vibrera des tremblements inutiles de la proie

d'instinct mon chant
ma danse
ma prière

intuitivement
l'oiseau s'approvisionne d'algues grasses
pour les migrations lointaines

et la nymphe
dans le cocon
à l'envers de la feuille
inaperçue
s'enveloppe
demain la chrysalide s'envolera
éblouie de lumière

extase de bourgeonnement
couvée au sein même de l'atome
on ne sait par qui
on ne sait comment
la création
à perte d'infini
fait don d'elle-même

– LA CIVILISATION
peu à peu
tue l'instinct
et le rire
et l'équilibre
(par instinct aussi peut-être)

        Adiyi-Martin BESTMAN

[PAGE 136]

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FREEDOM

Ahmed SABER

What a fouled word
To be found in a fooled world!

Freedom :
Eternal joke!

Freedom is but a barren
Simulacrum of
Obscene hopes :

Can a man be free
When in shakles he's born ?

Can a man be free
When in chasms he's cast ?

Can a man be free
When in other hands he's trapped ?

Can a man see
When his eyes are plucked out ?

Can a man be free
When his land is besieged ?

Can a man be free
When he's entombed under the Sea ?

Can a man talk
When his tongue is cut ?

Can a man hear
When his ears are scaled ?

Can a man be free
When his being's denied ?

Can a man exist
When to death he's doomed ?

Can a man think
When his brain is drained ?

Can a man feel
When his senses are tarred ? [PAGE 137]

Can a man be free
When there are barriers he cannot cross ?

Can a man be free
When his People are writhing in misery ?

Can a Land be free
When its Leaders are wallowing in luxury ?

Can a man be free
When his Freedom is a tragedy ?

Freedom,
Unspeakable freedom,
Do you really exist ?
When ?
Where ?
On Earth
You are eternally condemned to naught
In Heaven,
You are beyond my ken.
     Freedom
         Freedom
             Freedom...

        Ahmed SABER