© Peuples Noirs Peuples Africains no. 28 (1982) 77-95



L'AFRIQUE EN LIBRAIRIE

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BOUBACAR BORIS DIOP A LA DECOUVERTE
DU TEMPS PERDU

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Pourquoi notre histoire n'est-elle depuis plus d'un siècle qu'une succession de crises désespérément stériles ? C'est à cette question ardue et, pour nous Africains, lancinante que Boubacar Boris Diop tente d'apporter la réponse dans Le temps de Tamango[1].

Reconnaissons d'emblée que s'attacher (ou plutôt s'attaquer) à une entreprise aussi gigantesque et ô combien délicate dans un premier roman suppose beaucoup d'assurance et un talent certain.

Le projet nécessite aussi un certain recul que l'artiste n'a point hésité à créer... pour ensuite pouvoir le prendre. Peut-être serait-il plus juste de dire qu'il se l'offre tout simplement par le seul effet de sa volonté souveraine : le créateur n'est-il pas Dieu ?

L'œuvre nous situe au XXIe siècle, à un moment où des intellectuels africains tentent de reconstituer des événements ayant marqué l'histoire politique de leur pays dans les années soixante - soixante-dix du siècle précédent. De cette recherche pour le moins laborieuse et passionnée, menée avec minutie, intelligence et imagination – c'est-à-dire [PAGE 78] en toute liberté – nait un récit à facettes donné comme la mise en ordre des « notes éparses et bien souvent illisibles » du narrateur qui « se défend vivement de faire de la littérature » tout en nous indiquant, par ailleurs et de façon explicite, l'influence de Jacques Roumain et de Gabriel Garcia Marquez dans sa démarche. Le lecteur risque de ne voir dans cette œuvre qu'un pur jeu du langage inspiré par les leçons bien apprises du « nouveau roman ». Mais il passerait à côté de l'essentiel : c'est que la réalité, l'objet de la quête, impose à l'écriture ses lois déroutantes et sa complexité infinie. Le romancier réussit à nous convaincre avec une habileté indéniable qu'il n'a d'autre solution que d'assiéger cette réalité par une stratégie de la compréhension en profondeur qu'il élabore, non pas a priori, ou de façon linéaire et définitive, mais patiemment, à l'épreuve de la vie, dans le respect de la complexité du cœur et de l'esprit humains. C'est l'idée qui cherche sa forme et la trouve, comme naturellement, et non la forme qui détermine l'idée.

L'univers du roman est ainsi (re)construit par lambeaux, par bribes, par tâtonnements avec toujours l'exigence jamais perdue de vue de la profondeur. L'œuvre en vient à nous révéler un monde hallucinant d'assujettissement pompeusement occulté, d'opprobre lamentablement accepté, de duperies grotesques, d'illusions tragiques, d'ambitions sordides et de rêves éventrés qui se tiennent et se soutiennent dans une confusion parfaitement incroyable. Dans ce monde cynique les événements semblent survenir pour inciter les hommes à prendre la mesure de leur déchéance ou de leur impuissance. Mais en vain. Certes, il est quelques personnages porteurs d'espoir qui s'obstinent à échapper à la confusion, à découvrir qui est la victime et qui est le bourreau dans une tension parfois insoutenable qui fait que l'esprit tourne, tourne jusqu'à « la folie ». Ces personnages mènent une lutte désespérée, souvent dérisoire à bien des égards. Mais ils y tiennent ferme, comme à la seule garantie de ne pas sombrer... jusqu'au jour où, on ne sait par quel déterminisme implacable, ils sont fauchés par une coalition de forces aveugles.

Le temps de Tamango est un roman de l'échec, de notre échec à l'ère lugubre du néo-colonialisme triomphant. C'est par conséquent un roman d'élan et d'espoir. [PAGE 79] Il participe du courant dominant de la littérature négro-africaine contemporaine qui semble s'être résolument donné pour tâche de dire le malaise d'aujourd'hui pour lever l'hypothèque qui pèse sur demain. Dans sa préface au roman Mongo Beti donne son avis à propos de cette orientation : « personnellement, j'ai toujours pensé que c'était là l'objet obligé de notre contemplation, la raison d'être de nos romanciers pour très longtemps encore, je n'ose dire pour toujours, et même qu'il est abusif d'appeler cela engagement, comme si l'on pouvait imaginer que nous ayons le choix, que nous puissions parler d'autre chose sans nous déconsidérer ».

Mais Boubacar Boris Diop va encore plus loin : cet avenir que nos romanciers travaillent à dégager, il nous le met là, devant nous, et nous le présente (déjà), dans une vision fulgurante, sous un jour radieux. Il matérialise ainsi à travers la politique-fiction ce que d'autres ne font que rêver ou suggérer avec scepticisme. C'est en cela que Le temps de Tamango est une œuvre qui galvanise, une œuvre tonique qui nous pousse à secouer la torpeur dans laquelle nous sommes englués, une invitation à nous ressaisir, un appel à persévérer dans la lutte quoi qu'il advienne avec l'inébranlable conviction que notre liberté reste à conquérir dans un combat permanent et quotidien. Maintenant que nous nous savons encore dans le tunnel, pourquoi ne pas presser le pas ? L'avancée sera pénible en raison de notre volonté émoussée et des obstacles redoutables qui se dissimulent dans les ténèbres. Mais enfin le bout n'est pas si loin! Et nous ne perdons rien à essayer de l'atteindre! Ce roman est une garantie d'humanisme, un acte de profonde générosité.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

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DE MALABO A YAOUNDE OU LA GUINEE EQUATORIALE DANS L'AFRIQUE NEO-COLONIALE

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Les lecteurs de P.N.-PA. ont déjà eu l'occasion de lire dans les numéros 23 et 24 une étude de Max Liniger-Goumaz consacrée à la Guinée Equatoriale. Il s'agit là [PAGE 80] d'une partie d'un ouvrage que l'auteur s'apprêtait à publier et qui vient de paraître à Genève[2].

Ce livre constitue le témoignage de l'effort que mène son auteur, « observateur » étranger, mais surtout « frère de cœur », pour sortir cet unique pays hispanophone d'Afrique noire d'une sous-information chronique, concertée et criminelle. Max Liniger-Goumaz s'attache essentiellement à une présentation de l'évolution politique de la Guinée Equatoriale depuis 1968, date de l'indépendance, avec l'arrivée au pouvoir de « Papa Macias Nguema », dictateur de lugubre mémoire. Mais l'analyse opère un retour au passé colonial qui permet à l'auteur de situer cette évolution dans une perspective de tragique continuité, « de la dictature des colons à la dictature des colonels », et de mieux comprendre pourquoi l'indépendance se révèle un échec.

Le bilan des 14 années de gestion des affaires de l'Etat par les autochtones apparaît comme un désastre sur tous les plans : un Etat fantôme, un pays dominé et meurtri; un peuple divisé, exploité, opprimé, torturé, exilé; une terre exsangue d'où la vie a fui. Depuis 1968 s'est instaurée en Guinée Equatoriale une « République népotique nguémiste » et le renversement de Macias Nguema par Obiang Nguema – ou plutôt la substitution du neveu à l'oncle – loin de répondre aux aspirations populaires n'est en réalité que l'expression de la volonté forcenée du « clan de Mongomo »[3] de maintenir à tout prix son pouvoir fantoche face à l'intensification des luttes populaires. Obiang Nguema = Macias Nguema : continuité dans la dictature, continuité dans la terreur, continuité dans le népotisme, continuité dans la corruption, continuité dans la misère à l'ère du néo-colonialisme triomphant – « rien n'a changé ».

Il faut rendre hommage à Max Liniger-Goumaz de lever le voile sur la tragédie du peuple équato-guinéen, car le désespoir de ce peuple est immense. Le pays sue la misère et la désolation par tous ses pores et n'offre que l'image de la détresse, une détresse insondable. [PAGE 81]

Il suffit de visiter certains pays voisins pour se rendre compte de l'ampleur du drame. C'est ainsi que j'ai pu constater en débarquant à Libreville en 1979 que ceux qu'on appelle au Gabon « les Equatos » sont de vrais souffre-douleur, des parias, des moins-que-rien. Au Gabon, « Equato » est synonyme de misère, de crève-la-faim, de va-nu-pied. J'ai été ahuri par l'acharnement que l'on met dans ce pays à humilier ces fuyards (que pourtant tout rapproche du peuple gabonais); j'ai été atterré par l'effort démoniaque déployé de toute part pour empêcher, décourager chez eux toute tentative d'intégration sociale, pour étouffer tout espoir de vie décente. Tout est mis en œuvre pour prouver à « l'Equato » qu'il n'est pas chez lui. Moyennant quoi il est maintenu dans les métiers subalternes, pénibles, dégradants. On entretient ainsi dans toute la communauté « équato » un sentiment d'humilité craintive que l'on s'irrite à ne pas voir se transformer en complexe d'infériorité. Car pour le Gabonais de « la Renaissance dans la Rénovation » il n'y a pas l'ombre d'un doute : un « Equato » est un sous-homme.

Tout concourt à confirmer cette réalité. En janvier- février 1981, lors de ma détention au CEDOC (police politique), j'ai pu voir comment ces fuyards de Guinée Equatoriale (dont la majorité avait refusé de répondre à l'invitation à rentrer au pays faite par Obiang Nguema après la chute de son oncle – et pour cause), étaient arbitrairement privés de liberté, parqués comme des bestiaux dans un réduit infect, affamés et sauvagement malmenés parce qu'ils n'avaient pas « la carte de séjour », cette peste giscardienne technologiquement transférée au pays de Bongo. Oui, « la carte de séjour », voilà ce qui tue les « Equatos » au Gabon! J'ai pu voir comment sans aucune formalité des cadres gabonais venaient à toute heure du jour et de la nuit piocher dans ce lot de misérables pour aller « faire le ménage avec Madame », « arranger la cour et le jardin », « laver la bagnole », « servir dans une réception » et même « aider les maçons à construire une case ». Et « les Equatos » se précipitaient dès qu'une voiture s'arrêtait au poste; et « les Equatos » priaient pour qu'on les emmenât travailler gratis. Car c'était pour eux l'unique moyen d'échapper pendant quelques heures à leur pourriture, à l'enfer quotidien; l'occasion rêvée [PAGE 82] aussi pour s'évader, fuir... jusqu'au jour où un car de police viendrait encore les déverser, tristes loques, dans ce même réduit insalubre, « pour la carte de séjour »... Les répercussions du drame équato-guinéen sont immenses et dépassent largement les limites de ce pays. L'exil est loin de constituer pour ce peuple la fin d'un cauchemar en raison de l'irresponsabilité de nos dirigeants maintenus en place par le système néocolonial.

Nous touchons là un point important du problème posé : on ne saurait analyser l'évolution politique de la Guinée Equatoriale sans une référence constante au contexte global de l'Afrique néo-coloniale qui permet de saisir les phénomènes identifiés dans leur portée générale. Or Max Liniger-Goumaz semble faire de la Guinée Equatoriale « un cas isolé », ce qui le conduit parfois à donner une image fausse de la situation politique dans les autres pays du continent. A titre d'exemple, le passage suivant : « parmi les conseils prodigués directement à la junte du OMS, fin 1981, il y a ceux du président Ahidjo, du Cameroun, et du Chef du gouvernement espagnol, Calvo-Sotelo. Indirectement, les conseils du Souverain pontife valent eux aussi, particulièrement depuis que les militaires du clan de Mongomo (et leurs complices civils) cherchent à se faire plébisciter par lui en l'invitant en Guinée Equatoriale. Tous ces conseils se recoupent et tournent autour des deux thèmes abordés par Calvo-Sotelo les 22-23 décembre 1981, soit les droits et libertés garantis, et la démocratisation comme exigence minimale d'un renouveau »[4]. L'auteur poursuit son analyse en établissant le tableau que voici :

Jean Paul II

Droits civiques fondamentaux
Arrêt des arrestations arbitraires
Arrêt de la mortification culturelle
Véritable droit d'association
Dignité des travailleurs
Instauration du dialogue
      Ahidjo

Tolérance
Réconciliation
Unité Nationale
Mythe de l'effort et du travail
Dialogue
Paix et concorde

[PAGE 83]

M. Liniger-Goumaz conclut : « Impressionnante unanimité entre ces hommes, en particulier le chef de l'Eglise catholique, et le Président de la République Unie du Cameroun, Musulman. Unanimité qui rejoint les recommandations formulées par la Commission des Droits de l'homme des Nations Unies »[5].

Ce parallèle entre Ahidjo, Jean-Paul II et la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies est choquant pour tout observateur averti de la politique africaine.[6] [N.D.L.R.]

En effet, c'est un spectacle courant sur notre continent qu'un dictateur, parfaitement ubuesque et réputé pour sa brutalité inouïe, profite d'une « affaire extérieure » à son propre pays, ou d'une situation qui mobilise « l'opinion publique » à un moment donné pour jouer le rôle de « Sage africain » qu'une certaine presse inféodée ou vendue s'applique complaisamment à lui attribuer. Le caractère grotesque, voire même cynique de ces opérations de charme diplomatique à visées mystificatrices n'échappe plus aux Africains eux-mêmes. C'est, littéralement, de la poudre aux yeux.

On ne saurait par conséquent raisonnablement faire d'un tel tyran un champion des droits de l'homme et de la démocratie, de la tolérance et du dialogue. Une telle attitude relève donc d'une crédulité fâcheuse. [PAGE 84]

Ahidjo modérateur d'Obiang Nguema, c'est Mobutu modérateur d'Amin Dada... Fermons-nous les yeux devant ces simagrées macabres et laissons monter jusqu'à nous le gargouillis tumultueux de l'ardente fureur des peuples africains unis dans le même malheur.

Car, au Cameroun, nous retrouvons mutatis mutandis tous les phénomènes décrits par Max Liniger-Goumaz dans son ouvrage : le despotisme sanguinaire, le tribalisme, la corruption, l'enrichissement fabuleux d'une poignée d'arrivistes à la solde de l'étranger sur le dos de la masse qui vit dans le dénuement et la misère. La Guinée Equatoriale, c'est l'Afrique néocoloniale; l'Afrique néocoloniale, c'est aussi le Cameroun...

C'est d'ailleurs pour cela que l'ouvrage de Max Liniger-Goumaz n'est pas seulement destiné à ceux qui s'intéressent à la Guinée Equatoriale, mais s'adresse surtout à tous ceux qui sont concernés par les problèmes abordés, c'est-à-dire à tous les Africains. Une étude sérieuse, un livre bien documenté qui est le miroir terrible de la tragédie de notre destin commun.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

[PAGE 85]

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IL FAUT QUE ÇA CHANGE !

Guy Ossito MIDIOHOUAN

L'idée générale qui se dégage de la Lettre Ouverte aux Pauvres d'Afrique[7] de Yves-Emmanuel Dogbe est la suivante : la situation catastrophique que connaît l'Afrique d'après les « les indépendances » trouve son fondement dans l'instauration d'un système néocolonial dont les principales caractéristiques sont l'injustice, l'oppression, le vol et la violence. Le bilan des vingt années d'« indépendance » tient en un mot : l'échec. Echec social dont témoignent les inégalités criardes et surtout l'insondable misère de la masse. Echec économique, car « il est inadmissible que l'Afrique, qui a une vocation essentiellement agricole, soit devenue une terre où le Noir meurt de faim tout en produisant suffisamment d'arachides, de café, de cacao... pour le bonheur des pays Occidentaux, et que ce soient ces Occidentaux qui creusent pour les populations des puits et qui leur distribuent des vivres ». Echec politique symbolisé par la prolifération des régimes militaires et des partis uniques qui, « foulant au pied les principes élémentaires de la démocratie, sont destinés à renforcer et à perpétuer le règne du chef de l'Etat – qui n'hésite pas à se proclamer « Président à vie » – et de la minorité de privilégiés qui l'entourent; et au sein de ces partis, toute la population, sous peine de sévices, de tortures ou d'emprisonnements, est appelée à chanter et danser sur les places publiques les louanges du « Père de la Nation », l'homme providentiel sans lequel tout le monde serait mort de faim » ! Et comme on le sait « personne ne peut s'attacher au pouvoir au point d'étouffer l'opposition sans recourir au crime » (Beazley). Echec total donc.

Yves-Emmanuel Dogbe appelle à une nouvelle prise de conscience, à un réveil de l'Afrique pour l'élaboration d'une stratégie de développement autocentrée et d'un projet de société où la formation de la jeunesse, le sens de l'unité et de la solidarité, la satisfaction des besoins essentiels du peuple (nourriture, logement, santé) doivent [PAGE 86] constituer les seules exigences d'une politique libérée des déterminations extérieures et consciente des pièges de « l'aide au développement ».

On ne saurait analyser l'échec des vingt années d'« indépendance » en oubliant l'importance du rôle de « l'aide au développement » dans cette situation catastrophique. C'est ce que démontre Albert Tévoédjré, l'auteur de Pauvreté, richesse des peuples[8], dans un texte introductif à l'ouvrage de Dogbe où il milite « pour une morale de la coopération » en partant de l'exemple de la France. « Quand on est la France, affirme Tévoédjré, on ne peut se permettre de coopérer avec n'importe qui, n'importe quand, n'importe comment et dans n'importe quel but »... « La coopération de la France ne peut être indifférente aux emprisonnements, tortures ou meurtres de milliers d'innocents, de cadres qu'elle a formés, de paysans écrasés, qui ont tout juste le « tort » de pousser de temps en temps un cri de douleur »... « Pour nous, l'indépendance, c'est d'abord la rupture avec l'histoire de la torture et du meurtre organisés. C'est donc par tragique inculture historique que, aujourd'hui, avec l'aide de spécialistes qui ont fait leurs preuves, des Nègres se retrouvent torturant et tuant d'autres Nègres. C'est par tragique inculture historique que des gouvernements indépendants organisent eux-mêmes la dispersion de leurs peuples à travers le monde, faisant de l'état de réfugié le moins anormal qui soit désormais en cet univers de violence et de haine.

« La coopération de la France ne peut ignorer tous ces malheurs et prétendre les verser au compte de ces fameuses « affaires intérieures », dont on ne parle plus dès que les matières premières, l'argent et les gros bénéfices se trouvent en jeu »...

« Aucune coopération ne vaut donc que fondée sur « la capacité de libération des hommes »... Autrement les coopérants se retrouvent « tous suppôts du capitalisme, tous responsables, tous négriers, tous redevables désormais de l'agressivité révolutionnaire »... « Les massacres des innocents ont d'abord pour origine le refus d'une morale. »

Quant à nous, nous constatons avec Yves-Emmanuel [PAGE 87] Dogbe que les populations africaines n'en peuvent plus de cette vie de misère. Nous savons qu'elles sont « en travail » et souhaitons qu'elles explosent sous peu. Pour nous Africains de 1982 la vérité énoncée par Césaire en 1939 reste actuelle : la seule chose au monde qui vaille la peine de commencer, c'est la fin du monde.

Il faut que ça change !

Guy Ossito MIDIOHOUAN

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MARYSE CONDE "UNE SAISON A RIHATA"
(Paris, Robert Laffont, 1981, 215 p.)

Guy Ossito MIDIOHOUAN

C'est en Afrique qu'à nouveau Maryse Condé, l'auteur de Heremakhonon[9] choisit de situer l'action de son second roman, Une saison à Rihata, dans une République noire gouvernée par Toumany, un dictateur lubrique et sanguinaire, ancien tirailleur – comme on en rencontre un peu partout sur notre continent.

A N'Daru, la capitale, où Zek, « l'enfant du pays », et sa femme Marie-Hélène, d'origine antillaise, vivent avec leurs enfants depuis leur retour d'Europe, survient un drame : mal acceptée par ses beaux-parents, peu intégrée au milieu – ce qui rejaillit d'ailleurs sur l'image sociale de toute la famille –, délaissée par son mari qui préfère s'en aller avec ses amis et ses maîtresses et, par conséquent, plongée « dans une solitude extrême », Marie-Hélène, la « Semela » (mot qui en ngurka signifie « celle-qui-vient-d'ailleurs »), finit, un peu par vengeance, par perdre complètement « le contrôle de la situation » et se retrouve amoureuse. « Eperdument amoureuse de Madou », le frère cadet de son mari.

Les rapports de sourdes rivalités et de jalousie contenue qui existent entre les deux frères – nés d'un père polygame qui a toujours manifesté sa préférence pour le plus jeune – auraient pu envenimer le drame et en rendre les conséquences tragiques. Zek, blessé, réussit pourtant à dominer les passions, demande et obtient une [PAGE 88] mutation à Rihata, une ville de l'intérieur « où il ne se passe jamais rien » : une fuite.

A Rihata, où nous situe le roman, la famille s'installe dans une vieille maison coloniale qui ne ressemble à aucune autre, étrange et délabrée à l'image de la vie de ses nouveaux occupants dont chacun, dans son coin, dans son monde, poursuit désespérément un rêve impossible, son rêve, dans un climat d'amertume tenace et de vague ressentiment où toute communication s'avère illusoire parce que impossible. Le silence en acquiert une gravité et une puissance presque insupportables. Car, sur toutes ces vies parallèles maintenues ensemble par ce qui ne se dit pas, plane à tout instant la terrible menace d'un irrémédiable déchirement...

Lorsqu'on l'analyse de près, on découvre que l'atmosphère qui règne dans cette famille n'est pas sans rapport avec la situation générale qui prévaut dans le pays : elle l'évoque, la suggère, la symbolise même parfois.

Bientôt Madou – entre temps nommé Ministre du Développement rural par Toumany dont il a épousé une sœur – arrive à Rihata. En mission. Pour les fêtes du 28 décembre, date de commémoration du coup d'état qui a porté le guide suprême au pouvoir, pense-t-on d'abord.

Mais très vite, la mission du Ministre se révèle plus importante, plus complexe et plus délicate aussi. Il est chargé d'entamer à Farokodaba, « un village sans intérêt situé juste à la frontière », des pourparlers avec les représentants d'un pays voisin, ancienne colonie portugaise, dont le Président, Lopez de Arias, entend réaliser entre ses frontières le modèle même de la vraie révolution socialiste et ne perd pas une occasion d'accabler Toumany qui, selon lui, cache la plus sanglante des dictatures sous une phraséologie de gauche... Mais Madou peut-il se rendre à Rihata sans chercher à rencontrer... son frère ?

Son séjour à Rihata donne fatalement lieu à un échange de visites entre Zek et lui. Les souvenirs apparemment effacés, les ressentiments apparemment dépassés, les sentiments troubles et les soupçons endormis se ravivent. Pourtant, curieusement, Madou apporte aussi l'espoir, l'espoir d'une existence meilleure dans cette famille en lambeaux, déboussolée. Hélas, cet espoir ne luira que l'espace d'une saison...

La rumeur d'une réconciliation future entre Toumany [PAGE 89] et Lopez de Arias ne tarde pas à se répandre, jetant la consternation dans les rangs des patriotes qui trouvent aide et soutien auprès de Lopez de Arias dans la guérilla qu'ils mènent contre le régime policier de Toumany. L'enjeu de la mission du Ministre est donc de taille et ne peut par conséquent manquer de provoquer des réactions imprévues et insoupçonnées. Dès lors, Madou est pris au piège du système et de ses ambitions personnelles. Dépassé par les événements qui se précipitent sous l'impulsion de forces incontrôlables, il s'attache à jouer à fond son rôle. Jusqu'à la fin. Pendant que l'appareil répressif fonctionne à plein rendement, Toumany, pour honorer la mémoire de son « fils spirituel », décide de le nommer « Premier Ministre à titre posthume » pour « n'avoir plus à en nommer un autre » !

Roman psychologique, roman social ou roman politique ? L'œuvre est tout cela à la fois et en même temps, complexe et dense comme le réel. C'est en réalité plusieurs histoires qui évoluent de front, se suscitent et s'éclairent, se recoupent et se fuient, se cherchent et s'imbriquent, s'emmêlent et se tiennent solidement, portées par le temps qui dans l'écriture se révèle flux et reflux perpétuels d'une conscience en quête d'unité. Maryse Condé affirme elle-même, à la suite de Peter Handke, que « ... la toute-puissance des faits est telle que l'imagination n'a presque plus rien. » Certes. Mais il y a la sensibilité du narrateur qui intervient pour une part importante dans la relation des faits. Ici l'écriture est une poursuite des êtres et des choses. Elle est dévoilement mais aussi dépassement. La pensée évolue suivant une logique irradiante, subtile et pénétrante, avec toujours ce rien à la fois indéfinissable et essentiel qui fait d'Une Saison à Rihata un roman tel que n'en peut écrire qu'une femme.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

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SUR L'ANTHOLOGIE AFRICAINE DE J. CHEVRIER

Jean-Norbert VIGNONDE

Fidèle observateur de l'évolution des Lettres africaines, J. Chevrier vient de publier chez Hatier, dans la collection [PAGE 90] « Monde-Noir-Poche » qu'il dirige, une Anthologie africaine[10] qui pourra désormais former un ensemble quasi indissociable avec Littérature nègre[11]. Cette livraison qui se situe dans la lignée de celles de Blaise Cendrars, André Justin, Lylian Kesteloot, Christiane Reygnault, Léonard Sainville, vient à temps rénover – certes dans une proportion plus modeste[12] – la plus récente de toutes, celle de L. Kesteloot hélas déjà dépassée par l'évolution rapide subie ces vingt dernières années par la production littéraire africaine. Et c'est le mérite de J. Chevrier d'avoir su, par une judicieuse sélection de textes, porter à la connaissance du public le nom des nouveaux représentants de la littérature africaine qui s'éloignent déjà de la trop célèbre mouvance de la Négritude et qui sont ceux de Ahmadou Kourouma, de M. Alioun Fantouré, Henri Lopès, Tierno Monénembo, V. Yoka Mudimbé, Sony Lab'ou Tansi, Mariama Bâ, etc...

Anthologie africaine dans sa conception et dans sa réalisation présente un certain nombre de qualités de caractère tant pratique que pédagogique qui, incontestablement, faciliteront sa diffusion et son utilisation. La vocation même de la collection dans laquelle l'Anthologie est publiée[13] constitue un atout non négligeable qui confère ipso facto à ce livre les qualités de concision, de précision et donc d'efficacité.

Sur le plan pédagogique ou didactique notamment, on observe avec satisfaction, que chaque texte est introduit par un bref encadré bio-bibliographique de l'auteur, et une bonne présentation d'ensemble de l'œuvre dont est tiré le texte. A la fin du livre, un index des noms d'auteurs que complète efficacement un bon index des thèmes évoqués à travers les différents textes présentés. L'Anthologie [PAGE 91] elle-même est relativement à jour puisque l'auteur y fait figurer des textes d'œuvres très récentes comme L'initié de Olympe Bhêly Quénum (1979), Les crapauds-brousse de Tierno Monénembo (1979), La vie et demie de Sony Lab'ou Tansi (1979) ou encore Les jambes du Fils de Dieu de Bernard Dadié (1980), même si cette actualisation reste très éclectique et comporte par ailleurs quelques graves omissions. Enfin, on note que la sélection thématique et la présentation chronologique suivent dans l'ensemble l'évolution générale de la « Littérature africaine de langue française »...

Toutefois l'entreprise de J. Chevrier n'est pas sans susciter quelques questions de fond sur l'approche que l'auteur a de la littérature africaine. Nous ne retiendrons ici que deux points de discussion, le premier étant d'ordre socio-culturel – question de méthodologie–, le second relevant tout simplement de l'histoire littéraire. Nous laissons de côté les questions de détail que peuvent toutefois soulever certaines affirmations trop rapides ou peu nuancées de J. Chevrier, comme par exemple lorsqu'il écrit : « En effet, à peine les anciens territoires « d'outre-mer » étaient-ils émancipés que le mythe de l'unité africaine a volé en éclats et que l'on a assisté à une véritable balkanisation du continent » (p. 5). La responsabilité décisive du fait colonial en ce domaine semble implicitement occultée, comme si les Africains n'avaient pas fait qu'entériner, surtout à travers la charte de l'O.U.A., un état de fait dont ils ont hérité[14].

La couverture du livre de J. Chevrier annonce « Anthologie africaine », mais la page de garde devient subitement plus restrictive en apportant, en caractères aussi imposants que le titre, cette précision réductrice : « d'expression française ». Certes, c'est un fait que, surtout en relations internationales, les Etats africains sont généralement regroupés selon les influences linguistiques coloniales qui les ont déterminés : on parle volontiers de l'Afrique anglophone, lusophone, francophone, même si, sur le plan socio-culturel, cette francophonie notamment ne correspond pas à une réalité sociologique fondamentale et n'affecte généralement que moins de 10 pour 100 [PAGE 92] des populations envisagées. La question que nous posons alors est celle-ci : le clivage « anglophonie-francophonie » constitue-t-il aujourd'hui en Afrique un pertinent critère discriminant dans une efficace approche des faits et des données culturels sur le continent ? Autrement dit, au regard des manifestations culturelles, en l'occurrence littéraires, un pays comme le Bénin est-il plus à rapprocher du Gabon ou du Mali, au nom de la francophonie, que du Nigeria ou du Ghana qui sont dits anglophones ? Toujours est-il qu'à force d'opérer avec de tels critères démarcatifs, on en arrive à cette regrettable constatation que les lettrés francophones du Togo et du Bénin, par exemple, ignorent tout de l'effervescence littéraire qui s'observe autour d'eux au Ghana et au Nigeria notamment, alors qu'ils savent presque tout de la situation littéraire qui prévaut dans des contextes géo-culturels aussi distants que différents comme le Sahel (Mali, Sénégal, etc... ) ou l'Afrique équatoriale (Congo, Cameroun, Zaïre, etc... ) Les critiques africanistes anglophones nous paraissent plus judicieux, beaucoup moins sectaires, qui généralement approchent les données socio-culturelles avec une vision plus globale des contextes régionaux culturellement: homogènes, surpassant ainsi les frontières aussi artificielles qu'insidieuses dressées par l'anglophonie et la francophonie colonisantes ou coloniales. L'anthologie de Judith Illsey-Gleason This Africa : Novels by West African in English and French[15], Sociologie du roman africain du nigérian Sunday Anozie[16], ou encore African Authors de Donald E. Herdeck[17] sont assez représentatifs de cette tendance qui avait d'ailleurs quelque peu orienté L. Kesteloot dans la constitution de son Anthologie négro-africaine. Malgré la profonde déception de Robert Cornevin qui regrettait de ne voir « citer (dans l'œuvre de L. Kesteloot) que 33 écrivains d'Afrique noire francophone pour 16 de l'Afrique anglophone et 16 des Antilles francophones »[18], nous pensons que seules de [PAGE 93] telles approches, sans frontières linguistiques artificielles, peuvent permettre une meilleure, plus juste et plus complète appréhension de l'évolution des Lettres africaines. Et dira-t-on jamais assez de quel bénéfice cette approche pourrait être pour la Littérature Comparée qui, il ne faut pas l'oublier, est la première spécialité de J. Chevrier! Le second point de discussion que pourrait soulever l'Anthologie africaine tient à l'histoire même de la littérature négro-africaine de langue française, telle qu'elle est présentée ici par J. Chevrier. Il n'y a en fait rien de nouveau dans ce schéma historique, puisqu'il s'agit du même schéma qui a guidé Littérature nègre, et sur lequel s'accordent généralement et trop facilement les historiens de cette littérature : c'est le schéma jadis proposé en 1965 par L. Kesteloot dans sa thèse Les écrivains noirs de langue française : naissance d'une littérature qui donne comme point de départ de cette littérature le mouvement de la Négritude inspirée de la Négro-renaissance américaine[19]. Partant de cette périodisation, J. Chevrier décrit ainsi la courbe d'évolution de la littérature négro-africaine de langue française :

    Après avoir dénoncé les servitudes de la société coloniale, les écrivains se sont attachés à l'analyse des conflits de culture et de malaise engendrés par la quête d'une identité problématique, entreprise souvent douloureuse dont Cheikh Hamidou Kane a donné une très convaincante illustration dans L'Aventure ambiguë. Aujourd'hui, il semble que l'attention des romanciers soit monopolisée par l'évolution d'une société en pleine mutation (p. 5).

Et l'Anthologie africaine s'ouvre sur René Maran avec l'inévitable Batouala considéré comme « premier signe avant-coureur de la Négritude » (p. 12). Tout le problème est là : René Maran, précurseur de la Négritude ? La Négritude, première manifestation de la littérature négro-africaine de langue française ? Il y a là, nous semble-t-il, une question d'histoire littéraire qui mériterait plus que [PAGE 94] certaines affirmations rapides dont on ne peut plus trop se satisfaire aujourd'hui que les recherches ont beaucoup progressé et que certains fondements supposés acquis, commencent à être remis en cause[20]. Nous ne nions pas que René Maran ait joué un rôle important dans l'éclosion de cette littérature, mais selon nous, moins comme l'auteur de Batouala (dont le succès littéraire (?) ne tient en fait qu'à l'audace du Jury Goncourt) que comme critique et chroniqueur littéraire successivement (et entre autres) auprès de La dépêche de Toulouse et de La dépêche africaine à Paris. En effet, de 1921 – date de la publication de Batouala – aux fameuses « années trente » où se manifestèrent les poètes de la Négritude, ne s'est-il vraiment rien passé de significatif en littérature négro-africaine de langue française ? Pour peu qu'on veuille s'intéresser à cette période, on constate l'existence d'écrivains romanciers[21] comme Amadou Mapaté Diagne, Bakary Diallo, Félix Couchoro, Ousmane Socé, Paul Hazoumé auxquels les critiques s'intéressent généralement très peu, justement parce que la profonde assimilation culturelle de ces écrivains et leur entière adhésion à l'entreprise coloniale dérangent profondément ce schéma qui tient à caractériser la littérature africaine d'emblée comme « une réaction contre la politique d'assimilation culturelle pratiquée par la métropole » (p.5) [PAGE 95] et à en faire une littérature de « protestation anticoloniale »[22]. Sans contester que la négro-renaissance américaine et la Négritude aient pu constituer des facteurs dynamisants voire suscitateurs de la littérature négro-africaine de langue française, il ne faudrait pas cependant dissimuler cette autre vérité historique, savoir qu'une génération d'écrivains, la toute première, a été modelée, profondément déterminée par l'idéologie coloniale, et convaincue des « bienfaits de l'entreprise coloniale civilisatrice » à laquelle elle a donné son entière adhésion à travers ses productions littéraires. A cet égard, cette déclaration personnelle de l'écrivain camerounais Mongo Béti au Colloque de Nanterre sur « Négritude : traditions et développement » nous paraît digne d'intérêt :

    Personnellement, disait-il, je n'ai pas trouvé le ressort ni les appuis de ma vocation littéraire dans des passages extatiques sur la mentalité primitive, mais dans la révolte négro-américaine et notamment dans Richard Wright ( ... ) J'ai ainsi très vite appris à regarder la réalité africaine, non avec les yeux d'un écolier sage, chouchou des ethnologues, mais avec la liberté d'allure et d'esprit d'une âme tôt dressée contre le mépris et l'oppression du peuple noir.[23]

Cette déclaration montre bien en effet qu'il y a eu au moins deux influences antagoniques qui ont déterminé les premiers écrivains négro-africains de langue française, et il serait souhaitable que les ouvrages d'histoire littéraire et les anthologies nous les fassent découvrir et nous restituent leurs diverses manifestations ou expressions littéraires.

Ce sont là quelques points de discussion que permet d'aborder l'Anthologie africaine de J. Chevrier qui, malgré ses insuffisances ou même à cause d'elles, restera un ouvrage de référence dans l'étude des lettres africaines, en tout cas, un appréciable outil de travail pour enseignants et étudiants de la littérature négro-africaine...

Jean-Norbert VIGNONDE


[1] Paris, Ed. L'Harmattan, 1981, 203 pages.

[2] Max Liniger-Goumaz, Guinée Equatoriale : De la dictature des colons à la dictature des colonels, Genève, les Editions du temps, 1982, 229 p.

[3] C'est le clan fang des Esangui établi dans la région de Mongomo, près du Woleu-Ntem Gabonais.

[4] Op. cit,. p, 151, C'est nous qui soulignons.

[5] Ibid.,p. 152.

[6] (N.D.L.R.) C'est vrai que M. Max Liniger-Goumaz, même dans les textes qu'il a bien voulu nous proposer pour publication, et que nous avons d'ailleurs toujours publiés, n'a pas toujours su éviter l'écueil qui guette les experts internationaux d'autant plus sévères avec les dictateurs pauvres qu'ils filent doux devant les dictateurs riches auprès desquels on ne désespère pas d'être appelé en mission un jour. Bref, on ménage les chefs d'Etat du Tiers-Monde qui ont les moyens de bien payer, tant il est vrai que l'important pour l'expert international, c'est le compte en banque. Les élégants intellectuels chrétiens progressistes de Saint-Germain-des-Prés ne font pas eux-mêmes exception à la règle; au contraire, on peut affirmer qu'ils ont donné le ton comme toujours. René Dumont lui-même y regarde à deux fois avant de s'en prendre à un dictateur francophone, surtout s'il dispose de tiroirs-caisses copieusement garnis. Ahidjo, dont le pays livre déjà sept millions de tonnes de pétrole aux compagnies pétrolières impérialistes, est précisément passé dans le camp des tyrans riches, donc intouchables, et même au-dessus de tout soupçon (à en croire les experts internationaux). En effet, M. Albin Chalandon, P.D.G, de la multinationale française Elf-Erap, encore un expert international qui s'y connaît en tyrans et en tiroirs-caisses, ne lui verse-t-il pas de la main à la main, ainsi qu'à un vieux compère, les royalties de ces sept millions de tonnes de pétrole ? Toujours est-il que ce n'est pas à l'Etat camerounais qu'il les paie : on en décèlerait quelque trace dans la comptabilité de celui-ci. Si nous avons toujours publié intégralement les textes de M. Max Liniger-Goumaz, y compris les allusions élogieuses à Philippe Decraene (autre expert international !) et au tyran francophile Ahidjo, c'est d'une part pour une raison de principe. Pas de censure chez nous ! Nous acceptons ou nous refusons un texte un point c'est tout. D'autre part, nous tenions à rendre hommage à un homme qui témoignait une connaissance extrêmement rare parmi les experts internationaux des hommes, des problèmes et des intérêts de l'Afrique. Mais, bien entendu, nous comprenons mal, tout comme notre ami G.O. Midiohouan, que l'on ménage un autocrate qui se compare aux plus grands criminels politiques de ce siècle, n'en déplaise à M. Raison, secrétaire national bien mal nommé du P.S. qui va encore nous taxer d'exagération, tarte à la crème de la raison (sans jeu de mots) d'Etat néo-colonialiste. Reagan aussi dit qu'on exagère à propos du Salvador.

[7] Editions Akpagnon, 1981, 77 p.

[8] Paris, Ed. Ouvrières, 1978.

[9] Paris, U.G.E., 10/18, 1976, 312 p.

[10] Paris, 1981, 160 p.

[11] J. Chevrier, Paris, A. Colin, Coll. « Prisme », 1974, 288 p.

[12] L'Anthologie africaine de J. Chevrier comprendra en fait deux volumes : la présente livraison qui constitue le premier volet est consacré uniquement au roman et à la nouvelle; le second volet à paraître rendra compte de la situation de la poésie.

[13] Créée en 1980, la collection « Monde-Noir-Poche » nourrit l'ambition d'accorder aussi une chance supplémentaire aux jeunes talents africains en mal d'éditeurs, et surtout d'offrir des œuvres littéraires à un prix relativement modique, afin que la lecture en Afrique ne soit pas seulement l'apanage d'une minorité privilégiée...

[14] La Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A.) stipule l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation.

[15] Evanston, North Western University Press, 1965, 186 p.

[16] Paris, Aubier-Montaigne, 1970, 269 p.

[17] A Companion to Black African Writing; Washington, Black Orpheus Press, 1973, 605 p.

[18] Littératures d'Afrique noire de langue française; Paris, P.U.F., 1976, P. 259. Grand défenseur et militant de la francophonie, R. Cornevin formule d'ailleurs la même critique à l'endroit de Donald Herdeck pour son African Authors « où seulement une centaine d'auteurs francophones sont répertoriés (contre 238 anglophones), ce qui correspond à peine au quart de l'effectif réel ». Idem. p. 260.

[19] Bruxelles, Institut Solvay, 1963, 343 p.

[20] On lira comme introduction à ce débat :

– M. Steins : « Pour une nouvelle approche de la Négritude » in Afrique Littéraire et Artistique, no 50, 1978.
– Guy Ossito Midiohouan : « Littérature négro-africaine une critique de la critique » in Peuples Noirs-Peuples Africains; no 18, Nov-Déc. 1980, pp. 75-88.

[21] Un préjugé raciste largement répandu au sein d'une certaine critique africaniste ou tiers-mondiste voudrait que les littératures naissantes se manifestent d'abord par des œuvres poétiques. Les thèses de la négritude senghorienne selon lesquelles « l'âme nègre » serait essentiellement sensibilité et émotivité n'ont servi qu'à consolider ce préjugé et à orienter certains historiens de la littérature négro-africaine à ne chercher la genèse de cette littérature qu'à travers ses premières œuvres poétiques; ainsi sûr de lui, Auguste Viatte pouvait déclarer en 1957 : « Lorsque les Noirs à leur tour prennent la plume, tout à coup, le roman, apanage des littératures adultes, fait place à la poésie, première manifestation des littératures commençantes ». cf. « L'état présent de la littérature française d'Outre-Mer » in Revue des Travaux de l'Académie des Sciences Morales et Politiques; 1er semestre 1957, pp. 183-193.

[22] J. Chevrier. Anthologie africaine; pp. 4-5.

[23] Négritude : traditions et développement. Ouvrage collectif sous la direction de Guy Michaud, Bruxelles, Editions Complexe, 1978, p. 23.