© Peuples Noirs Peuples Africains no. 27 (1982) 34-44



LIBERTE POUR NELSON MANDELA

Jean-José MABOUNGOU

Aménager une brèche dans le mur de silence entourant la personne de Nelson Mandela, susciter en France, un élan de mobilisation en vue de sa libération et de celle de tous les prisonniers politiques en Afrique du Sud, d'autre part attirer l'attention sur les peines capitales prononcées à l'encontre des militants sud-africains, enfin appeler à des actions de solidarité avec le Mouvement de Libération Nationale d'Afrique du Sud, tel est notre souci dans cet article.

C'est contre le racisme et pour la liberté que Mandela a consacré toute sa vie. Cet homme symbolise les aspirations de son peuple et de toutes les forces progressistes d'Afrique du Sud luttant pour l'avènement d'une société démocratique et multiraciale. A côté d'autres grandes figures de combattants (Lumumba, Cabral, M.L. King, Fanon... etc.), il incarne la renaissance douloureuse des peuples négro-africains.

Nelson Rolilhalha Mandela est né le 18 juillet 1918 au sein de la famille Royale du peuple Tembu, à Umtata dans le Transkei. Après ses études secondaires, il entre à l'Université de Fort Hare où se retrouve à l'époque l'élite de l'Afrique Australe. Ceux qui, comme Mary Benson, se sont penchés sur la vie de Mandela à cette époque [PAGE 35] ont retenu l'image d'un jeune homme intelligent, studieux, enjoué, sportif, bon camarade et très actif dans les milieux estudiantins[1]. Membre de Students' Representative Council (Conseil Représentatif des Etudiants), il prend part à un boycott des élections du-dit Conseil après que les autorités de l'Université eurent décidé d'en réduire le rôle. Il est suspendu de l'Université, en même temps que d'autres étudiants.

Au début de l'année 1941, Mandela se fixe à Johannesburg. Pour gagner sa vie, il entre comme policier dans les mines et devient peu de temps après employé de bureau. C'est ici qu'il fait la connaissance de Walter Sisulu qui est son aîné de quelques années. Les deux hommes se lient d'amitié. Et son nouveau camarade lui prodigue des conseils, lui suggère de poursuivre ses études de Droit, tout en lui apportant soutien et aide matérielle.

Confronté au chômage, à la grande pauvreté de la population africaine des Shanties (bidonvilles), contrastant avec la prospérité de la population blanche, aux rafles et à la violence quotidienne des forces de l'ordre.... Mandela prend de plus en plus conscience de la nécessité de la lutte.

En 1944, il adhère à l'A.N.C. et participe à la fondation de la « Youth League », (la Ligue des Jeunes) de l'A.N.C. Pour lui, alors, et les jeunes nationalistes de la Ligue (Olivier Tambo, Anton Lembede, Walter Sisulu..., etc.) l'objectif immédiat est de dynamiser l'A.N.C., l'orienter vers l'action de masse. D'abord connu sous l'appellation de « South African Native National Congress », l'A.N.C. (qui ne prend ce dernier nom qu'en 1925) fut créé en 1912 en vue d'unifier la population africaine et de défendre ses droits.

Longtemps, jusqu'au début des années 1940 au moins, l'A.N.C. est demeuré un groupement politique relativement faible et en marge du mouvement de masse. A cela plusieurs raisons : le conformisme de ses leaders, les antagonismes régionalistes, les luttes de personnes...

Mandela est élu secrétaire général de la Ligue des Jeunes en 1947. Il en devient le président peu de temps après.

Nationaliste farouche, Mandela, [PAGE 36] à l'instar de nombre de jeunes militants noirs, rejette la présence des communistes au sein de l'A.N.C. et la collaboration avec le Parti Communiste sud-africain, au nom d'une foi pure et intransigeante[2]. Ce nationalisme exacerbé, dont l'aversion contre les communistes n'était qu'un aspect, s'explique sans doute par son éducation fortement religieuse et la propagande anti-communiste.

Au début des années 1950, il abandonnera sa position à l'égard des communistes, conscient que leur participation ainsi que celle de toutes les forces démocratiques sud-africaines se révèlent nécessaires à la lutte. Il est permis de penser qu'à cette époque, Mandela a atteint sa maturité politique. Ses conceptions sont alors celles d'un nationaliste pacifiste, lucide et ferme, ouvert aux grandes idées du Socialisme Réformiste.

Son élection comme président de l'A.N.C. pour le Transval et vice-président national, intervient en 1952.

La montée des luttes multiraciales

En juin de la même année, l'A.N.C. lance une grande manifestation multiraciale devant s'étendre sur plusieurs mois : « la Campagne de Défi des Lois Injustes » (Defiance Campaign). L'époque est au développement et à l'unification des luttes sur une base multiraciale. Depuis 1948, après avoir remporté les élections contre le Parti Uni de Smuts, les nationalistes Afrikaners sont au pouvoir. Partisans inconditionnels de l'idéologie de l'Apartheid, ils vont consolider à l'encontre de la population de couleur (Noirs, Indiens, Mulâtres) l'arsenal de lois discriminatoires. Ceci engendre parmi la population de couleur des réflexes de solidarité. En outre, des fractions de l'opposition libérale excédées par la politique des nationalistes se rallient aux luttes de la population de couleur. La politique des nationalistes aboutira, à ses dépens, à l'émergence d'un puissant front de lutte regroupant l'A.N.C., le Congrès Indien, les mulâtres, les communistes proscrits par la loi en 1950 et [PAGE 37] les autres forces progressistes de l'opposition blanche. Mandela prend la tête de la campagne. Plus de 8 000 « volontaires » (pour la plupart africains) vont défier les lois de l'Apartheid. La Campagne atteint son comble en octobre. Mandela et les principaux dirigeants de l'opposition sont arrêtés ainsi que des milliers de « volontaires ». De nouveaux moyens de coercition, sont institués pour juguler l'opposition. Au cours de la campagne même le gouvernement fait voter la loi sur la « Sécurité Publique » (Public Safety Act) lui accordant le droit de décider de gouverner par décrets et de promulguer l'état d'urgence pour une période de 12 mois. Les années suivantes voient s'instaurer des lois encore plus draconiennes. Mandela est condamné à 9 mois d'emprisonnement avec sursis et, peu de temps après, un « arrêté d'interdiction » est prononcé à son encontre, l'empêchant de prendre part à des réunions ou de quitter Johannesburg. En 1953, « l'arrêté » est renouvelé pour une période de 2 ans.

En juin 1955 se tient le « Congress of Peoples » à l'initiative des grandes organisations démocratiques d'opposition : l'A.N.C., le Congrès Indien, la S.A.C.P.O. (South African Couloured Peoples' Organisation), le C.O.D. (Congress of Democrats) – composé de radicaux blancs et de communistes – le S.A.C.T.U., (South African Congress of Trade Union)... le « Congress, of People » adoptera la Charte des Libertés (Freedom Charter). Plus qu'un catalogue de revendications démocratiques, cette Charte des Libertés prône des changements dans l'ordre économique et politique du pays. La réaction gouvernementale ne se fit pas attendre. Quelque temps après la tenue du Congrès, les milieux de l'opposition sont soumis aux rafles de la police. Mandela se voit infliger de nouvelles restrictions; et en décembre 1956 Mandela, Walter Sisulu, Albert Lutuli, Z.K. Matthews, Olivier Tambo... et une centaine de dirigeants de l'opposition de toutes les communautés raciales du pays sont arrêtés et inculpés de haute trahison. Pour la Justice sud-africaine, le Mouvement de Libération fait partie d'un mouvement international d'inspiration communiste dont l'objectif est de renverser les autorités au moyen de la violence. Le Procès de la Trahison (The Treason Trial) s'achèvera en 1961; Mandela se verra acquitté à l'issue du procès. [PAGE 38]

Le tournant des années 1960

Au mois de mars 1960, le P.A.C. (Pan Africanist Congress) lance une campagne de résistance passive contre le port obligatoire du laissez-passer imposé à la population africaine. Peu de temps après, au cours du même mois, c'est au tour de l'A.N.C. d'appeler à protester contre le laissez-passer. A Sharpville une foule de plusieurs milliers de personnes se rassemble. La police ouvre le feu. Il y a une soixantaine d'Africains tués et un nombre élevé de blessés. Ce n'était pas la première fois dans l'histoire de l'Afrique du Sud que des Africains étaient tués par les forces de répression pour avoir osé revendiquer leurs droits légitimes. Rappelons qu'en 1920 la police et les civils blancs ont assassiné 24 Africains qui s'étaient rassemblés pour demander la libération de Massabala. L'année suivante, plus de 100 Afrirains devaient périr à Bulhoek. En 1924, 200 Africains avaient été massacrés dans le Sud-Ouest africain à la suite d'une révolte contre l'institution par l'Administration territoriale d'un impôt sur les chiens. Le premier mai 1950, 18 Africains furent tués au cours d'une grève.

Après les fusillades de la police, des vagues de colère s'emparèrent de la population africaine. L'état d'urgence fut décrété, les principaux Townships investis par la police et l'armée, Mandela et des centaines de dirigeants de l'opposition arrêtés avec des milliers de personnes afin de paralyser le mouvement de protestation. Et en avril l'A.N.C. et le P.A.C. sont interdits par la loi.

Après quelques mois de détention, Mandela est relâché. Les diverses mesures prises à son encontre étant devenues caduques, il allait enfin pouvoir retrouver tous ses « droits » (droit de se déplacer, de participer à des meetings, de parler en public... etc.) après de longues années de restriction. Mars 1961 : c'est la « All-In-Conference ». Organisée par des personnalités d'obédiences diverses (des membres de l'A.N.C., parmi lesquels Mandela, et du P.A.C., des hommes d'église, des communistes, des libéraux, etc.)

La « All-In-Conference » (la Conférence Générale Africaine) a pour objectif d'appeler une Convention Nationale contre le projet de création de la République Sud-Africaine, étant entendu que dans une telle République [PAGE 39] les Africains et les autres non-blancs se verraient privés de leurs droits fondamentaux.[3] La « All-ln-Conference » s'ouvrit le 25 ma 1961 à Pietermaritzburg. A l'issue de ses assises, elle demanda la convocation d'une Convention Nationale des représentants de toutes les populations. Ce en vue de doter l'Afrique du Sud d'une nouvelle constitution démocratique. Mandela est élu chef du « National Action Council » chargé de mettre à exécution les décisions de la Conférence. Lorsque le Gouvernement Verwoerd fit connaître son opposition catégorique à l'idée d'une Convention Nationale, les organisateurs de la « All-In-Conference » décidèrent de l'organisation d'un mouvement de grève les 29, 30 et 31 mai sous forme de « Stay-at-Home » (grève à domicile). Mandela sera chargé de l'organisation de la grève. Entré dans la clandestinité avec les autres leaders de l'A.N.C., il est obligé de se déguiser pour préparer la grève sans risquer d'être appréhendé par la police ou identifié par les réseaux d'informateurs.

La grève de mai fut sans conteste un immense succès. Des centaines de milliers de travailleurs africains, mulâtres, indiens, mais aussi des élèves des étudiants répondirent à son mot d'ordre. Là encore le gouvernement agira par la force pour briser les revendications de la « All-In-Conference ». Il fera arrêter les principaux dirigeants de la grève, des milliers de manifestants et procédera à un déploiement massif de ses forces armées pour dissuader la population. La police, l'armée et les auto-blindées seront envoyés dans les agglomérations touchées par le mouvement de grève. De nouvelles lois, encore plus dures seront adoptées contre l'opposition.

La réaction des autorités à la grève de mai marqua une étape décisive dans l'histoire du mouvement de Libération National. Il devient évident pour l'A.N.C. et les autres secteurs radicaux de l'opposition que, face à la violence systématique de l'Etat sud-africain, tous les modes de protestation pacifiques, la lutte non violente en un mot, étaient définitivement révolus et que la lutte armée restait l'unique moyen de se débarrasser du régime de l'Apartheid et de conquérir la liberté. [PAGE 40] Non seulement donc le recours à la lutte armée apparaît comme l'unique moyen de la libération, mais une fois la victoire acquise, sa consolidation implique le démantèlement des structures politiques et économiques du régime de l'Apartheid et l'avènement d'un nouveau régime d'essence démocratique et populaire.

En juin 1961, Mandela, Sisuhi et un groupe d'opposants comprenant des membres de l'A.N.C. et du Parti Communiste fondent l'organisation armée Umkhonto We Sizwe (Lance de la Nation) qui va regrouper dans ses rangs des membres appartenant à toutes les communautés raciales du pays.

Quatre formes d'action sont envisagées : le « sabotage, la guérilla, le terrorisme et la révolution ouverte ». C'est la première forme, le sabotage, qui est retenue avec comme consigne d'en épuiser toutes les possibilités avant d'envisager les autres formes de lutte. Le choix des dirigeants d'Umkhoto repose sur une analyse minutieuses de la situation politique et économique du moment. Le sabotage, selon le mot de Mandela « n'entraînait la perte d'aucune vie humaine et il ménageait les meilleures chances aux relations interaciales »[4]. Mais Umkhonto se tenait prêt au cas où son action armée aboutirait à la guerre. D'autre part l'Afrique du Sud était – et reste encore de nos jours – tributaire, pour une large part, des investissements et du commerce extérieurs. Une « destruction méthodique » des centres vitaux de l'économie (centrales électriques, communications téléphoniques, voies ferrées, etc.), pourrait à la longue détourner les investissements étrangers et causer de graves atteintes à l'économie sud-africaine, ce qui amènerait l'électorat blanc à réviser ses positions. Les attaques des centres vitaux de l'économie doivent s'accompagner d'actions de sabotage visant des édifices gouvernementaux et autres symboles de l'Apartheid pour galvaniser l'esprit de lutte. Parallèlement aux sabotages, des actions de masse doivent être déclenchées pour exercer un maximum de pressions sur les autorités sud-africaines.

Mandela prit la tête du Haut Commandement National d'Umkhonto We Sizwe. Dès décembre, [PAGE 41] Umkhonto déclenche des opérations de sabotage à Johannesburg, Port Elizabeth, Durban... contre des édifices gouvernementaux.

Alors que l'organisation militaire d'Umkhonto se met en œuvre et que les actions, de sabotage s'enchaînent. Mandela quitte secrètement l'Afrique du Sud, en janvier 1962 pour Addis-Abeba où il doit prendre part à la Conférence du « Mouvement pour la Libération de l'Afrique Orientale et Australe ». Ce sera son premier contact avec l'Etranger. La Conférence achevée, il entreprend une tournée du continent africain en vue d'obtenir des séjours de formation militaire pour les recrues d'Umkhonto, des bourses d'études aux étudiants africains et un soutien financier. Au cours de sa tournée, il rencontre des personnalités aussi diverses qu'Hailé Selassié, Rashidi Kawawa, Senghor, Bourguiba, Ben Bella, Sékou Touré, Julius Nyéréré... et des représentants des pays socialistes. Lors de son séjour en Algérie, il suit des cours de formation militaire. Puis en compagnie d'Olivier Tambo il s'envole pour le Royaume-Uni.

C'est à cette époque qu'il se met à l'étude de la stratégie militaire et de la guerre de guérilla, se référant à l'œuvre classique de Clausewitz, à Mao Tsé-Toung, Che Guevara et aux écrits sur la guerre Anglo-Bœrs.

Après plusieurs mois d'absence, il rentre en Afrique du Sud et en août 1962 il est de nouveau arrêté et accusé d'incitation à la grève et de sortie illégale du territoire. En novembre, il est condamné à 5 ans de prison. Dehors, les actions de sabotage s'accentuent. Une autre organisation clandestine, créée en 1961 par un groupe de jeunes libéraux blancs « L'African Resistance Movement » (A.R.M.) connue aussi sous le nom de « National Committee for Liberation » (N.C.L.), a fait son apparition et s'attaque à des objectifs stratégiques. De leur côté, les groupes de POQO (branche armée du P.A.C. fondé fin 1962) s'engagent non seulement dans des opérations de sabotage mais aussi dans des attentats contre des individus.

Face à la montée de la résistance armée, le pouvoir se durcit, la répression s'intensifie, les pouvoirs judiciaires contre l'opposition sont renforcés. En 1963, le gouvernement fait adopter la « 90 day Law » (Loi des 90 Jours) en vertu de laquelle il peut être procédé à l'arrestation et à l'emprisonnement pour une période de 3 mois renouvelable, [PAGE 42] sans jugement, de toute personne jugée dangereuse pour la sécurité de l'Etat.

En juillet, la police arrête les principaux dirigeants de la résistance armée : Walter Sisulu, Denis Goldberg, Govan Mbeki, Ahmed Kathrada, Lionel Berstein, Raymond Mhlaba, Elias Motscaledi et Andrew Mlangeni. Des documents importants concernant l'A.N.C. et Umkhonte sont saisis. Mandela est encore inculpé par la justice sud-africaine, cette fois comme accusé principal.

En septembre le Gouvernement dissout le Congrès des Démocrates (C.O.D.). Le Procès (The Riviona Trial) s'ouvrit le 9 octobre 1963. Dans une plaidoirie remarquable, Mandela fit le procès du régime de l'Apartheid, de sa législation raciale, de sa violence aveugle... Il expliqua l'évolution politique de l'A.N.C., le sens profond de l'idéal pour lequel lui et ses camarades avaient consacré leur vie[5]. Ils seront condamnés à la réclusion à perpétuité à l'exception de Lionel Berstein qui fut acquitté. Mandela, Sisulu et les autres, Govan Mbeki, Ahmed Kathrada, Raymond Mhlaba, Elias Motscaledi et Andrew Mlangeni furent envoyés au bagne de Robben Island, au large de la ville du Cap où, avant eux, Makana, Maquoma et bien d'autres héros de la résistance du peuple africain avaient été emprisonnés, tandis que Denis Goldberg est transféré à Pretoria.

Après l'arrestation des principaux dirigeants de la résistance armée et l'écrasement des forces démocratiques du Mouvement de Libération, de nouvelles luttes vont surgir dès la fin des années 1960 avec l'émergence et le développement de la « Black Consciousness » (Mouvement de la Conscience Noire) qui après 1970 fut durement réprimée. Steve Biko, son principal leader, devait trouver la mort en 1977 pendant sa détention. Courant 1972, une série de grèves ouvrières éclatent à Johannesburg, Pretoria, Durban et au Cap. D'autres grèves d'une grande ampleur se produiront en 1973 et 1974. Et puis il y aura les révoltes estudiantines de 1976, contre la langue Afrikaans et « l'Education Bantou » qui ont [PAGE 43] embrasé le pays jusqu'en 1977 et ont causé de nombreuses pertes en vies humaines.

Aujourd'hui de nouvelles luttes sur les fronts politique, culturel, syndical, estudiantin et militaire sont en train de se développer. L'A.N.C. a très nettement élargi son audience tant sur le plan interne du fait notamment de la progression, ces dernières années, de ses actions armées, qu'à l'étranger. De l'autre côté, le gouvernement Botha, pour assurer la survie du régime, renforce ostensiblement l'appareil militaro-répressif et sous la pression des milieux d'affaires tente de réaménager le système de l'Apartheid. Il s'agit, par les aménagements envisagés, d'amener la constitution d'une petite bourgeoisie et d'une aristocratie ouvrière noire, qui intégrée au système, serait susceptible de jouer un rôle modérateur au sein du nationalisme africain.

Bénéficiant de ses alliances internes et externes, le Gouvernement Botha poursuit son plan de « Constellation d'Etats » qui est l'une des pièces maîtresses de sa politique. Après le Transkei (1976), le Bophuthatswana (1977), le Venda (1979), un quatrième Bantoustan, le Ciskei, vient d'accéder à « l'indépendance ». Faut-il rappeler que ces pseudo-Etats indépendants sont en fait, au même titre que les Bantoustans, des réservoirs de main d'œuvre abondante et bon marché pour l'industrie sud-africaine et les firmes multinationales. D'autre part, ils constituent un moyen de division et donc d'affaiblissement du peuple noir d'Afrique du Sud.

Ainsi, voilà donc vingt ans que Mandela est détenu dans ses geôles sud-africaines et depuis 1964, année de sa condamnation, il vit sous un régime de haute surveillance, coupé de son peuple – du moins par la présence physique de ses amis, de ses parents, de sa femme et de ses enfants. Winnie Mandela, son épouse, dont la vie militante est exemplaire à plus d'un titre, est soumise à des restrictions et brimades de toutes sortes. Depuis 1976, elle est assignée à résidence à Brandfort (Etat Libre d'Orange) dans un environnement politique des plus hostiles.

Il est plus qu'impératif que nous nous mobilisions et que nous nous joignions aux campagnes de solidarité menées ici et là pour la libération de Mandela et de tous les prisonniers politiques en Afrique du Sud. Pour la levée des peines capitales prononcées à l'encontre [PAGE 44] des six militants de l'A.N.C. : Petrus Mashigo, Naphtali Manana, Johnson Lubisi, Johannes Shabangu, David Moise et Anthony Tsotsobe, faisons entendre nos voix. Il nous faut, sans plus attendre, manifester notre solidarité à l'A.N.C. et à la lutte de Libération Nationale dans son ensemble.

La tiédeur et l'indifférence à l'égard de ce qui se passe en Afrique du Sud n'ont que trop duré. Avant d'être une honte inacceptable pour l'Humanité, le régime monstrueux de l'Apartheid est une honte inacceptable pour l'ensemble des peuples négro-africains.

Jean-José MABOUNGOU


[1] Mary Benson, « Nelson Mandela », London, Panaf Books, 1980.

[2] Voir à ce propos, le livre sur Mandela, publié par le Fonds International d'Aide et de Défense pour l'Afrique du Sud. Nelson Mandela, « The struggle is my life » London, International Defence and Aid Fund for Southern Africa, 1980, p. 169.

[3] L'Union sud-africaine deviendra la République d'Afrique du Sud le 31 mai 1961.

[4] « The Struggle in my Life », p. 161.

[5] On peut trouver le texte intégral de la déclaration faite par Mandela au Procès de Riviona, dans « The Struggle is my Life », pp. 155-175