© Peuples Noirs Peuples Africains no. 26 (1982) 89-106



NAIPAUL

OU LES ANATHEMES D'UN BRAHMANE APATRIDE

Thomas MPOYI-BUATU

Il a existé une mode du tiers-monde (pour qui ? pour quoi ?). Elle s'est transmuée en mythe. On peut dire que l'acte fondateur de ce mythe a été la préface aux « Damnés de la terre » dans les années 60. En écrivant cette préface, Sartre mettait le doigt sur le fondement du déséquilibre à l'origine du drame mythique : l'inégalité dans l'accession à la prise de parole. Indirectement se confirmait une réflexion de Barthes : « Le mythe est une parole. » Ce qui revient à dire que forger un mythe est un privilège : une parole mythique vise à maîtriser l'Histoire, une parole mythique entend diriger l'Histoire.

Sartre appelait au renversement de l'hégémonie d'un groupe sur d'autres groupes : une hégémonie ayant duré des siècles et des siècles. Il le faisait au nom de la dignité humaine, de l'autonomie, etc.

En fait, en prenant la parole au nom de ceux qui en étaient sevrés pour l'élever au niveau du mythe, Sartre tournait sur lui-même comme une toupie. Le résultat était pitoyable : d'un groupe à un autre, d'un moment à un autre, la parole n'avait pas changé de statut; elle avait rencontré un héraut masochiste, un traître à l'Histoire, un traître à la cause « civilisatrice ».

Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous le pont et Sartre est mort. [PAGE 90] Il s'est passé ce que l'on sait. Et certains ne se sont pas privés de tirer des conclusions désabusées sur les luttes tiers-mondistes[1]. Et Sartre lui-même, désabusé sans doute, reniait[2] partiellement, juste avant sa mort, la préface à Fanon. Exit le tiers-monde.

La réalité de ce concept dévoilait un univers, un monde irréductiblement tiers. L'Occident ébahi, ou feignant de l'être, découvrait le paternalisme quelque peu poussif de l'expression même de tiers-monde.

Dans la foulée, quelques voix, d'aucuns diraient autorisées (par qui ? pour qui ?) du dit tiers-monde, s'élevaient pour clamer tout haut, avec cette touche émouvante qui fait d'un propos creux une mine de profondeur, que, eh bien oui, 1'Occident avait raison, le tiers-monde n'a jamais contenu en lui-même qu'un prurit de barbarie. Cela reste et restera la frontière infranchissable entre ce monde-ci (entendez notre monde civilisé) et ce monde-là (leur monde barbare).

Naipaul est une de ces voix qui, en odeur de sainteté en ce moment, se répand en propos « féroces », « tristes », « méchants » sur les habitants du tiers-monde. C'est verser de l'eau au moulin de la bonne conscience occidentale (la mauvaise n'avait été qu'un léger accident, un sursaut insensé du rêve de justice pour tous ... ), qui, il faut bien le dire, n'en avait vraiment pas besoin. Qu'il soit bien entendu que ce texte sur Naipaul n'intervient nullement au nom de je ne sais quelle volonté de rétablir la balance ni celle de rectifier le tir. En tant qu'écrivain, Naipaul a parfaitement le droit de parler de n'importe quelle société et d'y appliquer sa grille « morale ». Je voudrais simplement dérouler le mécanisme de constitution de cette grille tout en indiquant au passage que Naipaul n'est habilité à parler au nom de personne. Le regard et le jugement qu'il porte sur le tiers-monde ne sont ni les seuls qu'on peut porter dessus ni nécessairement les plus vrais. Il s'abrite derrière ce que Sartre a appelé autrefois une « morale d'écrivain » [PAGE 91] (c'est ce que Naipaul appelle « civilisation universelle ») et qui permet, notamment au Nouvel Observateur (no 871, du 18 au 24 juillet 1981), de faire ce commentaire coiffant l'interview que Naipaul lui avait accordée : « Politiquement inclassable car il assume son rôle de témoin sans parti. »

Revenons à Sartre et au problème de l'engagement. Problème inépuisable s'il en est. On a fait à Sartre un procès insensé. Ni dans son esprit, ni dans ses, écrits, l'engagement n'a jamais voulu l'assujettissement de la littérature à un message politique à délivrer, à l'instar du « réalisme socialiste » de triste mémoire. L'engagement est dans l'acte même d'écrire qui, fondamentalement, est procès avant de devenir éventuellement projet. Les rapports de l'écriture avec le réel constituent un phénomène bizarre. Aucune théorie littéraire n'est jamais parvenue à déterminer de façon nette le particulier jeu de cache-cache auquel s'adonne la littérature avec le réel. L'une retiendra l'aspect purement formel, l'autre l'aspect social... Une autre encore l'aspect psychanalytique... La littérature est tout cela à la fois et presque rien de tout cela : d'où sa position d'objet étrange. Elle mime le réel avec l'intention de l'abolir et n'y parvient que difficilement ou pas du tout. En même temps, aucune œuvre littéraire n'est « compréhensible » sans la société dans le creuset de laquelle elle a émergé.

Ces digressions me permettent de mieux faire ressortir les failles du discours de Naipaul. La « civilisation universelle », c'est son dada. Or convenir qu'une œuvre n'est pas concevable sans le creuset d'une société qui lui donne sens, c'est relativiser le mythe de l'universalisme. Il n'existera d'universalisme que le jour où chacun rejoindra celui de tous dans toutes les cultures particulières ! On peut rêver...

Pour le moment, un seul type d'universalisme domine et il est occidental ! Naipaul le fait sien et c'est en son nom, au nom de cet universalisme-là, qu'il instruit le procès du tiers-monde. Mais d'où vient ce procureur, cet oiseau de mauvais augure qui jette ainsi des anathèmes sur les habitants du tiers-monde ?

Vidhiadar Surajprasad Naipaul est né en 1932, à Trinidad (Antilles britanniques) de parents hindous. Diplômé d'Oxford, il a été journaliste à la BBC. En 1950, il [PAGE 92] s'installe en Angleterre et décide de se consacrer à l'écriture parce que Trinidad, dit-il, est « une île primitive qui a accédé à l'indépendance il y a un quart de siècle et qui est retournée à l'état de brousse. Ça plaît beaucoup aux touristes, mais la brousse n'est pas un lieu propice pour la littérature »[3]. Il a ainsi écrit une quinzaine d'ouvrages dont les premiers traduits en français datent de quelques années : « Le masseur mystique », « Miguel street », « Une maison pour monsieur Biswas », « L'Inde sans espoir », « Un drapeau sur l'île »[4] : trois romans, un récit-reportage, un recueil de nouvelles. En 81, ont paru en traduction française : « Guérilleros » et « Crépuscule sur l'Islam » [5] : un roman et un récit de voyage « à travers les croyants ». Doit paraître prochainement, toujours chez le même éditeur, « A bend in the river », inspiré de la situation au Zaïre...

Naipaul est sûrement un grand écrivain. Laissons de côté le fait qu'il ait raflé pas mal de distinctions littéraires en Angleterre et le fait qu'il soit un possible nobélisable. Ses talents d'écrivain ne sont plus à prouver, ils ne sont donc pas en cause. Par contre, sont ici en cause son concept de « civilisation universelle » et la manière dont il se sert de sa plume pour en stigmatiser l'absence là où il estime ne pas la déceler. En ce sens, tout ce qui n'entre pas dans le cadre de ce moule est renvoyé aux ténèbres de la « primitivité ». Son dernier roman en français « Guérilleros » (dont il va être question plus loin), lui donne encore l'occasion d'y aller de toute son agressivité. En l'absence de la « civilisation universelle », tout est « très élémentaire », « trop barbare ». Il n'existe plus que « pays retardés ». Et naturellement, dans ces endroits, « il n'y a pas de vie intellectuelle. Ils (ces gens-là) n'ont rien à dire. On peut titiller leur cerveau pendant une heure, ils ne bougeront pas »[6].

La croisade pour la « civilisation universelle » que prêche Naipaul ressemble curieusement à une autre croisade, tant de fois prêchée aux Africains : celle du métissage culturel. A priori, on serait tenté de voir une certaine divergence [PAGE 93] entre ces deux notions mais à la réflexion, la convergence est sans ambiguïté. S'il dispose d'une vaste culture acquise grâce à sa formation, à ses lectures et aux nombreux voyages effectués à travers différents pays, Naipaul ne prêche nullement le métissage, entendu comme la synthèse de ce qu'il pourrait y avoir de meilleur dans chaque culture. Sa croisade est à sens unique : le tiers-monde doit assimiler l'Occident. Et non pas l'inverse. En Afrique, le métissage prêché par qui on sait consistait à créer un vide dans la tête des Africains afin d'y déverser les « lumières incandescentes » venues de l'Occident. D'un côté comme de l'autre, le mécanisme d'instauration du vide s'effectue avec la même implacable logique aberrante de la négation. Senghor-Naipaul, même combat ! Il serait plus juste de dire : même absence de combat !

Naipaul se sert du concept de « civilisation universelle » exactement de la même manière que pendant la colonisation. A l'époque, le mythe avait fini par prendre racine; il avait fini par se naturaliser. L'image était devenue concept et perçue comme telle par les colonisés. Et curieusement, certains occidentaux, qui pouvaient avoir tout lieu de s'en satisfaire ou d'en tirer profit, ont été parmi ceux qui éprouvaient le plus vivement cette naturalisation comme une insulte à leur être même. Témoin, cette réflexion : « Pour les Juifs modernes, êtres « normaux », c'était être occidentaux, et en cela, ils reprenaient « inconsciemment » l'idée que l'Occident, c'est l'universel, le naturel l'humain...[7] » Et ces lignes ne viennent pas d'un antisémite délirant, d'un nostalgique inconsolable du nazisme, mais d'un écrivain juif exigeant : Shmuel Trigano. Il suffit de remplacer Juif par Noir, Arabe... et l'on aura tous les autres barbares, comme dirait Naipaul. Au regard de ces lignes, on est loin d'une petite phrase à peine croyable surgie sous la plume de L P. Enthoven qui, dans un compte rendu d'un ouvrage sur le racisme antisémite, note (Nouvel Observateur no 858, 1827 avril 1981, p. 103) : « Disons-le, au risque de choquer : pour haïr un Juif, il faut plus de haine que pour haïr un Noir. » Cela reste à vérifier; mais en essayant de comprendre, je me suis dit que le journaliste en question [PAGE 94] était atteint dans son être (j'ai donc supposé qu'il était juif lui-même) mais que sa réflexion trahissait la manière dont le Noir, même pour un Juif (je veux dire pour quelqu'un qui est capable de comprendre intérieurement, de ressentir une exclusion), pouvait représenter la différence irréductible dans la mesure où toute identification avec lui paraît impossible. J'ajouterai, par l'effet d'une certaine mauvaise foi.

Revenons à Naipaul. Sa « civilisation universelle » se réfère donc à une ère géographique et mentale bien précise. Pour faire voir sa démarche lorsqu'il en stigmatise l'absence, je prendrai deux exemples : un article[8] et son dernier roman traduit en français : « Guérilleros »[9].

L'article d'abord.

Il avait paru dans la « New York Review of books » sous le titre explicite de : « Mobutu and the nihilism of Africa ». Il a été repris dans un recueil intitulé « The return of Eva Peron » et regroupant une série de reportages faits par Naipaul à travers un certain nombre de pays, dont le Zaïre. Le reportage sur le Zaïre est devenu en traduction française « Un nouveau Roi pour le Congo », mais il y est toujours évidemment question de nihilisme. Naipaul est resté au Zaïre de janvier à mars 1975.

Si on fait un parcours artificiel de l'article, on y voit, de la part de l'auteur, une sorte de regard « humaniste » sur une tribu étrange, sur des êtres auxquels manque un coup de pouce pour les propulser sur l'avant-scène émancipée de l'humanité. Au premier abord, cela apparaît avec netteté. Autrement dit, Naipaul jette un regard occidental sur des « tribus sauvages » et refuse d'en comprendre les contradictions intérieures. La façon dont il voit ceux qui ne font pas partie de la sphère occidentale se caractérise par l'utilisation d'une technique précise dont il est plus ou moins conscient quand, à-propos de « Guérilleros », il déclare que son « expérience est du dedans » mais que son « écriture, elle, est du dehors ». Avec cette différence justement qu'à part Trinidad qu'il connaît un peu mieux, [PAGE 95] les autres pays il en parle avec une expérience du dehors. C'est le cas en ce qui concerne le Zaïre.

Dans un premier temps, il relève la contradiction du nom « Zaïre » : « corruption portugaise d'un terme local qui signifie « fleuve ». Et il a ce commentaire ironique : « C'est comme si Taïwan réaffirmant son identité chinoise en revenait à se donner le nom portugais de Formose » (p. 20). Bien entendu, on rit jaune. Ensuite, progressivement, il va s'atteler à montrer les contradictions entre le moderne et l'ancestral, en s'aidant des publications officielles du régime, dont « Profils du Zaïre ». Un curieux mélange, remarque-t-il, existe entre Montesquieu et les Ancêtres : « Ainsi Montesquieu et les Ancêtres sont faits pour s'entendre. Et il se découvre que les usages ancestraux sont d'esprit moderne. » De fil en aiguille, l'exacte intention du récit se précise. Il ne s'agit point de détecter les contradictions mortifiantes d'un pays par rapport à son idéal de vie sur lesquelles sont venues se greffer des contradictions extérieures (issues du colonialisme), mais plutôt les contradictions provenant du dépérissement de la « civilisation universelle » dans un pays revenu à sa profonde barbarie. On s'aperçoit ainsi que Naipaul ne s'était pas rendu au Zaïre afin d'y découvrir on ne sait quelle « authenticité », mais afin d'y suivre les traces d'un voyageur célèbre dont il avait certainement la nostalgie : Joseph Conrad. On sait que celui-ci est l'auteur d'une longue nouvelle située au Congo et intitulée « Heart of Darkness » (Cœur des ténèbre)[10]. Conrad présentait ainsi son récit : « Histoire farouche d'un journaliste qui devient chef de station à l'intérieur et qui se fait adorer par une tribu de sauvages. Ainsi décrit, le sujet a l'air rigolo, mais il ne l'est pas »[11]. Naipaul ne se limite pas à une simple comparaison entre Conrad et lui. Il va jusqu'au mimétisme complet parce qu'il fait de Mulele (un militant patriote convaincu, ennemi juré de Mobutu) le Kurtz (personnage hideux et héros de la nouvelle de Conrad) du nouveau Congo. Naipaul présente Kurtz en ces termes : « ( ... ) négociant en ivoire tombé de l'idéalisme dans l'état sauvage, ramené aux tout [PAGE 96] premiers âges de l'humanité par le désert, la solitude et le pouvoir; sa Maison était entourée de têtes humaines empalées ». Et il poursuit : « Soixante-dix ans plus tard, près de ce coude du fleuve, il s'est passé quelque chose de comparable à la vision de Conrad. Seulement « l'inconcevable mystère d'une âme qui ne connaissait pas de frein, pas de foi, pas de frayeur » habitait un homme noir (Mulele) et non pas blanc; ce qui l'avait rendu fou, ce n'était pas le contact avec le désert et l'état primitif, mais avec la civilisation établie par ces pionniers qui dorment sur le mont Ngaliema, au-dessus les rapides de Kinshasa » (p. 41).

Dès lors, le regard de Naipaul se fait sélectif. Pour lui, les choses sont extrêmement simples : le Congo, devenu le Zaïre, meurt de l'éloignement de la « civilisation » instaurée par les Belges. C'est ainsi qu'il n'a d'yeux que pour les villas au bord de l'eau, constructions belges tombées en ruine, bien évidemment.

Si Mobutu s'est fait roi comme au Moyen Age, il se découvre que le Zaïre lui appartient comme jadis il avait appartenu à Léopold II, Roi des Belges. Toutes les comparaisons ne sont faites qu'en rapport avec la situation coloniale. Pour le reste, il n'y a rien à voir. C'est la brousse. Depuis Conrad, c'est toujours le même voyage à travers le néant. « La vie africaine, rapidement traversée par le voyageur, paraît toujours intacte, simple, répétitive. » C'est le désert. Si c'est « un désert habité », « c'est un désert de singes » (p. 32).

Tout ce qui relève de l'Afrique est ainsi connoté péjorativement. D'abord, on installe le décor pour donner l'atmosphère, la scène a lieu sur un bateau : « A l'avant du bateau, après les w.c. de la deuxième classe, dont le plancher métallique est toujours inondé, et dans l'étroit passage qui longe les cabines, parmi les bébés déféquants, l'activité cuisinière et lavandière, les filles au regard vide que l'on épouille attentivement, dans une odeur moite de poisson salé, d'excréments, d'huile et de rouille, dans le bruit des phonographes, les éventaires sont là : lames de rasoir, piles électriques, pilules et capsules, savon, seringues hypodermiques, cigarettes, crayons, cahiers, pièces de tissu. » (p. 30.)

Ensuite, on épingle les particularités de l'« africanité authentique ». Si le vapeur est africain, [PAGE 97] il est sûr qu'« il fonctionne à l'africaine. On l'a adapté aux besoins africains » (p. 29). La « terre est utilisée à l'africaine : on la brûle, on la cultive, on l'abandonne. » (p. 32). Bien entendu, dans ce pays, il n'y a pas de métier, ça rappellerait trop les Belges. Les guillemets sont donc de rigueur : « fermier », « garçon ».

Tout cela pour traduire le fait incontournable que ces gens-là ne parviendront jamais à se défaire de leur africanité. C'est le sens d'une réflexion de Naipaul à propos d'un Zaïrois qu'il a rencontré : « C'est avec les hommes comme Simon, instruits, gagnant de l'argent, que le visiteur se sent en présence de la vulnérabilité, du mutisme, du danger. Parce que leurs ressentiments, qui semblent bien contredire leurs ambitions, et dont ils ne peuvent jamais donner une explication satisfaisante, peuvent à tout moment se changer en envie d'effacer et de détruire, en nihilisme africain, en rage de primitifs qui se ressaisissent et découvrent qu'on les a bernés et offensés ».

Nous en sommes exactement au terme de la démonstration : Afrique rime avec nihilisme qui rime avec primitivité! Naipaul n'a pas voulu dire autre chose. En anglais, le titre, comme je le signalais plus haut, était plus explicite : « Mobutu and the nihilism of Africa ». Mobutu devient le symbole de toute l'Afrique et il est même défini comme « le nihiliste majeur de l'Afrique ». Malgré cela Naipaul ne peut s'empêcher de penser que « la paix de Mobutu, et cette royauté qu'il a instaurée, sont de grands accomplissements ». On a à peine le temps de s'étonner que Naipaul clame tout aussitôt : « Mais la royauté est stérile ». Il nous en dira tant. Et en quoi la royauté peut-elle être un grand accomplissement ? Serait-ce le « vieux fond asiatique » de Naipaul qui affleurerait au coin de cette réflexion ? Lui qui clame à tout va qu'il n'a pas de société, ne serait-il pas à jamais marqué par ses origines brahmaniques ?

Mais Naipaul croit détenir un secret sur l'Afrique et il s'en va le proclamer tout haut; et c'est là-dessus qu'il va achever son article comme pour mieux asseoir l'effet de choc recherché auprès des Occidentaux auxquels il s'adresse. Nihilisme, on comprenait, mais ça restait trop métaphysique. Et même beaucoup trop ! Le nihilisme a des racines plus profondes, d'où le recours [PAGE 98] à la psychologie le sentiment africain. Quel est-il ? Méditez plutôt ceci : « Parvenir à cette représentation d'un pays piégé et statique, éternellement vulnérable, c'est commencer d'acquérir un peu de ce sentiment africain qu'est le sentiment du vide. C'est déjà tomber, à l'africaine, dans un rêve du passé – l'espace vide du fleuve et de la forêt, la cabane dans sa cour brune, la pirogue – d'un passé où les ancêtres défunts veillaient et protégeaient, et où les seuls ennemis étaient les hommes » (p. 49).

C'est tellement pathétique que ça en devient poétique. Le nihilisme, c'est psychologiquement un sentiment du vide. Le message a parfaitement été perçu parce que « le Débat » note en introduction à l'article de Naipaul : « Ces notations d'un écrivain au Zaïre nous aident à saisir, dans son intemporalité[12], une réalité dont les chiffres ou les analyses politiques ne suffisent pas à rendre compte. » Le nihilisme, le sentiment du vide, l'intemporalité, on n'est pas loin de « l'Afrique fantôme ».

Le roman ensuite.

Le titre anglais du roman était : « Guerillas ». Il est devenu en traduction française : « Guérilleros ». Le titre français reprend le propos de Jimmy Ahmed, un des personnages principaux, sinon le personnage principal, tiré d'une de ses lettres-récits et que Naipaul met en exergue de son roman :

« Quand tout le monde veut se battre, il n'y a plus de raison de se battre. Chacun veut mener sa petite guerre. Il n'y a plus que des guérilleros. » Le titre français explicite un certain propos voulu par l'auteur en mettant davantage l'accent sur les personnages du drame. Il ne faut pas exclure un certain enjeu mercantile : « Guérilleros » contient quelque parfum d'exotisme si cher au cœur ethnocentrique des Français. Alors que le titre anglais insistait sur la situation de désordre que provoquent les « guérillas ». C'est également un propos de la citation mise en exergue : « Chacun veut mener tout seul sa petite guerre ».

Il serait malaisé de réduire ce roman extrêmement touffu à un résumé. Il suffira d'en donner quelques motifs tournant autour des personnages principaux; et ces motifs nous serviront d'éléments d'analyse. [PAGE 99]

L'histoire du roman est située dans une île des ex-Antilles britanniques. L'île n'est pas nommée mais la description qui en est faite ne peut tromper personne de par les origines trinidadiennes de Naipaul. Mais là n'est pas l'important. L'« indépendance » de l'île a consisté à se jeter dans les bras des grosses « huiles », autrement dit des firmes multinationales. L'enjeu est dès lors de savoir sortir de cette impasse. Alors les personnages se mettent en place. Roche est un ex-journaliste sud-africain qui s'est fait une certaine gloire en relatant dans un livre publié à Londres ses douloureuses expériences de tortures et d'emprisonnement en Afrique du Sud pour y avoir pourfendu, croyait-il, le système d'apartheid auquel les Noirs sont soumis. Oui, il le croyait. En fait ses motivations étaient très ambiguës. A sa compagne. Il fera, à propos de la torture et de l'emprisonnement, un aveu bizarre : « Il faut que tu saches que j'ai toujours accepté l'autorité. » Aussi est-ce la raison pour laquelle il a fui les turbulences sonores de sa célébrité pour être à l'abri dans l'île où il est à présent employé dans une multinationale appartenant à un certain Sablich, immigré prussien dont toute la fortune s'est faite grâce à l'esclavage. Il avait « commandé à une firme de Liverpool une pleine cargaison de Noirs ». Roche s'occupe de Thrushcross Grange, une ferme agricole où travaille Jimmy Ahmed. Jane est la petite amie de Roche. C'est une Anglaise d'origine canadienne que le goût de l'aventure a poussée à suivre Roche et à abandonner une société anglaise étouffante et bourrée de préjugés. Elle sert à Naipaul de moyen privilégié et efficace pour montrer les dangers qui menacent la société occidentale.

Mais le roman tourne autour de Jimmy Ahmed. Il est Noir. Ou plus exactement métis de Chinois et de Noire. Dans l'épicerie que tenait son père chinois à Londres, on l'appelait hakwaï. Nègre se dit hakwaï en chinois. Il a perdu le goût de la Révolution et s'est retiré sur l'île. Alors il mène sa petite révolution sur la terre qu'il cultive ou qu'il fait semblant de cultiver, dans un domaine isolé qu'il appelle Trushcross Grange. Bryant, jeune garçon d'une dizaine d'années, est son amant, à la fois compagnon de débauche et de rituel sacrificiel. Le sort de Jane sera entre leurs mains.

Meredith est un habile politicien dont l'ambition se dissimule [PAGE 100] sous la respectabilité familiale. Il déteste Jimmy et cherchera à l'éliminer par tous les moyens notamment en se servant de Roche.

Harry de Tunja est le colonial type. C'est chez lui que tous les colons de l'île se rassemblent pour cracher tous leur mépris à l'endroit des « indigènes ». Roche et Jane sont évidemment de la partie. Harry a un goût prononcé pour une certaine forme de fascisme. Qu'il déteste la musique de l'île, soit. A chacun ses goûts et ses dégoûts. Mais ça ne lui suffit pas. « Si j'en avais la possibilité, j'interdirais qu'on joue de la musique. Et qu'on danse. J'en ferais un délit. Six mois ferme pour chaque disque qu'on écouterait. Et pour le reggae les travaux forcés. » Bien entendus lorsqu'éclatent les troubles, Harry est le premier les colons à se rendre compte qu'il « sent la terre bouger sous ses pieds ».

Effectivement, les troubles désorganisent l'ordre du monde sur la petite île. Dans l'affaire, Jimmy perdra un de ses lieutenants. Jane s'était déjà rendue compte que la mentalité des colons sur l'île était loin d'être différente de la mentalité anglaise, celle-là même qu'elle avait fuie à Londres. Elle avait donc décidé de quitter ce monde frelaté et de partir n'importe où. En allant prendre congé de Jimmy Ahmed (devenu son amant), elle était loin de se douter que l'île allait avoir raison de son destin. En guise d'adieu, Jimmy la soumet à une séance érotique d'une brutalité inouïe que Naipaul décrit avec une précision imparable et dépourvue d'obscénité et qui de ce fait confère à la scène une dimension métaphysique quelque peu effrayante. La scène ne se termine pas là. On n'en était encore qu'à une entrée en matière, si on ose parler de la sorte. Aidé de son amant Bryant, Jimmy entraîne Jane vers l'herbe folle où aura lieu le rituel sacrificiel exécuté à l'aide d'un couteau.

Après le meurtre, Jimmy se sent métamorphosé au point d'avoir la sensation de se retrouver au commencement des temps : « De sorte que même ici, perdu depuis le commencement des temps, perdu dans le temps, ne sachant pas qui il était, ce qu'il était, il sut pourtant qu'il était trahi et son secret dévoilé. »

Il y a donc une dimension métaphysique à ce roman que du reste certains critiques ont perçue. [PAGE 101] Tel Le Clézio[13] : « Il y a peu de livres qui disent tant sur l'homme et sur le monde actuel, avec une telle intensité, une telle rigueur tragique. » De même que cette dimension métaphysique s'origine dans une vision occidentale braquée sur l'extérieur. Dans le même article, Le Clézio poursuit : « La dureté de V.S. Naipaul a un goût de vengeance. Mais ce pessimisme, cette violence, cette solitude, sont salutaires, car ils nous montrent, du loin des îles, les maux et les erreurs de notre civilisation passagère. »

D'autres voix corroborent cette hantise occidentale chez Naipaul. Tahar Ben Jelloun, une des rares voix du tiers-monde à s'être élevée contre Naipaul, notait à propos de « Guérilleros » : « On verra bientôt s'opérer un retour romantique et enchanté vers l'Occident, en qui Naipaul reconnaît un « agent d'expansion d'une civilisation libérale mixte universelle ». Ce sera le retour du satisfait refoulé, les mains lavées, la conscience tranquille, indifférente enfin au sort de ces peuples, damnés de la terre »[14] Et sur le dernier ouvrage de Naipaul, Tahar, qui se sentait encore plus concerné parce qu'il y était question de l'Islam et de son déclin, écrivait : « La démarche de Naipaul est suspecte : un homme issu du tiers-monde (il est né à Trinidad) jette un regard occidentalisé – un regard qui se voudrait dégagé – sur des peuples qu'il n'a pas l'air d'aimer »[15].

Il s'agit bien de cela en effet. D'autres voix encore le confirment, telle celle de Cath. Clément[16] : « Le monde, pas le monde entier. La géographie des voyages de Naipaul suit un sentier de fantasmes liés à une idée ancrée : là où l'Occident a laissé des traces, là où il reflue là où il a colonisé, massacré ou fleuri... ».

Il est donc possible de s'interroger sur ce que dissimule cette obsession de l'Occident et le concept de « civilisation universelle ».

Il est évident que Naipaul se donne le beau rôle en braillant des sarcasmes longtemps agités par l'Occident. Sinon il ne rencontrerait pas un écho aussi amplifié de ses anathèmes. Les raisons de ce succès sont trop évidentes. [PAGE 102] Et elles sont d'autant plus évidentes que Naipaul refuse de s'engager sur le terrain politique. C'est la raison pour laquelle derrière les histoires qu'il raconte dans ses romans, il brosse toujours un tableau politique des pays dont il parle pour rapidement l'occulter et passer au plan métaphysique. En disant cela, il n'est pas du tout dans mes intentions de nier l'aspect parfois pertinent des critiques qu'il fait au tiers-monde. Bien au contraire. Ce qui est en cause c'est sa vision de quelqu'un qui a depuis longtemps choisi son camp (l'Occident) et qui jette sur ceux qui furent les siens un regard dévié.

Par ailleurs, qu'on n'aille pas prétendre qu'il est fait un amalgame entre ce qui est le produit d'une imagination « créatrice » et la réalité telle quelle; autrement dit entre ce qui relève de l'invention littéraire et ce qui relève du réel. Outre que ce point de vue manque de nuance comme je le note plus haut, Naipaul lui-même entretient l'amalgame. D'une manière générale, ses fictions s'inspirent largement des faits réels. « Guérilleros », par exemple s'inspire d'un fait réel qui avait eu lieu à Trinidad. Et il avait fait un reportage sur cette affaire. « A bend in the river » est inspirée de la situation au Zaïre. Il en avait également fait un reportage.

Parfois même, la ressemblance entre une phrase du roman et une phrase du reportage pousse à croire que Naipaul entend établir une identité de fait entre la fiction et la réalité. A preuve cette phrase tirée de « Guérilleros » : il s'agit de la description d'un technicien du son; après avoir fait allusion à « ses traits typiquement africains », Naipaul le décrit « comme un homme venu du fond de sa campagne, peut-être le premier de sa famille à avoir reçu de l'instruction ». Et dans l'article sur le Zaïre, il est question d'un autre homme et Naipaul dit : « Pour cet homme de Bandundu, fils de « fermier », le premier de son village à recevoir une instruction. » On notera que du roman au reportage, il existe une certaine différence entre la prudence d'un « peut-être » dans le premier ras et l'affirmation péremptoire dans le second. Mais la ressemblance est assez frappante.

J'ai essayé de montrer plus haut comment dans l'article, le terme « africain » était connoté péjorativement. Il en est de même dans « Guérilleros ». [PAGE 103] La description des Noirs est très précise, mais la précision vise à en montrer la profonde étrangeté. Ils ont des « visages noirs et luisants, inexpressifs ». Le décor de Jimmy est « impénétrable, étrange ». La grange où vit Jimmy est à l'écart, entourée d'une forêt qui en fait « un monde totalement autre ». Bryant est décrit comme ayant un « visage étrangement étroit et tordu d'un côté, comme s'il avait été abîmé de naissance » (p. 20). Pour clore son portrait : c'est « une tête de méduse ». Quand Roche va voir ceux de la Grange, bien entendu, il ne leur dit rien parce qu'« ils n'ont pas grand-chose à dire ». Ce sont des « types à l'air abruti », des « Noirs indigents ». Et du haut de sa morgue aristocratique, Harry décrète : « Ces gens sont différents de nous ». Jimmy en prend pour son grade parce que c'est lui le véritable bouc émissaire et, dirait-on (pardon pour le mauvais jeu de mots), la « tête de nègre ». Il est décrit comme un succube. Ne connaissant pas le mot, Jane se précipite sur le dictionnaire et lit : « Succube : démon qui s'accouple avec un être humain endormi. »

C'est exactement le sens du meurtre rituel sur lequel se termine le roman. Pour Naipaul, les Noirs sont des démons qui menacent la civilisation occidentale. Ils ne pourront jamais en faire partie. Il restera en eux un fond animal. Voilà le grand mot lâché. Dans le reportage sur le Zaïre, les gens sont comparés à des singes. De même que dans le roman qui en est tiré.

C'est ce que justifient toutes les notations péjoratives sur le terme « africain ». L'« africanité », c'est précisément la primitivité. Dans la citation faite plus haut à propos du Zaïrois Simon, Naipaul le dit nettement : « Parce que leurs ressentiments, (...) peuvent à tout moment se changer en envie d'effacer et de détruire, en nihilisme africain, en rage de primitifs qui se ressaisissent et découvrent qu'on les a bernés et offensés. »

D'où le fait qu'après avoir accompli son forfait, Jimmy retrouve, grâce à une opération de type magique, son monde, un monde lointain, éternel : le commencement des temps.

On peut donc dégager à présent ce qui donne son contenu au concept de « civilisation universelle », d'après Naipaul.

Concrètement. à travers son œuvre et abstraction faite [PAGE 104] de la société à laquelle elle renvoie, on distingue, à l'intérieur de l'univers fictif, deux mondes qui s'opposent comme l'eau et le feu : la ville et la brousse. Deux mondes irréductibles l'un à l'autre. La ville, c'est l'univers aseptisé où tout est complexe. La brousse, l'univers minable où tout n'est que barbarie. Celui-ci intervient comme un contrepoint à chaque instant, minant en profondeur l'univers complexe de la ville. On le voit nettement dans le cas de « Guérilleros ». De plus, la ville, c'est l'Occident et la brousse, l'Afrique ou le tiers-monde.

Il est peut-être bon de se souvenir ici que Naipaul « adore » Balzac. Un écrivain qui en adore un autre, c'est plus qu'un aveu : on se trouve dans un jeu de miroir. On ne fera pas l'injure à Naipaul de manquer d'opinions politiques. Du moins, pourrait-il se rappeler que son bon maître Balzac avait des opinions monarchistes et catholiques; et qu'il fondait toute sa doctrine sociale sur « l'autorité politique et religieuse ». C'est au nom de ces opinions que Balzac prenait toujours comme point de départ de ses écrits une « comparaison entre l'humanité et l'animalité ». Ce distinguo subtil n'était pas uniquement destiné à établir que là où commence l'humanité cesse l'animalité, mais que surtout l'humanité dépendait d'une « autorité puissante » qui n'était autre que « le christianisme et surtout le catholicisme ». Pour Balzac, c'était là « le grand élément d'ordre social ».

Naipaul y a-t-il pensé ? Oui, bien sûr. C'est un cerveau fort complexe qui dit n'aimer que les « choses difficiles ou réputées telles ». Les « choses difficiles » ne peuvent s'apprécier et se trouver que dans des pays où est déjà florissante « la civilisation universelle ». Que veut dire alors cette expression pour lui ? Que peut-elle dissimuler comme opinion ? Sûrement pas une opinion « monarchiste et catholique » pour le brahmane qu'est Naipaul. En quoi consiste son « autorité politique et religieuse » ?

Au-delà de l'ironie de ces questions, je voudrais dire que, pourvu d'une culture réelle et d'une expérience intéressante des pays dits du tiers-monde, Naipaul regarde trop du côté de la « civilisation universelle » et pas assez du côté des civilisations particulières. N'ayant en vue que celle-là, il exotise celles-ci : l'exotisme étant encore la manière pour les cultures qui se prétendent dominantes, [PAGE 105] de regarder les autres cultures comme des produits échappés à des sous-hommes. On les enferme dans l'exotisme comme pour marquer la différence irréductible, leur différence irréductible! On en arrive ainsi à un curieux paradoxe: Naipaul voudrait faire voir la tyrannie et dire que c'est à cause d'elle que les peuples du tiers-monde sont soi-disant « attardés », mais il ne réussit qu'à faire passer un message inverse : il fait de l'« attardement » non pas un problème économique, mais un manquement intellectuel de type métaphysique. En gros, il dit : ils sont « attardés » parce qu'intellectuellement incapables. C'est un type de discours à la fois raciste et commun maintes fois ressassé par des « idéologues » scientifiques incompétents et relayé par certains théoriciens économiques du tiers-monde.

Les insultes provocantes de Naipaul à l'endroit du tiers-monde et des Noirs en particulier relèvent à vrai dire de la diffamation. A la limite, à l'instar d'une femme écrivain juive, on pourrait porter plainte pour diffamation du peuple noir. En effet, voici ce qu'a fait Edith Bruck, écrivain italien d'origine hongroise[17]. Elle a porté plainte contre l'Encyclopédie universelle pour « diffamation du peuple juif ». Elle incriminait deux définitions dans l'Encyclopédie : ebreo (juif) : « sens figuré : avare, homme pingre et sordide, usurier » et ebraïzzare (judaïser) : « adopter les principes, les sentiments et le comportement propres à la race juive ». L'éditeur aurait reconnu les erreurs commises et signalé que la définition du mot « ebreo » aurait dû être précédée du terme « péjoratif », qui aurait sauté à l'impression.

Au-delà de l'anecdote, il est à signaler qu'il y va d'un problème important qui est celui des préjugés que continuent de véhiculer des publications dites scientifiques. Si Naipaul n'a pas de prétention scientifique, on peut dire que son cas est encore plus grave dans la mesure où le roman, consciemment ou inconsciemment, contient une charge émotive qui est à elle seule source immédiate, s'il en est, de préjugés.

Le tiers-monde contient un savoir capable de pulvériser les prétentions occidentales, mais seulement [PAGE 106] ne demandons pas aux roitelets à la tête du tiers-monde d'en déceler la nature. Ils en sont incapables à cause de leur fascination pour l'Occident. Il est donc aberrant de faire la critique du tiers-monde au nom d'une fumeuse « civilisation universelle ». C'est ce que fait Naipaul tout en prétendant ne pas avoir de patrie alors qu'il reconnaît déceler en lui un « fond asiatique ».

Justement, ce « fond asiatique » et la croyance en une improbable « civilisation universelle » lui font adopter une attitude hautaine et superficielle. Du haut de ce tremplin factice, il vocifère des anathèmes qui ne font que trahir ses propres origines brahmaniques. Les ravages de ces anathèmes se feront encore sentir dans son prochain roman à paraître en français et il faudra encore en parler parce que s'il faut faire des critiques « idéologiques» vigoureuses à Naipaul, on ne peut pas nier qu'il soit un grand écrivain. Hélas !

Thomas MPOYI-BUATU


[1] Cf. « Le Nouvel Observateur » : « Le Tiers-Monde et la Gauche ».

[2] Même s'il peur exister un doute sur la valeur réelle de ce reniement de par les conditions équivoques de l'interview (parue dans « le Nouvel Observateur ») où Sartre remettait en cause une partie importante de son œuvre. Voir à ce sujet, le dernier livre de Simone de Beauvoir « La cérémonie des adieux » (Gallimard, édit.)

[3] Interview dans « Le Monde » du 26 juin 1981.

[4] Gallimard, éd.

[5] Chez Albin Michel.

[6] Cf. interview au « Monde ».

[7] « La nouvelle question juive », Idées, Gallimard.

[8] Cf. « Le Débat », numéro 8, janvier 1981, Gallimard.

[9] Albin Michel, éd.

[10] Gallimard, coll. « Imaginaire ». P.F. Coppola en a tiré une fable délirante de mégalomanie avec son « Apocalypse Now ».

[11] Cf. « Le Débat ».

[12] C'est moi qui souligne.

[13] « Le Monde » du 26 juin 1981.

[14] « Le Monde » du 9 juillet 1981.

[15] « Le Monde » du 19 novembre 1981.

[16] « Le Matin » du 19 novembre 1981

[17] « Le Matin » du 6 avril 1981.