© Peuples Noirs Peuples Africains no. 26 (1982) 33-36



TRIBUNE LIBRE

PANAFRICANISME OU NEO-COLONIALISME ?
Un problème posé et à résoudre

Zentho Nationy BADY

Le débat sur le panafricanisme sans cesse ouvert et toujours actuel revêtira une signification et une portée particulières au cours des décennies 1980 et 1990. Il ne peut et il ne pourra plus être question seulement d'un idéal ou d'un mouvement né avec le siècle, un mythe pour les uns, une panacée pour les autres... Le panafricanisme amorce le tournant des solutions concrètes. Il devra démontrer sa capacité à fournir des réponses percutantes à diverses questions pertinentes relatives à l'avenir du continent africain.

Sur trois fronts, le panafricanisme a connu trois insuccès provisoires et devra se revitaliser :

I - Sur le front du Ghana

Il est admis à peu près partout que le bastion du panafricanisme fut le Ghana sous la direction du Président Kwamé Nkrumah. Le renversement opéré à l'aide d'un coup d'Etat militaire, le 24 février 1966, du régime progressiste et panafricain du Ghana a pu être présenté comme l'une des victoires les plus spectaculaires et [PAGE 34] lourdes de conséquences du néo-colonialisme en Afrique et dans le monde, durant ces derniers temps. Ce revers du panafricanisme s'explique – entre autres – par l'insuffisance du travail de conscientisation et de mobilisation sur des mots d'ordre et des thèmes précis dans le cadre d'un Etat africain, de surcroît à l'époque sa citadelle. Cette carence fatale n'a pas fait l'objet d'une analyse systématique et dialectique.

Le panafricanisme des années cinquante et soixante, en dépit des initiatives résolues du président Nkrumah et de son parti, le « Convention People's Party » (CCP), n'a pas pu franchir les bornes de l'intellectualisme et partant de l'idéalisme pour pénétrer en profondeur dans les masses populaires. Au Ghana même, la base sociale ouvrière et paysanne, indispensable à sa consolidation et à son épanouissement, lui manquait. Dès lors il devenait vulnérable et affaibli contre le néo-colonialisme. Le panafricanisme anti-colonial (depuis les divers congrès panafricains à l'indépendance du Ghana en 1957) s'était-il adapté à la lutte anti-néo-colonialiste ? Il semble que non. Tel un véhicule qui roule sur des roues, le colonialisme « roulait » grâce aux colons; le néo-colonialisme, grâce aux autochtones qui parfois ont participé à la lutte anticolonialiste. Le panafricanisme aurait dut tenir largement compte de cette situation, se forger des armes nouvelles nécessaires à sa victoire en prenant pour base d'appui et de lutte le peuple et plus précisément le peuple travailleur. Faute d'une telle tactique, le néo-colonialisme qui est aussi « la pire forme de l'impérialisme » – selon Kwamé Nkrumah – a pris momentanément le dessus...

II - Sur le front de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA)

Une amère constatation semble faire l'unanimité parmi les observateurs progressistes de l'OUA, succédané du panafricanisme et des efforts constants déployés par des dirigeants conscients, notamment Nkrumah, Nyéréré, etc. Elle résulte du contraste important entre les objectifs fixés au départ et contenus dans la charte et les réalisations actuelles. L'OUA sans être un échec à long terme semble battre de l'aile. Il s'avère que cette situation est le reflet des intérêts contradictoires qu'elle rassemble, qui la renforcent d'un côté et l'affaiblissent de l'autre. [PAGE 35]

En 1958 le président Nkrumah et le gouvernement ghanéen avaient pris l'initiative de l'organisation de deux conférences :

– La conférence des Etats indépendants d'Afrique préfiguration de l'OUA (avril 1958).

– La conférence des peuples africains (décembre 1958) à laquelle prirent part les organisations politiques et de masse des pays africains colonisés. L'impact de cette assise fut essentiel sur le cours du développementde la lutte anti-colonialiste en Afrique et notamment dans les anciennes colonies belges et portugaises. Cette formule représente le double avantage d'offrir à l'OUA des Etats, la base et le complément de l'OUA des Peuples qui fait défaut actuellement; et la possibilité de contourner les obstacles juridiques de la non-ingérence et de l'intangibilité des frontières, en contradiction avec le panafricanisme, par voie de conséquence en faveur du néo-colonialisme.

III - Sur le front de la contribution à la recherche d'une idéologie de libération nationale, d'indépendance totale, de société nouvelle pour le continent africain

Le colonialisme et le néo-colonialisme ont réussi provisoirement à placer les peuples d'Afrique hors de l'Histoire de l'Humanité, accréditant ainsi l'adage : « Qui n'a pas d'Histoire, n'a pas d'espoir... » L'espoir pour les peuples africains passe par le retour à l'Histoire qui implique l'anéantissement du colonialisme et surtout du néo-colonialisme.

Pour ce faire, un effort particulier tendant à se forger les armes de la libération nationale et sociale s'impose. Il s'agit notamment d'armes théoriques et philosophiques. L'étude de la réalité en Afrique – et plus particulièrement aujourd'hui – met en évidence la nécessité d'une « CONSCIENCE » qui pose les bases théoriques de la révolution nationale et sociale. C'est ce que le Président Nkrumah appela le « Consciencisme ». Les contributions d'Amilcar Cabral, de Frantz Fanon, de Nyéréré, de Machel et d'autres pourraient s'y retrouver, s'y compléter, s'y enrichir. Il appartient au panafricanisme d'en faire son arme théorique, non comme une fin en soi, mais comme une contribution des peuples africains au trésor idéologique de l'Humanité progressiste et opprimée. [PAGE 36] Faute d'une telle arme, le néo-colonialisme aujourd'hui qui résulte notamment de l'hégémonisme prendra le dessus sur le panafricanisme.

    Les ouvriers et les paysans organisés pour base sociale,

    L'Unité des peuples africains comme base de l'Unité des Etats,

    Le consciencisme largement critiqué, enrichi par d'autres apports comme idéologie.

Telles sont – entre autres – les conditions de la victoire du panafricanisme sur le néo-colonialisme et l'impérialisme.

Zentho Nationy BADY
Président-Fondateur du Mouvement International Kwamé NKRUMAH (MINK). Auteur d'un mémoire de DEA de science politique à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sur le Panafricanisme.