© Peuples Noirs Peuples Africains no. 25 (1982) 113_116



A PROPOS DE L'ANTHOLOGIE
DE LA POESIE TOGOLAISE
[1]

Guy OSSITO MIDIOHOUAN

Cet ouvrage que vient de publier Yves-Emmanuel Dogbé regroupe près de cent cinquante poèmes écrits par treize poètes togolais[2]. Dans sa présentation l'auteur affirme que « la jeune poésie togolaise n'est pas faite que de sensibilité, de gaieté, d'amour de l'autre, [mais qu'] elle est aussi et après tout lucidité, et dénote la mentalité d'un peuple qu'anime le souci de vivre profondément sa vie, en s'accommodant le plus possible de l'inéluctable condition de l'homme »...

C'est une tâche toujours délicate que de vouloir porter un jugement global sur une anthologie eu égard à l'inégalité des talents, aux différences d'âges et à la diversité des inspirations. Nous allons néanmoins tenter de faire quelques remarques. [PAGE 114] La première, c'est que les œuvres de la plupart de nos poètes restent encore des projets et que leur renommée attend de se faire. La majorité n'a jamais rien publié et l'un des mérites de l'ouvrage est de permettre à ces « tous premiers » jeunes poètes togolais de franchir les redoutables barrières de l'édition et de la diffusion qui condamnent souvent bien des talents prometteurs à un découragement précoce. Quant à ceux d'entre eux qui ont déjà publié des recueils tels que : Akakpo Typamm[3], Toussaint Viderot[4] et Yves-Emmanuel Dogbé[5], aucun n'offre une œuvre assez consistante pour témoigner de son étoffe, assez vigoureuse pour attester de son génie, assez éblouissante pour convaincre de son originalité, assez fulgurante, enfin, pour nous entrer dans la chair jusqu'au cœur et exploser en gerbe aux confins de l'humain. Pourquoi donc avoir peur de l'affirmer ? Nos poètes sont des poètes mineurs, à l'art incertain, au souffle bref et souvent sans écho. C'est rarement que, chez eux, le besoin d'écrire recouvre l'aptitude à créer, car tel peut avoir publié dix recueils sans être poète pour un sou et tel autre n'en produire qu'un seul qui l'immortalise[6].

Nous retrouvons à travers les textes que nous propose l'Anthologie les thèmes éternels de la poésie : l'Amour, la Liberté, la Nature, la Solitude, le Rêve, la Mort... Il y a cet attachement à la terre, cette plongée dans le tuf originel, cette évocation d'un passé cauchemardesque que l'on tente d'exorciser par le verbe qui sont des constantes de la poésie africaine contemporaine. Mais, on doit reconnaître aussi qu'un très grand nombre de poèmes n'ont d'autre mérite que l'évidente sincérité de leurs auteurs comme en témoigne cet extrait de « Je te dis adieu! » d'Akakpo Typamm : [PAGE 115]

    O! Métier d'enseignant!
    Flambeau inextinguible
    Creuset et source du savoir
    Je te dis Adieu
    (...)
    Jeunes, vous désertez l'enseignement
    Vous fuyez la fonction enseignante!
    C'est un tort de votre part
    Enseigner est un dur métier
    Mais il faut quand même
    Quelqu'un pour l'exercer.
    Et c'est ce « quelqu'un »
    Qui a fait de vous ce que vous êtes maintenant
    Donc vous aussi vous devez enseigner la génération montante
    (...)[7]

Faire de la poésie, ce n'est pas aller à la ligne et l'enthousiasme déclamatoire, la propension au didactisme et à la moralisation ne devraient pas prendre le pas sur la suggestion subtile et le frémissement intime et diffus qui sont la marque de la vraie poésie. Certes, il y a des réussites comme « L'oiseau bleu » de Toussaint Cossy Guenou :

    Il est tout bleu
    L'oiseau bleu
    Il est bleu du bec
    Bleu des plumes
    Et bleu des yeux,
    L'oiseau bleu
    Il déploie ses ailes
    Deux petits éventails bleus
    Puis
    Comme un léger papillon bleu
    Il voltige dans le bleu azuré
    Du ciel de mon imagination.[8]

Cette simplicité, cette frivolité naïve mais grave ne font-elles pas penser à Prévert ? Par contre il en est d'autres qui ne font que confirmer ce que nous savons déjà, [PAGE 116] c'est-à-dire, comme l'a si bien exprimé le poète congolais Maxime Ndebeka, qu'

    Il y a des camarades
    Qui savent flairer les fauteuils nus
    (...)
    Qui savent trop tendre l'arc des mots.

Par ailleurs, si les poèmes mélancoliques et aux accents lugubres de Kazaro Mat'ti Tassou forment l'expression la plus pathétique du vague sentiment de malaise, d'amertume et de tristesse qui nous poursuit au fil des pages de cette anthologie, ceux d'Inawissi Naye témoignent souvent d'une quête forcenée d'hermétisme, signe d'un goût gratuit de la virtuosité verbale. Enfin le manque de culture littéraire (pas seulement chez les plus jeunes) et les influences mal digérées expliquent certains clichés éculés :

    Voici que décline le soleil vers son nid d'or
    Voici que le soleil tout à l'heure brûlant s'éteint
    Pour laisser aux hommes le temps de réfléchir
    (...)
    Voici que le soleil disparaît totalement
    Et que la nuit enveloppe le monde
    De son manteau noir, tacheté de points lumineux[9].

Dans l'ensemble, comme le reconnaît Yves-Emmanuel Dogbé, la poésie togolaise n'est encore que « balbutiements » Et c'est sans doute pour cela qu'il semble difficile d'en tracer l'évolution, de dire à quelle étape de son développement s'insèrent les œuvres, d'en déterminer la place dans l'évolution générale de la littérature togolaise.

Guy OSSITO MIDIOHOUAN


[1] Editions Akpagnon, 1980, 223 p.

[2] Paul Akakpo Typamm (14 poèmes); Mensah Koffi Kponton (6); Toussaint Mensah Viderot (14); Yves-Emmanuel Dogbé (13); Benoît Mensah Gnamey (12); Jacques Mêtonou Do-Kokou (13); Kokou Adjoyi (8); Anani Akakpo-Ahianyo (9); Kazaro Tassou Mat'ti (12); Dieudonné Ewomsan (21); Yandam Kolani (9); Nayé Inawissi (7); Toussaint Cossy Guenou (10).

[3] Poèmes et contes d'Afrique, Paris, Cercle de la poésie et de la Peinture, 1958, 31 p.

[4] Courage, poèmes, Paris, ed. Hautefeuille 1957. 93 p. Courage si tu veux t'épanouir, fils de la grande Afrique, Monte-Carlo, éd. Regain, 1960, 159 p.

[5] Flamme blême, Paris, éd. de la Revue Moderne, 1969, 84 p.

[6] Cf. David Diop, Coups de Pilon, Paris, Prés. Afr. 1961, 63 p.

[7] Op. cit., pp. 17-18.

[8] Op. cit., p 205.

[9] Dieudonné Ewomsan, « Soleil d'or », op. cit., p. 163.