© Peuples Noirs Peuples Africains no. 24 (1981) 155-156



POÈME

La note de lecture que Laurent Goblot nous envoie aujourd'hui concerne l'essai d'Elisabeth de Fontenay, Diderot ou le matérialisme enchanté (Grasset); dans cet essai, l'auteur relate les conditions dans lesquelles Sarah Bartmann a été traitée et examinée par des savants européens au début du XIXe siècle, au Jardin des Plantes de Paris, puis, après sa mort, comment sa dépouille a été traitée. Il trouve que le moment serait bien choisi – au moment où les rapports de la France avec la patrie de Sarah Bartmann sont en train de changer de nature – pour faire disparaître cet affront fait à un peuple, anéanti par l'invasion européenne. Il demande la destruction de ce moulage, et la conservation du squelette pour l'enterrer dans sa terre natale, quand l'Afrique du Sud sera enfin « civilisée ». [PAGE 155]

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SARAH BARTMANN
LA FEMME DE BONNE ESPERANCE

A Mme Elisabeth de Fontenay

Ils se sont réunis au Jardin des Plantes,
Le zoologue Geoffroy Saint-Hilaire,
Le Sieur Réaux, le propriétaire,
Quelques professeurs de la société élégante.

Ils ont fait déshabiller Bartmann Sarah
Et, assistés de plusieurs naturalistes,
Comme un cheval dans un hara,
L'ont entourée de quatre « artistes ».

Sous le nom de « Vénus Hottentote »,
Pendant trois jours de mars 1815,
Sous les quatre faces, cote par cote,
Ils l'ont comparée au singe.

Ils ont parlé doctement de son « museau »,
Ils ont mesuré sa boîte crânienne,
Ils l'ont traitée comme au zoo,
Ils l'ont vue comme une chienne.

Neuf mois après cette séance
– Le temps qu'un enfant met à sortir –
La faucheuse termina ses souffrances,
Mais il restait encore à dire

Ce qu'on fit après la mort :
Pour faire rire dans l'avenir,
Il fallait perpétuer son corps
Par un moulage dans la cire.

Entend-elle, dans la vitrine,
Le dimanche, bourgeois égrillards,
Vos quolibets de latrines,
Vos rires insanes et paillards ? [PAGE 156]

Le Musée de l'Homme en hérita:
Une petite fille, avec intelligence,
Sensible et réfléchie, la visita,
La Femme de Bonne-Espérance.

A cause de son sexe, elle refusait
Le nom grotesque et dénigré.
En grandissant, elle écrivait
« Diderot ou le matérialisme enchanté ».

Elle rappelait les propres mots
Du philosophe sur le sujet :
« Fuyez, malheureux Hottentots!
Enfoncez-vous dans vos forêts !

Les bêtes féroces sont moins sauvages,
Sont moins cruelles que ces Blancs !
Ils vous réduiront en esclavage,
Ils mettront tout à feu et à sang! »

Cette femme nous interpelle :
« C'est une Noire qu'on humilie,
C'est l'Afrique qu'on flagelle!
Quand cessera cette comédie ?

Pourquoi Sarah, après la mort,
N'a-t-elle pas, derrière une glace,
Le droit de disposer de son corps ?
Aimeriez-vous être à sa place ? »

Elle nous demande de cesser
Cette comédie perverse et grossière.
Moulage et vitre il faut casser,
Et rendre la morte au cimetière.

Laurent Goblot, 10 août 1981.