© Peuples Noirs Peuples Africains no. 23 (1981) 11-18



Tribune libre

LA VÉRITÉ SUR LE « SOCIALISME SCIENTIFIQUE » DU CONGO-BRAZZAVILLE

Ngolakono MISSIATA

Crocs-en-jambes, coups fourrés, luttes d'influence, domination sans partage de l'impérialisme international, français en particulier. Comparativement aux années 1977-1978, époque du règne du général Yombi, l'année 1980 présente au visiteur éventuel une Brazzaville relativement « verte » du point de vue de la liberté la plus élémentaire d'expression et d'action des citoyens. En effet, les « bidasses » ont perdu leurs airs terroristes, matant en permanence la population de cette Brazzaville noire. D'ailleurs les effectifs des patrouilles semblent comprimés. Cependant un fait saillant, c'est qu'il y a eu entre-temps, une quasi-prolifération de colonels, commandants, et capitaines. Paradoxalement à cette promotion pompeuse des militaires, depuis 1976, les fonctionnaires ont leurs avancements bloqués. Il est certes de notoriété publique que le pouvoir gît au bout du fusil ! ! !

La situation actuelle n'étant qu'une conséquence objective d'un état de faits antérieurs, force nous est, avant de l'examiner, de cerner l'héritage légué par le personnage qui a incontestablement marqué la vie congolaise cette dernière décennie : Marien Ngouabi. Celui-ci est en effet l'un des représentants authentiques de la petite [PAGE 12] bourgeoisie qui se nourrit de pouvoir un peu partout en Afrique, avec son inconstance, son caractère versatile, chez qui on observe gratuitement en fin de compte, le contraste poignant qui existe entre l'harmonie des discours et l'incohérence dramatique des actes.

Ngouabi a tenté de se présenter à l'Afrique et au monde comme un révolutionnaire marxiste (cf. son œuvre : Vers la construction d'une société socialiste en Afrique, Présence Africaine).

Pourtant, certains historiens comme Théophile Obenga dans « La vie et l'œuvre de Marien Ngouabi » n'arrive pas à convaincre l'opinion du bien que ce dernier a rendu à son peuple et à l'Afrique. Monsieur Obenga d'ailleurs, chacun le sait, est plus en quête de célébrité et d'argent, qu'animé du désir de promouvoir réellement la science en Afrique et au Congo.

A sa mort plus que jamais mystérieuse, le feu président laisse son pays au bord du gouffre; économie délabrée, renforcement de la présence de l'impérialisme français avec Elf et la Compagnie des Potasses du Congo, régionalisme porté à des cimes jamais atteintes, corruption, détournements éhontés de deniers publics. Pendant que la majorité du peuple moisissait dans la misère, « l'homme du 31 Juillet » et son entourage s'étaient scandaleusement enrichis à ses dépens. Ce n'est malheureusement un secret pour personne à Brazzaville que non seulement « l'immortel » Ngouabi avait des comptes bancaires à l'étranger, mais encore qu'il finançait certaines affaires juteuses comme l'hôtel Migitel de Pointe-Noire. L'essor de la corrida lucrative fut atteint avec les 21 milliards de francs de redevances pétrolières en 1974-1975, qui se volatilisèrent Dieu seul sait comment! Quelques mois après, il fut constaté l'émergence d'une nuée d'entrepreneurs (Otto P., Ossété J. et autres escrocs).

Et, comme par hasard, Ngouabi entonna le refrain d'une théorie étrangère. « Il faut développer la bourgeoisie nationale dans un premier temps, pour l'abattre ensuite. »

A l'attention du lecteur, il est un fait à observer : une bourgeoisie nationale se crée au cours du processus de développement par une dynamique interne et naturelle à cette société, et non artificiellement par corruption, ou détournements de deniers publics. Ainsi dans l'esprit de [PAGE 13] tout congolais malgré les discours officiels, il n'existe aucun doute; c'est sous Ngouabi que le Congo s'est enlisé économiquement et socialement, et le dire tout haut ne serait pas parler mal des morts, ni encore moins de la calomnie, mais tout simplement rétablir la vérité. Pis que cela, sous son règne, toutes les organisations de masses ont été caporalisées, faute de pouvoir adopter une position critique par rapport à la direction politique. Elles ne se bornaient plus qu'à applaudir vigoureusement toutes les niaiseries décidées par leurs directions bureaucratisées. Par exemple au niveau de la jeunesse, la J.M.N.R. (Jeunesse du Mouvement National de la Révolution) et l'U.G.E.E.C. (Union Général des Elèves et Etudiants Congolais) furent dissoutes et remplacées par la fantoche et fractionniste U.P.S.C. (Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise). Celle-ci s'est aussitôt illustrée par son rôle démobilisateur, de briseur de grève, et d'arrivistes petits-bourgeois roulant dans des carrosses et vivant avec des salaires fonctionnels. L'U.J.S.C. se singularise encore par l'ignorance de ses adhérents, malgré la présence plus que louche à ses côtés de soi-disant experts du Komsomol Soviétique, et par le rôle de policier qu'il joue à l'étranger (Cuba, France, Roumanie, U.R.S.S.). Ngakala J., secrétaire chargé de la délinquance juvénile, est le promoteur de cette même délinquance de par sa conduite relevant d'une certaine bokassomanie. Le bougre, comme beaucoup de membres du comité central, s'amuse à faire des bâtards dans toute la ville et, bien sûr, ne s'en préoccupe guère par la suite.

Ainsi dans ces conditions aussi obscures que catastrophiques, Yombi arriva au pouvoir. Cheval de Troie des Américains, régionaliste fieffé et fascisant sur les bords, il fit exécuter une dizaine de personnes accusées d'être à l'origine de l'assassinat de Ngouabi. Hélas, les jugements étant effectués d'une manière sommaire, car les circonstances étant mal établies, le peuple congolais tout au moins dans sa majorité n'a jamais été convaincu de la culpabilité des accusés. Il semble que là, sans aucun doute, les innocents aient versé leur sang inutilement. Cela est d'autant plus grave que tous étaient pratiquement d'une même ethnie, celle des Bakongo que certains estiment généralement opposés aux Mbochi et Kouyou tout au moins au niveau de la petite-bourgeoisie. Les deux [PAGE 14] dernières ethnies citées sont celles d'où sont issus les trois derniers présidents congolais : Ngouabi, Yombi, Sassou. Ces exécutions n'ont fait qu'aggraver les conflits régionaux déjà si complexes au Congo, et il s'est créé au niveau des Lari et Bakongo une certaine conscience collective d'hommes voués au génocide, et un refus de participation aux affaires de l'Etat.

Ainsi est développée dans certains milieux une théorie de la reproduction de l'élite Nord pour une occupation systématique de postes-dés de certains secteurs de l'économie nationale (unités de production para-étatiques) et des organes de répression (Armée, Police et toute la flicaille de la maison en pierres) (Sécurité d'Etat).

Yombi étant l'homme de main des Américains, la situation sociale se dégradant très vite et le peuple étant arrivé sur le point de la révolte, Français et Russes contribuèrent activement à sa chute. Il est également vrai que Yombi et le C.M.P. étaient vomis des masses et que cette situation aurait pu mener celles-ci au bord d'un soulèvement populaire. Mais l'impérialisme français prit les devants aidé quelque peu par les Soviétiques, et le C.M.P. fut déposé.

Pour la petite histoire, le nouveau bureau politique comprend presque tous les anciens membres du C.M.P moins Yombi, Anga, Mbia et Mbima, plus quelques civils tels que Bokamba Yangouma, Lekoundzou Ossétoumba Justin, et Nganga-Zanzou. En plus du président Sassou, on retrouve toujours la même soldatesque composée des Raymond Ngolo, Ntsiba Florent, Katali Xavier, etc. Aussi corrompus et arrogants que jamais.

En prenant le pouvoir, Sassou avait promis au peuple comme l'exige la vieille convention politicienne, un rétablissement de la démocratie (laquelle ?) et laissa espérer des lendemains meilleurs. S'il est vrai qu'il existe un semblant de démocratie, la situation politique n'a fondamentalement pas changé. Pour donner une caution de « gauche » au nouveau régime, Sassou pria les éléments dits du « M 22 » de le rallier. Anciens Diawaristes, ils l'avaient aidé à se débarrasser de Yombi.

S'ils ne sont pas tous politiquement irréprochables, ces éléments cités sont dans leur majorité des éléments intègres certes. Cependant que peuvent-ils réaliser dans ce « milieu » qu'est le P.C.T. « Parti Congolais de Trafiquants » [PAGE 15] où chacun ne songe qu'à s'enrichir le plus possible. La commission de « biens mal acquis » qu'ils avaient tenté de monter au 3e Congrès n'a même pas pu se réunir, car étouffée dans l'œuf.

Au sein du comité central, les mêmes luttes d'influence se sont fait jour dès la première session. D'une manière générale, la lutte se situe entre le clan Sassou composé de Nordistes et dont le chef de file semble être Yoka Emmanuel, directeur du cabinet, avec rang de ministre. Ce dernier n'est autre qu'un truand qui possède plusieurs villas ici et à l'étranger; non satisfait de ses revenus de ministre, il trafique les produits de « beauté Avon » entre Paris et Brazzaville. L'autre clan est la coalition Kouilou-Niari ayant pour porte-étandard Ngoma Louis S., l'homme de main d'ELF et comprenant Thystère Tchicaya, Ngoma Foutou, et autres Boussoukou Boumba. Entre les deux clans, une lutte sourde est engagée et l'unité au sein de chaque clan n'est pas inconditionnelle. Les uns et les autres s'accusent de corruption, mais chacun s'enrichit le plus radicalement possible. Les villas les plus somptueuses de Brazzaville, soit achevées, soit en chantier, sont celles de Lekoundzou, de Ndinga Oba, de Ngoma Foutou... N'allez pas chercher où ils ont obtenu ces fonds ! De source digne de foi, on affirme que Ngoma Foutou s'est enrichi en s'appropriant les sommes que le peuple congolais devait verser aux mouvements de libération africains. Ici on dit encore que la chèvre broute là où elle est attachée, ou encore que chacun défend sa classe.

Les Katali, Ngolo, Lopez, sont affiliés aux forestiers qui pillent le bois congolais, vivant tous de trafics de pierres précieuses ou de pointes d'ivoire avec le Zaïre...

Au 3e congrès ordinaire du P.C.T., certains économistes congolais, Hilaire Babassana, Elenga Ngaporaud (ministre du commerce), Pierre Moussa (ministre du plan) ont repris la théorie fumeuse de Samir Amin « Economie autocentrée ». Ces deniers ont purement et simplement oublié que la France et les U.S.A. ont eux aussi une économie autocentrée et autodynamique. Le problème à notre avis serait plutôt de limiter la dépendance économique vis-à-vis de l'impérialisme (français dans ce cas-ci), contrôler ensuite le commerce extérieur, développer l'agriculture et l'industrie, le commerce intérieur, punir tous les détournements de derniers publics, développer [PAGE 16] les campagnes afin d'assurer le bien-être des paysans; tout ceci, nos « économistes » ne le savent pas car leurs intérêts sont ailleurs. Sur le plan social, les versements de salaires ont pu être régularisés grâce aux prêts financiers de la France, et cela d'autant plus que le Congo semble posséder une quantité non négligeable de pétrole dans son sous-sol; de nos jours, le pétrole même vif ou pâle attire les requins. Souvenez-vous à titre de rappel des voyages de Carter et Giscard au Mexique. Au Congo le tout-puissant Albin Chalandon PDG d'Elf Aquitaine a suivi le président Sassou jusque dans une bourgade perdue au sein de la forêt du Mayombe, hantée par les moustiques, serpents et autres mouches tsé-tsé, appelée Mindouli. Cela n'empêche pas que les salaires soient les mêmes depuis 1958, et que la hausse des prix reste le compagnon quotidien du peuple. La corruption est presque officialisée avec la perception des 10 % des frais de commission pour les contrats. Il faut également signaler l'arrivée triomphale des chers Libanais qui savent si bien et si vite s'enrichir.

Les organisations de masses ont été dissoutes (U.G.E.E.C.) ou caporalisées depuis Ngouabi. Ainsi les syndicats dirigés par Bokamba Yangouma, membre du bureau politique, n'expriment pas les préoccupations des ouvriers, mais la volonté du pouvoir de museler toutes les revendications. En réalité, ces syndicats sont devenus une véritable administration, et syndicalisme devient fonctionnarisme; ceux-ci font des retenues financières aux travailleurs à la source, appelés « check off », n'en justifient l'utilisation à personne. Tous se « tapent » des salaires fonctionnels et vivent comme de vrais défenseurs d'ouvriers.

Depuis que les frais de commission ont été élevés à 50 000 C.F.A. par jour, on assiste à un véritable chassé-croisé de ministres, soit entre Brazzaville et Pointe-Noire, soit entre Brazzaville et Paris. Le record dans la spécialité a été battu et est détenu par Hilaire Mounthault, ministre des transports, qui séjourne à Paris trois fois le mois pour le fameux dossier du réalignement du chemin de fer Congo-Océan. Il serait peut-être utile de dire que Mounthault est un ignare qui ne doit son poste de ministre qu'aux intrigues et à la géopolitique. Autre fléau, le chômage intellectuel a fait son apparition. De plus en [PAGE 17] plus, des jeunes diplômés ont du mal à se trouver des emplois, ou lorsqu'ils sont embauchés, ils passent leur temps à se ronger les ongles alors que l'Etat a dépensé des milliards pour les former.

Le niveau de l'enseignement se dégrade tous les jours au vu et au su de tout le monde sans que Ndinga Oba, le ministre de l'Education Nationale, n'ait de comptes à rendre à personne, et personne ne s'en inquiète. Pour conclure, disons que dans les faits, la situation sociale, politique et économique n'a fondamentalement pas changé. Les hôpitaux congolais sont parmi les rares au monde où il manque souvent du coton, de l'alcool, et des aspirines. Au Congo, l'on dit même qu'il vaut mieux ne pas tomber malade. Et la nomination de Boussoukou Boumba à ce poste (ministre de la santé) n'a fait que détériorer la situation, car ce dernier ne connaît rien de la médecine; tenez-vous bien : il est professeur d'histoire.

Si par contre la situation socio-politico-économique a manqué son but ne fût-ce que dans le sens des normes de gestion néocolonialiste, c'est essentiellement sous le règne de Ngouabi, et ceci est incontestable et irréfutable. L'impérialisme français en particulier y a renforcé ses positions. Et cela a été une porte ouverte à la corruption et aux scandales économiques; il a été signé des contrats sur la raffinerie de Pointe-Noire, et sur la verrerie qui n'ont jamais fonctionné.

En politique internationale, Ngouabi ne fut pas étranger aux activités du FLEC (Front le Libération de l'Enclave du Cabinda), groupuscule fantoche créé par l'impérialisme français qui convoitait le pétrole de cette province Angolaise. Le 2e congrès ordinaire du P.C.T. se prononça pour l'indépendance du Cabinda. Et le regretté président Neto accusa d'ailleurs à juste titre le Congo d'être un pays inféodé à l'impérialisme français.

De nos jours, rien n'est fondamentalement entrepris pour se dégager de la dépendance extérieure, ni pour élever le niveau de vie des masses. Une seule constatation : une minorité, qui n'est autre que la couche militaro-bureaucratique au pouvoir, poursuit son ascension vers les cimes les plus élevées de l'enrichissement, tandis que la majorité du peuple avec en gros plan la plèbe urbaine, plonge dans les profondeurs de l'océan de la misère.

Toutes les réformes entreprises le sont dans l'optique [PAGE 18] néo-colonialiste et non révolutionnaire; la machine doit en fait très bien tourner selon les critères de la société bourgeoise.

La classe au pouvoir quant à elle se débat dans des contradictions propres à sa nature, et le peuple attend peut-être une Révolution, ou encore un sergent, ou un autre officier subalterne comme Samuel K. Ndoe, ou un Jerry Rawling pour faire table rase.

Qui vivra verra.

Ngolakono MISSIATA