© Peuples Noirs Peuples Africains no. 22 (1981) 85-99



L'AFRIQUE ET L'INFORMATION DANS LE MONDE

Babou Paulin BAMOUNI

L'information, en général, est depuis longtemps un enjeu politique, car elle constitue le meilleur instrument, sur le plan idéologique, pour agir sur les gens. Tous ceux qui la maîtrisent avec les grands moyens n'en doutent pas.

L'information représente à cet égard une denrée de première nécessité pour tous depuis qu'elle a connu un développement spectaculaire avec l'application des nouvelles techniques de transmission ultra-rapides. Du téléscripteur au bélinographe en passant par le téléfax, les télé-imprimeurs, le facsimilé et les satellites géostationnaires de retransmission, le XXe siècle est indéniablement devenu le siècle de l'information. Il n'est donc pas permis à un pays de se laisser devancer dans ce domaine. Car qui détient l'information détient le pouvoir, d'autant plus que l'information est devenue le catalyseur de tout développement et du progrès. Les pays impérialistes en la matière le savent très bien. Car elle est leur outil privilégié.

Abreuvés tous les jours d'informations, il nous arrive même de subir ce matraquage sans la moindre attitude critique et analytique vis-à-vis du contenu de ces informations. Il n'y a pas d'information neutre quoi qu'en disent [PAGE 86] les faiseurs d'opinion publique que l'on croise souvent dans les couloirs du pouvoir.

L'information demeure un moyen de manipulation, d'asservissement et d'endoctrinement sur le plan idéologique. Or parler d'idéologie c'est parler d'un pouvoir qui s'empresse de contrôler les sources d'information. C'est pourquoi tous les grands moyens d'information comme les gros journaux, les grandes stations de radio et de télévision dont l'éthique a toujours été ambiguë, parce que politiquement et financièrement contrôlés, évitent de lever un coin de voile sur le contenu de l'information qu'ils transmettent au jour le jour. A ce titre, l'information demeure un puissant moyen de manipulation. Tous les Etats, grands et petits, se sont pratiquement rendu compte, à ce propos, de l'importance de l'information et la tiennent pour légitime, quel que soit le régime en place, pour le bon fonctionnement de leurs institutions et la cohésion de leur société.

Placée dans le contexte international, l'information, comme la conçoivent les pays dominateurs en ce domaine, soulève logiquement des problèmes de toutes sortes au niveau de tous les Etats. Car liées au phénomène de l'industrialisation, aujourd'hui la radiodiffusion et la télévision, dans le monde, rassemblent quotidiennement au-delà des frontières géographiques, des dizaines de millions d'auditeurs et de téléspectateurs. La télévision brasse les continents et les peuples du monde.

Ce grand bouleversement entraîne, et tout le monde le reconnaît, des problèmes économico-socio-politiques, idéologiques et surtout culturels que tout le monde s'accorde à déplorer, même si ce n'est que du bout des lèvres pour certains, comme c'est le cas des pays néocolonialistes qui pratiquent un véritable impérialisme abject en matière d'information vis-à-vis des pays du Tiers-Monde en général et de l'Afrique en particulier.

Cette situation prévaut parce qu'en ce domaine, il y a des riches et des pauvres. Des fournisseurs et des acheteurs (pour ne pas dire des receveurs) et sur le plan culturel, des envahisseurs et des envahis. Au demeurant, l'Europe et l'Amérique du Nord, dans un esprit dominateur et manipulateur, fournissent ou vendent au reste du monde 80 % des informations circulant dans le monde chaque jour. [PAGE 87]

Ce déséquilibre flagrant est provoqué principalement par cinq grandes agences internationales de l'information qui sillonnent le monde. Il s'agit notamment : d'U.P.I. et A.P. (United Press International) et (Associated Press) pour les U.S.A.; Reuters pour la Grande-Bretagne; A.F.P. (Agence Française de Presse) pour la France et T.A.S.S. (Telegrafnoie Agentstvo, Sovietskovo Soïuza) pour l'U.R.S.S. Ces grandes agences ventilent l'information dans le monde en accordant la priorité aux intérêts respectifs de leur pays d'origine

Comme dans son ensemble le Tiers-Monde ne dispose pas encore d'agences modernes et bien structurées pour rivaliser avec ces grandes centrales d'information, sa domination à ce niveau ne fait plus l'ombre d'un doute. Et cela encore moins pour l'Afrique qui se trouve littéralement exposée à cette influence on ne peut plus malsaine pour quelque politique d'indépendance que ce soit.

Et si, devant un tel statu quo, la vingtième conférence de l'Unesco en novembre 1978 à Paris, portant discussion sur le Nouvel Ordre Mondial de l'Information et de la Communication, a sonné le réveil du Tiers-Monde, il faudrait à ce titre, se demander quelle est la part africaine d'information dans le monde, et ce que le continent noir fait pour en finir avec cette domination à sens unique qui n'a que trop duré!

LA PART DE L'AFRIQUE DANS L'INFORMATION MONDIALE

Tous les pays contribuent à des degrés divers à l'information qui circule chaque jour dans le monde. Et d'une façon générale, cette information qui constitue la base de toute vie en société est inhérente à la société. Elle s'avère donc indispensable à son bon fonctionnement. Sur une telle base le développement de l'information est par conséquent primordial pour de meilleures relations sociales dans une certaine harmonie. Et un peuple mal informé est mentalement et psychologiquement trop faible pour résister à toute manipulation et à toute campagne d'intoxication, surtout d'ordre étranger. Mais que constatons-nous a priori en Afrique ?

La sous-information demeure un grave problème qui se pose [PAGE 88] aux peuples africains avec un surcroît d'ignorance, même s'il est vrai que cela est lié à plusieurs problèmes factoriels qui s'inscrivent dans un cadre général propre à l'Afrique.

Ce continent compte aujourd'hui près de 534 millions d'habitants, soit 10 % de la population mondiale[1] pour une superficie de 30 224 000 km2. En 1968, l'Afrique apportait 1,2 % de l'information mondiale face aux 80 % que véhiculent l'Europe et l'Amérique du Nord. Bien que l'Afrique soit peu peuplée d'une façon générale, cette part d'information mondiale n'est pas acceptable pour plus de 500 millions d'hommes et de femmes compte tenu de la place géopolitique et stratégique de ce continent dans le monde. Il y a cependant une cause que nous verrons plus loin. Et toujours en 1968, l'Afrique comptait 220 quotidiens contre 1860 à l'Europe sans l'U.R.S.S. [2] '.

Aujourd'hui, c'est-à-dire en 1981, les choses n'ont guère évolué pour l'Afrique. Elles vont même dans le sens de l'aggravation. On y dénombre 186 journaux quotidiens qui peuvent justifier une parution régulière. Et cela représente 1,2 % du tirage mondial des journaux quotidiens. Le manque à gagner est donc considérable pour l'Afrique quand on sait que de petits pays européens comme la Suède à elle seule dépassent largement ce pourcentage avec ses 514 journaux quotidiens pour 1000 habitants en taux de diffusion. Pour l'Afrique, ces chiffres et ces pourcentages assez éloquents auront droit à une explication. Mais pour le moment contentons-nous des considérations générales.

Ainsi donc, globalement en 1975, l'Afrique comptait 2,3 récepteurs radio pour 100 habitants. Même si ce chiffre est très faible, il faudrait remarquer que ce secteur avait, à l'occasion, triplé son nombre de récepteurs. En 1976, on dénombrait officiellement 27 325 000 récepteurs radio pour 701 émetteurs radio allant souvent de 1 à 10 émetteurs parfois par pays[3].

Quant aux téléviseurs, il y en avait en 1976 [PAGE 89] près de 2 506 150 avec 6 400 téléviseurs scolaires principalement ivoiriens et nigerians. Ce qui donne un pourcentage de 0,07 récepteurs téléviseurs pour 100 habitants avec au total 244 émetteurs, 9 relais et 8 réémetteurs[4]. A ce sujet, il faut noter qu'un certain nombre de pays africains ne disposent pas encore de la télévision à savoir près de 18 pays sur 50, ce qui n'est pas totalement mauvais, sous un autre angle, quand on sait que beaucoup de pays africains se sont dotés de la télévision sous les incitations des pays impérialistes, dont la France, pour pouvoir vendre et programmes et matériels à quoi s'ajoutent les techniciens-coopérants qui vont diriger l'information dans ces pays soumis au contrôle des intérêts impérialistes.

Toutes ces données ne font qu'illustrer d'une façon notoire la sous-information dans laquelle le continent africain est plongé. On est bien loin de la surabondance que connaissent les pays nantis qui font de l'information leur panache et idéologiquement un moyen de domination politique et culturel sur le Tiers-Monde en particulier.

Sur le plan du cinéma, l'Afrique ne fait pas encore le poids avec son 0,6 place de cinéma pour 100 habitants. Exceptées l'Egypte qui produit suffisamment de films pour son compte et en exporte dans les pays arabes, l'Algérie qui est à même de se suffire à elle-même en matière de production cinématographique, comme aussi bien la Guinée (Conakry) qui produit et exploite ses propres films, les pays africains continuent de se faire imposer des films américains, anglais, français, etc.

Même s'il faut considérer que la Haute-Volta est le seul pays d'expression française à avoir nationalisé ses salles de cinéma depuis 1970 pour une plus juste exploitation de celles-ci et une meilleure diffusion des films, il n'en demeure pas moins que le malaise est général au niveau des principaux moyens d'information et de communication. Devant de tels chiffres et pourcentages, on a de la peine à croire qu'il s'agit bien d'un continent qui, logiquement, devrait chercher à se donner un nom et se promettre un destin meilleur. Nous sommes loin des statistiques [PAGE 90] de l'Unesco qui estimaient en 1961, que pour qu'une population donnée soit suffisamment informée, il fallait :

    10 exemplaires de journaux pour 100 habitants.
    5 récepteurs de radio pour 100 habitants.
    2 récepteurs de télévision pour 100 habitants.
    2 places de cinéma pour 100 habitants.

Nous situant loin de ces chiffres, cela laisserait croire que tous les pays africains négligent l'importance de l'information et ne songent pas à son développement. Ce qui n'est pas exactement vrai, car certains pays, aux dirigeants conscients, veulent en finir avec les emprise impérialistes sur leurs moyens d'information, en sentant le besoin de se doter de moyens sophistiqués d'information pour sortir de leur anonymat habituel et de l'exploitation. Mais la tâche n'est pas facile quand des problèmes économiques, politiques et sociaux entrent en ligne de compte pour tous ces pays qui ont d'abord besoin d'une volonté politique pour véritablement œuvrer dans le sens du changement.

Mais vu la léthargie dans laquelle se trouvent les moyens d'information, cela implique-t-il que les Africains sont congénitalement incapables de se doter de leurs propres moyens d'information ou de développer sur tout le continent l'information nécessaire à l'éveil des esprits ? Des questions comme celles-là, beaucoup de gens se les posent après tout !

Malgré les indépendances fictives des années 60, les Africains comme tant d'autres peuples de par le monde, sont tout aussi capables de se doter de moyens efficaces d'information pour assurer leur développement économique et préserver l'identité culturelle de leur civilisation. Car il leur faut participer au multilogue mondial. Cela suppose que les Africains soient eux-mêmes d'abord, c'est-à-dire qu'ils disposent de leurs pays, de leur continent, de leurs richesses, de leurs matières premières, en un mot, il faudrait que leur continent soit totalement balayé de tous les exploiteurs de tout acabit, de toute la vermine étrangère et impérialiste et de ses complices qui organisent la chasse au trésor sur le sol africain, pour enfin espérer une information digne et rayonnante sur ce continent.

Par ailleurs, si ce statu quo demeure au niveau de l'information, [PAGE 91] il faudrait rattacher la situation à l'histoire traumatisante du peuple africain avec les Européens qui l'ont longtemps dominé par la force des armes. Placé aujourd'hui sous des despotes politiquement désarticulés et manipulés par des puissances étrangères, le peuple africain se cherche dans la faim. Ainsi, au-delà de cette réalité, les pays néo-colonialistes, pour continuer de nier le tort qu'ils ont causé et causent toujours à l'Afrique, se sont emparés de tous les moyens d'information dans les pays africains, par bourgeoisie réactionnaire interposée, pour endormir les esprits et étouffer toute voix lucide qui essaie de donner une information objective allant dans le sens d'une prise de conscience des masses.

Tout cela s'ajoute aujourd'hui à la longue domination coloniale du continent qui avait transformé les pays africains en fournisseurs de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles. Les colonisateurs voulaient d'une population colonisée aussi laborieuse que soumise, au lieu d'une population africaine qui se livrerait à des jeux d'esprit en s'instruisant. Cette domination et le manque d'hommes instruits ont congelé le développement des économies nationales, de la culture africaine, des institutions socio-politiques y compris la presse nationale. Car le développement des moyens de l'information et de la communication n'est pas un fait isolé. Il s'imbrique dans un processus général de développement.

Dans les anciennes colonies françaises par exemple, il était formellement interdit aux Africains de s'occuper pratiquement de journalisme. Et cela jusqu'au commencement de la Deuxième Guerre mondiale qui a fait évoluer, si je puis dire, un peu la situation. Car, on peut soutenir qu'il a fallu Hitler pour faire prendre conscience à nos principaux tortionnaires de colonisateurs, dans leur refus de la domination nazie, du grand tort qu'ils nous causaient en nous mâtant. Après la guerre, bien que la situation devînt légèrement favorable, la presse nationale, pour les pays qui n'en avaient pas a eu tout de même du mal à se constituer en particulier en Afrique Occidentale.

Dans les anciennes colonies anglaises, même avant la guerre, les choses allaient beaucoup mieux. La presse locale jouissait de conditions relativement plus favorables. Ainsi au Nigeria l'on verra une presse locale en langue Yoruba se développer rapidement dans le pays. [PAGE 92]

Tout cela ne veut pas démontrer que la situation incombe totalement à l'ex-colonisateur d'hier, aujourd'hui néocolonisateur. Les pays africains, pour les plus inféodés, actuellement indépendants entre guillemets, aux mains d'une bourgeoisie compradore au service de l'étranger, doivent endosser aussi la responsabilité en rapport avec leurs politiques de l'information et de la communication totalement imposées de l'extérieur par le biais de toutes sortes de magouilleurs soi-disant spécialistes de l'information que les pays néo-colonialistes dépêchent sur place. Ces corrompus qui n'apportent rien à l'Afrique vont manger et boire à l'œil à la table des roitelets chefs d'Etat africains sans pouvoir réel.

Une politique efficace de l'information suppose pour un pays le contrôle des sources de l'information. Mais que constatons-nous ? Les Agences internationales, citées plus haut, occupent tout le terrain et plongent le continent africain non seulement dans la dépendance sur le plan informatif, mais aussi dans l'acculturation pure et simple et empêchent l'Afrique de se faire entendre. Ce sont elles qui trient les informations non seulement pour leur pays d'origine mais pour l'Afrique. Elles couvrent tous les grands événements qui se passent sur le continent et décident de l'information à passer dans les journaux africains sur les stations de radio et à la télévision pour qu'aucun intérêt des pays néo-colonialistes ne soit mis en cause par quelque information que ce soit! Ces mêmes agences surtout l'A.F.P. et Reuter qui sont beaucoup plus représentées en Afrique choisissent les informations en provenance d'Europe pour les moyens d'information africains. Ainsi, la manipulation devient facile et l'acculturation s'intensifie. Car l'information s'associe étroitement à la culture sous tous ses aspects, Le fournisseur d'information fournit indirectement sa culture et sa façon de concevoir et de voir le monde avec cette information. Sur ce point, l'Afrique est bien à plaindre.

L'INVASION CULTURELLE

A l'heure actuelle c'est surtout par le biais des mass-media et leurs attributs qu'un pays donné peut efficacement faire connaître sa culture à d'autres pays du monde. [PAGE 93]

Les Américains et les Européens vis-à-vis du Tiers-Monde tiennent le haut du pavé dans ce domaine. Et l'expansionnisme de certains s'est rapidement moulé dans l'information pour parvenir à ses fins car la conquête militaire n'est plus officiellement de mise aujourd'hui, même s'il y a eu un Kolwezi, un Afghanistan ou un Salvador pour nous le rappeler. Les pays néo-colonisateurs cherchent la colonisation des mentalités au XXe siècle pour tout recoloniser. C'est là un véritable danger pour tous ceux qui se laisseraient prendre. Car celui qui est mentalement et culturellement dominé perd d'office son identité et ne s'appartient plus.

Or ce fléau menace les pays sous-informés et sans moyens de protection. Ils se laissent totalement envahir par cette nouvelle forme de colonisation qui bafoue tout et ne tient pas compte de l'identité culturelle et de la civilisation de celui qui la subit. A ce point de vue, l'Afrique constitue encore un malheureux exemple. Les grandes librairies dans les grands centres villes sont l'œuvre des pays néo-colonisateurs pour vendre leur idéologie qui va à l'encontre de toute émergence d'intellectuels africains essayant de mettre en cause leur politique avilissante. Partout naissent des centres culturels, des maisons d'éditions (livres et disques) pour se livrer à un contrôle de la production en boycottant tout livre africain qui vise à la conscientisation des masses.

Culturellement, l'Afrique est le continent le moins connu dans le monde parce qu'elle est constituée de pays receveurs et non de pays fournisseurs d'information. La plupart de ces pays alimentent leur radio-diffusion et télévision de programmes importés presque en totalité. Les programmes radio-télé ivoiriens dépendent à 70 % des importations. La Zambie à 64 %. La Tunisie à 65 %, pour ne citer que ces pays[5]. A part quelques stations comme Radio Le Caire, Radio Tripoli, Radio Kinshasa, les stations de radio africaines ne se font pas entendre sur le continent au-delà de leur pays d'origine, à plus forte raison dans le monde. Cette faiblesse laisse la place à la Voix de l'Amérique, retransmise à partir du Libéria, à la B.B.C. Internationale, à Radio France Internationale [PAGE 94] et à Radio Neederland, le soin d'informer l'Afrique tout entière. Cela fait que même le paysan africain, perdu dans la brousse, réussit aisément à capter ces différentes radios intruses. Pourquoi tous ces pays visent l'Afrique ? C'est parce qu'ils veulent s'approprier les richesses de l'Afrique en l'endormant par une information subjective et aliénante qui, sous des manœuvres diverses, peut avoir un impact sur le plan économique, technologique, psycho-politique et sociologique auprès des Africains. Cette même information est utilisée comme une action dilatoire face à une éventuelle prise de conscience des peuples africains, chose que redoutent tous les pays impérialistes.

Dans cette œuvre d'aliénation, il est donc facile aux envahisseurs de manipuler les envahis pour des objectifs économiques et politiques, puisque l'influence des médias sert de pouvoir et s'organise comme tel pour intervenir en escomptant des résultats, des buts qui ne sont jamais avoués dans les déclarations qui mettent en avant de bonnes intentions d'aide aux pays en voie de développement.

Dans ces circonstances de miroir à alouettes, l'Afrique tombe inéluctablement dans le piège de la culture étrangère qui aliène son peuple et détruit du même coup son identité culturelle. Les dramatiques, les séries télévisées, les films européens souvent amoraux et les westerns américains font le tour du continent avec un certain triomphe et sont happés par des masses de gens non préparés à résister à cette agression morale et culturelle qui prend même la brousse d'assaut.

Le déséquilibre est net, car les productions africaines, capables de détourner les gens de cette marine qui avilit et cristallise les consciences dans la soumission, sont presque inexistantes. Ainsi face à une telle culture déployée avec les grands moyens, le pauvre Africain se replie inexorablement dans un perpétuel complexe d'infériorité; complexe qui anéantit totalement toute prise d'initiative de la part de ceux qui auraient souhaité sortir de cette dépendance dégradante.

Dans cette politique de dupes, dite de coopération entre surtout les pays africains d'expression française et la France, les exportations africaines en matière de programme radio-télé vers l'Europe sont pratiquement nulles. [PAGE 95] Tout ce que l'on peut apprendre sur l'Afrique en Europe se limite aux coups d Etat, aux drôleries rocambolesques sur quelques guignols à la tête de certains Etats. Ou encore des choses spectaculaires qui ridiculisent l'ensemble des Africains pour susciter en Europe un sentiment de supériorité vis-à-vis des Africains. Et pendant ce temps, l'Afrique noire surtout voit dans son ensemble ses stations de radio et de télévision dépendre entièrement de l'étranger pour le matériel technique et pour une partie du personnel qualifié où dominent en maîtres des techniciens-coopérants qui ont plutôt l'intention d'amasser le plus d'argent possible que d'aider réellement les pays à se doter de moyens efficaces d'information.

D'une façon générale, la situation de l'information se caractérise en Afrique par le fait que ce sont les journaux, les magazines, les films et les programmes de radio et de télévision des pays impérialistes envahisseurs qui enregistrent les meilleurs profits et recettes sur ce continent. Les organes d'information africains sont par conséquent relégués au second plan et végètent dans une médiocrité impardonnable et demeurent impuissants à contrebalancer l'influence des divers organes d'information étrangers qui sèment dans leur sillage l'acculturation et l'aliénation, et prédisposent la conscience des masses à la soumission et à l'exploitation tous azimuts.

Le danger qui réside dans ce processus d'encerclement des mentalités africaines est que les organes d'information néo-coloniaux véhiculent des modes d'expression adaptés au rythme de développement de leurs pays d'origine sur le continent noir et perturbent les valeurs, les lois internes de croissance et tout l'équilibre socio-culturel. L'Africain, ainsi embrigadé, n'a plus un mode d'expression à lui. Les nouvelles, les modèles, les modes, les mentalités et les idéologies transplantées et qu'on lui impose sous silence, lui servent de cadre à partir duquel il se définit sans le moindre esprit critique. A partir de là, l'avenir reste bouché pour tout le monde et aucune évolution n'est envisageable comme le soulignait Frantz Fanon : « On ne peut avancer résolument que si l'on prend conscience de son aliénation[6]. » Or optique actuelle [PAGE 96] des pays néo-colonialistes est précisément de paralyser chez les peuples néo-colonisés cette prise de conscience de leur aliénation pour mieux les exploiter en entretenant cette aliénation par l'information.

Devant cette « agression ou violence », les Etats africains dignes de ce nom doivent adopter des politiques concertées sur l'information et la communication qui puissent donner au continent les moyens de faire entendre sa voix aux confins du monde par un véritable rééquilibrage de l'information à tous les niveaux et pour une libération de leurs peuples.

POUR UNE POLITIQUE CONCERTEE DE L'INFORMATION

« Il faut que le peuple développe son esprit critique pour que, lisant les journaux ou écoutant les nouvelles à la radio, il se comporte non comme un simple patient, comme un receveur de « communiqués », imposés, mais comme une conscience qui cherche à se libérer. » disait Paulo Freire : Pédagogie des opprimés, p. 113 (Maspero, édit.).

Si nous sommes encore loin en Afrique de cette conception du rôle de l'information selon Paulo Freire, c'est parce que quelques Etats fantoches, en somme, sous la houlette de pays impérialistes, voient en la matière autre chose que l'intérêt national ou continental. Ainsi, ces Etats n'accordent au développement des moyens d'information et de la communication nationaux que des subventions ridicules qui réduisent à néant toute bonne volonté de la part des gens responsables.

S'appuyant sur cette incapacité notoire, mais organisée, les pays néo-colonialistes se chargent presque, dans l'infamie et l'ignominie, de l'encadrement des moyens d'information, de la formation professionnelle au rabais pour gagner du temps en Afrique devant la montée de jeunes consciences opposées à une telle politique.

Conscients de cette situation, les Etats africains doivent chercher à se concerter sur le plan continental pour se donner une volonté politique. Oui, aucune solution au développement de l'information ne saurait venir d'ailleurs que de l'unité d'action de tous les Etats. Individuellement, [PAGE 97] ceux-ci ne pourront rien faire de bien grand pour contrebalancer l'influence de la propagande impérialiste sur le continent. La politique de concertation entre Etats s'avère la meilleure pour donner aux peuples africains l'information objective dont ils ont grand besoin. Cela n'empêche pas que chaque pays fasse un effort de son côté pour une meilleure information de sa population en cherchant à la protéger de l'invasion culturelle dont elle est l'objet en ce moment.

L'idée de création des agences nationales d'information dans chaque pays, qui s'inscrit dans une telle perspective, est une bonne chose. Mais il reste à savoir si l'on donne véritablement les moyens à de tels organes de faire leur travail. Malheureusement, au lieu de quadriller le pays, ces agences, par manque de moyens, s'abonnent aux agences internationales d'information qui viennent se substituer à elles pour sillonner le pays.

Si une première réunion d'experts sur le développement des agences d'information en Afrique, tenue à Tunis le 1er avril 1963, a jeté les bases d'une coopération entre ces mêmes agences, les Africains doivent aller encore plus loin dans une politique beaucoup plus constructive et objective comme celle-là pour garantir une véritable libération des esprits.

Il appartient d'abord à chaque Etat de combattre inexorablement l'impérialisme en matière d'information et en faisant face avec rigueur à l'analphabétisme qui est le noyau de résistance, en ce qui concerne les handicaps d'ordre social, au développement harmonieux des moyens d'information. Même si la radio permet de passer cette barrière et celle des langues, la presse écrite s'y trouve bien confrontée. Par ailleurs, la multiplication de journaux ruraux à base de croquis, de photos ou d'illustrations centrées sur les milieux ruraux pourra permettre à une bonne partie de la population non lisante de s'intéresser aux journaux.

Quant à la population scolarisée, elle a besoin d'une politique d'incitation à la lecture par la création de halls d'information, de centres culturels d'une façon décentralisée. Sinon, une fraction de cette population scolarisée, quittant parfois tôt l'école, retombe dans l'analphabétisme faute d'entretenir son niveau par une lecture quelconque. [PAGE 98]

Si l'on tient compte des problèmes cruciaux comme la famine qui frappe beaucoup de pays africains, la misère grandissante dans les villes, la baisse du niveau de vie d'une façon générale dans certains pays et l'exploitation que subissent les populations africaines, la télévision constitue un luxe réservé à la petite-bourgeoisie mesquine des capitales des Etats. Et demander son développement à l'échelon national pour un pays qui n'a, actuellement, recours qu'aux programmes et techniciens étrangers pour son fonctionnement, c'est donner main forte aux pays impérialistes pour l'acculturation des populations. Le développement de la télévision aurait un apport bénéfique pour les masses si toutefois elle se mettait uniquement au service des masses en répondant à leurs besoins primordiaux d'information conscientisante. On peut aussi envisager son développement, mais en rapport avec les capacités de production de programmes nationaux ou continentaux dans le respect de l'identité culturelle propre à L'Afrique. Et d'ailleurs à ce niveau, une politique de coopération inter-africaine devrait s'imposer. La création en 1977 à Kampala de la PANA (Agence Panafricaine d'Information) s'inscrit dans cette réalité objective. Quel est donc le but de la PANA ? L'agence se donne pour but d'assurer la diffusion des informations sur la situation sociale, économique, culturelle et politique en Afrique, sur la coopération régionale et sur l'unité politique africaine. Ce qui ressort de son statut. Dans une telle optique, le continent africain veut se donner politiquement les moyens de diffuser des informations en Afrique et dans le monde sans l'entremise d'autres agences. Mais n'est-ce pas étalage de bonnes intentions ? Il faut le croire, car les pays impérialistes ne pouvaient tolérer une telle entreprise qui saperait, à la longue, la leur en Afrique, au niveau de l'information, et par implication, les toucherait dans d'autres domaines. Ils ont fait donc des pressions sur certains Etats, politiquement liés, pour qu'ils ne paient pas leur quote-part du budget de fonctionnement de la PANA qui, théoriquement, devant être en œuvre depuis janvier 1980, est aujourd'hui en panne. Des problèmes politiques ourdis par les mêmes pays impérialistes, dont la France, sont venus semer la mésintelligence au niveau des Etats africains qui préfèrent [PAGE 99] toujours se fier aux agences impérialistes d'information qui tablent sur la désunion du continent.

Résolument l'Afrique doit se tourner vers des entreprises communes, comme la PANA ou l'U.R.T.N.A. (Union de la Radiodiffusion et Télévision Nationales Africaines), l'U.A.N. (Union des Journalistes Africains) auxquelles il faut une assistance politiquement cohérente et des moyens financiers importants pour une meilleure et grande structuration de leurs capacités d'action sur le continent.

C'est par de telles initiatives qu'il faut développer dans un esprit révolutionnaire à l'échelle continentale que l'Afrique pourra s'auto-informer d'une façon bien autonome en barrant le chemin à l'invasion culturelle, au lavage de cerveau dont est l'objet le peuple africain dans son ensemble. D'ores et déjà, il appartient aux Etats conscients ou à ceux qui refusent vaillamment l'inféodation de s'engager dans la vole d'une coopération farouchement et intensivement africaine pour espérer trouver une solution efficace aux problèmes de l'information et de la communication. Il faut des instances inter-africaines anti-impérialistes pour penser le problème globalement. C'est la seule échappatoire possible pour refuser le statu quo et faire connaître les réalités africaines au reste du monde. C'est dans ce sens de la dignité que les Africains pourront retrouver non seulement leur véritable identité culturelle, mais aussi leur unité politique et géographique.

Babou Paulin BAMOUNI


[1] Bernard Voyenne : La Presse dans la société contemporaine. Paris, Armand Colin, 1971.

[2] Idem.

[3] Cahiers de l'Unesco : Etudes Unesco- Interstages-Etats africains. 1978 pour l'année 1976.

[4] Idem.

[5] Hervé Bourges : Décoloniser l'information, Paris, Cana, 1978.

[6] Frantz Fanon : Les Damnés de la terre, Paris, Maspero, 1977.