© Peuples Noirs Peuples Africains no. 21 (1981) 149-155



POÈMES

Méthode-Alain BUTOYI et Matoondo Kubu TURÉ

Méthode-Alain Butoyi est un jeune poète burundais actuellement réfugié à Los Angeles, en Californie.

LA NECROMANCIENNE

Quand je ferme les yeux je vois tous ces gens morts
sans raison, sans péché, sans savoir pour quel tort
on les égorge par centaines de milliers
ils passent pour criminels ils meurent humiliés

ils sont pacifiques
leur mort est mystique
le massacre est calculé
la haine est mythique
le pouvoir en somme
peut se griser d'alibis
le carnage est son fort

Quand je ferme les yeux un clin d'œil sur le monde
je trouve à redire à tous ces régimes
qui clament la relève mitraillette à la ronde
ils prêchent l'unité leurs actes me dépriment [PAGE 150]

le parti unique
regorge d'iniques
de grigous et de vandales
ils n'ont rien dans l'âme
que le cri d'alarme
d'aller semer le scandale
la graine cannibale
Quand je ferme les yeux, je compte les secondes
et pense à mes amis là-bas dans l'autre monde
quand je ferme les yeux il m'arrive de pleurer
sur mon beau pays là-bas au cœur d'Afrique

ils étaient pacifiques
mes amis mes frères
la brave gent des bosseurs
explosant de leur épaisseur
sous les gros rouleaux compresseurs

à la mitraillette
on les fauchait raides
comme on fauche les jonquilles
la mort les a sauvés.

(13 mai 1978)
Méthode-Alain BUTOYI

AGENDA D'UN DESPOTE

Je voudrais à mon peuple jeter la poudre aux yeux
afin qu'en ma personne il trouve le levain
tant attendu depuis que l'homme est loup de l'homme
finie la comédie de ces rois délétères

au crépuscule du rêve j'ornerai mes autels
de brebis au nez court car moi j'ai le bras long
des puits pétrolifères j'attiserai le feu
des lubies anarchiques au sein des catacombes

pour dissiper l'ennui du soleil tripolien
je m'en irai toiser les rues de Kampala
et je haranguerai sous le soleil de mai
mes phalanges à poil accrochant une larme [PAGE 151]

j'armerai mon carquois de foudre tac tac tac
faucheur la serpe ardente dodo bébé hamac
de ces mères hagardes je cueillerai les pleurs
comme des fruits amers qu'on jette après cueillette

non content d'étouffer le courroux ancestral
de ma voix caverneuse j'enjoindrai aux cafards
d'aller bouffer la lune à l'aube du printemps
enfin comme Néron mon digne aïeul mon frère

Je lance ce défi à quiconque se nomme
eh bien qu'on me haïsse pourvu que l'on me craigne
au demeurant je ne saurais vraiment que faire
de tout ce brouhaha des quousque tandem.

Méthode-Alain BUTOYI

ATLANTA ÇA RIME A QUOI?

Comme l'Atlandide engloutie
il hante les rues et les cœurs d'Atlanta
le rejeton de l'Oncle Sam
s'amuse de ce brouhaha
tueur à gages, mercenaire
pour qui, pourquoi
te grises-tu de talents sanguinaires
au large de nos portes
et de la barbe du soleil ?

Etouffe étrangle assomme
tiens-t'en à la consigne
toi qui as le bras long
ô espoirs engloutis
dans les flots de Chattahoochee[1]

Atlanta
ça rime à quoi ? [PAGE 152]
quelle drôle de façon
éternelle rengaine
au son des mêmes tambours
c'est le Caucase[2] en rut
dans les flocons d'écume D'Atlanta
flotte une mignonne tête

hier encore une main
qui frôlait les vitrines
de ses petits doigts de dix ans
et maintenant le lot
des faits et gestes peu baptistes
et encor bien moins catholiques

elle flotte elle flotte elle flotte
cette main, cette bouche qui
deux trois quatre ans d'ici
aurait gagné
à être embrassée mordue
cette main
cette bouche
a succombé
aux ides de mars
aux faits et gestes
d'une pensée haineuse

Et quoi qu'en dise le système
pour DALTONIEN qu'il se prenne
habilité qu'il est
à tenir la dragée haute
à la plèbe minoritaire
il est temps de percer l'ulcère
de mettre fin à ce mystère
des mômes mélanine
qui disparaissent
au fil des jours
dans la gueule écumante d'Atlanta [PAGE 153]

au son des mêmes tambours
au son des mêmes discours
le Dieu chrétien se serait tu
et prêterait la sourde oreille
au dernier « Sauve qui peut »
des mômes minoritaires
qui, en tribut au Minotaure
au fil des jours
disparaissent
dans la gueule écumante d'Atlanta.

(13 mars 1981)
Méthode Alain BUTOYI,
University of California Los Angeles.

Le jeune poète congolais Matoondo Kubu Turé est déjà connu des lecteurs de P.N.-P.A.

LETTRE AU MONSIEUR TRES HONORE DU MINISTERE DE...

je t'écris très honoré
dans votre langue nationale
le français sainement français

on t'a infligé un bureau par décret
où trône l'effigie d'un quelqu'un
de très grande postérité

tu allaites une secrétaire particulière
avec un cul à défoncer
le col de l'avenue des trois martyrs

question d'être soigneux
avec ta nouvelle santé
tu résides dans une villa
ceinturée par trois ou quatre gorilles
qui se rongent les ongles
vive leurs indemnités par heure
par soleil par pluie par nuit

il ne manque que la fanfare [PAGE 154]
mais ça viendra
dans trois centimes de semaines
le temps d'un ou de deux portefeuilles

Souviens-toi très honoré
sous la neige tonitruante
et Babylone s'en-reggaerisant
nous édictions la robe bariolée de NKRUMAH
nous raffolions des psalmodies de AKE...
car MAKEPA filait des toiles d'araignée

à la faculté des sciences sociales
nous lynchions à coups de postillons
tous les câtins débiles idoles fumistes
sociétaires des centres de recherche comico-théoriques
hauts-fourneaux des industries néo-coloniales

nous livrions des attentats
aux croque-morts de nos embuscades
quand nous parlions de la sangha
du djwe de la nkeni ou de l'alima
c'était pour y voir une date lointaine
de circonspection du discours vampirique
depuis tes griffes font la maraude
des budgets étatiques

souviens-toi très honoré
des mots désorcellisants d'hier
nous inondant le museau
nous inondant la barbe

tiens t'as appris sans répétitions
à faire claquer incessamment
les clés de ta dernière merco

ce matin à la radio
t'as fait la une du journal
avec tes patati-la-la d'eau bénite
tes viva oye et tutti quanti

très honoré si d'ici là
la cravate te démange
il y aura certainement [PAGE 155]
un quelconque doigté
qui te disloquera la pomme d'adam

mais l'on sait
que ces jours-ci
tu te feras
un bel orgasme
sursitaire avec les milliards du pétrole

je vous salue sérénissime
veuillez désagréer...
le vôtre gauchiste à la gomme pékinoise (sic)

Matoondo Kubu Turé


[1] Rivière de la Géorgie occidentale.

[2] On nomme fréquemment « pays du Caucase » les républiques soviétiques d'Arménie, d'Azerbaïdjan et de Géorgie. Le Caucase : chaîne de montagnes de l'U.R.S.S. où de puissants volcans ont été enregistrés.