© Peuples Noirs Peuples Africains no. 20 (1981) 148-151



MAYANGUI

M.-L. TSIBINDA

Marie-Léontine Tsibinda actuellement bibliothécaire au centre culturel américain écrit depuis le collège. Sa première œuvre était un recueil de poèmes, intitulé « Poèmes de la terre » elle vient, publier aux Editions Saint-Germain-des-Prés un deuxième recueil de poèmes, « Mayombe ». Une de ses nouvelles a été sélectionnée au 6e concours de la meilleure nouvelle de langue française. « Mayangui », que nous publions ici, est extrait d'un recueil de nouvelles en préparation.

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– Sois sage, Mayangui ! sois sage !

Presque une prière, dans un souffle. Des bras dodus, des yeux câlins la caressaient. Mayangui pleurait toujours. Ses yeux rougis la regardaient intensément. Leur voyage durait depuis fort longtemps et fatiguait l'enfant.

– Pourquoi ne pas repartir, maman, au pays de Papa ? Je veux voir Mémé et Petit Patou...

Le train de 13 heures tardait et ses parents l'attendaient. La tempête de neige diminuait les chances du train d'arriver à l'heure. Sanida évita de penser à sa mère : elle n'avait jamais, alors jamais approuvé son mariage avec le père de Mayangui, un Noir; elle ne tendrait pas la main [PAGE 149] à Sanida ni même à Mayangui. Un enfant de couleur ! Son père, elle le sentait, lui ouvrirait le chemin de nouveaux horizons. Ils s'étaient toujours compris.

– Sanida, ne t'emballe pas trop ! Que t'offrira-t-il ? Rien ! Ce n'est qu'un pauvre étudiant, un sans le sou qui traîne ici sa misère et son espoir. Il ne sera jamais président pour t'offrir une vie de reine. Christian Lamour peut tout pour toi : argent, villa à la campagne, voiture. Pense donc ! c'est une famille d'origine noble. Une belle famille... En Afrique, tu seras obligée de tout partager avec les autres. Tu n'auras même pas les commodités de première nécessité. Trop de révolutions, trop de querelles. Tu mèneras une vie empoisonnée. On lui trouvera une Africaine de sa tribu si tu ne lui donnes pas d'enfant. Répudiée, voilà ce que tu deviendras. Et puis on dit encore que là-bas, c'est la brousse; paraît-il qu'il existe de nos jours des familles cannibales. N'ouvre pas la porte à l'aventure...

Une force plus puissante que Sanida la commandait, s'était emparée d'elle, la brûlait, la consumait pour un mot de toujours : l'amour ! Il avait le visage d'un Africain venu de belles cités anciennes des royaumes d'une Afrique d'autrefois. Une rencontre dans le métro à sentir son souffle, son corps, son regard. Elle le chercha, accompagnée de la voix sarcastique de son amie. « Vouloir épouser un Noir, quelle idée ! » Qu'avait-elle à fulminer contre les Noirs ? N'étaient-ils pas aussi humains que les autres êtres de la planète ? Sinon plus ?

Noir, lutteur pour sauvegarder cette fierté qui brûle dans les veines, pour symboliser sa race. Et quand Sanida présenta Vincent à ses parents, sa mère s'évanouit, Elle ne voulait pas d'un gendre Noir ! Christian Lamour ! Sanida plaida la cause de Vincent avec véhémence. Ils n'étaient pas le premier couple mixte du monde. Un couple pour l'avenir, l'espoir. Pourquoi détruire le monde avec beaucoup de haine ? Pourquoi brandir le racisme à chaque respiration ? La mère de Sanida refusa de comprendre. La roue de l'histoire tournait. Les Noirs dirigeraient bien le monde un de ces jours; qui sait ? Elle n'assista pas au mariage qui attira une foule de curieux. Le père de Sanida rayonnait de joie. Il bénissait Sanida.

Dans le pays de Vincent, aucun sourire amical pour leur [PAGE 150] souhaiter la bienvenue. Elle s'agrippa à Vincent, son seul soutien. Dans la rue, tout le monde s'interpellait, tout le monde devisait gaiement. Les paysannes, enfants au dos, houe sur la tête, se frottaient aux « intellectuelles » en toilettes pimpantes, aux visages fardés à outrance, aux lèvres rougies ou noircies selon qu'elles avaient le visage clair – grâce à Ambi ou Dorot – ou sombre. Personne ne se pressait. On prenait son temps, avec nonchalance. Ces gens qui riaient si chaudement lui refusaient leur amitié. Ils avaient la même attitude que sa mère : « Chacun avec les siens ». Seule Mémé lui témoignait un peu de bonté. Ils n'avaient pas encore trouvé de maison et vivaient chez elle. Mémé, la grand-tante de Vincent et elle se comprenaient à demi-mot. Les enfants du quartier la touchaient, lui disaient leur curiosité. Ils s'émerveillaient devant son opulente chevelure blonde héritée d'une aïeule norvégienne.

L'eau manquait. L'électricité faisait défaut. Elle préparait les repas au bois ou au charbon. Le gaz était rare. La chaleur, les moustiques rendaient la monotonie de la vie infernale. Cependant aucun regret ne vint ternir ses pensées. Ils étaient jeunes, sans argent certes mais avaient tout l'avenir. Chaque mot de Vincent, chaque geste était un signe d'amour. Les beaux-parents se méfiaient toujours d'elle, une inconnue venue leur voler Vincent.

– Mayangui, tu sais, c'est le nom de notre enfant.

– Un nom de tes ancêtres ?

– Non ! Mayangui, c'est la joie, le bonheur. Sanida, Mayangui sera aussi belle que toi !

La Mémé dansa de joie. Son père lui envoya un trousseau de roi. Aucun mot de sa mère. Choyée de tous, Mayangui apprit avec Mémé et Petit Patou la langue du pays. Elle pleurait, babillait et il y avait toujours une main pour la cajoler. Sanida ne travaillait pas. Son mari qui rentrait de plus en plus tard, l'aimait avec autant d'ardeur. Mayangui était le soleil de leur foyer. Elle connaissait l'histoire de Leuk le lièvre, de la tortue, du crocodile, des mami-watta. Elle les contait aussi bien que Mémé. Elle allait à la maternelle.

– Tu sais, maman, mes chaussures parlaient sur le chemin de l'école. Elles disaient « ko ko » et moi je pensais « du chocolat, du chocolat » dis, maman, tu m'achètes du chocolat ? [PAGE 151]

On éclatait de rire. Ah Mayangui ! elle se réfugiait dans les bras de Mémé. Des minutes, des heures coulaient remplies de bonheur, d'angoisse aussi quand Mayangui attrapa la rougeole.

Le train tardait toujours.

– Dis maman, pourquoi avoir quitté Mémé et Petit Patou ? Et le soleil ! J'ai froid ! On n'a pas de maison, ici ? Et mon papa ?

Mon mari avait une maîtresse. On vint déposer la « femme » de mon mari un soir ! Un bébé qui ressemblait de manière suffocante à Mayangui dormait dans ses bras. Mon mari, en mission !

– Voilà, me dit l'oncle de Vincent, c'est la deuxième femme de ton mari; c'est comme ça chez nous, un homme a droit à plusieurs femmes. Vincent ne fera pas exception à la règle.

L'oncle de Vincent souriait, satisfait. Il laissa la femme « chez nous ». Ni elle ni moi ne parlions. Nous nous regardions en silence. La « sœur » de Mayangui pleura. La « femme » de mon mari sortit un sein lourd, chaud, très beau. J'eus pitié d'elle. Je me rendais effroyablement compte de mon calme. Qui favorisa leur rencontre ? Qui ? Vincent me trompait ! Le séisme ! Un soir, il revint, des cadeaux pleins les bras. Il appela :

– Sanidaa ! Mayanguiii !

Les pleurs de « l'autre enfant » lui répondirent. Les paquets lui tombèrent des mains.

– Sa... sa... ni... je... je...

– Dis maman, pourquoi ne pas repartir au pays du soleil ? J'ai froid maman et toi ?

– C'est l'hiver qui commence, Mayangui, c'est l'hiver ! L'hiver, l'hiver qui commence...

M.-L. TSIBINDA