© Peuples Noirs Peuples Africains no. 20 (1981) 97-132



PEUT-ON ETRE COOPERANT ET INTELLIGENT?

Le hasard seul a voulu que ce texte de Biny Traoré nous parvienne alors que nous élaborions l'économie de cette livraison pour laquelle il n'était absolument pas prévu, mais où allait manquer si cruellement la contribution de notre ami Guy Ossito Midiohouan, comme nous expliquons par ailleurs.

Ce n'est pourtant pas cette dernière circonstance qui a été déterminante dans notre décision d'inclure cette deuxième intervention de Traoré Biny dans ce numéro spécial sur les retours, mais une considération fondamentale. Qu'on en juge.

Retourner en Afrique, cela veut dire coexister et même, de gré ou de force, collaborer avec les coopérants et les assistants techniques français. Mais collaborer sur le terrain en Afrique ne peut se faire que sur la base d'une expérience historique partagée, d'une certaine communauté d'aspirations et d'intérêts immédiats.

Or que peut-il y avoir de commun entre la vision esquissée en filigrane dans l'article de Françoise Lieutier – que nous reproduisons -, à coup sûr symbolique de la mentalité du coopérant ordinaire, et celle non moins typique de l'intellectuel noir (à ne pas confondre avec [PAGE 98] la bourgeoisie bureaucratique corrompue), qui s'affirme tout au long de la vigoureuse interpellation de Biny Traoré ?

Ne traduisent-elles pas en réalité une incompatibilité irréductible, qui condamne les deux groupes à l'incompréhension, à l'animosité, et bientôt à une haine mutuelle sinon mortelle ?

P.N.-P.A.

    HAUTE-VOLTA
    GROS SUCCES DU « DISCOURS DE LA METHODE »
    A OUAGADOUGOU (HAUTE-VOLTA).
    DESCARTES EST APPLAUDI EN TERMINALE.

    FRANÇOISE LIEUTIER

    Six mille kilomètres et bien des grains de sable entre Cannes, que je venais de quitter, et la Haute-Volta, où j'allais vivre. Ouagadougou sous la chaleur moite de la saison des pluies. Après quelques jours d'installation et d'exploration de la ville, j'avais pris mon poste de professeur de philosophie, sérieusement, avec application. Ce serait ma première année complète d'enseignement. Mon expérience commençait avec ce grand lycée blanc aux bâtiments hétéroclites;certains, héritage de la colonisation, nichés dans la verdure et les bougainvillées; d'autres, modernes, plantés en plein cagnard sur un terrain de latérite pelée, parsemé çà et là de maigres épineux à l'ombre avare.

    Je regardais mes classes, des garçons en grande majorité, Mossi pour la plupart. Très peu de filles. J'avais le programme en tête, les auteurs... Je savais ce que j'allais faire tout au long de l'année. Dès le premier jour, après les présentations d'usage, après l'appel qui avait pris un certain temps à cause des noms et des prénoms pas faciles à apprivoiser, j'avais situé les balises du parcours de notre année philosophique. 'avais insisté sur Descartes, que j'avais présenté au passage : le fondateur du rationalisme occidental. En quelques phrases, je traçais à grands traits les contours du projet cartésien de la méthode. Je ne doutais pas que là soit le point important du programme. Importantissime.

    Leçon reçue, assimilée de la fac toute fraîche, avec Descartes, se précisait l'exigence d'objectivité scientifique il amorçait le triomphe de la raison sur les puissances obscures et traîtres de l'imagination. Et j'avais lu et entendu qu'ici en Afrique, plus [PAGE 99] qu'ailleurs, il fallait se méfier de l'affabulation qui déforme le monde, relâche l'effort de tension vers le vrai et entrave l'action. Descartes était donc une indication parfaitement adéquate, le tonique qu'il fallait à une pensée souvent trop facile, abandonnée aux projections primaires. Nous étudierions ensuite les limites du rêve cartésien de tout rationaliser, mais d'abord il fallait commencer par analyser les fondements de l'exigence rationnelle.

    Pour la première dissertation en terminale A, entrée en matière de début d'année, j'avais donné à réfléchir sur la phrase de Kant : « Les élèves doivent aller à l'école non pour apprendre des pensées, mais pour y apprendre à penser et à se conduire. »

    UN MALIN...

    A mon immense surprise, mes élèves n'avaient pas « développé » la réflexion de Kant, ne l'avaient pas expliquée. D'emblée ils avaient reformulé le problème. L'un d'eux, en conclusion de sa copie, écrivait : « La conception générale et populaire, dans nos pays, ne comprend pas cette idée de Kant que les élèves ne vont pas à l'école pour apprendre des pensées, car, dans nos pays africains, on fréquente les bancs de celle-ci pour y apprendre les pensées des Blancs. C'est d'ailleurs à cause de cela que beaucoup de vieux de chez nous manifestent clairement leur méfiance vis-à-vis de l'institution de l'école. Certains préfèrent garder leurs enfants au lieu de les y envoyer, l'école étant un lieu maudit, où l'on insuffle aux enfants de nouvelles pensées qui portent préjudice à la bonne tradition des ancêtres.. Ici, en Afrique, on peut affirmer, contre Kant, que les élèves vont à l'école pour apprendre des pensées. »

    J'avais relu, réfléchi, recopié, ce passage qui résumait les développements de toute la classe. Je m'étais interrogée sur les critères à retenir pour la notation des copies. Pas facile. Rien à voir avec les corrigés-types. Je m'étais fourvoyée. J'avais posé un mauvais sujet. Il faudrait à l'avenir être plus perspicace.

    Un trimestre plus tard, nous commencions le Discours de la méthode. A tour de rôle, des élèves se relayaient pour lire à voix haute. Tout à coup, des applaudissements, des rires, une agitation joyeuse que je ne comprenais pas... C'était insensé ces bravos au beau milieu de la lecture des « considérations touchant les sciences »... J'avais demandé ce qui se passait, pensant que quelqu'un avait fait une pitrerie... Des garçons des premiers [PAGE 100] rangs me dirent de très bonne humeur : « Descartes, il est fort... », je ne comprenais toujours pas. On m'expliquait : « Il sait parler, Descartes, c'est un malin ».

    C'était donc Descartes le pitre, mais pourquoi ?

    « Il parle comme un Blanc... Les Blancs savent parler ». Je n'avais pas pu approfondir davantage. Quand nous faisions des pauses que j'aurais voulu consacrer à des réflexions – commentaires personne ne trouvait quoi que ce soit à rajouter à ce discours qui se suffisait à lui-même, brillant exercice d'une parade qu'ils appréciaient à leur juste valeur. Le contenu du Discours de la méthode n'était pas important, c'était de l'anecdote; c'était la forme qui levait l'enthousiasme et égayait comme un joyeux modèle les esprits.

    Discutant à une interclasse avec quelques élèves, ils m'avaient dit, tous d'accord sur ce point, que Descartes était le type même du Blanc intelligent : sûr de lui, sachant parler et conquérir une assemblée, en ne lui laissant pas de possibilité de rétorquer quoi que ce soit.

    J'essayais de dire à nouveau que le but de Descartes était justement de progresser en partant du doute, sur le chemin de la science, pour essayer de parvenir à une connaissance certaine... J'aurais voulu discuter de cette soif de certitude, de sa valeur épistémologique, du sens, de cette quête d'objectivité... Le Discours de Descartes était-il lui-même objectif ?, etc.

    LA MAGIE

    Ils me regardaient, respectant ma recherche, mes interrogations, mais ne les approuvant ni ne les comprenant. Et, pour tout dire, plus j'exposais mes critiques, plus je me sentais mesquine et plus je doutais du sens de ce que je faisais. Je remâchais après mes cours, d'étranges réflexions très loin du discours philosophique traditionnel : c'était vrai, la parole de Descartes était avant tout celle d'un Blanc qui savait manier les mots, enchaîner ses idées. J'arrivais avec le projet orgueilleux d'expliquer sa pensée : c'était vouloir la lui voler, vouloir dire autrement ce qu'il avait déjà dit de façon brillante, ça n'avait pas d'intérêt.

    Dans un deuxième temps, je déballais mon projet grognon, tatillon, de critique : ça n'était pas très reluisant de vouloir taper ainsi sur un vieux penseur adroit, intelligent de mon pays... Le temps passé à écouter mes explications, mes critiques, était [PAGE 101] du temps triste, du temps morne, vaguement réprobateur, la joie revenait au moment de plonger à nouveau dans le texte de Descartes, l'atmosphère se détendait, l'attention se concentrait et les interjections d'approbation fusaient ...

    Descartes connaissait un triomphe, faisait naître une gaieté partagée largement par tous les garçons.. Les quelques filles m'avaient dit qu'il était fort, c'était vrai, il n'avait pas peur de parler, mais qu'il « faisait un peu trop le malin »... à la longue, ça les énervait. Descartes était un « bon conteur », mais c'était aussi un rouleur de mécaniques. Il accaparait trop la parole pour « raconter des histoires personnelles ». Bref, il manquait de retenue.

    Nous étudiions Descartes le lundi et, dès le mardi, nous reprenions le fil du cours habituel. En alternance avec eux, je prenais la parole pour parler d'épistémologie, de logique, sur des textes de Brunschvig (sic), de Bachelard, et mes élèves la prenaient à leur tour, sur mon invitation du début de l'année, pour exposer leurs réflexions sur des thèmes qui leur semblaient essentiels. Il y avait eu ainsi un exposé sur le phénomène des mangeurs d'âmes, société secrète composée d'individus capables de faire disparaître les autres par des moyens mystérieux, inexplicables. Un sur celui des « voyants », un autre sur « les caractères originaux de la magie africaine »...

    Quand je sortais des classes, ces jours-là, mon esprit fourmillait d'exemples vus, entendus au village, dans la rue, à telle cérémonie ou à telle autre, en telle ou telle occasion. Profusion de détails, de témoignages... L'arbre sous lequel on avait trouvé un matin une grosse truie morte et qui n'était pas seulement un arbre mais qui, la nuit venue, sortait ses racines pour bouger, changer de place ou tuer, suivant son humeur... Mamiwata, la sirène du barrage qui voyageait jusqu'à Abidjan. La vieille femme trouvée morte dans sa case à la suite du massacre, par un pêcheur, d'un vieux caïman du marigot qui était son double. Les morts, qui revenaient s'en prendre aux vivants s'ils n'avaient pas eu les funérailles qu'il fallait.

    J'écoutais, essayais de parler des espoirs alchimistes du Moyen Age, des vieux rêves de domination des éléments par la sorcellerie. Je jetais Descartes dans la mêlée, son désir de devenir maître et possesseur de la nature, mais seulement après avoir démêlé les déterminismes. Les élèves m'écoutaient et donnaient ensuite leur avis : ils étaient tous d'accord sur le fait que la magie en Afrique n'avait rien de commun avec la magie [PAGE 102] en Europe. Ils résumaient : les Blancs utilisent la connaissance, les Noirs utilisent la magie.

    Françoise LIEUTIER

    *
    *  *

L'EXEMPLE DE FRANÇOISE LIEUTIER EN HAUTE-VOLTA

TRAORE Biny

Je vins au service un matin vers neuf heures. Les employés du centre[1] avec qui j'avais l'habitude de causer sur l'actualité nationale me demandèrent à brûle-pourpoint si j'avais lu Le Monde. Naturellement, je ne l'avais pas lu. Ils m'apprirent alors, qu'il y avait un article sur la Haute-Volta. A voir leurs réactions, je compris d'emblée que le-dit article avait suscité en eux une profonde réprobation. Je me résolus sur place à aller lire moi-même l'article en question. Je montai au premier étage où est située la bibliothèque du centre. Là on me remit le numéro du Monde contenant le fameux article. C'était Le Monde du dimanche 17 février 1980. A la UNE, on pouvait lire, entre deux autres gros titres : DESCARTES CHEZ LES MOSSI[2], page VII. J'ouvris donc Le Monde à la page VII, et mon regard tomba sur le titre de l'article qui avait scandalisé le personnel du centre :

    HAUTE-VOLTA
    Vive DESCARTES !
    Gros succès du « Discours de la Méthode » à Ouagadougou
    (Haute-Volta). DESCARTES est applaudi en terminale.
    Françoise LIEUTIER

Je parcourus rapidement l'article, qui est du reste court. Il émanait d'une coopérante française de Cannes, qui avait enseigné dans un lycée de Ouagadougou – sans contredit le Lycée Philippe Zinda KABORE.

Un chercheur à l'époque me demanda de faire une réponse appropriée à Françoise Lieutier. Mais des difficultés [PAGE 103] qu'il est inutile de rappeler ici m'ont alors empêché de le faire. Néanmoins, dans le C.E.S.P. et l'U.P.A.[3] où j'enseignais, l'article de Françoise Lieutier fut l'objet d'un devoir. J'ai invité mes élèves de Terminale à le résumer et à discuter ensuite une idée de leur choix. C'est à la suite de la correction de ce devoir que je compris toute la portée des idées scandaleuses soutenues par Françoise Lieutier dans son article.

En effet, l'article de Françoise Lieutier, apparemment innocent dans sa dimension manifeste, est, en réalité, très significatif dans sa dimension latente. Quand on le lit sous cet angle, on découvre avec stupéfaction un esprit tendancieux, suranné, voire raciste. D'un bout à l'autre de son article, Françoise Lieutier consacre tout son temps au dénigrement honteux de ses élèves, qu'elle présente comme des « naïfs », des êtres intellectuellement inférieurs. Elle les affuble de défauts dont la cause n'est nulle part ailleurs que chez eux-mêmes. Françoise Lieutier, dont la mauvaise foi est évidente, ne s'est pas interrogée, une seule fois, comme il se devait, sur la nature et la qualité de l'enseignement donné aux élèves voltaïques, mais s'est plu allègrement à leur donner une image dépréciée. D'autre part, en lisant entre les lignes, Françoise Lieutier nous a paru comme une adepte de Senghor et un partisan passionné du renforcement de la néo-colonisation occidentale, notamment française, en Afrique. Face à ces problèmes de fond que pose l'article de Françoise Lieutier, nous avons vu en elle non pas le symbole d'une bonne coopération, mais plutôt le symbole de ceux des coopérants – et de la bourgeoisie capitaliste – qui regardent l'Afrique avec des préjugés vétustes, qui croient que l'Afrique n'a de salut que dans la perspective d'une dépendance par rapport à l'Occident « scientiste ». En tant que Voltaïque enseignant dans un lycée, et, partant, [page 104] un des destinataires de l'article de Françoise Lieutier, j'avoue que je n'ai pas aimé sa façon de poser les problèmes ou de les traiter. Le temps me permettant aujourd'hui de lui faire une réponse, je m'attacherai, dans mon analyse critique, à dénoncer sa très mesquine volonté qui a consisté à dénigrer les Africains à travers les élèves voltaïques, sa légèreté qui n'a rien de commun avec l'esprit cartésien dont elle se réclame pourtant, et, surtout, sa position consciente ou inconsciente en faveur du néocolonialisme occidental en Afrique. Ma réflexion s'axera sur les points suivants :

    – les vieilles théories du nègre inférieur habilement réhabilitées, un subterfuge dérisoire pour camoufler les ravages du système éducatif colonial et néo-colonial sur les élèves voltaïques;
    – Françoise Lieutier : médiocrité professionnelle et mythe Senghorien;
    – Du mythe Senghorien à la complicité dans la néocolonisation.

LES VIEILLES THEORIES DU NEGRE INFERIEUR HABILEMENT REHABILITEES.
UN SUBTERFUGE DERISOIRE POUR CAMOUFLER LES RAVAGES DU SYSTEME EDUCATIF COLONIAL ET NEO-COLONIAL FRANÇAIS SUR LES ELEVES VOLTAIQUES

Le lecteur de Françoise Lieutier, surtout le lecteur africain averti, ne peut éprouver aucune peine à la situer idéologiquement. Elle part avec un parti pris évident, l'intention délibérée de déprécier le Noir, et ce à travers les élèves voltaïques qu'elle dit avoir enseignés en terminale et en philosophie. Elle veut montrer, à travers les élèves voltaïques, que le Noir est intellectuellement inférieur, et de surcroît allergique à la logique cartésienne, donc à la science. Etant donné que Françoise Lieutier part avec le projet mesquin de déprécier l'image du Noir à travers les élèves voltaïques, n'est-ce pas là, vu son statut de « professeur », prendre le risque de se faire condamner par quelque esprit qui pourrait bien lui reprocher de n'avoir pas su se forger une pédagogie qui pût lui permettre d'inculquer à ses élèves voltaïques à la mentalité « prélogique », le rationalisme cartésien ? [PAGE 105] Françoise Lieutier a bien flairé ce danger. Elle s'est sans doute demandé comment procéder pour tirer son épingle du jeu. Elle se retourna, pour ce faire, vers son pâle génie. Celui-ci lui conseilla de se présenter, avant toute chose, comme un professeur compétent. S'emparant à deux mains de cette subtilité archaïque, Françoise Lieutier, tranquillisée, se tourne vers son lecteur et lui confie : « J'AVAIS LE PROGRAMME EN TETE, LES AUTEURS.... JE SAVAIS CE QUE J'ALLAIS FAIRE TOUT AU LONG DE L'ANNEE... » Après ces propos vantards, dont on mesure sans peine l'humiliante défaite qu'ils font subir à la modestie, l'œil de Françoise Lieutier brille de satisfaction, car elle se croit absoute de toute responsabilité à l'égard du bas niveau de ses élèves qui ne comprennent pas (on le verra) Descartes à l'endroit, mais à l'envers. Couverte par sa compétence (une pseudo-compétence en réalité), elle croit pouvoir procéder impunément au dénigrement de ses élèves voltaïques, et, au-delà, de tous les Noirs.

Dans cette sale besogne, Françoise Lieutier va offrir d'elle-même, à son corps défendant certes, une image peu honorable. Son parti pris, sa singulière légèreté ne cesseront d'étonner le lecteur tout au long de son torchon, Elle fait bien comprendre à son lecteur qu'elle « possède » Descartes.

Descartes, n'est-ce pas le symbole quasi immortel du rationalisme occidental, de la profondeur d'esprit ? Le lecteur s'attendrait à trouver cette qualité chez Françoise Lieutier. Mais à son plus grand étonnement, il va s'apercevoir, avec stupéfaction, d'un manque absolu du rationalisme cartésienne travers tous les problèmes qu'elle pose. Au lieu d'aller au fond des choses qu'elle découvre à la suite des réactions de ses élèves face au DISCOURS DE LA METHODE, Françoise Lieutier reste étonnamment superficielle. Pis encore, elle n'a su, à aucun moment, faire preuve d'une pensée saine, puisque, dans son immonde torchon, elle prend constamment l'effet pour la cause. A partir de trois grands exemples, nous allons essayer de démontrer la faiblesse analytique de Françoise Lieutier, son parti pris, sa légèreté, et de prouver qu'elle s'est révélée « un Descartes sans Descartes ».

Le premier exemple vient du premier sujet qu'elle [page 106] donne à ses élèves. C'est une phrase de Kant qu'elle a donnée comme sujet de réflexion; la voici : « LES ELEVES DOIVENT ALLER A L'ECOLE NON POUR APPRENDRE DES PENSEES, MAIS POUR Y APPRENDRE A PENSER ET A SE CONDUIRE. » Françoise Lieutier fait deux découvertes à la suite de ce devoir. Primo, les élèves voltaïques ignorent les techniques de la dissertation, car personne n'a expliqué au préalable la phrase de Kant.

Secundo, Françoise Lieutier cite la conclusion d'une copie dont voici la seconde phrase. « LES ELEVES VONT A L'ECOLE POUR APPRENDRE DES PENSEES. » Elle a assorti cette citation d'un commentaire pour le moins suspect: « J'AVAIS RELU, REFLECHI, RECOPIE CE PASSAGE QUI RESUMAIT LES DEVELOPPEMENTS DE TOUTE LA CLASSE. »

Force remarques peuvent se faire ici. Prenons d'abord le jugement de Françoise Lieutier sur les conclusions de ses élèves. Pour elle, toutes sont identiques. Elle nous livre ici l'idée saugrenue que « tous les Noirs sont pareils » (entendez bêtes, naïfs), idée dont se nourrissent encore beaucoup de racistes occidentaux.

Venons ensuite aux deux découvertes principales de Françoise Lieutier. Ce que le lecteur attendait ici d'elle, c'est une critique approfondie de ces deux découvertes. Car on imagine mal un professeur relever des défauts chez ses élèves sans remonter aux sources de ces défauts et chercher une solution pour les supprimer. Or, très curieusement, Françoise Lieutier n'en fit rien. Elle s'est contentée de déclarer naïvement : « J'avais posé un mauvais sujet. Il faudrait être à l'avenir plus perspicace. »

Malheureusement, Françoise Lieutier ne reviendra pas sur un autre sujet, pour nous démontrer sa perspicacité, étalant par là l'incohérence de son esprit. Bref, pour nous, le sujet posé par Françoise Lieutier n'est pas mauvais. Il est même très pertinent. Et pertinentes aussi les réactions des élèves. En vérité, la réaction unanime des élèves voltaïques face à la phrase de Kant pose des problèmes à la fois pédagogiques et idéologiques ayant des conséquences désastreuses sur les Africains en général, et les Voltaïques en particulier. C'est pourquoi il nous faut nous appesantir sur ces conséquences, qui constituent [PAGE 107] au demeurant des ravages du système éducatif colonial et néo-colonial sur les élèves voltaïques.

Le problème pédagogique d'abord : Françoise Lieutier fait remarquer que ses élèves voltaïques ignorent les méthodes de la dissertation.[4] Cela n'est pas mauvais en soi. Mais là où l'on reste perplexe, c'est que Françoise Lieutier, face à ce problème pédagogique important, n'a pas saisi l'occasion pour faire une critique de l'enseignement en vigueur chez nous, en suivant en cela les conseils de l'illustre Descartes, c'est-à-dire en remontant aux causes déterminantes. Hélas ! Françoise Lieutier n'a formulé aucune critique dans cette direction. Et pourquoi l'aurait-elle fait ? L'objectif cynique et raciste qu'elle poursuit n'est-il pas de faire avaliser par son lecteur (occidental ?) que l'inaptitude des élèves voltaïques à maîtriser les méthodes de la dissertation est un défaut inhérent en eux-mêmes? Ce qu'il eût fallu faire, c'était plutôt s'interroger sur la nature et la qualité de l'enseignement que reçoivent les élèves voltaïques. Dans cette perspective, on ne pouvait pas ne pas déboucher sur un procès sans appel de l'enseignement colonial et néo-colonial chez nous. De la sorte, les élèves voltaïques n'apparaîtraient plus comme des gens fondamentalement médiocres, comme tente de le faire admettre Françoise Lieutier, mais de malheureuses victimes. Un des grands reproches, qui seront justement formulés ici à l'encontre de [PAGE 108] Françoise Lieutier, tout au long de cette analyse, c'est que, à aucun moment, elle n'a mis en cause le système éducatif en vigueur dans notre pays, se contentant seulement de dénigrer, bassement, ses élèves, comme si ceux-ci n'étaient pas le produit d'une éducation afférente à un processus historique bien connu !

Ensuite, le problème idéologique : Françoise Lieutier constate que tous ses élèves voltaïques déclarent aller à l'école pour apprendre des pensées, non pour apprendre à penser et à se conduire.[5] Voilà un fait révélateur digne d'intérêt ! Françoise Lieutier, si elle en a été scandalisée, n'a pas, et c'est fort étonnant, cherché à remonter aux causes qui ont motivé la réponse des élèves voltaïques. Si elle s'était interrogée sans parti pris sur ces causes, elle aurait pu mesurer les ravages du système éducatif colonial et néo-colonial français sur ses élèves. En effet, derrière cette réponse des élèves voltaïques, se trouve exposée, en toute clarté, la logique cynique, machiavélique, oppressive, et destructrice de la machine coloniale et néo-coloniale de l'imagerie de l'impérialisme français graissée par quelques Zombis voltaïques et, en particulier, son système éducatif. En effet, pour comprendre de façon concrète la réaction des élèves voltaïques, c'est l'éducation dans le système colonial et néo-colonial qu'il fallait interroger. Françoise Lieutier, qui emploie une seule fois et, timidement le mot « colonisation » au début de son torchon, n'a, à aucun moment, incriminé celui-ci.

Elle n'a, à aucun moment, pensé qu'elle pouvait déterminer, largement, la pensée des élèves voltaïques, en somme, leur structure mentale. Cette omission ou ignorance est intolérable pour un professeur qui se vante de connaître tout son programme. Ici éclate aussi le parti [PAGE 109] pris de Françoise Lieutier, sa légèreté. En fait, quelle a été l'essence de l'enseignement colonial français en Afrique, notamment en Haute-Volta ? Quelle est, aujourd'hui, celle de l'enseignement néo-colonial ? Voilà deux questions fondamentales que Françoise Lieutier eût dû poser. C'était l'unique voie pour comprendre le comportement de ses élèves.

En effet, le système colonial français, qui a fait table rase de la culture africaine, pouvait-il former des Africains maîtres d'eux-mêmes ? On ne peut que répondre par la négative. Sur le plan de l'éducation on peut dire que l'enseignement colonial français consistait à tuer l'être noir en lui-même pour le faire renaître sous un pseudo-manteau blanc. Somme toute, son but visait à fabriquer des NEGRES-BLANCS ou des BLANCS-NEGRES. Ce qui revient à dire que l'enseignement colonial français n'apprenait pas aux Noirs à penser par eux-mêmes mais à penser comme les Français, à accepter tout ce qu'ils disaient, sans commentaires. Car, pour les colonisateurs français, il n'y avait pas de civilisation africaine. Les Africains étaient des sauvages à qui il fallait apporter la meilleure civilisation du monde.

Mais zut ! J'entends Françoise Lieutier me répondre :

    « MAIS MON PAUVRE NEGRE! VOUS ETES INDEPENDANTS MAINTENANT. QU'EST-CE QUI VOUS EMPECHE DE PENSER PAR VOUS-MEMES EN CE MOMENT ? »

Soit. Mais je fais observer à Françoise Lieutier qu'avant de dire cela il faut au préalable se poser la question concernant la nature de cette indépendance ! En fait, la Haute-Volta, comme la plupart des pays de l'Afrique Occidentale d'expression française, est-elle indépendante? Certains pensent que oui en citant des textes juridiques. Mais, ce qu'il ne faut point oublier, c'est que, entre les textes fantômes et la réalité concrète, il y a un profond schisme. En effet, la Haute-Volta est loin d'être un pays indépendant. Elle subit la domination de l'impérialisme international, notamment français, sur les plans politique, économique et culturel. L'économie voltaïque serait financée à 80 % par des sources extérieures. C'est du moins une information que donne René Dumont dans son livre : « PAYSANS PAUVRES, TERRES MASSACREES ». Comment un pays de ce genre peut-il être indépendant ? [PAGE 110] Sur le plan culturel ? En dépit des réformes timides, le système éducatif voltaïque est un dérivé de celui en vigueur en France. Et on sait ce que cela signifie : il conduit les Voltaïques à penser dans la direction des intérêts français, c'est-à-dire à ne pas penser par eux-mêmes. L'environnement culturel favorise l'acculturation des Voltaïques. Dans les librairies, en majeure partie tenues par des expatriés, les livres sur la culture étrangère sont si nombreux qu'ils noient les quelques livres consacrés à l'Afrique et au Tiers-Monde. Cette prédominance de la culture étrangère, envahissante, aliénante, détermine aujourd'hui nos réflexions, nos comportements... Françoise Lieutier semble ignorer tout cela. Et pour cause !

Pour sa part, l'université française où étudient de nos jours beaucoup d'Africains, et au demeurant beaucoup de Voltaïques, joue un rôle primordial dans le déterminisme de notre pensée. Certains universitaires français – y compris les dirigeants d'ailleurs – ne manquent pas de reprocher à leurs étudiants étrangers, notamment africains, leur intérêt pour la politique, c'est-à-dire, en fait, pour ce qui concerne leur pays. Ils leur demandent de se contenter de leurs cours, c'est-à-dire de ce qui concerne la France, ses intérêts en Afrique.

En effet, les programmes de l'enseignement français en droit, en économie, en histoire ou géographie, en littérature – même si on enseigne la littérature africaine, ici ou là comme à Bordeaux – ne vont pas dans le sens d'une Afrique appelée à être libre, véritablement indépendante, c'est-à-dire une Afrique capable de réfléchir par elle-même, de se développer selon la volonté des Africains. Préparant ma thèse à Bordeaux en 1975-1978, sur les romans de Mongo Beti, mon directeur technique n'a pas manqué, à deux reprises, de me faire la remarque suivante : « ALLEZ-Y DONC FAIRE VOS ETUDES EN SCIENCES PO... », et cela, parce que, dans les romans de Mongo Beti j'avais voulu, entre autres choses, mettre l'accent sur l'aspect socio-politique. En effet, comment étudier cet écrivain sans le trahir tout en omettant de parler de la dimension socio-politique de son œuvre ? Le même professeur me reprocha vivement d'avoir cité Mao à propos de : « INTERVENTIONS AUX CAUSERIES SUR LA LITTERATURE ET L'ART AU YENAN. » Toutes ces tentatives n'étaient-elles pas le résultat d'une volonté [PAGE 111] manifeste de m'empêcher de penser par moi-même, d'avoir des initiatives personnelles ? En tout état de cause, mon directeur technique voulait que je ne prêtasse attention qu'à ce qui est du goût de la bourgeoisie capitaliste et dominatrice française, c'est-à-dire sa propre culture.

Pendant la période coloniale, cela se faisait par la force. Les Africains ont subi un lavage de cerveau traumatisant de la part du système éducatif colonial. Comment un élève, dont les parents ont été influencés par une pareille éducation, dont lui-même continue de subir l'influence destructrice, ne va-t-il pas penser qu'il va à l'école pour apprendre des pensées ? Françoise Lieutier a-t-elle pensé à cela ?

L'assistance technique occidentale en Afrique joue souvent aussi un rôle obscurantiste dans le développement de la pensée des Africains. Par exemple, en 1972-73, un de mes professeurs du C.E.S.U.P. (centre d'enseignement supérieur) – un coopérant de l'hémisphère occidental – déclarait sans vergogne et avec un sérieux au demeurant fort scandaleux : « Vous ne devriez pas penser par vous-mêmes, nous sommes là pour penser pour vous. » Heureusement que ce ne sont pas tous les coopérants étrangers qui ont cette pensée rétrograde. Mais, comme on le voit dans cette déclaration infâme, le Noir, sous les soleils des indépendances, ne doit pas, dans l'esprit de ce coopérant anachronique, raciste et dominateur, faire fonctionner son cerveau. C'est un sous-être fait pour rester sous la dépendance de l'Occident impérialiste. Il doit enregistrer ce que le Blanc lui transmet et s'exécuter au besoin selon ses recommandations comme un automate. Le drame de la « pédagogie bancaire » qui a été celle de l'époque coloniale, qui continue de l'être encore chez nous après vingt ans d'indépendance, et cela en dépit des timides réformes, se concrétise par la réponse des élèves voltaïques lorsque, placés face à la phrase de Kant : « Les élèves doivent aller à l'école non pour apprendre des pensées, mais pour y apprendre à penser et à se conduire », ils ont répondu unanimement qu'ils vont à l'école pour apprendre des pensées... Ils ont manifesté par cette réponse la preuve patente de leur aliénation par rapport à l'enseignement du système colonial et sa dérivée néo-coloniale. Voilà la réalité à laquelle Françoise Lieutier fut confrontée quand [PAGE 112] elle lisait les copies de ses élèves sur la réflexion de Kant. Et c'est elle qu'elle eût dû dénoncer si elle avait voulu qu'on la prît au sérieux, c'est-à-dire comme une coopérante sincère, honnête, soucieuse de contribuer efficacement au progrès de l'enseignement de l'Afrique, en général, de la Haute-Volta en particulier.

En se taisant sur ce point fondamental pour nous, elle n'a fait que jouer sur deux tableaux : sur le premier, elle a voulu ridiculiser les élèves voltaïques en laissant entendre qu'ils sont idiots, incapables de faire fonctionner leur cerveau. Et sur le deuxième, elle a protégé le système colonial et néo-colonial qui pèse de tout son poids sur les élèves voltaïques, les empêchant ainsi d'être les maîtres de leur pensée.

Sous la défunte IIIe République Voltaïque, les professeurs africains qui voulaient donner à leurs élèves un enseignement susceptible de leur conférer une vraie conscience, étaient victimes de toutes sortes de diatribes et de tracasseries de la part des dirigeants et de certains « mandarins ». On les accusait d'être des « communistes », des gens voulant détourner les esprits des enfants.

Même à la radio, certains griots du pouvoir n'hésitaient pas à s'emparer du micro pour clamer cela, très haut. Mais de grâce ! cet esprit est déjà détourné par l'enseignement colonial et néo-colonial, son système politique et économique. Les valeurs authentiques voltaïques sont mortes au profit des valeurs morbides de l'Occident. On tue aujourd'hui en Haute-Volta pour de l'argent. Nous sommes aliénés jusqu'à la mœ lle des os. Le remède à ce mal désastreux ne peut se trouver en dehors d'un enseignement « décolonisé », c'est-à-dire un enseignement qui puisse permettre à l'Africain d'être pleinement maître de lui-même.

Décoloniser l'enseignement en Afrique, et singulièrement en Haute-Volta, voilà un des grands problèmes qui eussent pu être débattus par Françoise Lieutier. Car la réponse des élèves voltaïques est la preuve qu'ils sont colonisés et aliénés spirituellement... ! Mais elle laisse de côté les problèmes de fond, et s'accroche à l'effet, jamais à la cause, alors que le Discours de la méthode qu'elle prétend connaître conseille quelque part de toujours établir dans les phénomènes qu'on étudie des rapports de cause à effet... [PAGE 113]

Françoise Lieutier a donc, dans son torchon, fait fi de l'esprit cartésien. Cela est étonnant de la part de quelqu'un qui prétend connaître Descartes. En fait, elle aurait utilisé le nom de Descartes par pur pédantisme, c'est-à-dire dans le but d'épater son public.

Abordons enfin le troisième exemple qui montre la faiblesse de l'esprit de Françoise Lieutier, sa légèreté, son parti pris. Ce troisième exemple porte sur les réactions des élèves voltaïques face aux stimuli du DISCOURS DE LA METHODE. Selon Françoise Lieutier, les élèves voltaïques se singularisent par deux défauts face au Discours de la Méthode :

    – Ils n'ont pas un esprit critique.
    – Ils privilégient la forme du Discours de la Méthode au détriment du contenu.

D'abord le manque d'esprit critique des élèves voltaïques. A ce propos, Françoise Lieutier écrit : « QUAND NOUS FAISIONS DES PAUSES QUE J'AURAIS VOULU CONSACRER A DES REFLEXIONS-COMMENTAIRES, PERSONNE NE TROUVAIT QUOI QUE CE SOIT A RAJOUTER A CE DISCOURS QUI SE SUFFISAIT A LUI-MEME... » Tout en daubant sur ce manque d'esprit critique de ses élèves, Françoise Lieutier s'empresse – comme si elle craignait quelque reproche – de confier à son lecteur, avec le souci évident de lui faire accréditer l'idée qu'elle est irréprochable, tandis que ses élèves, eux, cumulent tous les défauts, défauts qui sont d'ailleurs incorrigibles : « Le temps passé à écouter mes explications, mes critiques, était du temps triste, du temps morne, vaguement réprobateur... »

Ici comme plus haut, Françoise Lieutier ne s'interroge guère sur le sens profond de ce manque d'esprit critique de ses élèves. Son silence sur le sens profond de ce manque d'esprit critique des élèves voltaïques est un silence tendancieux; en effet, il ne manquera pas d'orienter certains lecteurs occidentaux – les racistes et les né-colonialistes – à trouver comme cause du manque d'esprit critique des élèves voltaïques leur infériorité intellectuelle. Mais pour les lecteurs conscients et tant soit peu informés des problèmes de l'éducation en Haute-Volta, ce soi-disant manque d'esprit critique des élèves voltaïques n'est qu'un effet. Un effet qui a d'ailleurs plusieurs causes. Ces causes sont : les fautes de l'enseignement [PAGE 114] colonial et néo-colonial;la pauvreté culturelle du milieu néo-colonial voltaïque; l'interrogation sur la qualité des professeurs enseignant en Haute-Volta.

LES FAUTES DE L'ENSEIGNEMENT COLONIAL ET NEO-COLONIAL

On a démontré plus haut que le système éducatif colonial et néo-colonial français ne permettait pas aux Africains, notamment aux Voltaïques, de penser par eux-mêmes. Car ils n'avaient ni culture, ni civilisation (je traduis bien sûr la logique des colonialistes français).

Ils commençaient une année zéro avec le colonialisme français, et par conséquent, ils ne pouvaient penser que comme leurs maîtres. Aujourd'hui encore, donc vingt ans après l'indépendance gaulliste de 1960, les Africains continuent de payer les tares de l'enseignement colonial, tares qui se sont glissées dans l'enseignement néo-colonial.

A part quelques pays africains (dont probablement la Tanzanie) et les éléments de l'authentique gauche africaine (les nationalistes anti-impérialistes), les Africains des autres pays, et en particulier les dirigeants néocoloniaux africains, continuent à apprendre des pensées (celles de l'ex-occupant mué en néo-colonialiste). La Haute-Volta étant un pays néo-colonial, comment, dans ces conditions, les élèves voltaïques peuvent-ils avoir un esprit critique satisfaisant ? Françoise Lieutier, avant de dénigrer ses élèves de façon cynique et haineuse, aurait dû penser à cela. Son parti pris l'en a empêchée. Conséquence ? Une partie importante de la réalité qui explique le manque d'esprit critique des élèves voltaïques a été escamotée.

LA PAUVRETE CULTURELLE
DU MILIEU NEO-COLONIAL VOLTAIQUE

Qu'est-ce qu'un esprit critique ? Que faut-il à des élèves pour avoir un esprit critique ? Si Françoise Lieutier avait formulé ces questions fondamentales, puis essayé d'y répondre sans parti pris, peut-être aurait-elle traité ses [PAGE 115] élèves avec moins de sévérité ! L'homme qui a un esprit critique est celui qui, face à un problème donné, à une situation particulière, peut valablement formuler un jugement, c'est-à-dire dégager ce qui est bon et ce qui est mauvais, et, éventuellement, apporter des amendements, c'est-à-dire combler des lacunes. Cela n'est possible que lorsqu'on dispose de tous les éléments de connaissance afférents au problème ou à la situation particulière en question. Ceci étant, que faut-il pour que des élèves puissent avoir un esprit critique satisfaisant ? Plusieurs conditions doivent être réunies. Il faut un environnement culturel favorable : c'est-à-dire abondance de documents concernant les programmes d'études, des médias (presse, radio ... ) qui abordent presque tous les problèmes, la liberté d'expression pour les professeurs et les élèves, ce qui suppose l'existence « d'une pédagogie dialogique ». J'entends par pédagogie dialogique un système éducatif où les élèves ont le temps de s'exprimer librement sur les cours de leurs professeurs, où il existe entre professeurs et élèves un échange réciproque et franc... Toutes ces conditions sont loin d'être réunies dans le milieu culturel néo-colonial voltaïque.

En effet, comment se caractérise le milieu culturel néocolonial voltaïque ? Il est très pauvre. Et comme nous l'avons déjà signalé, il manque de documents spécialisés et topiques pour les élèves et étudiants voltaïques. Ceux-ci se contentent le plus souvent des manuels scolaires, dont on connaît du reste les limites, et des cours de leurs professeurs. Ces cours consistent le plus souvent en une dictée des contenus des livres, rédigés souvent à partir de contextes lointains, et sans une critique sérieuse à l'appui. Un enseignement se déroulant dans des conditions pareilles ne favorise pas le développement de l'esprit critique. Au contraire, il le réduit.

En matière de documents, de livres, on peut rétorquer qu'il y a des centres culturels, des bibliothèques et des librairies. C'est vrai. A Ouagadougou il y a un centre culturel franco-voltaïque (de même qu'à Bobo Dioulasso), un centre culturel américain et tout juste en face un centre culturel russe; la Libye, par le biais de son ambassade, vient d'installer aussi un centre culturel. En matière de bibliothèques, citons : la bibliothèque de l'Université, qui est très petite, la bibliothèque de l'I.E.N. [PAGE 116] (Institut d'Education Nationale), la bibliothèque du C.N.R.S.T. (Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique).

Mais comme je le soulignais à l'instant, ces centres culturels et bibliothèques ont souvent des documents intéressants mais insuffisants. Souvent, il y a un ou deux ouvrages pour plus de vingt lecteurs. En outre, nombre de documents existants ne sont pas à la portée de la compréhension des élèves.

Même s'il existe un embryon de structure pour la culture, il y a un fait important qu'il ne faut pas oublier : la culture coûte très cher aujourd'hui en Haute-Volta. Quelques exemples pris au hasard le prouvent :

– Littérature Nègre de J. CHEVRIER
– Comprendre la Littérature Orale Africaine de S-M. ENO BELINGA
– Comprendre la Littérature Africaine écrite de P. NGANDU NKASHAMA
– XALA de Sembène OUSMANE
– Les Cancrelats de TCHICAYA U TAM'SI
– Le Monde
– Le Monde Diplomatique
– Jeune Afrique
– Afrique-Asie
      2225 F.CFA.
887 F.CFA.
935 F.CFA.
2 245 F.CFA.
3 425 F.CFA.
375 F.CFA.
745 F.CFA.
450 F.CFA.
400 F.CFA.
Ces prix sont sujets à des fluctuations, grâce à l'inflation mondiale. Les Voltaïques, écrasés de misère et de surcroît victimes d'une inflation sans cesse croissante, se préoccupent en premier lieu de se nourrir, de se soigner, de payer les études de leurs enfants... Les élèves boursiers des établissements secondaires (classes de seconde, première, terminale) qui ne bénéficient pas de l'internat, perçoivent un pécule de 6 000 F.CFA par mois. Avec cette modique somme, ils doivent, pour la plupart, se loger, se nourrir, se vêtir. Compte tenu de toute cette situation, peu de gens peuvent se cultiver de façon satisfaisante en Haute-Volta. La masse lisante des Voltaïques est de ce fait très réduite. En plus de cela, il convient de noter que les librairies ne mettent pas toujours à la disposition des consommateurs les livres dont ils ont le plus besoin. Cela est dû au fait, en partie sans doute, que la distribution du livre sur le marché voltaïque est presque exclusivement [PAGE 117] assurée par les agents capitalistes du monde occidental. Ceux-ci privilégient à dessein la culture étrangère. Parfois, il y a des écrits qui ne sont pas sains pour l'esprit. Il y a beaucoup de revues féminines, de romans policiers, de bandes dessinées, même les revues pornographiques commencent à faire leur apparition. Cette situation fait que l'esprit des Voltaïques sur le plan culturel est beaucoup plus extraverti qu'introverti.

Au total, il y a donc ce milieu culturel néo-colonial pauvre, quasi inaccessible pour une partie importante de la masse lisante voltaïque, et mal adapté par ailleurs, qui pèse sur les Voltaïques, diminuant ainsi leur capacité de compréhension de réflexion et partant leur esprit critique.

INTERROGATION SUR LA QUALITE
DES PROFESSEURS
ENSEIGNANT EN HAUTE VOLTA

On dira que ce serait là porter atteinte à la réputation du corps enseignant que de mettre en doute sa compétence et ses responsabilités à propos du bas niveau qui affecte nombre de nos élèves et étudiants. Mais, si on veut suivre la logique de Françoise Lieutier, est-ce juste de dénoncer l'insuffisance du travail des élèves voltaïques dans les colonnes d'un journal sans s'interroger sur la qualité du corps enseignant qui les encadre ? Refuser de le faire est un manque d'objectivité, et d'impartialité. En ce qui nous concerne, les professeurs en Haute-Volta, Blancs comme Noirs, ne sont pas innocents vis-à-vis des reproches que fait Françoise Lieutier aux élèves Voltaïques. Ces toutes dernières années, ceux-ci (les élèves et étudiants voltaïques) n'ont pas manqué d'attaquer leurs professeurs sur leur insuffisance.

En 1979, les étudiants de l'Université, tout en boycottant les examens de juin, dénonçaient, parallèlement, la carence notoire de certains professeurs, tant nationaux qu'expatriés.

Dans les établissements secondaires, le même cri de dénonciation vis-à-vis des professeurs carents se fait entendre chaque année. Voilà des indices qui prouvent que les reproches que fait Françoise Lieutier aux élèves voltaïques sont imputables en partie à leurs formateurs. [PAGE 118]

L'ADAPTATION DES PROGRAMMES D'ENSEIGNEMENT

Le contenu de l'enseignement en Haute-Volta est-il adapté aux besoins réels des Voltaïques ? Pour nous qui sommes professeur, nous pouvons répondre que les trois quarts du contenu de l'enseignement en Haute-Volta sont extravertis, c'est-à-dire répondent aux intérêts de l'impérialisme international et de la bourgeoisie néo-coloniale voltaïque. Les élèves peuvent résister à cette situation par un silence face aux cours qu'ils reçoivent.

En bref, de tout ce qui vient d'être dit, il ressort à l'évidence que Françoise Lieutier a été injuste envers ses élèves. Plus qu'injuste, elle s'est servie d'eux pour déprécier l'image du Noir, comme l'avaient déjà fait les colonialistes qui partagèrent l'Afrique en 1884-1885. Si Françoise Lieutier n'était pas animée par un profond esprit colonialiste, jamais elle n'aurait vomi les absurdités contenues dans son torchon. Au contraire, elle aurait dénoncé les ravages du système éducatif colonial et néo-colonial sur les élèves voltaïques : c'était la seule façon saine d'aborder les problèmes qu'elle a posés.

LE PRIMAT DE LA FORME SUR LE CONTENU
UNE INVENTION DES FANTASMES DE FRANÇOISE LIEUTIER

Enfin, Françoise Lieutier en arrive à un dernier défaut non moins dégradant de ses élèves. Et ceci entre toujours dans le cadre de leur esprit critique. En effet, ceux-ci, selon Françoise Lieutier, face au discours de la méthode, mettent en avant la primauté de la forme sur le contenu. Mais, sachez-le, c'est Françoise Lieutier qui inculque à ses élèves ces idées, parce qu'il lui faut coûte que coûte les éloigner de la maîtrise de la science, de la logique. Voici en effet ce qu'elle écrit à ce propos :

« Un trimestre plus tard, nous commencions le « Discours de la Méthode ». A tour de rôle, les élèves se relayaient pour lire à haute voix. Tout à coup des applaudissements, des rires, une agitation joyeuse que [PAGE 119] je ne comprenais pas... C'était insensé ces bravos au beau milieu de la lecture des « considérations touchant les sciences »... J'avais demandé ce qui se passait, pensant que quelqu'un avait fait une pitrerie... Des garçons des premiers rangs me dirent de très bonne humeur. « Descartes, il est fort »; on m'expliquait : « il sait parler, Descartes, c'est un malin ». C'est donc Descartes le pitre, et pourquoi ? ( ... ) »

Voyez-moi cela ! n'est-ce pas là une volonté délibérée de chercher à ridiculiser les élèves voltaïques que de rapporter un témoignage de ce genre sans même chercher à lui trouver une juste interprétation ? Le nègre bête, idiot, comique, incapable d'assimiler la science à laquelle Françoise Lieutier voue un culte sacré, apparaît ici. Mais, en fait, le Discours de la Méthode ne contient-il pas des aspects ludiques ? Le foisonnement des imparfaits du subjonctif, des conditionnels passés deuxième forme, donne sans conteste au discours de la méthode un style soutenu, rare. Des temps de ce genre, dans le langage parlé, font rire. Or, une lecture à haute voix est voisine au langage parlé. C'est donc à des effets stylistiques que les élèves voltaïques ont réagi.

Rien de plus normal que cela.[6]

Au lieu d'orienter ses réflexions dans des directions de ce genre, Françoise Lieutier, gonflant ses fantasmes racistes, évoque un « Descartes pitre » qui aurait suscité les rires des élèves voltaïques. Elle pousse plus loin l'outrage lorsque, s'agissant du contenu du Discours de la Méthode, elle déclare : « Le contenu du Discours de la Méthode [PAGE 120] n'était pas important, c'était de l'anecdote. » Voyez jusqu'où elle pousse le dénigrement de ses élèves ! C'est même plus qu'un dénigrement. Ce qui est en cause ici, c'est le Noir insensible à la science, opposé à l'Occidental qui possède l'esprit scientifique. Françoise Lieutier par ces considérations nous ramène en 1920, à l'ère coloniale.

Et en effet, tout au long de son vil torchon, elle se peint sous les traits d'une nostalgique déséquilibrée de la colonisation !

En remarque générale sur ce qui vient d'être dit : tous les faits relevés par Françoise Lieutier et qu'elle considère comme les indices d'une médiocrité des élèves voltaïques – leur infériorité intellectuelle, leur manque d'esprit critique, leur allergie à la science, etc. – ne sont, pour nous, que des bouquets d'effets qui ont pour causes principales le système colonial et sa dérivée néo-coloniale, la pauvreté culturelle du milieu néo-colonial voltaïque par rapport auquel Françoise Lieutier juge ses élèves, etc.

Françoise Lieutier, en aucun cas, ne peut être considérée comme une coopérante favorable à l'Afrique, et notamment à la Haute-Volta.

En effet, on voit à l'évidence qu'elle foule aux pieds les intérêts de la Haute-Volta. Elle n'en a cure. Si elle était une coopérante sincère, c'est tout le système de l'enseignement en vigueur chez nous qu'elle aurait dénoncé, tout en proposant des solutions « révolutionnaires », c'est-à-dire allant dans le sens de la décolonisation de l'enseignement, ou encore en tenant compte de l'évolution, de sa dénéo-colonisation. En procédant de la sorte, elle aurait donné des conseils positifs aux Voltaïques, car elle les aurait mis sur une piste pouvant les conduire à trouver une solution à la carence des élèves. En refusant de penser dans ce sens – et pour cause – Françoise Lieutier s'est gravement discréditée. Elle s'est discréditée parce que la coopération, qui est synonyme de progrès pour les partenaires qui la pratiquent, n'est pas considérée par elle comme telle... Au contraire, pour elle, la coopération est une arme efficace pour assurer la pérennité de la domination de l'Occident scientiste sur l'Afrique. Nous analyserons plus loin cette prise de position politique de Françoise Lieutier dans son torchon qui sera aussi celle des bourgeois capitalistes du « centre » et [PAGE 121] de la périphérie. En attendant essayons de la cerner sur le plan professionnel et ses rapports avec la Négritude Senghorienne.

FRANÇOISE LIEUTIER :
MEDIOCRITE PROFESSIONNELLE ET MYTHE SENGHORIEN

Que le parti pris de Françoise Lieutier et son racisme l'aient conduite à vomir les inepties que nous venons de dénoncer avec force, c'est évident. Que ces inepties impardonnables soient le seul résultat de son parti pris et de son racisme, ce n'est pas certain. Il faut en effet se résoudre à présenter Françoise Lieutier comme l'incarnation de la médiocrité et de la partialité. Si ce caractère sans noblesse suit Françoise Lieutier tout au long de son torchon, il prend des proportions inqualifiables à la fin de son article pompeusement intitulé LA MAGIE. Que fait Françoise Lieutier dans cette partie ? Elle réduit le champ des connaissances de ses élèves voltaïques, et donc des Africains en général, à la magie. Voici ce qu'elle écrit à ce propos :

« Quand je sortais des classes, ces jours-là, mon esprit fourmillait d'exemples vus, entendus au village, dans la rue, à telle cérémonie ou à telle autre, en telle ou telle occasion, profusion de détails, de témoignages... L'arbre sous lequel on avait trouvé un matin une grosse truie morte et qui n'était pas seulement un arbre mais qui, la nuit venue, sortait ses racines pour bouger, changer de place, tuer, suivant son humeur... Mami Wata, la sirène du barrage, qui voyageait jusqu'à Abidjan. La vieille femme trouvée morte dans sa case à la suite du massacre, par un pêcheur, d'un vieux caïman du marigot qui était son double. Les morts qui revenaient s'en prendre aux vivants s'ils n'avaient pas eu les funérailles qu'il fallait... »

Aucun Africain, encore moins nous, ne peut mettre en doute la fidélité des témoignages que rapporte Françoise Lieutier. En tant que professeur, j'ai maintes fois eu l'occasion d'entendre les mêmes histoires de la part de mes élèves de première ou de terminale. Cependant, là où nous ne pouvons pas être d'accord avec Françoise Lieutier, c'est la finalité recherchée en rapportant ces témoignages [PAGE 122] de ses élèves sur la magie et les choses mystérieuses. En fait, quel message Françoise Lieutier a-t-elle voulu communiquer à ses destinataires occidentaux et en particulier la bourgeoisie capitaliste ? Que l'Afrique reste toujours le pays des mystères, de la magie, et toujours allergique à tout esprit scientifique, donc de progrès. Si tel n'était pas le but incongru recherché par Françoise Lieutier, pourquoi alors avoir terminé son article par ce problème de la magie ? Il y avait pourtant une possibilité de nuancer les choses pour échapper « la restriction de champ » qui guide ses pas incertains dans son torchon ! A la vérité, en Afrique, la magie ne constitue qu'une dimension lilliputienne de l'immense champ de la culture et des connaissances africaines. La réalité, c'est que l'Afrique ne peut être, au plan des connaissances, caractérisée seulement par la magie. Tout professeur – fût-il étranger – est blâmable lorsqu'il ignore cela. Bien avant l'arrivée des Blancs, les Africains avaient des connaissances d'ordre scientifique et technique, même si ces connaissances accusaient un retard par rapport à celles en vigueur en Occident. Les Africains savaient travailler le fer. Il y avait des hauts-fourneaux où ils faisaient fondre de minerai de fer. Sur le plan de la médecine, l'Afrique disposait, dispose encore, d'une riche pharmacopée derrière laquelle courent aujourd'hui les chercheurs occidentaux.[7] Il est vrai que dans ces différents domaines [PAGE 123] on peut faire intervenir les pratiques sacrificielles. Mais ce n'est pas une raison pour réduire le large domaine du savoir africain à la magie. En fait, da magie, pour l'Africain, est un support moral qui lui donne la force d'aller à la conquête du monde. Que Françoise Lieutier note bien que je ne cherche pas à défendre la magie. Je voudrais seulement qu'elle comprenne que l'Africain peut sacrifier un poulet sur un gris-gris dans le but de sortir premier dans un établissement d'enseignement technique. Il va peut-être falloir relancer le débat sur le thème de da magie, car il me semble que beaucoup de choses restent à dire. Bref, Françoise Lieutier, en opposant l'Occident rationaliste à l'Afrique magique, pousse plus loin l'absurdité de son esprit. En effet, ne laisse-t-elle pas entendre par là l'impossibilité pour le Noir de maîtriser la science ? Réfléchir de cette façon aujourd'hui ne relève pas seulement d'un anachronisme. C'est afficher une certaine ignorance. En fait, la science n'appartient à aucune race. Elle est universelle, et, à ce titre, les Africains peuvent être d'éminents hommes de science. Il n'y a point aujourd'hui une branche du savoir où les Africains n'aient de hauts diplômés : il y a des docteurs d'Etat africains et des agrégés dans toutes les branches du savoir.[8]

C'est la preuve que les Africains peuvent bien maîtriser la science et la technique. J'ai vu un forgeron de chez nous reproduire des charrues parfaitement utilisables avec des moyens très modiques. On imagine les résultats fabuleux que cela produirait sur le plan du développement de la technique si une politique nationaliste s'avisait de tirer profit du savoir faire de nos artisans !

Françoise Lieutier, ignorant tout cela, tente de faire comprendre que les Africains n'ont qu'une connaissance irrationnelle, magique, ce qui les indispose pour le progrès. Ce qui révolte de plus dans cette attitude de [PAGE 124] Françoise Lieutier, c'est qu'elle ait pu émettre une pareille pensée en ce dernier quart du XXe siècle.

On ne saurait ne pas rappeler ici le complot ourdi par l'Occident capitaliste et dominateur contre l'Afrique depuis l'époque coloniale. Partant des mêmes préjugés auxquels s'alimente aujourd'hui Françoise Lieutier, l'Occident raciste et égocentrique n'a pas voulu permettre aux Noirs de dominer la science et de devenir maîtres et possesseurs de la nature. Si, au moment où les colonialistes occidentaux envoyaient les premiers Africains à l'école, ils avaient en même temps construit des établissements d'enseignement technique, pour permettre aux Noirs de perfectionner leur savoir-faire pratique, il est évident qu'aujourd'hui en Afrique l'on produirait des charrues, des bicyclettes, etc. Avec des moyens propres aux Africains. Ce complot, conduisant les Africains à ne pas pouvoir maîtriser la science, se poursuit aujourd'hui avec la stratégie du dialogue Nord-Sud, qui fait des Africains de simples consommateurs. La conséquence de cette politique funeste, c'est la dépendance dans laquelle s'enlise l'Afrique dans tous les domaines.

Si Françoise Lieutier avait pensé à tout ce que nous venons de dire, elle ne se serait pas permis de présenter la magie comme le domaine par excellence de la connaissance des Africains.

La réalité, c'est que les Africains ont parfaitement les possibilités intellectuelles de maîtriser la science comme n'importe quelle race de notre planète. Ils doivent par conséquent chercher à se doter de tous les moyens nécessaires pour tirer profit, par eux-mêmes, des applications concrètes de la science et de la technique. Ce n'est pas l'Occident qui fera cela à leur place. Surtout quand ils ont face à eux, sur le plan de la coopération internationale, des gens de la famille de Françoise Lieutier.

LE MYTHE SENGHORIEN

Ni le racisme de Françoise Lieutier, ni sa médiocrité intellectuelle ne peuvent suffire à expliquer son attitude dévalorisante vis-à-vis de ses élèves voltaïques et, partant, de tous les Noirs. Elle a été, dès le départ, guidée par une double idéologie complémentaire qui constitue le sommet[PAGE 125] de son esprit. Cette double idéologie complémentaire, ce sont le mythe senghorien et le néo-colonialisme Parlons d'abord du mythe Senghorien. Pour qui a de la mémoire, c'est-à-dire qui a un tant soit peu lu Senghor et le torchon de Françoise Lieutier, il est aisé de percevoir que notre philosophe cultive au plus haut point le mythe Senghorien. Qu'est-ce que le mythe Senghorien ?

J'entends par mythe Senghorien la vision que Senghor, à travers sa Négritude, se fait du monde, c'est-à-dire un monde où le Noir, grâce à son infériorité sur le plan scientifique, doit accepter d'occuper un rang subalterne par rapport à l'occident omnipotent. Certains esprits ne manqueront pas de nous poser la question de savoir pourquoi nous évoquons ici le fameux problème du mythe Senghorien ! L'esprit qui n'a que le superficiel pour appui nous taxera de faire des amalgames, ou de chercher coûte que coûte à attaquer un homme prestigieux à la dimension mondiale et qui va bientôt atteindre le sommet de sa gloire avec le prix Nobel de la littérature (quelle littérature ?). Voir les choses de cette façon, c'est se laisser prendre dans le piège du mécanisme de la pensée des néo-colonialistes occidentaux et de leurs féaux africains. Il y a bel et bien dans le torchon de Françoise Lieutier le culte du mythe Senghorien.

Si le lecteur de notre analyse a bien fait attention, il a sans doute perçu que nous n'avons cessé de reprocher à Françoise Lieutier d'avoir dénié à ses élèves voltaïques l'aptitude à une pensée objective au sens scientifique du terme. C'est ainsi qu'elle a été conduite à insister (sans montrer les vraies causes) sur le manque d'esprit critique de ses élèves, à leur faire dire que, pour eux, ce qui compte, dans le Discours de la Méthode, ce n'est pas le contenu, qui n'est que de l'anecdote, mais la forme (entendez magie, art, musique).

Dans la dernière partie de son torchon, la pensée de Françoise Lieutier se précise davantage, rendant plus évidente sa parenté avec la Négritude Senghorienne. En effet, Françoise Lieutier va caractériser le Noir sur le plan du savoir. A cet effet, elle ramène tout le savoir du Noir à la magie. N'est-ce pas là une volonté perfide de réduire le Noir à la connaissance irrationnelle, au mystère et donc à l'émotif ? Senghor pense-t-il autrement du Noir ? Ceux qui seraient tentés de croire que nous exagérons n'ont qu'à [PAGE 126] écouter la conclusion de Françoise Lieutier : « LES BLANCS UTILISENT LA CONNAISSANCE, LES NOIRS UTILISENT LA MAGIE.»[9] Quelle différence peut-on faire entre cette conclusion de Françoise Lieutier et ces propos célèbres de Senghor ? « L'émotion est nègre comme la raison est Hellène... »[10]. La raison nègre telle qu'elle apparaît ici, n'est pas, on le devine, la raison discursive de l'Europe, la raison – œil, mais la raison – toucher, la raison sympathique, qui tient – du logos plus que de la ratio... La raison européenne est analytique par utilisation, la raison nègre intuitive par participation [11] ... « Je pense, donc je suis », écrivait Descartes. Le Négro Africain pourrait dire. « Je sens l'autre, je danse l'autre, donc je suis.»[12] Rien naturellement. On trouve ici les caractéristiques rationnelles, scientifiques du Blanc, opposées à celles, émotives, du Noir. Françoise Lieutier et Senghor se sont donc rencontrés pour entreprendre leur marche traîtresse contre le Noir que ni l'un ni l'autre n'ont compris. Il y a un danger certain qui pèse sur le Noir dans la position où le maintiennent Françoise Lieutier et Senghor. En effet, n'est-ce pas postuler à l'avance, et une bonne fois pour toutes, l'incapacité du Noir à se développer lui même sur la base de da science et de la technique ?

Cette vision du Nègre intuitif, émotif, danseur.... autour de laquelle Senghor a fait tant de publicité inutile, et à laquelle adhère Françoise Lieutier, a été, à juste titre, dénoncée par d'autres Noirs qui ont bien souligné le danger d'une telle idéologie pour le développement et l'indépendance du Noir.

Stanislas Adotévi relève une critique de Martien Towa à propos de la Négritude Senghorienne : (la constitution biologique du nègre Senghorien en faisant de lui un être mystique et émotif lui interdit, nous dit Towa) : « tout espoir de pouvoir jamais rivaliser avec le Blanc sur le terrain de la raison et de la science... Le nègre, tant qu'il [PAGE 127] demeure tel, n'a pas de place, en tout cas pas de place égale à celle du Blanc, dans un monde fondé sur la raison et la science. »[13] Adotévi lui-même ajoute plus loin dans son livre de commentaire suivant : « La très bizarre formule Senghorienne de division raciale du travail intellectuel (l'émotion est nègre comme la raison est Hellène) vise uniquement à perpétrer un régime considéré comme néo-colonialiste et dont il est le président. »[14]

Comme on le voit dans ces deux critiques, la logique de la Négritude émasculée de Senghor a consisté à « amarrer l'Afrique de l'Ouest à l'Occident ». Dans ces conditions, l'Afrique est tirée par la locomotive de celui-ci. Françoise Lieutier approuve cette situation. Il nous faut démontrer davantage cela.

FRANÇOISE LIEUTIER : DU MYTHE SENGHORIEN A LA COMPLICITE DANS LA NEO-COLONISATION

Enfin, l'hypothèse qu'il nous faut développer ici (qui d'ailleurs peut paraître comme un truisme vu ce qu'on vient de dire), c'est que Françoise Lieutier va prendre position en faveur de la néo-colonisation. Cette position, si elle vient en droite ligne de son adhésion au mythe Senghorien, procède cependant d'un autre aspect plus lointain, et qui montre que Senghor a été une trouvaille heureuse pour la bourgeoisie capitaliste de l'Afrique. Cet aspect n'est autre chose que la prétention de la bourgeoisie capitaliste du Centre à présenter le cartésianisme comme pensée universelle qui doit être un modèle pour tout le monde.

En effet, toute la personnalité de Françoise Lieutier, telle qu'elle apparaît dans son torchon, s'accomplit dans une prise de position politique, fût-elle implicite, qui ne surprend nullement le lecteur averti. En présentant les élèves voltaïques comme des êtres intellectuellement inférieurs, incapables de maîtriser l'esprit cartésien, et, surtout, en vouant une niaise admiration au mythe senghorien, sans envisager la possibilité qu'un salut des Africains puisse venir d'eux-mêmes, il était évident que [PAGE 128] le sommet de la colline qu'elle cherchait à atteindre était celui d'une position politique réduisant l'Afrique à une soumission éternelle à l'Occident.

Françoise Lieutier va chercher à donner une logique à sa folle position. Bien avant de venir en Haute-Volta comme coopérante, elle s'est armée de la croyance restrictive suivant laquelle le cartésianisme est la pensée universelle par excellence. C'est l'arme du progrès, pouvant venir à bout des forces obscures, qui entravent le développement en Afrique. Elle écrit en substance à ce sujet :

« Il amorçait (Descartes) le triomphe de la raison sur les puissances obscures et traîtres de l'imagination. Et j'avais lu et entendu qu'ici en Afrique, plus qu'ailleurs, il fallait se méfier de l'affabulation qui déforme le monde, relâche l'effort vers le vrai et entrave l'action. Descartes était donc une indication parfaitement adéquate, le tonique, qu'il fallait à une pensée souvent trop facile, abandonnée aux projections primaires... »

On retrouve là, avant que ne se prononcent des gens en faveur de la culture africaine – Delafosse, Léo Frobenius et autres – toute l'ethnologie des colonialistes racistes. Quand les Africains choisissent Marx ou Lénine comme guides dans leur combat politique, la bourgeoisie du centre et ses associés africains frémissent et crient à l'idéologie importée. Qu'attendent-ils pour crier haro sur Françoise Lieutier, car elle fait exactement la même chose en Afrique, et de la pire façon possible !

Ce que Françoise Lieutier oublie, c'est que toutes les sociétés ont passé par des phases de croyances irrationnelles : les druides adoraient le gui, les Romains avaient leurs devins. Si aujourd'hui les descendants des Gaulois se vantent d'avoir eu Descartes, on sait, et Françoise Lieutier le note, que le maître du rationalisme est né sur les ruines de croyances irrationnelles. L'Afrique ne fait pas exception quant au processus d'évolution qui affecte toute société. A ce titre, quelles sont les forces obscures qui empêchent aujourd'hui le progrès en Afrique? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de faire une rapide analyse de la situation socio-politique de nos pays. La plupart de nos pays sont dépendants du « centre » sur le plan économique, politique, technologique. Sur le plan des forces sociales, nous avons des bourgeoisies politico-bureaucratiques et militaires inféodées à l'Occident qui [PAGE 129] leur apporte l'aide pour survivre et les moyens de répression contre les masses. Ces masses – la quasi-totalité des travailleurs et ouvriers – sont soumises à l'exploitation du capitalisme monopoliste, et, corollaire de cela, elles vivent dans la misère et la pauvreté.

Dans l'Afrique d'aujourd'hui, les masses déshéritées qui souffrent de cette politique funeste veulent sincèrement le progrès. Mais, curieusement, c'est l'Occident capitaliste, cartésien, qui s'y oppose. Les vraies forces obscures, les esprits sujets aux projections primaires qui empêchent aujourd'hui le progrès en Afrique, c'est bien les forces de l'exploitation de l'homme par l'homme, en l'occurrence les bourgeoisies capitalistes du centre hégémonique, et les traîtres bourgeoisies de la « périphérie ».

En Haute-Volta, et jusqu'avant le coup d'Etat militaire du 25 novembre 1980, certains médias fabriqués à l'étranger avaient indiqué que plus de cent cadres supérieurs étaient en chômage technique (en partie à cause de leurs opinions politiques; il est vrai qu'il ne s'agit pas toujours d'opposants dignes de foi). Cette politique était menée sous le nez de l'impérialisme français qui n'a jamais rien dit à ce sujet si ce n'est pour l'encourager. Quand on sait que cela se passe dans un pays où tout reste à faire, le moindre doute n'est plus permis : l'impérialisme international, notamment français, et ses obtus associés africains, notamment voltaïques, constituent des forces antiprogrès dans nos pays de la périphérie.

Il faut donc que Françoise Lieutier comprenne, et avec elle tous ceux de sa famille, que s'il y a des Africains incapables de maîtriser la science, et qui n'ont que la magie, c'est bien la classe de la bourgeoisie, obtuse, que l'impérialisme crée de toutes pièces et place à la tête de nos pays, c'est-à-dire des tyrans comme Bokassa, Idi Amin, Mobutu et tutti quanti. Les autres, ceux qui sont mitraillés par les Jaguars français au Sahara Occidental, exterminés par les féroces légionnaires au Shaba, ou internés et torturés dans les camps de concentration au Cameroun ou dans les déserts du Mali, etc., ces Africains-là, dis-je, ne vivent pas de magie. Leur esprit n'est pas non plus sujet aux projections primaires. Ils veulent le progrès et ont les moyens intellectuels de le réaliser. Ils sont seulement handicapés par les agents du capitalisme monopoliste et leurs féaux africains. [PAGE 130]

Et ce sont justement des gens de la famille de Françoise Lieutier qui leur font obstacle. Son rôle, ou sa complicité dans cette paralysie des Africains qui veulent le progrès véritable et l'indépendance apparaît dans son torchon. Elle était venue imposer Descartes en Haute-Volta comme la seule source de progrès, reprenant par là la thèse désuète de certains économistes bourgeois qui croyaient en un unique schéma du développement, c'est-à-dire le développement linéaire, issu du capitalisme. Françoise Lieutier, s'apercevant que ses élèves voltaïques ne maîtrisent pas Descartes, fait des extrapolations monstrueuses à la mesure de son cerveau anémié : écoutons à nouveau la conclusion de son torchon : « Les Blancs utilisent la connaissance, les Noirs utilisent la magie. » Plus haut, les mêmes propos nous ont permis de voir Françoise Lieutier marcher la main dans la main avec Senghor. Cela concernait leur rencontre sur le plan culturel. Mais l'aspect culturel a son complément, qui est la politique. Et, sur ce plan aussi, nous retrouvons, à travers la même conclusion, Françoise Lieutier marchant la main dans la main avec Senghor. En effet, en disant que les Blancs utilisent la connaissance et les Noirs la magie, Françoise Lieutier choisit son public. C'est vers les tenants du capitalisme monopoliste qu'elle se tourne pour leur dire à peu près ceci :

« Vous voyez, ces gens-là ne maîtriseront jamais le cartésianisme, la seule source de progrès dans le monde. Or, ils sont riches. Ils ont du pétrole, de l'uranium, du diamant, des phosphates, du fer, etc. Vous avez les moyens de mettre ces richesses en valeur. Qu'attendez-vous pour renforcer et intensifier votre domination et votre exploitation des pays africains ? »

C'est là tout la logique cynique, funeste, qui se dégage du torchon de Françoise Lieutier. C'est pourquoi il faut la classer parmi les colonialistes et les néo-colonialistes, et partant, comme ennemie de l'Afrique.

CONCLUSION

Toute l'hypocrisie de la politique menée par la bourgeoisie capitaliste de la droite française depuis la colonisation jusqu'à nos jours apparaît ici dans la loghorrée [PAGE 131] de Françoise Lieutier : racisme, mépris du Noir ignorant... et que l'on prétend, par-dessus de marché, aider. L'idée que la France capitaliste et giscardienne est résolue (à moins qu'elle ne soit expulsée par la force des nationalistes africains) à maintenir l'Afrique (Occidentale d'Expression Française) sous sa l'indépendance afin de pouvoir l'exploiter au maximum, est aussi développée de long en large dans le torchon de Françoise Lieutier.

Car Françoise Lieutier, en présentant le Noir comme un être intellectuellement inférieur, naïf, incapable de maîtriser la science, approuve du même coup l'idée de son incapacité à pouvoir se développer lui-même. C'est là cautionner toutes les ambitions effrénées de la droite française et ses complots contre l'Afrique.

L'un de ces grands complots est contenu dans cette phrase célèbre de Giscard d'Estaing : « L'Afrique aux Africains. » Il faut être un écervelé pour croire que Giscard d'Estaing pensait à l'Afrique (méprisée au fond du cœur), quand il prononçait cette phrase.

Valérie Giscard d'Estaing s'adressait seulement aux Russes et aux Cubains pour leur dire ceci : « Ne touchez pas à l'Afrique, c'est notre chasse gardée. » (Entendez la chasse gardée des Occidentaux.)

C'est à cette même conclusion qu'aboutit Françoise Lieutier dans son torchon.

Nous nous élevons, évidemment, contre cette vision dominatrice des impérialistes de l'Occident capitaliste sur l'Afrique sous le couvert de la coopération.

Les Africains de bonne foi regardent en face les problèmes qui empêchent l'Afrique de se développer. Parmi ces problèmes, il y a l'exploitation de nos pays par le capitalisme monopoliste... et, en l'occurrence, le problème de l'enseignement que pose Françoise Lieutier. Françoise Lieutier n'a pas posé le problème de l'enseignement dans un sens favorable aux Africains, notamment aux Voltaïques. En fait, le grand problème qui se pose au niveau de l'enseignement en Haute-Volta, c'est celui de sa décolonisation ou de sa dénéo-colonisation et d'une profonde réforme qui tiennent compte des mutations actuelles, de l'évolution des mentalités et des besoins réels des populations voltaïques. Mais une décolonisation et une réforme profondes de l'enseignement dans le contexte néo-colonial voltaïque actuel sont-elles possibles ? [PAGE 132] Cette question décisive nous renvoie à l'examen global de la société néo-coloniale voltaïque et à ses rapports (de dépendance) avec les pays du « Centre ». A ce point des débats, on perçoit que les conditions d'une décolonisation de l'enseignement et de sa réforme profonde et qualitative en Haute-Volta passent par une transformation structurelle de notre société, et donc de nos rapports actuels avec le centre hégémonique. Voilà le problème crucial dont dépend notre avenir et que toute l'armée des coopérants de la France capitaliste et impérialiste ne résoudra pas à la place des Voltaïques.

Terminons en disant que le niveau des élèves voltaïques, en dépit de tous les complots ourdis par l'impérialisme français et ses agents voltaïques pour les maintenir dans l'obscurantisme désastreux, s'améliore d'année en année, grâce à l'effort courageux d'une nouvelle vague de professeurs qui ont rompu avec les méthodes d'enseignement imposées par l'impérialisme français et par ses associés voltaïques chez nous.

TRAORE Biny


[1] C.N.R.S.T. (Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique). Je devais quitter ce centre fin septembre pour le Lycée Municipal de Bobo-Dioulasso.

[2] Les colonisateurs français, par confusionnisme ou simplisme, appelaient tous les soldats noirs recrutés en Afrique Occidentale des « Tirailleurs Sénégalais ». Ce goût du confusionnisme ou du simplisme gênant persiste de nos jours. Ainsi, on a tendance, et René Dumont fait partie du lot (voir son livre: Paysans pauvres, terres massacrées) à prendre toute la population voltaïque pour des Mossi. En réalité, les Mossi, ethnie majoritaire en Haute-Volta (où on compte environ 60 ethnies) n'atteignent pas la moitié de la population globale voltaïque. Des sources autorisées parlent de 43-45 % de Mossi sur une population totale évaluée à environ 6,5 millions d'habitants.

[3] Un établissement privé.

U.P.A.: Université Populaire. En fait, il s'agit de cours organisés par le S.U.V.E.S.S. (Syndicat Unique Voltaïque des Enseignants du Secondaire et du Supérieur) pour venir en aide à ceux qui préparent des examens professionnels, le B.E.P.C. et le BAC.

[4] En France, les élèves de Première ne connaissent guère les méthodes de la dissertation, qu'ils sont pourtant censés avoir apprises en seconde. Le professeur passe donc l'année à les rabâcher, de telle sorte qu'ils puissent faire illusion sur le correcteur de l'épreuve anticipée de français. Cependant, à la rentrée, c'est-à-dire au début de la Terminale, ils ont pratiquement tout oublié, l'intermède estival étant passé par là. Le fait que Françoise Leutier ignore ce vice caractéristique, avec d'autres, de l'enseignement secondaire de type français révèle qu'elle n'était, à son arrivée en Haute-Volta, qu'une malheureuse maîtresse auxiliaire débutante, n'ayant donc bénéficié ni du stage des Capésiens, ni de celui, récemment institué, des agrégés, lesquels n'ont pourtant rien d'une panacée. Le plus triste réside peut-être là: on peut aller en Afrique sans aucune expérience et revenir en France pontifier avec ce vertigineux toupet au détriment des Africains (N.D.L.R.).

[5] A moins d'un débat collectif préalable en guise de préparation (technique qui est recommandée par le bon sens et beaucoup de conseillers pédagogiques), c'est là une conclusion qu'auraient pu afficher un nombre considérable de copies, sinon la majorité, dans une Terminale ordinaire de n'importe quel lycée français de Province. Tout vétéran de l'enseignement secondaire en France sait bien que la couardise intellectuelle et l'inertie caractérisent le potache moyen, saisi de panique devant la moindre invite à un effort de réflexion personnelle et solitaire, dans une société qui cependant ne cesse d'exalter l'initiative individuelle.

[6] Tout à fait exact. Molière, avec ses imparfaits du subjonctif aux temps forts du vers suscite les mêmes réactions d'étonnement dans les classes du second cycle en France même, au point que certaines éditions scolaires de ses pièces (chez Bordas, par exemple) se sentent obligées de raisonner le lecteur par des notes au bas de la page. A propos de cette réplique d'Oronte, dans « Le Misanthrope » : Je voudrais bien, pour voir, que de votre manière / Vous en composassiez sur la même matière. (vers 427-428). Une note de Bordas dit expressément: « Cet imparfait du subjonctif ne déclenchait pas le rire: il était alors d'usage, courant ». Mais Françoise Leutier avait-elle seulement expliqué « Le Misanthrope » avant d'aller en Afrique ? That is the question. comme disent les barbares anglophones. (N.D.L.R.)

[7] Il est flagrant que, semblable en cela à tous les néophytes, Françoise Lieutier, nouvelle adepte de la mystique raciste, ne brille ici ni par la réserve philosophique et dialectique, ni par l'étendue de l'information. Se doute-t-elle de la vigueur des croyances magiques en plein vingtième siècle dans les campagnes françaises ? Elle devrait lire l'excellent roman rustique du regretté Maurice Genevoix « Raboliot » en méditant plus particulièrement les pages 98 et 99 de l'édition Livre de poche, dont nous lui soumettons cet extrait: « Il parlait, justement, de sorciers inconnus qui provoquaient à leur gré les orages, groupés en rond dans un étang, la nuit, soulevant l'eau à grands coups de battoirs jusqu'à des trente pieds de hauteur, et poussant des cris affreux: tant que le soleil à son lever se retirait, glacé d'épouvante, et de trois jours n'osait plus reparaître. « Et c'étaient des gars, chuchotait Touraille, dont on ne se serait pas douté, des pésans ben inoffensifs d'apparence, tels que moi, si tu veux, tels que moi. » (N.D.L.R.)

[8] Aimé Césaire, critiquant ceux des Occidentaux colonialistes et racistes qui déniaient la science à tout ce qui n'est pas blanc, cite l'exemple de l'invention de l'arithmétique et de la géométrie par les Egyptiens, la découverte de l'astronomie par les Assyriens, l'apparition du rationalisme au sein de l'Islam à une époque où la pensée occidentale avait l'allure furieusement pré-logique : Discours sur le Colonialisme, p.50, Présence. Africaine, 1955

[9] Françoise Licutier met ces propos dans la bouche de ses élèves, mais en fait, elle les fait siens.

[10] « Ce que l'homme noir apporte » in Liberté 1, Seuil, Paris, 1964, p. 24.

[11] « Eléments constitutifs d'une civilisation d'inspiration négro-africaine », op. cit., pp. 259-260.

[12] Négritude et Négrologues (voir note suivante).

[13] Négritude et Négrologues (voir note suivante).

[14] Négritude et Négrologues : p. 61, 10/18, 1971, Paris.