© Peuples Noirs Peuples Africains no. 19 (1981) 36-59



MALI : LA DURE LUTTE DES SCOLAIRES ET ETUDIANTS

OU LA LONGUE MARCHE POUR LA DIGNITE D'UN PEUPLE

Tingé COULIBALY

Si nos ancêtres, bâtisseurs des empires de Ghana (4e-10e siècles), du Mali (11-16e siècles), de Ségou (16-18e siècles) des royaumes de Macina, de Sikasso, face aux impérialismes occidentaux « préféraient la mort à la honte » notre jeunesse d'aujourd'hui choisit contre la résignation la révolte et la révolution. Cette lutte en elle-même est non seulement un symbole mais encore une victoire en soi. C'est la conscience bafouée d'un grand peuple qui se saisit en s'incarnant dans ce qu'elle a de plus vital, son âme et son avenir. L'émergence de la jeunesse africaine contre les pouvoirs néo-coloniaux, en Côte d'Ivoire 1976, au Sénégal 1968 et premier trimestre 1980, en Centrafrique 1979-80, pour ne citer que ces cas, est porteuse d'un avenir radieux pour notre continent trop marqué par les pollutions héritées d'un passé dégradant pour la personnalité noire. Nos jeunes frères d'Azanie à Soweto n'ont-ils pas secoué des mois durant en 1976 la citadelle du racisme en remettant en cause le système d'éducation imposé par la minorité blanche du pays de l'apartheid.

Que dire des étudiants et scolaires malgaches qui, en 1972, ont abattu la dictature de Tsiranana ? Les scolaires et étudiants Maliens, comme leurs camarades de Centrafrique [PAGE 37] qui ont mis fin au règne de Bokassa, mettront également fin, sans doute très prochainement, aux douze années du pouvoir illégal qui bâillonne notre peuple.

« Don ka jan 'nka sebali tè[1] », dit-on chez nous.

Mais comment en est-on arrivé là ?

Qui est responsable ?

Des luttes coloniales, anti-impérialistes des années 1880-1900 contre l'envahisseur français au refus de la domination coloniale de la période 1900-1958 en passant par les enthousiasmes populaires des années 1960, 1962, quels sont les facteurs socio-politiques, socio-économiques qui ont terni le sens des responsabilités, endormi les énergies et étouffé les consciences ?

I. – AUX ORIGINES D'UNE CRISE

Les données économiques, sociologiques, psychologiques et leurs conséquences culturelles qui caractérisent aujourd'hui la situation découlent d'une indépendance faussée dès ses origines par l'installation au pouvoir de l'U.S.R.D.A.[2]

Par une pratique politique qui fait sien le modèle économique du maître d'hier, caractérisé par une économie [PAGE 38] de traite et de prélèvements, il sacrifie le peuple au profit d'une minorité qui gère les structures héritées, faites, comme on le sait, pour encadrer, dominer et exploiter les indigènes. Cette situation est légitimée par les idéologues du parti où s'illustre Seydou Badian Kouyate alors ministre de l'économie nationale et du plan. Son livre « Les Dirigeants Africains face à leurs peuples », chez Maspero 1963, traduit bien cette ligne. « Nous n'avons aucune catégorie sociale détenant les moyens de production et exploitant la force de travail d'une autre catégorie », disait-il de façon assez péremptoire, donnant satisfaction aux africanistes de tous bords, disons colonialistes, qui ont toujours fait prévaloir le caractère harmonieux des sociétés africaines.

Sans classes, sans contradictions, extérieures à l'histoire, nos sociétés échapperaient, miraculeusement, aux lois cependant scientifiques de celle-ci.

L'élan populaire des cinq premières années d'indépendance aidant, l'expérience du Ghana, l'entente avec la révolution algérienne et les pays socialistes du glacis européen ainsi que de l'U.R.S.S. finirent par masquer la réalité sociale et les rapports des classes au Mali. C'est ainsi que l'opinion internationale progressiste de l'époque, comme par ailleurs le peuple malien, crurent un moment à l'avènement d'une nouvelle ère. C'était mal connaître les détenteurs du pouvoir; trois données économiques font apparaître aujourd'hui la liaison patente entre la pratique des responsables de l'U.S.R.D.A. et celle du C.M.L.N. (Comité Militaire de Libération Nationale), qui confisque le pouvoir le 19 novembre 1968. La première réside dans une erreur de planification inhérente aux choix idéologiques. En effet, le premier plan, 1961-1965, est en porte-à-faux avec les capacités financières du pays. Fixant à 64 milliards de francs maliens[3] les prévisions d'investissements portées en 1963 à 78,2 milliards, les dirigeants de l'U.S.R.D.A. avaient misé sur un financement extérieur de 47,6 milliards dont 21,3 de dons, 25,3 de prêts à long terme. Construit-on un pays avec des interventions étrangères ? Les étudiants maliens en France avaient déjà en 1964 répondu par la négative en dénonçant les coûts [PAGE 39] excessifs des importations de céréales[4], des dépenses de prestige et d'administration et surtout la pénétration des capitaux étrangers. Il s'agissait donc d'un plan de dépendance qui, nécessairement et fatalement, devait conduire à l'aliénation de l'indépendance. Rappelons que le financement par les ressources locales n'était fixé qu'à 30,6 milliards de francs, soit 39,1 % du total. D'autre part, le caractère dominant des investissements urbains comme dans les formations sociales européennes a fait oublier les promesses tenues par les planificateurs au congrès extraordinaire de l'U.S.R.D.A. du 22 septembre 1960. L'un des objectifs du plan n'était-il pas la création d'un regroupement rural de production et de secours mutuel dans chaque village du pays ? N'avait-on pas décidé de s'attaquer vigoureusement à la décolonisation économique ? Ainsi naissait une des contradictions insurmontables du gouvernement qui, d'un côté, appelait le peuple à retourner à la terre et, de l'autre, accumulait la richesse dans les villes où n'habitaient cependant que 10 % de la population de la République. L'échec du premier plan est connu. N'y insistons pas. En son temps, les économistes bourgeois, y compris certains qui avaient participé à son élaboration, l'ont déjà fait, soulignant son ambitieuse perspective. Du coup ils avaient, encore une fois, montré les méfaits du collectivisme et son inadaptation à la mentalité africaine.

Les rapports actuels des forces politiques en Afrique montrent que les choses ne sont pas si simples. Quant à nous, rappelons simplement que la production brute de l'année terminale 1966, n'atteint que l'indice 112 (base 100, 1960) pour 153 prévu. Par de ce type de planification extravertie qui fera jurisprudence désormais, l'écart entre les masses rurales et une poignée de citadins (officiers de l'armée, commerçants, cadres du parti) s'approfondit. Ainsi en 1968, à la fin du pouvoir de l'U.S.R.D.A., le revenu annuel moyen par tête se situait à 24 000 francs maliens. L'immense majorité des paysans ne disposaient pas de 10 000 francs. L'ouvrier urbain dispose de 72 000 F.M. (franc malien), 3 fois plus que le paysan. Quant à [PAGE 40] l'employé de bureau, ici le commis, il a 168 000 F.M., soit 7 fois plus que le cultivateur. Le cadre avec 720 000 F.M. a un revenu 30 fois supérieur au cultivateur moyen de la terre. Ce n'est pas l'avènement de la junte militaire qui a modifié ces inégalités affermies et consolidées depuis, parfois même démagogiquement reconnues. L'Essor, quotidien national d'information du 24 septembre 1969, un an après le coup d'Etat, par la bouche du président Moussa Traoré, décrivait le comportement anti-national de la bourgeoisie compradore, oubliant les lourdes responsabilités de la bureaucratie technocratique gestionnaire du système et pour l'essentiel complice de ses agissements[5]. Si l'incohérence des plans de développement entretenait nécessairement l'exploitation des travailleurs ruraux, elle installait définitivement notre peuple dans la dépendance. Alimentaire, culturelle, celle-ci va marquer le pays aussi bien sous le régime de Modibo Keita que sous celui des militaires. On a beaucoup souligné, y compris l'U.N.E.S.C.O., les efforts du gouvernement malien sous l'U.S.R.D.A. en matière de politique d'éducation. Certes, les taux de scolarisation se sont accrus. Dans ma thèses de 3e cycle, 1972, Université de Paris-Sorbonne, j'ai souligné cette progression (cf. Le Mali : le pays, le développement économique et la croissance urbaine. Page 129).

Ainsi le taux s'est-il accru de 289 % entre 1960 et 1965 dans le primaire, 409 % dans le secondaire court et long, le technique ayant enregistré 200 %.

Mais cette école n'a jamais répondu aux aspirations culturelles de notre peuple.

Illusion statistique, car l'enseignement se fait dans la [PAGE 41] langue, et dans tous les cycles, de l'ancien colonisateur, c'est-à-dire en français. Quant aux langues nationales, bien qu'écrites, elles ne sont utilisées que dans les programmes dits d'alphabétisation fonctionnelle réservés aux adultes.

Le but bien avoué est d'adapter ces derniers à l'exploitation.

N'étant pas dupes, les travailleurs le prirent comme un simple jeu, voulant, à l'instar de leur progéniture, être alphabétisés en français.

C'est là que nous arrivons à cerner les conséquences du système d'éducation sur les consciences des travailleurs.[6] Ce n'est pas par hasard que les formations sont axées sur l'apprentissage des techniques de labour du coton Koorisèné (en français : culture de coton) et des arachides, tigasènè (culture des arachides). Les deux programmes fondamentaux d'alphabétisation fonctionnelle s'appelleront ainsi. Ils seront diffusés par le Centre d'Alphabétisation Fonctionnelle, rattaché au Ministère de l'Education Nationale.

Il s'agit de forcer nos paysans à mieux travailler pour les transnationales (comme la C.F.D.T., la compagnie française de distribution des textiles qui exploite le coton au niveau des anciennes colonies françaises).

Les chiffres ci-dessous afférents à la commercialisation du coton en culture sèche au niveau du seul Mali sont éloquents. [PAGE 42]

CAMPAGNES

1965-66
1966-67
1967-68
1968-69
1969-70
1970-71
1971-72
1972-73
1973-74
1974-75

      QUANTITES (En tonnes)

16184   
21731   
29889   
40889   
41670   
52761   
67939   
66182   
58000[7]
67000[8]

Trois remarques s'imposent.

1. Pendant les années de règne de l'U.S.R.D.A. ici concernées (1965-68), la vente du coton s'est accrue de 84,67 %.

Au cours des années relatives au pouvoir militaire, la progression sera de 124 %. Ces années n'ont fait qu'amplifier une donnée structurelle entretenue par le régime défunt, mise en exergue depuis toujours par la jeunesse estudiantine (Cf. l'Etudiant malien mars-avril 1968).

2. Les deux régimes ont non seulement laissé agir la vieille société coloniale, celle qui, hier encore prospérait par le travail forcé des masses africaines de la République Centrafricaine au Tchad, de la Haute-Volta jusque chez nous, mais encore l'ont aidée à s'épanouir.[9]

3. Malgré la période de sécheresse (1968-1973), la production cotonnière s'est accrue régulièrement.

Le même annuaire national de 1973, page 120, montre que la production arachidière, deuxième culture d'exportation, est passée de 27 215 tonnes à 145 000 en 1965-1975 soit un accroissement de 432,79 %. Alors que la famine gronde, que le peuple est affamé, que les Américains nous [PAGE 43] envoient des grains, nos responsables font prospérer les sociétés de traite occidentales, celles qui ont sucé le sang de nos peuples et qui continuent de prospérer par la complicité de nos régimes politiques.

Aussi, en 1973, année terminale du cycle sec, le pays présente-t-il un déficit céréalier de 300 000 tonnes, alors que l'arachide et le coton se portent très bien.

L'U.S.R.D.A., comme les militaires, ont ainsi aliéné à un double point de vue la force vive des travailleurs et de tout notre peuple. D'un côté, l'identité culturelle s'est effritée, de l'autre, comme autrefois, nous continuons à produire pour nos maîtres d'hier. C'est contre cette double aliénation que nos jeunes se sont toujours soulevés. Le divorce créé entre notre culture et la super-structure sera toujours l'objet des dénonciations, mais aussi des soulèvements. Il est en effet inadmissible qu'après 20 ans d'indépendance (disons de liberté de choisir) le Mali maintienne, du primaire au supérieur, l'enseignement en langue française, c'est-à-dire en une langue étrangère à nos systèmes de pensée et de valeurs.

Comment peut-on être fier de penser, de s'exprimer dans la langue d'autrui tout en s'affirmant comme état-nation respectable ?

Est-il normal de gouverner un peuple sans apprendre à ses fils leur langue maternelle, seul véhicule authentique de leur sensibilité, de leur culture?[10]

L'U.S.R.D.A., la junte militaire l'ont fait.

Face à cette situation, comment ne pas se révolter, se sentir disparaître, mourir ? [PAGE 44]

En 1960-1964, pour donner un aspect de cette détresse culturelle, je prends le cas de notre promotion au lycée Askia Mohamed de Bamako, autrefois Terrasson de Fougères.

Pendant ces quatre années d'indépendance, nous n'avons étudié aucun texte d'un auteur africain ni malien, fût-il même en français.

En histoire nous n'avons étudié aucune époque de l'histoire du continent noir, si ce n'est en terminale quelques heures sur les empires dits soudanais, c'est-à-dire Ghana, Mali, Sonhraï, Bambaras, Peulhs. Mais ce fut vite fait et en fin d'année.

En géographie, le scénario est identique, ni l'Afrique, exception faite de l'Algérie en 1963, ni le Mali.

En philosophie, c'est la philosophie occidentale idéaliste et bourgeoise dans toute sa splendeur, et en français bien sûr.

Pour un pays qui se réclamait du socialisme scientifique, nous n'avons même pas étudié le marxisme, ceci étant imputable au professeur, une Française qui n'aimait pas ça. Nous, qui aimions ça, étions obligés de suivre des cours le jeudi après-midi, pendant les jours de sortie et avec un professeur d'anglais, mais africain, chassé du Sénégal pour ses idées politiques.

Dans cette école, où sont notre culture malienne, africaine, notre philosophie cependant très riche, notre culture bouleversante, notre identité, bien réelle ?

Comment ne pas se révolter quand on voit que sa dignité, sa mémoire meurent à petit feu, ensevelies progressivement sous les cendres d'un occident, lui-même en crise morale, culturelle et civilisationnelle? A-t-on le droit d'imposer une langue à un pays où seulement à peine 2 % de sa population est susceptible de la comprendre ? Cette question s'adresse à tous nos gouvernements et à tous les éducateurs africains.

L'anglais, le français ou l'allemand ne peuvent être pour nous que des langues étrangères et à cette étape du rapport des forces entre l'Europe et l'Afrique, que des langues de domination. C'est pourquoi il faudrait les ramener à leur juste place et ne plus en faire des langues d'Etat comme c'est actuellement le cas. Continuer dans ce sens, c'est appauvrir le patrimoine culturel de l'Afrique, du coup de celui de toute l'humanité en [PAGE 45] commettant en même temps un crime contre l'Afrique de demain. Nous n'avons pas ce droit.

Les linguistes, les professionnels des sciences de l'éducation ont bien montré la liaison directe entre succès scolaires et apprentissage en langue nationale, nous entendons maternelle. Duhaye Danioko, dans la thèse d'état de l'éducation, « L'éducation au Mali » Université de Paris I, en 1972, a analysé en la quantifiant la déperdition qui s'effectue chez nous en scolarisant en français. On pourrait pour plus d'éléments voir le numéro 3 de Peuples Noirs du mois de mai-juin 1978 où l'auteur expose, de façon succincte, quelques aspects dus à la rupture entre enseignement et sociologie dominante, elle-même résultante d'un syncrétisme qui unit, depuis la première moitié du 13e siècle, tous les peuples de l'Etat Malien actuel.[11] Que l'enseignement et l'éducation officielle correspondent à notre formation sociale, voilà ce que réclament nos jeunes frères à Bamako, à Ségou et partout où ils se trouvent, comme à l'A.E.S.M.F. à Paris qui possède sa commission de langue nationale.[12]

Ils demandent que cessent la dépendance culturelle et son complément, la dépendance alimentaire, sachant que la première tue moralement et spirituellement, la seconde physiquement. L'évolution de la production de mil [PAGE 46] et sorgho, base de l'alimentation de la majorité des Maliens depuis l'époque Modibo, ne fait que donner raison aux mouvements estudiantins et scolaires.

Examinons les statistiques de la direction nationale du Plan (1965-70).

1965
1966
1967
1968 Année du coup d'Etat
1969
1970
      750 000 tonnes
737 000 tonnes
830 000 tonnes
558 000 tonnes
603 000 tonnes
600 000 tonnes

Depuis cette date, la production commercialisée et les quantités comptabilisées baissent. Il semble que la production se serait stabilisée autour de 500 000-600 000 tonnes par an.

En admettant le niveau de consommation normal 0,5 kg de mil par Malien et par jour, le pays devrait produire pour se suffire près de 3 250 000 t. On voit bien que nous sommes actuellement loin du compte. La production statistiquement connue ne couvre même pas le tiers des besoins normaux.

Cette situation d'insuffisance alimentaire nous vient de notre premier gouvernement, aggravée et amplifiée par la politique de démission nationale des militaires. La présence de ces derniers au pouvoir ne s'explique que par l'échec des premiers, rejetés, depuis les années 1965-66[13], par notre peuple qui avait déjà saisi la véritable nature de ses dirigeants.

Ainsi rien d'étonnant qu'en novembre 1968, quand l'équipe de Yoro Diakite, lui même arrêté par la suite et mort en détention, s'empare des organes de l'Etat, les populations de la capitale et du pays soient restées muettes. [PAGE 47]

De grenier traditionnel de l'Ouest africain, le Mali devient l'un des mendiants les plus réputés de l'Afrique, des pays arabes à ceux de l'Est en passant par l'Occident. Les responsables maliens sont indexés.

Où est alors la fierté nationale, que fait-on de la simple dignité, et quel sens donne-t-on au mot indépendance ?

En refusant l'humiliation, la lutte des étudiants sauvegarde l'avenir tout en perpétuant une longue tradition de combat pour la liberté et l'identité.[14]

Rappelons que le XVe congrès de l'A.E.S.M.F. (association des étudiants et stagiaires maliens en France) tenu les 23, 24, 25, 26 décembre 1966 avait éclairé et mis à nu « la faillite du R.D.A. dans la construction du socialisme scientifique au Mali »[15] et souligné les combats des ouvriers sur les chantiers de Koulouba, de Koulikoro. Dans les faits, les étudiants intégraient leurs luttes à celles des travailleurs.

II. – ELEVES ET ETUDIANTS D'AUJOURD'HUI CONTINUATEURS D'UNE LONGUE LUTTE

En 1964, deux ans après le choix socialiste, l'Afrique combattante, les intellectuels engagés sont pleins d'enthousiasme.

Le Mali, dira et écrira F. Fanon, « décidé à tout, fervent et brutal, cohérent et singulièrement acéré, étendait la tête de pont et ouvrait de précieuses perspectives ».[16]

Combattant de la révolution africaine aux côtés du F.L.N. algérien, il voulait que la révolution enflammât le continent du nord au sud. L'indépendance de l'Algérie le [PAGE 48] 5 juillet 1962, l'option malienne, semblaient répondre, partiellement, à son idéal.

A l'époque son optimisme répondait à celui de K. Kruma et aussi à celui du peuple malien qui croyait en la justesse de l'option socialiste.

Mais très vite, dès 1965, les étudiants maliens en France, section nationale de la F.E.A.N.F. (Fédération des étudiants d'Afrique Noire), dénoncent l'autoritarisme du régime, ses pratiques antidémocratiques et la subordination culturelle à l'ancienne puissance colonisatrice.[17]

En cette période les sections nationales de la Fédération ne saisissaient pas la signification des critiques adressées à l'équipe de Modibo Keita par leurs camarades maliens.

Si, à Bamako, les responsables demandaient « de laver le linge sale en famille », beaucoup d'étudiants admettaient, systématiquement, que « c'est mieux au Mali ».

Mais la suite des événements éclairera leurs esprits.

Ce fut d'abord la répression.

En effet, l'année 1965 voit l'expulsion, du sein de la jeunesse malienne, de l'A.S.E.M.F. (Association des scolaires et étudiants maliens en France).

La même année, à Alger, les membres de l'ambassade et le représentant du parti au congrès des étudiants maliens en Algérie quitteront la salle. Ils refusent ainsi la motion, obtenue après vote, de l'indépendance du mouvement étudiant par rapport à l'U.S.R.D.A. (Union soudanaise R.D.A. regroupement démocratique africain).[18]

C'était là aussi la rupture.

Suivront alors les suppressions de bourses d'études.[PAGE 49]

Si, dans les pays de l'Est, le mouvement de contestation des pratiques du régime est divisé, toutes les sections reconnaissent la légitimité des revendications des étudiants de France et d'Algérie.

Au même moment, sur le plan économique, Samir Amin qui avait d'autre part participé à l'élaboration du premier plan quinquennal, parlait déjà « d'un socialisme caricatural » et d'absence « d'une organisation effective des masses ».[19]

Les étudiants disaient la même chose pour l'éducation, la culture, tout en soulignant la bureaucratisation du système.

L'année 1966 donne raison aux étudiants dont les critiques sont reprises par la jeunesse tout entière.

Le pouvoir alors s'inquiète.

Le 1e mars 1966, il crée le C.N.D.R. (Commission nationale de défense de la révolution) présidé par le chef de l'Etat. Elle lui accorde les pleins pouvoirs sur l'Etat et le parti.

Le peuple, on le voit, est oublié.

Mais en 1967, ce dernier se fera entendre, popularisant les idéaux des étudiants, dont certains, rentrés en vacances, sont arrêtés, et d'autres incorporés dans l'armée. Evoquons les noms de Guindo Ousmane et de Santara Mamadou arbitrairement retenus et enrôlés dans l'armée.

Les 18 et 20 juillet, consécutivement aux accords monétaires, les masses populaires manifestent à Bamako et dans les villes du pays.[20] Les étudiants en vacances [PAGE 50] sont traqués. Les gendarmes vont les dénicher dans les villes, les villages, au soin des familles. Contrôles, arrestations suivent.

Le sort a voulu que leur visite dans mon village me trouvât absent. Ce qui ne fut pas, malheureusement, le cas de tous les camarades.

Mais la chasse aux sorcières, à ceux que l'on appelait « les enfants de l'école » n'apaisera point les esprits d'un peuple dont on a confisqué les espérances.

A juste titre il va dénoncer la corruption, les privilèges, les villas, mais aussi les taxis, les fermes, et surtout les accords monétaires franco-maliens.

Les mesures qui vont suivre, saisie de 168 taxis, autocritique obligatoire et écrite pour tous les cadres et soumise au C.N.D.R., destitution d'A. Singaré, de S.N. Diaye, hauts dignitaires du parti, arriveront trop tard.

Le peuple ne croit plus en ses dirigeants et moins encore en la pratique de leur socialisme d'autant plus que le président Modibo Keita concentrait les pouvoirs par la dissolution de l'Assemblée Nationale. Ici, les députés sont obligés de démissionner collectivement et d'investir de leur pouvoir le chef de l'Etat, déjà président du C.N.D.R.

On voit donc que le président de la République possède bien tous les pouvoirs effectifs.

C'est ce que souligne le journal l'Essor dans son numéro hebdomadaire du 22 janvier 1968. Le journal national note que le chef de l'Etat « devra instituer par ordonnance la permanence du pouvoir législatif en attendant la mise en place de nouvelles institutions parlementaires, procéder à la rénovation de toutes les institutions de l'Etat ».

La création de la délégation législative, du secrétariat général de la présidence de la République sera, on s'en [PAGE 51] doute, loin de répondre aux aspirations des travailleurs et aux revendications des élèves et des étudiants.

Aussi, c'est dans l'indifférence générale que le 19 novembre 1968, après les mouvements estudiantins de l'été, les militaires s'empareront du pouvoir.

Sans répit, étudiants et élèves continuent leur lutte. Face à Tiécoro Bakayoko, alors directeur de la sûreté nationale, aujourd'hui en prison, ils ne plient pas malgré les brimades physiques, les arrestations.

A Paris, pour les soutenir, l'ambassade est occupée par l'A.E.S.M.F. (Association des étudiants et stagiaires maliens en France).[21]

Cette fois la F.E.A.N.F.[22], suite à son 21ème congrès réuni en décembre 1968, un mois après le coup de force, publie une motion. « Le coup d'Etat militaire, lit-on, a été préparé par l'impérialisme français en vue de son introduction en force dans ce pays. ».[23] On peut souligner en force, ce qui signifie que l'impérialisme n'a jamais quitté le sol malien.

Ainsi, comme durant le régime Modibo, les jeunes intellectuels se battront sans relâche sous la dictature militaire. La création d'une association estudiantine fantoche inféodée à l'U.D.P.M.[24] (Union démocratique du peuple [PAGE 52] malien) n'a guère pu entraver ni affecter leur ardeur. Souvenons-nous que l'U.D.P.M., issue de la farce électorale du 2 juin 1974, fut en son temps dénoncée par le regroupement des patriotes maliens dont la majeure partie des membres sera arrêtée. Le journal Le Monde, souvent muet sur les problèmes africains, évoquera à quelques reprises, avec certes du retard sur l'événement, la combativité de notre jeunesse scolaire et estudiantine. Citons le numéro du 22 décembre 1979 signé P.B. où la teneur de l'article souligne pour le lecteur la pérennité du combat.

« Endémique, écrit l'auteur, depuis plusieurs années, l'agitation des étudiants a pris, au cours des dernières semaines, une ampleur sans précédent qui, au-delà de ses motivations corporatistes, lui confère une dimension politique. »

Disons à notre journaliste que la lutte de la jeunesse intellectuelle a toujours été fondamentalement politique depuis que notre peuple a été spolié de sa dignité et de sa souveraineté par l'Union soudanaise du regroupement démocratique africain, depuis, incontestablement, l'année 1964.

Les grèves de 1969 (mars), évoquées seulement le 13 mai par le Monde, étaient aussi politiques.

Le pouvoir militaire et le R.D.A. ont bien compris la dimension politique des diverses actions scolaires et estudiantines, ce qui explique la permanence de la répression.

Rappelons les manifestations de décembre 1979, celles qui ont marqué l'année scolaire (1979-1980) et qui ont causé la mort de notre jeune frère Abdoul Karim Camara, secrétaire général de l'Union nationale des élèves et étudiants du Mali.

C'est aussi durant cette longue résistance de la jeunesse que notre jeune sœur Rokyo Kouyate, secrétaire générale du comité scolaire, sera battue et violée par les policiers. C'est également l'arrestation de près de 350 élèves et étudiants et d'une trentaine de professeurs, dont la majorité est torturée. Nous rendons hommage à tous ces vaillants combattants auxquels le Mali et toute l'Afrique [PAGE 53] seront reconnaissants, un jour. Le journal Le Monde nous a surpris en publiant sous la plume de Philippe Decraene deux articles datés du samedi 12 avril 1980 et du Monde du dimanche (13-14 avril) qui, pour la première fois, essayaient de présenter à l'opinion française et internationale une vision assez objective de la situation socio-économique du Mali. On doit néanmoins contester le rôle attribué à Moscou et les intentions que l'auteur prête à l'Algérie sur ses agissements sur la frontière nord.[25]

Y a-t-il vraiment un lien entre la présence russe au Mali et la répression qui s'abat sur notre jeunesse ? Tout le monde sait, y compris Monsieur Decraene, qui a exploité et occupé le Mali pendant 70 ans entre 1890 et 1960, déstructurant son économie et exportant sa force de travail. Tout le monde sait également que la frontière algéro-malienne arbitrairement tracée au début du siècle par la France est loin d'être une préoccupation des peuples confrontés à des problèmes plus fondamentaux d'existence quotidienne et de manque de liberté. Malgré les deux allusions tendancieuses à l'encontre des Algériens et des Russes, le journal de la bourgeoisie intellectuelle française a néanmoins fait un net progrès dans ses analyses et informations sur le Mali. Il suffît de rappeler l'article de Jean de la Guérivière du Monde du 21 avril 1972, où Moussa, président de la République, était traité comme « un gestionnaire honnête ». J'espère que son confrère Decraene lui fera changer d'avis quand il saura que le gouvernement de Moussa n'arrive même pas à « payer [PAGE 54] ses fonctionnaires et ses étudiants et que sa capitale est la plus sale d'Afrique ».[26]

On voit donc, certes partiellement, que la voix de notre jeunesse se fait entendre. Les prises de position de la C.G.T. et du Parti socialiste français sont là pour le prouver, sans oublier celles d'Amnesty International. Même le gouvernement français, qui a maintenu par son aide financière la junte militaire au pouvoir, n'est pas resté indifférent à la lutte courageuse et acharnée des élèves et étudiants. Il semble que l'aide budgétaire de 2,5 milliards de francs en 1978 est passée à 1 milliard en 1979. Monsieur Decraene nous apprend que cette aide est supprimée.[27]

Certes, le chemin sera long et parsemé de misère comme en témoignent depuis décembre 1979 les activités revendicatives englobant enseignants et élèves. Les uns et les autres sont restés jusqu'à aujourd'hui sans traitements.

Le discours du 20e anniversaire de l'Indépendance du président Moussa Traoré, en date du 21 septembre, présage, dans la situation actuelle, des lendemains sanglants dans la mesure où les scolaires, comme en été, ne sont pas prêts à regagner les bancs et à faire leurs examens selon le dicktat présidentiel. La nomination d'un militaire au Ministère de l'Education Nationale en remplacement du civil sortant en dit long sur les intentions de Moussa.[28]

Mais nous connaissons la vaillance de nos composantes nationales. Les étudiants et élèves qui en sont les manifestations les plus profondes, les plus vives, aujourd'hui les plus dignes ne pourront, tôt ou tard, que vaincre.

N'oublions pas qu'auprès des enfants comme on dit chez nous les parents veillent, c'est-à-dire le peuple malien tout entier.

Mais cette fois-ci, après l'orage, ce dernier devra rester toujours très vigilant. [PAGE 55]

Le Bulletin du Peuple[29], porte-parole des Maliens engagés pour libérer le pays, témoigne déjà de cette vigilance quand il écrit « qu'il faudrait construire du neuf sur les cendres du régime, c'est-à-dire un régime démocratique et populaire ».

III. – LE PEUPLE NE DOIT PLUS SE TROMPER

La sagesse populaire enseigne chez nous « Koni basa ku matigé a tè dingè da yè ».[30]. Ayant subi les plus dures épreuves sous le règne militaire, les masses comprendront, avec l'échec de l'U.S.R.DA., que leur salut est ailleurs. Le peuple ghanéen, fidèle à la mémoire de Khrumah, a bien assimilé la leçon du passé en donnant l'immense majorité parlementaire aux élections de juin 1979 au parti de l'ancien panafricaniste, c'est-à-dire à celui qui est le plus en conformité avec leur conscience sociale. Au Mali, les difficultés quotidiennes d'existence[31], surtout chez les ouvriers et les paysans qui constituent 98 % de la population, ne pourraient plus permettre l'installation au pouvoir de nouveaux affameurs et exploiteurs des travailleurs. L'infime minorité de privilégiés que sont les agents de l'Etat, corrompus pour la plupart, sont déjà repérés par les élèves et étudiants et par toute la jeunesse. Rien de surprenant que depuis le début de l'année scolaire 1979-1980 ils leurs rendent la vie difficile, les obligeant à abandonner leurs voitures luxueuses, les pourchassant à coup de pierre, de gourdins à travers les rues de Bamako. L'ennemi de classe est identifié, on est en train de l'abattre. Ainsi les étudiants ont-ils tracé la voie future pour l'identification du pays qui, en tous points, a une situation socio-culturelle et socio-économique [PAGE 56] inférieure quantitativement et qualitativement à celle de 1960, année de la fin officielle de l'occupation française.[32]

Contre celle-ci, la culture nationale s'était consolidée. De l'habillement à l'éducation familiale et aux respects des héritages sociologiques, tout reflétait la dignité. Aussi les 60 ans de colonisation n'avaient guère déraciné le peuple malien. Vingt ans après nous n'avons même pas un ministère de la Culture qui, fondamentalement, constitue l'âme d'un peuple. C'est la culture qui conditionne le procès du travail tout en le ramenant aux bases sociales par l'intégration de l'économique à la formation historique. La culture officiellement réduite à la presse (Essor, journal gouvernemental, Kibaro journal gouvernemental réservé aux paysans), à la radio et au cinéma (occidental), ne cerne plus l'homme Malien dans sa production. Sinon comment comprendre que nous importions des huiles de cuisine alors qu'il y a le karité chez nous, dont la production d'huile est maîtrisée par les femmes ? Que fait-on de nos arachides ? Comment comprendre également que le Mali importe, à des prix faramineux, des socs de charrue alors que nos forgerons peuvent les fabriquer ? Que fait-elle chez nous cette flopée de coopérants dits techniques qui ne connaissent même pas nos langues, ignorent notre histoire ? Pourquoi encourager la culture du riz alors qu'il est démontré que le mil, aliment de base, est plus riche que le riz et que les agriculteurs l'ont préféré, historiquement[33] à ce dernier ? Arrêtons là les aberrations de la pratique économique liées essentiellement à l'absence de la dimension culturelle dans le système [PAGE 57] de production. Nous disons avec le militant afro-américain Marcuse Garvey « A people without the knowledge of their past history, origin and culture is like a tree without roots. » Sans culture en effet nous voyons, nous bâtissons pour la majorité de nos Etats depuis les indépendances sur du sable, car les édifices économiques n'ont pas les racines adéquates. Cette remarque est valable pour tous les Etats africains où les gouvernements néocoloniaux ont sacrifié leur langue, leur pays, et avec eux leur économie, aux intérêts des puissances étrangères à nos valeurs morales, spirituelles et humaines.

Mais comme disait Patrice Lumumba « l'Afrique, un jour, écrira sa propre histoire ».[34] Nous pouvons ajouter qu'un jour elle recréera et vivra sa propre culture. A ce moment-là seulement, nous pourrons nous libérer, au sens plein du mot.

Les élèves et étudiants maliens en sont sûrs, comme ceux de Ouagadougou, en Haute-Volta qui viennent de conspuer le président de l'Assemblée nationale de leur pays, le lapidant dans sa voiture, comme le font chez nous leurs camarades. Ils sont également certains les étudiants kabyles de Tizi-Ouzou, que leur culture s'imposera un jour en Algérie au même titre que l'arabe qui s'impose maintenant au français après 130 ans de domination.

Abd el-Kader, le grand patriote algérien qui, de 1830 à 1847, a lutté contre l'envahisseur français, ne disait-il pas à son ennemi le plus redoutable, le général Bugeaud[35], futur duc d'Islie que vos « moissons pourriraient en Algérie » ? Nous pouvons dire autant de la culture occidentale et européenne qui nous envahit actuellement, tout en nous aliénant. [PAGE 58]

Pour y arriver, trois grandes entreprises attendent les Maliens. La première consiste à rejoindre la lutte des scolaires, étudiants et enseignants et populariser leurs idéaux. Pour cela, l'Union de tous les patriotes qui ont encore le sens de la dignité, et il y en a, est une nécessité vitale. L'objectif sera : « Abattre le régime militaire ».

En second lieu doit suivre la création d'une commission nationale. Elle comprendra les représentants élus[36] des 10 200 villages et 47 villes de la République. Afin de déterminer les niveaux de destruction de l'économie et de définir clairement, sans démagogie, les priorités qui s'imposent, chaque délégation populaire doit présenter un cahier de l'Etat Général de ses forces productives (population, ressources, besoins vitaux, réalisations, niveaux de blocage de la production). L'objectif de cette 2e action : élaborer une planification conforme aux aspirations de la majorité des Maliens en puisant, pour l'essentiel, dans notre patrimoine technologique. De ces deux premières actions sortira nécessairement une représentation conforme à notre formation sociale, disons[37] tout simplement à la culture à son stade actuel.

Ce ne fut pas le cas en 1960 quand l'U.S.R.D.A., victorieuse grâce à la mobilisation du peuple tout entier, prit le pouvoir.

Avec près de 98 % de paysans à l'époque, le Congrès Extraordinaire du 22 septembre 1960 qui définira le programme économique du pays ne peut aligner à leur compte que 65 délégués contre 135 pour les agents de l'administration et les intellectuels. Notons que ces représentants ne siègent même pas au bureau, moins encore au gouvernement. Une telle situation ne pourra plus ainsi se produire, la démarche consistant à créer le lien entre ce que nous sommes actuellement, ce que nous étions et ce que seront les Maliens. C'est seulement de la réalisation de [PAGE 59] cette triple démarche que nous sortirons du trou dans lequel s'enfonce, depuis 1965 de façon nette, le pays.

Nous pourrons ainsi attaquer le « sous-développement »[38], comme on dit, à la racine.

Toutes les autres approches ne feront qu'aggraver notre dépendance, donc notre misère, mais aussi celle de l'Afrique et aussi du peuple noir. Nous rendrons service par ces actions à tous ceux qui luttent pour la dignité de l'homme et pour son plein épanouissement partout dans le monde.[39]

Tingé COULIBALY


[1] Proverbe Bambara signifiant très approximativement en français « même les jours les plus lointains finissent bien par arriver ».

[2] U.S.R.D.A. (Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain). A ses débuts, elle combat non seulement le colonialisme français, mais aussi réclamait, face aux assimilationnistes, l'indépendance des pays de l'Afrique Occidentale sous domination française. En 1946, sous l'impulsion de Mamadou Konate, elle s'imposera dans les villes et progressivement, les campagnes.

En 1958-1959, l'U.S.R.D.A. absorbera le P.S.P. (Parti progressiste soudanais) et le P.R.S. (Parti progressiste et de regroupement). Trahissant les nobles aspirations des masses rurales qui la porteront malgré tout au pouvoir en 1960, elle refusera, en 1958, l'indépendance effective, en imposant le OUI à ses membres. Seule la section guinéenne du R.D.A. prendra ses responsabilités devant l'histoire, disant NON au référendum du Général de Gaulle en septembre 1958.

Paradoxalement, au Mali, ce fut le P.S.P. qui appela ses fidèles à dire NON alors que pendant la colonisation il était soutenu par l'administration française.

[3] Un franc malien équivaut à 0,01 franc français.

[4] 2,9 millions de francs en 1964. Voir page 14, L'Etudiant malien, mars-avril 1968.

[5] Qui ne connaît, à Bamako, auprès des militaires, la magouille des intellectuels, des cadres administratifs pour monter d'échelon, avoir tels privilèges. Certes, il est impossible de confondre dans un même jugement tous les fonctionnaires, tous les travailleurs. Nous pensons ici à l'action énergique de l'U.N.T.M. (I'Union Nationale des Travailleurs Maliens) qui continue la lutte. Les arrestations de Mamadou Famadi Sissoko et de Mama Kéita en 1969, alors dirigeants de l'Union, le refus du C.M.L.N. (Comité Militaire de Libération Nationale) de reconnaître en octobre 1970 le Conseil Central de l'U.N.T.M. issu du deuxième congrès, n'ont point arrêté leur combat, ni celui des enseignants.

[6] Il est en effet difficile de voir ses gouvernements, ses enfants diplômés ès-lettres ou ès-sciences (françaises) et se laisser imposer une formation précaire en langue nationale. Sachant pertinemment que les postes viables sont fonction du maniement de la langue de Descartes et non de celles de Sondjata Keita, de Biton Coulibaly ou d'Askia Mohammed, leurs ancêtres, ils trouvent, à juste titre, leur formation suspecte et la refusent. Faisant ainsi leur l'aliénation des dignitaires du R.D.A. (Modibo Keita, Jean-Marie Koné n'ont-ils pas toujours été hostiles à l'enseignement en langue nationale ?), ils deviennent les victimes d'un modèle. Par quel miracle le peuple pouvait-il donc l'accepter, quand on sait par ailleurs, que l'U.S.R.D.A. s'est institué parti unique ?

[7] Annuaire statistique du Mali, année 1973, p.120.

[8] Annuaire statistique de la F.A.O. (1974), cité par la revue Historien et géographe, no 279 de juin-juillet 80. p.826.

[9] Le discours du président Moussa Traoré à l'occasion du vingtième anniversaire de l'indépendance daté seulement du 21 septembre 1980 ne fait que confirmer nos analyses et nos données statistiques. Nous apprenons que seule la production du coton a atteint les objectifs prévus par le dernier plan. Ce n'est pas une nouveauté.

[10] Le ministre de l'Education nationale possède les alphabets des langues ainsi que les formes grammaticales afférentes. Pourquoi se limite-t-il seulement à faire des livres au service de l'alphabétisation fonctionnelle ? La réponse est simple. C'est parce que le ministère de l'Education au Mali, comme dans la majorité des Etats de l'Afrique de l'Ouest, a un rôle déculturatif et nécessairement idéologique. Il perpétue la domination culturelle de l'Occident, dépossédant les enfants, les peuples de leur personnalité, de leur identité, bref, de leur être social et historique. Il s'agit, en dernière analyse, de légitimer dans les esprits encore malléables des adolescents l'exploitation, ô combien sanguinaire et séculaire, de l'Afrique par les Blancs.

[11] C'est en effet sous le règne de Soundiata Keita (1230-1255) que naissent, dans l'empire ainsi crée par la défaite de Soumangourou Karité à Kirina, vers 1235, les systèmes des alliances entre certains noms de famille et certaines régions. Les régions, notons-le, étaient et restent encore des espaces nationaux. C'est ainsi que Bambarras, Malinkes, Peuhls, Bobos, Sarakoles, Soussous se trouvent après la victoire à Kouroukanfougan, près de Kangaba, pour sceller leurs liens. Cependant le sinakuya (sorte de pacte du sang, de non-agression) qui se manifeste par les plaisanteries ne date pas de Soundiata. Certains sont plus anciens. La nouveauté c'était sa reconnaissance à une plus grande échelle géographique.

[12] Association des Etudiants et stagiaires Maliens en France, membre de la F.E.A.N.F. (Fédération des étudiants d'Afrique Noire en France). L'A.E.S.M. tient des congrès annuels qui élisent un C.E. composé de cinq membres. Elle possède des sous-sections académiques de Province et des maisons communautaires (cités universitaires ou de stagiaires).

[13] Cette période est marquée à l'extérieur par la chute de K. Krumah le 27 février 1966, et, à l'intérieur, la création du comité national de défense de la révolution, le renforcement de l'U.S.R.D.A., c'est-à-dire du parti unique au pouvoir, le retour en zone franc. Le peuple, progressivement, perd confiance. Avec les actions des milices populaires qui terrorisent les populations, la dévaluation du franc malien le 5 mai 1967, il ne se sent pas lié à ses gouvernants. Le tableau se ternit définitivement avec les importations de 30 000 t de riz, car la production est alors inférieure à celle de 1950.

[14] Après l'éclatement de la fédération du Mali regroupant la République du Sénégal et la République soudanaise dans la nuit du 19-20 août 1960, la pression de la jeunesse R.D.A. d'alors poussera très vite en septembre à la création de la République indépendante du Mali. D'autre part, l'option socialiste peu perceptible dans la constitution, sera imposée par la jeunesse aux responsables du parti au séminaire du 22 septembre 1962. On comprend ainsi la maturité politique de la jeunesse et sa vigilance pour la conservation des acquis de notre peuple.

[15] Voir bulletin intérieur no 2 de février.

[16] In « Pour la Révolution africaine ». Page 204, édité chez F. Maspéro, Paris, 1964.

[17] Quatre faits sont à l'origine de la dénonciation des étudiants; l'obligation pour les élèves et étudiants de prendre la carte du parti. Faire corps avec la jeunesse du parti. L'expulsion de l'association générale des étudiants maliens de la section de France et d'Algérie. Enfin la non utilisation des langues nationales dans l'enseignement sera la grande discorde avec les responsables de l'U.S.R.D.A. Ces données ne sont que des éléments structurels d'une opposition fondamentale à la nouvelle bourgeoisie nationale que la jeunesse abhorrait, que les étudiants fustigeaient et qui tendait la main à l'impérialisme américain et français.

[18] Nous rendons hommage ici à la mémoire de notre camarade Diarra Ousmane alors représentant au congrès la section de France et grande figure de la lutte estudiantine, accidentellement décédé au pays, après ses études vétérinaires.

Son combat se perpétue sous nos yeux par les actions courageuses des élèves, lycéens et étudiants d'aujourd'hui.

[19] Le Mali : encyclopédia universalis. Paris, 1968, volume 10, pour plus d'information

[20] Rappelons que ces accords ne sont que la conséquence logique de la situation monétaire ambiguë du gouvernement. En effet la politique de « neutralisme positif » des dirigeants les maintenait dans la zone franc tout en les excluant de l'union monétaire ouest africaine. Ainsi, déjà en 1963, des accords financiers sont signés avec la France qui refuse cependant, en 1964, de garantir le franc malien.

En février 1965, les négociations monétaires reprennent avec Ousmane Bah, ministre des Affaires étrangères, Seydou Badjan Kouyaté, ministre de l'Economie et Louis Nègre, alors, directeur de la Banque du Mali. Il a fallu attendre le 15 février 1967 pour voir sombrer le franc malien avec la complicité du nouveau ministre de l'Economie, Jean-Marie Koné. La monnaie nationale est dévaluée de 50 % et la libre convertibilité entraînera la fuite des capitaux. C'est contre cette situation que les Maliens ont manifesté.

[21] A l'ambassade, la police française, avec l'ordre de l'ambassadeur intervient. Fichages à l'ambassade, au commissariat suivent. Trente noms sont envoyés à Bamako où Tiécoro le tortionnaire, par l'intervention du ministre de l'Education nationale Yaya Bakayoko, jouera, en été 1969, au grand moraliste devant les manifestants rentrés en vacances. « Ne faites plus de politique, faites vos études », nous conseillait-il après les longs interrogatoires de ses agents qui nous demandaient de dénoncer nos camarades, d'expliquer les buts de nos revendications, etc. Nous finirons tout de même par pouvoir entrer en possession de nos passeports qui avaient été confisqués à l'aéroport. « C'est grâce à votre ministre que je vous laisse », sera la dernière phrase qu'il m'adressa.

[22] Rappelons que la F.E.A.N.F. vient d'être dissoute en application du décret-loi de 1939, après 30 ans d'existence en France. C'est inquiétant.

[23] Cf. « L'étudiant d'Afrique noire » d'octobre 1969, p.49.

[24] Elle rappelle étrangement le R.E.S.M.E.F. (Rassemblement des stagiaires et étudiants maliens en France) créé par l'U.S.R.D.A. pour lutter et dénoncer les étudiants le l'A.F.S.M.F., l'association réelle, mais exclue.

[25] Il convient ici d'éclairer un peu les esprits. En 1965, quand les sahariens blancs poussés par la France se soulèvent contre le gouvernement socialiste de Modibo Keita, le gouvernement algérien de Ben-Bella refuse d'appuyer les séparatistes et les recevoir sur son territoire qui a cependant près de 1500 km de frontière avec notre pays. Avec le colonel Boumédienne, la politique algérienne est restée africaine vis-à-vis du Mali et caractérisée par une entente solide qui remonte à la guerre de libération coloniale (1954-1962). Il est donc faux et malhonnête de laisser croire que l'Algérie veut accaparer une portion du Sahara malien. Les Africains qui connaissent les écrits de M. Decraene découvriront vite le caractère tendancieux de ses insinuations.

[26] Cf. Articles P. Decraene sus-cités.

[27] Cf. Article cité dans Le Monde des 12, 13 et 14 avril 1980.

[28] Le 2 septembre 1980 déjà deux responsables enseignants ont été condamnés à quatre et trois mois de prison. Le 30 du même mois, Ibrahima Samba Traoré, ancien secrétaire général de l'A.E.S.M.F. et ancien secrétaire du Comité de défense des Libertés Démocratiques au Mali, sera arrêté.

[29] Cf. « Le Bulletin du Peuple », no de février 1980.

[30] On pourrait le rendre par la formule française simplifiée « l'expérience paie ». Mais littéralement « Tant qu'on ne coupe pas la queue du lézard, il ne voit pas son trou ».

[31] Le manque de grains d'un côté, les étudiants morts, la disparition de nombreux d'entre eux, l'emprisonnement d'autres avec leurs professeurs toujours à leur côté, ne s'effacent pas si facilement de la mémoire d'une population. L'échec de la manifestation organisée pour le 22 mars 1980 ne fait qu'annoncer la fin d'une tyrannie.

[32] Pour qui a parcouru les villes et les campagnes maliennes à cette époque, le bonheur de vivre, l'auto-suffisance alimentaire, la fierté et la dignité étaient les composantes omniprésentes. C'est ce que soulignait le grand chantre national Bazoumana Sissoko dans ses chansons épiques. C'est ce que note aussi Gérard Brasseur, observateur étranger. « Les premières années du Mali ont été vécues sous le signe de la foi et de l'enthousiasme ».

In Notes et Etudes Documentaires « Le Mali » no 40814083, avril 1974.

[33] Originaire de la vallée du Niger, le riz, variété Oriza globerrina, est sélectionné depuis la préhistoire par les paysans maliens. La variété dit asiatique (oriza sativa) aurait été amenée par les Portugais à partir du XIVe siècle

[34] Patrice Lumumba in Dernière lettre à sa femme.

[35] Bourreau du peuple de Paris consécutivement à l'insurrection de février 1834, Bugeaud, commandant de brigade, sera envoyé en Algérie en 1836, six ans après la prise d'Alger. Le 30 octobre 1837, i1 conclut avec Abdel-Kader le traité de la Tafna qui redonnait à celui-ci l'autorité sur l'Ouest Algérien... Très vite, le traité sera violé quand le même Bugeaud devient, en 1840, gouverneur général de l'Algérie. Créateur des colonnes mobiles, auteur de la politique de la terre brûlée, inventeurs des bureaux arabes. Bugeaud a été l'un des agents les plus meurtriers de la pénétration française en Afrique.

[36] Le nombre des porte-paroles populaires dépendra des populations elles-mêmes.

[37] En majorité paysanne, les forces productives africaines sont exclues de la gestion et des décisions. Les gouvernements qui exercent leurs responsabilités sont à l'image inverse de notre société car l'immense majorité est imbue (ce qui n'est pas leur faute) de la culture européenne, et esclave (ce qui est un choix) du modèle européen d'être.

[38] Créé par les économistes européens des années 1950, le concept est fondamentalement structuraliste, renfermant l'équilibre des sociétés humaines dans une simple problématique matérialiste.

[39] Cet article a été écrit avant les changements intervenus récemment en Haute-Volta et avant la grande vague répressive qui vient de s'abattre sur les universitaires, lycéens et écoliers maliens (N.D.L.R.).