© Peuples Noirs Peuples Africains no. 17 (1980) 117-134



ANDRÉ MALRAUX ET SEMBENE OUSMANE:

CREATEURS DES ROMANS PROLETARIENS HISTORIQUES ?

S. ADE OJO

I. Les deux écrivains

André Malraux et Sembène Ousmane sont comme des frères littéraires. Ils sont tous les deux contestataires, anticonformistes et hommes d'action par excellence. Deux des romans de Malraux, Les Conquérants et La Condition Humaine situés en Chine et tous les romans de Sembène décrivant les vicissitudes des Noirs tirent leur raison d'être de la révolution ou de la révolte prolétarienne et de la philosophie humaniste de libération et d'égalité prônée par chacun des deux écrivains.

Alors que Malraux décrit dans ses romans prolétariens la prise de conscience par le prolétariat chinois de son exploitation, analyse sa lutte contre l'injustice, l'oppression et le pourrissement qui sévissent sur sa société, Sembène met l'accent dans ses romans sur la souffrance et la révolte des prolétariens africains et dénonce toutes les forces politico-économiques et sociales qui briment les Africains et [PAGE 118] amortissent leur épanouissement mental et socio-économique. Les deux sont donc partisans des aspirations du prolétariat, décrivent avec passion et engagement la condition socio-économique et psychologique des prolétaires, examinent avec beaucoup de profondeur les tentatives de ces derniers pour faire fi à toutes les forces inhumaines au moyen desquelles les oppresseurs capitalistes et impérialistes légalisent leurs privilèges et tentent de nier les valeurs humaines et la dignité des ouvriers. Ils sont donc tous deux attirés par la collectivité au sein de laquelle les individus se définissent. Pour affirmer leur engagement à la cause de cette collectivité, Malraux et Sembène proposent des solutions assez semblables à la mise à mort de l'exploitation des ouvriers par leurs maîtres. Parmi celles-ci sont la grève et le combat nourri de la violence intellectuelle, militaire, politique, psychique ou morale. Ils suggèrent également le culte du moi et le nationalisme.

Il va sans dire que Malraux a beaucoup influencé Sembène dans sa création romanesque et dans sa conception de la condition humaine. Et môme, La Condition Humaine, roman à héros multiples, le plus prolétarien des romans de Malraux (publié en 1933 quand Sembène avait dix ans) est le favori de plusieurs personnages des Bouts de Bois de Dieu qui (publié en 1960) est aussi un roman à héros multiples et le plus prolétarien des romans de Sembène. A part l'identité géo-politique des personnages des deux romans, les deux se ressemblent à beaucoup d'égards. Mais ce qu'il faut surtout souligner au sujet des deux romanciers, c'est qu'ils se sont servis des expériences vécues pour créer leurs œuvres. Qu'est-ce que chacun a fait pour rehausser les incidents historiques qui nourrissent leurs œuvres au niveau de l'art ? Examinons tout d'abord le rapport entre l'histoire, l'art et le romancier.

Il. Histoire, art et romancier

Alan voit l'histoire comme « œuvre de science et de critique »[1] Cette définition tient compte de la spécificité de [PAGE 119] l'histoire qui est « un inventaire, un ensemble hétérogène des pièces détachées ». Elle tient également compte du fait que l'histoire parle du réel – du passé et du présent et, en tant que tel, elle ne peut pas se séparer de l'objectivité (historique). De plus, l'histoire cherche à établir le vrai qui se fonde sur les hypothèses, la subjectivité de l'historien et des données historiques repérées dans des documents écrits, des fouilles archéologiques et des renseignements oraux.

Or, la littérature étant, selon Aristote, « plus philosophique » (donc plus subjective et conceptuelle) que l'histoire, ne présente « pas le réel mais le possible » ou le vraisemblable. Elle est tout simplement l'expression esthétique de l'homme et l'interrogation sur lui-même et sur ce qui l'entoure. L'écrivain créateur, et en l'occurrence le romancier, présente toujours dans son œuvre, d'après Aristote, « ce qui peut ou doit arriver à tel ou tel d'entre nous dans des circonstances données selon le vraisemblable ou selon le nécessaire ». Mais il reste au niveau d'un vécu perçu, senti à travers une philosophie, une idéologie ou une conception personnelle de la société et de l'homme pour créer un inonde plus beau que le réel, plus idéal que le réel, plus humain que le réel. Le romancier, en se servant des matières historiques, se permet donc de se pencher sur son art créateur, ses facultés imaginatives et son idéologie personnelle. Claude Duchet souligne le travail de synthèse que le romancier ne peut pas éviter quand il écrit :

    l'histoire livre des faits isolés, le roman doit les lier, par le fil ou l'intrigue, transformer une succession en durée, rassembler une collection disparate en un tout organisé l'histoire est dispersion, le roman est composition; l'histoire est prolixe et diffuse, le roman doit choisir, concentrer. L'histoire est dramatique (mais) il faut à ce drame dans le roman, exposition, nœud et dénouement[2].

Donc pour rehausser l'histoire au niveau de l'art et parvenir à éveiller les consciences et à poser esthétiquement [PAGE 120] les problèmes, le romancier ne peut pas se contenter de faire œuvre d'historien. Il est censé transformer le passé ou le présent historiques, lui donner une autre nature en le reflétant artistiquement. C'est « la puissance transformatrice de ce réel, la qualité atteinte par cette transfiguration qui, déclare Malraux, fait le talent de l'artiste »[3]. Pour transformer le réel historique, le romancier doit donc l'interpréter ou le transfigurer, en le grossissant parfois, en le repensant ou en le recréant. C'est ce que souligne Patrice Kayo, parlant du rôle de l'écrivain africain, quand il écrit que « la littérature (africaine), loin d'être seulement la peinture ou la reproduction du réel, devra, en tant qu'art, être avant tout et surtout dépassement et idéalisation de la réalité bref, marche perpétuelle vers la déesse Beauté, entendue comme finalité à la fois esthétique et éthique, le beau et l'utile étant inséparables »[4].

C'est précisément ce qu'ont fait Malraux et Sembene qui se sont servis de l'histoire pour des raisons éthiques, politiques et esthétiques. Cela est parfaitement indispensable pour un romancier engagé du XXe siècle, car Malraux et Sembène, étant engagés et nés « au cours de l'histoire qui a traversé (leur) champ », ne peuvent pas ignorer l'histoire, comme Malraux lui-même a déclaré à Jean Lacouture dans une de ses dernières interviews. Il sera facile de voir le rôle que joue l'histoire dans les romans prolétariens de chacun de nos écrivains si l'on analyse les typologies pragmatiques du récit - contenu du récit et témoignage de l'auteur, noms et natures des personnages, précisions topographiques et chronologiques qui constituent l'arrière-fond des romans.

III. Témoignage, contenu et précisions temporelles

La réalité politico-économique décrite dans les deux romans de Malraux (Les Conquérants et La Condition Humaine dont il sera question dans cet article) et les romans de Sembène Ousmane montrent comment les œuvres des deux écrivains sont ancrées dans des périodes historiques données. Le traitement qu'en donne chacun des romanciers [PAGE 121] bénéficie de la philosophie humaniste et de l'engagement politique de chacun. Alors que les deux romans de Malraux se servent des événements historiques qui se sont déroulés en Chine entre juin 1925 et août 1927 et de la situation socio-économique de la Chine entre le XVIIe siècle (quand les capitalistes étrangers commencèrent à exploiter la faiblesse de la dynastie mandchou pour s'assurer des privilèges commerciaux et même des concessions territoriales à Shangaï, Canton et Hong-Kong) et 1949 (quand le gouvernement communiste fut installé en Chine), ceux de Sembène se servent de certains événements historiques spécifiques et de toute la réalité coloniale et néo-coloniale de l'Afrique.

C'est cette importance de l'histoire qui fait que Les Conquérants ainsi que La Condition Humaine est considéré comme un roman-reportage. Le commentaire de Léon Trotsky sur Les Conquérants qui considère le livre comme « une chronique romancée de la révolution chinoise »[5] est devenu trop classique pour que nous le commentions encore. De même, dans les programmes de « East Asian Studies » des Universités américaines, il est commun, rapportent Leblon et Pichois[6] de traiter La Condition Humaine comme un livre historique.

Il est vrai que chacun de ces deux romans paraît au premier abord comme un témoignage ou le récit des événements auxquels l'auteur a assisté ou qu'il vus, lus ou entendu parler. Les Conquérants, par exemple, est publié trois ans après la grève sur laquelle il s'est basé. Cette grève s'est déroulée entre le 25 juin et le 18 août 1925. Mais les événements sont présentés par un narrateur anonyme qui se conduit comme l'ami personnel de Garine, le protagoniste [PAGE 122] du roman ou précisément comme le délégué spécial de l'auteur. Ce témoin rapporte au jour le jour (avec des dates exactes) et parfois même heure par heure ce qui se passe à Canton sans prétendre être là au moment du déroulement de l'action historique. Le roman se présente donc comme le journal des événements réels que ce narrateur a entendus, lus, mais auxquels il n'a pas assisté.

Ce narrateur est en effet Malraux lui-même qui, d'après la notice biographique mise en tête à la traduction allemande du livre est, dès le mois d'août jusqu'à la fin de 1925 (c'est-à-dire après la grève), « le commissaire suppléant à la propagande auprès de l'administration nationaliste à l'époque de Borodine ». Il aurait joué un rôle assez analogue à celui de Garine et s'est soigneusement renseigné sur les événements qui avaient eu lieu avant son arrivée dans la ville. En plus, lors du déroulement de ces événements, il se trouvait lui-même à Saigon où il dirigeait entre le 17 juin et le 14 août 1925 le journal L'Indochine qui, d'après Walter Langlois, était l'unique journal vraiment informé de toute la péninsule sur ce qui se passait en Chine continentale. Donc, le journaliste Malraux avait sans doute publié dans son journal plusieurs aspects des événements de Canton. Ces informations lui parvenaient par le truchement des témoins fuyant Canton et grâce aux informations radiophoniques. Notre auteur ne pouvait donc s'empêcher de déclarer en juin 1929 qu'il n'est pas « un seul point des Conquérants qui ne soit défendable sur le plan historique et le réel »[7].

Au moment où se déroulaient les événements rapportés dans La Condition Humaines, du 21 mars au 12 avril 1927, Malraux était en France. Mais, poussé par la nécessité de se bien documenter sur les faits historiques et pour ne pas être accusé d'infidélité à la réalité politico-historique comme Trotsky l'avait fait pour Les Conquérants' [8] il a pris son temps pour se bien renseigner. Cela explique pourquoi le [PAGE 123] livre ne sera publié que six ans après le déroulement de l'action révolutionnaire qu'il rapportera. Il doit la plus grande partie des renseignements avec lesquels le livre est nourri à un journaliste français Georges Marine et à un représentant du Komintern Sneevliet dit Maring.[9] On voit donc très souvent les fragments de reportage par-ci par-là. Us exemples de ces tranches journalistiques sont le récit d'attentat contre Tcheng Kai-Chek, l'arrivée à Hankéou et l'attaque du train par Tchen. La technique de narration change ici un peu de ce qu'elle est dans Les Conquérants. Au lieu d'avoir un narrateur unique, comme dans Les Conquérants, on nous rapporte à la troisième personne l'aventure dans La Condition Humaine du point de vue de chacun des personages importants; l'auteur intervient plus souvent ici que dans Les Conquérants. Quant à la couleur locale qui est en effet les fondements matériels de la vie des Chinois de l'époque, Malraux en a pris contact surtout lors de son tour du monde de 1931 avec sa femme pendant lequel il a fait escale à Canton et Shanghai. Malraux se base donc sur des matières historiques qu'il connaît fort bien pour construire ses deux romans.

Quant à Sembène, dont les romans sont aussi rapportés à la troisième personne qui indique « une conduite symbolique antérieure à la distinction du réel et du fictif », il connaît bien le présent et le passé historique qui constituent l'arrière-fond de ses récits. Mais, alors que Malraux, le rapporteur, n'a assisté à aucune des actions décrites, Ousmane, avec sa pénétration psychologique de la vie de ses personnages, présente ses récits très souvent en témoin direct de ce qu'il transfigure. Il s'est servi d'un de ces appareils préfaciels qui sont la dédicace, l'avant-propos, l'avis, l'avertissement, la date de la composition du livre et du déroulement des événements, pour nous informer de sa participation ou de son témoignage. Ainsi pouvons-nous savoir qu'il a assisté ou participé dans deux romans aux événements historiques sur lesquels Les Bouts de Bois... et L'Harmattan sont basés. Le premier sur lequel est basé Les Bouts de Bois est la troisième grève des cheminots du Dakar-Niger du 10 octobre 1947 au 17 mars 1948 (la première étant celle du Dakar [PAGE 124] Saint-Louisde 1925, la deuxième du Dakar-Niger du 27 septembre au 1er octobre 1938 à laquelle ont participé certains vieux personnages des œuvres comme le vieux Fa Kéita et Ibrahima Dieng). Le deuxième événement qui constitue le fond du roman L'Harmattan et qui se situe dans un pays africain anonyme, l'amalgame des caractéristiques de toute l'Afrique, est le référendum du 28 septembre 1958. Le traitement du temps par Ousmane dans ces œuvres est différent de celui de Malraux. Alors que ce dernier rapporte souvent au jour le jour et même heure par heure les activités des révolutionnaires qui ont mené les rebellions dans ses romans, Ousmane ne fait pas toujours des précisions temporelles. Il y a sans doute une évolution chronologique des activités dans chacun des romans indiqués, mais cela est toujours fait pour capter l'atmosphère fiévreuse de l'action syndicale au politique et aussi pour indiquer la fatalité inexorable qui emporte toujours en avant les personnages. Il adopte, pour atteindre ce but comme Malraux aussi (les deux sont en effet des metteurs en scène extraordinaires et Sembène est à présent président de l'Association des cinéastes sénégalaise[10]) la technique du cinéma qui consiste à présenter une scène après une autre, ou plusieurs plans à la fois afin de suggérer la simultanéité des actions qui se déroulent en plusieurs endroits en même temps. C'est certainement la meilleure façon pour capter l'ambiance d'une révolution animée par la populace. De plus, dans chacun de ses romans, Sembène se conduit comme le griot traditionnel qui, selon ce qu'il nous dit dans la préface de L'Harmattan:

    « était, non seulement l'élément dynamique de sa tribu, clan, village, mais aussi le témoin patent de chaque événement. C'est lui qui enregistrait, déposait devant tous, sous l'arbre du palabre, les faits et gestes de chacun. La conception de mon travail découle de cet enseignement : rester au plus près du réel et du peuple » (p. 10).[PAGE 125]

Et dans son interview publiée la môme année (1964) dans Jeune Afrique, il réaffirme :

    Je suis réaliste dan' la mesure où je colle à la réalité. Je n'invente rien. Passez dans les rues de Dakar, vous verrez les gens que je dépeins dans mes œuvres. Il faut montrer le réel – ce qui est laid, refuser de flatter les gens.

Qu'il n'invente pas l'arrière-plan socio-économique de ses romans et récits est certainement vrai, même pour ceux qui traitent le présent historique comme Le Mandat, Voltaïque et Xala. Mais dire qu'il n'invente rien est loin de la vérité, comme il le reconnaît lui-même dans la préface de L'Harmattan :

    J'avertis que je ne tente ni œuvre d'historien ni œuvre de chroniqueur. Les hommes, les femmes et les enfants évoqués en ces pages sont nés de ma plume et des faits que j'interprète.

Oui, l'artiste est avant tout créateur et interprète. A partir du réel qui est interprété d'après la philosophie de l'auteur et qui est recréé d'après ses qualités esthétiques, nous saisissons l'atmosphère du réel. C'est surtout par le truchement de ses personnages qui sont ses porte-parole que l'auteur arrive à transfigurer le réel et à nous dévoiler sa philosophie.

IV. Personnage, historicité et mythe

A aucun des personnages qui jouent des rôles historiques (dans le passé ou le présent) dans les romans de Sembène n'est accordé une épaisseur historique. Aucun ne porte un nom qui le relie à l'histoire réelle du pays dans lequel son aventure est située. Mais, chacun, résumant les idées sur les mœurs et la psychologie de son temps, les sentiments, les passions et les privations de sa classe, devient le type dans lequel s'incarne sa classe. Les deux classes des personnages – celle des exploiteurs blancs et même autochtones avec leur appareil protecteur redoutable et celle des [PAGE 126] exploités noirs assujettis et souffrants sont donc bien typifiés dans les œuvres de Sembène.

Chacun des prolétaires urbains et ruraux qui peuplent les romans écrits avant Xala[11] et des sous-privilégiés noirs qui animent la révolte dans Xala résume certaines caractéristiques – la mentalité, les habitudes, le parler, les hasards, les tribulations, la misère, l'asservissement – qui distinguent la vie du colonisé, du sujet ou du démuni de l'Afrique coloniale ou néo-coloniale. De même, chacun des Blancs (et il n'y a aucune exception à part la femme d'Oumar Faye), des chefs féodaux amis et supports des Blancs, des membres de la « Nouvelle Afrique », c'est-à-dire cette bourgeoisie nationale qui comprend les entremetteurs, sous-traitants, commissionnaires, estampeurs, cadres administratifs, technocrates vivant selon le vieux chômeur Ibrahima Dieng (Le Mandat) de « la fourberie et de la menterie de vrai » et confondant grotesquement nationalisme et égoïsme ou ambition personnelle, chacun d'entre eux exhibe quelques aspects de cet exploiteur sans vergogne qui est le Maître. Ces deux classes – classe exploiteuse et classe exploitée – sont les deux à participer dans l'histoire et l'évolution de l'Afrique depuis l'arrivée des Blancs dans le continent. Les deux ont créé cette situation de crise et de conflit immuable entre le patron et le subordonné, le maître et le sujet, le riche et le pauvre, le satisfait et l'insatisfait, celui qui s'adonne à la chasse à l'argent et celui qui se consacre à des revendications, celui qui est et celui qui veut être, qui ne cesse de déchirer l'Afrique. La crise se manifeste sans cesse dans les conflits entre les forces progressistes et les forces conservatrices, entre les Blancs et les Noirs, entre la bourgeoisie autochtone corrompue et traîtresse et le prolétariat déshumanisé qui font progresser les intrigues dans chacun des romans.

Au lieu de singulariser tel ou tel personnage historique qui a participé à ce conflit (contrairement à ce qu'il fait [PAGE 127] dans ses films surtout Ceddo), Sembène nous présente chez les prolétaires noirs par exemple, trois sous-divisions de personnages. Il y a d'une part la foule, toujours anonyme, qui constitue un élément important dans l'histoire africaine, car elle comprend les masses populaires, ces «frères dans l'ordre mendiants de la Révolution » menant une lutte collective et les démunis que symbolisent les gueux, mendiants, éclopés, aveugles et borgnes – de Xala. Ces camarades dans la misère réussissent à enseigner des valeurs humaines qui font la force de l'Afrique comme la participation et la fidélité à une action de masse qui changera le statu quo, la fraternité, le nationalisme, la discipline imposée par le groupe, l'acceptation de la possibilité de chacun et la reconnaissance de l'importance de chacun. Il y a aussi une autre sous-division de personnages. Ceux-ci sont nommés mais ne jouent pas de grands rôles dans le mouvement historique. Ils sont les supports aidant à appuyer et parfois contre-carrer les aspirations de la foule ou des révolutionnaires (qui composent la troisième sous-division). Cette deuxième sous-division est donc une classe intermédiaire entre la foule et les révolutionnaires qui font tout simplement progresser les intrigues des romans où ils apparaissent. La troisième sous-division se compose de quelques révolutionnaires auxquels Sembène donne les noms tels que Bakayoko, Lahbib, Tiémoko et Doudou (Les Bouts de Bois de Dieu), Oumar Faye (0 Pays, mon Beau Peuple !) et Rama (Xala), tous héros vivants qui engagent leurs vies pour d'autres hommes, tous militants pacifistes et partisans de la révolte non-violente à la Martin Luther King, tous attirés par le mythe de grandeur qui, brimés ou découragés par les forces indomptables érigées par la bourgeoisie conservatrice, ont toujours des difficultés à poursuivre leurs activités jusqu'au bout.

Quant à la classe exploiteuse de la bourgeoisie, les membres portent souvent des noms, mais ils se singularisent plutôt par leurs fonctions et positions politiques, administratives et commerciales – gouverneur, inspecteur du travail, directeur général, commissaire de police, propriété d'une telle ou telle entreprise, député-maire, séringe. C'est au moment où chacun veut jouer son rôle officiel que l'on assiste aux caractéristiques qui le lient à la bourgeoisie. Ces caractéristiques – méchanceté, égoïsme, malhonnêteté, impudeur, [PAGE 128] grossièreté ordurière, débauche, exhibitionnisme et autres habitudes rétrogrades – qui distinguent la généralité des colons, des administrateurs coloniaux et de leurs agents indigènes sont les cibles de la satire et de la critique de Sembène.

Les membres de ces deux classes sont donc présentés par Sembène Ousmane comme acteurs dans l'histoire d'Afrique et comme architectes du destin du continent. Au lieu de vouloir singulariser tel ou tel homme politique comme figure historique identifiable et reconnue, Sembène, avec son réalisme didactique et satirique, avec son idéologie marxiste-léniniste, décrit la vie de chacun en termes marxistes comme celle d'individus exploités par un système imputable à la volonté d'une classe oppressive.

Les membres de la classe exploitée sont donc toujours ses favoris et sont créés de telle sorte qu'ils exposent les problèmes qui se posent au peuple africain et démontrent par-là la prise de conscience par le peuple de son humiliation et de ses possibilités. Cette prise de conscience marque le début de l'éveil d'Afrique et de la volonté des Africains de proclamer leur moi. Elle manifeste aussi la foi de Sembène en la capacité du peuple en tant qu'artisan d'une nouvelle ère politico-économique et sociale. Faye de 0 pays, mon beau peuple (p. 162) souligne cette étape de l'histoire de l'Afrique coloniale quand, parlant du rapport entre le maître colonial et le sujet dont il est lui-même un représentant, il déclare :

    « Je ne veux pas vous faire concurrence, je veux simplement lutter. Si je perds d'avance, cela ne fait rien; ceux qui viendront après moi vous tiendront tête jusqu'à ce que vous soyez assis à la même table. »

Parmi ceux qui gagnent en quelque sorte dans leur conflit avec les bourgeois sont les ouvriers des Bouts de Bois... et les épaves humaines dans Xala. La victoire des premiers démontre l'espoir et l'optimisme de Sembène dans l'unité des ouvriers avec les masses populaires et le syndicalisme dynamique. Le succès que cette lie du peuple remporte dans Xala qui est présenté comme une aventure féerique, plus près du merveilleux que du réel, est la manifestation de la foi de Sembène dans la victoire inévitable des opprimés. [PAGE 129] Cette revanche des épaves humaines sur la bourgeoisie, bien qu'elle soit idéaliste, préfigure le triomphe futur du prolétariat et du peuple en général sur la bourgeoisie dominante. Quant à ceux qui perdent comme Faye et les indigènes de L'Harmattan, ils se présentent comme des hommes historiques dont le rôle consiste à apprendre aux autres qui viendront après eux que la lutte entamée doit se poursuivre. Par exemple, Faye, avec son esprit d'entraide, son programme de révolution agraire et son nationalisme, donne des exemples concrets visant à permettre à ses compatriotes d'être conscients de leurs possibilités et par-là de leur dignité, ce qui aboutira au progrès de l'Afrique.

Les membres de la classe exploiteuse sont tous présentés marqués de leurs aspects mesquins, détestables et répugnants. Sembène oblige ses lecteurs à les haïr au lieu de sympathiser avec eux. Ils sont tous victimes de sa satire acerbe et de son courroux, ce qui ne peut que mener à l'exagération et au grossissement de leurs rôles historiques. Nous assistons donc à un seul aspect de leur caractère – l'aspect négatif -, et même cet aspect est souvent rendu plus large que la vie. Au lieu de voir l'ensemble de l'être et ainsi capter ce dualisme qui, d'après Baudelaire, constitue l'essence même de l'être, nous sommes mis devant des mannequins manipulés au gré d'un romancier marxiste qui ne décrit que les côtés sordides de la bourgeoisie (internationale = coloniale ou néocoloniale, nationale = autochtone).

Quant à Malraux, il est plus séduit que Sembène par les faiseurs d'histoire ainsi que par ceux qui subissent l'histoire ou sont entraînés dans son flot. Chez lui, il y a plusieurs personnages historiques qui sont singularisés et qui gardent parfois leurs noms historiques, tandis que plusieurs autres sont inventés :

    J'ai besoin, a-t-il déclaré à André Marrissel le 26 novembre 1975, de mes personnages historiques et de mes personnages anonymes. J'insiste sur l'importance de ces personnages secondaires. Inconnus. Gens du peuple. Mais il est indispensable que les personnages qui ont fait l'histoire figurent dans mes livres.[12] [PAGE 130]

Et il précise encore :

    Plus je m'approche du personnage dans la partie qui le lie à l'histoire, plus je me soumets; plus je suis les personnages qui ont subi l'époque, plus je me considère comme libre... Ne peindre que des personnages qui assument l'histoire serait ( ... ) une erreur".

Il garde donc l'identité historique de certains personnages historiques et crée plusieurs autres. Il met aussi, comme le fait Sembène, beaucoup de lui-même dans ses personnages. Mais alors que Sembène met un peu de lui-même dans ses militants ainsi que dans la foule prolétarienne qu'il a créée, Malraux met de lui dans ses hommes d'action. Ceux qui subissent – la foule – gagnent sa pitié mais ne s'accommodent pas à sa nature. Ils sont comme ses petits frères qui gagnent sa sympathie à cause de sa grandeur d'esprit et de sa bonté humaniste. Il est, comme le docteur Schweitzer face aux Africains, le frère aîné de la foule.

Malraux cherche, même quand il délivre ses personnages de toutes précisions historiques, à garder « la vérité psychologique liée aux événements » auxquels ils ont participé.

Parlant de Garine, qui n'est pas un personnage tiré de l'histoire, mais de l'imagination de Malraux pour donner le type même du révolutionnaire lié à la rébellion en Chine, il ne peut s'empêcher de dire :

    Que Garine soit un personnage inventé c'est exact, et il est donné comme tel. Mais dans la mesure où il est personnage inventé, il agit toujours avec une vérité psychologique liée aux événements'.

Même ceux qui retiennent leurs noms historiques sont recréés. Le grand artiste qui est Malraux, ne voulant pas concurrencer l'historien ou l'annaliste, ne transcrit pas la vie de ses personnages mais la compose à partir des éléments hétéroclites tirés de ses expériences personnelles. Rien ne peut être plus près de la vérité que ce qu'il dit dans L'Express du 25 décembre 1954 :[PAGE 131]

    L'opinion la plus répandue est que tout roman est une transcription de la réalité. Mais jamais un grand romancier n'a créé un personnage identique à une réalité quelconque, pas même Balzac, pas même Dickens. Le roman appartient à une irréalité fondamentale[13],

Mais c'est l'auteur, lui-même créateur, qui est la grande source de ses personnages. Comme Dieu qui a créé les humains à son image, l'artiste-créateur crée ses personnages à son image.

Chez Malraux, les données historiques servent de moyens pour consolider la vérité humaine qu'il veut décrire. Les chefs communistes de la révolution prolétarienne de l'œuvre sont, pour ainsi dire, liés à Malraux par un cordon ombilical. C'est pourquoi presque tous les critiques de Malraux – Ilya Ehrenbourg[14], Roger Stéphane, Avriel Goldberger et Walter Langlois parmi les grands – voient plusieurs aspects du caractère de Malraux dans ses révolutionnaires communistes. En effet, l'ensemble de ces chefs révolutionnaires donnera le portrait compréhensif de Malraux tel qu'il se l'imagine.

D'autres, comme les membres de l'Internationale gardent leur identité historique – noms, marques d'humiliation et rôles. Il y a aussi d'autres qui sont des personnages historiques auxquels les noms fictifs sont collés. Le plus important de ceux-ci est Kyo dont l'original, admet Malraux dans ses Antimémoires, est Chou-en-Lai qui possède les mêmes idées politiques que Kyo et même une physionomie « avec son visage de Samourai » semblable à la sienne. Ferral sera aussi inspiré, d'après Henri Dumazeau[15] par André Berthelot, « frère de Philippe Berthelot, secrétaire général des Affaires étrangères » qui a eu les mêmes contacts politiques [PAGE 132] et les mêmes vicissitudes financières que Ferral. Quant à la masse chinoise, ces pauvres qui subissent l'histoire, Malraux la trouve en Chine parmi la tourbe ou le bas-peuple.

Or, qu'ils soient chez Malraux ou Ousmane, presque tous les personnages même les véritables figures historiques de Malraux sont idéalisés et typifiés. Cette idéalisation et cette typification en deux classes distinctes les écartent un peu de l'historicité. Ce qui importe au fond pour chacun des deux écrivains est le vrai plutôt que le réel, et aussi la possibilité d'en retirer des leçons pratiques, car c'est le vrai qui explique la réalité.

Il faut aussi remarquer que la création des personnages se fonde chez les deux écrivains sur la notion du mythe. Et qu'est-ce que le mythe, si ce n'est pas ce phénomène intellectuel qui, d'après Malraux[16],

    n'est pas objet de discussion (qui) vit ou (...) ne vit pas. Il ne fait pas appel en nous à la raison, mais à la complicité ( ... ). Les mythes ne se développent pas dans la mesure où ils diligent les sentiments mais dans celle où ils les justifient.

Il y a tout d'abord chez les deux romanciers le mythe communiste par lequel s'explique (pour Malraux jusqu'en 1934 et pour Sembène jusqu'au moment où nous écrivons) la capacité de l'homme pour s'assurer par ses propres moyens sa survie et pour refuser toutes les forces politico-économiques empêchant son épanouissement et légitimant son exploitation ou son oppression. Il y a ensuite chez Malraux le mythe d'action grâce auquel tout homme doit chercher à agir. C'est ce mythe qui l'emporte tout le temps et qui fait qu'il n'est attiré ni par la faiblesse ni par le compromis, qu'il est séduit par la force et l'intransigeance. C'est aussi ce mythe d'action qui fait que l'homme malrauxien est toujours l'affirmation d'une position, qui fait, même quand il est vaincu, qu'il n'est jamais dompté. Il est donc facile de voir pourquoi les révolutionnaires de Malraux déploient des qualités superhumaines ou surhumaines. Tout autre qui s'écarte de cette attitude devant la vie est classé [PAGE 133] dans la catégorie des ennemis de l'homme. Les révolutionnaires de Sembène sont aussi séduits par le mythe d'action. Mais alors que les révolutionnaires de Malraux arrivent à s'appuyer sur les armes pour affirmer leur révolte, les prolétaires de Sembène ne peuvent faire ainsi. Etant donné le sous-développement industriel et économique de l'Afrique (coloniale et néo-coloniale) et l'extraordinaire appareil répressif mis sur place par le régime colonial et ses survivants pour mater de manière meurtrière tout élan de protestation et d'action violente, les prolétaires africains de Sembène ne peuvent poursuivre qu'une action qui sera dénuée de violence. Voilà pourquoi ils épousent plutôt le mythe de grandeur qui lui paraît être le seul moyen grâce auquel ils pourront, étant des soumis, sujets ou sous-privilégiés, se mettre au même pied d'égalité que le maître, affirmer leur moi, faire des revendications et refuser l'absolutisme et la domination du maître.

V. Précisions topographiques

Avec les précisions sur le lieu d'action, le romancier, qu'il soit Malraux ou Sembène, y est fidèle. Tous les lieux où se sont déroulées les actions de protestation chez les deux écrivains sont facilement repérables sur la carte et sont authentiques quant à leur rôle historique. Canton, Hankéou, Shanghai sont dans villes situées en Chine tandis que Bamako, Thiès, Dakar et sa section locale-Medina, la Casamence, M'Boula Saloum, Ziguinchor, Candé et beaucoup d'autres endroits où les œuvres de Sembène sont situées sont des lieux que l'on peut identifier en Afrique. Chaque milieu est décrit avec ses coutumes, ses topos et les habitudes qui authentifient la réalité historique présentée par chacun des deux auteurs.

Conclusion

Or, Malraux et Sembène ne sont pas bêtement soumis aux données historiques. Ils sont artistes, qui grossissent à volonté le réel pour atteindre le vrai. Le but en est toujours de permettre au lecteur de sonder leur position personnelle ou subjective devant la réalité historique qui constitue la base de leurs romans. Et de cette réalité historique, ils ne s'intéressent qu'aux aspects leur permettant d'affirmer des valeurs éthiques, d'enregistrer l'évolution des peuples, [PAGE 134] de présenter les esprits animateurs de cette évolution historique et d'expliquer ainsi le présent historiquement. C'est cette optique qui anime la recréation et le développement des personnages dans les œuvres historiques de Malraux et de Sembène. Le lecteur est poussé à témoigner et revivre les raisons socio-économiques et humaines qui ont conduit les personnages recréés à penser, sentir et agir comme ils ont fait dans la réalité historique.

S. ADE OJO
Dept. of Modern European Languages,
Faculty of Arts,
University of Lagos
Lagos, Nigeria


[1] Cité par Jean Molino, « Qu'est-ce que le roman historique? » Revue d'Histoire Littéraire de la France, mars-Juin 1975, 75e année, numéro 2-3, p. 213.

[2] Claude Duchet, « L'Enseignement des Préfaces 1815-1832 » dans Ibid, p. 258.

[3] Remarque citée dans Gaëtan Picon, Malraux par lui-même, Paris : Édition du Seuil, 1946, p. 40.

[4] Patrice Kayo, « Le dilemme de l'écrivain en Afrique aujourd'hui », Présence Africaine, no 103, 3e trimestre, 1977, p. 127.

[5] Dans son fameux article publié trois ans après la parution des Conquérants, Trots KY écrit dans « La révolution étranglée » Nouvelle Revue Française, numéro 211, avril 1931.

« Le livre est intitulé roman. En fait, il s'agit d'une chronique romancée de la révolution chinoise pendant sa période cantonaise. La chronique est incomplète. Elle échoue en certains cas à saisir la réalité sociale.»

Dans la défense contre l'accusation d'infidélité à l'histoire, Malraux démontre qu'il a écrit un roman et pas une chronique.

[6] Leblon et Pichois, « La Condition Humaine, roman historique ? » Revue d'histoire Littérature de la France, mars-juin 1975, p. 438.

[7] Remarque faite par Malraux lors du débat organisé par l'Union de la Vérité en juin 1929, citée par Walter Langlois, « The Novelist Malraux and History » in L'Esprit Créateur, Fall 1975, Vol. XV, no 3, l'apport de l'histoire à la composition, la structure et aux thèmes de L'Espoir.

[8] Voir l'article de Leblon et Pichois, o.c., pp. 437-444 pour une étude du rapport entre l'histoire et La Condition Humaine.

[9] Voir Jean Lacouture, André Malraux : Une Vie dans le siècle, Paris : Le Seuil, 1973, pp. 113-114.

[10] Voir l'œuvre de Paulin S. Vieyre, Sembène Ousmane Cinéaste (Paris : Présence Africaine, 1972) dans laquelle Vieyra présente les activités cinématographiques de Sembène entre 1962 et 197l. Dès 1971, il a aussi produit d'autres films en dehors des six mentionnés dans le livre, à savoir Borom Sarret, Niaye, La Noire de..., Le Mandat, Taw, Emitaï. Dans chacun et surtout dans le nouveau Ceddo, c'est le militant qui examine la réalité historique de l'Afrique avec son regard scrutateur.

[11] Avant Xala publié chez Présence Africaine en 1973, furent publiés les romans suivants : Le Docker Noir, Nouvelles Editions Debresse, 1956, 0 pays mon beau peuple ! Presses Pocket, 1957, Les Bouts de bois de Dieu, Presses Pocket, 1960, L'Harmattan, Présence Africaine, 1964. Il faut aussi mentionner Le Mandat précédé de Véhi Ciosane, Présence Africaine, 1966 et les 13 nouvelles publiées dans Voltaïque, Présence Africaine, 1962.

[12] « Entretien du 27 novembre 1975 avec André Marissel », La Nouvelle Revue Française : Hommage à André Malraux 1901-1976, juillet 1975, numéro 295, p. 152.

[13] Cité par Leblon et Pichois, o.c., p. 439. Et dans une lettre adressée à Edmond Wilson publiée en 1952, Malraux souligne comment ses personnages romanesques sont souvent le résultat du besoin de traduire à travers eux un certain ordre de valeurs éthiques. (Voir Langlois, o.c., p. 346.)

[14] Ilya Ehrenbourg, par exemple, note dans son Duhamel, Gide, etc., vus par un écrivain de l'URSS (Gallimard, 1934, p. 192) que « La Condition Humaine est une radiographie de l'auteur fragmenté en plusieurs héros. (C'est un) journal intime, la sténographie de ses discussions. »

[15] Henri Dumazeau, « La Condition Humaine » de Malraux, profil d'une œuvre, Paris : Hatier, 1970, p. 45.

[16] André Malraux, préface à l'Amant de Lady Chatterly de D.H. Lawrence, Paris : Gallimard, 1932, pp. 10-11.