© Peuples Noirs Peuples Africains no. 17 (1980) 1-4
P.N-.P.A. D'une certaine façon, et quelle que soit l'issue du conflit qui l'oppose au pouvoir giscardien, Simon Malley, aujourd'hui, doit s'estimer heureux, ainsi qu'il arrive souvent à ceux contre qui la persécution politique s'acharne stupidement. Le directeur d'Afrique-Asie aura du moins testé à son avantage l'ardeur des amitiés tissées en dix années d'activité journalistique aussi bien à Paris que sur le continent africain et ailleurs. Rarement l'obstination arbitraire et haineuse d'une autorité officielle a autant servi un homme de plume et sa tribune. Le formidable concert d'hommages, d'éloges, de proclamations de soutien qui s'est élevé dès le premier jour n'a pas fini de répandre ses éclats et ses harmonies, amplifiés et relancés par le magazine Afrique-Asie lui-même à chaque livraison ce qui est de bonne guerre sans aucun doute.
Peut-être arrivera-t-il qu'on s'interroge sur l'opportunité et même sur la sincérité de certaines déclarations qui n'ont pas manqué de paraître d'une rare sottise à certains. Jean Daniel, par exemple, qui s'exprime d'une toute autre manière quand il prend la défense d'un dissident soviétique, tient ce propos étonnant dans le « Nouvel Observateur », numéro du 9-15 août (cité par Afrique-Asie du 1-14 septembre) -. « ... Nous [PAGE 2] exigeons qu'on permette ainsi à Simon Malley de se défendre contre des accusations qui visent son honneur, son idéal, sa moralité. Et ce qui rend notre exigence plus déterminée, ce n'est pas seulement la fidélité à une amitié ou la solidarité avec un confrère. C'est le fait même que nous soyons en net désaccord idéologique avec lui. Nous voudrions lui administrer la preuve que les droits de l'homme peuvent être mieux défendus dans ce pays que dans certains de ceux qui bénéficient de la générosité de son militantisme. »
Comme c'est étrange ! Personnellement je serais troublé, et même agacé qu'un de mes amis mette à profit une telle circonstance pour m'accabler du redoublement de son prosélytisme. A vrai dire, un homme qui s'obstinerait à vouloir me démontrer la supériorité du système politique produit par sa culture pourrait-il être mon « ami » ? Si d'aventure Simon Malley venait tout de même à être expulsé de France comme il en est menacé, Jean Daniel répudierait-il sa foi ? On peut en douter.[1]
Cette prétention on ne peut plus grotesque du gourou du Nouvel-Observateur illustre avec plus d'éclat que toute autre sorte de discours ou de démarche la vanité des stratégies telles que celle adoptée depuis toujours par Simon Malley et que nous n'approuvons pas quant à nous sans ménager pour autant à un homme persécuté une solidarité que nous n'avons pas besoin, nous, de proclamer avec des trémolos démagogiques.
Ayant bien pénétré la mentalité parisienne, Simon Malley s'était persuadé, apparemment, que, pour se mettre à l'abri de la malfaisance du pouvoir bourgeois, il lui suffisait de s'entourer d'une double fortification de relations; la première était constituée par ses « amis » parisiens choisis plutôt en fonction de leur influence dans les salons et les dîners en ville que pour leur autorité morale ou l'intransigeance exemplaire de leur conduite; sa deuxième ligne de fortification était représentée par les chefs d'Etat « progressistes » du tiers-monde, lesquels, paradoxalement, n'ont point hésité à se livrer à des « avertissements » frisant cette ingérence extérieure contre quoi ils passent leur temps, à juste titre, à lancer l'anathème pour peu qu'elle s'exerce à leur détriment.
Ce serait bien le diable, devait penser Simon Malley, si, en [PAGE 3] cas de malheur, la conjonction protestataire de gourous parisiens et de chefs d'Etat charismatiques du tiers-monde ne réussissait pas à paralyser le bras du pouvoir levé pour m'asséner le coup décisif.
Et le culte des principes sacrés dans tout cela ?
Simon Malley ne semble pas s'en être beaucoup préoccupé. C'est en quoi, principalement, nous croyons, à Peuples noirs - Peuples africains, nous distinguer de Simon Malley et de son magazine, avec lesquels d'ailleurs nous n'avons sans doute pas grand chose en commun, idéologiquement parlant : nous donnons cette précision à l'usage de certains lecteurs de notre revue qui, abusés par d'illusoires affinités, avaient cru pouvoir nous situer aux côtés d'Afrique-Asie, sans pourtant s'expliquer certains « décalages ». Nous n'entretenons, quant à nous, aucune amitié dans les cercles snob de Paris ni dans la vaillante cohorte des chefs d'Etat charismatiques du tiers-monde. Nous pensons même que c'est la première erreur que doivent éviter les porte-parole du tiers-monde s'ils désirent forcer le respect et glacer à l'avance toute velléité persécutrice. Si le prince se garda bien de punir par des coups de bâton l'insolence outrageante de Diogène, ce n'est certes pas l'envie qui lui en manqua.
Voyez en revanche avec quelle complaisance la presse française « objective », sans parler de l'autre, s'est attachée, en procédant par insinuations, à dénoncer la connivence de Simon Malley avec tels Etats du tiers-monde d'abord, puis, par glissements quasi imperceptibles, avec « l'expansionnisme soviétique ». Cette dernière accusation n'a pas laissé de faire sourire les militants progressistes africains qui savent bien ce qu'en vaut l'aune trop usée. D'autre part, la connivence de Soljénitsine avec l'idéologie occidentale était flagrante. Fallait-il pour autant absoudre l'arbitraire du gouvernement soviétique ?
Il n'empêche que certains porte-parole éminents du tiers-monde ont tort de faire si peu pour éviter le piège de l'ambiguïté, génératrice d'une suspicion qui, attisée par les propagandes de droite, nous aliène les forces vives d'Occident, d'abord disposées à nous épauler dans notre combat contre l'impérialisme spoliateur.
Ainsi le lecteur de Simon Malley voit bien pour quelles raisons Afrique-Asie se déchaîne si souvent contre Bongo, Senghor, Mobutu et tutti quanti ; il l'applaudit même de tout [PAGE 4] cœur. Mais il se demande aussitôt pourquoi un Ahidjo est épargné. Parce que le président du Cameroun est un fervent musulman ? Parce qu'il lui arrive d'aller passer ses vacances en Algérie ? A qui la faute si le lecteur, désorienté, prête l'oreille aux hypothèses les plus folles ?
De même le lecteur voit bien pour quelles raisons le magazine de Simon Malley invective contre Pinochet, mais il se demande pourquoi Karmal d'Afghanistan est, lui, un bon président. Yalta est-il bon en deçà et exécrable au-delà ?
Le lecteur voit bien pour quelles raisons la renaissance culturelle de la minorité noire d'Amérique doit être encouragée; il se demande, désorienté, pour quelles raisons le combat culturel des Kabyles l'Algérie est occulté. Etc.
Nous pensons à Peuples noirs-Peuples africains que l'indépendance est, de toutes les valeurs sacrées que doit vénérer une publication, la plus noble, et de loin. Ce que l'opinion publique a toujours attendu des opprimés et des spoliés, c'est d'abord qu'ils fassent preuve de dignité, c'est-à-dire, en dernière analyse, d'autonomie.
Cela dit, répétons que, à Peuples noirs-Peuples africains, nous offrons un indéfectible soutien à Simon Malley, à l'homme persécuté, au père d'une innocente famille plongée dans l'anxiété, au militant courageux qui a choisi sa cause sans doute contre ses origines, à coup sûr contre son intérêt.
P.N-.P.A.
[1] Simon Malley vient d'être définitivement expulsé! |