© Peuples Noirs Peuples Africains no. 16 (1980) 33-38
triste chronique des indépendances mort-nées
P.N.-P.A.
Presse « africaine »
Le ministère de la Coopération n'a pas plus de chance avec ses chouchous que jadis le ministère des Colonies qu'on appela aussi, après la dernière guerre, ministère de la France d'Outre-Mer n'en eut avec les siens. Personne ne s'en étonnera, les mêmes causes, en dépit de circonstances différentes, produisant nécessairement les mêmes effets.
Les hommes capables, aussi bien chez les Blancs que chez les Noirs, sont très souvent aussi des hommes de cœur et d'honneur; on les imagine mal se démenant aux pieds d'un tyranneau ou d'un petit chef genre Galley, l'homme des pseudo-événements que vous savez. Voilà donc le ministère de la Coopération, tout comme jadis le ministère des Colonies, obligé de faire avec ce qu'il trouve, c'est-à-dire d'utiliser les individus qui consentent à venir manger dans sa main. Ceux-ci, hélas ! sont rarement faits de manière à combler les vœux de leur protecteur.
La fine équipe de « Demain l'Afrique » n'aura donc mis qu'une trentaine de mois à dépenser la somme fabuleuse de deux milliards d'anciens francs (un milliard de Francs CFA, vingt millions de FF !) pour ne pas faire un journal. [PAGE 34] Pendant trente mois, elle se sera laissé ravager, vrai troupeau de bokassas parisiens, par les trois fléaux bien connus, paraît-il, de la négritude appelés les trois F Fainéantise, Fesse et Fric.
Des témoins africains se sont trouvés dans telle capitale d'Occident en même temps que des représentants de « Demain l'Afrique », à l'occasion d'un de ces nombreux festivals afro-drolatiques où viennent s'égayer périodiquement badauds snobs et autres décadents de l'Europe repue. Ils ont été sidérés par leur comportement : blondes incendiaires par-ci, absence totale de rigueur dans le travail par-là, argent claqué en hôtels de luxe, taxis et autres babioles. On n'est pas si fastueux même à L'Express ou au Point qui tirent pourtant, eux, à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires.
D'où pouvait bien venir tout cet argent ?
Il paraît que, même dans les sphères les plus averties, on a pu hésiter légitimement sur la réponse à donner à cette question. Que de soins pourtant à se dissimuler ! et n'était-ce pas assez pour mettre la puce à l'oreille de l'observateur ?
On découvre aujourd'hui que si la société d'édition était bien de droit français, le bailleur de fonds était, lui, une société financière sénégalaise, en contradiction flagrante avec la législation française sur les organes de presse. Qui était derrière la société financière ? Des personnalités gabonaises, zaïroises et ivoiriennes, selon une rumeur qui doit relever de l'intox. Même si on produisait des documents et des titres authentiques, comment s'assurer que ces prétendus capitalistes africains n'étaient pas de simples prête-noms comme il arrive trop souvent quand il s'agit de l'Afrique francophone?
Extravagants capitalistes dont une particularité achève d'éclairer les conceptions sans précédent : il semble acquis en effet qu'une sorte de crédit illimité avait été consenti à Bernetel, d'origine camerounaise[1], et à ses amis. Les deux [PAGE 35] milliards de centimes, qu'il a dilapidés, étaient accordés à son journal sans condition, sans contrepartie, sans préjudice des besoins à venir. Qui, mis à part le gouvernement d'une nation riche, peut se permettre ce mirobolant mécénat ?
Aussi un autre excellent confrère et néanmoins rival de « Demain l'Afrique » n'hésite-t-il pas à mettre les pieds dans le plat en parlant du ministère de la coopération, hypothèse apparemment confirmée par toutes les évolutions récentes et anciennes du personnage appelé Bernetel, et l'insolite discrétion dont a bénéficié sa fantastique déconfiture dans une certaine presse se disant objective (suivez mon regard).
Question : pourquoi lui avoir coupé les vivres si brutalement ? Parce qu'il faisait vraiment trop le nègre ? On dit qu'il avait sa table réservée dans une boîte de nuit parisienne avec bouteille de whisky à son nom. Bigre ! On prétend encore qu'il avait fait armorier sa voiture personnelle en y faisant graver en or ses initiales (ou son nom). On dit... Mais l'irresponsabilité des fantoches noirs n'a jamais rebuté les manipulateurs blancs, sinon la face de l'Afrique eût été changée depuis belle lurette.
Il faut donc chercher ailleurs. Comme toujours dans le système néo-colonial, le lancement de l'affaire et le recrutement des collaborateurs reposaient sur une ambiguïté que le pouvoir était assuré d'exploiter finalement à son profit. Le bruit du pactole ayant couru dans les milieux nègres de Paris, on vit se précipiter à la soupe des gens qui avaient jusque-là été pris au sérieux dans les diverses gauches de France, de Navarre et d'outre-mer francophone, les Maunick, les Condé et tutti quanti. Avec la capacité d'illusion du petit-bourgeois, ils croyaient, une fois entrés dans l'institution, [PAGE 36] pouvoir l'infléchir dans un sens « progressiste », quand le pouvoir se frottait les mains en se flattant de réussir cette énième entreprise de récupération et de mystification.
Il s'agit tout simplement d'une technique de corruption bien connue en Afrique où elle fait des ravages depuis vingt ans. Au Cameroun, cela s'appelle du joli nom de prêt non remboursable, oui, madame ! Une banque spécialisée du gouvernement local avance aux intellectuels en vue, ou passant pour tels, des fonds grâce auxquels ils peuvent faire l'acquisition de maisons, villas ou appartements qui sont loués à prix d'or aux ambassades étrangères ou aux institutions internationales, le propriétaire habitant quant à lui un logement de fonction. Situation euphorique puisque, sans bourse délier, notre héros s'octroie ainsi, en trois coups de cuillère à pot, un capital et des revenus qui font rêver.
Sans bourse délier ? Voire ! car il y a plusieurs manières de payer. A lui on ne demande qu'un peu de zèle pro-gouvernemental ou, au minimum, le silence. Sois riche et ferme-la. A la moindre incartade, la banque spécialisée (c'est-à-dire le gouvernement local) reprend tout, notre homme n'ayant jamais rien déboursé pour son acquisition et ne possédant donc, à vrai dire, aucun titre.
Le néo-colonialisme crée ainsi, de toutes pièces, une bourgeoisie bureaucratique livrée pieds et poings liés au système, auquel elle doit tout. C'est l'un des mécanismes-clés des régimes dictatoriaux de l'Afrique francophone.
Comme cela pouvait être prévu par tout homme de bon sens, Demain l'Afrique est vite devenu un infâme torchon où la réclame du petit chef Galley ne se dissimulait même plus. Mais ses grands intellectuels maison, ci-devant hommes et femmes « de gauche », avaient besoin d'alibis. L'argent prêté à un cinéaste africain, militant révolutionnaire notoire, révèle moins le goût de Bernetel pour la spéculation hasardeuse que la nécessité où s'est trouvée sa feuille d'afficher des relations de gauche, sinon révolutionnaires, afin de garder un minimum indispensable de crédibilité auprès des Africains parmi lesquels seul le discours (ou la mascarade) progressiste peut avoir cours.
Mais le bon Blanc, qui n'est pas fou, surveillait son écuelle, armé d'un gros bâton. Il voulait bien que les jolis chiens-chiens-ça-madame, pas méchants du tout, viennent y laper, pas des loups efflanqués, hirsutes et patibulaires. Quand il a vu qu'il ne pourrait pas écarter indéfiniment [PAGE 37] les indésirables, il a saisi le premier prétexte venu pour, fermer le robinet de la bonne sousoupe. Non mais ! Et voilà terminé le conte de fée du nègre Bernetel. La morale de cette histoire, c'est qu'il n'y a pas de miracle : les nègres étant, de notoriété publique, de pauvres hères, quand ils étalent trop de fric, eh bien, ce n'est pas le leur, na ! C'est celui de la corruption. La prochaine tentative, avec un autre Paul Bernetel, connaîtra la même issue.
De toute façon, peu doivent nous importer et peu nous importent au demeurant les petites vicissitudes du misérable destin du lamentable Paul Bernetel, d'origine camerounaise, accusé aujourd'hui d'escroquerie, détournement, abus de confiance et de biens sociaux. N'en jetez plus !
En revanche nous nous devons de dénoncer, sans enflure inutile mais avec fermeté, l'inconséquence avec laquelle on a compromis dans cette sordide circonstance un nom qui est le symbole de notre révolte contre l'oppression de l'argent et du mensonge, l'emblème du mépris des Noirs pour les aplatissements oncletomesques.
Pourquoi aura-t-il fallu que le nom du prophète noir le plus vénéré, parce que le plus pur et le plus radical, soit associé aux grivèleries dérisoires d'un freluquet ? Lourde responsabilité.
Sénégal
Dans « Le Monde » du 21 juin 1980, le nommé Pierre Biarnès, plus familier pourtant de l'encensoir que du vitriol quand il parle des roitelets nègres francophiles, révèle, avec d'infinies précautions et moult litotes, une bien bonne : le régime du poète-président de Dakar est en faillite !
Mieux loti pourtant que le pauvre Bernetel qui doit se planquer pour ne pas connaître la paille humide des cachots réservés aux prévaricateurs, Senghor a quand même, lui, la ressource de tendre la sébile. Il le fait sans complexe, si nous en croyons le nommé Pierre Biarnès, sans doute trop heureux d'apporter une éclatante illustration à son apophtegme bien connu qui veut que la raison (c'est-à-dire la saine gestion d'un petit pays) soit hellène, et l'émotion (c'est-à-dire l'irresponsabilité et le laxisme) nègre.
Senghor sait programmer les batailles décisives contre les scolaires sénégalais; il n'ignore rien de l'art d'acculer des enfants qui crient famine dans leurs derniers retranchements [PAGE 38] avant de diriger des salves meurtrières contre eux. Il a le temps de s'acharner contre son opposition qu'il excelle à diviser pour mieux l'affaiblir. Il ne cesse de fignoler de nobles péroraisons qu'il s'empresse d'aller réciter dans les capitales occidentales, pour rappeler qu'il est toujours candidat au prix Nobel.
Pendant ce temps, une crise effroyable, essentiellement importée de France, menaçait l'économie sénégalaise d'asphyxie depuis de longs mois, bien avant que les prix de l'énergie ne s'envolent. Il n'était question que de cela dans les media. Senghor, le nègre intuitif, lui, ne voyait pas, ne savait rien, gardait ses oreilles bouchées.
Les dettes du Sénégal s'accumulaient dangereusement, ayant atteint, aux dernières nouvelles, soixante milliards de francs CFA au bas mot. L'homme de l'intuition ignorait tout, quant à lui.
Tant d'intuitive candeur et d'autres vertus typiquement nègres méritaient bien, en guise de récompense, ce que le nommé Pierre Biarnès appelle joliment la mansuétude des bailleurs de fonds internationaux. Les dettes du Sénégal seront donc remboursées grâce à la générosité des tuteurs de l'intuitif poète dénué de complexes, merci pour lui.
Contre quelles garanties politiques ? C'est ce que le nommé Pierre Biarnès, grand ami de Senghor au demeurant, n'évoque qu'avec beaucoup de pudeur. Comme dirait l'autre, qu'importe que l'homme soit appelé ami, tourtereau ou céladon, si chacun sait que la dame est une prostituée.
P.N.-P.A.
[1] Une jeune correspondante, élève d'un collège de Yaoundé, nous écrit que la mode, parmi les potaches de la capitale camerounaise, est de se donner une origine étrangère, et notamment antillaise. Chacun est donc fils, fille ou proche parent d'un diplomate étranger, de préférence venant des Caraïbes. A Paris, au contraire, le nouveau snobisme, pour les Antillais semble de se donner des origines africaines récentes.
Au moins un membre de l'équipe de Peuples Noirs-Peuples Africains connaît très bien la famille Bernetel, pour avoir eu la fille aînée pour condisciple au Collège Classique et Moderne Mixte (qui allait devenir le lycée Maréchal-Leclerc) de Yaoundé. C'était la famille d'un fonctionnaire français de la Justice, d'origine antillaise. Si Paul Bernetel est en effet né au Cameroun, c'est par pur hasard, comme il arrive souvent aux enfants des fonctionnaires, ballottés d'une ville à l'autre, d'un pays à l'autre et même d'un continent à l'autre par le caprice des affectations du ministère. Cela dit, l'origine de Paul Bernetel, on s'en fout. Mais il y a une certaine démagogie de la couleur de la peau noire qu'il faut dénoncer. |